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LES DOSSIERS DU CEDEJ ENTRE DEUX MONDES: LES HOMMES D'AFFAIRES PALESTINIENS DE LA DIASPORA ET LA CONSTRUCTION DE L'ENTITÉ PALESTINIENNE SARI HANAFI DOSSIERS DU CEDEJ - 1997 - ENTRE DEUX MONDES : LES HOMMES D'AFFAIRES PALESTINIENS DE LA DIASPORA ET LA CONSTRUCTION DE L'ENTITE PALESTINIENNE Sari Hanafi CEDEJ DOSSIERS DU CEDEJ Secrétariat de rédaction et composition : Laurence Cavelier Diffusion : Librairie Avicenne 25 rue de Jussieu 75005 Paris CEDEJ 14 rue A. Rahman al-Sawi B.P. 494 Dokki Le Caire, Égypte Tél 32 19 361 : / Fax 18 35 349 E. Mail : cedej @ idsc. gov. eg. : Adresse postale : CEDEJ/MRC Service de la valise diplomatique 128 bis rue de l'Université 75351 Paris 07 SP Centre d'études et de documentation économique, juridique et sociale URA 1165 - CNRS CEDEJ, Le Caire, 1997 ISSN 0985 - 7702 ISBN 2 - 9058 3836 - 1 Ou est le Rotschild de Palestine ? demande Yasser Arafat lors d'une assemblee d'hommes d'affaires palestiniens à Ramallah. Ou est le Ben Gourion de Palestin, lui rétorque l'homme d'affaires Hassib Sabbagh... Remerciements Je remercie, à l'issue de ce travail, tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, m'ont permis de le mener à bien, et tout particulièrement Philippe Fargues et Elisabeth Longuenesse. Je tiens également à remercier l'Union européenne et la Fondation Ford qui ont financé ce programme de recherche. Table des matières Remerciements Introduction Un projet d’études piloté par le Cedej Élaboration d’une définition des “ Palestiniens “ Définition de notre champ de recherche 4 5 6 9 13 Première partie : Les hommes d’affaires palestiniens dispersés. Trois études de cas Chapitre I : Les hommes d’affaires palestiniens en Amérique du Nord17 L’émergence de la diaspora palestinienne en Amérique du Nord 17 Une ascension sociale (ir)résistible 21 Les caractéristiques des hommes d’affaires palestiniens 24 L’élite économique palestinienne dans la société hôte 26 Conclusion 31 Chapitre II : Les hommes d’affaires palestiniens en Égypte 33 Les vagues migratoires vers l’Égypte 33 Un statut juridique complexe 35 Les hommes d’affaires palestiniens : les privilèges de la proximité 39 L’Égypte : plaque tournante des capitaux palestiniens ? 41 Entre deux mondes : la relation économique avec Israël 43 Les Palestiniens en Égypte : une quête d’identité 45 Chapitre III : Les hommes d’affaires palestiniens en Syrie 47 La présence palestienne en Syrie 47 Éléments de la situation économique des Palestiniens de Syrie 51 Une communauté d’affaires bien intégrée 52 Les hommes d’affaires dans une perspective de paix : “ wait and see “54 Conclusion 57 Deuxième partie : Une élite : économie et pouvoir Chapitre IV : L’économie palestinienne dispersée. Internationalisation et recentrage 59 Les positions des hommes d’affaires à l’égard des accords d’Oslo 64 Investir individuellement en Palestine : une attitude ‘ attentiste “ 65 Risques pour tous ! Les sociétés anonymes d’investissement 73 Chapitre V : Un capital désobéissant ? Les hommes d’affaires et le pouvoir La constitution de regroupements d’hommes d’affaires 75 Les ‘ mitoyens “ et l’Autorité nationale palestinienne : les relations sont-elles conflictuelles ? 77 Une place prépondérante dans les sociétés hôtes 88 Conclusion La politique et l’économie, ou la charrue et les bœufs Régionalisation de l’économie palestinienne : défi et transgression Libéraux, sont-ils démocrates ? 91 93 95 98 Annexes Annexe I : Les sociétés anonymes d’investissement Annexe II : The Palestinian Crisis: The Way Out 101 103 Bibliographie Bibliographie en arabe 115 119 75 Introduction “ La Palestine est un capital éparpillé dans le monde. “ (Boustani, Fargues, 1990, p.118 ) Ses ressources humaines et ses potentialités économiques sont longtemps demeurées la dimension négligée d'un dossier d'abord politique. À la suite de l'accord israélo-palestinien de septembre 1993, les observateurs ont souligné la nécessité de développer l'économie palestinienne afin d'assurer une paix durable. L'accord lui-même comporte des annexes économiques détaillées qui ne concernent pas seulement les parties signataires, mettant ainsi en exergue la dimension internationale de l'économie palestinienne. La mobilisation des bailleurs de fonds publics internationaux dès octobre 1993, avant même l'entrée en vigueur de l'accord, a parachevé la projection de l'économie au premier plan d'une question dont elle est largement absente depuis 50 ans. Les ressources humaines et économiques des Palestiniens résidant en dehors de Cisjordanie et de Gaza n'ont jamais été recensées avec précision. En fait, le conflit arabo-israélien, ainsi que la dramatisation des perceptions des Palestiniens en exil, ont occulté leur histoire économique : l'accent est mis sur la geste “ héroïque “ de l'action politique et militaire de l'OLP1. Mais cette situation tient également à leur dispersion planétaire. Ce n'est qu'à la suite de l'accord israélo-palestinien que fut soulignée la nécessité de développer l'économie palestinienne afin d'assurer une paix durable. 1. Le rôle économique joué par les hommes d'affaires palestiniens est souvent occulté par le profil bas qu’ils adoptent, fragilisés par leur statut d'‘ étranger ‘ .Des articles de presse, publiés dans un contexte d'hostilité à l'égard des Palestiniens, ont évoqué les fortunes de millionnaires, voire de milliardaires palestiniens, sans mentionner la nature de leurs activités. Voir à titre d'exemple l’article paru dans Rose al-Youssef, 04/07/94, lors de la pénurie de sucre en Egypte. Le journal a effectué une enquête désignant Ali Safadi, homme d'affaires palestinien, comme le responsable. Par contre, lors de l'inauguration de son usine de conditionnement de sucre par un ministre, les journaux n'ont pas relevé son origine palestinienne. Un projet d'étude piloté par le CEDEJ2 La connaissance du potentiel palestinien dispersé apparaît ainsi comme un enjeu de savoir, mais aussi de pouvoir. La découverte de l'économie palestinienne, depuis que se sont engagées les négociations multilatérales sur le Proche-Orient à Madrid, est encore partielle. La tentative la plus globale revient à la Banque mondiale, dont l'étude Developing the Occupied Territories. An Investment in Peace, publiée en septembre 1993, fait désormais référence. Elle laisse pourtant de côté des questions importantes, puisqu'elle n'aborde guère les relations économiques extérieures de l'entité palestinienne. Ceci est d probablement au caractère en partie diplomatique de cette étude. Ce trait est également à l'origine de sa limite la plus évidente, qui est de ne traiter que de la Cisjordanie et de Gaza. Or, remarquer que la majorité de la population palestinienne réside hors de ces territoires suffit pour considérer qu'une analyse économique excluant cette population est un exercice incomplet. L'étude de la Banque mondiale le reconnaît d'ailleurs de façon implicite, en mentionnant la différence considérable existant entre le produit intérieur des Territoires occupés et leur produit national (le premier ne comptant que pour moins des trois quarts du second), écart d aux transferts de la diaspora. Il était évidemment difficile pour la Banque mondiale d'enquêter sur les Palestiniens de la diaspora, alors que son analyse des Territoires occupés innove déjà par rapport à son cadre traditionnel d'intervention, celui des Etats. À notre connaissance, il n'existe aucune étude globale portant sur l'économie actuelle des “ Palestiniens de l'extérieur “. Il convient pourtant de prendre en compte cette économie dans sa dimension planétaire, afin de mieux cerner les caractéristiques et les besoins de l'économie de la future entité palestinienne. Il est en effet vraisemblable que des liens s'établiront ou se renforceront entre cette entité et des acteurs économiques palestiniens extérieurs. On s'attend notamment à ce que les capitaux détenus par les Palestiniens de la diaspora, qui sont évidemment beaucoup plus importants que le produit intérieur brut de la Cisjordanie et de Gaza, y génèrent de forts investissements directs. Il devient alors urgent d'éclairer l'analyse de la construction nationale palestinienne par un apport de connaissances sur des acteurs importants de l'économie de la diaspora : les hommes d’affaires. Conséquence d'une longue dispersion démographique, l'internationalisation de l'économie palestinienne constitue à la fois un défi et une chance pour la construction économique du futur Etat. Un défi tout d'abord, puisque la multiplicité des origines des flux économiques et des centres de décision limitera, dans le domaine économique, la marge de maneuvre de l'autorité centrale palestinienne. Si celle-ci entend respecter les engagements d'ouverture pris jusqu'à présent, son rôle se cantonnera davantage à gérer et à orienter les flux qu'à diriger l'économie. Une chance cependant, puisque de l'importance de ces flux dépendra le degré d'autonomie de l'Etat palestinien vis-à-vis des bailleurs de fonds et surtout le succès de la reconstruction de l'économie palestinienne. Ce dernier est en effet lié à la mobilisation des capacités et des compétences palestiniennes, disponibles mais dispersées, et à faible synergie. La construction économique palestinienne intervient alors qu'à la suite d'un processus d'affirmation nationale, les Etats arabes voisins tentent de rattraper une globalisation économique dont ils sont restés largement à l'écart, et qu'avec la paix, l'économie israélienne est elle-même en voie d'ouverture régionale. La fin du conflit israélo-arabe pourrait ainsi engendrer deux mouvements contraires en apparence : l'internationalisation des 2. Ce paragraphe a été tiré pour l'essentiel du projet de recherche sur le potentiel palestinien dispersé élaboré par Louis Blin et Philippe Fargues. économies du Proche-Orient, d'une part, et le recentrage du potentiel palestinien, d'autre part. C'est dans ce cadre général que le Centre d'études et de documentation économique, juridique et sociale (CEDEJ) a convenu d'évaluer l'apport potentiel des hommes d’affaires palestiniens de la diaspora à la construction économique du futur Etat. Pour cela, un tableau de l'état présent des entreprises palestiniennes a été dressé et leurs perspectives de redéploiement à la faveur de la paix ont été analysées. Les conditions exceptionnelles de formation de l'entreprenariat palestinien, suite à une longue dispersion, font de chaque entreprise l'aboutissement d'un itinéraire humain spécifique. C'est pourquoi, afin d'appréhender les caractéristiques de l'économie palestinienne dispersée, l'objectif premier de ce programme a été de recueillir la biographie des principaux hommes d’affaires palestiniens disséminés de par le monde. Des études portant sur les réalisations économiques des hommes d’affaires d'origine palestinienne dans les pays arabes ou ailleurs ont fourni une synthèse originale de leurs capacités économiques et techniques, des spécificités de leur réussite, de leurs relations d'affaires, ainsi que des projets qu'ils formulent tant vis-àvis de leur pays d'accueil que de la Palestine. Ces études pourraient notamment nourrir la réflexion des autorités palestiniennes lorsque celles-ci adopteront des mesures orientant les investissements venus de l'extérieur et l'exploitation, au profit de la construction nationale, des réseaux économiques internationaux tissés par la diaspora. Ce projet est destiné à fournir une information standardisée sur les hommes d’affaires palestiniens, à la présenter dans un “ Who's Who “ des hommes d’affaires puis à utiliser ce “ Who's Who “ comme base d'une recherche de type académique. La constitution d'un annuaire biographique des principaux hommes d’affaires d'origine palestinienne dispersés dans le monde entier a été effectuée sur la base d’entretiens directs, complétés par la diffusion d'un questionnaire unique. Les questions posées ont eu pour objet d'identifier avec précision : - la situation socio-économique des hommes d’affaires enquêtés ; - leur parcours ; - la nature de leurs activités et leurs coordonnées précises ; - l'étendue de leurs relations avec d'autres hommes d’affaires palestiniens ; - leurs réseaux de partenaires non palestiniens au Moyen-Orient, en Europe, ou ailleurs ; - leurs intentions à l'égard de la construction économique palestinienne. À la connaissance des hommes d’affaires s'ajoute l'identification de leurs réalisations et de leurs perspectives de partenariat, dans le but de définir leur position dans les réseaux transnationaux les reliant, soit entre eux, soit à d'autres acteurs économiques, arabes ou non. Les données rassemblées et qui seront publiées dans le “ Who's Who “ servent de base à une étude comportant les composantes suivantes : - économique et financière : quelles sont les capacités des hommes d’affaires palestiniens dans ces deux domaines ? - technique : quels transferts de technologie sont-ils susceptibles d'opérer ? - politique : quelles relations sont-ils à même de promouvoir entre le futur Etat palestinien et leur Etat de résidence ? - sociologique : qui sont les hommes d’affaires palestiniens de la diaspora ? Quels réseaux ont-ils tissé entre eux et avec leurs homologues de Cisjordanie et de Gaza ? Quels sont les rapports entre les hommes d’affaires de la diaspora et les autres acteurs économiques de leur pays de résidence, arabes ou non ? Les pays enquêtés en priorité sont les suivants : - Moyen-Orient : Arabie Saoudite, Egypte, Jordanie, Liban, Syrie, Bahreïn, Emirats arabes unis, Israël, Koweit, Qatar ; - Europe : Allemagne, Royaume-Uni, France ; - Amériques : Chili, Honduras, Pérou, Canada, Etats-Unis. Dans le cadre de ce programme de recherche, et à partir d'études de cas, cet ouvrage ne présente que les résultats préliminaires de certaines enquêtes menées auprès d’hommes d’affaires palestiniens. Il s’agit ici d’éléments de réflexion plutôt que d'une analyse achevée, car nos recherches sont en cours, et il est encore trop tôt pour tirer des conclusions générales et dépasser le niveau événementiel. Mais il faut au préalable définir ce que nous entendons par “ Palestiniens “ et par “ hommes d’affaires “. Elaboration d'une définition des “ Palestiniens “ La définition juridique du peuple palestinien est le produit de la reconnaissance internationale de son existence. Conformément à l’article 22 du Pacte de la Société des Nations, le conseil de la Société, réuni en session à Londres, adopte, le 24 juillet 1922, la déclaration du mandat sur la Palestine (Xavier Baron, 1994, p.25 sq). Or le principe des mandats prévoit que “ le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques, et toutes autres circonstances analogues “ (ibidem). En particulier, certaines communautés “ qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, [...] ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment o elles seront capables de se conduire seules “ (ibid.). Monique Chemillier-Gendreau considère que la communauté palestinienne, se trouvant parmi les communautés qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, est concernée sans ambiguïté par cet article, qui représente même “ un acte international (avec toute l’autorité du Pacte) de renaissance du peuple palestinien “ (1990, p.136 ). Avec ce texte, une “ entité palestinienne “ se crée donc, et le droit du sol du peuple palestinien est en quelque sorte reconnu, puisque les “ habitants de Palestine “ y sont mentionnés. A la suite de la dispersion du peuple palestinien après la guerre de 1948, l’Assemblée générale des Nations Unies du 11 décembre 1948 reconnaît le double droit des réfugiés palestiniens au retour et à l’indemnisation (résolution 194). La définition juridique prend en compte à la fois ceux qui habitent la Palestine et les réfugiés ayant subi le préjudice de la guerre. C’est ainsi que nous considérons comme palestinienne, toute personne née ou résidant en Palestine avant 19483 ainsi que ses descendants, quel que soit son pays de résidence actuel ou sa citoyenneté. Que certains Palestiniens de la diaspora soient bien intégrés ou même assimilés dans la société hôte ne peut en aucun cas les priver du droit à la nationalité palestinienne. L'histoire nous donne raison si l’on pense au sort des Palestiniens du Koweit qui ont été considérés parmi les plus intégrés (voire assimilés dans certains cas) par les signes de leur attachement à ce pays et par leur mode de vie. La question des réfugiés palestiniens reste la question clé du conflit 3. Il est très difficile de préciser jusqu’o l’on peut remonter. Mais la définition juridique a comme fonction d’être maximale et de tenir compte de toutes les possibilités. arabo-israélien et il est difficile d’envisager un règlement global de ce conflit sans qu’Israël et les pays occidentaux parrains des négociations n’acceptent cette définition, qui permet d’appliquer les résolutions 194 et 2424. Cependant, pour mener une étude sociologique des Palestiniens dans les différentes sociétés de l'exil, la généralité de cette définition ne peut nous satisfaire. Nous sommes contraints d'introduire le paramètre de l'identité en prenant en compte ceux qui se revendiquent comme Palestiniens. La question devient délicate. Ceux qu'on a appelés les “ Arabes israéliens “ se définissent-ils comme Palestiniens5? Dans un pays o une partie très importante de la population, pour ne pas dire la majorité, est d'origine “ étrangère “, ces “ étrangers “ assument-ils publiquement leur différence (le cas des Palestiniens de la Jordanie) ? Dans une famille palestinienne vivant au Chili depuis trois générations, et qui a connu des inter-mariages, l'identité palestinienne des enfants, qui n'ont pas appris l'arabe, s'érode-t-elle ? Notre intérêt ne réside donc pas dans le fait de désigner qui est “ légitimement “ Palestinien et qui ne l'est pas (et par conséquent, de se placer sur le terrain politique en tranchant entre celui qui a droit au retour et à la compensation et celui qui ne les “ mérite “ pas), mais de comprendre l'éventail des configurations identitaires possibles, et ceci en prenant en compte les paramètres liés à la trajectoire historique, à la situation socio-économique, sans oublier le cadre politique déterminant. Ce faisant, une identité palestinienne ne peut être exprimée de la même façon ni avec la même intensité par tous les Palestiniens de l'exil. Nous refusons ainsi d'“ essentialiser les effets structurants d'une identité collective, indépendamment de l'historicité, et [de] la concevoir comme une forme s'accomplissant à travers le temps “ (Jean-Noel Ferrié, 1991). Il s'agit ici d'analyser la part de l'identité commune des Palestiniens dans le jeu des identités collectives et différentielles opérant au sein de la société d'accueil. Car chaque peuple dans sa dispersion continue de vivre une histoire pour partie commune - dans son actualité ou ses ressources patrimonialeset pour partie marqu - ée par le devenir propre des sociétés hôtes (Robert Fossaert, 1989). Autrement dit, on se demandera si les Palestiniens, dans une société donnée, gardent leur identité propre, et quelle place trouve cette dernière au sein de la culture du pays d'accueil. Encore faut-il préciser qu'il ne s'agit pas de s'interroger sur l'adéquation ou l'inadéquation entre une identité palestinienne et une identité tirée de la société d'accueil. Si la notion de double allégeance est critiquée par de nombreux chercheurs, les sciences sociales réhabilitent de plus en plus cette notion à propos de ceux qui, à la fois relèvent d'une nationalité donnée et appartiennent à une minorité sans pour autant devenir schizophrènes. Des travaux abondants ont été réalisés à ce sujet, notamment ceux de Michel Wieviorka concernant les Juifs en France (Wieviorka, 4. En fait, le traitement de la question des réfugiés palestiniens par les négociations multilatérales menées par le Refugee Working Group est très peu avancé. La position israélienne se fonde sur une attitude idéologique qui consiste, d'une part, à considérer, selon une formule célèbre de l'historien israélien Benny Morris, que ‘ le problème des réfugiés est né de la guerre, et non d'un plan prémédité ‘ ,établissant ainsi une symétrie entre deux situations ذcelle des Arabes et celle des Juifs 22 .p ,1995 ,Zureik .E)radicalement distinctes )ذ, et, d'autre part, à évacuer le cadre politique déterminant de la question des réfugiés et la diluer dans des considérations purement humanitaires. Entre un modèle libéral qui définit le droit sur des bases individuelles et un modèle collectif o la collectivité précède l'individu, la législation israélienne en matière de retour des Juifs (loi du retour) a choisi le deuxième modèle, qui protège mieux les droits des Juifs en tant que membres d'une communauté. En revanche, s'agissant des réfugiés palestiniens, Israël a appliqué de façon limitée le modèle libéral en admettant seulement de satisfaire un petit nombre de demandes de réunification des familles sur des bases humanitaires et individuelles, tout en refusant de traiter collectivement le problème politique dans le cadre du droit au retour défini par les résolutions des Nations Unies (ibidem, p. 26). 5. Cf. l'article de Azmi Bshara (1996) qui analyse les deux logiques identitaires paradoxales chez les Arabes d'Israël, apparues surtout depuis la Conférence de Madrid : ‘ israélisation ‘ et ‘ palestinisation ‘ . 1994). Dorénavant, on ne parle plus d'appartenance exclusive à une identité mais de la gestion complexe de plusieurs niveaux d'identification. Dans la littérature américaine6, on distingue entre “ sojourner “ et “ settler “, c'est-à-dire entre ceux qui sont résidents temporaires avec en perspective le retour au pays, et ceux qui ont l'intention de s'établir définitivement. En réalité, on constate une dynamique o l'on passe du statut de “ sojourner “ à celui de “ settler “ et vice-versa selon le contexte. Natan Uriely, sociologue israélien (1993), a introduit la notion de “ permanent sojourner “ pour rendre compte de ceux qui, tout en n'ayant aucun objectif concret de retour, affirment ne pas vouloir rester définitivement dans le pays d'accueil. Quel que soit le cas de figure : “ sojourner “, “ settler “ ou “ permanent sojourner “, le statut des Palestiniens a un double impact. D'une part, sur les signes de leur attachement au pays d'origine (pour le retour ou l'envoi de capitaux, etc.), et, d'autre part, sur l'identité qu'ils revendiquent dans la société d'accueil. Ce cadre théorique est plus pertinent pour l'immigration économique que pour l'immigration politique. Nous nous proposons de classer les Palestiniens en exil en fonction de leurs différents types de statut juridique dans la société d’accueil. Pour désigner les Palestiniens de l'exil, le terme “ réfugiés “ est passé dans le langage courant ainsi que dans celui des instances internationales telles que l'UNHCR ou l'UNRWA7. La pertinence du terme “ diaspora “, en revanche, pose problème. Etymologiquement, “ diaspora “, dia-speirein (semer), désigne simplement “ un mouvement migratoire “8. Pour Nancy Gonzalez (1989, p. 161), “ diaspora “ se réfère au processus de dispersion et aux communautés formées par les émigrés là o ils vivent. Robert Fossaert (1989) n'emploie ce vocable que si la population évoquée n'est pas assimilée par une autre. Il nous apparaît donc que deux variables doivent s’ajouter à cette notion de dispersion : la localisation qui résulte de la dispersion, ainsi que les sentiments d'identification qui se déploient au sein de ces populations. La diaspora se définit, d’une part, par la multipolarité de la migration et l’interpolarité des relations entre les différents lieux d'établissement, et, d’autre part, elle se repère dans le sentiment d'appartenir à un ensemble commun. Basma Kodmani-Darwish ne considère pas cette notion appropriée au cas des Palestiniens. Car elle implique, en réalité, un certain degré d'adaptation et d'intégration dans le pays d'accueil et, généralement, l'accès à la nationalité du pays. Cela n'est pas toujours le cas pour les Palestiniens de l'exil (1994, p.57 ). Nous partageons cette réserve. Nous envisagerons donc différents types de configurations communautaires palestiniennes. Nous distinguerons notamment trois catégories en fonction de leur statut juridique dans la société d'accueil et de leur droit de résidence selon les réglementations israéliennes : les Palestiniens “ diasporisés “, les Palestiniens en transit et les émigrés économiques. Les Palestiniens “ diasporisés “ constituent ceux des Palestiniens en exil qui sont bien intégrés juridiquement dans la société d'accueil, car ils bénéficient de la nationalité du pays hôte ou d’une carte de résident permanent. Ils se trouvent surtout sur le continent américain ou en Jordanie. Les Palestiniens en transit sont ceux qui ont un statut juridique temporaire et précaire. Ceux du Liban en constituent le meilleur exemple. Les émigrés économiques, contrairement aux deux catégories précédentes, avaient la possibilité de résider dans les Territoires palestiniens historiques, même après la création de l'Etat israélien, mais nombre d’entre eux ont choisi de vivre 6. Par exemple, Susan Olzak & Elizabeth West, 1991 ; Gary Klein, 1990 ; Howard Stein & Hill Robert, 1977 ; Robert Park, 1928 ; Paul Siu, 1952. 7. UNHCR : United Nations High Commitee for Refugees. UNRWA : United Nations Relief Works Agency. 8. Cf. l'introduction dans Hérodote, Paris, avril-juin 1989, p. 31. ailleurs pour des raisons économiques ou logistiques. Comme résidents temporaires, ceux-ci ont souvent un statut juridique précaire. Leurs compatriotes ayant une nationalité étrangère ne peuvent pas être émigrés économiques, étant donné que leur retour définitif dans les Territoires palestiniens est impossible : les autorités israéliennes ne leur accordent qu’un permis temporaire. Cette catégorie est surtout représentée dans les monarchies du Golfe. Il importe de noter, d'une part, que dans tous les pays hôtes existent une ou plusieurs catégories de Palestiniens en l'exil - aux Etats-Unis par exemple, on trouve une diaspora bien établie, mais aussi des réfugiés dont la situation est très précaire - , et, d'autre part, que l'instabilité de la région favorise le passage d'un statut à un autre. Si nous avons privilégié, dans notre classement, les aspects juridiques, ce n'est pas pour évacuer le contexte politique déterminant et l'attachement à la terre d’origine. L’intégration dans le pays d'accueil ne suffit pas à pousser les Palestiniens à s’y installer. Les témoignages relevés lors de notre enquête montrent qu'une partie des hommes d'affaires, malgré leur prospérité, vivent mal leur exil. Définition de notre champ de recherche Ce travail de recherche se fonde sur des enquêtes de terrain qui ont été menées, entre 1994 et 1996, auprès de 30 hommes d'affaires palestiniens aux EtatsUnis, 25 au Canada, 25 en Syrie, 57 en Egypte, 54 aux Emirats arabes unis, 15 au Liban et 25 au Royaume-Uni. Nous entendons par “ homme d'affaires “9 celui qui possède ou dirige une entreprise ou plus, de taille moyenne au moins, dans le secteur privé ou public, et qui tend à la développer. Ainsi, un homme d’affaires n’est pas seulement celui qui possède les capitaux, mais aussi celui qui a un pouvoir de décision dans l’entreprise. Tout indépendant n'est pas systématiquement considéré comme un homme d'affaires : un épicier ne l'est pas, sauf si le cumul de ses activités économiques lui confère une certaine importance. Nous considérons également les chefs d’entreprises publiques comme des hommes d’affaires, et ceci pour une raison particulière liée à la problématique de cette recherche : ils pourraient participer à la prise de décision en matière d’investissement dans les Territoires palestiniens. L'extrême variété des situations des hommes d'affaires palestiniens, d'un pays à l'autre et à l'intérieur d'un même pays, implique que l'on ne peut les considérer comme un ensemble homogène. Ils forment une catégorie traversée de multiples démarches individuelles. Seules certaines peuvent s'inscrire dans le cadre de stratégies collectives. Nous avons évité de recourir aux annuaires des Chambres de commerce ou d'industrie pour recenser ou évaluer la taille des entreprises, ces sources étant trop imprécises. En effet : - la situation des hommes d’affaires est éphémère par définition, des fortunes se font et se défont du jour au lendemain ; - les hommes d’affaires morcellent leurs activités et adoptent une stratégie multiforme quant à l'allocation de leurs ressources pour limiter leur niveau d'imposition ; - les registres des chambres de commerce ou d'industrie comprennent les indépendants, toutes catégories confondues ; 9. Le terme ‘ homme d'affaires ‘plut ô't qu‘ entrepreneur ‘ a été retenu, car ce dernier renvoie à une aptitude à la créativité, alors que l’homme d'affaires peut fonctionner selon un schéma purement spéculatif. En outre, sur le plan étymologique, ce terme correspond mieux à la traduction du terme arabe ragul aشm‰l. - le classement par nationalité n'inclut pas la catégorie “ Palestiniens “, même dans certains pays arabes (comme les EAU) ; - les personnes naturalisées ne peuvent être distinguées des autochtones ; - dans les monarchies du Golfe et en Egypte, les entreprises palestiniennes sont contraintes d'avoir recours à un prête-nom local. Les entretiens sont de type semi-directif. Les thèmes proposés aux interwievés concernent les itinéraires des hommes d'affaires, leur origine, leurs réseaux familiaux et les divers liens existant avec le Proche-Orient et les facteurs d'intégration dans la société d'accueil. Nous n'avons eu recours au questionnaire écrit que lorsque nous n’avons pu obtenir un rendez-vous. L'impossibilité de disposer d’une liste des hommes d'affaires palestiniens dans chaque pays o nous sommes intervenus ou de connaître simplement leur nombre nous a posé un problème méthodologique, notamment pour établir un échantillon représentatif. En fait, ce sont les hommes d’affaires eux-mêmes qui nous ont aidé à constituer cette liste. Nous avons ensuite essayé de respecter la diversité des âges, des fonctions, des origines sociales et géographiques et des lieux de travail. Evoquer un problème de méthode n’interdit pas pour autant la généralisation, car celle-ci est moins à poser en termes de représentativité que de champ de validité. Le processus ne consiste pas à atteindre la totalité par addition ou par multiplication. La quête d'une inaccessible exhaustivité ou l'appréciation souvent impossible de la représentativité (empruntée au modèle statistique des sciences sociales) ne constituent pas la meilleure manière de poser la question de la généralisation. Il s'agit de savoir dans quel champ de validité l'explication peut se situer en fonction de l'échelle d'observation choisie (Bernard Lepetit, 1993, p.137 ). Aussi, nous sommesnous gardés de mener une analyse qui se serait étendue au-delà de ce champ. Nos enquêtes ont finalement mis en lumière les réseaux suivants : - aux Etats-Unis, nous avons identifié trois types de réseaux : celui des primoarrivants, celui constitué par les proches des associations de solidarité avec le peuple palestinien, et celui élaboré selon le degré d’attachement communautaire ,fort voire carr ,affaibliément absent (dans ce cas, les hommes d'affaires se sont assimilés dans la société d'accueil). Notre échantillon se situe essentiellement au croisement de ces trois réseaux : il ne comprend donc pas ceux qui se sont assimilés à la culture américaine. Ils appartiennent souvent à la deuxième ou troisième génération, sont nés aux Etats-Unis, d'une mère américaine d'origine non arabe. Géographiquement, notre échantillon se concentre plutôt à Chicago, New York et New Jersey10 ; - au Canada, nous retrouvons les mêmes réseaux et la même représentativité. Mais la part des hommes d'affaires palestiniens assimilés est très marginale du fait d’une immigration assez récente et d’un regroupement communautaire plus important. Nous avons focalisé notre enquête sur l'Etat d'Ontario, et tout particulièrement Toronto et ses alentours, o se concentre la majorité de la communauté palestinienne. Il existe un autre regroupement palestinien, moins important mais non négligeable, à Montréal ; - en revanche, en Egypte, d'autres réseaux d’hommes d'affaires palestiniens peuvent être identifiés. D’abord par rapport à la génération : la génération antérieure à 1948, souvent intégrée dans la vie sociale et économique égyptienne, la génération de 1948 venant surtout de Jaffa, et la génération d'après 1956, majoritairement gazaouite. Ensuite, par rapport au lien établi avec l'OLP. Bien qu'il existe une 10. Nous avons profité de la tenue de deux congrès pour étendre le champ géographique de notre enquête : l'un est le congrès annuel de United Holy Land Fund à New Jersey et l'autre le congrès annuel de l'ISNA (Islamic Society of North America) à Chicago. Nous avons rencontré, entre autres, des hommes d'affaires provenant de diverses régions des Etats-Unis, mais surtout de Californie. association spécifique d’hommes d'affaires palestiniens en Egypte, elle regroupe un nombre assez modeste de membres (25 personnes) appartenant souvent au groupe d’immigrants d'après 1956. Notre échantillon se situe essentiellement au croisement de ces réseaux, à l'exception de la génération de 1948, difficilement identifiable du fait de son assimilation et de son obtention de la nationalité égyptienne. De plus, certains ont refusé de collaborer (voir le chapitre II). Géographiquement, les entretiens se sont concentrés au Caire et à al-Arish. - dans les Emirats arabes unis, les réseaux d’hommes d'affaires palestiniens se structurent différemment : d'abord selon le pays de première immigration, souvent après 1948 (réseau des Palestiniens de Syrie, du Liban, d'Egypte, etc.), puis selon la ville d'origine (réseau des Palestiniens de Gaza, de Nablus, d'Hébron, etc.). La quasiabsence des assimilés à la société émiratie a toutefois permis à notre échantillon d’être assez représentatif. Obtenir des rendez-vous n'a pas toujours été facile : nous avons parfois ressenti une certaine méfiance à l'égard de cette recherche, et nous avons pu constater l'impact du contexte de la société d'accueil sur la manière dont ces hommes d'affaires organisent leur agenda (particulièrement en Syrie et en Egypte). Proposer une synthèse pose le problème de la comparabilité et de la cumulativité, qui concerne moins les résultats de la recherche que les procédures et les méthodes d'analyse. En matière de comparaisons internationales, a fortiori lorsqu'elles portent sur un domaine aussi peu structuré, certaines précautions conceptuelles s'imposent. Dans notre étude, il existe des données imprécises. De plus, les catégories adoptées par diverses sources ne se recouvrent que partiellement, rendant ainsi difficile tout effort de comparaison. Notre approche tente de réconcilier les rémarques générales et les observations plus nuancées en insistant sur la complexité des comportements individuels et sur les différences qui peuvent apparaître d'un contexte à l'autre. Le lecteur sera peut-être parfois déçu par certaines analyses ou conclusions. Mais il est indispensable de garder à l'esprit le fait que, d'une part, cet ouvrage fait partie d'un vaste programme et ne donne ici que des résultats préliminaires et temporaires, et que, d'autre part, dans cet imbroglio général qu’est la période de transition qui a suivi les accords d'Oslo, le comportement des hommes d'affaires palestiniens est marqué par cet aspect transitoire. Dans la première partie, nous avons mené trois enquêtes se rapportant aux hommes d'affaires palestiniens et à leur communauté, dans trois contextes différents : en Amérique du Nord, en Egypte et en Syrie. Le premier cas concerne une communauté de Palestiniens “ diasporisés “ dont l'éloignement a façonné le comportement. Le cas des Palestiniens en Egypte, proches des Territoires palestiniens mais en situation de transit, constitue un cas contraire au précédent. Enfin, l'étanchéité politique de la Syrie par rapport aux Territoires palestiniens et l'origine géographique des Palestiniens de ce pays, souvent originaires de villes faisant partie de l’actuel Israël, en fait un cas de figure assez singulier. La deuxième partie sera consacrée à la comparaison des résultats de nos enquêtes dans les pays suivants : en Syrie, en Egypte, aux Emirats arabes unis, aux Etats-Unis et au Canada11, concernant, d'une part, les activités économiques des hommes d'affaires palestiniens, leurs positions à l'égard des accords d'Oslo, leurs investissements, et, d'autre part, leurs stratégies de regroupement, leur relation avec l'Autorité nationale palestinienne et avec les différentes sociétés d'accueil. 11. Les enquêtes dans les autres pays annoncés en introduction demandent encore à être complétées et analysées. CHAPITRE I LES HOMMES D'AFFAIRES PALESTINIENS EN AMERIQUE DU NORD L'émergence de la diaspora palestinienne en Amérique du Nord Les faits générateurs de la diaspora palestinienne en Amérique sont extrêmement complexes et on peut les classer sous des rubriques très diverses : expulsion, exode, migration, etc. On peut se demander si le choix de l'Amérique est une décision réfléchie. Comme le rappellent Maurice Goldring et Piaras Mac Einri (1989, p.173 ) à propos des émigrants irlandais, ce qui était important pour les émigrés palestiniens, ce n'est pas l'endroit o ils vont, mais ce qu'ils quittent - la vie au village, ou dans les camps de réfugiés des pays limitrophes, et dans les villes israéliennes. Partir est plus important qu'arriver. En fait, comme ce fut le cas pour l'émigration irlandaise (ibidem, p.183 ), le choix de l’émigration se décide moins au niveau individuel qu'au niveau collectif, en quelque sorte : il s'agit d'une véritable culture de l'émigration. Le choix devient spontané, intégré dans les conduites des familles et des communautés. Dans le cas de l'Amérique, les réseaux familiaux ou de voisinage fonctionnent pleinement en procurant des emplois et des logements aux nouveaux venus. C'est là-bas qu'on peut faire fortune et que les classes sociales apparaissent moins figées qu'ailleurs. On choisit une région éloignée d'un régime arabe autoritaire et des traditions conservatrices. On va en Amérique à la recherche du passeport, symbole de la liberté, ou même pour se procurer n'importe quel document américain (permis de conduire, carte de résident) permettant de circuler entre, d'un côté, les Territoires occupés et, de l’autre, Jérusalem ou Israël. Avant la guerre du Golfe, les riches Palestiniens de la péninsule arabique n'ont pas hésité à partir pour le Canada et les Etats-Unis, vers une aventure économique incertaine, pour y trouver liberté et dignité. La première vague d'émigration palestinienne aux Etats-Unis date de la fin du siècle dernier. Les causes en sont la famine et la crise économique que subissait la Palestine ottomane, les vagues suivantes étant liées directement à la situation politique de cette dernière. En 1948, la deuxième vague est provoquée par l'exode massif des Palestiniens des grandes villes comme Haïfa, Acre et Jaffa vers les pays arabes limitrophes, ou vers les Etats-Unis pour ceux qui ont la possibilité de rejoindre des parents. Quant à la troisième vague, elle intervient à la suite de la guerre de juin 1967, car elle n'inclut pas seulement les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, mais aussi ceux d'Israël et de l'extérieur, qui ne croient plus en la libération de la Palestine. L'hémorragie devient spectaculaire : des villages entiers émigrent12, en provenance surtout de la région de Ramalla (Tormos-'Ayya13, Bitin, etc.). Enfin, la quatrième vague est provoquée par la deuxième guerre du Golfe et une partie des Palestiniens expulsés de cette région gagnent l'Amérique du Nord, profitant de la 12. On estime que 90 % des habitants de Bethléem ont émigré. 60 000 Palestiniens de Beit Jala ont émigré en Amérique latine, dont la moitié au Chili (Nabil 'Alqam & Walid Rabi', 1990, p. 50). 13. Selon une enquête exhaustive sur l'émigration dans le village de Tormos 'Ayya (5 140 habitants) menée en 1989 par Nabil 'Alqam & Walid Rabi', seulement 40,2 % des habitants sont restés contre 59,8 % qui ont émigré (15 % dans les pays arabes et 44,8 % dans d'autres pays, en majorité aux Etats-Unis) (Nabil 'Alqam & Walid Rabi', 1990, p. 110). présence d’enfants ayant entrepris leurs études dans les universités américaines, ou en tant qu'investisseurs, surtout au Canada. Ces quatre étapes sont applicables au Canada, excepté la première, car le Canada n'a été découvert que tardivement par les Palestiniens. En outre, une partie des Palestiniens du Liban ayant échappé aux massacres de 1982 ont été accueillis à bras ouverts, surtout au Québec. Il ressort du schéma migratoire proposé ici que les causes de l'émigration sont plutôt politiques. Même pour les Palestiniens vivant en Israël, le motif économique ne s'avère pas primordial : ils souffrent de mesures discriminatoires, d’ostracismes sociaux et d’un racisme larvé ou affiché. De nombreuses secousses ont éparpillé les Palestiniens aux quatre coins de l'Amérique. Le “ rêve américain “ ne signifie donc pas pour eux un lieu de richesse mais plutôt un lieu de survie, loin d'un ProcheOrient déstabilisé. La démographie palestinienne Dans la plupart des pays occidentaux, on a voulu rendre difficile le calcul du nombre de Palestiniens. En général, la catégorie “ Palestiniens “ est absente de la nomenclature statistique, ceci pour des raisons purement politiques, à de rares exceptions près14. Les autorités françaises, à titre d'exemple, attribuaient aux Palestiniens ayant un document de voyage délivré par un pays donné, une carte de séjour portant la mention “ nationalité indéterminée “. Il faut attendre 1992 pour que les Palestiniens soient considérés comme des réfugiés. À travers l'expérience des militants palestiniens dans des pays comme l'Allemagne et le Canada, on constate que les services de renseignements de ces pays disposent d'informations qui leur permettent de distinguer les Palestiniens titulaires de passeports jordaniens ou israéliens et les “ vrais “ Jordaniens ou les juifs israéliens. Il n'est donc pas impossible de dissocier les Palestiniens des autres nationalités arabes. Malgré cette ignorance délibérée, malgré les incertitudes d'une démographie sans statistiques et la difficulté de saisir l'identité palestinienne derrière la diversité des citoyennetés, on peut avancer quelques chiffres. Le Census Canada de 1991 donne deux chiffres concernant les Arabes canadiens125 151 : Arabes, chiffre calculé sur la base d'un seul paramètre et 203 950 selon de multiples paramètres. Or, d'après une recherche menée par Farid Ohan et Ibrahim Hayani (1993), le nombre d'Arabes s'élève à 248500 selon un calcul qui consiste à ajouter au nombre d'Arabes d'une année initiale (1946) les chiffres d'émigrants arabes pour chaque période jusqu'au 1993, tout en négligeant le mouvement de retour à cause de sa marginalité. En fait, c'est en 1991 que l'autorité canadienne a recensé pour la première fois les Palestiniens. Sur 151000 Arabes recensés, 4050 sont Palestiniens. Si l'on prend en considération le chiffre de Ohan et Hayani relatif au nombre d’Arabes - apparemment le plus juste (250000 )on peut estimer le nombre de , Palestiniensà 6700 . Ceux-ci vivent principalement en Ontario (68 %, ce qui a justifié le choix de Toronto et de ses alentours pour mener notre enquête) mais aussi au Québec (surtout à Montréal). Encore ce chiffre n'inclut-il pas les Palestiniens titulaires d'un passeport, arabe ou autre. Baha Abu Laban (1980) estime le nombre de Palestiniens à 20000 . 14. À titre d’exemple, à son arrivée en France, un Palestinien ayant un document de voyage délivré par l'Office des réfugiés en Syrie, a vu son dossier pour l’établissement d’une carte de séjour traîner six mois durant dans l'administration d'une petite ville, Royan, o apparemment personne n’avait jamais été confronté à ce genre d'individu venant de nulle part et ayant ce type de document. On a fini par lui attribuer la mention ‘nationalité syrienne’ ... Aux Etats-Unis, 1957 est la dernière année o le United States Census Bureau et le Naturalization Service (INS) retiennent la catégorie de la nationalité, du pays de naissance ou du pays de dernière résidence permanente en ce qui concerne les Palestiniens (Louis Cainkar, 1988, p.58 ). Cependant, la section internationale de l'United States Census Bureau a commandé en 1985 à Roof et Kinsella (1985) la réalisation d'une étude pour évaluer le nombre des Palestiniens dans 17 pays o ils sont censés résider. Les auteurs ont estimé le nombre des Palestiniens aux Etats-Unis en 1984 à 87700 . Ce chiffre, fondé sur le nombre de Palestiniens et une partie des Jordaniens immigrés depuis 1942, paraît très inférieur à la réalité parce qu'il omet les Palestiniens réfugiés dans des pays arabes autres que la Jordanie et exclut les Palestiniens et leurs descendants émigrés avant 194215. Extrapolé pour 1988, il est évalué à environ 115000 par Louis Cainkar (1988, p.58 )16. Janet Abu-Lughod (1986) a estimé leur nombre à 130000 pour 1986, en excluant aussi ceux d’avant 1940. Si l'on adopte ce chiffre, on pourrait facilement imaginer qu’en 1994 le nombre de Palestiniens vivant aux Etats-Unis serait de 150000 à 200000 . Il est à noter que la plupart des Palestiniens sont issus de Cisjordanie. Eléments pour une sociologie des générations Si la deuxième génération subit une acculturation croissante par rapport à la première, elle bénéficie de facilités qui n'existaient pas auparavant et qui favorisent ses relations avec le Proche-Orient : radios communautaires, antennes paraboliques, voyages à prix accessibles, téléphone, fax, etc. On peut tenter l'esquisse d'une sociologie des générations de la diaspora. La génération émigrée avant 1967, surtout celle des réfugiés, est née en Palestine. Elle a vécu de multiples exodes avant d'arriver au Nouveau Monde. Elle a apporté avec elle les coutumes et la tradition arabes. Elle est déracinée au sens propre du terme, maîtrisant mal ou ignorant totalement l'anglais, prolétarisée, obsédée par les problèmes de survie quotidienne. Laissant souvent leur famille au village en attendant de s'établir, les Palestiniens de cette génération vivent comme passagers et étrangers. Même si leur séjour se prolonge, ils demeurent dans la psychologie du temporaire, espérant retourner un jour chez eux, surtout après la cessation de leur activité. La génération d'après 1967, comme les enfants de la génération précédente qui ont grandi loin de leur terre, garde encore sa langue maternelle et maîtrise mieux l'anglais. Le conflit arabo-israélien, ainsi que le rapport de forces régional et international, est plus clair dans leur esprit que dans celui de la génération précédente. Imprégnés des récits de la vie villageoise et de l'occupation israélienne, les Palestiniens de cette génération s'approprient les souvenirs de leur famille et de leurs aînés. Sachant bien que leur séjour peut durer éternellement, ils s'insèrent dans le monde du travail américain et s'intègrent à la vie sociale et politique. Les générations qui suivent, nées souvent en Amérique du Nord, se différencient radicalement des deux précédentes et sont les “ vraies “ générations de la diaspora. Ayant la citoyenneté américaine et portant quelquefois un prénom américain, les individus qui les composent parlent très mal l'arabe. Ils sont souvent à moitié palestiniens, issus de mariages mixtes et en voie d'assimilation. Cependant, ce qui est frappant, c'est que leur attachement à la question palestinienne et à leur 15. Depuis le début de XIXe siècle et jusqu'en 1920, le nombre de Palestiniens immigrés annuellement aux Etats- Unis s'élève à 3 000, puis retombe à 1 000 2-400. Avec les effets conjoints du déclenchement de la deuxième guerre mondiale, de la crise économique aux Etats-Unis et de l'instauration du système de quotas, l’effectif se réduit encore en 1941 à 790 (Jamal 'Adawi, 1993, p. 121). 16. Le Bureau central palestinien des statistiques a estimé le nombre des Palestiniens aux Etats-Unis en 1979 à 100 000, Statistical Abstract, 1979. communauté ne disparaît pas. Certains, après de longues années d'enfance dans une sphère totalement américaine, découvrent leur palestinité ou arabité à l'université ou dans des milieux de travail qui se structurent de façon communautaire en Amérique. On observe chez les générations d'après 1967 le phénomène suivant : certains américanisent leur nom ou même en changent carrément, surtout dans les milieux d’hommes d'affaires. S'agit-il d'une forme de convivialité envers le pays hôte ou d'une nécessité pour garantir la réussite de leurs affaires ? Pour certains, le nom américanisé est une sorte de pseudonyme et non pas un renoncement à leur patronyme d'origine. Dans ce cas, ils se dotent de deux cartes de visite comportant chacune un nom. On a observé, cependant, l'embarras que ressentent certains devant leur communauté, lorsqu’ils se font appeler Mike au lieu de Muhammad et Terry au lieu de Tareq. Pour les chrétiens, on passe quasi-automatiquement, dans la deuxième génération, aux prénoms non arabes que l'on a déjà l'habitude d'utiliser en Palestine (comme Georges, Michel, Sylvie, Sonia, etc.) sans pour autant trop se démarquer de la communauté. Peu importe la raison pour laquelle on change de nom, cela peut être considéré comme le signe d'une adaptation au contexte américain. Une ascension sociale (ir)résistible On a souvent une vision mythique des Palestiniens d'Amérique du Nord, considérés comme une des diasporas palestiniennes les plus riches. Quand un Palestinien vivant dans la misère voit la ville de Ramallah, en été, transformée en une sorte de Chicago par les vacanciers, il pense que tous les Palestiniens-Américains17 vivent ainsi. On ne sait pas qu'une partie d'entre eux vivent dans une situation précaire et n'ont même pas les moyens de passer des vacances dans leur famille des Territoires occupés.18 Au début de ce siècle, la situation générale des émigrés palestiniens est dramatique. Ils sont réduits à la condition de sous-prolétaires. Sans ressources, sans qualifications, ignorant l'anglais, ils doivent se contenter de travaux pénibles, dangereux, mal payés dans les différents domaines de l'industrie. Qu'il s'agisse des bidonvilles qui ceinturent les métropoles industrielles, des camps, des taudis de Detroit, Chicago, New York ou des dortoirs des usines o familles et célibataires s'entassent, trois termes caractérisent l'habitat des réfugiés palestiniens, comme celui des réfugiés arméniens (Anahide Ter Minassian, 1989, p.135 ) : précarité, insalubrité, promiscuité. Les Palestiniens occupent des emplois très divers : ouvrier, professeur, chauffeur de taxi, épicier dans la 63e rue (dans le quartier noir du sud de Chicago) et au Mississauga à Toronto, propriétaire d’une épicerie chic sur Atlantic Avenue à Brooklyn, grand financier ou patron d'industrie. Si tous commencent leur vie dans l’” eldorado américain “19 comme ouvrier, épicier ou étudiant, ils n’en restent pas là : nous avons pu constater, à travers les parcours de nos interlocuteurs, une mobilité sociale très grande. Ce qui a par ailleurs empêché la constitution des ghettos 17. On emploie ce terme traduit de l’anglais (Palestinian Americans), pour mieux tenir compte d'un type d'identification qui constitue à la fois une référence à l'origine et au pays d'accueil sans établir un rapport hiérarchisé entre les deux. Il est différent de ce que l'on a l'habitude d'utiliser en Europe comme, par exemple, les ‘ Français d'origine palestinienne ‘. De même, on emploie les termes Arabes-Américains ou PalestiniensCanadiens. 18. Une Palestinienne de Chicago nous a indiqué que sa famille de Jérusalem lui envoyait un billet d'avion pour qu'elle puisse venir la voir. 19. L'adjectif ‘ américain ‘ se réfère dans cette étude tantôt à l'Amérique du Nord, tantôt aux Etats-Unis, selon le contexte. palestiniens. Nous les retrouvons dans certains endroits comme Marquette Park à Chicago, par exemple (Cainkar, 1988, p.155 ) véritables “ zones tampon “ entre les communautés noire et blanche. À Chicago, nous pouvons recenser d’après les statistiques 1 500 commerces arabes dont la plupart appartiennent à des Palestiniens, 400 médecins et dentistes arabes dont environ 150 Palestiniens, et 60 avocats dont 50 Palestiniens . Au Canada, la communauté palestinienne peut être considérée comme ayant bien réussi socialement et économiquement par rapport aux autres communautés émigrantes ayant la même ancienneté. Le nombre d’hommes d'affaires paraît plus important20. Ceux qui vivent grâce au Welfare21 sont relativement peu nombreux et se trouvent parmi les réfugiés politiques (qui attendent souvent longtemps avant que leur demande soit examinée) en provenance du Liban ou du Koweit. Trois schémas d'ascension économique et sociale dominent. Peu qualifiés, les ouvriers palestiniens ont subi de plein fouet les effets pervers de l'automatisation de l'industrie, surtout celle de l'industrie automobile à Detroit. Ils se reconvertissent principalement dans le petit commerce. Disposant de peu de capitaux, ils ouvrent un commerce (grocery ou food & liquors) dans les quartiers difficiles comme ceux des Noirs américains. Ces petits commerçants travaillent au moins douze heures par jour, sept jours sur sept, pour subvenir aux besoins de leur famille. Les mères, souvent à la maison ou à l'épicerie, ne parlent que peu l'anglais. Contraints d'aider leurs parents, les enfants ont parfois une scolarité difficile et ne peuvent ainsi que reproduire le schéma social de leur famille. Nécessitant peu d'expérience et de qualification, le métier d’épicier constitue une étape inévitable pour les ex-chômeurs ou les nouveaux émigrés. Certains se contentent de cette activité qui leur assure le minimum vital, mais pour les autres, c'est une étape provisoire qui permet l'acquisition d'un capital nécessaire à la création d’autres types d’affaires. L'enquête révèle un schéma classique d'ascension au statut d'homme d'affaires : l’achat d’une autre épicerie (ou de plusieurs), que l'on confie le plus souvent à quelqu'un de la famille. Avec la prospérité commence la diversification : achat d'une station-service, d'un supermarché de taille moyenne (food & liquors) ou d'une boutique. Enfin, on laisse la gestion de l'épicerie pour passer à des domaines plus complexes comme la promotion immobilière. Ce premier schéma concerne tout particulièrement ceux qui n'ont pas de qualification professionnelle ou de diplôme supérieur. Il n'est donc pas opératoire au Canada o la majorité écrasante des hommes d'affaires palestiniens sont diplômés. Le deuxième schéma d'ascension passe par les études universitaires. Munis d'un capital culturel précieux (diplômes supérieurs obtenus en Amérique), les Palestiniens sont nombreux dans les universités américaines. Faute de moyens, ils suivent un cursus universitaire souvent difficile et sont contraints de travailler à temps partiel pour subvenir à leurs besoins et s'acquitter de droits d'inscription annuels très élevés. De nombreux étudiants deviennent enseignants et professeurs dans les universités d'Amérique du Nord. Les exemples abondent : Majid Kazimi dirige le département de génie nucléaire de Massachusetts Institute of Technology ; Ramzi Cotran est professeur spécialisé en pathologie à Boston ; Edward Saîd, intellectuel de renommée internationale (son livre, L'orientalisme, est traduit en dixneuf langues), est titulaire d'une chaire de littérature anglaise et de littérature comparée à l'université de Columbia, New York ; Elia Zureik, Nasir Arori, Hisham Charabi, Nadim Rohana et Rachid Khaldi sont professeurs de sciences sociales. Ghada Talhami, professeur de science politique au Lake Forest College (Chicago), 20. Entretien avec Rachad Saleh, président de Palestine House à Toronto. 21. Assistance de type RMI (Revenu minimum d'insertion). témoigne d'une évolution significative dans la plupart des départements Middle East Studies des universités américaines, o l'on est passé d'une majorité de professeurs d'origine juive américaine ou israélienne, à une majorité d'Arabes, essentiellement palestiniens. Le troisième schéma concerne cette fois les hommes d'affaires diplômés qui constituent 64 % de l'ensemble aux Etats-Unis et 94 % au Canada22. Les lignes de force de l'ascension sociale résident dans la mobilisation d'un capital technique et scientifique et d'une expérience acquise le plus souvent dans le secteur privé. C'est-àdire que, de simple employé dans une entreprise, on devient gérant de sa propre affaire. La présence palestinienne dans le secteur public, en revanche, est très marginale (4 % d’hommes d'affaires palestiniens-américains interrogés). En bref, les Palestiniens sont attirés par certaines carrières propres au monde moderne et faisant partie de la méritocratie du système américain. C'est une réussite de l'intégration, avec en plus la force que donnent l'inquiétude et le besoin de s'autoaffirmer, d'exister. Il ne s'agit pas ici d'alimenter le mythe d'une communauté d'affaires mais de signaler la diversité des carrières et des schémas d'ascension. Car il apparaît que la proportion des hommes d'affaires palestiniens dans la population palestinienne émigrée est faible. Les petits commerçants, par exemple, dès qu'ils ont un peu d'argent, en envoient à leur famille dans les Territoires occupés sans penser à l'investir aux Etats-Unis, ce qui entraîne une dispersion des efforts et empêche l'accumulation des capitaux nécessaires aux grands investissements. Nous allons nous arrêter au dernier type d'ascension, celui propre aux hommes d'affaires, en raison de l'importance que l'on attache, dans le nouveau contexte, à leur rôle économique éventuel au Proche-Orient. Les caractéristiques des hommes d'affaires palestiniens On peut considérer l'appartenance à la première génération comme un facteur explicatif essentiel du caractère de self-made-men de ces hommes d'affaires. Le fait qu'ils soient “ partis de rien “ explique leur âge élevé (en moyenne 52 ans), car le démarrage de leurs affaires a souvent été difficile et quelquefois douloureux. Leur parcours, qui témoigne bien des difficultés rencontrées et des efforts déployés, a nécessité beaucoup d'endurance, d'austérité et de modestie. Or la difficulté de l'ascension sociale ne les a pas fait recourir à des leviers souterrains, ils sont restés “ transparents “. La période nécessaire à “ l’enracinement “ des affaires est importante : l'enquête montre que 75 % des interviewés aux Etats-Unis y résident depuis plus de 20 ans, contre 45 % au Canada, ce qui indique une ascension plus rapide dans ce pays. Prenons quelques exemples illustrant les parcours d'endurance qu'ont d suivre ces hommes d'affaires. Atef Roshdi, originaire de Bit-'Anin Ramalla, en Cisjordanie, arrive à Chicago à l'âge de 15 ans. Il est employé successivement dans une boutique de vêtements avec son père et dans différents restaurants. Son père vend son commerce et retourne définitivement dans sa famille en Cisjordanie. Atef achète alors une épicerie et en confie la gestion à son frère, puis décide de constituer une association offrant des services aux commerçants arabes de Chicago (estimés à 2000 personnes). L'idée est que les Arabes travaillent avec les Arabes : si un commerçant a besoin d'un électricien, l'association lui proposera un artisan arabe qui lui fera un prix. Ces 22. Tous les pourcentages figurant dans cette étude, sauf mention contraire, résultent de notre échantillon d’hommes d'affaires palestiniens. Comme nous ne pouvons démontrer la représentativité de cet échantillon, les pourcentages sont donnés à titre indicatif pour montrer l'importance d'une catégorie par rapport aux autres. services sont rendus contre un droit annuel payé à l'association. L'individualisme arabe, déplore Atef, a fait échouer cette initiative. Le jeune entrepreneur, après avoir perdu beaucoup d'argent et de temps, ouvre à nouveau une épicerie et embauche un nouvel arrivant originaire de son village. Six moins plus tard, l'épicerie est attaquée et l’employé est tué. Atef dépense une fortune (7000 $) pour protéger son bien (vitres pare-balles, système de sécurité). Il devient déficitaire et redémarre avec une nouvelle idée. Un an plus tard, il imprime des lotos pour les vendre aux commerçants arabes qui, à leur tour, les offrent à leurs clients à titre de publicité. S'apercevant que l'affaire n'est pas rentable, Atef lance alors un journal (al-Bustan) en anglais et en arabe pour passer les annonces des commerçants. Au début, l’entreprise se révèle fructueuse, mais il se trouve en concurrence avec d'autres journaux. Son journal devient une charge et il le vend. Enfin, il achète avec son frère un magasin de vente en gros (Nader Wholesale). Le chiffre d'affaires (100 millions $) est maintenant trois fois plus élevé que l’estimation faite au moment du lancement du magasin. Maurice Zakkak, originaire de Jaffa, né dans un camp de réfugiés à Gaza, a travaillé successivement dans six pays arabes : Liban, Libye, Koweit, Jordanie, Syrie, Arabie Saoudite. Il a été contraint de quitter tous ces pays. Arrivé au Canada comme émigrant en 1984, il jure de n'aller nulle part ailleurs parce que c'est la première fois qu'il se sent “ chez lui “. Il est diplômé en comptabilité de l'université libanaise, mais les autorités canadiennes ne reconnaissent pas son diplôme. Il est alors contraint de travailler comme employé dans une société privée. Six ans plus tard, il se retrouve au chômage. Il réussit le concours d’équivalence et ouvre un bureau d'expertise comptable. Ses affaires finissent par prospérer. Il investit une partie de son capital dans une manufacture pharmaceutique canadienne pour la fabrication de vitamines. Les hommes d'affaires palestiniens constituent un groupe hétérogène dans le sens o ils ont suivi des itinéraires multiples. L'enquête a montré une prédominance des activités commerciales (52 % dans les deux pays). Les Palestiniens issus de Ramalla, Bethléem et Jérusalem ont une tradition mercantile venant de villes o le tourisme et le pèlerinage étaient florissants. Les activités industrielles, en revanche, varient selon les pays : elles sont marginales aux Etats-Unis (11 %) et importantes au Canada (17 %). La tendance s'inverse en ce qui concerne les activités de services (finance, assurances, etc.) 21 : % au Canada, contre 26 % aux Etats-Unis (floraison due principalement au besoin de services de comptabilité dans la communauté commerçante arabe). La stratégie entrepreneuriale consiste souvent à investir dans un domaine lié à l'expérience technique que l'on possède, ce qui favorise l'accumulation d'expérience. Cela constitue une des caractéristiques majeures du comportement des hommes d'affaires, contrairement à leurs homologues du Proche-Orient. Ces derniers ont en effet tendance à adopter une stratégie d'exploration d'opportunités et de diversification des sources de revenu, en passant systématiquement par les investissements immobiliers, rentables à court terme (Louis Blin, 1994 ; Sari Hanafi, 1994 ; Saîd Tangeaoui, 1993). En effet, l’on constate aussi en Amérique la fréquence des investissements immobiliers, mais la spéculation est beaucoup moins importante. Si les hommes d'affaires palestiniens acquièrent leur fortune dans ce domaine, ils la perdent aussi dans ce domaine. Aux Etats-Unis, et surtout en Californie, lors de la crise économique qui a secoué la société dans la dernière décennie, les pertes financières ont été considérables du fait que beaucoup d'Européens et de Japonais se sont retirés du marché immobilier. Par contre, au Canada, c'est plutôt l'ignorance du marché, chez certains nouveaux venus du Golfe, qui a conduit à ces pertes. La plupart des hommes d'affaires palestiniens ont profité du contexte “ démocratique et libéral “ de l'Amérique. Ils ont appris comment gérer leurs affaires loin des logiques de clientélisme, de notabilité, de statut et de prestige. Cela ne se passe pas sans conflits, surtout dans un pays o la structure communautaire est très prégnante. On constate que de nombreux hommes d'affaires sont tiraillés entre les espaces sociaux communautaires et leurs aspirations individuelles. Quoi qu'il en soit, les industriels ont tendance à éviter le regroupement communautaire dans leur entreprise. Prenons l'exemple de Hassan El-Khatib, figure industrielle palestinienne, propriétaire-dirigeant de Dena Corp. et Meta International Inc. Quatrième distributeur de produits cosmétiques sur le marché américain, il raconte : “ Suite à mon expérience avec des employés originaires de mon pays, je peux dire qu’ils confondent la sphère privée et la sphère publique. Ils pensent que je dois les promouvoir rapidement parce qu'ils sont de ma communauté. J'ai même congédié mon neveu, qui ne travaillait pas assez. Quand j'emploie quelqu'un, je ne regarde ni son origine ni sa religion, ce qui m'intéresse, c'est sa compétence. “ En visitant sa manufacture, nous avons constaté, d'une part, la diversité de l’origine de ses employés (seul le comptable est un palestinien chrétien), et, d'autre part, l'organisation rationnelle de son entreprise. La tenue impeccable de son usine et la modestie de son bureau ne peuvent qu'impressionner le visiteur. L'élite économique palestinienne dans la société hôte “ En tant qu'homme d'affaires, ma présence ici rend plus service à la Palestine que mon retour. “ Cette affirmation, souvent répétée par les bourgeois palestinienscanadiens23, est contestée par une partie de leurs confrères aux Etats-Unis (24 %). Ces derniers ont l'intention et le projet de rentrer très prochainement et de façon définitive. Ils sont en train de liquider leurs affaires aux Etats-Unis ou de les confier à un partenaire ou à un proche. Ce dernier cas de figure s'accorde à l'état d'esprit d'une partie des Palestiniens qui, d'une part, gardent des relations financières, sociales et économiques avec leur patrie (envoi de capitaux, achat d'une maison, mariage, séjour des enfants pour apprendre l'arabe, etc.), comme si le retour était imminent ; mais qui, d'autre part, approfondissent leur attachement au lieu de résidence (établissement des affaires, achat d'une maison, etc.) On ne peut comprendre ce type de permanent sojourner si l'on ne se réfère pas à une position relationnelle complexe vis-à-vis de la société hôte et de la société d'origine. Nous allons donc examiner maintenant le système d'intégration de la société d'accueil. Notre démarche, jusqu'ici, postule l'existence d'une unité appelée Amérique du Nord qui comprend Canada et Etats-Unis ; or, sociologiquement parlant, les deux pays sont très différents, surtout en ce qui concerne la relation établie entre ces sociétés et leurs émigrants. Au Canada, le multiculturalisme fonctionne pleinement. L'Etat a créé le Canadian Ethnocultural Council, une organisation qui a pour objectif de favoriser l'échange interculturel et la préservation de la culture d'origine. Là-bas, on ne s'interroge pas sur l'adéquation ou l'inadéquation entre deux cultures ; on pense en terme de simultanéité. Dans ce contexte, un immigré peut appartenir à deux univers culturels différents sans être le moins du monde “ schizophrène “. On est loin de la hiérarchie accentuée entre deux cultures, l'une “ primitive “, dominée, et l'autre “ universelle “ dominante, que l’on a l’habitude de rencontrer en Europe. L'Etat canadien subventionne les associations communautaires, y compris pour des projets concernant la préservation de la culture et de la langue d'origine. Il s'agit d'un type 23. Il est temps de démystifier les discours arabes sur la ‘ fuite des cerveaux ‘En r .éalité, on peut reconnaître que ces ‘ cerveaux ‘experts ayant accumul'origine en tant qu'seraient utiles dans leur pays d é une expérience dans les pays développés, au lieu de revenir de façon systématique pour être sous-employés ou se reconvertir dans des domaines ne relevant pas de leur compétence. d'intégration communautaire efficace, même s'il a ses limites. En outre, une loi a été promulguée pour donner la primauté de l'emploi à six communautés étrangères, dont la communauté arabe. Rien que de très banal en somme dans une jeune société24. Ce qui l'est moins, c'est que certains interlocuteurs se considèrent d'abord comme Canadiens puis comme Palestiniens ou Arabes. Selon l'enquête de Ohan et Hayati réalisée auprès de la population arabe au Canada (1993), 9,1 % des Palestiniens de la première génération se considèrent comme seulement Canadiens, 26,3 % comme ArabesCanadiens25, et 15,2 % comme Palestiniens-Canadiens, c'est-à-dire la moitié (50,6 %) ; alors que l'autre moitié se considère comme arabe (37,4 %) ou palestinienne (12,1 %). Quant aux Arabes qui sont nés au Canada, la plupart (87,9 %) se considèrent comme Canadiens, Arabes-Canadiens ou Palestiniens-Canadiens (respectivement 32,8 %, 37,9 % et 17,2 %), ce qui montre une intégration très accélérée pour la deuxième génération. Quand les hommes d'affaires parlent des investissements à entreprendre au Proche-Orient, il s'agit dans leur esprit de réaliser les intérêts de deux régions. Le type de joint venture qui “ peut promouvoir l'économie canadienne tout en faisant profiter les Territoires occupés d'une technologie avancée “ est favorisé. À l'initiative de l'Arab Canadian Business and Professional Organization, une promotion de la technologie et des produits canadiens a eu lieu à Amman au mois de mars 1995. Nous avons rencontré des hommes d'affaires qui font la navette entre le Canada et l’Arabie Saoudite. Ils ont gardé des affaires dans le Golfe mais ont investi des capitaux au Canada, plus propice à une vie de famille : “ J'ai voulu investir au Canada parce que ce pays est démocratique et tolérant. Tu peux te réveiller le matin pour lire un journal sans propagande. Tes fils et filles vont dans les universités de haut niveau. Ils vivent bien. (...) En Arabie Saoudite, tu vis dans un climat de racisme anti-palestinien. Tes enfants ne bénéficient ni de l'enseignement primaire ni de l'enseignement supérieur. “ Des témoignages similaires ont été apportés par ceux qui ont émigré volontairement d'un eldorado du Golfe vers le Canada, o leur situation économique reste incertaine. Les Palestiniens-Canadiens sont actifs dans les organisations et les partis politiques canadiens. Ce fait nouveau est d en partie au processus d'acculturation dans lequel les Palestiniens se considèrent - et/ou les Canadiens les considèrent comme canadiens et non pas comme émigrés temporaires. Nous trouvons des membres dirigeants dans les deux grands partis : le Parti libéral et le Parti conservateur, bien qu'ils penchent plutôt vers le premier. Nous pouvons citer les cas de trois personnalités. Shawki Joseph Fahel, originaire de Nazareth, entrepreneur, arrivé au Canada en 1968 à l'âge de 18 ans, est secrétaire général du Parti libéral dans la ville de Waterloo-Ontario, président et sponsor de deux projets non lucratifs de townhousing, président de la Multicultural Groups for the Charlottetown Accord Yes Committee, de l'Arab Canadian Friendship Association et de l'Arab Business Association. Il est également membre d'une vingtaine d'associations et de commissions. Georges Farkoh, originaire d'Acre et réfugié au Liban avec sa famille, est concessionnaire Chrysler-Dodge. Arrivé au Canada en 1959 à l'âge de 12 ans, il 24. Il faut noter cependant que les Palestiniens ont subi, avant le processus de paix, une certaine forme de racisme, notamment de la part des médias canadiens qui les cataloguaient comme ‘ terroristes ‘ (Naila Daniel, 1994). 25. Les Arabes-Américains se considèrent comme Arabes plutôt que comme Palestiniens ou Syriens. Le cas des Libanais maronites aux Etats-Unis est le plus frappant : leur désignation, par les communautés non arabes, comme Arabes ou, historiquement, comme ‘ Turcs ‘ ذau sens péjoratif ذa renforcé une arabité fervente chez eux, comme l’ont constaté certains de nos interlocuteurs. Par ailleurs, les Libanais de la diaspora présentent une unité étonnante : ils semblent faire abstraction de leurs diversités religieuses et de leurs conflits internes. devient maire d'Elliot Lake, petite ville de l'Ontario, en 1989. Ses origines sont connues de ses électeurs car sa mère s’est largement impliquée dans une association de défense des droits des émigrés. Enfin, S. Debani, Palestinien-Québécois, exministre, est maintenant sénateur. Ces exemples témoignent de l'intégration des Palestiniens dans la société mosaïque canadienne. Dans le cas des Etats-Unis, l'hégémonie culturelle blanche anglo-saxonne éclipse l'importance du multiculturalisme. Ce dernier apparaît plus fictif que réel (Emmanuel Todd, 1994). À la différence du système français, qui cherche à assimiler les immigrés à travers l'école républicaine et laïque en effaçant les différences, le melting-pot se fait sur l'adhésion aux valeurs culturelles de l'american way of life tout en respectant les communautés ethniques ou religieuses. Lors de la deuxième guerre du Golfe, les Arabes-Américains ont subi une vague de racisme sans précédent. S'organiser est devenu urgent et nécessaire. Des organisations de défense se sont multipliées, sous différentes couleurs : régionales, arabes ou islamiques26. Or, un Arabe-Américain seulement sur trente milite dans une organisation, quand la proportion atteint un sur trois chez les Juifs américains. (Bernard Lalanne, 1992, p.107 ). Quant à la communauté palestinienne, elle sort de l'ombre depuis le déclenchement de l'intifâda. Grâce aux images accablantes diffusées par les médias américains sur la répression israélienne, l'action politique palestinienne n'est plus assimilée au terrorisme. Révoltée par les témoignages des nouveaux émigrants en provenance des Territoires occupés, la communauté palestinienne se mobilise autour d’actions de solidarité avec ses frères de sang. Cette mobilisation, cependant, sera l'occasion de structurer la communauté. En étudiant les différentes actions entreprises par les hommes d'affaires palestiniens de Chicago, première ville par la présence des Palestiniens, nous avons dégagé trois types d'actions envisagées ou entreprises. Le premier type d'action donne la priorité à la mobilisation des Arabes en général, et des Palestiniens en particulier, pour constituer un lobby arabe. Ghassan Barakat, rédacteur en chef du journal al-Boustan et proche du milieu des hommes d'affaires, mène des actions dans ce sens à l’échelle de Chicago. Le deuxième type d'action est entrepris par des hommes d'affaires palestiniens conscients de “ l'impossibilité de rassembler une communauté arabe très divisée politiquement et idéologiquement “. Ils préfèrent entreprendre des actions individuelles : le soutien à un candidat politique, pour la mairie, le conseil général ou la Maison Blanche, se concrétise par une réception organisée par un homme d'affaires. Talat Othman27 et Hassan El-Khatib sont les meilleurs représentants de ce type d'action. Or, le soutien à la candidature d'un démocrate ou d’un républicain n'empêche pas le soutien à son adversaire. Les trois quarts de ceux qui donnent de l'argent le font pour les deux candidats antagonistes, car l'important, pour eux, c’est d'être “ visibles “ partout. En outre, ils tentent d'être présents dans les associations nationales sportives, sociales et de santé en sponsorisant leurs activités comme le font Othman El-Khatib et Robin Zahran28. 26. La plus importante organisation est l'ADC (Arab-American Anti-Discrimination Committee), fondée à la suite de la guerre de juin 1967. On peut citer également NAAA (National Association of Arab-Americans) et CAIR (Council of American-Islamic Relations). 27. Talat Othman, homme d'affaires palestinien, est le PDG de Dearborn Financial, une compagnie internationale d'investissements et de management basée dans la banlieue de Chicago. 28. Robin Zahran, président de l’Oak Brook Associates Financial Services, a donné 50 000 $ pour le financement d’un programme de formation CQI (Continuous Quality Improvement) qui dépend de la EHS (Evangelical Health Foundation). Le troisième type d'action est mené au niveau de la communauté musulmane et consiste à enregistrer les noms sur les listes électorales à partir des mosquées et des centres islamiques. Il apparaît que cette action est efficace en raison de la mobilisation populaire qu'elle entraîne. En septembre 1994 on été collectés quelques milliers de noms. En outre, des actions sociales ont été menées en faveur de cette communauté, comme l’organisation de dîners pendant le mois de Ramadan. Ces actions sont destinées exclusivement aux musulmans américains. C'est-à-dire que l'argent est collecté pour un usage strictement américain. L'homme d'affaires palestinien Talat Othman, un musulman très modéré, préside l'Islamic Center of Chicago. Ces trois types d'action demeurent très limités par rapport à l'ampleur de la communauté palestinienne aux Etats-Unis, estimée entre 150000 à 200000 personnes, et dérisoires par rapport à l'ancienneté et au poids de la communauté arabe. Ceux qui réussissent à devenir des hommes publics se comptent sur les doigts d'une main. On peut citer à titre d'exemple deux personnalités : Johen Sununu, ancien secrétaire général de la Maison Blanche et Georges Salem qui, à l'âge de 32 ans, a été nommé par le président Reagan “ Solliciter of labor “, c'est-à-dire responsable suprême des lois du travail aux Etats-Unis, avec 850 juristes sous ses ordres (B. Lalanne, 1992, p.105 ). On est loin de l'élaboration d’une stratégie qui regroupe et organise toutes ces actions. Elles restent éparpillées et reflètent plutôt une réaction. Prenons un exemple, même anecdotique, qui nous a été relaté par un homme d'affaires. Lors des funérailles d'un Palestinien de Peterson, New Jersey, un voisin, gêné par le stationnement de nombreuses voitures devant la maison du défunt, a appelé la police, qui a verbalisé. Awni Abu-Hadi, promoteur immobilier palestinien et directeur d'une société d'assurance, est allé voir le maire pour protester. Ce dernier lui a rétorqué que le voisin du défunt votait, alors que toute la communauté arabe ne votait pas. AbuHadi, sensible à l’argument, a alors mobilisé la communauté palestinienne de New Jersey, qui compte 15000 personnes, pour qu’elles s’inscrivent sur les listes électorales. Il est devenu un membre actif de sa communauté et de sa ville. Il est aujourd'hui président d'une des commissions municipales. En 1984, il s'est présenté au Sénat mais sans succès. Désormais, la communauté palestinienne à New Jersey a son mot à dire dans la vie de la municipalité et est de plus en plus respectée. Au-delà des différences entre ces quatre types d'action, il s'agit d'une tentative à allure défensive pour constituer un lobby arabe ou islamique qui permettrait d'influencer la politique intérieure et étrangère des Etats-Unis. Mes interlocuteurs critiquent parfois de façon véhémente le parti pris des Etats-Unis en faveur d'Israël ou son indifférence à l'égard des revendications de la communauté palestinienne. Par contre, l'action politique des hommes d’affaires palestiniens au Canada ne revêt généralement pas une forme communautaire. Bien qu'ils soient issus de la première génération, Fahel et Farkouh sont devenus des personnalités publiques non seulement au niveau de leur ville, mais aussi de leur communauté. Ils ont été élus respectivement secrétaire général du Parti libéral canadien et maire, pas seulement grâce aux voix de leur communauté, mais grâce aussi à celles de la population canadienne. Conclusion De la situation des Palestiniens en Amérique du Nord, on retiendra d'abord la diversité des classes sociales auxquelles ils appartiennent : marchands, industriels, banquiers forment une véritable élite autour de laquelle évolue un petit monde de boutiquiers, d'artisans, de colporteurs, etc. Les Palestiniens, surtout ceux qui sont partis après 1967, ne sont pas des migrants volontaires dont les motivations économiques seraient analysables en termes de liberté individuelle et de modernité, mais des migrants par nécessité catégorie destinée à prendre une place croissante dans les relations internationales au XXe siècle. Les Palestiniens partis après 1967 ont le sentiment que leur départ est involontaire. Ayant subi l'occupation militaire et la confiscation de leur terre, ils ne supportent guère leur vie dans les Territoires occupés. Or, contrairement aux immigrés italiens ou irlandais, ils sont conscients que le fait d'abandonner leur terre a des conséquences néfastes sur la question palestinienne et ils se comportent donc comme des résidents temporaires bien qu'ils n'aient aucun plan de retour. L'exil est une situation familière dans la mesure o la plupart des Palestiniens ont en permanence à leur disposition l'expérience vécue de membres de leur famille ou d'amis qui ont pris le chemin de l'émigration. En ce sens, la “ diaspora “ signifie, plus qu'une attitude politique et culturelle, une série de liens familiaux forts avec les Palestiniens éparpillés aux quatre vents. Il est très rare de rencontrer un Palestinien qui ne vous parle pas d'une seur en Amérique, d'un cousin en Syrie ou au Liban, d'un fils ou d’une fille dans un pays du Golfe. Dans le contexte des Etats-Unis, le racisme anti-arabe et la politique extérieure américaine hostile à la cause palestinienne ont renforcé le sentiment d'exil et ont produit une communauté palestinienne coupée de sa société d'accueil et plutôt orientée vers sa patrie d'origine (Louis Cainkar, 1988). Le cas des Palestiniens du Canada est de ce point de vue, comme nous l'avons indiqué précédemment, tout à fait différent. Notre enquête sur la diaspora palestinienne dans le Nouveau Monde suggère que les interactions entre “ l'intérieur “ et “ l'extérieur “ demeurent très fortes, mais que la distance géographique interdit d'établir des projets économiques communs. La diaspora a joué et joue encore le rôle de chambre de résonnance des revendications palestiniennes. L'extérieur s'est mis à la recherche de son identité dans le miroir que lui a tendu l'intérieur. Dans ce contexte, nous pouvons nous demander quel sera le rôle d'un groupe important comme les hommes d'affaires palestiniens en Amérique du Nord dans la prise de décision en matière de règlement politique national, mais également dans la gestion des affaires publiques. Nous tenterons de répondre à ces questions dans le chapitre V. Dans l’imbroglio général de transition nationale de l'entité palestinienne, les exilés vont hésiter encore longtemps entre le maintien dans le pays d'accueil ou le retour dans les Territoires autonomes. En tout cas, le retour n'est pas pour demain. Toutes les conditions de stabilité intérieure ou extérieure ne sont pas réunies pour l'encourager. L'euphorie qui a suivi la signature des accords de principe entre l'OLP et Israël n'a pas longtemps dissimulé les réalités politiques, économiques et sociales des Territoires autonomes. Ceux qui planifient leur retour ont accepté “ la rose avec ses épines “. CHAPITRE II LES HOMMES D'AFFAIRES PALESTINIENS EN EGYPTE Les vagues migratoires vers l'Egypte Si les contacts et les échanges de population entre la Palestine et l'Egypte remontent à une époque bien antérieure au départ pour l’exil, c'est essentiellement à partir de 1948 que s'est constituée, par vagues successives liées aux guerres israéloarabes, la minorité palestinienne d'Egypte. En 1948, des réfugiés débarquent à Port-Saïd ou à Alexandrie en provenance de la côte palestinienne, et notamment de Jaffa, tandis que d'autres, originaires de l'intérieur, gagnent par voie terrestre, notamment à dos de chameau, Zagazig ou Faqs (Sharqiyya). On dénombre alors 11000 réfugiés dans les camps d'urgence. Lors de la première vague de déportés palestiniens au début de l’année 1948, un Haut Comité pour les réfugiés palestiniens, financé par l'Etat égyptien et la Ligue arabe29, est institué par le ministère des Affaires sociales30. Un camp d'urgence est aménagé à Abbassiyya au nord-est du Caire, mais devant l'afflux de réfugiés, un second camp est ouvert à Qantara sur le canal de Suez. Le 3 septembre 1948, la totalité des réfugiés sont rassemblés dans le camp de Qantara, qui compte, à la suite de l'armistice de 1949, environ 11000 personnes. L’autorisation de sortir du camp et par conséquent le permis de résidence en Egypte sont accordés à deux conditions : prouver sa capacité financière à subvenir à ses besoins et se placer sous la tutelle d'un garant égyptien. Les 4000 Palestiniens qui s'établissent alors forment le noyau de la communauté. Un an plus tard, en septembre 1949, 7000 réfugiés demeurent à Qantara. La fermeture du camp entraîne leur transfert à Gaza, alors sous administration égyptienne. Comme l'explique Maha Dajani (1986, p.133 ) : « Tous les camps palestiniens sous administration égyptienne (avant la défaite de 1967) se trouvaient à Gaza. À la différence de la Jordanie, du Liban ou de la Syrie, l'Egypte n'a pas permis la formation de camps palestiniens à l'intérieur de ses frontières. » À la suite des guerres de 1956, 1967 de nouveau de réfugiés gagnent l’Egypte essentiellement depuis Gaza. La dispersion des familles entre Gaza et Le Caire et les autres pays arabes pose le problème du regroupement familial. Les autorités égyptiennes et la Ligue arabe aident matériellement les familles à se réunir. On ouvre le camp d'Abbassiyya au Caire pour organiser les départs184 : réfugiés partent Gaza, 516 autres pour Jérusalem. Toutefois, si l'on peut distinguer des vagues migratoires principales - attachées aux conflits-, la multiplicité des situations révèle des itinéraires complexes s'étalant sur une période qui débute avec la première guerre israélo-arabe et se poursuit jusqu'au milieu des années soixante-dix. L'afflux de réfugiés est survenu à la suite d'une série de déplacements précédant l’installation en Egypte. Certains palestiniens ont émigré en Egypte entre-temps, fuyant la situation très précaire des camps palestiniens de Gaza aménagés pour les réfugiés de 1948, alors 29.300000 LE ont été mises à la disposition de ce comité par l’Etat égyptien et 400000 LE par la Ligue arabe. 30.Le comité était composé de représentants des ministères de l'Intérieur, des Affaires sociales, de la Santé, de l'Agriculture, de la Défense, et d'autres institutions concernées. que de nombreux travailleurs de Gaza, résidant dans les pays du Golfe ou en Libye pendant le recensement israélien de 1967 – se sont instalés en Egypte à la fin de leur contrat de travail parce que l'autorité israélienne leur refusait l’autorisation de gagner Gaza. Mais la fermeture effective du territoire égyptien aux Palestiniens date de Camp David. Evaluation démographique Selon une estimation faite en 1982, 60,000 Palestiniens se trouvaient en Egypte (Helena Cobban, 1984). D'après l'OLP, suite à l'invasion israélienne du Liban en 1982, le nombre de Palestiniens présents sur le sol égyptien aurait augmenté et la centrale en estime le nombre à 75,000 en 1984 (ibidem). Quant à l'UNRWA, elle avançait le chiffre de 35 en 1982 (B. Destremau, 1993, p.59 ). Une dernière estimation, datant de 1985, mentionne la présence de 68 Palestiniens. Il est impossible de connaître le nombre exact de Palestiniens, tant le spectre de situations que recouvre cette identité est large ; néanmoins, la dernière estimation en date corrobore l'ordre de grandeur avancé par l'OLP. En 1995, les services égyptiens ont procédé à un recensement des Palestiniens d'Egypte31. Selon les résultats provisoires de cette étude, qui n'a toujours pas été publiée, plus de 90 Palestiniens vivraient en Egypte. Il faut cependant noter que ce chiffre ne tient pas compte des Palestiniens ayant un passeport jordanien, qui représentent un nombre non négligeable. Ils ont choisi de rester en Egypte pour des raisons diverses : pour sa proximité avec Gaza ou pour les opportunités économiques que présente l’Egypte par rapport à la Jordanie. Un statut juridique complexe Le statut juridique des Palestiniens en Egypte est multiple. Il est fonction de leur histoire, de leur origine, de leurs itinéraires. Ce statut dépend également de la tranche de leur identité prise en compte : réfugié, déplacé, étranger, bénéficiaire de certains droits. L'autorité égyptienne délivre trois catégories de documents de voyage dépendant de la date d'installation en Egypte (1948, 1956, depuis 1967)32. Cependant, la situation des Palestiniens en Egypte a surtout évolué en fonction des aléas politiques. Nous pouvons donc identifier deux périodes bien distinctes. L'âge d'or des Palestiniens en Egypte1978-1962 : Malgré la sympathie du peuple égyptien pour la cause palestinienne, ainsi que les recommandations de la Ligue arabe concernant l'emploi des réfugiés33, les documents de voyage délivrés par l'Egypte de 1948 à 1962 mentionnent l'interdiction de travail. Cependant, à partir de 1954, le président Nasser permet officieusement à de nombreux Palestiniens de travailler, notamment comme enseignants. Il faut attendre le 10 mars 1962 pour que la situation des Palestiniens s'améliore et que l'Egypte applique les directives de la Ligue arabe. Une loi est promulguée, 31.En fait, il ne s'agit pas d'un recensement mais d'un calcul à partir des flux migratoires. 32.Les catégories B et J sont attribuées aux Palestiniens résidant en Egypte depuis 1948, la catégorie D aux résidents depuis 1956 et la catégorie H aux résidents depuis 1967. Il faut cependant noter que les Palestiniens ayant un passeport jordanien d’une durée de 5ans sont considérés par l'autorité égyptienne comme Jordaniens, échappant ainsi à la fluctuation des relations entre l'OLP et l'Egypte (la Jordanie délivre deux types de passeport : l'un, d’une validité de cinq ans, est attribué aux Jordaniens et aux Palestiniens réfugiés avant 1967, et l'autre, d’une validité de deux ans, aux Palestiniens réfugiés après 1967). 33.Lors de la session no 11 du 9 mars 1959, la Ligue arabe a conseillé aux pays arabes membres de “trouver des opportunités d'emploi pour les réfugiés palestiniens résidant dans leurs pays respectifs, tout en gardant la nationalité palestinienne comme principe général.” permettant aux Palestiniens d'être employés par l'Etat34. Ce délai est peut-être lié au caractère éphémère de leur séjour. Le 10 mai 1963, le ministre du Travail exempte les réfugiés de l'obligation d'avoir une carte de travail. Outre le droit à l'emploi, le régime nassérien fait une exception pour les Palestiniens en matière d'acquisition de terrains agricoles, normalement interdite aux étrangers (loi no 51 de 1963). Les Palestiniens comme étrangers : fin de l'état de grâce La situation des Palestiniens en Egypte est largement tributaire des relations entre l'OLP et les autorités égyptiennes. Celles-ci se dégradent rapidement à la suite de la visite à Jérusalem d'Anouar al-Sadate en novembre 1977 et de l'assassinat de Youssef al-Siba'i à Chypre en février 1978 (dont l'OLP a été rendu responsable). Dès lors, les Palestiniens sont progressivement considérés comme des étrangers et non plus comme des réfugiés ayant un statut spécifique. En juillet 1978, par décret du président de la République, toutes les mesures d'exception accordées aux Palestiniens en matière d'emploi sont annulées. La situation s'aggrave au milieu des années quatre-vingt. Deux décrets gouvernementaux (47 de 1983 et 75 de 1984) abolissent les privilèges des Palestiniens, traités jusqu'alors comme des citoyens égyptiens, notamment en matière d'éducation (Lamia Saleh Raei, 1995). Un nouveau décret intitulé ‘Développement des ressources de l'Etat’, qui spécifie les conditions d'accès aux emplois publics pour les Egyptiens et les étrangers (et donc les Palestiniens) est promulgué en 198435. En 1985, la loi 104 abroge la loi 51 de 1963 qui permettait aux Palestiniens de posséder des terres agricoles, ce qui les contraint à céder leurs terres à bas prix (Dajani, 1986). Les retombées directes de ces mesures sont très lourdes, même si les contournements sont toujours possibles36 : - interdiction de travailler dans le secteur public. Les seuls Palestiniens autorisés sont ceux employés dans l'administration de Gaza ; - une carte de travail est exigée pour pouvoir travailler dans le secteur privé, ce qui implique des interdictions de travail sectorielles ou des refus d'attribution pour des raisons politiques ; - interdiction d'accéder à l'école publique sauf dans les villages qui ne possèdent pas d'autres types d'établissement ; dans ce cas, un droit de scolarité payable en devises est exigé ; - interdiction de faire de l'import-export ou de fonder une société dont le capital est à plus de 50 % étranger ; - interdiction de s’inscrire dans des clubs sportifs sauf par dérogation du ministère de l'Intérieur et contre paiement d’un droit annuel important ; - difficultés pour obtenir le permis de séjour pour certaines catégories. La durée du permis de séjour en Egypte est fonction de la date d'immigration des Palestiniens : 10 ans pour les réfugiés de 1948, 3 ans pour ceux de 1956, un an pour ceux de 1967, 10 mois pour les réfugiés du camp du Canada ; 34. L'article 1 de la loi 66 de 1962 stipule qu'“il est permis d'employer les Arabes palestiniens dans les institutions étatiques et de les traiter comme les citoyens de la République arabe unie”. Les Palestiniens de 1967 ne sont donc pas concernés, étant donné la non-reconnaissance de leur statut de réfugiés. Cette loi a été abrogée par l'article no 2 du Code du travail relatif au secteur public (loi 48 de 1978). Il est cependant permis aux Palestiniens d'exercer des professions libérales. 35. À titre d'exemple, l'autorité égyptienne a exigé 42,5 LE à chaque renouvellement du droit de séjour, à savoir une période de 10 mois pour les réfugiés d'après 1967. Cette somme est exorbitante pour une famille moyenne de 6 membres. 36.Pour plus de détails, voir Muhammad Khaled al-Az'ar, 1986. - le séjour en Egypte pour les enfants des réfugiés doit être justifié à partir de leur majorité (18 ans) par un certificat de scolarité émanant de l'université ou une carte de travail37 ; - interdiction d'ouvrir un cabinet médical privé, même si l'on est inscrit au syndicat des médecins. Ces mesures ont affecté directement la situation socio-économique de la communauté palestinienne. Nous allons nous limiter à traiter en détail trois points : le marché du travail, l'éducation et le droit de déplacement. Le marché du travail Dispersés sur une grande partie du territoire égyptien, les Palestiniens occupent des positions socio-économiques extrêmement diverses. Nombre d'entre eux ont ouvert, au cours des années cinquante, de petits commerces et notamment des épiceries, entreprises qui ne nécessitent pas de gros investissements, remplaçant ainsi partiellement les Grecs et les Juifs qui avaient quitté le pays. Toutefois, les activités palestiniennes relevant du domaine privé dépassent largement ce cadre. Selon Maha Dajani, “A la suite de l’agression 'agression tripartite de novembre 1956, 25,000 Juifs environ quittèrent l'Egypte (...), leurs biens furent saisis et placés sous le contrôle de l'Etat. Dans le même temps, de nombreux Palestiniens de Gaza (...) et de Syrie, durant les trois années de la République arabe unie (1958-1961) commencèrent à établir leurs affaires en Egypte. Ainsi, nombre de ces nouveaux arrivants s'implantèrent dans des domaines qui avaient été en partie monopolisés par les Juifs, tels les manufactures, le commerce de gros et de détail, les petits hôtels, les restaurants. Par exemple, trois importantes sociétés juives (Sournaga, Seegourat, Keelatous) furent remplacées par la société palestinienne Abu Laban, briquetterie et usine de tuyauterie. À la fin des années cinquante, cette entreprise subvenait à 50 % aux besoins du Caire. » (Dajani, 1986, p. 56) On rencontre également de nombreux Palestiniens dans les activités de services (coiffure, restauration, etc.), o leur savoir-faire leur procure un avantage non négligeable. Mais le secteur d'activité privilégié des Palestiniens reste le commerce. La continuité territoriale avec Gaza, dont sont issus la majorité des Palestiniens d'Egypte, a favorisé la circulation des capitaux et des marchandises. Jusqu'en 1967, l'Egypte est le principal marché des activités commerciales gazaouites, situation qui prend fin à la suite de l'occupation israélienne et de la limitation par l'Egypte des flux migratoires palestiniens. À partir des années cinquante, Gaza administrée par l'Egypte devient un centre marchand important. Le statut spécifique du secteur et le vide juridique qui découle de l'administration militaire ne la soumettent pas à la limitation des importations, qui touche l'Egypte à partir de 1952. Malgré la situation militaire, aux avant-postes de la confrontation, les Gazaouites font le commerce de produits de luxe dont la révolution socialiste proscrit l'importation en Egypte. De petites embarcations en provenance de Syrie ou du Liban apportent vers Gaza de nombreuses marchandises dont les Egyptiens sont demandeurs (textiles, denrées alimentaires, biens d'équipement, etc.). Les commerçants palestiniens se souviennent de ces jeunes mariés qui venaient alors du Caire ou d'ailleurs jusqu'à Gaza pour équiper leur foyer. Il en résulte un formidable essor de l'activité commerciale, des fortunes se constituent, ce qui permet ensuite à de nombreux commerçants palestiniens d'étendre leurs activités vers Le Caire, o ils bénéficient déjà d'une clientèle, et, pour certains, d'y revenir après 1967. 37. Cela oblige de nombreux Palestiniens à payer en devises les droits de scolarité dans n'importe quelle université ou institut supérieur pour obtenir un certificat de scolarité. Cependant, l'immigration palestinienne en Egypte ne se limite pas aux commerçants. Lorsque la situation économique de Gaza, surpeuplée, se détériore après la guerre de 1967, des Palestiniens décident de gagner l'Egypte et d'y chercher un emploi, même précaire. Nombre d'entre eux sont employés comme ouvriers dans les complexes industriels de Helwân et al-Mahalla al-Kubra... Aujourd'hui marginal, le fonctionnariat fut longtemps un vecteur privilégié d'intégration, au moins numériquement (voir chapitre IV). Cependant, si l'immigration palestinienne est pour l’essentiel urbaine, on trouve en Egypte une immigration rurale qui se concentre surtout à Faqos, dans le gouvernorat de Sharqiyya, mais qui représente une toute petite partie de la communauté (5,6 %). Elle s’est installée dans le Delta du Nil, en provenance souvent de Bir-Sava. Ses membres sont employés comme travailleurs agricoles saisonniers. 1500 personnes adhèrent à l'Union générale des travailleurs de Palestine38. Ils travaillent dix heures par jour pour 4 à 7 LE en moyenne, et ce de 15 à 20 jours par mois39. Dans le village d’AbuKabir, les maisons des Palestiniens se distinguent des maisons égyptiennes par leur extrême pauvreté40. Ils subissent de plein fouet les mesures anti-palestiniennes, notamment en matière d’éducation : pour suivre les cours gratuits dispensés par les écoles d’al-Azhar, certains enfants se déplacent jusqu’à 15 km de leur domicile. Les Palestiniens sont également présents dans les carrières libérales ou intellectuelles, qui complètent le large éventail des positions socio-économiques de la communauté. Mais au-delà de ces réussites, nous pouvons néanmoins souligner que la précarité demeure le dénominateur commun à de nombreux Palestiniens d'Egypte. Selon les premiers resultats d'une enquête de l'Unicef, axée sur l'enfance et la maternité et menée auprès de la population palestinienne du Caire, une pauvreté sans précédent semble désormais la caractériser41. Les hommes d'affaires palestiniens : les privilèges de la proximité Si les hommes d'affaires palestiniens interrogés en Amérique et en Syrie sont pour la plupart des self-made-men, le cas de ceux vivant en Egypte est plus complexe. En fait, la continuité territoriale entre l'Egypte et Gaza, ville dont la majorité de notre échantillon (55 %) est issue, a favorisé l'exportation des capitaux et du savoir-faire familiaux. C'est tout particulièrement dans le domaine commercial que se trouve cette continuité. Les hommes d'affaires palestiniens en Egypte travaillent dans des secteurs divers : 28 % ont des entreprises industrielles, 41 % travaillent dans le commerce (de gros ou d'import/export) et 31 % se répartissent dans l'agriculture, le tourisme, la construction et les services. Une autre caractéristique est qu'ils détiennent majoritairement (74 %) un diplôme universitaire - économie, commerce, ingénierie, etc. Dans l’échantillon retenu, aucun n'a un niveau inférieur au baccalauréat. En fait, les Palestiniens d'Egypte ont bénéficié (jusqu'à 1982) d'un traitement égal en matière d’entrée dans les universités égyptiennes, et donc à la quasi-gratuité de l'enseignement supérieur. Depuis Camp David et la fin de l'état de grâce pour les Palestiniens, les nouvelles lois ont sérieusement entravé le développement de leurs affaires 38.On compte à l'échelle de l'Egypte 10,700 membres. 39.Entretien avec Hassan 'Aid, responsable d'al-Sharqiyya pour l'Union générale des travailleurs de Palestine. 40. Depuis un an, il est possible d'installer l’eau courante, mais l'opération coûte 3000LE environ, dépense inaccessible pour la plupart. 41. À titre d’indication, une information chiffrée datant de 1966 montre que 9243 Palestiniens résidant en Egypte recevaient une aide gouvernementale (dont 4288 au Caire) (Laurie A. Brand, 1988, p.50). (interdiction de faire de l'import-export ou de fonder une société dont le capital est à plus de 50 % étranger). Dans un pays o le système du crédit bancaire est peu développé et o les activités économiques sont souvent familiales, il est rare que s'établisse un partenariat avec des Egyptiens. On recourt dans certains cas à des partenaires fictifs : c'est-à-dire que l’on inscrit 51 % du capital au nom d'un proche ayant la nationalité égyptienne, la plupart du temps les épouses égyptiennes de Palestiniens. Quant aux hommes d'affaires palestiniens des pays arabes, leur marge de manouvre est moins importante que pour leurs confrères des pays occidentaux. Ceux qui sont en Egypte n'ont pu regrouper leurs efforts que très récemment. Deux tentatives de constitution d'un regroupement des hommes d'affaires - la première fois en 1985 sous le nom de Comité d'action sociale et la deuxième fois en 1989, sous le label de l'Union des hommes d'affaires palestiniens42 ont - échoué pour des raisons politiques. La situation s’est débloquée et l'Association des hommes d'affaires palestiniens en Egypte a été constituée en 1994. En effet, l'Autorité nationale palestinienne a encouragé ce regroupement parce qu'elle en a finalement éprouvé le besoin pour favoriser l'investissement à Gaza, la plupart des hommes d'affaires étant originaires de cette ville. Les hommes d'affaires et le processus de paix : une ambiguïté Originaires de Gaza et considérés comme des étrangers, 65 % des hommes d'affaires interrogés se déclarent plutôt - voire complètement- en faveur des accords d'Oslo (35 % et 25 % respectivement), contre 17 % les refusant catégoriquement et 18 % plus nuancés. Cette attitude favorable s’explique par les retombées pratiques qui les concernent directement : ils pourront en principe retourner dans leur ville natale ou au moins la visiter. L'association des hommes d'affaires palestiniens en Egypte a aussitôt envoyé un message de soutien à Yasser Arafat dans le quotidien alAhram43. Cette majorité favorable aux accords d'Oslo n'a cependant pas d’influence directe sur les investissements dans les Territoires autonomes, comme nous l'avons expliqué dans le premier chapitre. 25 % des hommes d'affaires palestiniens en Egypte ont entrepris des projets, mais très peu sont suffisamment productifs pour engendrer des emplois au-delà de la période d’exécution. Hormis trois projets industriels - usine de matériel de soudure et minoterie (Mahmoud El Farra), fabrique de chaussures en plastique (Youssef Al-Shanti) -, beaucoup concernent la construction (logements, hôtels, hôpitaux) et la commercialisation, dans les Territoires autonomes et occupés, des produits provenant d'Egypte ou passant par l'Egypte. Les hommes d'affaires palestiniens d'Egypte ont profité de l'enthousiasme des Egyptiens pour la paix, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, pour conclure des joint venture. El Farra a investi dans de grandes sociétés égyptiennes comme Arab Contractors-Osman Ahmad Osman Co., et Muhammad Husein Sabour Co. Nous pouvons également citer le cas de Fahmi Al-Huseini qui a participé à la création d'Arab Palestinian Consulting Engineers/Moharam-Bakhoum, société de joint venture avec la première société égyptienne de consultation (Moharam-Bakhoum). À la faveur du processus de paix, Salah El Rayes a fondé à Gaza une société anonyme de travaux publics avec un partenaire égyptien (Kamal Al Zahiri) ayant une expérience technique et un autre partenaire suédois afin de bénéficier de financements du gouvernement suédois. Il a signé en avril 1995 un 42. À l'initiative de l'homme d'affaires Fayez al-Turk, une série des réunions préparatoires à la constitution de cette union ont eu lieu au Caire, sous le parrainage d'al-Tayeb Abdel-Rahim, directeur du bureau de l'OLP. 43.Al-Ahrâm, 23/09/95. contrat pour la construction d’un hôpital pour enfants d’un cot estimé à 200 millions $. Un autre projet est en cours de négociation pour construire un hôtel cinq étoiles. Enfin, Khalil Sarraf a fondé une société palestino-égyptienne de construction en concluant une joint venture avec Al-Nasr-Hassan 'Allam Co. (société publique égyptienne de travaux publics). Il a également lancé à Gaza une société de commercialisation de médicaments égyptiens. L'Egypte : plaque tournante des capitaux palestiniens ? L'Egypte est depuis longtemps un pays incontournable pour les hommes d'affaires palestiniens. D'abord, ce sont les Gazaouites qui ont décidé d'investir en Egypte depuis l'occupation israélienne de leur région. Nous trouvons des commerçants comme Tahsin et Muhammad Heilo, des industriels comme Walid AlShawa, et des promoteurs immobiliers comme Jalil Mohanna. Prenons l'exemple de Walid Al-Shawa, patron de l'United Plastic For Modern Irrigation. Né en 1952 à Gaza, il est diplômé de l'Institut d'agriculture. Il a effectué des stages en Israël. Il a été représentant de sociétés israéliennes d'équipement pour réseaux d'irrigation à Gaza. Un jour, il décide de produire lui-même cet équipement, mais il se trouve dans l’impossibilité de le faire dans les Territoires occupés, étant donné l’instabilité politique liée à l'occupation et la complexité des procédures de commercialisation. Or, l'ouverture économique que connaît l’Egypte l'encourage à s'y installer en 1977. D'abord, il travaille dans le domaine de l'irrigation (études, ventes, exécution de travaux), puis il passe à la production. Il devient président du conseil d'administration en 1986 et propriétaire, avec son frère Jamal Al-Shawa, de 65 % des parts de l'United Plastic For Modern Irrigation (80 employés). Il a réalisé en 1994 un chiffre d'affaires de 194 millions $. C'est une société pionnière dans la production de systèmes d’irrigation par goutte-à-goutte en Egypte. Elle est la seule dans le Monde arabe à produire un équipement complet pour les réseaux d'irrigation. Si pour certains, investir en Egypte est un choix, pour les autres, c'est l’impossibilité de rentrer dans les Territoires occupés qui en est la cause. C'est à la suite d’un long séjour dans un pays du Golfe que l'on vient investir en Egypte, profitant de la proximité de la bande de Gaza et d'une main-d’œuvre bon marché. La famille d'El Farra, basée à Los Angeles, illustre le cas de ceux qui viennent de plus loin que la péninsule arabique : Je suis parmi les premiers étrangers, déclare Mahmoud El Farra, qui ont investi en Egypte depuis les premières mesures de l'infitâh de Sadate. Effectivement SAFA, la société-mère de Mahmoud El Farra, a été fondée avec des associés égyptiens, Makka Co. (fabrique de tapis à 'Amiriyya, près du Caire). Or, la politique de l'infitâh n'a pas inclus les Palestiniens, l'Egypte est restée depuis Camp David un pays fermé à ceux qui n'ont ni document de voyage égyptien ni statut de résident. À la suite de la crise du Golfe, les frontières ont été étroitement fermées aux Palestiniens provenant du Koweit et des autres pétromonarchies. Certains hommes d'affaires palestiniens ayant émigré au Canada ont regretté de ne pas pouvoir investir en Egypte : L'Egypte a raté une magnifique occasion d'absorber les capitaux palestiniens lors de l'exode du Koweit. Je ne comprends pas ce pays qui fait tout pour faire venir les capitaux arabes et occidentaux, et refuse les capitaux palestiniens. (...) Personnellement, j'ai un passeport canadien, mais je sais qu'on ne me laisse pas entrer quand on y voit mon lieu de naissance, Nablus. Cependant, nombre de nos interlocuteurs ont pu résider en Egypte à la suite de l'invasion irakienne du Koweit, soit en payant un pot-de-vin, soit en s'abritant derrière un passeport jordanien, libanais ou américain. Par exemple, Khalil Sarraf s'est installé au Caire en 1991 pour gérer la filiale égyptienne de sa société enregistrée au Koweit, International Contractors Group (ICG), fondée en 1986, tout en restant à la direction de l'ICG-Kuwait. Il est vice-président, membre du conseil d’administration et actionnaire de l’Advanced Technology For Trading and Manufacturing basé au Caire et créé en 1985, qui vend des produits coréens et spécialement des accessoires de salles de bain. Il est également président et actionnaire de Northstar-Switzerland, une société d'importation pour le ProcheOrient (le seul distributeur de Du Pont Products Corian en Egypte et au Koweit). De même, nous trouvons Faroq Abughazaleh qui a fondé en 1982, avec son frère Mahmoud, Tiba Agriculture au Koweit, une société spécialisée dans l'importation des produits biologiques destinés à l'agriculture. Avec la guerre du Golfe, il s'installe au Caire, et fonde Arab Investment & Development Group qu'il dirige et dont il détient la moitié des actions. Cette société est spécialisée dans le domaine de la biotechnologie. Depuis l'amorce de processus de paix, l'Egypte, en dépit des difficultés rencontrées, a pris une place prépondérante dans la transition des capitaux et des affaires. Dotée d'une stabilité politique certaine, d'une main-d'euvre bon marché, d'une législation encourageante en matière d’investissements, d'un énorme marché de 60 millions d’habitants proche de la bande de Gaza, l'Egypte a convaincu de nombreux hommes d'affaires palestiniens d'y investir : Mahmoud El Farra, encore une fois, a fondé en 1992 Simco Medical Products Egypt, société qui produit des aiguilles pour seringues, des lentilles de contact et solutions et des équipements orthopédiques. Zoheir 'Amacha a investi dans l’immobilier et dans un grand fast-food (Prosted chicken), etc. Pour ces entrepreneurs, l’installation au Caire est favorable au développement de leurs affaires avec Gaza. L'Egypte joue également un rôle dans le transit des capitaux : Muhammad Abugazaleh, le géant du commerce au Chili, a rencontré au Caire Monir Mas'oud, président de Misr-Café, lors d'une réunion d’hommes d'affaires du Proche-Orient. Ils ont conclu un accord de partenariat financier pour la mise en place, entre autres, d’une usine de fabrication de café instantané en Jordanie. L'usine fonctionne actuellement. Entre deux mondes : la relation économique avec Israël Le mythe d'une normalisation économique entre l'Egypte et Israël menée seulement par le secteur public et bloquée par le privé est en train de s'écrouler avec le temps et du fait du nouveau contexte politique dominé par le processus de paix. Comparons 1993 et 1994 : les échanges commerciaux ont presque doublé. Ils étaient de 20,5 millions $ (9,5 millions $ d'importations égyptiennes en provenance d'Israël et 11 millions $ d'exportations) et sont passés à 40 millions $ - 21 et 23 millions $ respectivement - (Ariel Dayan, 1995). Si les produits échangés pour de longues années pouvaient se compter sur les doigts d'une main, ils sont actuellement au nombre de 40 . Les délégations égyptiennes, de plus en plus, comprennent des hommes d'affaires : leurs deux visites à Tel-Aviv se sont soldées par une exposition commerciale dans la capitale israélienne. Les hommes d'affaires israéliens qui ont participé pour la première fois officiellement à l'exposition industrielle internationale de 1995 au Caire, ont investi dans des projets touristiques dans le Sinaï (construction de villages de vacances et d’hôtels). Un homme d'affaires israélien a également participé à la construction de raffineries en Egypte. Dans ce contexte, certains hommes d'affaires palestiniens en Egypte doivent faire preuve de discrétion s'ils veulent garder la possibilité d'un échange économique avec Israël. Paradoxalement, leur discours est nettement opposé à la normalisation, aussi tentent-ils de nous donner les raisons très particulières pour lesquelles ils ont établi des relations économiques avec Israël. Une société de torréfaction commercialise un septième de sa production en Israël. Pour le propriétaire de cette société, un Palestinien originaire de Jaffa et réfugié en Egypte depuis 1948, les circuits du commerce international du café sont aux mains des Juifs et ses relations commerciales avec Israël sont une façon de pouvoir élargir son marché. Il insiste, lors de l'entretien, sur le fait que l’échange doit se faire uniquement vers Israël et qu’il est catégoriquement opposé aux accords d'Oslo et à ouverture du marché arabe aux produits israéliens. En revanche, un autre homme d'affaires palestinien évoque la nécessité d'acheter la technologie et le savoir-faire israéliens parce qu'ils sont indispensables au développement de l'économie arabe, particulièrement dans le domaine agricole : S... fait partie de ceux qu'on appelle les Arabes d'Israël. Né à Tiré près de Tulkarem, d'une famille connue pour son rôle dans la lutte nationale, il commence ses études universitaires d'agronomie, mais il ne peut les terminer à cause de ses activités politiques et s'enfuit en Egypte en 1964. Fort de son expérience acquise en Israël dans le secteur agricole et notamment dans l'exploitation des serres, il travaille de 1972 à 1975 pour le ministère irakien de l'Agriculture (il est le premier à introduire des serres en Irak). En 1975, il s'installe au Caire o il fonde une société spécialisée dans le commerce de matériel agricole. Il achète 6 800 dunum de terres agricoles bonifiées par l'Etat égyptien en 1982 et les exploite en introduisant des variétés de légumes inconnus jusqu’alors en Egypte. En 1993, il fonde un laboratoire de culture de tissus biologiques, projet pionnier qui fait appel à la technologie et au savoir-faire israéliens en matière de contrôle génétique. Il hésite longtemps avant d'entrer en contact avec une entreprise israélienne spécialisée dans le même domaine. Il attend, pour se décider, la signature du traité de paix entre l'OLP et Israël à Washington. Pour lui, les Israéliens n'ont plus une attitude anti-arabe qui empêche toute coopération. Avec l'argent, on peut acquérir n’importe quel savoir-faire. Par exemple, quand j'ai décidé d'importer en Egypte les procédés de technologie génétique agricole, le kibboutz spécialisé dans ce domaine m’en a demandé un prix exorbitant (un million $). J’ai refusé. Une semaine plus tard, le chef des ingénieurs m'a téléphoné en me proposant de faire le travail demandé à titre individuel pour 100 $ seulement... Ce dernier exemple ne peut nous amener à conclure que les Palestiniens pourraient être le pont par lequel les Israéliens normaliseraient leurs relations économiques avec les Arabes - par le biais de la commercialisation des produits arabes en Israël ou la transmission des technologies et du savoir-faire israéliens dans ces pays -, mais il faut en retenir l'exemplarité. Au moins pourrons-nous tout de même remarquer que certains Palestiniens, ayant côtoyé les Israéliens pendant l'occupation, ont moins de difficultés à communiquer avec eux ou à établir avec eux des relations économiques. Cependant, les échanges économiques avec Israël restent très mal perçus par la communauté palestinienne en Egypte. Les trois cas identifiés par notre étude restent très confidentiels et deux d’entre eux ont ressenti la nécessité de garder de bonnes relations avec l'OLP (en envoyant par exemple un message d'allégeance à Yasser Arafat à travers le quotidien al-Ahrâm), de façon à contrebalancer leur relation avec l'ennemi du peuple palestinien et à bien montrer leurs préoccupations nationalistes et patriotiques. Les Palestiniens en Egypte : une quête d'identité La question de l'identité, pour les Palestiniens de l'exil, ne saurait s’appréhender comme naturelle, le processus socio-historique la métamorphosant soit pour l'étouffer, soit pour lui donner un nouvel élan. Ici, le rapport à la société d'accueil est déterminant. Les Palestiniens, y compris ceux ayant un passeport jordanien, constituent en Egypte une minorité d'environ 120,000 membres sur 60 millions d'habitants, soit moins de 0,2 % de la population. Dispersés géographiquement, ils forment selon leurs migrations et leurs origines géographiques et sociales, différents groupes ouverts et peu institutionnalisés. La présence palestinienne est diluée au Caire et dans les grandes villes du nord du pays. Son intégration sociale a été facilitée par l'homologie des structures socio-familiales palestiniennes et égyptiennes, réduisant les relations conflictuelles et l'ethnicisation des rapports sociaux. Par ailleurs, de nombreux Palestiniens marqués par l'exode ont volontairement joué la carte de l'intégration, alors que les représentations véhiculées par le nationalisme arabe brouillaient leurs repères. Il est très rare que nos interlocuteurs désignent un nombre d’amis exclusivement palestiniens et qu’ils distinguent, dans leur choix amicaux, Egyptiens et Palestiniens ; la plupart y sont indifférents. Nous pouvons également noter que la majeure partie des patrons palestiniens ne s’intéressent pas à la nationalité de leurs employés lors de leur embauche. Cependant, intégration ne signifie pas assimilation. Lorsqu'il s'agit de mariage, l'origine palestinienne du conjoint l’emporte largement, ce qui montre une certaine résistance à l'assimilation. Ici les explications divergent : les uns affirment préférer épouser un(e) Palestinien(ne), tandis que les autres considèrent que c'est l'Egyptien(ne) qui n'aime pas épouser un(e) étranger(ère) . Il est vrai que le caractère amène du peuple égyptien a beaucoup aidé les Palestiniens à s'intégrer, mais certains facteurs ont eu des effets contraires. Les Palestiniens demeurent toujours soumis à des aléas politiques et à leur concrétisation juridique. À partir des années soixante-dix, des mesures discriminatoires consécutives à la dégradation des relations entre l'Egypte et l'OLP ont altéré leur statut, les reléguant dans une marginalité socio-économique certaine. Bénéficiant jusqu'alors de la plupart des droits des nationaux - accès à la fonction publique, à la quasi-gratuité de l'école publique et de l'enseignement supérieur, etc.ils sont redevenus desétrangers, leur intégration s'est trouvée remise en cause. Ainsi, entre marginalité et intégration, une identité palestinienne surgit, certes faible, comparée à celle existant dans les monarchies de Golfe. Il est frappant de constater que parmi nos interlocuteurs, beaucoup ont un nom dont la signification est liée à la question palestinienne : Nidal, Kifah, Jihad (lutte), 'A'd, 'A'da (retourné), 'Awda (retour), Tahrir (libération), Istishhad (martyr), Tha'r (révolutionnaire), Fida' (sacrifice), etc. Depuis le déclenchement du processus de paix, beaucoup de rumeurs circulent sur la possibilité du retour des réfugiés palestiniens de 1967 dans les Territoires autonomes, d'une compensation pour ceux de 1948 ou d'une réinstallation (tawtîn). Cependant, l'inquiétude s’est emparée de la communauté palestinienne depuis que les autorités égyptiennes ont rendu officiels les chiffres de ce qu'elles ont appelé un recensement des Palestiniens en Egypte : nos interlocuteurs m’ont posé beaucoup de questions sur la finalité de notre recherche sur la diaspora44. Les grandes puissances sont soupçonnées de vouloir décider du sort des réfugiés sans les consulter. Le discours sur le retour est extrêmement ambigu. Ici, également, un écart se manifeste 44.La même observation a été faite par le responsable d’une enquête de l'Unicef axée sur l'enfance et la maternité, menée en hiver 1995 auprès de la population palestinienne du Caire. entre les réfugiés de 1948 et les individus originaires de Gaza. Les premiers ont très peu manifesté le désir de s'exiler à nouveau dans des territoires, certes palestiniens, mais loin de leur terre spoliée, alors que près de 60 % des réfugiés de Gaza nous ont confié leur intérêt à retourner dans leur ville d'origine. En les interrogeant sur leurs projets, je me suis rendu compte qu’ils attendaient que la situation politique et économique se stabilise avant de retourner définitivement dans les Territoires autonomes et occupés. Reste à dire que le retour par le biais du regroupement familial est jusqu'à présent très délicat et dans les mains des Israéliens. Pourtant, des Palestiniens résidant en Egypte sont partis à Gaza munis d’un visa de visiteur dans l'intention d'y rester définitivement et refusent de repartir. Selon Barakat al-Farra, le conseiller économique de l'ambassade de Palestine au Caire, près de 10 Palestiniens ont définitivement quitté l'Egypte pour gagner Gaza. CHAPITRE III LES HOMMES D'AFFAIRES PALESTINIENS EN SYRIE “ La Palestine n'est pas un sac de voyage et les Palestiniens ne sont pas des voyageurs. “ C'est la fameuse image que donne le poète Mahmoud Darwich du rêve des Palestiniens de l'extérieur et que les réfugiés au Proche-Orient gardent toujours à l'esprit. L'attente du retour qui tarde dicte un état d'esprit généralisé, une “ psychologie du temporaire “, un sentiment d'être “ toujours de passage “, comme le note Elias Sanbar (1989, p.73 ). Ce qui frappe en menant l'enquête sur les Palestiniens de Syrie, c'est qu'en dépit de leur intégration dans la société syrienne, ils demeurent dans cette sphère psychique. En fait, chaque peuple dans sa dispersion continue de vivre une histoire en partie commune - dans son actualité ou ses ressources patrimonialeset en partie marquée par le devenir propre des sociétés hôtes. Etant donné que les Palestiniens de Syrie n'échappent pas à cette règle, des questions surgissent sur la part de l'identité commune au peuple palestinien, et celle qui appartient aux jeux d'identités collectives et différentielles au sein de la société syrienne. Nous verrons ici comment les Palestiniens de Syrie ont développé et gardé leur identité, et comment cette dernière dépend de leur position dans l’échelle sociale et au sein de la société syrienne. La présence palestinienne en Syrie La grosse vague des réfugiés palestiniens en Syrie s'est produite en 1948, en provenance essentiellement de Safad, Haïfa, Tiberiade et leurs environs. En 1949, ils étaient 75000 . Le calme qui régnait en Syrie, par rapport aux autres pays arabes, a favorisé leur accueil. D'o une deuxième vague d’arrivants après Septembre Noir en 1970 en Jordanie, o quelques milliers de Palestiniens engagés dans la résistance, ainsi que leur famille, furent déplacés vers la Syrie. Puis l'invasion israélienne de 1982 provoqua un nouvel exode, surtout après la chute de Beyrouth. Enfin, une dernière vague s'est constituée à la suite de la deuxième guerre du Golfe, composée de Palestiniens immigrés dans les monarchies pétrolières et notamment au Koweit. Dès l'arrivée de la première vague en 1948, des camps ont été implantés dans les principales villes syriennes (Damas, Alep, Homs, Lattaquié, Dar'aa). Avec l'aide du gouvernement syrien, l'UNRWA a prodigué des secours et acheté des terres pour ensuite les distribuer à des familles palestiniennes. La construction de maisons en dur a vu le jour progressivement. Les Palestiniens enregistrés à l'UNRWA45 ont perçu jusqu'à 1985 des rations alimentaires (surtout de la farine)46. Mais en général, les services de l'UNRWA se 45. Pour l'UNRWA et selon la définition établie en 1954, un réfugié palestinien ‘ est une personne qui a eu sa résidence habituelle en Palestine pendant deux ans au moins avant le conflit de 1948 et qui, en raison de ce conflit, a perdu à la fois son foyer et ses moyens d'existence, et a trouvé refuge, en 1948, dans l'un des pays o l'UNRWA assure des secours. Ceux qui répondent à cette définition et leurs descendants directs ont droit à l'aide de l'Office s'ils sont dans le besoin et s'ils sont enregistrés auprès de l'UNRWA et vivent dans une des concentrent sur le domaine éducatif - écoles primaires et secondaires ainsi qu’un institut de formation professionnelle et technique (VTC) - ou sur le domaine de la santé (assurance maladie). Des rumeurs concernant un éventuel désengagement de l'UNRWA en Syrie se répandent actuellement. En 1986, les réfugiés palestiniens en Syrie sont au nombre de 276 18347. Un chiffre plus récent avancé par l'UNRWA en 1992, concernant les réfugiés immatriculés, s'élève à 229 207 mais ne tient pas compte des non-inscrits dans les registres de l'agence. En effet, les absents lors du recensement de l'UNRWA ou les fonctionnaires de l'Etat syrien n'ont pas été comptabilisés. Or, ces chiffres représentent une réalité sous-évaluée si l'on considère la croissance démographique et les bouleversements occasionnés par l'invasion israélienne48 et la guerre du Golfe. Selon le Commissariat des réfugiés palestiniens du ministère syrien des Affaires sociales et du Travail, le nombre des réfugiés palestiniens en Syrie à la fin de 1994 s'élève à 329878 personnes réparties dans les grandes villes syriennes, mais surtout à Damas (67 %). Une bonne partie d'entre eux49 résident dans les dix camps fortement urbanisés. Ces camps se situant à la périphérie des villes, on y trouve également des représentants de la classe populaire syrienne. Leur gestion est à la charge des autorités syriennes, bien que certains groupes politiques palestiniens y jouent un rôle. En fait, la présence de ces derniers est tolérée sans qu'ils puissent pour autant exercer d'activités militaires. Identité et statut On trouve en Syrie quatre types de réfugiés palestiniens : 1. La majeure partie des Palestiniens de Syrie sont issus de l'exode de 1948. Ils sont détenteurs d'une “ carte d'identité temporaire “ (bien qu'elle soit en réalité illimitée) et d'un document de voyage délivrés par l'Office des réfugiés palestiniens attaché au ministère de l'Intérieur, portant la mention “ réfugié palestinien" ou “nationalité : palestinienne ». Les conditions d'obtention de ces documents ainsi que le visa de sortie sont les mêmes que pour les Syriens. Les Palestiniens ayant ce genre de statut n'ont pas besoin de visa d'entrée quel que soit le temps de séjour à l'étranger. Ce point est très important : il permet à ceux travaillant dans le Golfe ou ailleurs de trouver une terre d'accueil à la fin de leur contrat. Ce n'est pas le cas pour les Palestiniens résidant en Egypte ou dans les monarchies du Golfe et s'absentant plus de six mois. 2. Ceux qui ont émigré en Syrie à la suite de la guerre civile libanaise, ont obtenu les mêmes documents (avec les mêmes conditions) que les précédents, mais avec un statut spécifique : ils ne font ni service militaire, ni service civil (comme c'est le cas des ingénieurs ou médecins diplômés des universités syriennes). 3. Ceux qui sont déjà porteurs d’un laissez-passer égyptien ou libanais sont considérés comme des étrangers qui doivent renouveler annuellement leur carte de séjour après un long interrogatoire dans les services de la Sûreté générale. Si tous les Arabes bénéficient de l'idéologie nationaliste du régime syrien, qui leur permet d'entrer en Syrie sans visa et leur délivre facilement un permis de séjour et de travail, cela n’est pas le cas pour les Palestiniens ayant un laissez-passer libanais. On les zones o elle opère : Liban, Jordanie, Syrie et, depuis 1967, la bande de Gaza et la Cisjordanie occupées (B. Destremau, 1993, p. 37). 46. Avant 1975, les rations comprenaient de la farine, du savon et de l'huile. 47. Annuaire statistique palestinien de 1986, Bureau central de statistique palestinienne, Damas. Mais ici la marge d'incertitude est importante. 48. Une partie des Palestiniens réfugiés en Syrie et venant du Liban n’a pas été enregistrée. 49. Le nombre de ceux qui sont immatriculés est estimé par l'UNRWA à 87 807 (B. Destremau, 1993, p. 40). laisse parfois entrer avec un visa de transit de trois jours, non renouvelable, comme ce fut le cas lors de la fermeture de l'aéroport de Beyrouth. Cette situation pose d'énormes problèmes si l’on considère les liens familiaux très étroits existant entre les Palestiniens de Syrie et ceux du Liban. 4. Les Palestiniens engagés dans la résistance, ainsi que leur famille, ont vu leur résidence tolérée de facto. Cependant, à la suite de la détérioration des relations entre l'OLP et les autorités syriennes et l'expulsion des agents du Fatah de 1983 à 1990, tout Palestinien venant d'un pays o les forces militaires palestiniennes séjournent (Tunisie, Yémen, Algérie, Soudan) subit un interrogatoire et risque l'expulsion ou la prison si ses liens avec l'OLP sont confirmés. Suivant les recommandations de la Ligue arabe en faveur du maintien de la nationalité palestinienne des réfugiés, la Syrie ne leur accorde pas la nationalité syrienne, sauf dans le cas o une femme palestinienne épouse un Syrien, ou à de rares personnalités palestiniennes appartenant au groupe Saïqa50. La Syrie interdit aux Palestiniens ayant une résidence permanente dans ce pays de rendre visite à leur famille en Israël ou dans les Territoires occupés. De même, les Palestiniens ayant un passeport israélien ne peuvent rentrer en Syrie. Les contacts familiaux se font dans un pays tiers. Le système intégrateur syrien Sous la direction du parti Baath nationaliste arabe, la Syrie a attaché une importance particulière à l'intégration des Palestiniens dans la société syrienne. Ils y jouissent des mêmes droits et devoirs que les citoyens syriens. Ils ont une carte de résident permanent qui leur permet de postuler pour un emploi aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public. Les écoles et universités leur sont ouvertes. Ils font le même service militaire, durant deux ans, mais dans une armée spéciale dite “ Armée de libération de la Palestine “51, à l'exception d'un certain nombre d'ingénieurs et de médecins qui le font dans l'armée syrienne. Cependant, certains droits civiques ne sont pas reconnus aux Palestiniens comme le droit de vote et l'éligibilité. En outre, ils n'ont théoriquement pas le droit de posséder une propriété rurale ou plus d'un appartement, dans le but officiel de ne pas les enraciner définitivement dans la société d'accueil, mais ceci est contourné par la pratique des prête-noms. Un certain nombre de préjugés et de stéréotypes régit les relations entre Syriens et Palestiniens (comme il en existe d'ailleurs entre les Syriens des différentes régions de Syrie), relations caractérisées par le système de 'asabiyya, le fameux concept d'Ibn-Khaldn, forme de solidarité et d'alliance à l'intérieur d'une tribu, confession ou région qui n'implique a priori aucune hostilité envers les autres. À titre d'exemple, certaines familles damascènes sont réticentes à tout mariage avec un membre de la communauté palestinienne, de même qu'avec quelqu’un de Lattaquié ou de Dar'aa. Quelques-uns de nos interlocuteurs se plaignent d’une certaine “ xénophobie “ à leur égard, comme cet entrepreneur qui impute l'échec partiel de ses affaires au fait qu'il soit Palestinien : “ Je suis le plus ancien fabricant de chemises et le plus ancien commerçant de gros du souk al-Hariqa, et pourtant, la plupart de mes clients ne sont que des ruraux. Les citadins préfèrent acheter à un Juif plutôt qu’à un Palestinien. “ Cela dit, la xénophobie à l'égard des Palestiniens reste très marginale en Syrie. 50. Le Saïqa est un mouvement pro-syrien qui fut une composante de l'OLP avant 1983, date à laquelle certaines organisations palestiniennes (FPLP, FDLP, Saïqa, etc.) ont fondé le Front du salut palestinien : une sorte d'OLP bis, soutenu par l'autorité syrienne, mais dont le poids est extrêmement faible. 51. C'est une armée commandée, au même titre que l'armée syrienne, par le ministère de la Défense. Si la société syrienne a intégré les Palestiniens, il ne s'agit cependant pas d'une assimilation totale. Elle n'entraîne notamment pas le sentiment d'être Syrien, comme l'indiquent certains de nos interlocuteurs : “ Bien que je sois marié à une Syrienne et que je n'aie jamais habité dans un camp de réfugiés, je ne me sens pas Syrien ; eux, de leur côté, ne me considèrent pas comme tel. (..) Tant que j'ai un misérable document de voyage qui m'empêche d'aller suivre les expositions industrielles et commerciales en Europe, comme les hommes d'affaires syriens, je ne peux pas me sentir Syrien.” Quarante-sept ans après la ‘catastrophe’, vingt-huit ans après l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza, treize ans après le massacre de Sabra et Chatila..., les camps palestiniens commémorent encore tous ces événements. La voix grave et lente des orateurs rythme les cérémonies du souvenir. Partout dans les camps, les signes de la souffrance palestinienne sont perceptibles. Les photos des martyrs couvrent les murs. Des banderoles rappellent les grands principes de la révolution palestinienne. Les noms des rues, des épiceries, ainsi que les marques de certains produits sont empruntés à des noms de villes et de villages palestiniens. Même les jeunes qui n'ont pas grandi à l'ombre de l'exode savent dans quel quartier exactement leurs parents sont nés. Cela est avant tout le reflet d'une communauté en quête d'identité et qui résiste à l'assimilation. Eléments de la situation économique des Palestiniens de Syrie La moyenne mensuelle des ressources d'une famille palestinienne est de 3620 livres syriennes52, c'est-à-dire 532 LS par personne, sur la base d'une famille moyenne de 6,8 membres. Ce revenu ne couvre pas les besoins élémentaires et le niveau de vie des Palestiniens est inférieur à celui des Syriens53. Les ressources des Palestiniens varient selon le camp o ils résident : de celui de Yarmouk, considéré comme “ bourgeois “, à celui de Dar'aa, le plus démuni, on peut diviser les camps palestiniens en quatre catégories en fonction du niveau de vie des résidents : niveau élevé54 (plus de 635 LS), Yarmouk ; niveau relativement élevé (524-511 LS), Homs et Lattaquié ; niveau moyen (467-447 LS), Khan Danoun, al-Sayyda Seinab, al-Nirab et Hama ; niveau bas (410-344 LS), Khan al-Chih, Jaramana, al-Sbéna et Dar'aa55. Les Palestiniens jouissent de deux sources d'enrichissement dont la première est inaccessible aux Syriens. Tout d'abord, le système d'épargne de l'UNRWA, qui permet aux fonctionnaires de cette Agence56 d'épargner tout ou partie de leur salaire pour le récupérer ensuite, majoré d'intérêts en dollars. De plus, cette épargne n'est pas soumise au taux de change officiel, très désavantageux. Une partie de nos interlocuteurs enseignaient et, après avoir touché leur retraite en dollars, se sont lancés dans les affaires. La seconde source provient de l'argent envoyé par les émigrés des pays du Golfe. 52. Ce chiffre et ceux qui vont suivre, sauf indication contraire, sont issus d'un recensement des ressources et de la consommation des familles palestiniennes résidant dans les camps syriens en 1986 (Ahmad Yones, 1989, p. 5). 53. Nous comparons la situation des Palestiniens à celle des citadins syriens et non pas à tous les Syriens puisque la plupart des Palestiniens vivent dans les villes. Leurs ressources sont, par contre, supérieures à celles des ruraux syriens. 54. La comparaison se fait toujours par rapport aux autres camps palestiniens en Syrie. 55. Il faut relativiser ces chiffres, étant donné qu'ils ne tiennent pas compte des revenus non déclarés provenant de l'économie souterraine qui constituent un ballon d'oxygène pour de nombreuses familles. 56. Les fonctionnaires sont souvent des Palestiniens qui enseignent dans les écoles de l'UNRWA. Une communauté d'affaires bien intégrée D'après les résultats de l'étude sur les ressources et la consommation des familles en 1986, la population palestinienne active s'oriente davantage vers l'industrie (27 % de la population active) et les services (21,2 %) que vers le commerce (5,8 %) ou l'agriculture (2,4 %) (Hamed Mustafa Abu-Jamra, 1989, p. 16). Cependant, cette orientation ne reflète pas, d'après notre échantillon, celle des hommes d'affaires qui se dirigent surtout vers le commerce et l'industrie. Leurs affaires étaient prospères bien avant l'ouverture économique du début des années quatre-vingt-dix. Ils investissent surtout dans l'industrie textile. Par exemple, la plus grande usine syrienne de fabrication de chaussettes est la propriété d'un Palestinien, M. Jabr. Dans le domaine du prêt-à-porter, on trouve des Palestiniens parmi les commerçants les plus connus et les plus anciens des souks d'al-Hamadiyya (Fraige) et al-Salhiyya (Assia) à Damas. Les mesures économiques donnent naissance à plusieurs joint venture. Nous sommes dans une phase o la compétitivité des produit sur les marchés local, arabe et international est recherchée. 'Awad 'Amra, entrepreneur palestinien, possède les plus importantes usines du Proche-Orient en matière de fabrication d'huile pour moteurs et d'aluminium industriel. Cet entrepreneur gère de façon moderne ses entreprises : “ batterie “ de secrétaires qui organisent son emploi du temps, équipe de cadres, d’ingénieurs sélectionnés pour leur compétence et rémunérés 5 à 7 fois plus que leurs collègues du secteur public, site doté d'infrastructures sportives pour les employés, etc. Cependant, le cas d'Amra reste exceptionnel. Les entrepreneurs palestiniens évitent, comme leurs collègues syriens, de se lancer dans de grands projets industriels. Ils préfèrent commencer par des projets de promotion immobilière (rentabilité maximum en un minimum de temps) et par le commerce. Car, à l'image de l'économie rentière, les mesures économiques promulguées par les autorités syriennes ont encouragé les entrepreneurs à se diriger vers des activités “ improductives “ à rentabilité rapide comme les transports, l'immobilier, la construction, etc. (Sari Hanafi, 1997) L'austérité des parcours des entrepreneurs palestiniens est frappante. La plupart d'entre eux sont des self-made-men d'origine très modeste. Ils sont arrivés en Syrie en 1948 les mains vides et ont commencé leur vie professionnelle comme simples ouvriers pour entamer ensuite une ascension sociale et économique très graduelle : chef d'équipe, contremaître, associé d’une petite entreprise, etc. Nos interlocuteurs ont évoqué la précarité et la difficulté de leur travail avant la naissance de leur affaire : vendeur à la sauvette, ouvrier dans le textile, dans la confection, etc. On peut cependant relever quelques exceptions. Certains ont apporté de Palestine un capital (Ghiyath Sa'd al-Din) ou un savoir-faire (La famille Issa) ou les deux (Issa Fraige). Ce côté “ parti de rien “, chez les entrepreneurs, peut expliquer en partie leur comportement plutôt discret. Ils évitent d'étaler leur fortune, accordent peu d'importance aux signes extérieurs de richesse ou aux dépenses ostentatoires. On peut noter la régularité des activités des hommes d’affaires palestiniens et leur respect de la législation. Ils répètent sans cesse que la réussite et les bénéfices ne peuvent se justifier qu'en fonction du labeur prodigué. Leur marge de maneuvre est de toute façon objectivement limitée dans le système économique syrien, o la solidarité régionale et les réseaux politiques revêtent une extrême importance. Ceci dit, on trouve des cas d'entrepreneurs s'appuyant sur des réseaux clientélistes, y compris en s'alliant à la bureaucratie syrienne. Mais ils restent dans ce domaine moins doués que leurs homologues syriens57, plus enracinés dans les rouages du système politique et économique. Une autre caractéristique propre aux activités palestiniennes en Syrie est qu'elles sont peu ouvertes aux marchés arabes. C'est d'ailleurs ce qui distingue les Palestiniens de leurs homologues syriens. En effet, nos interlocuteurs se sont souvent plaints des problèmes posés par leur document de voyage. Obtenir un visa pour la Jordanie, la proche voisine de la Syrie, demande au moins deux mois, s'il n'est pas refusé. Quant aux pétro-monarchies du Golfe, elles n'accordaient quasiment pas de visa aux Palestiniens n'ayant pas de contrat de travail, avant même la deuxième guerre du Golfe. C'est pourquoi la plupart des grands entrepreneurs possèdent des passeports syriens délivrés à titre exceptionnel pour suivre leurs affaires en dehors de la Syrie. Un entrepreneur nous a rapporté qu'il avait embauché un Syrien spécialement pour aller chercher les pièces détachées au Liban depuis que ce pays refuse aux Palestiniens l’accès à son territoire. Craignant de ne pouvoir se déplacer, un autre entrepreneur vend ses produits de confection aux pays du Golfe à travers des intermédiaires arabes. La plupart des Palestiniens interrogés ont indiqué qu'ils ont de la famille dans tous les pays arabes, surtout au Liban, en Jordanie et dans les monarchies du Golfe. Certains ont déjà envisagé la possibilité d'élargir leur marché là o leurs proches résident. Quoi qu'il en soit, ces projets se heurtent toujours à la difficulté de l’obtention d’un visa. Jusqu'à présent, la dispersion des membres des familles palestiniennes, qui aurait pu représenter un atout dans une dynamique d'échanges commerciaux dans la région, ne peut jouer son rôle en raison des barrières douanières et administratives. Après la crise du Golfe, on assiste à un nouvel exode de Palestiniens vers la Syrie. Une partie d'entre eux, après avoir récupéré leur argent du Koweit, ont lancé des projets de petite ou moyenne importance, souvent dans l'immobilier ou le commerce, rarement dans l'industrie. Les hommes d'affaires dans une perspective de paix : “ wait and see “ Depuis l'amorce du processus de paix entre Arabes et Israéliens, l'avenir de la diaspora palestinienne et son rôle économique et politique font l'objet d'interrogations nouvelles. Des facteurs subjectifs liés à la volonté des acteurs de participer à la construction des Territoires autonomes se mêlent à des facteurs objectifs, de nature juridique et politique. Autrement dit, le retour des entrepreneurs palestiniens ou leurs investissements sont inséparables de la capacité des négociateurs palestiniens à assurer une base “ étatique “ fiable et favorable à l'instauration d'une structure économique nationale. La population palestinienne de Syrie et notamment les entrepreneurs sont très sceptiques vis-à-vis de l'accord de paix israélo-palestinien. Ils doutent d'un processus de paix qui remet en cause, selon eux, la certitude de la victoire et du retour dans laquelle ils ont grandi. Le grand sablier du rêve est brisé. On peut avancer deux explications à cette attitude : d'abord, bien que les Palestiniens de la diaspora comptent pour les deux tiers (deux millions de personnes) du peuple palestinien, ils se sentent les laissés-pour-compte d'un accord qui ne prévoit dans la troisième étape qu'une possibilité de négociation pour les réfugiés. Même s'ils ne veulent pas rejoindre la portion libérée de la Palestine, ils espéraient que la Palestine deviendrait 57. Voir à cet égard Joseph Bahout (1992). pour eux ce qu'Israël représente pour les Juifs dispersés. Ensuite, étant donné que la société syrienne a intégré les Palestiniens, leur besoin matériel d'une patrie s'amenuise. À cela, on peut ajouter le fait qu'ils peuvent difficilement échapper à la “ culture de confrontation “ dont ils sont imprégnés depuis longtemps, davantage du fait de leur éducation syrienne que de l'OLP. Depuis l'expulsion de ses cadres en 1982, les Palestiniens résidant en Syrie ont en effet très peu de relations avec leur organisation. Ils ne jouissent pas des services qu'elle offre par exemple aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. À propos de l'éventuelle normalisation des relations politiques et économiques entre les pays arabes et Israël, sous-tendue par la notion de paix totale telle que définie par les Américains et les Israéliens, les entrepreneurs expriment un refus, plus par “ phobie obsessionnelle “ de la normalisation, pour reprendre l'expression de Ghassan Salamé, qu'à la suite d'une réflexion sereine. Ils imaginent un dumping des produits israéliens sur les marchés arabes. Les entrepreneurs interrogés se sont rarement montrés enthousiastes pour investir dans les zones autonomes, et encore moins pour s'y installer. Si la marge de maneuvre des petits entrepreneurs est réduite, étant donné qu'ils n'ont pas de capitaux disponibles et que, disent-ils, tout leur argent circule, celles des moyens et grands entrepreneurs est illimitée. À nos questions sur ce point ils apportent divers arguments d'ordre politique et économique : “Le traité de paix est extrêmement ambigu et n'offre aucune garantie pour que nous investissions en Cisjordanie et à Gaza. (...) On n'a pas d'autorité politique palestinienne pour nous défendre, ni de garantie internationale. Ce qui est offert aux Palestiniens jusqu'à maintenant, c'est une sorte de pouvoir municipal. Je ne suis pas sr que la droite israélienne, si elle arrive au pouvoir, ne remette pas en cause le traité et, par conséquent, confisque nos biens". 58 “ Moi, je suis de Haïfa. Qu'est-ce que vous voulez que j'aille faire à Gaza ? Pour y être à nouveau un réfugié ? De plus, je n'y connais personne. Par contre, cela fait 46 ans que je vis en Syrie. Je connais tout le monde, et surtout, je connais le système. J'ai supporté toutes ces années d'austérité en Syrie avant l'infitâh, je ne peux pas maintenant subir à nouveau une situation dont j'ignore l'issue. Mes affaires marchent bien ici, et le capital est, disons, lâche ةJ'ai peur d'aller l'investir n'importe o . “59 “ Yasser Arafat est un traître, il a tout cédé aux Israéliens sans pour autant assurer ne serait-ce qu’une autonomie pour les Territoires occupés. (...) Je ne veux pas investir mon argent là-bas avant qu'il y ait un Etat palestinien indépendant. “60 “ J'ai 64 ans, ce n'est pas à cet âge que je vais m'aventurer ; sauf s'il s'agit de retourner dans ma ville natale, Jaffa. (..) Mes fils et filles sont nés ici et ne connaissent que ce pays. “61 Il est inutile de commenter des propos suffisamment explicites, mais nous devons revenir sur une phrase souvent répétée : “ Le capital est lâche “. Ce manque d'audace n'est pas inné ; il ne traduit d'ailleurs pas seulement la psychose des entrepreneurs palestiniens qui ont vécu dans un système économique marqué par l'incertitude, mais reflète, pour certains d'entre eux, un calcul économique prudent. Au-delà de l'instabilité politique des Territoires occupés, ces régions sont considérées comme difficiles à explorer car elles manquent des infra-structures économiques nécessaires au lancement des affaires. De plus, les hommes d'affaires palestiniens en Syrie, comparés à leurs collègues dans d'autres pays de la diaspora, ont la plupart du 58. Entretien avec un commerçant du souk d'al-Hariqa. 59. Entretien avec un patron des usines d'industrie textile. 60. Entretien avec le patron d'un complexe de produits laitiers. 61. Entretien avec un commerçant de gros de produits pharmaceutiques. temps des affaires de taille moyenne et elles se concentrent dans un seul pays, ce qui réduit leur marge de manœuvre. Cependant, nous avons trouvé un cas de figure exceptionnel mais qui mérite d'être mentionné. H. al-Safori, jeune entrepreneur, voit dans la situation de ces territoires “ une occasion unique “ à saisir : “ N'importe quel investissement devrait marcher sur une terre vierge sans structure économique. “ Il faut noter que cet entrepreneur est déjà allé en Jordanie pour étudier avec des hommes d'affaires palestiniens et jordaniens les potentialités du marché des Territoires occupés. Il a même rencontré S. al-Fakhori, un grand banquier palestinien, pour envisager avec lui la possibilité d'y monter une usine de fabrication de papier. Politiquement, il est très favorable au processus de paix entamé par l'OLP. Quand nous évoquons les avantages du nouveau contexte pour les investisseurs (à savoir un système plutôt libéral dans lequel le quasi-Etat que représente l'OLP se montre désengagé économiquement), une bonne partie des entrepreneurs interrogés expriment leur satisfaction. Mais ils ne veulent pas prendre le risque d'être des pionniers. Si les Palestiniens sont sceptiques sur l'accord entre l'OLP et Israël, ils croient moins encore à une détente inter-arabe. Pour cette raison, ils n'envisagent pas à moyen terme d'utiliser leurs liens familiaux pour accroitre leur champ d'action économique ou leurs marchés. Conclusion Une boutade échangée entre un Palestinien de Syrie et un Palestinien des Territoires occupés, au début des années quatre-vingt, nous révèle ce classement des Palestiniens en fonction de leur degré de patriotisme : Palestiniens des Territoires occupés, du Liban, de Jordanie, d'Egypte, de Syrie, puis des pétromonarchies et de l'Amérique. Mettre les Palestiniens de Syrie à l'avant-dernier rang dans l'échelle du patriotisme est révélateur de la manière dont leurs frères de sang les considèrent. Sans doute le classement se réfère-t-il au degré de participation à la lutte nationale et aux souffrances qui en découlent (répression israélienne, répression jordanienne lors de Septembre Noir, guerre civile et invasion israélienne au Liban, sanctions égyptiennes à la suite de Camp David, etc.), mais il se réfère aussi au degré d'intégration dans la société d'accueil. On se moque de la passivité et de la tranquillité de la population palestinienne de Syrie, du caractère bourgeois du fameux camp de Yarmouk et de l'influence de la Syrie sur la cuisine, l'accent et le mode de vie des Palestiniens qui y résident. Si l’on admet que ces derniers sont ceux qui ont le plus vécu dans des conditions “ normales “, proches de celles de la population hôte, peut-on réellement parler de “ manque de patriotisme “ à leur propos, au regard des événements des deux dernières décennies : la scission au sein du Fatah provoquant l'expulsion des agents de l'OLP et l'emprisonnement de 5000 Palestiniens de Syrie accusés d’avoir des relations avec la centrale palestinienne, et ce pendant dix ans (de 1983 à 1993). De même, que dire de leurs frères vivant dans les pétromonarchies et contraints de tout abandonner après la guerre du Golfe ? Le bouillonnement des activités politiques palestiniennes dans les camps de réfugiés, surtout depuis la signature des accords de paix israélo-palestiniens, traduit sans doute l'aspiration d'une communauté qui se cherche et se redécouvre et qui résiste aux tentations de l'assimilation au sein de la population syrienne. Les Palestiniens de Syrie sont plutôt indifférents au processus de paix et d'autonomie d'une toute petite partie des Territoires. Ils ne pensent guère aux conséquences possibles de la reconnaissance israélienne et internationale de leur identité politique. Ils ne ressentent pas comme un devoir “ patriotique “ le retour ou l'investissement dans les jeunes Territoires autonomes. La communauté palestinienne de Syrie nous semble, à cet égard, très singulière par rapport aux autres composantes de la diaspora, car, comme nous l'avons évoqué précédemment, elle est bien intégrée dans la société syrienne. Cependant, les hommes d’affaires ne sont pas tant sceptiques envers le principe d'une paix avec Israël, qu'envers les résultats très mitigés des accords de paix signés à Washington et au Caire. Ainsi, il est tout à fait possible qu'un changement survienne dans leur attitude une fois qu’un accord se sera mis en place entre Israël et la Syrie, et qu’Israël permettra à l’Autorité palestinienne d’ériger un Etat indépendant. Ce développement, néanmoins, ne se fera pas de façon mécanique. Il est fonction des éventuels efforts que l’OLP déploiera envers les Palestiniens de l'extérieur qui pour certains, particulièrement au Liban, constituent une masse déshéritée et un fertile “ réservoir à extrémistes “. CHAPITRE IV L'ECONOMIE PALESTINIENNE DISPERSEE Internationalisation et recentrage Le choix d'une activité économique particulière et le produit de celle-ci -taille, croissance, performanceune minorit'par les ressortissants d -é ethnique sont volontiers présentés comme le résultat d'un jeu entre des ressources ethniques et un milieu donné, favorable ou non. On entend par “ressources ethniques”'d-la main eles comp ,les relations ,les capitaux ,uvreétences et la clientèle du groupe ethnique auxquels les hommes d‘affaires de la même communauté ont un accès privilégié et préférentiel (Jones & McEvoy, 1992, p.107). Or, il est très difficile de parler d'un seul type d'orientation économique en ce qui concerne les Palestiniens de la diaspora. Même si l'économie palestinienne est morcelée, un type d'activité reste très répandu: les entreprises commerciales, qui concernent environ 50% des hommes d'affaires interrogés (52% en Amérique du Nord, 48% aux Emirats arabes unis et 41% en Egypte)62. La prédominance du commerce provient du fait qu‘il nécessite peu de capital de départ et n'implique pas la même stabilité que l'investissement industriel, caractérisé par le long terme (Louis Blin, 1994, p.293). Elle s‘explique également par une expansion possible des marchés qui s‘appuierait sur les réseaux palestiniens créés lors des exodes successifs. Quant aux activités industrielles, elles restent très marginales en Amérique du Nord, o l'immigration a abouti à une rupture totale avec le capital et le savoir-faire familiaux, alors qu'elles concernent 28% des hommes d‘affaires interrogés en Egypte et 14% dans les Emirats arabes unis (EAU). Dans ces deux pays, nos interlocuteurs nous ont expliqué comment, du fait de la proximité de la Palestine et des relations d'affaires déjà établies entre elle et leur lieu d'exil, ils ont pu se lancer dans des activités de type industriel. En revanche, la structuration par communauté aux Etats-Unis et au Canada a favorisé les activités de services de type ethnic business63 (26% et 21%), tandis qu'elles ne constituent qu'une faible part en Egypte (12%), plus réduite encore aux EAU (2%). Les activités agricoles n‘interviennent pas, puisque les émigrants résident principalement dans les capitales et les grandes villes. Le cas des EAU constitue une exception, puisque le secteur du bâtiment et des travaux publics y concentre 36% de l'ensemble des activités économiques, contre 5% et 7% aux Etats-Unis et en Egypte. C'est en effet le boom de la construction dans les pétro-monarchies du Golfe qui a provoqué une concentration d‘ingénieurs-entrepreneurs palestiniens (28% de notre échantillon, dont plus des deux tiers sont des ingénieurs civils). Il s‘est agi jusqu’à présent de décrire la répartition sectorielle des activités principales des hommes d'affaires, mais dans un pays comme les EAU, on assiste à une forte diversification de leurs types d'activité. En marge de l'activité principale, les gains sont utilisés dans des domaines qui nécessitent peu d'expérience, comme l'immobilier. Le mot d'ordre est de ne pas mettre “tous ses eufs dans le même panier”. C’est-à-dire de ne pas risquer tous les capitaux dans une seule activité. La 62. Nous avons dégagé ces pourcentages à partir du discours de nos interlocuteurs. La représentativité de l'échantillon ne pouvant être démontrée, les pourcentages donnés dans cette étude le sont à titre indicatif, pour comparaison. 63. Ethnic business est un concept qui est apparu dans la littérature américaine et qui désigne le fort niveau de concentration de clients membres de la communauté dont est issu le propriétaire ou responsable de l’affaire (production de biens ou de services, commerce). diversification est également spatiale, l‘investissement se faisant dans différents pays et surtout en direction de l'Amérique. En effet, la guerre du Golfe a largement fragilisé la position des Palestiniens, beaucoup plus que celle de leurs homologues originaires d'autres pays arabes, puisqu'ils ne savent souvent pas o se rendre en cas d'expulsion. Ainsi, nous pouvons parler d'un phénomène d'“entreprenariat”palestinien dont ascension sociale r'Les lignes de force de l .importance varie selon le pays'lésident dans la mobilisation d'un capital technique et scientifique et d'une expérience acquise souvent dans le secteur privé. On passe progressivement de simple employé dans une entreprise à gérant de ses propres affaires. L‘intégration est réussie avec, en plus, les motivations que procurent l'inquiétude et le besoin de s'auto-affirmer, d'exister. Dans le cas des monarchies du Golfe, le système de contrat annuel renouvelable incite les Palestiniens à créer leur propre entreprise. Il nous semble que nos interlocuteurs ont été “contraints” de travailler à leur compte, et ceci moins par appât du gain qu'après avoir été découragés par des mesures juridiques discriminatoires, peu favorables au statut de salarié, ou un marché de l'emploi peu accueillant. La présence palestinienne dans des postes importants au sein du secteur public est marginale aux Etats-Unis (4% des hommes d'affaires palestiniens-américains interrogés)64. Ayob Talhami, ingénieur de formation et chef de service à la mairie de Chicago, confirme ce difficile accès au secteur public. Il l'explique par l'impact du système de lobbies dont les Arabes-Américains ne bénéficient pas. Dans les pays du Golfe, la proportion est moindre, surtout après la politique de représailles menée contre les employés titulaires d'une des cinq nationalités jugées en faveur de l'Irak lors de la deuxième guerre du Golfe. Cette politique a presque évincé les Palestiniens des postes à responsabilité au sein des ministères et des entreprises publiques. En Egypte, notre enquête a révélé l‘absence totale d‘hommes d'affaires occupant des postes de direction dans le secteur public. Ce constat traduit un désengagement des Palestiniens par rapport au secteur public égyptien, et ceci toutes catégories confondues. Selon les statistiques de l'Administration générale du secteur de Gaza65, en 1986, 5150 fonctionnaires palestiniens, dont 950 anciennement employés dans l'administration de Gaza, ont gagné Le Caire après la guerre de 1967. D'après la CAPMAS (octobre 1993), ce chiffre serait tombé à 261 à la fin de 1992. Ils se répartiraient de la façon suivante8 : dans les ministères, 128 dans les administrations de province, 48 dans les institutions publiques et enfin 77 dans les sociétés du secteur public. Nous livrons ces chiffres tels quels, sans éléments d'explication, car les départs à la retraite et la fin de l'embauche à partir de 1978 ne suffisent pas à expliquer une diminution aussi brutale66. Notre enquête a largement confirmé l'image de self-made-men des hommes d'affaires palestiniens. En Amérique du Nord, ils sont partis de rien, sans appui familial67, pour ensuite progresser à petits pas. Les capitaux ont seulement été apportés par la vague migratoire provoquée par la deuxième guerre du Golfe (cela concerne 16% de l'ensemble de notre échantillon d‘hommes d'affaires au Canada), et sont uniquement le fruit de l‘épargne réalisée dans les pétro-monarchies du Golfe. 64. Il est vrai que le secteur public est marginal aux Etats-Unis, mais néanmoins la participation palestinienne y est très faible. 65. Il s'agit de l'administration égyptienne des réfugiés palestiniens, ancien gouvernorat militaire de Gaza transféré en Egypte en 1967. 66. Les Palestiniens n’ont pas le droit de travailler dans le secteur public depuis la promulgation de la loi 48 de 1978. Les seuls Palestiniens qui y sont autorisés sont ceux employés dans l'administration de Gaza (cf. chapitre II). 67. Ils se souviennent des difficultés auxquelles ils se sont heurtés intitialement en Amérique du Nord. Voyageant avec des sommes dérisoires (100 300 ,$ $...) ou quelques bijoux de famille, ils ont ensuite été pris en charge par des proches jusqu'à ce qu'ils obtiennent un premier emploi et un logement. Outre le capital, la plupart n'ont pas hérité d'un savoir-faire familial, le contexte économique étant tout à fait différent de celui du Proche-Orient. Comme les diasporas juives ou arméniennes, les émigrants palestiniens s'orientent vers les milieux urbains, alors que la plupart d‘entre eux sont d'origne rurale et que leurs parents travaillent le plus souvent dans le domaine agricole (métayers ou propriétaires)68. Dans le cas des pays arabes, la proximité a joué un rôle favorable à la transmission du capital (14% pour l'Egypte). Paradoxalement, dans le Golfe, pourtant plus éloigné que l'Egypte, le taux atteint 18%. Ce taux relativement élevé peut s'expliquer du fait que la communauté d'affaires est plus jeune et, ce faisant, moins affectée par l'exode, et qu‘elle a pu bénéficier du soutien de la diaspora déjà établie. Néanmoins, on peut relever ici la spécificité des hommes d'affaires palestiniens par rapport à leurs collègues locaux, dont le capital est en majeure partie transmis69. La question est donc de savoir jusqu'à quel point la "diasporisation" a affecté la reproduction sociale et empêché la perpétuation des notabilités traditionnelles. Notre enquête ne nous permet pas de répondre précisément à cette question, mais il nous semble d'emblée que, contrairement au cas des entrepreneurs locaux au Proche-Orient70, les positions traditionnelles de notoriété dans le domaine de l'économie ont été énormément affectées par la diasporisation, et que la société palestinienne n'a pas pu reproduire sa structure économique: l'élite de l'extérieur est davantage attirée par des carrières ouvertes, propres au monde moderne, et s'intègre aux nouvelles formes de méritocratie. Certes, nous pouvons trouver en Jordanie des hommes d'affaires issus de grandes familles palestiniennes d'avant 1948 comme Al Masri, Nashashibi, AlDajani, Shouman, ou en Egypte, Al Shanti, Asfour, Al Helo, Moshtaha, AlShawa, ce qui n‘est pas le cas des autres pays. Louis Blin a constaté, lors de son étude portant sur les entrepreneurs de Palestine et de Jordanie, qu‘ils ont résisté au séisme économique engendré par l'occupation israélienne et qu'un capitalisme familial s‘y perpétue. En revanche, le cas de leurs collègues de l'extérieur paraît très différent; nous avons été frappés de constater que l'origine sociale des hommes d'affaires, surtout aux Etats-Unis, est très modeste: ils sont le plus souvent issus de familles paysannes de Bitin, Beit Jala, Beit Sahour, et plus rarement originaires de grandes villes comme Jérusalem, Nablus et Hébron. La question de la distance géographique séparant le pays hôte de la Palestine semble donc jouer un rôle important dans la reproduction sociale, c‘est-à-dire que le poids de l‘héritage serait fonction de la proximité géographique. À cet égard, nous devons ajouter un autre paramètre: les difficultés qu‘ont les Palestiniens à se déplacer dans le Monde arabe les ont privés des avantages que leur conféraient leurs réseaux de parenté. Les entreprises palestiniennes demeurent en général au niveau local. Celles qui ont une portée régionale, arabe ou internationale font exception, mais elles constituent des cas de figure trop importants pour ne pas les retenir. Nous citerons Talal Abu-Ghazaleh International (TAGI), Arab Insurance Co., Agricultural material Co., Arab Bank, Consolidated Contractors Co. (CCC). Nous allons examiner plus particulièrement les deux derniers cas. 68. Un seul de nos interlocuteurs, Robin Zahran, Palestinien-Américain, actuaire de profession, a exprimé le désir, comme son père l’avait fait, de gérer une exploitation agricole. De fait, il possède une ferme de 1 000 hectares et 350 vaches. 69. Sur la bourgeoisie égyptienne, voir Malak ZAALOUK (1989), et à propos des entrepreneurs marocains, Saïd TANGEAOUI (1993). 70. Voir, à propos des entrepreneurs syriens, J. BAHOUT (1994). Arab Bank L‘Arab Bank, grande banque privée du Monde arabe, est connue pour avoir donné leur première chance aux hommes d'affaires palestiniens, notamment à ceux qui ont pris en charge les grands projets de construction des pays du Golfe, ainsi qu‘à ceux qui constituent l'épine dorsale de l'économie jordanienne. L‘Arab Bank a un capital de 1200 millions $ (1994). Elle est aux mains d'environ 3300 actionnaires arabes, dont Abdel Majid Shouman, président du conseil d'administration. Elle a été fondée par son père Abdel Hamid en 1930 à Jérusalem, avec un capital de 15000 livres égyptiennes (75000 $ de l'époque). Selon le rapport financier soumis le 30 juin 1995 à l'Assemblée générale, les bénéfices nets de la banque s‘étaient élevés à 130 millions $, tandis que ses avoirs atteignaient les 20milliards $. Avec plus de 300 branches dispersées dans les principales villes arabes et les capitales occidentales, elle constitue le premier réseau banquier arabe (voir le tableau suivant). Distribution géographique de l‘Arab Bank Group pour l‘année 1994 (%) Jordanie Avoirs tot. Prêts Dépôts Revenu Europe ExtrêmeOrient et Australie Amérique du Nord 18,2 MoyenOrient et Afrique du Nord (sauf Jordanie) 27,3 38,4 7,9 8,2 18,7 20,9 21,8 37,3 29,0 30,2 22,5 39,5 34,3 16,3 3,8 8,2 5,2 6,8 5,5 Consolidated Contractors Co. Consolidated Contractors Co. (CCC) est une entreprise géante, à l'avant-garde de l'industrie de construction internationale. Le groupe emploie environ 25000 personnes et a réalisé en 1994 un chiffre d‘affaires de 1525 millions $. Même pendant la période de récession qu‘a subie le marché moyen-oriental, CCC a conservé et développé des aptitudes professionnelles de gestion et de technologie qui sont à l‘origine de son succès. Tous les efforts ont été déployés pour rester en tête, soit par le développement interne soit par l‘acquisition. Le siège social est basé à Athènes, près des capitales européennes, entre l'Asie et les pays occidentaux industrialisés. L'organisation du groupe propose ses services en matières d‘expertise, d‘ingénierie, d‘estimation, d‘études de faisabilité, d‘informatisation, de financement de projets ainsi que dans les domaines juridique et administratif pour des projets situés dans divers pays. La base des opérations de CCC au Proche-Orient a été récemment étendue à l‘Afrique du Nord et de l'Ouest ainsi qu'aux Etats-Unis. La libéralisation politique et économique des pays de l'Europe de l'Est, ainsi que l'amélioration des relations entre les grandes puissances, a permis à CCC d'envisager avec optimisme son expansion géographique et son développement technique hors de ses frontières actuelles. Les origines de CCC remontent à 1952 lorsque trois jeunes entrepreneurs talentueux, Kamal Abdel Rahman, Hassib Sabbagh et Said Khoury, regroupent leurs forces dans le but de créer l'une des premières sociétés arabes de construction. Deux de ces fondateurs dirigent actuellement le groupe, Sabbagh est directeur du conseil d'administration et Khoury président. C'est à Aden, en ex-Yémen socialiste, que CCC a exécuté son premier projet. Les années soixante-dix marquent la plus grande période de croissance interne, économique et industrielle dans l'histoire du ProcheOrient. À cette époque, CCC a déjà une réputation enviable et est invité à participer à la création de nombreux projets d'infrastructures primordiaux qui vont transformer la région. Les positions des hommes d'affaires à l'égard des accords d'Oslo La position des hommes d'affaires palestiniens de l'extérieur à l'égard des accords de paix israélo-palestiniens varient en fonction des trajectoires historiques, des positions socio-économiques et de la taille relative des communautés émigrées. Elles sont également fonction des liens conservés avec ceux de Palestine ou du Proche-Orient, de la position politique officielle du pays d'accueil et de ses rapports avec l‘OLP. En Syrie, la plupart des Palestiniens sont issus de l'exode de 1948 et, par conséquent, n'ont pas droit au retour, du moins immédiatement, puisque leur sort sera négocié lors de la troisième et dernière étape des accords d'Oslo. Ils jouissent des mêmes droits et devoirs que les citoyens syriens, ce qui leur a permis de bien s'intégrer dans la société hôte. Ces deux facteurs expliquent pourquoi ils sont généralement hostiles aux accords d‘Oslo. Au contraire, en Egypte, considérés comme des étrangers, la plupart des hommes d'affaires palestiniens interrogés sont plutôt, voire nettement, favorables aux accords d'Oslo. En effet, la plupart (les Gazaouites surtout) en bénéficient directement puisqu‘ils pourront rentrer chez eux. Dans le contexte américain, les réseaux économiques et sociaux qui lient les membres de la bourgeoisie palestinienne et leurs familles restées au Proche-Orient sont extrêmement denses, surtout avec les Territoires occupés. Ils sont le fruit de l'attachement de ces émigrants à leur pays en difficulté, mais aussi des efforts déployés par l'OLP et les autres factions politiques pour créer des allégeances et des circuits afin de bénéficier des fonds des émigrés. Les hommes d'affaires palestiniens interrogés sont plutôt (ou nettement) en faveur des accords de paix israélopalestiniens60 :% au Canada et 77% aux Etats-Unis (contre 30% et 15% hostiles). La différence entre les deux groupes peut s'expliquer par la différence des origines: aux Etats-Unis, la plupart des hommes d'affaires sont issus de Cisjordanie et de Gaza, alors qu‘au Canada, ceux originaires des territoires de 1948 peuvent avoir émigré d'Israël et par conséquent, avoir une attitude beaucoup plus favorable au processus que leurs compatriotes réfugiés. C'est pourquoi la proportion des migrants originaires des territoires de 1948 étant favorables au processus de paix est égale à celle des migrants originaires de Cisjordanie. Que les hommes d‘affaires palestiniens soient ou non favorables aux accords d‘Oslo, leurs positions s‘appuient davantage sur des arguments de type économique que sur des arguments de type idéologique. On est loin des discours périphériques revanchards, gauchistes ou islamistes que certains Palestiniens, de courants intérieurs et extérieurs à l'OLP, ont l'habitude d'employer. Investir individuellement en Palestine : une attitude “attentiste” Depuis la mise en application de l'accord de paix israélo-palestiniens, la plupart des hommes d'affaires palestiniens résidant en Amérique du Nord et possédant la nationalité américaine ou canadienne ont déjà entrepris une visite en Palestine, que ce soit pour raisons d'affaires, familiales ou par simple nostalgie, alors que nombre de leurs collègues résidant en Egypte et aux EAU (respectivement 50% et 45% des hommes d‘affaires interrogés) n'ont pas la même posibilité du fait de leur statut de réfugiés. Ces visiteurs ont soigneusement étudié l'ampleur du marché, les aspects juridiques et la nature de la main-d'euvre palestinienne. Certains d‘entre eux ont laissé quelqu‘un sur place pour suivre leurs affaires et explorer les éventuelles opportunités (terrains stratégiques à vendre, nouvelles lois, etc.). Au-delà d'innombrables versements qui constituent le ballon d'oxygène permettant à ceux de l'intérieur de subsister71, on trouve de grands projets d'investissement. Jamil Harrara, directeur général de l'Office de l'investissement palestinien, m'a déclaré en janvier 1996 que 221 projets, lancés par des hommes d'affaires palestiniens de l'intérieur ou de l'extérieur ont été signés par l'Autorité nationale palestinienne et sont en cours de réalisation85 ; d‘entre eux ont reçu l'aval des autorités israéliennes pendant l'occupation. Quelle que soit l'attitude à l'égard des accords d'Oslo, la position prise et l'action menée sont avant tout pragmatiques. Autrement dit, cette prise de position n'influence guère la décision d'investir dans l'entité palestinienne, et les raisons d'agir sont fondamentalement différentes. De fait, ceux qui expriment leur refus face à cet accord considèrent leurs investissements soit comme une démarche purement économique (et alors une étude de marché s'effectue pour déterminer le secteur le plus rentable), soit comme une démarche purement humanitaire, dans le sens o les emplois créés dans les Territoires palestiniens aident les Palestiniens à résister et à survivre: “Même si l'OLP récupère notre enthousiasme à participer à la construction des Territoires palestiniens, déclare un homme d'affaires, je veux y investir pour que les gens ne meurent pas de faim. C'est la moindre des choses que l'on puisse faire, nous, les nantis de l'extérieur.”ceux qui sont en faveur de ,Par contre -accord tiennent un raisonnement politique ou politico'léconomique. Ils sont conscients de la portée des enjeux économiques pour donner un élan au processus de paix: “L'économie est le seul remède contre la violence. (...) L'implantation dans les conditions actuelles est beaucoup plus risquée dans les Territoires palestiniens que dans n'importe quel pays arabe, mais il faut parfois se sacrifier. Cela dit, je ne risque qu'une partie de mon argent dans cette région. Je dois garder une base économique solide ici.”(affaires au Canada'un homme d) Quels sont les projets d'investissement individuels? À partir des déclarations des hommes d'affaires palestiniens et de certaines vérifications effectuées à l'aide de la direction générale de l'Office de l'investissement à Gaza72, d'une revue économique spécialisée (MEED) ainsi que de nos observations en Territoires palestiniens, nous pouvons établir les constats suivants: 1.La tendance générale ne favorise pas les investissements individuels: il n'y a pratiquement pas de projets engagés dans notre échantillon d'hommes d'affaires au Canada, et 3 aux Etats-Unis. Cependant, au fur à mesure que l'on se rapproche des Territoires palestiniens, les hommes d'affaires investissent davantage. Sur 55 hommes d‘affaires interrogés résidant en Egypte, 8 ont 19 projets en cours de 71. Le volume annuel des fonds envoyés par les Palestiniens de l'extérieur à leur famille dans les Territoires occupés est estimé pour 1974-1986 à 150 millions $, ce qui constitue 25,7 % du PNB pour l'année 1974 ou 17,3 % du PNB pour l'année 1986 (Nabil 'Alqam & Walid Rabi', 1990, p. 52). 72. Rencontre avec Jamil Harara, directeur de cet office, en janvier 1996. réalisation dans les Territoires palestiniens. Ils trouvent des intérêts à investir ou au moins à commercialiser leurs produits à Gaza, ville qu'ils connaissent bien, dans laquelle ils ont souvent des parents, ce qui a également incité les patrons des entreprises à y ouvrir des branches. On peut considérer ce mouvement comme prometteur d‘un véritable développement des relations d'affaires importantes entre l'Egypte et Gaza. Parmi les hommes d‘affaires des EAU, pays plus éloigné des Territoires palestiniens que l'Egypte mais plus proche que l'Amérique, les investissements sont moins fréquents, ce qui confirme l'incidence du facteur géographique (7 projets menés par 6 personnes sur 57 interrogées). Néanmoins, la proximité géographique ne se comprend pas uniquement en termes de frontières communes mais aussi en termes d'interaction et d‘échanges humains. C'est la raison pour laquelle la situation de la Syrie, proche des Territoires palestiniens, mais dont l'étanchéité est très grande, freine l'investissement dans les Territoires autonomes: nous avons constaté que les hommes d'affaires interrogés, évoquant divers arguments politiques et économiques, sont rarement enthousiastes à l‘idée d‘y investir une partie de leurs capitaux. 2.Tous les domaines d‘activités se trouvent représentés dans les entreprises implantées dans les Territoires palestiniens: industrie (mobilier, chaussures, literie, presses pour huile d‘olive), commerce, construction (mixar béton, logements), finance (centre d‘affaires, banque), services et tourisme (hôtellerie). Les projets à l‘étude sont également très variés. Mais, si investissement il y a, peu de projets sont réellement “productifs”Bien qu’ .ils concernent pour beaucoup le domaine du logement73, on ne peut en conclure pour autant que les hommes d'affaires recherchent forcément une rentabilité à court terme. Il demeure que les conditions pour entreprendre d'autres types d'activités, industrielles par exemple, restent extrêmement complexes et aléatoires dans les Territoires palestiniens. Jusqu'à présent, l'attribution de licences pour les projets économiques est soumise d'abord aux autorités israéliennes. Avant d‘être fondée sur des critères économiques, la décision relève avant tout de facteurs politiques, tributaires des relations conjoncturelles entre Israël et l'OLP. En ce qui concerne le commerce, selon les réglementations imposées par Israël aux Territoires palestiniens, le produit à importer ne doit pas avoir son équivalent israélien, même si ce dernier est très cher. De plus, le produit doit être soumis au Centre israélien des mesures et de la standardisation (CMS), une administration extrêmement discriminatoire selon de nombreux témoignages: un grossiste palestinien en Egypte a voulu exporter des semences de molokhiyyé dans les Territoires palestiniens. Il a envoyé un échantillon au CMS, mais ce dernier a refusé les semences proposées sous prétexte qu'elles n‘étaient pas conformes à la norme. Il a été contraint de passer par un agent israélien d'importation, et le centre a accepté les semences refusées auparavant. Lorsqu'il s'agit de projets industriels, les conditions sont encore plus contraignantes; à titre d'exemple, si une usine risque d‘être grande consommatrice d'eau, le projet est refusé d'emblée. Au-delà de la question administrative, nos interlocuteurs se sont plaints du manque d'infrastructures nécessaires à l‘établissement de projets de type industriel (réseau routier, énergie, eau...). Tous les arguments mis en avant n'ont pas pour fonction de donner raison aux hommes d'affaires qui n‘investiraient pas dans le domaine industriel, mais seulement d‘empêcher une analyse hâtive ou un jugement de valeur sur le “manque de patriotisme” des acteurs économiques palestiniens dans la diaspora. 73. Selon la déclaration du ministre palestinien des Finances, Mohammed Zohdi al-Nashashibi, à un journal londonien, al-Hayat (03/09/95), ‘ le montant des projets exécutés à Gaza dans les huits derniers mois est estimé à 400 millions $ ‘. 3.Ceux qui ont refusé catégoriquement d'investir dans l'entité palestinienne sont très peu nombreux en Amérique du Nord (10% de notre échantillon). Il faut encore y ajouter les 10% qui, au Canada, déclarent ne pas avoir de capital disponible. En revanche, le taux atteint 24% et 19% pour ceux résidant aux EAU et en Egypte, notamment parmi les Palestiniens réfugiés de 1948 et qui n'ont pas le droit de visiter les Territoires palestiniens. Ce qui explique le refus total de nos interlocuteurs en Syrie, puisque la communauté palestinienne est issue de l'exode de 1948. 4.Nombre de nos interlocuteurs n'ont pas encore commandé d‘études de faisabilité car ils attendent que les points litigieux des accords de paix soient réglés. Si cette attitude reste marginale aux Etats-Unis (9%), elle est importante au Canada (35%). Les explications que l'on peut avancer concernant ce décalage sont liées à la nature de l'intégration des Palestiniens au Canada, mais aussi à l'origine géographique des hommes d'affaires. Au Canada, 68% de notre échantillon sont d'anciens réfugiés dans les pays arabes (contre 20% aux Etats-Unis, o la majorité est arrivée directement). Ils ont quitté la Palestine dans leur enfance et n'ont guère entretenu de relations familiales ou économiques avec les Territoires palestiniens. Leur connaissance du terrain est souvent très limitée et, de plus, l'accès à ces territoires ne leur est pas facile. Néanmoins, cela ne les empêche pas d'étudier ou d'entreprendre des affaires dans des pays o ils ont longtemps vécu avant leur émigration en Amérique du Nord, tels le Liban ou la Jordanie. Quant à ceux qui résident aux EAU et en Egypte, ils ont, dans un quart des cas, une attitude attentiste. En fait, la mise sur pied de certains projets fait preuve d'une lenteur certainement due à des raisons objectives liées à la fragilité du processus de paix, à l'occupation israélienne et à l'Autorité nationale palestinienne, mais aussi à l'hésitation des hommes d'affaires. 5.L'ampleur de la fortune des hommes d'affaires ne semble pas influencer la décision d'investir. Nous avons été frappés de constater, dans une réunion d'inauguration de la Palestinian Islamic Bank à Abu Dhabi, que les participants à sa fondation sont plutôt de hauts fonctionnaires en fin de carrière ayant constitué un petit capital, que des hommes d'affaires. 6.Nous avons discerné lors de nos enquêtes dans ces quatre pays, à l'exception de la Syrie, deux types d'hommes d'affaires: ceux qui ont des projets d'investissement à l‘étude dans les Territoires palestiniens, et ceux qui y ont déjà entrepris des affaires. Aux Etats-Unis, le premier groupe représente 64% du total et le deuxième 20%, alors qu‘au Canada le premier représente 35% et le deuxième 0%. En effet, si la majorité des Palestiniens-Canadiens (68%) sont issus des pays arabes o ils avaient trouvé refuge après 1948, 67% des Palestiniens-Américains sont originaires des Territoires palestiniens et surtout de Ramallah et de ses environs. Dans le dernier cas, les liens familiaux jouent un rôle prépondérant et favorisent les investissements dans l'entité palestinienne. En Egypte et aux EAU, le taux de ceux qui sont en train d'exécuter leur(s) projet(s) atteint à peu près 30%, contre respectivement 23% et 19% seulement, pour ceux qui en sont encore à l‘étude de faisabilité. 7.Nous avons constaté le caractère éphémère des investissements déclarés par les hommes d'affaires palestiniens de la diaspora. De nombreux projets sont annoncés dans la presse comme étant en cours de réalisation, mais après vérification, il s‘avère qu'ils sont seulement à l'étude dans l‘attente, pour certains, de nouvelles conditions politiques ou économiques. Prenons, à titre d'exemple, un ensemble de projets annoncés par une association à grand renfort de publicité. À l'initiative de Mel Levine et James Zogby -le premier est un ex-sénateur américain et l‘autre le directeur de l‘Arab Institute of Washington Builders for Peace a ,-été créé à la suite de la signature des accords entre l'OLP et Israël en septembre 1993. C'est une association non gouvernementale qui a pour objectif de favoriser les investissements dans les Territoires palestiniens. Le conseil d'administration est composé de 26hommes d'affaires, pour la moitié Palestiniens et pour l'autre Juifs-Américains. Un an après sa fondation, neuf importants projets ont été déclarés comme étant “en cours”am-affaires palestiniens'par des hommes d éricains ou américains. Les investissements devaient approcher le milliard $ au cours des cinq années suivantes74. Tous ces projets devaient bénéficier de crédits et de garanties de l'OPIC75 (Overseas Private Investment Corporation). Deux ans après la fondation de Builders for Peace, l‘on constate que tous les projets annoncés par cette association n‘ont pas été exécutés76. Mahmoud El Farra, un homme d'affaires palestinien qui a co-fondé cette association, critique cette attitude: “J'ai finalement compris que l'on a voulu obtenir de ce groupe un acte de propagande pour favoriser la normalisation économique entre Palestiniens et Juifs, en déclarant publiquement qu'une coopération était tout à fait possible. Les neuf projets annoncés par Al Gore lors de la création de ce groupe sont bloqués par l'OPIC. [...] Il ne faut pas oublier que cet organisme a une politique anti-arabe. Durant les vingt dernières années, l'OPIC, qui garantit chaque année 5 milliards $ à l‘échelle mondiale, ne l'a fait qu'une fois pour les pays arabes et seulement à hauteur de 10 millions $, versés à deux sociétés américaines77.” 8.Si le discours porte souvent sur l'importance des capitaux, certains hommes d'affaires palestiniens se considèrent avant tout comme des cerveaux qui ont acquis un savoir-faire technologique et une aptitude à la gestion moderne de l'entreprise et même de la société : Robin Zahran insiste sur la nécessité que l'Autorité palestinienne constitue des commissions composées d'experts palestiniens, sélectionnés pour leur compétence acquise dans les pays développés. Selon lui, on devrait interdire aux membres de ces commissions le droit d'investir leurs propres capitaux pour éviter une confusion entre intérêts publics et intérêts privés. Il a même demandé le découplage entre la propriété des capitaux et leur gestion, selon la doctrine de Veblen78. Enfin, force est de constater qu'il existe très peu de cas d'hommes d'affaires palestiniens ayant concentré tous leurs efforts dans une même direction, celle de la construction de l'entité palestinienne. Le cas de Mahmoud El Farra, figure des 74. Cf. l’éditorial de Building Blocks (le bulletin de Builders for Peace), New York, vol. 1, Issue 4, septembre 1994. 75. En effet, c'est à l'initiative du vice-président des Etats-Unis, Al Gore, que les Territoires autonomes sont inclus dans la liste des pays o l'OPIC peut intervenir, de sorte qu'ils profitent de la garantie en cas de déstabilisation politique, et également de crédits. 76. On peut citer l'exemple de Ziad Karram, Palestinien-Américain, président de Fairfax Engineering Design Firm, une société d'architecture spécialisée dans la construction hôtelière. Il a reçu la promesse d’obtenir (avec Marriott International Corp.) 36,5 millions $ de crédits de l'OPIC pour construire un hôtel de 295 chambres à Gaza. Le cot de construction est évalué à 58 millions US$. Ce projet devrait être achevé en mars 1996. Il embaucherait 750 personnes pour la construction, 300 pour le personnel de l'hôtel, et 1 700 pour des emplois indirects liés à ses activités. Le partenaire de Ziad Karram est Steven Green, JuifAméricain, directeur d'Astrum International Corp. Ce dernier a son propre projet, un complexe de traitement de l'eau et d’embouteillage dans les Territoires palestiniens, dont le cot de la construction est de 2 millions US$, plus 5 millions US$ chaque année opératoire. Ce projet devrait créer 50 emplois dans la construction et 100 emplois par la suite. D'autres projets devraient être cofinancés par l'OPIC, comme une unité de préfabrication pour la construction à Gaza et à Jéricho, projet proposé par la compagnie américaine SAFA International qui appartient à la famille palestinienne El Farra. 77. En mars 1995, pendant la visite d'Al Gore à Jéricho, les Etats-Unis ont promis 60 millions US$, promesse qui risque de demeurer sur le papier. Cette ‘ largesse ‘am éricaine ne nous semble pas liée à une sympathie pour une population palestinienne qui a longtemps subi l'occupation, mais au fait que les investissements dans les Territoires palestiniens sont nécessaires à la sécurité de l'Etat d'Israël. Mel Levin, co-président des Builders for Peace, justifie son enthousiasme en répétant ce que Shimon Peres lui aurait dit précédemment : ‘ Chaque dollar investi à Gaza est un dollar investi pour la sécurité d'Israël. ‘ 78. Thorstein Veblen (1971, p. 16-50) a remis en cause, dans l'Amérique des années vingt, le pouvoir des capitaines financiers dans la gestion de l'entreprise. hommes d'affaires aux Etats-Unis et en Egypte, est très singulier, mais il mérite d‘être examiné: fortement mobilisé, il préfère euvrer discrètement et agir vite. Visitant Gaza en 1993, il conclut des joint venture avec des sociétés égyptiennes et entreprend à Gaza la construction d‘une usine de matériel de soudure et d‘une minoterie. Né en 1938 à Khan Younis, ville de la Bande de Gaza, Mahmoud El Farra est marié et a trois enfants. Son père, Mostafa Hassan El Farra, grand propriétaire foncier, fut le maire de Khan Younis jusqu'à sa mort en 1989. Diplômé de la faculté d'éducation physique au Caire en 1958, il a été président de l'équipe nationale palestinienne de basket et de natation de longue distance. Il enseigne un an en Libye et deux ans au Koweit, puis se lance dans le commerce. Il part en 1968 à Los Angeles pour rejoindre son frère Sabri. Il diversifie les activités d'une petite société familiale d'import-export, SAFA Corporation, pour constituer un groupe: El Farra Group of Companies. Lui et ses sept frères sont propriétaires de ce groupe. Sabri, le frère aîné, est directeur général et réside à Los Angeles ; Mahmoud est président du comité d'administration et passe son temps entre Los Angeles, Le Caire et Gaza ; Hydar et Riyad vivent au Caire ; Ziad réside à Los Angeles ; Bassel demeure à San Diego ; Sa'ib est le maire de Khan Younis depuis la mort de son père ; Shaher et Yasser sont retournés à Gaza pour y gérer les affaires familiales. El Farra Group of Companies comprend les sociétés suivantes : 1. SAFA International Corporation, basée à Los Angeles, est la société-mère d'investissement dans les domaines du commerce, de l'assurance, de la construction et de la promotion immobilière. Ses investissements dans les pays arabes comme le Soudan (élevage industriel de poulets, hôtellerie), le Yémen (un hôtel 4étoiles ouvert en 1977), les Emirats arabes unis et l'Egypte étaient déjà bien ancrés avant le processus de paix. Depuis le début de l'infitâh (1974) en Egypte, SAFA a fondé, avec des associés égyptiens, Makka Co., une société qui exploite une usine de fabrication de tapis à 'Amiriyya, près du Caire. 2. Simco Medical Products-Egypt, société qui produit des aiguilles pour seringues, des lentilles de contact et des solutions ainsi que des équipements d'orthopédie. 3. Farra Contracting & Trading Co.-Palestine. 4. Arab Contractors-Palestine, Osman Ahmad Osman & El Farra Co., société mixte, présidée par Mahmoud El Farra, fondée en mai 1994, capital 2millions$ : 50% El Farra Group et 50% Arab Contractors (Osman Ahmad Osman), première entreprise arabe de bâtiment et travaux publics. Cette société a signé en janvier 1995 une lettre d'intention portant sur la construction d'un aéroport à Gaza, dont le cot est estimé à 60 millions $. Elle a d'ores et déjà construit trois succursales palestiniennes de la Real Estate Bank (banque égyptienne). 5. Palestine International Trading Co., PITCO-Palestine, société au capital de 10 millions $ (dont 1 million $ disponibles) qui commercialise différents produits égyptiens, et représente diverses sociétés étrangères. 6. Sabbour-El Farra-Palestine, The Consulting Engineering Co. Cette société a conclu en 1994 un accord de joint venture avec la firme d'ingénierie et de consultation Mohammed Husein Sabour Co. Elle a également constitué la Palestinian Co. For Development au capital de 30 millions $, dont National Bank of Egypt détient 30%, Arab Land Bank 31% et El Farra group 35%. Palestinian Co. For Development a commencé à construire (par le biais d‘Arab Contractors-Palestine, Osman Ahmad Osman & El Farra Co.) une cité résidentielle pour les militaires à Amer près de Gaza, puis à vendre à crédit les appartements de la cité. 7. Palestine International Investment Co., société palestino-égyptienne au capital de 100 millions $ (dont 30 millions $ déjà disponibles) ayant deux bureaux : l'un à Gaza, présidé par Ziad El Farra, et l'autre au Caire, présidé par l'Egyptien Jalal Zoyya. 8. Osman-El Farra-Palestine, société au capital d'un million $ qui devrait exploiter une usine de barres d'oxygène pour le soudage, en cours de construction. 9. Palestinian Flour Mill Co., société fondée en mars 1993, au capital de 14millions$, qui devrait exploiter une minoterie à Gaza. 10. Mostafa Hassan El Farra' Sons Holding Co., une société familiale qui gère les biens fonciers de la famille El Farra, estimés à 40 millions $. Risques pour tous! Les sociétés anonymes d'investissement Face au risque que représente à l‘issue incertaine du processus de la paix, on ne peut que constater l‘inertie des acteurs économiques de la diaspora. Mais ces derniers ont tenté de déployer une stratégie moins risquée, qui consiste à partager collectivement la responsabilité des investissements nécessaires à la reconstruction des Territoires palestiniens. De nombreuses sociétés par actions ont ainsi été fondées, dont les principales sont Beit al-Mal al-Arabi al-Falestini (Arab Palestinian Financial Foundation), Palestine Bank for Investment, Arab Palestine Co. for Investment (APIC), Jirico Motels Co., Palestine for Investment, Salam International Co. (en cours de fondation). L'impact de ces sociétés est limité, si on les compare à la Palestinian Development & Investment Corporation (Padico) qui a été fondée par 140 des principaux hommes d'affaires palestiniens de l'intérieur et de la diaspora, au capital de 200 millions $. Nous allons examiner cette société en raison de son importance particulière. Padico a été créée le 14 octobre 1993 à l'initiative d'un groupe ambitieux d'hommes d'affaires palestiniens de la diaspora, dont Monib et Sabih Al Masri, pour participer à la construction d'une économie dévastée par l'occupation en exécutant des projets économiques d‘envergure et devenir ainsi un leader du secteur privé. L'idée a été accueillie très favorablement par de nombreux hommes d'affaires palestiniens et arabes. Par contre, certains pays arabes comme l'Arabie Saoudite ont refusé que leurs journaux en fassent la publicité. 700 personnes ont pourtant participé au capital de Padico. La règle du jeu a été établie de sorte que personne n‘ait une position dominante dans cette société qui se veut l'expression d'une volonté nationale, et non pas celle de quelques individus. Par conséquent, le plafond de participation a été fixé au début à 5% du capital, c'est-à-dire 4 millions$, mais a été augmenté (seulement pour les fondateurs) à 10%, de façon à ce que toutes les parts soient souscrites. La participation minimale a été fixée à 25000 $ pour les actionnaires (et 100000 $ pour les fondateurs) de façon à écarter les petits investisseurs qui ne pourraient pas supporter de risque éventuel et qui demanderaient une participation aux bénéfices. Le mot d'ordre de cette société est de ne pas chercher une rentabilité économique rapide mais plutôt une rentabilité sociale, et d'investir dans de grands travaux qui dépassent la capacité d'un seul investisseur. Padico a résolu le problème du clivage entre Palestiniens de l'intérieur et de l'extérieur en créant des filiales dans lesquelles les investisseurs de l'intérieur peuvent participer. Ces sociétés sont: -Jerusalem Tourist Investment Co.: fondée avec 25 millions $ de capital couverts à 35% par Padico pour acheter des terrains à Jérusalem et à Bethléem et construire des hôtels. -Palestine Industrial development Co.-Nablus: société au capital de 15millions de dinars jordaniens, auquel Padico participe à raison de 70%, ayant comme grand projet l'établissement d'une zone industrielle de 500 dunum79 à l'est de Gaza et une autre zone de 650 dunum située à Nablus pour les industries légères et moyennes80. - Palestine Real Estate Investment Co.-Gaza: société au capital de 15millions de dinars jordaniens, dont 49% aux mains de Padico, avec deux projets principaux de construction à l'étude: un projet d'habitat populaire, lotissement de 1800 unités sur une surperficie de 150 dunum à l'est de Beit-Hannina (nord-est de Gaza) pour les populations à bas revenus et un projet de complexe hôtelier sur le littoral de Gaza (320 dunum:: 40 dunum d'infrastructures touristiques et 280 dunum pour un quartier résidentiel de 2400 unités). - Itisalat Co.-Jirico: une société de tlécommunications chargée de se substituer à la société israélienne. Elle dispose d’un capital de 35 millions de dinars jordaniens. -Palestine Exchange Market Co.-Nablus: société qui a pour objet la création d’une bourse à Nablus. Pour l'instant, malgré les à-coups et les volte-face, de nombreux projets ayant été conduits par ces sociétés sont en cours d'exécution. Pour conclure, les investissements engagés individuellement ou collectivement par les hommes d'affaires palestiniens de la diaspora restent modestes par rapport à la “force de frappe”financi ère de la bourgeoisie palestinienne, mais très importants81 si on les compare au montant de l'aide internationale (deux milliards promis par les bailleurs de fond sur cinq ans). Le développement de la disposition entrepreneuriale dépendra de la capacité de l'Autorité nationale palestinienne à réaliser deux objectifs: d'une part, consolider une autonomie politique et économique et, d'autre part, mettre en euvre un système démocratique qui permette une stabilité à l'intérieur du territoire palestinien. Il est urgent que l'Autorité nationale palestinienne déploie des efforts pour attirer les fortunes privées de la bourgeoisie. Contrairement au cas de la Chine populaire qui, depuis quelques années, attire les Chinois de la diaspora et leurs capitaux, les dirigeants de l'OLP n'encouragent pas les hommes d‘affaires palestiniens à investir dans les Territoires occupés. 79. 1 dunum = environ 1 000 mètres carrés. 80. La première assemblée générale a eu lieu à Gaza le 08/03/95. 81. Il serait illusoire d'avancer une estimation de l'ampleur de ces investissements. On peut par contre signaler que Zahi Kouri, figure financière palestinienne new-yorkaise, a estimé les investissements des Palestiniens de l'exil dans les Territoires occupés, depuis le processus de paix, à 300 millions $ (Cf. Zahi Kouri, Financial Times, Londres, novembre 1994). CHAPITRE V UN CAPITAL DESOBEISSANT? LES HOMMES D'AFFAIRES ET LE POUVOIR La constitution de regroupements d'hommes d'affaires Toute élite économique cherche à acquérir, au-delà du capital matériel (et audelà d’une logique individuelle et d’une recherche de bonheur privé), un capital social ou, en d'autres termes, une position de pouvoir. Mais, s'agissant de la catégorie des hommes d'affaires palestiniens en transit (voir notre introduction), le statut d'“étranger” qui les caractérise fragilise leur insertion et les écarte de la vie politique. De fait, ils déploient différents types de stratégie d'ascension sociale. D'abord, il leur est possible d'adopter une stratégie d'action collective pour consolider leur position dans la société-hôte et éventuellement pour mieux négocier leur pacte avec l'Autorité nationale palestinienne. Certains peuvent ensuite mener des activités culturelles. Un regroupement d'hommes d'affaires ne signifie pas toujours une opposition à l'Etat (en l'occurrence, l'Autorité nationale palestinienne) mais représente un lobby potentiel qui peut un jour jouer un rôle dans la prise de décision en matière de développement ou de politique. C'est la raison pour laquelle ce genre d’associations a fleuri dans les pays occidentaux ou dans un contexte démocratique, l'action collective est facile à mener. Dans les pays arabes, en revanche, la marge de manœuvre est étroite. C’est seulement en Egypte qu’a été récemment fondée une association d’hommes d'affaires palestiniens. Deux tentatives de constitution d'un regroupement d’hommes d'affaires avaient précédemment eu lieu: la première en 1988, sous le nom de Comité d'action sociale, et la seconde en 1989, sous le label d'Union des hommes d'affaires palestiniens. Toutes deux ont échoué pour différentes raisons, tant du côté palestinien que du côté égyptien. Depuis les accords de Madrid, toutefois, la conjoncture politique est favorable, et les autorités égyptiennes ont accepté la création de l'Association des hommes d'affaires palestiniens au Caire en mars 1994. On peut trouver trois types d'associations dans les pays occidentaux: le premier recouvre les associations qui soutiennent l'OLP et l'Autorité nationale palestinienne. Parmi elles, l'United Holy Land Fund est composé principalement d’hommes d'affaires des Etats-Unis. Fondé en 1967 pour apporter de l'aide au peuple palestinien, il soutient le processus de paix. Il partage cet objectif avec le Palestine Arab Fund, une association localisée à l'ouest des Etats-Unis. Le deuxième type rassemble les hommes d'affaires et les professionnels mais dans une perspective arabe; on y trouve l’Arab Bankers Association of North America, la Mid-America Arab Chamber of Commerce à Chicago ou l'ArabAmerican Businessmen and Professionals Association82. Au Canada, l'Arab Canadian Business and Professional Organization a envoyé une délégation à Gaza, en Jordanie et en Irak pour y étudier les possibilités d'investissements. Nous allons maintenant examiner en détail le troisième type d’association. 82. Les trois associations sont présidées par l'homme d'affaires palestinien Talat Othman. Welfare Association Les associations précédemment citées ont une portée limitée et leur efficacité reste à démontrer. Avec la Welfare Association apparaît un troisième type de regroupement. Elle diffère des précédentes par son autonomie vis-à-vis de l'OLP, et en l'occurrence, vis-à-vis de l'Autorité nationale palestinienne, et par son poids matériel et son autorité symbolique. Basée à Genève, créée en 1983 par dix hommes d'affaires, c'est l'organisation la plus importante de la diaspora palestinienne. Chaque fondateur a déboursé un million $ pour qu'elle puisse voir le jour. Cette association regroupe des hommes d'affaires et des intellectuels de renom, surtout palestiniens, et entend assurer une tribune de discussion entre les deux groupes83. Elle a pour objectif de “mettre une partie du potentiel de la diaspora au service du développement et de la construction en Palestine, y compris pour les Palestiniens vivant en Israël et les réfugiés dans les pays arabes, de développer les organisations non gouvernementales dans la société palestinienne et enfin, de promouvoir les ressources humaines par la formation.” Le bilan de 11 ans, de 1983 à 1994, reste modeste par rapport aux objectifs. 39 millions $ de fonds propres ont été mis au service de projets culturels, sociaux, économiques, de santé et d'enseignement. De plus, 40 millions $ provenant de ressources extérieures, arabes et internationales, ont été utilisés pour les mêmes objectifs84. Le comité administratif réuni en octobre 1995 a adopté un budget de 1849 millions $ pour 1995, provenant exclusivement de ses ressources financières propres, partagés entre différents programmes répartis en trois thèmes: le développement des ressources humaines, la culture et l'identité, et enfin le développement des associations non-gouvernementales85. Douze ans après la fondation de la Welfare Association, on peut se demander si elle a réalisé le rêve de ses fondateurs - qui était d'être un jour l’équivalent palestinien du Jewish National Fund, selon Monib Al Masri- , et si elle a pu mettre au service de l’intérieur de la Palestine (et de la cause nationale en général) l'extraordinaire potentiel de la diaspora palestinienne. S’il est trop tôt pour porter un jugement, nous pouvons cependant remarquer que les actions des hommes d'affaires ne se sont pas focalisées uniquement sur le développement de cette association, mais qu’elles ont été largement dispersées. Nous allons maintenant étudier les rapports de ces groupes avec, d'une part, l'Autorité nationale palestinienne et, d'autre part, les sociétés d'accueil, ainsi que les actions sociales et politiques menées individuellement dans ces directions. 83. Le conseil d'administration de cette association rassemble des personnalités venant des quatre coins du monde. Du côté des hommes d'affaires, nous trouvons : Abdel-Majid Shouman (président), Hassib Sabbagh (vice-président chargé des relations internationales), Abdel-Mohsen Al-Qatan (vice-président chargé des relations avec les organisations arabes, les investissements et la planification), Nonib Al-Masri (viceprésident chargé du développement des ressources et des relations avec les institutions financières palestiniennes), Abdel Aziz al-Shakhshir, trésorier, Saïd Khouri, Sobeh Al-Masri, Jamil Al-Budiri, Jawdat Al Shawa, Khaldoun Abu-Hassan, Ramzi Daloul, Riyad Shahin, Samer Khouri, Isam Abu-Issa, Nabil Al Shawa, Nabil Sarraf, Nabil Qadomi, Nazek al-Hariri, Nizar Jardani, Hisham Qadomi, Wa'l Kanaan, Mohammed Al 'Ilwi, Samir 'Owida, Nour Al Din Sohaiwel. Du côté des intellectuels, nous trouvons : Ibrahim Abu-Loghod, Edward Saïd, Antoine Zahlan, Anis Fozi Qassem, Bassel 'Aqel, Youssef Sayegh. Enfin, pour donner à l'association une portée arabe : Sou'ad al-Sabah, al-Akhdar al-Ibrahimi. Le conseil comporte des personnalités dont nous ne connaissons pas la position : Bishr Jardani, Hazem Milhim, Khaled Al Safri, Issam Al Azmeh, Faroq Kharouf, Mazen Darwaza, Mohammed Nijm, Yousef As'ad, Monir Al Kaloti. L'association est gérée par le secrétaire général, Victor Qashqush. 84. Cf. le bilan d'activités de 1983 à 1994 (édité en arabe avec un résumé en anglais), Genève, 1994. 85. AL-TA'AWON, Quarterly Newsletter published by the Welfare Association, octobre 1995, n، 5. Les “mitoyens” et l'Autorité nationale palestinienne: les relations sont-elles conflictuelles ? Les relations entre l'Autorité nationale palestinienne et les hommes d'affaires palestiniens de la diaspora sont caractérisées par une double spécificité. D’abord, le contexte de libération nationale ainsi que la pression qu’Israël exerce sur l’ANP font que cette autorité ne peut fonctionner comme un Etat souverain. Ensuite, l’éparpillement des hommes d'affaires palestiniens leur donne une liberté de manœuvre politique et économique entre le pays d’accueil et les Territoires palestiniens et les met à l’abri du pouvoir coercitif de l’ANP. Cette double spécificité crée des relations conflictuelles, inachevées et fluctuantes. Les rapports de force entre les deux parties se structurent autour d'un certain nombre de lignes de clivage: exit/voice, pour reprendre le terme d’Albert Hirschman (1970), dans l’OLP/en dehors de l’OLP, autonomie/dépendance, rôle économique/rôle politique. Exit/voice Les hommes d'affaires palestiniens n’ont pas tous la même position à l'égard de l'Autorité nationale palestinienne. Pour des raisons objectives ou subjectives, certains se contentent d’un rôle surtout économique et qui plus est, au sein de la société d’accueil. C’est une action de type exit. Les autres, et c’est ce que nous étudierons ici, ont utilisé leurs capitaux financiers et relationnels au service de la cause palestinienne: une sorte d’engagement politique ou économique de type voice. Ce sont aussi ceux qui ont gardé des liens étroits avec l’OLP. Nous les appellerons “mitoyens”, au double sens du terme: ils se caractérisent par leur proximité au pouvoir et leur position d’intermédiaire entre la sphère économique et la sphère politique. Cependant, les “mitoyens” ne constituent pas un groupe d'intérêts homogène. En effet, il faut tenir compte de maintes différences à l'intérieur de ce groupe: entre la génération de l'exode de 1948, qui se sent laissée pour compte, et la génération de 1967, qui jouit du droit au retour; entre classes sociales; entre les petits entrepreneurs et les grands hommes d'affaires; entre ceux qui approuvent les accords d'Oslo et ceux qui y sont opposés; entre ceux qui soutiennent l'OLP et les partisans du Hamas ou de la gauche palestinienne. Ces intérêts contradictoires, cachés derrière la façade de l'unité nationale, surgissent lors de chaque assemblée. A titre d'exemple, les hommes d'affaires de l'intérieur ont été choqués par la précipitation de leurs collègues résidant surtout en Jordanie à acheter les actions d'une société de transports en commun entre les villes de Cisjordanie, et entre ces dernières et les capitales arabes. D’après eux, ils auraient d avoir la priorité “du fait de leur résistance pendant l'occupation israélienne”. De plus, ils n'ont montré aucun enthousiasme à l’idée de participer à la société anonyme Padico, considérée, par certains interlocuteurs, comme une société dirigée par l'extérieur. Ils se sont organisés au sein d'autres sociétés d'investissement, comme Beit al-Mal al-Arabi al-Falestini (Arab Palestinian Financial Foundation). Ils critiquent également les banques palestiniennes qui ont ouvert des succursales dans les Territoires palestiniens, mais qui ont transféré une partie des fonds pour investir ailleurs. En ce qui concerne les relations entre certains groupes d’hommes d'affaires de la diaspora et l'Autorité nationale palestinienne, nous pouvons parler de trois périodes: avant les accords d'Oslo, de la signature des accords à mai 1995, et ensuite. Avant les accords d'Oslo: un certain engagement politique L'OLP n'a jamais été isolée du milieu des hommes d'affaires. Nous pouvons même dire qu'elle en a surgi. Yasser Arafat a gardé des relations avec ce qu'il appelle les compradores au sens non péjoratif du terme. Ses relations avec certains d'entre eux datent des années cinquante, au sein de l'Union générale des étudiants palestiniens (GUPS). Cette Union, dont Arafat fut président, comptait dans ses rangs des élèves ingénieurs comme Zuheir Al Alami, qui est devenu le patron de Khatib & Alami, la plus importante société d'étude et de consultation de travaux publics dans le Monde arabe. Al Alami fut l’un des fondateurs du Fatah et un proche ami d'Arafat, président en 1971 du congrès du Fatah, membre du conseil révolutionnaire jusqu'à 1982, date à laquelle il gela son adhésion à cause de ses divergences avec les méthodes d'Arafat86. Jaweed Al Gosein fut également membre actif de la GUPS, représentant les Ba'thistes, à la même époque (années cinquante), et ultérieurement patron de la Cordoba, société géante de construction et de travaux publics aux EAU. Il a été élu pour la première fois membre du Conseil national palestinien (CNP) en 1977, puis président du Fonds national palestinien en 1984 et membre du Comité exécutif de l'OLP jusqu'en mai 199687. Diplômé du Caire, Yasser Arafat part au Koweit au début des années soixante pour gagner sa vie. Entrepreneur et patron de trois sociétés de construction, il renforce sa connaissance du milieu palestinien des affaires. Ce milieu a participé de façon remarquable à la fondation du Fatah et à son financement: outre Al Alami et Al Ghosein, nous allons rencontrer au premier rang des hommes d'affaires, comme Abdel Mohsen Qattan, un des géants du batiment et des travaux publics au Koweit, qui fut président du CNP, et Nabil Shaath, ex-président de Team, la plus importante société de management au niveau arabe. Arafat a reconnu l’importance du rôle des “compradores palestiniens” depuis le début de la fondation du Fatah, au moment où les Etats arabes ne le reconnaissaient pas encore. Ce fut une période très sensible quant à la question du financement. A titre d'exemple, Abdel Majid Shouman, le patron de l'Arab Bank, suspendit son aide à l'OLP, alors présidée par Ahmad Shoqiri, pour accélérer sa démission et préparer l'arrivée d'Ahmad Hamouda puis de Yasser Arafat (Andrew Gowers & Tony Walker, 1994, p.74 ) Leur participation n’est pas uniquement financière; la position de certains hommes d'affaires palestiniens dans le pays d'accueil leur a permis de jouer le rôle d’intermédiaire entre ce pays et l'OLP: pendant Septembre Noir en 1970, lors de la période la plus difficile de la vie d'Arafat (lorsqu'il fut encerclé dans la forêt de Garash), Monib Al Masri, propriétaire d'une grande société d’ingénierie et ministre jordanien des Travaux publics a tenté, avec Abdel Majid Shouman et l'ambassadeur saoudien, d’établir un pont entre Arafat et les autorités jordaniennes, mais leur tentative a échoué. On peut noter également, dans un contexte tout à fait différent, le cas de Mahmoud Rabbani, un homme d'affaires palestinien spécialisé dans l'importexport et basé à Amsterdam. Ayant une position très privilégiée en Hollande comme pionnier de l'échange commercial entre les pays arabes (Koweit, Algérie, Syrie, Tunisie, etc.), il s’est servi de ses relations avec les autorités hollandaises pour faire accepter à l'Europe l’existence de l'OLP. Il a joué un rôle dans la nomination des représentants de cette organisation dans divers pays européens. En tant que consul honoraire du Koweït et président de la Chambre de commerce hollando-algérienne, il a été l'homme clé de l'affaire de l'embargo pétrolier en Europe. Nous allons nous intéresser ici au rôle des hommes d'affaires dans les différents projets de règlement politique au Proche-Orient. En dépit du peu de données que 86. Entretien en novembre 1995. 87. Entretien avec Jaweed Al Gosein en novembre 1995. nous possédons, nous pouvons dire que certains d’entre eux, proches de l'OLP, ont exercé avec constance une certaine emprise sur Yasser Arafat, allant dans le sens de la modération et de la cohérence, et insistant pour que l'OLP négocie avec Israël. Au moment où s'achève le départ des combattants palestiniens de Beyrouth avec l'assistance de la Légion étrangère française, le président Ronald Reagan annonce, le premier septembre 1982, une série de principes qui doivent, selon les Etats-Unis, permettre de rétablir la paix au Proche-Orient. En réponse au plan de Reagan, Arafat présente trois documents à l'administration américaine: le premier est rédigé par Hana Sanyoura, homme d'affaires et journaliste de Jérusalem, et des personnalités modérées des Territoires palestiniens; le deuxième par un groupe d’hommes d'affaires, parmi lesquels Abdel Majid Shouman; et le dernier est écrit par un ex-premier ministre égyptien représentant la ligne la plus dure à l'égard des règlements proposés par les Américains (Jenet Wallach, 1992, p.390). Ce qui nous intéresse ici, c’est de montrer que certains hommes d'affaires palestiniens ont voulu unifier leur vision à l'égard d'un éventuel processus de paix au Proche-Orient. Qui sont ces hommes d'affaires? Le nom qui revient souvent dans nos entretiens est celui de Hassib Sabbagh, le patron d'une des firmes géantes de construction et de travaux publics au niveau mondial, la CCC, ainsi que celui de son conseiller politique Bassel 'Akl. Or la CCC a régulièrement exécuté des travaux en sous-traitance pour Bichtel, la compagnie de Georges Shultz, et les deux firmes se sont fréquemment associées dans la réalisation de projets au Moyen-Orient. Dans les années quatre-vingt, Sabbagh s'est servi de ses relations avec Georges Shultz pour jouer le rôle de médiateur entre l'Administration américaine (o Shultz était à l’époque secrétaire d'Etat) et l'OLP. Pour ouvrir un dialogue substantiel entre les deux parties, Washington avait imposé à Arafat trois exigences: reconnaissance de l'existence d’Israël, acceptation de la résolution 242 du Conseil de sécurité et renoncement au terrorisme. Le 13 décembre 1988, Yasser Arafat prononça un discours devant l'Assemblée générale des Nations Unies, réunie spécialement à Genève, parce qu'il n'avait pas pu obtenir de visa américain. Ses déclarations ne satisfirent pas les Etats-Unis. Le chef de l'OLP avait pourtant accédé aux diverses exigences émises par Henry Kissinger en 1975, puis par le Congrès, mais les Américains exigèrent une formulation encore plus concise, encore plus claire et dégagée de toute considération annexe. La tension monta au sein de l’entourage d’Arafat. Epuisé par la négociation, la veille, avec le Comité exécutif de l'OLP qui avait à peine accepté ses formulations, Arafat refusa d’en dire plus ou, selon son expression, de faire un strip-tease. Trois hommes d'affaires, Hassib Sabbagh, Monib Al Masri et Abdel Majid Shouman, essayèrent de le convaincre d’apporter des précisions. Sabbagh lui transmit des termes soigneusement choisis pour répondre aux exigences américaines. Le lendemain, Arafat donna à Genève une conférence de presse et prononça les “mots magiques” qui, quelques heures plus tard, allaient être acceptés par les Etats-Unis et ouvrir le dialogue avec l'OLP. Ces hommes d'affaires sont restés dans l'ombre, mais leur influence fut cruciale dans la mesure où ils exigeaient de la cohérence de la part d'Arafat. On peut souligner ici une différence significative entre l'homme d'affaires et le politicien: le premier vise la précision, à l'image des contrats économiques, alors que le deuxième laisse toujours une faille dans son discours pour donner place à différentes interprétations. A ces deux discours correspondent deux méthodes de travail. Dans la même logique, un groupe d'hommes d'affaires et d'intellectuels palestiniens réunis à la fin du mois de juin 1983 tentèrent de convaincre Arafat de proclamer un Etat palestinien indépendant et un gouvernement en exil, voulant par là édifier une structure plus technocratique et démocratique se substituant à l'édifice révolutionnaire de l'OLP. Il fallut toutefois attendre le 15 novembre 1988 pour qu'Arafat accepte ce genre d'idée. Cependant, comme nous l'avons remarqué, le rôle joué par les hommes d'affaires ne dépasse pas la médiation et le conseil. La décision revient aux militants de l'OLP. C'est la raison pour laquelle ceux qui ont poussé Arafat à reconnaître Israël et à entreprendre les négociations désavouent eux-mêmes les résultats du processus de paix, c'est-à-dire les accords d'Oslo, comme c’est le cas pour Hassib Sabbagh et Abdel Mohsen Qattan. L'impact de certains hommes d'affaires s’est manifesté par leur rôle d’intermédiaire entre l'OLP et les pays arabes, et de soupape de sécurité dans les moments difficiles. Abdel Mohsen Qattan, détenteur de la nationalité koweitienne, Sabih Al Masri, détenteur de la nationalité saoudienne et Hassib Sabbagh ont ainsi tenté d'améliorer les relations entre les monarchies pétrolières et l'OLP, surtout après la guerre du Golfe88. Nous allons voir maintenant le rôle de Abdel Majid Shouman, en ce qui concerne les relations jordano-palestiniennes. Après Oslo: autonomie/dépendance Les relations entre l'Autorité nationale palestinienne et les hommes d'affaires “mitoyens” se caractérisent, depuis les accords d'Oslo, par des tensions et des fluctuations. Mais chaque partie tente de ne pas rompre le contact. Arafat a comparé les compradores à la dynastie des Rothschild, ce qui est une façon de réduire leur importance au volet économique, voire financier, tout en ménageant avec subtilité sa position à leur égard. Certes, ses camarades de combat du Fatah ont été choqués par le fait qu'à son arrivée à Gaza, il a passé la nuit chez l'homme d'affaires 'Aqil Matar. Mais cet acte symbolique ne peut dissimuler pour autant la méfiance d'Arafat à l'égard de cette catégorie d'acteurs. Un incident l’illustre: lors de la conférence de Casablanca89, Monib Al Masri, homme d'affaires proche de l'OLP et vice-président de la Palestinian Development & Investment Corporation (Padico), a incité Yasser Arafat à diriger les investisseurs étrangers ayant besoin d'expertise ou à la recherche de partenaires vers la Padico, ceci en raison de l’importance de cette société ainsi que de son expérience. Al-Masri a convié 500 hommes d'affaires palestiniens et occidentaux pour un déjeuner pendant lequel Arafat était censé introduire la Padico. Il n'en fit rien. En revanche, il demanda aux entreprises étrangères désireuses d'investir dans les Territoires palestiniens de lui téléphoner personnellement. Au-delà des clivages entre les différents groupes d'hommes d'affaires, ils ressentent pour la plupart un certain malaise quant à la manière dont l’Autorité nationale palestinienne gère les affaires publiques. Ils sont à la recherche de règles du jeu qui puissent libérer leurs actions, jusqu'ici dépendantes de l'arbitraire d'un seul homme. Peu habitués à faire le siège des administrations dans certaines sociétés hôtes peu bureaucratiques comme c’est le cas en Amérique du Nord, ils ne peuvent attendre des jours et des jours en vue d’obtenir un rendez-vous avec Yasser Arafat ou l'un de ses ministres pour régler un problème quelconque90. 88. Cette position d'interface n'a pourtant pas empêché A. M. Qattan de critiquer de façon véhémente la position prise par l'OLP à propos de l'invasion irakienne. 89. Sommet économique de Casablanca, 1994. 90. ‘ C'est pire lorsqu'ils se heurtent à la bureaucratie corrompue de l'autorité militaire israélienne qui agit jusqu'à présent comme une puissance arbitraire. Il me faut verser un pot-de-vin pour chaque autorisation de me rendre à Jérusalem ou en Israël, et pour chaque licence de commerce. Je paie très cher des agents israéliens du port chaque fois que j'y ai des marchandises à recevoir. J'ai pris un avocat israéliens des plus renommés pour qu'il puisse me défendre devant l'autorité militaire israélienne. Il y a une exploitation de la situation d’occupation des Territoires par le système tertiaire israélien. ‘affaires 'un homme d'Ces propos d palestinien des Territoires occupéun exemple parmi d’autres de la corruption des 's ne sont qu nctionnaires israfoéliens et surtout de ceux qui administrent les Territoires occupé.s Les hommes d'affaires palestiniens ont adopté deux types d'attitude: l'une considère que le développement économique est la condition indispensable pour “matérialiser” un conflit très chargé en symboles, alors que l'autre consiste à dire: “Réglons d'abord les problèmes politiques, l'économie suivra.” Ces deux manières de voir correspondent à deux groupes: l'un, de petite taille, mais au poids économique considérable, préfère œuvrer discrètement. Il est représenté par Monib AlMasri et Al Farra, qui ont choisi d'agir sur le terrain avant de critiquer de façon modérée l’Autorité nationale palestinienne. Mahmoud M. Al-Farra nous déclare que c'est la seule méthode pour influencer la décision de cette autorité: “Après avoir implanté mes projets économiques, j'ai senti que le moment était venu de critiquer les agissements des agents de la sécurité et surtout les opérations d'interpellation à l'aube contre l'opposition (zowar al-fajr).” L'autre groupe, plus important quantitativement, met comme condition préalable à tout investissement l'établissement de règles du jeu démocratiques et leur application sur le terrain. On retiendra plusieurs noms mais surtout ceux de Hassib Sabbagh, Abdel Majid Shouman, Abdel Mohsen Qattan et Saïd Khouri. Ce groupe a exprimé ses idées de façon explicite à l’égard du processus de paix à travers une pétition en huit points. Remettant en cause la manière dont Arafat gère les institutions étatiques, cette pétition fut envoyée à l’Autorité nationale palestinienne, puis publiée par le Journal al-Hayat. Ainsi, si ce groupe a tendance à laisser à Arafat le soin de régler la question nationale, il ne tolère pas son autoritarisme et la centralisation des affaires, pas plus qu'il n'accepte la corruption endémique qui sévit au sein de la centrale. D’autres arguments sont avancés pour critiquer les agissements d’Arafat. Certains ont souligné la portée politique minime des résultats des accords d'Oslo. Un de mes interlocuteurs a rendu Arafat responsable de la détérioration des relations jordano-palestiniennes depuis qu’il prit sur lui, lors des négociations d'Oslo, de ne pas prévenir la Jordanie, partenaire incontournable vu la proximité et l'ampleur de sa communauté palestinienne. Bien que significative, cette déclaration ne saurait au demeurant cacher la position intermédiaire de ce même interlocuteur, qui mène ses affaires à partir du Royaume hachémite mais exprime ses soucis patriotiques en tant qu'originaire de Palestine. L’Autorité, en effet, ne veut pas seulement attirer les investissements de la diaspora dans les Territoires palestiniens, mais exige, de plus, que ces investissements ne tombent pas entre les mains des associations nongouvernementales. En effet, l’Autorité nationale palestinienne constate avec regret que ces dernières se sont développées avant son arrivée à Gaza, car elles ont bénéficié, surtout pendant l'intifada, de dons et d’investissements des organisations internationales, de la Communauté européenne et de la diaspora palestinienne91. Un secteur comme l'agriculture est dominé par le Palestinian Agricultural Relief Committee (PARC) qui gère des milliers de kilomètres carrés de terrains et des centres de recherche et de formation agronomiques. Parce que cet organisme est dirigé par des agronomes proches du Parti du peuple (ex-Parti communiste) favorable aux accords d'Oslo mais défavorable aux accords du Caire, et donc à la manière dont les accords d’Oslo sont appliqués, Arafat n'a pas pu nommer, jusqu'en mars 1996, de ministre de l'Agriculture, ce parti refusant de participer au gouvernement. Malgré une certaine forme de coopération entre Arafat et le PARC, les relations demeurent très tendues et tributaires du climat général de rapport de 91. Les ONG palestiniennes ont secouru une population sous occupation avec une efficacité remarquable, selon les observateurs occidentaux. Des secteurs économiques ont été gérés par des coopératives ou des associations pour fournir un emploi aux jeunes palestiniens. force entre l'opposition de gauche et l’Autorité palestinienne. Cette dernière a conscience que, tant que des fonds alimenteront le PARC, les négociations resteront difficiles92. A travers les rencontres que nous avons eues avec les hommes d'affaires palestiniens, notamment en Amérique du Nord et aux EAU, nous avons constaté qu'une partie d’entre eux préfèrent coordonner leurs activités avec les ONG dans les Territoires palestiniens plutôt qu'avec l’Autorité nationale palestinienne, façon de manifester leur déception vis-à-vis de cette dernière et de renforcer leurs positions lors d’éventuelles négociations. Un an après la mise en application d'Oslo et la constitution de l'Autorité nationale palestinienne, les hommes d'affaires “mitoyens”, soutenus par des intellectuels palestiniens, ont exprimé leur déception quant à l'avenir du processus de paix arabo-israélien et tenté de mobiliser leurs collègues palestiniens en rédigeant en anglais un document intitulé “The Palestinian Crisis: The way out”, qui a été traduit ultérieurement en arabe et publié dans le journal libanais al-Safir93. Ce document, proposé pour la discussion, décrit l'isolement de l'Autorité nationale palestinienne face à l’hégémonie israélienne et analyse l’impasse à laquelle les négociations de paix ont abouti, ainsi que la situation politique et économique qui en découle dans les Territoires palestiniens. Pour résoudre le problème, il suggère une stratégie qui consiste à rassembler les efforts et les compétences des Palestiniens de l'intérieur et de la diaspora dans un Congrès national, dans lequel se réuniraient les membres du Conseil national palestinien et des personnalités éminentes, mais également des personnalités arabes reconnues pour leur engagement dans les questions arabes en général et dans la cause palestinienne en particulier. Les auteurs de ce texte expriment clairement qu'ils ne cherchent pas à se substituer à l'OLP mais, au contraire, à la vivifier pour qu'elle puisse prendre sa place loin du pouvoir d'un seul homme. Nous reproduisons ce document dans l'annexe 2. Après mai 1995: la réconciliation ou l’économie au service de la politique La tension caractérisant les relations entre le groupe engagé des hommes d’affaires “mitoyens” et l'Autorité nationale palestinienne n'a pas perduré. Certains ont joué un rôle de médiateur entre les deux parties. Le nom le plus remarqué en la matière est celui de Monib Al Masri. En effet, il a voulu garder un lien avec l'Autorité en acceptant d'être un ministre palestinien sans portefeuille, tout en étant aussi un homme d'affaires proche du noyau d'opposition formé par Abdel Majid Shouman, Hassib Sabbagh et Abdel Mohsen Qattan, puisqu'il est membre de la Welfare Association et parce qu’il croit au rôle “patriotique” de la diaspora dans la construction des Territoires palestiniens. C’est la raison pour laquelle il est l’un des fondateurs de Padico. Faisant la navette entre Gaza et Amman pour tenter de débloquer le contentieux d principalement aux effets d’Oslo, il arrive à organiser, le 14 mai 1995, une rencontre entre Yasser Arafat et 200 hommes d'affaires dans le palais hachémite d’Amman, en présence du roi Hussein. Le choix d’un lieu si hautement symbolique montre l'importance de la question des relations palestinojordaniennes. De fait, les hommes d'affaires palestiniens, surtout en Jordanie, redoutent de payer le prix de la détérioration de ces relations alors qu’ils vivent dans un pays moitié jordanien, moitié palestinien, “tels al-Muhajirin et al-Ansar réunis 92. Il en va de même pour le secteur de la santé : lors de l'assemblée générale de l'United Holy Land Fund en septembre 1994, le vice-ministre palestinien de la Santé a exhorté la diaspora palestinienne en Amérique à ne pas envoyer de médicaments ni d’aide financière aux ONG, mais au ministère de la Santé exclusivement. 93. Respectant la volonté des auteurs, nous ne dévoilerons pas leurs noms. par le destin”, pour reprendre le propos d'Abdel Majid Shouman94, qui a tenu un discours au nom des hommes d'affaires palestiniens au cours de cette rencontre (alHayat, 25 mai 1995). Dans les débats, une certaine franchise l’a emporté: on a demandé à Arafat des éclaircissements sur “les stratégies et les politiques de développement dans les Territoires palestiniens et sur la constitution de structures appropriées”. D'autres hommes d'affaires ont soulevé la question du système économique que l'Autorité nationale palestinienne envisage d'édifier, de ses orientations entre libéralisation et protectionnisme (ibidem). Si les hommes d'affaires palestiniens ne peuvent pas influencer directement les décisions de l’ANP, ils ont trouvé certains leviers pour mener collectivement leurs actions politiques, comme le Comité jordano-palestinien de coordination, constitué de 15 membres dont 9 hommes d'affaires (président: Abdel Majid Shouman: Hassib Sabbagh, Khaldoun Abo-Hassan, Monib al-Masri, Saïd Khouri, Sabih Al Masri, Nabil al-Sarraf, Mahmoud al-Farra et Moustafa Mourtaja). Ce comité puise sa force dans le statut bi-national de ses membres: pour la plupart, ces hommes d'affaires ont un passeport jordanien et occupent un rang élevé dans l'économie jordanienne, comme Khaldoun Abo-Hassan qui est le président de la Chambre de l'Industrie, et Abdel Majid Shouman, alors que ceux-ci sont des ressortissants d'origine palestinienne extrêment concernés, comme nous avons pu le constater, par la construction des Territoires palestiniens. Ces hommes d’affaires sont l’objet d’une concurrence entre les autorités palestinienne et jordanienne sur le plan économique: chacune convoite leurs investissements et cherche à les attirer. Les divergences politiques entre ces deux autorités compliquent encore la tache de ce comité. Le statut bi-national de ces hommes d’affaires leur permet donc de jouer sur les deux plans mais, paradoxalement, leur marge de manœuvre se rétrécit. Cependant, l'action de ce comité dépasse la simple sphère économique: il a tenté de contrebalancer le pouvoir exécutif de l’Autorité nationale palestinienne en recommandant, dans la première rencontre qui a eu lieu à Amman le 24 mai 1995, un renforcement de cette autorité par des cadres compétents venant de la diaspora palestinienne. A cet effet, Hassib Sabbagh a fait un don d'un million $, auquel s’ajoute la promesse, émanant d'autres hommes d'affaires, d’y ajouter 2millions $. De plus, l'Institut Abdel Majid Shouman a promis la constitution d’une banque de données palestino-jordanienne95. Un dialogue entre ce comité et l’Autorité nationale palestinienne a été engagé et a abouti à l'organisation d'un séminaire sous les auspices de la Ligue arabe. Nous nous arrêterons sur cette rencontre. Le “Symposium on the Reconstruction & Development of Palestine”, qui a eu lieu au Caire les 7-9 novembre 1995, est le couronnement d'un nouvel épisode de consolidation des relations entre l’Autorité nationale palestinienne et la Welfare Association. Vu son importance, Yasser Arafat l’a inauguré, aux côtés des représentants du secrétaire général de la Ligue arabe, du ministre des Affaires étrangères égyptien et du Prince héritier de Jordanie. Une trentaine de participants ont afflué de tous les horizons: on a pu noter, du côté de l’Autorité nationale palestinienne, Ahmad Qureh, Nabil Shaath, Faysal al Husseini, Samir Hulailé (de Picdar); et du côté de la Welfare Association, des hommes d'affaires éminents: Abdel Majid Shouman, Monib Al Masri, Abdel Mohsen Qattan; des économistes: Yousef Sayegh, Georges Abd; un juriste: Anis 94. Shouman fait allusion à la cohabitation paisible entre ce que le prophète Mohammed a appelé les habitants de Yathreb (al-Madina al-Monawwara), al-Ansar, qui avaient accueilli les musulmans fuyant la Mecque (appelés al-Mohajirin). 95. Ce comité a également constitué l'Institut du développement culturel, dont le président est Sabih al-Masri et le secrétaire général le poète Mahmoud Darwish. Qassem... S’y trouvaient également des hommes d'affaires palestiniens d’Egypte: Yousef Al Shanti; de l'intérieur: Ibrahim Abdel Hadi; des politologues venant de centres de recherche basés dans les Territoires autonomes et occupés: Saïd Kan'an, Mahdi Abdel Hadi. Trois discours ont prévalu: celui de l'Autorité nationale palestinienne, qui oscillait entre l'apologétisme et l'optimisme d'Abu 'Ala’ et le réalisme de Nabil Shaath. Pour le premier, le pouvoir économique de l'Autorité est largement capable de répondre aux besoins de reconstruction et de développement de la Palestine, puisqu'il ne part pas de rien et bénéficie de diverses expériences: celle des hommes d'affaires palestiniens de la diaspora, celle du Samed96, celle du département économique de l'OLP et enfin celle des comités spécialisés dans les Territoires palestiniens. Shaath a mieux compris les critiques relatives à la façon dont l’Autorité nationale palestinienne gère les affaires publiques. Le deuxième discours, celui des intellectuels, a joué la franchise: pour Yousef Sayegh, les obstacles de développement, au-delà d'Israêl et des instances internationales, dépendent de l'inertie intérieure de l’ANP qui peut être résumée par deux mots: centralisme et autoritarisme. Le troisième discours était celui des hommes d'affaires. Il nous a semblé moins ouvert que le précédent, vraisemblablement dans un souci de réconciliation avec l’Autorité nationale palestinienne. De façon générale, le ton de la discussion, de part et d'autre, était au dialogue et à la compréhension malgré de courts moments de rupture, surtout à la suite de l'intervention d’Anis Qassem97. Enfin, il faut noter que le souci d’un regroupement pour mener une action collective de poids est partagé aussi bien par les hommes d’affaires de la diaspora que par ceux de l’intérieur. Force est de constater que ces derniers affirment de plus en plus leur volonté de constituer un pôle autonome vis-à-vis de l’OLP: le dernier acte est la constitution de l'Association des hommes d'affaires palestiniens, présidée par Ibrahim Abdel Hardi de Nablus. Si la plupart de ses membres résident dans les Territoires autonomes et occupés, l'idée de départ est de rassembler également ceux de la diaspora. L’association a donné le ton en refusant de participer à la conférence économique de Amman suite au blocus des Territoires autonomes et occupés instauré par Israël. Une position qui a gêné l’Autorité nationale palestinienne, mais également Israël. L'association a annulé une rencontre prévue avec Shahak, l'administrateur civil des zones occupées, malgré sa proposition de délivrer des laissez-passer exceptionnels pour que les hommes d'affaires puissent rentrer à Jérusalem, car cette mesure ne concerne pas tous les Palestiniens. Par ailleurs, l’association s'occupe des questions économiques : elle négocie actuellement avec l'Autorité nationale palestinienne la question de la représentativité des compagnies étrangères. Une place prépondérante dans les sociétés hôtes Les hommes d'affaires palestiniens ont également tenté de renforcer leur place dans la société hôte. Nous pouvons distinguer à cet égard les Palestiniens diasporisés de ceux en transit. En ce qui concerne les hommes d'affaires palestiniens dans le contexte occidental, nous constatons, outre une visée culturelle, une nette orientation politique. Cette participation à la vie publique est relativement récente. Dans un pays 96. Le Samed est l’organe économique de l’OLP. 97. En tant que juriste, Qassem a focalisé sa communication sur les fondements non-démocratiques de certaines lois et mesures prises par l'Autorité nationale palestinienne. Lors de la discussion, Nabil Shaath a violemment réagi. comme le Royaume-Uni, certains hommes d'affaires palestiniens ont tenté d'établir des relations avec le monde politique. C’est le cas de Palestine Aid Association, comprenant de nombreux hommes d'affaires, qui organise des conférences et des soirées dont les recettes financent des projets humanitaires dans les Territoires palestiniens. Elle a invité le 4 juin 1996 le ministre britannique des Affaires étrangères à soutenir la cause palestinienne. On relève également la Next Century Foundation, que Jaweed al-Gossein a créée à la fin des années quatre-vingt avec trois parlementaires (Claude Maurice, Sir Frank Roger et Sir Banny Heyhoe) pour être une tribune “de la pensée libre et du dialogue”98. Mais cette fondation a été victime du contexte entourant la conférence de Madrid, toutes les activités politiques arabes étant considérées automatiquement comme anti-israéliennes. Les relations d’amitié entre Jaweed al-Gossein et David Moller, ex-ministre des Affaires sociales, ont fait l’objet d’un scandale lorsque les journaux appartenant à Maxwell ont révélé que Moller avait passé ses vacances avec la famille al-Gossein à Marbilla en Espagne. Mahmoud Rabbani, lui, nous a fait part des difficultés qu’il avait rencontrées pour débuter des activités politiques en Europe. Homme d'affaires palestinien très influent et même populaire aux Pays-Bas, il a créé Latifa Rabbani Foundation depuis 1979, une association qui favorise, entre autres, le dialogue entre l'Europe et le ProcheOrient. En tant que consul honoraire du Koweit, il a renoué des relations politiques avec plusieurs députés et ministres. Dans le contexte des Etats-Unis, le culturel est mobilisé, comme nous l'avons vu dans le chapitre I, par la sponsorisation ou la création d’associations nationales sportives, sociales et de santé. Malgré l’effectif relativement faible de la communauté palestinienne, des actions politiques ont été entreprises, mais à un niveau modeste. Les différents types d'action que nous avons pu identifier révèlent la dificulté d’élaborer une stratégie qui regroupe et organise ces actions. Ces dernières restent éparpillées et reflètent une réaction plutôt qu'une action. Il s'agit d'une tentative à allure défensive de constituer un lobby arabe ou islamique qui pourrait influencer la politique intérieure et étrangère de ce pays. Interdits d'entrée au sein des instances politiques et sociales (comme les syndicats), et conscients de leur statut d'étranger et du danger que représente une pratique politique dans un système autoritaire, les hommes d'affaires palestiniens dans les pays arabes se manifestent, de manière plus explicite mais systématiquement articulée au politique, dans les circuits de l'action culturelle. L'institut Abdel Al Hamid Shouman, basé à Amman, constitue le meilleur exemple des associations culturelles créées par les hommes d'affaires palestiniens. Nous allons examiner de plus près cette institution, qui porte le nom du fondateur de l'Arab Bank, étant donné son impact sur la société jordanienne. Les objectifs de cet institut - fondé en 1980 par décision de l'assemblée générale de l'Arab Bank- portent sur la participation directe et indirecte des recherches scientifiques arabes et sur la une g'promotion dénération de scientifiques et de spécialistes arabes. L'institut est dotée d'une bibliothèque publique. Une conférence “grand public” fait office de tribune hebdomadaire. L'institut est financé principalement par l'Arab Bank (2% de ses bénéfices) mais également par les dons de la famille Shouman. 2095millions$ ont ainsi été dépensés de 1980 à fin 198699. Le statut des hommes d'affaires palestino-jordaniens ressemble à celui de leurs collègues diasporisés dans les pays arabes, mais avec une particularité très importante qui justifie un traitement radicalement différent. Ils occupent des postes exécutifs et officiels en Jordanie: Abdel Majid Shouman, directeur de l'Arab Bank, 98. Entretien avec Mona Ghussein en mars 1996. 99. Abdel Al Hamid Shouman Institute, l'histoire, les objectifs et les activités, Amman, 1987. considérée comme la colonne vertébrale de l'économie jordanienne, à la fois membre du CNP et du Sénat jordanien; Kamal Nasser, président du syndicat des avocats et ex-ministre de la Justice; Monib al Masri, ancien ministre jordanien 19681971 et ministre sans portefeuille au sein de l'Autorité nationale palestinienne. Nous avons ressenti au cours de notre enquête un embarras certain chez nos interlocuteurs de Jordanie, qui ont du mal à s’afficher publiquement ou à mettre leur nom dans un Who's Who palestinien parce qu'ils sont les principaux représentants de la communauté d'affaires de ce pays. On peut parler ici de la double allégeance entre la société d'origine et la société d'accueil. Nous avons été frappés par la façon dont Abdel Majid Shouman se considère: “Je porte la nationalité jordanienne mais je suis palestinien.” Il évoque froidement “M.Yasser Arafat et ses compagnons”, de même qu’il parle de “gouvernement jordanien” sans jamais dire “nous”. Prenons un autre exemple, celui de l'ingénieur Ibrahim 'Ayach, ex-président du syndicat des ingénieurs de 1976 à 1980 et de 1984 à 1988, puis membre du CNP et du Conseil central de l’OLP depuis 1969. Il se trouve maintenant à la tête d'un bureau d’études très réputé. Il nous raconte : “Je me considère comme citoyen et syndicaliste jordanien à part entière. Toutes les organisations politiques palestiniennes ont non seulement un programme politique concernant la question palestinienne, mais aussi un programme concernant la société jordanienne. Cependant, depuis que la Jordanie a rompu les liens avec la Cisjordanie, les choses ont changé: les autorités jordaniennes ont entrepris de distinguer Jordaniens de souche et Jordaniens originaires de Palestine. Des propos clairement anti-palestiniens sont apparus dans certains journaux.” Depuis le début du processus de paix, un malaise traverse les membres des syndicats professionnels du fait qu'ils regroupent à la fois les membres résidant en Jordanie et ceux résidant en Cisjordanie. Du côté jordanien, il y a ceux qui appellent à l'autonomie des branches existant en Cisjordanie, puisqu'une solution politique est prévue, instaurant l'Etat palestinien. Il s'agit d'un prétexte. En réalité, ils ne veulent pas que les candidats palestiniens bénéficient d'un vote palestinien dans les Territoires occupés. Ibrahim 'Ayach précise que ce facteur joue très peu et donne l'exemple de la candidature de Kamal Nasser, originaire de Cisjordanie, à la présidence du syndicat des avocats. Les avocats palestiniens de Cisjordanie, majoritairement baathistes et de gauche, n'ont pas voté pour lui mais pour son adversaire Hussein Majali, ce qui montre qu'il n'y a pas de vote clanique palestinien unifié. Quant aux Palestiniens, ils ne veulent ni se séparer des centrales syndica les basées à Amman, ni être de simples branches qui reçoivent les ordres de la capitale. Ils veulent établir une unité entre deux parties égales. En somme, la population jordanienne d’origine palestinienne n’a jamais été aussi bien intégrée qu'aujourd'hui, mais paradoxalement, depuis le début du processus de paix, beaucoup de rumeurs et de stéréotypes circulent. En effet, cette intégration fait peur à certains groupes qui voient dans la présence palestinienne une menace pour leurs intêrets économiques et politiques. Conclusion À mi-chemin entre les études macro-économiques de développement et les analyses anthropologiques fines des mutations des sociétés proche-orientales, une sociologie des nouveaux acteurs - tels que les hommes d'affaires - , de leurs déterminations comme de leurs stratégies, nous paraît de nature à éclairer les évolutions sociales et politiques récentes, autant que les problèmes rencontrés par la mise en euvre des programmes de reconstruction des Territoires palestiniens. C'est ce que nous avons tenté d'amorcer dans le cadre de ce travail. Au cours des pages précédentes, nous avons refusé de nous limiter à une analyse en termes de classes, parce que les conditions historiques vont au-delà des considérations sociales inhérentes à la période de libération nationale et à la dispersion. Dans cette situation de transition, il est difficile d’aborder les hommes d'affaires palestiniens de la diaspora comme une classe cohérente, une bourgeoisie ayant une alliance classique avec l’Etat. Ils ne constituent pas non plus un groupe homogène mais plutôt des agrégats ou des sous-groupes au sein desquels chaque individu combine des orientations qui varient en fonction de l’origine géographique, du statut juridique et civique obtenu dans le pays d’accueil et de la proximité de ce pays par rapport aux Territoires palestiniens. Faisons ici un rappel rapide des caractéristiques des hommes d'affaires palestiniens. Ils sont souvent des self-made-men, puisque l’exode brutal a provoqué une fragmentation de la bourgeoisie palestinienne ainsi que des brèches dans la continuité des activités économiques familiales. L’exode, semble-t-il, a stimulé l’endurance et a catalysé un investissement dans le travail et dans l’éducation. Nos hommes d'affaires manipulent ainsi un triple capital - financier, éducationnel et relationnel - qui engendre une dynamique de mutation basée sur une expansion spatiale et sectorielle très différenciée. Ils conjuguent savoir-faire historique et adaptation au contexte local, jusqu'à transformer dans certains cas l'“ ethnic business “ local en réseau transnational. Ils misent beaucoup sur le groupe. Ils pratiquent une démarche économique par phases successives d’accumulation. Le même individu, après une expérience de salariat, monte une petite entreprise qui emploie des compatriotes au statut précaire, puis termine sa trajectoire par une affaire de commerce de gros ou industrielle. Cependant, s'il y a une mobilité sociale vers le haut, il s'agit d'une tendance, car les échecs existent et il n'y a pas que des “ success stories “ dans l’économie palestinienne de l’extérieur. La participation des hommes d'affaires palestiniens de la diaspora à la reconstruction de l’entité palestinienne couvre un champ extrêmement varié, qui va d'une stratégie globale à une aide ponctuelle à cette entité. Néanmoins, seule une petite partie d'entre eux investit dans les Territoires palestiniens, sans que cela signifie une approbation à l'égard des accords de paix. Lorsque nous avons étudié les rapports entre les hommes d'affaires et l'Autorité nationale palestinienne, nous avons identifié un groupe engagé que nous avons appelé les “ mitoyens “. Ce groupe montre un extraordinaire engagement visà-vis des affaires publiques. S'il a adopté un profil bas, c’est justement pour pouvoir mieux négocier avec l'Autorité nationale palestinienne. Ses membres n'attendent pas un plan Marshall pour construire l'entité palestinienne, comme le souhaitent les dirigeants de l'OLP ou même les Palestiniens en général, ils attendent de l'Occident un appui politique plutôt qu'économique. Ils ont appris à prendre l'initiative en tant qu’acteurs privés, sans demander l'aide de l'Etat. Les ressources financières que les hommes d'affaires peuvent mobiliser et les réseaux de relations qu'ils ont tissés à travers le monde leur donnent un accès direct à l'Autorité nationale palestinienne. Ils participent aux événements majeurs (signatures des accords), sont présents dans toutes les délégations officielles ayant visité le Proche-Orient (aux côtés du secrétaire d'Etat américain ou du Premier ministre canadien). Néanmoins, leur rôle dans la prise de décision, surtout en ce qui concerne le processus de paix, demeure limité à la médiation et l’interface, alors que les décisions sont souvent prises par les militants de l’OLP. Le fait de n’être jamais consultés a créé en eux un sentiment de malaise. Ils sont tiraillés entre deux attitudes : n'attendre de l'Autorité nationale palestinienne ni crédit, ni terrain, ni marché, mais seulement une démocratisation et une décentralisation immédiates des instances de décisions, ou être conscients que ce n'est pas le moment de demander des comptes à cette autorité en ce qui concerne la gestion des affaires publiques, le chemin national à parcourir étant encore long ; ils attendent que l'ordre se rétablisse pour conquérir de nouveaux sentiers de pouvoir politique. Quelle sera la capacité de ces noyaux diasporiques à se préoccuper des affaires publiques et non à se limiter au “ bonheur privé “, pour reprendre le terme de Hirschman ? Il est trop tôt pour avoir une réponse précise. Caractérisée par son indépendance à l'égard du “ quasi-Etat “ que représente l'OLP, cette bourgeoisie bénéficie d'un champ d'action très large, puisqu'elle est appuyée par une société civile puissante dans les Territoires palestiniens. Elle a le choix de coopérer soit avec l’Autorité nationale palestinienne, soit avec une kyrielle d'associations et d’ONG, extrêmement florissantes en raison de l'absence de l'Etat, surtout depuis le début de l'intifâda. Une alliance entre les ONG, dont la dynamique amorce un processus de mobilisation sociale, politique et économique, et les hommes d'affaires, saurait créer une force patente et incontournable, capable de faire pression sur l'Autorité nationale palestinienne pour être prise en compte. Si l'action économique de certains hommes d'affaires se dissimule sous ses aspects nationaux, leur arrière-plan, de gauche ou islamiste, garde cependant une grande importance. Ils préfèrent ainsi coopérer avec des associations de la société civile ayant pris leur distance à l'égard de la centrale palestinienne, comme le Palestinian Agricultural Relief Commitee (PARC). En même temps, s'est paradoxalement manifestée la volonté de garder l'espace de l'entreprise privée loin des confrontations politiques classiques et des allégeances qu'elles impliquent. La politique et l’économie, ou la charrue et les beufs À l’heure actuelle, de nouvelles reconfigurations politiques se dessinent avec l’arrivée du Likoud au pouvoir. Les Israéliens, poussés par l’idéologie populiste de Netanyahu, ont choisi une position de statu quo, de “ ni paix ni guerre “ avec les Palestiniens, les Syriens et les Libanais. Personne ne sait si le processus de paix ne réserve pas encore de longues péripéties. Il serait bon de ne pas “ mettre la charue avant les beufs “ et de réfléchir sur la pertinence du volontarisme international qui a fait de l’économie une panacée. L’économie pourrait consolider la paix et non pas la créer. La temporalité économique est déjà longue et les transformations par les macro- et les micro-projets décidés par les donateurs et les hommes d'affaires ne pourront résoudre la situation de misère et de chômage provoquée par le caractère transitoire d’une paix probatoire100. Pire encore, en faisant une analyse purement économique des dynamiques de violence suscitées par le conflit arabo-israélien, des projets macro-économiques transversaux ont été élaborés, impliquant plusieurs pays de la région sans se soucier de relais locaux micro-économiques. On a cru que les problèmes politiques avaient été résolus dans leur cadre général et que le temps était maintenant à l’intégration du Proche-Orient dans l’économie mondiale. Cependant, l'internationalisation de l'économie ne renvoie pas uniquement aux grandes entreprises multinationales mais également aux réseaux des petites et moyennes entreprises. Ces dernières, qui fonctionnent avec la logique du profit, de l’anticipation et de l’évaluation du risque, s’accommodent mal de la logique politique de régulation des conflits et reculent devant l’instabilité sociale (Frédéric Charillon, 1995, p.110 ). Le peu d’investissements engagés dans les Territoires par les Palestiniens de la diaspora montre que les acteurs micro-économiques éprouvent le besoin d’un minimum de stabilité politique, condition nécessaire pour investir. Si nous faisons un bilan sommaire de la normalisation économique entre Israël et ses voisins arabes, la récolte s’avère maigre. Néanmoins, nous constatons que divers schémas de coopération partielle relèvent de géométries variables dans le temps et dans l’espace, qui suggèrent l’efficacité d'une progression à petits pas101. Comme le note Michel Chatelus (1995, p.78 ), il faut tenir compte de la possibilité d’avancées inégales selon les domaines, et l’on peut imaginer une intégration sectorielle dans un champ donné, alors qu’ailleurs on sera à peine sorti des crispations de l’état de belligérance du fait des dimensions politiques, voire émotionnelles, de la question. La normalisation économique n’est plus le fruit d’actes isolés produits par l’Etat, mais concerne petit à petit le secteur privé102. Les sommets économiques sur le Proche-Orient et l’Afrique du Nord réunis à Casablanca (1994), à Amman (1995) et au Caire (1997) ont permis à de nombreux entrepreneurs arabes et israéliens de se rencontrer et éventuellement de signer des contrats. On est donc dans la logique des petits pas. Cette logique nécessite le recours inéluctable à une démarche globale et politique pour surmonter certains blocages, au risque de compromettre, en cas de retard, les progrès réalisés sur le terrain. Encore faut-il s’interroger sur la pertinence de l’appellation “ économie de la paix “ au Proche-Orient. S’il s’agit de déclarer la fin de “ l’économie de guerre “, on peut la comprendre, mais tout en gardant à l’esprit que les multiples logiques économiques engendrées par les guerres successives ont toujours laissé des traces profondes. Maints exemples peuvent l’illustrer : les coûts très élevés de l’utilisation palestinienne du port d’Ashdod, situé en Israël à 40 kilomètres de Gaza, ainsi que les entraves administratives rencontrées, font que les Palestiniens pourraient opter pour Port-Saïd, certes beaucoup plus éloigné ; le fait que certains produits égyptiens soient taxés à 300 % par les Israéliens, comme la bouteille d’eau Baraka, alors que les 100. Avec un taux de chômage de 50 % dans les Territoires palestiniens, des fonds massifs sont nécessaires pour provoquer un changement qualitatif dans la vie quotidienne des Palestiniens. Selon le Centre des investissements, 49 projets financés par les investissements de la diaspora palestinienne à Gaza entre octobre 1991 et octobre 1993 (60 millions $) ont permis l’embauche de 800 personnes, ce qui signifie qu’il faut un capital de 75 000 $ pour créer un emploi (Brochure du centre, Gaza, 1993). 101. Par exemple, le nombre de touristes israéliens en Egypte, en constante augmentation, s'élevait à 295 933 en 1995, selon les statistiques du ministère du Tourisme. Ce chiffre les place ainsi en deuxième position derrière les Allemands (319 312) pour le nombre de visiteurs. De même, le nombre de touristes égyptiens en Israël, qui n’avait pas dépassé les quelques milliers les années précédentes, a atteint 20 000 en 1994. La même année, des Israéliens ont investi pour la première fois dans le développement du tourisme dans le Sinaï (Aryen Dayan, 1995). Le flux de touristes entre Israël et la Jordanie nous semble également très important. 102. Le volume des échanges commerciaux entre Israël et l’Egypte s’est élevé en 1994 à 40 millions $, hors pétrole (Aryen Dayan, 1995). mêmes produits provenant de la CEE sont exemptés de droits de douane en vertu de l’accord de libre-échange dont Israël bénéficie avec la CEE ; les obstacles politiques au franchissement des frontières arabes et à la circulation des réfugiés palestiniens qui les contraignent, dans de nombreux cas, à se cantonner au marché local ou à envisager de s’ouvrir à un marché non régional, comme nous allons le voir cidessous. Régionalisation de l’économie palestinienne : défi et transgression Selon le contexte économique et politique des sociétés d'accueil, on rencontre des concentrations spécifiques d’entreprises palestiniennes : dans certains pays, on peut parler d'une concentration dans des “ niches économiques “ particulières qui a fait la prospérité des investisseurs palestiniens. Dans d'autres, ils se concentrent dans des secteurs en déroute, renforçant ainsi leur fragilité juridique. Mais en général, l’économie palestinienne de l’extérieur ne fonctionne pas comme une économie communautaire enclavée. En tout cas, dans le cadre de l'économie de marché, il ne peut exister de circuit exclusif aux mains d'un seul groupe. Il s'agit plutôt d'un segment du tissu économique local ou national, voire transnational, qui est devenu assez hétérogène et discontinu parce que sujet à plusieurs logiques (non pas tant celles de la communauté que celles du marché). Ce segment ne peut exister qu'à la condition d'être en mesure d'établir des échanges et de s’allier avec d'autres segments. Cependant, sortir du niveau local est une démarche extrêmement complexe. Les frontières interarabes ou avec les Territoires palestiniens constituent une grande entrave à la circulation des hommes d'affaires palestiniens et à leurs marchandises. La plupart des entreprises palestiniennes de la diaspora ont longtemps été cantonnées dans un espace local. Cependant, notre enquête a relevé les efforts déployés par les hommes d'affaires rencontrés pour surmonter les obstacles. Nous avons constaté deux phénomènes : d’abord, la dispersion des membres des familles palestiniennes a favorisé l’utilisation des réseaux familiaux qui servent de paravent mais qui servent aussi à étendre à d’autres pays les activités économiques d’un pays donné, et au moins à élargir le marché. Ces réseaux ne fonctionnent pas seulement dans un dispositif économique strictement localisé dans un cadre national - celui du pays d’accueil mais aussi - à l'échelle internationale grâce à un système de réseaux transnationaux créés dans le cadre du fonctionnement en diaspora. Car la diaspora n'est pas seulement une dispersion, elle se définit, sur le plan morphologique, par la multipolarité de la migration et l’interpolarité des relations entre différents lieux de fixation. Cependant, de quelle sorte de réseaux s'agit-il, et en quoi se différencient-ils de ceux que l'on trouve dans les autres groupes ? Qu’entend-on au juste par “ capital social “ ou “ capital relationnel “ et comment se manifestent-ils ? À ce stade, notre recherche ne nous a pas permis d’apporter davantage d’explications sur l’ampleur et le fonctionnement des réseaux palestiniens, et nous ne pouvons que confirmer l'extraordinaire sous-emploi de ces réseaux. La dynamique d'échanges commerciaux dans la région proche-orientale n’a pas suffisamment bénéficié de la dispersion palestinienne. Le deuxième phénomène consiste à surmonter l’instabilité juridique et la marginalisation par la quête de passeport(s) ou de nationalité, surtout pour ceux ayant un document de voyage, égyptien ou libanais, voire, dans une moindre mesure, syrien. Aux EAU, à peu près 20 % des individus constituant notre échantillon ont un passeport américain ou canadien - ou des papiers d’immigration vers ces deux pays .en attente -Ce phénomène a commencé après la première guerre du Golfe, suite à la crise économique qui a secoué la région et o une série de licenciements a touché, entre autres, les Palestiniens. Ceux-ci ont souvent postulé pour un visa d’immigration en tant qu’investisseur, surtout au Canada, et ils ont fait la navette entre ce pays et le Golfe pendant trois ans au bout desquels il est possible d’obtenir un passeport. Rares sont ceux qui ont émigré effectivement. Mais avec la deuxième guerre du Golfe, le mouvement vers l’Amérique bat son plein. L’exode palestinien du Golfe, et surtout du Koweit - qui a touché, selon certaines estimations, 400000 personnesa , largement affecté l’économie palestinienne de la diaspora, en particulier pour ceux qui n’ont pas pu trouver facilement un pays d’accueil. L’Egypte, par exemple, n’a pas permis à ceux ayant un document de voyage égyptien de rentrer. Le Liban, ultérieurement, a imposé un visa de retour pour les Palestiniens expulsés de Libye ayant un document de voyage libanais, qualifiés à cette occasion de “ déchets humains “ par le ministre libanais du Tourisme. Beaucoup d’entre eux ont résidé “ provisoirement “ en Irak en attendant d’autres destinations plus “ sres “, ou sont partis pour l’Amérique du Nord, Bélize, la République dominicaine ou l’Europe : France, Angleterre, Allemagne. Prenons l’itinéraire d’un homme d'affaires palestinien, A.S.A. Né au Caire en 1948, A.S.A. est originaire d’Hébron. Son père est réfugié politique en Egypte et responsable du Haut Comité arabe après avoir combattu l’occupation britannique en Palestine, et avoir été le bras droit d’Amin al-Husseini. Suivant le chemin de son père et sensibilisé par la défaite arabe en 1967, A.S.A. s’engage dans le Fatah pendant 5 ans, aussitôt après avoir obtenu son baccalauréat. Il se dirige ensuite vers le Koweit pour commencer sa vie professionnelle comme simple ouvrier avant de devenir, en partenariat, agent agréé Mercedes de pièces détachées pour camions. En juin 1990, A.S.A. demande comme d’habitude un visa d’entrée en Egypte pour sa famille, afin d’y passer les vacances. En dépit de son document de voyage égyptien, le consulat rejette sa demande en vertu des nouvelles mesures103. Il se décide alors pour la première fois à postuler comme immigrant pour le Canada dans le but d’obtenir un passeport. Il se présente au consulat canadien comme investisseur et fait, seul, un premier voyage pour déposer 50000 $ canadiens dans une banque selon les procédures en vigueur. À son retour et avant qu’il n’ait le temps de préparer les papiers nécessaires à l’immigration, l’Irak envahit le Koweit et le consulat canadien ferme ses portes. Alors que l’insécurité règne au Koweit, il continue à travailler en utilisant ses stocks jusqu’à ce qu’on lui en vole une partie. Craignant le pire, il transfère ses entrepôts à Bagdad. Il y ouvre un commerce tout en cherchant une échappatoire. Son ancien partenaire, Palestinien d’Hébron et résident en Jordanie, lui offre son aide pour contacter le consulat canadien à Damas, mais chaque fois qu’il obtient un rendez-vous, les autorités jordaniennes lui refusent l’entrée sur le territoire. Il perd ainsi la possibilité d’émigrer au Canada. Un jour, son partenaire lui indique Bélize, un pays devenu indépendant depuis peu en Amérique latine104, qui accepte les investisseurs contre une somme de 50000 $ pour l’Etat et 15000 $ pour les papiers. Avant même de savoir o se situe ce pays, il demande la naturalisation et obtient ainsi le passeport bélizien. Il nous a déclaré qu’à ce moment-là, il s’est senti “ citoyen du monde “ et enfin en sécurité. En 1994, après une attente de trois ans en Irak, il part pour la Jordanie, d’o il pense retourner au Koweit, puisqu’il y a toujours sa société et qu’il est agent agréé Mercedes. Alors qu’il se prépare pour le départ, un de ses amis le prévient que les monarchies du Golfe ont pris la décision d’interdire 103. Pour lui, c’est la preuve que les autorités égyptiennes savaient que l’Irak allait envahir le Koweit deux mois à l’avance. C’est pourquoi elles n’ont pas accepté de vacanciers palestiniens qui n’auraient pas pu retourner au Koweit. 104. Bélize, situé entre le Mexique et le Guatémala, a une superficie de 22 000 km2 et 220 000 habitants. l’entrée sur leur territoire des détenteurs de passeports béliziens, après avoir découvert que de nombreux Palestiniens retournaient chez eux comme citoyens béliziens. Il se résigne et reste à Amman, o il entreprend une affaire peu fructueuse. Finalement, il obtient un visa pour Dubaï, o il est actuellement patron d’une société de distribution de pièces détachées pour camions Mercedes. Il est inutile de commenter un tel récit, suffisamment révélateur des difficultés que rencontrent les homme d'affaires palestiniens ayant un statut précaire (en transit). Libéraux, sont-ils démocrates ? Beaucoup d'intellectuels ont longtemps cru au rôle décisif des pays démocratiques occidentaux dans l'amorce d'une dynamique contraignant les pouvoirs autoritaires à démocratiser leur système politique et à respecter les droits de l'homme. Or, les efforts déployés restent modestes, plus symboliques qu'efficaces, et dépendent du type de relations entre l'instance politique d'un Etat occidental et celle d'un Etat autoritaire. La guerre du Golfe n'a été qu'un exemple des traitements radicalement différents donnés par les Occidentaux au régime irakien et aux pétro-monarchies du Golfe : on a beaucoup parlé du pouvoir despotique irakien mais fermé les yeux sur ses voisins. Les intérêts politiques mais surtout économiques déterminent dorénavant l'ampleur des critiques adressées aux Etats autoritaires, ceci au détriment de certaines valeurs. Les contrats économiques signés par les Français ou les Américains avec la Chine l’ont été à la condition que ces pays “ n'interfèrent pas dans sa politique intérieure “. Les positions étatiques occidentales dépendent également de la nature de l'opposition susceptible d'arriver “ démocratiquement “ au pouvoir. Autrement dit, on préfère soutenir un despote qu'une opposition islamiste, un Etat autoritaire fort plutôt qu'un Etat démocratique mais déstabilisé. Ainsi, en perdant à différents degrés leurs “ alliés occidentaux “, les sociétés civiles dans les pays autoritaires subissent dorénavant une forte répression de la part de leur Etat. Dans certains pays, la société civile est créée d'une manière très mesurée par l'Etat lui-même, de façon à rappeler qu'elle reste tributaire de la “ générosité “ de ce dernier. Cette esquisse schématique et pessimiste des relations triangulaires entre Etat autoritaire, société civile et Etats démocratiques n’est toutefois qu’un des scénarios possibles d’une réalité riche et nuancée. Elle devrait être tempérée par la diversité des acteurs sociaux et politiques à l'intérieur des Etats occidentaux et par conséquent de leurs différents intérêts. Ainsi, la position des ONG - comme Amnesty International et d'autres est importante sans , - être toutefois contraignante. Les gouvernements occidentaux n'ont d'ailleurs pas toujours la même position : différents facteurs influencent leurs décisions. Cependant, contrairement à l'opposition intérieure, vouée à un sort dramatique et à la répression quotidienne, l'opposition dirigée de l'extérieur a bénéficié, elle, d'une certaine protection de la part de la société d'accueil, ce qui lui a donné une relative liberté pour mener ses actions. Cela nous a amené à réfléchir sur l'importance des acteurs transnationaux, tels que les hommes d’affaires palestiniens de la diaspora, qui manipulent différents registres entre leur société hôte et les Territoires palestiniens, dans le processus de démocratisation auquel ces Territoires pourraient participer. Cette entreprise est doublement périlleuse, à cause de la diversité des acteurs et de la jeunesse de cette entité politique, dépourvue de souveraineté, et que l'on ne peut considérer purement et simplement comme un pouvoir autoritaire, bien qu'elle ait un penchant pour l'autoritarisme. L'histoire de la bourgeoisie palestinienne pendant le mandat britannique offre, semble-t-il, très peu d’éléments concernant ses revendications politiques et ses relations avec le gouvernement et l'“ autorité “ nationale de cette époque. Car, depuis le mandat, l'expérience politique apporte des éléments tout à fait nouveaux : diasporisation de la bourgeoisie et impact de la nature du système politique dans la société hôte, proximité de l'Etat israélien, certes ennemi, mais largement démocratique par rapport aux dictatures arabes. Cependant, si l’on refuse de mener un raisonnement évolutionniste, la manière dont les hommes d'affaires palestiniens se comportent dans la diaspora offre un observatoire privilégié. Si l’on prend le cas d'un pays dans lequel un processus démocratique a été déclenché à la fin des années quatre-vingt, offrant une certaine liberté d’expression politique - si embryonnaire soit-elledurant cette ,on constate que , - période, les hommes d'affaires jordaniens originaires de Palestine n'ont pas utilisé leur influence pour accélérer le processus. Les porte-parole de la revendication démocratique sont les syndicats professionnels (notamment ceux des avocats, des journalistes et des ingénieurs) ainsi que les partis politiques. On a l'impression que ces hommes d'affaires se sont limités à la revendication de règles du jeu claires, nécessaires à la bonne marche de leurs affaires, sans aller au-delà105. Mais la leçon est maigre si l'on tient compte du fait que la position des hommes d'affaires palestiniens, comme celle du reste de leur communauté, est critique, voire fragile, de sorte qu'ils sont contraints d'adopter un profil bas. Notre enquête auprès des hommes d'affaires aux Etats-Unis, au Canada, en Egypte, en Syrie et dans les Emirats arabes unis a permis d'éclairer les fondements de leurs revendications socio-politiques, et elle a montré une grande diversité de discours selon l'expérience acquise dans la société d'accueil, même si cette relation de cause à effet n'a pas un caractère automatique. Nous avons pu constater une aspiration plus forte à la démocratie chez les hommes d'affaires palestiniens vivant en Amérique que chez ceux vivant en Syrie ou en Egypte. Mais les positions varient à l'intérieur même des sociétés hôtes. Nous avons également constaté que cette aspiration à la démocratie n'a pas toujours été posée dans leur discours comme un objectif essentiel, bien que la plupart soient “ libéraux “. Pour les uns, la démocratisation signifie seulement une décentralisation des pouvoirs. Pour les autres, c'est la liberté d'expression et la possibilité de participation au politique. Ou encore, elle est considérée comme un but à long terme qui devrait être reporté après la fin de l'occupation israélienne. Cependant, nous ne pouvons considérer la bourgeoisie palestinienne comme la classe porteuse du processus démocratique. Peut-être se développe-t-il seulement en son sein une société civile. 105. Entretien avec le secrétaire général de l'Association des hommes d'affaires jordaniens. ANNEXE I Les sociétés anonymes d'investissement - Beit al-Mal al-Arabi al-Falestini (Arab Palestinian Financial Foundation). Président, Mazen Sonqrot. Fondée par une dizaine d'hommes d'affaires pour la plupart originaires des Territoires palestiniens. Société islamique d'investissement, au capital de 15 millions $. Objectifs : fondation d'une banque islamique et développement dans les secteurs du commerce, de l'industrie et de la construction. - Palestine Bank for Investment. Première banque palestinienne de Gaza. Capital de 20 millions $ avec participation d'hommes d'affaires palestiniens, jordaniens et du Golfe (Abdel-Ghafar Jamjoum106 d'Arabie Saoudite et Issa AbuIssa107 du Qatar). Président du conseil d'administration, Abdel al-Kader al-Qadi. Projets de développement, notamment dans le secteur de la construction. - Arab Palestine Co. for Investment (APIC). Première assemblée générale à Dubaï le 24/05/95. Soutenue par Capital Trust, Rana Co. (Arabie Saoudite) pour le rassemblement de fonds. Capital déclaré, 100 millions $. Associés : Omar 'Aqad, Hassib Sabagh, Zein Mayyassi, Mohammed Omran Bamyyé, Omar Abass, Hamad Hanti, Mohammed al-'Amoudi, Ghaldoun Srour, Nabil Attari, Fou'ad Qatan, etc.108 - Jirico Motels Co. Société d'actions créée avec un capital de 5 millions $ pour la construction d'un village touristique à Gaza109. - Palestine for Investment. Société constituée à l'initiative de 11 hommes d'affaires et sociétés, dont Abdel Qader al-Qadi, président du conseil d'administration, Ali Smihat (ancien ministre jordanien), vice-président, Hani al-Qadi, membre délégué d'une banque, Abdel Ghaffar Jamjoum (Arabie Saoudite), Salam Co., Issa Abu Issa (Qatar), Mohammed Khalil Abu Rab, Abdel Halim Hasan al-Ifrangi, Antoine Youssef Mansour, Ghassan al-Shak'a, Mohammed Mahmoud al-Souraji, Rowad Palestine for Investissement (Kamal Hassoun). Assemblée générale le 17/09/94 à Amman, y assistaient 60 hommes d'affaires palestiniens, jordaniens et du Golfe110. 106. Abdel-Ghafar Jamjoum appartient à la direction de la société Jamjoum for Commerce & Industry qui, avec un chiffre d'affaires de 621 millions de rials, se situe à la 37e position au classement des 100 premières sociétés saoudiennes. Ses activités concernent divers secteurs : pharmacie, industrie automobile, jus de fruits, construction, commerce de détail. Cette société possède le gigantesque Jamjoum Center, plus grande galerie marchande du Moyen-Orient qui fait l'orgueil de la ville de Djeddah en Arabie Saoudite. 107. Il est représentant de l'al-Salam Co. 108. Al-Hayat, 19/04/94. 109. Al-Hayat, 19/09/94. 110. On peut noter également deux sociétés spécialisées dans le secteur de la construction. La première, au capital de 20 millions $, a été fondée pour des hommes d'affaires palestiniens du Golfe : 'Aid Zandah, président, 'Imad Shoublaq, vice-président, Yousef Balbisi, secrétaire général. La deuxième, au capital de 200.000 $, a été fondée par deux hommes d'affaires palestiniens résidant en Egypte : Yousef Shanti et Jalil Mohanna (al-Hayat, 12/09/95). ANNEXE II The Palestinian Crisis: The Way Out I. General There is no doubt that the Palestinians are in a crisis. The "peace process" has ground to a halt and the Oslo agreement is collapsing in a heap of the dashed expectations of the hopeful and the grim machinations of the cynics. On both side of the Israeli-Palestinian divide critics and opponents of the Rabin-Arafat demarche are becoming stronger and more vocal. The U.S. and Russia, the two sponsors of the process, are preoccupied by other concerns. In the larger Arab-Israeli context, the easy gains have been painlessly made peace with Jordan, representation with Morocco and Tunisia, while the tougher challenges remain peace with Syria and Lebanon, regional economic cooperation. Even Rabin and Arafat who initially provided the needed thrust to keep the process moving are losing enthusiasm for it. Clearly, if the "peace process" is to survive, resuscitation may be enough. The process may have to be reconstructed from the rubble of Oslo. On the Palestinian side, not only is Arafat leadership in crisis, but the Palestinian people themselves are also at a crossroads. Having acquiesced in the Oslo agreement with resigned disappointment, they were unwilling or unable to help the Arafat leadership dynmize the process and thereby seek to achieve an acceptable measure of success in the West Bank and Gaza Strip (WBGS). More than twenty months later, and having left Arafat to mismanage the affair and turn it into a dismal failure, they find themselves lacking the will or the ability to displace him for more acceptable alternative. For the U.S., the True, single sponsor of the "peace process", after having succeeded in derailing the intifada in Palestine and in destroying or neutralising any potential threats to Israel in the region, has now reassured itself that it can leave matter in the able hands of its reliable regional partner wile it redirects its attention to other domestic and international concerns. However, wile most participants in the peace process appear to have settled into a more or less stable, if not entirely satisfactory situation, it is the Palestinian people who continue to bear the bulk of the burden of pain and suffering. It is ironic but tragic that those who were presumed to be primary beneficiaries of the success of peace process have now become the hapless victims of its failure. II. The Palestinian condition 1. Implementation of the Agreements It was clear from the beginning that the Declaration of Principles (DOP), being a deliberately general and ambiguous agreement mandating a sovereign state to cede certain powers to an autonomous authority for self-governance, required for its implementation a minimum of flexibility (even "generosity") on the part of Israel and certain measure of dynamism and diligence on the part of Palestinian Authority (PA). It has now become evident that neither of these two conditions has materialised. Thus Rabin, under mounting pressure from right-wing forces within the government and the military (including the Intelligence) is becoming increasingly intransigent while the Palestinian leadership remains manifestly incapable of either exacting real concessions from Israel or efficiently managing whatever authority it has hitherto acquired. "Gaza/ Jericho First" may not become "Gaza/ Jericho the End" but it is now clear that according to Israel's interpretation of the agreement (and hence that of the U.S.), the Palestinians should not entertain any illusions that there is very much for them beyond "Gaza/ Jericho". It is in this sense that Oslo is dead. "Full empowerment" in the West Bank, due to take place according to the DOP by July 1994, has slipped disastrously and so have the elections. The evacuation of most of the West Bank through re-deployment of Israeli forces is nowhere in sight. If and when it arrives, it will turn out to be more complicated and limited than originally envisaged. Israel will not leave the West Bank in any meaningful sense of the term. Control of the border crossings has been delayed and complicated beyond recognition. Domestic political support for Oslo and subsequent agreements is rapidly collapsing among both Palestinians and Israelis, while the interest, much less the concern, of the international community is fading or has already evaporated. 2. Economic Conditions To a large extent, the core content of the Oslo and subsequent agreements is economic and administrative in nature. From the start, Israel has resolutely insisted on, and Arafat has meekly acquiesced in the denial of Palestinian fundamental and political rights sovereignty, selfdetermination, right of return for expatriates and refugees, statehood, independent management of external relations. But even by the more limited criterion of promised economic performance, Oslo has been, for the Palestinians at least, an unmitigated failure. Work in Israel, a major source of employment and income, even if a sign of humiliation and deep resentment for Palestinians, has dried up, while the presumed substitute in the form of local reconstruction and development has not materialised. Unemployment in the Gaza Strip has climbed to over 50 percent and in the West Bank to over 35 percent, on par with the poorest of sub-Saharan African countries. The promise of considerable development aid for reconstruction and development ($2.4 billion pledged in Washington in October 1994 is fading as the result of Israeli obstructionism, the PA's lack of competence or seriousness of purpose, and bureaucratic and political constraints on the part of the donors. What has materialised instead is a trickle of funds for budget support, largely for paying the salaries of a civil service inflated by the inclusion of more than 19,000 "policemen" and 8,000 new hirees (in addition to the 20,000 or so inherited from the Israeli Civil Administration placed on the public payroll as a reward for their loyalty to Arafat and as an element in a strategy to ensure his survival at the helm. In the meantime, the opportunities that became available under the Paris protocol of April 1994 for reopening trade channels with Jordan and the Arab countries have been dissipated under the dual pressures of Israeli obstruction and Arafat's corruptibility. Imports of petroleum products, cement, grains, machinery and the development inputs that were supposed to come in from or through the neighbouring Arab countries continue to be imported from Israel, largely as a result of secret agreements signed by a decision of Arafat (and the advice of his non-Palestinian and shady advisors).In effect, the Palestinian economy of the WBGS is now more closely tied to and dependent upon Israel ever before! The private sector, for its part, has been making cautious moves in the WBGS as reflected in the opening of commercial banks, registration of companies, and construction of housing and commercial space. However, the impact on income and employment has been minimal, while land speculation among the property owners and the wealthy has drastically diminished the ability of the vast majority to afford decent housing. Moreover, in the absence of clear and transparent legislation and regulations governing the private sector, its activity has proceeded in an ambiguous environment where Arafat's own personal intervention is required for almost all important truncations. These conditions have opened the way for widespread corruption and for the exclusion of the smaller, independent businessman to the advantage of the politically connected, large, influential and often corrupt operators (most of whom are those who had also flourished under the Israeli occupation). 3. The system of Governance in the WBGS With the exception of those aspects which touched upon the specific interests of Israel, the system of governance in the WBGS under Israeli occupation largely atrophied or decayed. The exceptions included such matters of concern to Israel as the security of Israelis (both in Israel and in the settlement), the imperative of financing the occupation (or reaping a surplus from it), and the need to encourage the emigration of Palestinians and to control the use of land. For all these purposes, the Israelis developed modern and highly sophisticated systems of governance and control, such as the Departments if Interior (security), taxation, and the control of border entry points and land registration. Departments which performed functions of overwhelming importance to the Palestinians but which did not directly affect Israeli concerns, e.g. education, health, agriculture, were treaded with benign neglect or worse. It is not surprising that Israel as an occupying power treated the WBGS in this manner. What is especially ironic is that Arafat and his entourage, once installed in a position of authority, have mimicked Israel's attitudes and policies. The PA has thus focused its attention essentially on safeguarding power in the hands of Arafat and his loyalists, on maintaining security for Israelis, on silencing Palestinian opposition, and on siphoning off from the public Treasury whatever financial resources may be needs to achieve these goals, even if this meant starving those departments that cater to the basic needs of the population such as health and education. More than 50 percent of the entire budget of the PA (close to $220 million per month gets spent on "the caring and feeding" of the Arafat political system. In the meantime, the most basic features of modern system of governance are totally absent. No attempt has been made to date to establish a system of laws by which the Palestinian society is to govern itself, nor has the PA bothered even to conduct a systematic review of inherited military orders to cleanse them of any decrees or regulations that may be inimical to Palestinian interests. The judicial system remains in a state of disarray while the PA in Gaza, responding to the demands of the Americans and the Israelis, has set up military courts to deal with the opposition without due process of law. Administrative systems are primitive, ambiguous, contradictory and leave wide margins of discretion to the personal whims of those in charge, inviting malfeasance and corruption. Citizens have no established legal recourse for venting their grievances. Moreover, Palestinians in the WBGS now have to cope with the dual weight of one system of oppression and control on top of another : the heavy and arbitrary bureaucracy of the PA as well as cumbersome and repressive regulations imposed by Israel, as the latter remain in effect on travel permits, on residence, on security clearance for work in Israel, on all matters related to imports and exports, and on many more vital activities affecting the daily life of the ordinary Palestinian citizen. Preparations for elections proceed at a snail's pace, but there is no longer any manifest enthusiasm for them, neither within the authority nor among the population at large. All expect very little real change to come out of the whole process. Fatah which has now completed its transformation to what is essentially a ruling political and security apparatus, will probably dominate the elections as it now dominates the PA, and together with the "independent nationalists" will, after the elections, continue to run things as before. The opposition factions, with the exception of Hamas, have lost steam, credibility or both. They no longer count. The PA's relations with the PLO structure and with the Palestinian population outside the WBGS have been seriously compromised. With Arafat at the head of what is essentially a "local" authority, the question of who represents the Palestinians and how they are to be represented has now been confused by Arafat's plunge into the autonomy process while accountability has been lost. Large sections of the Palestinian people, the majority, (in Israel and in the "Diaspora") probably feel neglected, perhaps abandoned. This disintegration of the Palestinian body politic and the confusion surrounding the institutional structure of the PLO represent serious setbacks to the Palestinians hardwon gains of political unity and a sense of national identity. 4. External Relations Having engulfing itself in the consuming process of virtually continuous negotiations with the Israelis without the participation of any outside parties, Palestinian or otherwise, the Arafat leadership has gown increasingly isolated from the wider Arab and international environment. This leadership is in a state of no-communication with about half of the members of the Arab League while its relations with the critical group of neighbouring countries range from begrudging tolerance- Egypt and Jordanto outright hostility -Syria and Lebanon-. Tensions between the PA and Jordan rise more often than subside, and the dreamed of integration of the two economies is now more distant than ever. In the meantime, many Arab countries, finding in Arafat's capitulation their long-sought excuse to cozy up to Israel, have gone on to establish contacts with Israeli officials and businessmen and to cut deals in a variety of fields. Arafat has auctioned off the moral treasures bequeathed upon him by successive generations of patriots and martyrs. Liberation and progressive movements everywhere, which had long viewed the PLO and Arafat with sympathy and admiration, now consider him with resentment and contempt. The contrast with Mandela never fails to be made. III. Key Issues and Requirements The present situation gives rise to a number of issues that need to be addressed by Palestinians, the most urgent of which may be summarized as follows : 1. The Limits of Autonomy One of the major departures from the Madrid framework brought about by the Oslo deal is the imposition of severe limits on the nature and scope of "self-governance" or autonomy. At the same time, and considering that the DOP itself is replete with ambiguous "principles" and nuanced declarations, it also provides the parties involved with wide discretion in interpreting its content. Having signed the DOP, the Arafat leadership had only one possibility to pursue (and not a very promising one at that) to create a more or less satisfactory outcome out of an unsatisfactory agreements. This essentially would have required him to mobilize all the resources at the Palestinians' disposal to create facts on the ground that would expand the limits of the DOP. This would have called for securing the support of the international community, the solidarity of the Arab states, and most importantly, the full engagement of all Palestinian human, intellectual, financial and organisation resources. As the Palestinian leadership fails to seize uponsuch a dynamic strategy, the interpretation of the agreement was left to the Israelis who, naturally knew very how to seize and maintain control of the peace process and how to turn the DOP to their own advantage at almost every turn of the subsequent negotiations. Unfortunately, this opportunity for the Palestinians almost been irretrievable lost, and a second "assault" on the DOP to refashion it to greater Palestinian advantage would most probably fail. What needs to be done is to deal with the situation on the ground that has developed since the Oslo and subsequent agreements were signed. The objective would be to alter this situation by dynamizing all of its aspects so as to create out of the interim arrangements the necessary conditions for success in the "final status" negotiations. This approach would require expanding the limits if autonomy in all directions and generating sufficient momentum so as to place Israel on the defensive on such vital issues as the settlements, confiscation of land, release of political prisoners, the return of refugees, and, of course, Jerusalem, issues with regard to which Israel has committed gross violations and has pursued illegal policies and practices by not only the standards of international law and agreements but also the standards its own Western allies. Clearly, the task would not be easy but, in the circumstances, there is no other choice but to try. 2. The Primitiveness of the system of governance in the WBGS Even within the limits of the autonomy agreements, there remain wide margins for Palestinian discretion in the areas of domestic political structures and organisation, economic management, judicial system development, organisation of the central government and local authorities, even legislation within certain, not yet fully defined parameters. But as indicated earlier, even within these domains no attempt has been made by the Arafat leadership to create the social and administrative underpinnings of a modern state, even one with less full independence. The challenge here is to seek to reconstitute the Palestinian society, on the basis of certain "organizing principles" that are rational, modern, and resilient. It is to be expected that Israel for its part may obstruct such a project, as indeed it has with the elections, but such opposition should not stand in the way of a Palestinian drive to organize their own society on the basis of open, democratic and secular principles. Moreover, in this particular area, the Palestinians can count on the understanding, if not the full support of the developed countries and large sections of the world public opinion. In this regard, the Palestinian leadership, with the participation and help of the Palestinian intelligentsia, is be called upon to articulate a vision of an open and democratic society and a relatively free and liberal economic system. This vision would then need to be translated into specific, legal, political, economic, and administrative structures that would constitute modern "state", even if such a state were, for a transitional period, to lack fully political sovereignty. 3. Political and Demographic Disintegration The autonomy accords and Arafat's plunge into the process that followed, including his installation at the head of the PA in Gaza, have led to the collapse of the one pillar that had held the "tent" under which all Palestinians could assemble, i.e. the PLO. Now the PLO is in a shambles, a moribund, fossilized organization. The various Palestinian communities feel estranged and have been left to fend for themselves in an environment that is far less benign now that it had ever been for decades. This is a major setback for the Palestinians and an inordinately high cost to pay for whatever meager results the "autonomy" may have brought or is likely to bring. What is needed is to put a stop to the rapid dissipation and alienation of the Palestinian community and re-unite the Palestinians under a revival national leadership and within a political structure that would give all Palestinians the opportunity and the means to work together towards common national goals. Clearly, the PLO as originally intended, needs to be reconstituted to fulfill this most essential historic requirement. 4. Social and Economic Deterioration in the WBGS Whatever the political limitations of the autonomy may be, its economic constraints are somewhat less severe. As noted earlier even in this more narrowly circumscribed domain the performance of the PA has been dismal. Worsening economic conditions could, if they continue, bring about social disintegration and, ultimately, a violent implosion of potentially grave consequences. In the socio-economic domain, what is required is a reconstitution of the organs of the PA to render them modern and efficient, the mobilization of Palestinian expatriates to serve in a reconstruction and development program with the help and support of the multinational and regional institutions and the international donor community. The program would need to be implemented under an accelerated schedule in order to help make up for lost time, to rapidly absorb the unemployed labour force, to expand production and exports and to lay down the foundation of a modern and prosperous economy. 5. Isolation of the Palestinian Leadership Reference has already been made to the Arab and international isolation of the Palestinian leadership brought on since the Gulf War by Arafat's disastrous decisions and compounded by a go-italone settlement with Israel. Except for self-serving overtures to Saudi Arabia And occasional warming of relations with Jordan, the Arafat leadership has failed to develop a serious, systematic strategy to deal with its costly isolation. Furthermore, Arafat's full preoccupation with continuous, details, and increasingly futile negotiations with Israel and with day-to-day administration of the PA in Gaza has distracted him from even giving the issue the attention it deserves, while his expedient financial arrangements with Israel have reduced the incentives for him to do so . In the meantime, the consequences for the Palestinian people themselves who have to reside and work not only in the WBGS but also inn the neighbouring Arab countries as well, are troubling and serious. What is required in this regard is the formulation of a strategy for restoring Palestinian-Arab relations to a reasonable level of functionality and effectiveness and to re-establish good relations with the international community at large, especially with all those progressive forces that had for decades nurtured the Palestinian movement with sympathy and support. 6. Israel's Expanding Hegemony For more than four decades, but especially since the Camp David Accords, Israel's regional hegemony has never been in dispute. But in the early years, this hegemony has always met with a sullen, if ineffective, refusal by the Arab states. With the Palestinian-Israeli agreement , which was predictably followed by other agreements with Arab countries and near normalization throughout most of the region, Israel's hegemony has now been tacitly or otherwise, accepted, if not entirely legitimized. The Arafat leadership, by splitting from the Madrid formula, which was based on a common pan-Arab approach, and striking a unilateral deal with Israel must bear the historic responsibility for the larger and deeper consequences. the Palestinian people themselves must also decide if they wish to share this burden with their leadership or if, alternatively, they wish to relieve their collective conscience of its weight. What is required here, is not so much to seek to undo what has been done, as this would be impossible, even if desirable and entirely legitimate, in the circumstances, but to shape an Arab strategy to help contain Israeli hegemony in the region. In this strategy, Palestinians would play a pivotal role not only because of the weight of their moral responsibility for the present state of affairs, but also because of their geographic proximity to Israel and the level of risk to which they are exposed. Clearly such a strategy would nocall for organized, armed confrontation in the foreseeable future, but would have to rely on economic, political and demographic instruments. IV. The way out 1. Strategy and Objectives It is clear therefore that any strategy that seeks to resolve the current crisis must aim at achieving the following objectives : a. Restoring the legitimacy and viability of the PLO as the supreme institution representing all Palestinians ; this would require reconstituting the organization with all of organs to render it not only truly representative, but also responsive and effective. b. Repositioning the autonomy agreements in their proper context in relation of overall structure of the Palestinian national agenda, i.e. by subordinating these agreements to the wider historical claims of Palestinians, and by redefining the relation of the PA in the WBGS to the global structure of the PLO. c. The elaboration of a comprehensive program of National Unity and Reconstruction including an Action Plan to deal with all the key issues defined by the appropriate bodies within a revitalised and reformed PLO. d. The constitution of a new national leadership for the PLO as well as a new PA for the autonomy arrangements in the WBGS on the basis of the above program, and defining the relations that govern the two bodies. e. Mobilizing all the human, financial, intellectual, and organisational resources available to the Palestinians and organizing these resources in the form of effective and responsive institutional structures and their organs to ensure the implementation of the program and Action Plan. 2. The Means It has become quite evident that the chances of success by working within the existing structures of the leadership of either the PLO or the autonomy Authority in Gaza are virtually nil. The time has come to "rescue Arafat" in a manner of speaking from the hole he has dug for himself and to shift the venue of addressing the real crisis to a wider Palestinian forum. it is proposed therefore that the following be taken : a. A Palestinian National Congress is to be organized and held within a period of, say, three month, outside the WBGS; to address and seek to solve the crisis faced by the Palestinians as characterised in this paper (or as may be future elaborated by an appropriately constituted "working group" or "steering committee"). b. The congress would comprise the PNC but in addition would also include prominent individuals with a record of public service drawn from the various Palestinian communities ; these would be businessmen, academics, professionals, community leaders, etc. In addition, a number of non-Palestinian Arab personalities, with a known commitment and service to the national Arab cause, including that of Palestine, would be invited as "observers" or "honoured guests" or some other capacity. c. The Congress would debate and approve the Program of Unity and Reconstruction and the Action Plan associated with it ; this Program would define the strategy and the actions to be taken to address the present crisis. d. The Congress would reconstitute the key organs of the PLO with a view to dealing with the present situation by perhaps streaming this structure to render them more responsive and effective. e. A new National Leadership would be elected for the higher elected bodies within the PLO wile this leadership would then arrange to fill other positions or create new ones as the need requires, by appointment or by other means in accordance with agreed rules and regulations. f. The National Leadership would then constitute, with the approval of the Congress, an appropriate Authority for the autonomy arrangements in the WBGS and would decide on a strategy for dealing with the ongoing "peace process" taking into account the Palestinian as well as the Arab context. The Congress would also define the relationship between the PLO and the autonomy Authority and establish the necessary mechanisms to ensure that this relationship is maintained. g. Within the requirements of the Program and the policy guidelines of the Leadership, he Authority would develop a detailed reconstruction and development program for the WBGS and would pursue whatever negotiations or discussions within its authority to help achieve the agreed Palestinian objectives that may drive from current arrangements (as outlined earlier). h. Special priority will be given to the enlistment of all Palestinian talent and experience in the service of the agreed programs and institutional structures. 3. The Next Steps A Steering Committee, composed of individuals of high integrity and influence in the Palestinian community would constitute itself to begin the necessary preparations for convening the Congress . The committee is to include especially leadership elements from Fatah but also from other political fractions. This committee would conduct consultations on the widest possible scale and would engage a few professionals and assistants to undertake the necessary logistical and administrative arrangements. The committee would announce that it is not permanent body and it will dissolve itself upon completion of its task, i.e. the convening of the Congress. The present leadership of the PLO and the Authority in Gaza would naturally be included and consulted on all arrangements and , if possible, they could issues the call for convening the Congress butt would not control the process of doing so. This is by far the preferable course of action. To initiate the process of consultation, the committee or certain members of it should immediately begin discussions of this program with Arafat and with other members of the PLO leadership, loyalists and opponents, with the opposition groups including Hamas and others, and with the PLO Executive committee and PNC members and with community leaders in the would , in Israel, in Jordan, Lebanon, Syria, and elsewhere. Bibliographie 'ADAWI Jamal, al-hijra al-falastiniyya ila amarica: min nihayet XIX hatta 1945 (L'immigration palestinienne de la fin du XIXe jusqu'à 1945), Nazareth, Beit al-Sadaka, 1993. ADELKHAH Fariba, “ L’imaginaire économique en République islamique d’Iran “, BAYART Jean-François, La réinvention du capitalisme, Paris, Karthala, 1994. 'ALQAM Nabil & RABI' Walid, Zahiret al-hijra fi al-mojtama' al-falastini (Phénomène de l'immigration dans la société palestinienne), Ramallah, 'Aklam Nabil ed., 1990. 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