un air dans la t`te

Transcription

un air dans la t`te
François Gautier
président
Brigitte Marger
directeur général
titre de cycle
De façon paradoxale, la musique peut être parfois un facteur déterminant dans la
vie d’un film et contribuer largement à sa notoriété. C’est le cas de tous les films
de cette sélection dont les musiques sont aujourd’hui presque plus connues et
identifiées que les images qu’elles accompagnent. Et ce alors que beaucoup de
réalisateurs continuent à considérer qu’une musique de film est réussie lorsque
l’on ne la remarque pas...
La collaboration compositeur-réalisateur résulte d’ailleurs d’une alchimie délicate, entre les désirs et les idées du maître d’œuvre et des propositions musicales
précises et minutées faites par le musicien. Les films présentés ici mettent en
avant des associations réussies, quelles aient été régulières (Edwards / Mancini,
Greenaway / Nyman, Preminger / Raksin) - ou plus exceptionnelles, comme la collaboration Godard / Delerue.
Il n’existe pas de recettes dans ce genre éminemment difficile qu’est la musique
de film. Pourtant la couleur sonore donnée par le compositeur participe à l’atmosphère, « exprime l’inexprimable ». Les longs métrages de ce cycle proposent une des voies possibles. Le thème du film, utilisé de façon répétitive, voire
lancinante (Le mépris, India song, Le troisième homme, Laura...) s’apparente à un
leitmotiv [motif récurrent] qui est alors souvent associé au personnage principal
du film. Ce sont ces airs qui se sont imprimés sur nos images...
2 | cité de la musique
samedi
19 décembre - 15h
amphithéâtre du musée
Laura
film américain d'Otto Preminger, 1944, 1h28, NB,
v.o.s.t.f.
musique de David Raksin
avec Gene Tierney, Dana Andrews, Clifton Webb
En 1944, David Raksin, employé depuis quelques
mois seulement à la Fox, se voit chargé d’écrire la
partition de Laura, sous la direction d’Otto Preminger.
Ce dernier avait une idée très précise de la musique
qui devait accompagner son film : une chanson illustrant le caractère profondément mystérieux du personnage de Laura Hunt, incarné par Gene Tierney. Il
avait même pensé un moment utiliser Sophisticated
Lady de Duke Ellington. David Raksin voulait, quant à
lui, proposer une composition originale. Ce fut chose
faite avec la mélodie de Laura, écrite un en week-end
comme pour répondre à un défi. Ce leitmotiv musical structure le film, ponctue chaque évocation de
l’héroïne (qu’elle soit suggérée, représentée par son
portrait ou réellement à l’écran). L’omniprésence onirique du thème accompagne ainsi le fascination des
deux personnages masculins pour Laura.
Devant le succès immense du film et de sa musique,
Johnny Mercer écrivit des paroles sur l’air, qui devint
rapidement l’un des standards les plus joués. Duke
Ellington, Charlie Parker, Chet Baker, Coleman
Hawkins, Dexter Gordon, Bill Evans, Franck Sinatra
et Ella Fitzgerald seront parmi les nombreux interprètes à avoir coloré la légende.
David Raksin a poursuivi une carrière prolifique à
Hollywood - en tout, plus de 40 musiques de films à
son actif, ainsi que des partitions pour la télévision donnant un style incomparable notamment aux
Ensorcelés de Vincente Minnelli, ou encore à La ballade des sans-espoir (Too Late Blues) de John
Cassavetes (1961).
dimanche
20 décembre - 15h
amphithéâtre du musée
La Panthère rose
The Pink Panther
film de Blake Edwards, 1964, 1h54, coul., v.o.s.t.f.
musique de Henry Mancini
avec Peter Sellers, David Niven, Robert Wagner,
Capucine, Claudia Cardinale
Après deux films dramatiques, le réalisateur Blake
Edwards et le comédien Peter Sellers entament une
collaboration burlesque avec La Panthère rose. Le
succès de ce premier volet donnera naissance à la
série des longs métrages et au dessin animé du même
nom, inspiré du générique animé par Freleng. Ainsi,
dans l’imaginaire collectif, le thème qu’Henry Mancini
écrira pour Blake Edwards, interprété par le saxophoniste Plas Johnson, sera désormais associé aux
aventures muettes et « cartoonées » de la célèbre
panthère !
Musicien brillant, Mancini doit sa chance à sa rencontre en 1957 avec le réalisateur américain. Dès
1957, avec L’extravagant M. Cory marque le début
d’une longue et fructueuse association : Diamants
sur canapé (Breakfast at Tiffany’s, 1961, et son célèbre
thème Moon River, devenu lui aussi un classique),
Days of Wine and Roses (1963), l’émission télévisée
Peter Gunn, puis La Panthère rose et ses suites (Le
Retour de La Panthère rose, 1974, Quand La Panthère
s’emmêle, 1976, La Malédiction de la panthère rose,
1978, A La Recherche de la panthère rose, 1982...),
ou encore La Party, chef d’œuvre de 1968, et Victor
Victoria en 1982. Il a également signé les partitions
d’autres réussites de la comédie américaine : Le Sport
favori de l’homme, d’Howard Hawks (1963), et
Charade de Stanley Donen (1963).
mercredi 23
et mercredi 30
décembre - 15h
amphithéâtre du musée
Le Roi et l'oiseau
dessin animé français de Paul Grimault, 1980, 1h27,
coul.
dialogues de Jacques Prévert
musique de Wojciech Kilar, avec des chansons de
Joseph Kosma et Jacques Prévert
En 1952 sort un long métrage d’animation intitulé La
bergère et le ramoneur, signé Paul Grimault et Jacques
Prévert et adapté du conte d’Andersen. Les deux
auteurs s’étaient pourtant opposés à cette sortie,
n’ayant pas pu réaliser la fin de ce film comme ils l’entendaient ; mais leur procès avait échoué.
Paul Grimault parvient à racheter la pellicule en 1967
et commence à la retravailler avec Prévert, afin de
réaliser un film selon leurs souhaits. Ils y travailleront
jusqu’à la mort du poète, en avril 1977. Le dessin
animé Le Roi et l’oiseau sortira enfin en 1979. Ce film
est ainsi l’aboutissement d’une aventure de plus de
trente ans.
Depuis 1947 et jusqu’à la mort de Prévert, la plupart
des dessins animés de Grimault seront conçus en
tandem avec le poète (La Bergère et le ramoneur, Le
Petit Soldat, La Faim du monde, Le Diamant, Le Chien
mélomane...). Comme l’a dit Georges Franju : « leur
travail est superbe parce qu’il est fraternel. »
A l’époque du premier long métrage, Grimault n’était
pas enchanté de la musique de Joseph Kosma. Pour
Le Roi et l’oiseau, il n’a gardé que les chansons (et
40 minutes du premier film) et a aussi demandé à un
compositeur polonais, Wojciech Kilar, d’écrire une
musique à partir des parties et des chansons conservées. Kilar travaillera également pour la musique de
La Table tournante (1988), film qui mélange des extraits de dessins animés de Paul Grimault et des prises
de vue réelles de Jacques Demy.
samedi
26 décembre - 15h
amphithéâtre du musée
Le Mépris
film français de Jean-Luc Godard, 1963, 1h43, coul.
musique de Georges Delerue
avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack
Palance, Fritz Lang, Jean-Luc Godard
Pour Le Mépris, Georges Delerue a composé pour
Godard une partition relativement courte, sombre et
tragique, de style romantique et germanique selon les
souhaits du réalisateur. Au montage, ce dernier multipliera presque par trois la durée de la partition originale, faisant revenir de façon quasi obsessionnelle le
thème. Ce leitmotiv, joué par un orchestre à cordes et
qui semble à la fois inspiré de Bach et de Malher, est
en total décalage avec le soleil de Capri, mais en adéquation avec l’atmosphère du film : des êtres qui s’éloignent les uns des autres, la mort d’un amour, le déclin
du cinéma...
Georges Delerue est associé le plus souvent à
quelques films français marquants (Hiroshima mon
amour d’Alain Resnais, dont il composa la valse qui le
rendit célèbre), et aux productions de François Truffaut
(Tirez sur le pianiste, Jules et Jim, La Peau douce,
Les Deux Anglaises et le continent, La Nuit américaine, La Femme d’à côté, Le Dernier Métro, Vivement
Dimanche... en tout 11 collaborations). Pourtant, cet
ancien élève du Conservatoire de Paris qui partira à
Hollywood au début des années 70, est un compositeur prolifique (plus de 150 partitions) et atypique,
ignorant les frontières entre les genres. Il écrira aussi
bien pour Philippe de Broca (16 films, dont L’Homme
de Rio, Cartouche...), Ken Russel (Love), Bernardo
Bertolucci (Le Conformiste), ou Oliver Stone (Salvador,
Platoon)
dimanche
27 décembre - 15h
amphithéâtre du musée
India Song
film français de Marguerite Duras, 1975, 2h, coul.
musique de Carlos d'Alessio
avec Delphine Seyrig, Michel Lonsdale,
Mathieu Carrière, Claude Mann
Avant de devenir un film, India Song a été écrit sous la
forme d’une pièce de théâtre, puis publié comme
« texte - théâtre - film » en 1973. Marguerite Duras
avait au départ pensé utiliser le thème Blue Moon
pour accompagner la langueur du film. Mais elle
confiera l’écriture de la partition au compositeur argentin Carlos d’Alessio qui, lisant le texte, s’inspirera de la
nostalgie qui s’en dégage. Le thème d’India Song a
ainsi préexisté au film. Il est même à son origine.
La musique structure tout le film et l’organise. C’est
d’ailleurs elle que Duras montera en premier, avant
même le son, ce qui n’arrive jamais au cinéma où la
musique se trouve toujours montée en dernier. La
bande sonore d’India Song a été enregistrée, dialogues compris, avant le tournage. Les comédiens
ont donc tourné sans parler, en écoutant la musique
et les sons du film.
Cette musique n’est composée que de quelques éléments, très différenciés et répétitifs : l’air d’India Song
qui ressemble à une chanson des années 30, les airs
de danse joués par l’orchestre et composés également par Carlos d’Alessio, et la Quatorzième Variation
sur un thème de Diabelli de Beethoven.
Ainsi, ce cinquième film dans la carrière de la réalisatrice est considéré comme un film des voix, plus que
des images, grâce aussi à la musicalité de la voix de
Delphine Seyrig. Marguerite Duras réutilisera l’intégralité de cette bande-son pour Son Nom de Venise
dans Calcutta désert, en 1976.
samedi
2 janvier 1999 - 15h
amphithéâtre du musée
Le Troisième Homme
The Third Man
film anglais de Carol Reed, 1949, 1h33, NB, v.o.s.t.f.
musique de Anton Karas
avec Joseph Cotten, Orson Welles, Alida Vali,
Trevor Howard
En 1950, le thème musical du Troisième Homme est
l’un des albums les plus vendus et contribue largement au succès de ce film du réalisateur anglais Carol
Reed. Anton Karas, compositeur autrichien né en
1906 et musicien virtuose, restera ainsi à jamais dans
les mémoires comme l’homme d’une seule mélodie,
et celui qui popularisa la cithare. En effet, l’instrument
- ou plutôt ses cordes - filmé en gros plan dans le
générique - procédé que reprendra Truffaut dans Tirez
sur la pianiste en 1960 avec des marteaux frappant les
cordes d’un piano -, joué par Karas, est la seule source
musicale du film. Omniprésente, elle égrène les notes
du thème associé à Harry Lime, le personnage joué
par Orson Welles. Le mode majeur et le caractère
souvent allègre et simple de la mélodie marquent un
contraste frappant avec le ton du film et le sujet traité,
dans une Vienne de l’immédiat après-guerre, détruite,
divisée en zones d’occupation et qui conserve tout
au long du film un mystère morbide. De même, le
rythme binaire de la musique marque une rupture avec
l’image attendue de la capitale de la valse et des violons : « Je n’ai pas connu la Vienne d’avant-guerre,
celle de Strauss », commence par dire Holly Martins,
le narrateur. Ce leitmotiv, décalé et indifférent aux
images qu’il accompagne, est ainsi un apport essentiel à l’étrangeté et au mystère de ce chef d’œuvre de
Reed.
dimanche
3 janvier 1999 -15h
amphithéâtre du musée
Meurtre dans un jardin anglais
The Draughtsman's Contract
film britannique de Peter Greenaway, 1982, 1h48,
coul., v.o.s.t.f.
musique de Michael Nyman
avec Anthony Higgins, Janet Suzman, AnneLouise Lambert, Hugh Fraser
Michael Nyman et Peter Greenaway se sont rencontrés au début des années 60. Le réalisateur utilise la
musique de Nyman pour la première fois en 1967,
dans un court métrage. A partir des années 70, le
compositeur écrit la musique de la presque totalité
des films de Greenaway : The Falls, son premier long
métrage, Meurtre dans un jardin anglais, film qui révèle
le réalisateur et le compositeur, Z.O.O. (1985),
Drowning by Numbers (1988), Le Cuisinier, le voleur,
sa femme et son amant (1989) et Prospero’s Book
(1991). L’aspect minimaliste et répétitif des créations
de Nyman, son goût savant pour la citation sont deux
caractéristiques de son travail. Il a également écrit
pour Patrice Leconte (Monsieur Hire, Le Mari de la
coiffeuse) et Jane Campion (La Leçon de piano).
Pour Meurtre dans un jardin anglais, le réalisateur
avait juste montré à Nyman quelques dessins et situé
l’action en 1695. Le musicien décida alors de travailler
à partir de musiques de Purcell, dont il était un grand
connaisseur. Il fournit ainsi à Greenaway un matériau
musical de douze thèmes liés aux douze dessins commandés au peintre dans le film, matériau que
Greenaway retravaillera ensuite (changements d’orchestration...). Meurtre dans un jardin anglais est un
film de références : visuelles (George de la Tour, Le
Caravage), littéraires (Borges notamment) et musicales, autour des préoccupations philosophiques,
artistiques et politiques des années 1980.