Contrecoup - Home page de Francis DROUIN

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Contrecoup - Home page de Francis DROUIN
François Verret
COMPAGNIE FV
ph.J.-P. Maurin
l’indicible a alors une chance de surgir
DU 24 AU 28 MAI
Contrecoup
création
création à partir de la lecture
d’Absalon, Absalon ! de William Faulkner
mise en scène François Verret
collaboration artistique Sylvie Blum
scénographie Goury
partition sonore Alain Mahé
avec la collaboration de Carol Robinson
et Jean-Pierre Drouet
images Vincent Fortemps
lumières Christian Dubet
avec Angela Laurier, Suzanne Da Cruz,
Hanna Hedman, Vincent Gomez,
Vincent Fortemps, Marc Veh,
Mitia Fedotenko, François Verret
coproduction : Théâtre national de
Bretagne/TNB, Rennes – La Compagnie
FV, Paris – Théâtre de la Ville, Paris – Opéra
de Lille
ph. Laurent Philippe
La Compagnie FV est soutenue par la
DRAC Ile-de-France, ministère de la
Culture et de la Communication.
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THEATRE DE LA VILLE • TARIF A
l’expérience du questionnement
perpétuel du réel
Qu’est-ce que le réel ? Comment l’appréhender dans sa fugacité morcelée, dans son
devenir changeant ? Question tenace, inexhaustible, mouvante elle aussi, qui ne cesse
de tarauder François Verret. Ne pas chercher
de réponse définitive donc, mais réinterroger
le rapport au monde, à ses lois, à ses évidences, marteler la matière, tâtonner, questionner toujours, encore. Admettre l’incertitude, l’irrémédiable relativité des points de
vue. Pour pouvoir desceller de nouveaux
« champs de possibles ici et maintenant ».
Arpenteur du doute, travailleur des marges,
le chorégraphe radiographie depuis longtemps maintenant l’être intérieur dans ses torsions, ses remuements profonds ; il scrute la
réalité dans sa matérialité trouble et les indécis reflets que renvoie la perception brouillonne de l’expérience. Il crayonne ainsi au fil
de ses créations 1 la silhouette brumeuse
d’une humanité cahotée par le ressac irrépressible de la vie, mais qui pourtant
s’acharne à vouloir advenir, à trouver sa
place.
Dans cette quête entêtée, François Verret
avance en compagnie d’écrivains : Kafka,
Feuerbach, Melville, Musil, aujourd’hui
Faulkner : « À l’origine, la lecture provoque un
trouble de l’âme, produit des émotions,
ébranle la pensée, stimule des connexions
dynamiques. Il faut laisser passer du temps,
oublier et attendre de voir si le trouble persiste, si ce qui a été déclenché par la lecture
appelle de nouveau. » Il a trouvé dans
Absalon, Absalon ! un écho à sa démarche.
Car le romancier américain semble bien
exprimer entre les lignes l’impossibilité de
fixer dans l’étau des mots les stridulations du
vécu, cette tentative dérisoire de rapiécer les
fragments effilochés du réel dans la trame du
récit : « Je crois qu’aucun individu ne peut
seul voir la vérité. Elle vous aveugle. Vous la
regardez et vous en voyez un côté. Un autre
la regarde et voit un des côtés légèrement de
travers dans l’ensemble. La vérité est bien ce
qu’ils ont vu, mais personne ne l’a vue tout
entière », expliquait-il 2.
« Ou peut-être est-ce ainsi : c’est
inexplicable et nous ne sommes
pas censés comprendre »
Dans Absalon, Absalon !, publié en 1936,
Faulkner joue avec les emboîtements parcellaires du souvenir et fait vibrer les éclats moirés que réfracte le prisme déformant des
subjectivités. Le roman se déploie comme un
essai de reconstitution de l’histoire de
Thomas Sutpen, un parvenu sans scrupule,
un blanc miséreux qui, dans son enfance, se
sentit humilié par un esclave noir, et n’eut dès
lors qu’une obsession : acquérir le statut de
planteur et fonder sa dynastie afin d’être
reconnu et de jouir du prestige dans la société sudiste de propriétaires terriens. Le destin
maudit ruinera son grand dessein. Cette tragédie d’ambition déchue, entachée de
meurtre et d’inceste sur fond de guerre de
Sécession, renvoie à la Bible et répète la
malédiction du roi David dans le Livre de
Samuel : Henry, fils de Thomas Sutpen, tue
son demi-frère Charles qui convoitait sa sœur
Judith.
Mais cette épopée biblique transférée dans
le Yoknapatawpha, comté imaginaire du
Vieux Sud, ne nous parvient que par strates
successives, lacunaires, à travers la parole
de quatre narrateurs qui évoquent le drame
quarante ans plus tard. Ainsi s’entrecroisent
les informations livrées par la vieille Rosa
Coldfield, qui raconte à Quentin des bribes
d’épisodes qu’elle a vécus, les confessions
rapportées par M. Compson, le grand-père
de Quentin et unique ami de Thomas Sutpen,
la voix de Quentin lui-même transmettant à
son tour ce conte plein de bruit et de fureur à
son ami Shreve McCannon, tous deux
essayant de deviner les pièces manquantes
du puzzle. La narration, hantée par l’absence, se répercute en une série de réverbé-
photos Laurent Philippe
rations, ondule dans les marécages viciés de
la mémoire. À mesure que progresse l’enquête, hésitante, passionnée, la vérité se
dérobe un peu plus, recouverte par l’opacité
des témoignages contradictoires, vrillée par
les torsades du temps. Le sens se construit
dans les béances vacillantes de l’écriture.
l’invention d’une écriture
scénique
Contrecoup n’est pas une adaptation du
roman, mais l’invention d’une partition scénique associant des artistes (danseurs,
acteurs, acrobates, plasticiens, compositeur…) qui explorent les résonances intimes
que ce texte a éveillé en eux. « Ce n’est pas
du coup que nous souffrons mais de sa fastidieuse répercussion, du contrecoup, des
sales conséquences qu’il nous faut balayer
au seuil même du désespoir », dit un des
narrateurs… François Verret a adopté le
même processus de mise en perspective
relative des regards : « L’écriture est une
conséquence et non le résultat d’une vision
prédéterminée que je demanderais à des
artistes d’interpréter. Ce mot-là, interprète,
m’est étranger. J’essaie de construire un
contexte dramaturgique, de définir des lignes
de force qui vont alors susciter des propositions. Ainsi, d’empirisme en empirisme,
chacun invente une expression, liée à son
idiosyncrasie, à sa nécessité intérieure, à l’alchimie de ses propres déter minations.
J’interroge ce qui surgit, pense différentes
formes d’articulations entre les plans expressifs, reviens à la charge à l’endroit de la clarté
possible, souhaitable, d’un geste en
connexion avec le contexte dramaturgique.
Non pas pour en entamer le mystère mais l’innerver d’une tension interne dramaturgique et
rythmique. L’indicible a alors une chance de
surgir. »
une dramaturgie du temps
Le spectacle longe les spirales de la langue,
il en épouse les phrases sinueuses, répétitives, enveloppantes, pour creuser dans
l’épaisseur même de l’œuvre, en extraire les
motifs et les multiples tensions : l’impuissance
de l’homme face à sa destinée, le racisme
dans le Vieux Sud décomposé, le diktat de
l’échiquier social, le poids de la filiation, l’inévitable pluralité de la vérité… Sur le plateau,
une imposante mécanique trône farouchement et s’ébranle dans un rugissement fracassant. Les personnages surgissent des
confins, aussitôt happés par ce manège affolé de la mémoire. La parole passe des uns
aux autres, qui se relaient, se contredisent,
s’épuisent en conjectures atterrées mais
s’obstinent et se reprennent. Le récit se
cherche, travaille les corps, distord les temporalités. Les figures tournoient dans une
course illusoire, tentent d’échapper à la
machine infernale, inexorablement rappelées
par la force centripète de l’histoire, rivées au
sol par les filins de la fatalité. Contrecoup procède par accélération soudaine et catatonie
languissante, friction de sonorités et entrelacs
de visions, cristallisation de scènes matricielles et circularité du temps. La gestuelle
tantôt se casse en un ânonnement de pantin
désarticulé, tantôt cogne l’espace avec une
énergie rageuse ou s’esquive avec une souplesse toute féline. Précis, dru, le mouvement
s’exacerbe dans la violence vénéneuse des
étreintes, des luttes au corps à corps contre
les fantômes du passé. L’ombre errante des
morts continue de rôder dans le présent. Leur
énigme demeure. À nous de tracer notre chemin. Une histoire n’est-elle pas un fil tendu
entre deux mondes ?
Gwénola David-Gibert
Depuis 1983, le Théâtre de la Ville présente et
coproduit régulièrement les créations de François
Verret.
2
Faulkner à l’université, pp. 277-278, Gallimard,
1964.
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