« Le propre du sale :Mises en scène de l`hygiène corporelle. » de
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« Le propre du sale :Mises en scène de l`hygiène corporelle. » de
« Le propre du sale :Mises en scène de l’hygiène corporelle. » de Stéphane Malysse ? Malysse S., Sales d’ eau, ou la mise en scène de l’ hygiène corporelle, Mémoire de D.E.S.S 1996, université Paris VII. “Chacun sait que l’hygiène est une règle de soi-même et de son corps, une pratique privée et une source d’informations personnelles préservée, mais qui n’a quand même jamais eu envie d’observer par un trou de serrure ce qui se passait dans la salle de bains, une fois que quelqu’un d’autre s’y était enfermé dans cette loge du grand théâtre social ? Ce lieu du corps est, dans la conception occidentale de l’habitat, un espace privé, intime, dans lequel on pénètre seul, en refermant la porte derrière soi et en s’assurant ainsi d’être à l’abri des regards d’autrui1. Cette curiosité s’intensifie dès lors que l’on réalise que les hommes n’ont jamais, en quoi que se soit, des expériences identiques : si les autres ne se lavent pas comme nous, comment se lavent-ils et qu’est-ce que se laver ? Une première lecture des représentations sociales du propre et du sale est réalisable en observant l’intérieur des salle de bains et en y analysant les détails ordinaires qui constituent à la fois le décor et la fonctionnalité des lieux. Les installations sanitaires codifient en les instrumentalisant les représentations culturelles du propre et du sale et obligent également les acteurs à plier leurs rituels à l’organisation des lieux. Dans les salles de bain, le corps humain est réduit à une somme de besoins pris en compte par l’architecte ; 1 le corps est assimilé à une forme pure, déraciné de tout existentialisme, sans histoire, sans qualités, simple volume à nettoyer. D’ailleurs, les recherches anthropométriques portant sur la salle de bains et son équipement montrent que cet espace n’est pas en relation avec les dimensions du corps. Il est aussi important de noter le relativisme culturel de la sensation d’être sale : dans toutes les conduites d’hygiène, l’art d’utiliser son corps est essentiellement un fait d’éducation et d’imitation, et il semble que de toutes les techniques du corps apprises au cours de l’enfance, celles qui entrent en jeu dans les rituels d’hygiène corporelle restent intimement liées aux processus d’auto-représentation du corps. Toutes ces pratiques sont socialement très chargées et il semble que chaque acteur actualise quotidiennement les savoirs et croyances du milieu social dans lequel il a baigné2 . La notion d’hygiène corporelle, tout comme les pratiques qui s’y rapportent, est culturellement relative 3. Dans une société, plus les exigences en ce qui concerne le corps et sa propreté sont nombreuses et précises, plus les auto-contraintes envahissent la salle de bains, par l’intermédiaire des nouvelles techniques corporelles à mettre en action pour se sentir « propre » : l’essor des auto-contraintes, qui a détruit la distinction entre l’hygiène des zones visibles et celle des zones cachées, est un des faits majeur de l’hygiène contemporaine. Toute hygiène corporelle est ancrée dans une histoire sociale 4 et c’est bien dans l’évolution socio-historique du rapport au corps que l’on retrouve les bases du “mythe” de la saleté française au Brésil 5. Quoi de plus « naturel » que se laver ? L’histoire du corps et de ses représentations participe à la construction individuelle des sensations physiques6, en l’ancrant dans un environnement à la fois idéologique et géographique. Dans son article sur les techniques du corps7, Mauss (1950) insistait déjà sur le fait que tous les aspects du phénomène humain sont susceptibles d’une pénétration par le social; et même ceux qui apparaissent au sens commun comme les plus “naturels”, “instinctifs”, “automatiques”. Ainsi, l’idée communément répandue, en France comme au Brésil, que “tout le monde se lave plus ou 2 moins de la même façon” m’est finalement apparue plus proche de la réalité au Brésil qu’en France8. 1 La douche est aussi une mise en spectacle du corps « pour soi »: le fait de prendre trois fois par jour ou plus, une douche implique un fréquent rapport visuel avec son propre corps, ce qui n’est pas le cas en France où la fréquence moyenne est de l’ordre d’une fois par jour. L’affinement de l’auto-contact au cours de l’hygiène corporelle n’est pas sans mettre en jeu un auto-érotisme, que la publicité a semble-t-il beaucoup manipulé 2 “De nos jours, on impose à l’enfant dès son plus jeune âge l’habitude de se laver et de se nettoyer, on en fait, par le conditionnement, une sorte d’automatisme ; ce conditionnement disparaît pour ainsi dire de l’horizon de la conscience, l’homme ne se rend plus compte qu’il se nettoie par égard pour les autres, qu’il obéit - du moins à l’origine - à une contrainte extérieure ; il se lave par suite d’une autocontrainte, même quand il n’y a pas de témoins, même quand personne ne pourrait le punir pour avoir négligé les soins de propreté.” (Elias ,1973:218) 3 Comme l’explique Elias, “le besoin de nettoyer son corps et de le tenir en état de propreté ne découle pas d’abord de motivations hygiéniques ou, comme nous disons aujourd’hui, rationnelles : il ne se fonde pas sur l’idée que la saleté puisse présenter un danger pour la santé ; en réalité, le besoin de se laver naît avec la transformation des relations humaines : la motivation est donc d’essence sociale, elle obéit surtout à des contraintes extérieures.” (Elias, 1973:234) 4 Alors que les Indiens du Brésil se lavaient quotidiennement dans des rivières : “ Hommes et femmes, depuis ces vieux jours de la colonisation, adoptèrent des indigènes l’habitude de prendre des bains quotidiens ” (Freyre, 1992:41), en France, jusqu’au XVIIIe siècle, on pensait que le corps était perméable à l’eau, comme une madeleine, et que tout « trempage » représentait donc un risque de contamination : “Il est parfaitement concevable que l’utilisation de l’eau pour se baigner inspirait aux hommes de ce temps une vague terreur, fondée sur le sentiment d’un danger réel mais mal défini et mal déterminé.” (Elias, 1973:238). On se méfiait donc de l’eau comme de la peste et l’on évitait soigneusement de se laver, de prendre ainsi des risques pour sa santé (Vigarello, 1985). Il faut en réalité attendre le début du XXe siècle pour que les rapports symboliques entre l’homme et l’eau s’inversent en France, et que l’usage des salle de bains se généralise et s’intensifie. Cette méfiance médicale vis-à-vis de l’eau explique certainement le lenteur dans l’équipement des logements français en salles de bains. 5 3 “le bain journalier, avec beaucoup d’eau et de savon, caractéristique des Américains, est remplacé dans certaines sociétés européennes par l’utilisation du parfum...”(Rodrigues, 1983:113). Ce qui m’intéresse dans ce mythe du français sale, si répandu au Brésil, c’est qu’il montre non seulement à quel point les conceptions et les pratiques d’hygiène sont différentes d’une zone culturelle à l’autre, mais surtout qu’il met en évidence l’extrême souci de propreté des Brésiliens. En effet, les mises en scène de l’hygiène corporelle sont étroitement liées aux proxémies sociales: au Brésil, la distance intime à l’autre invite à une hygiène corporelle irréprochable, car celui que l’on va prendre dans ses bras, toucher à plusieurs reprises, sentir... ne peut pas se permettre d’être sale et cet allo-contrôle de proximité fonctionne donc ici comme un puissant leitmotiv de propreté. 6 Dans sa recherche d’ethno-corpologie sur les enfants sauvages, Le Breton (1998) montre, par exemple, à quel point les sensations physiques liées à la température de l’eau, les notions de chaud et de froid sont individuellement incorporées mais également culturellement construites. 7 « Les techniques du corps sont les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps : chaque société a ses habitudes corporelles bien à elle. Ces « habitudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances, les modes et les prestiges ». Mauss, 1950 8 J’ai, en effet, l’impression que la positivité associée au corps, et les traditions hygiéniques indigène et africaine ont rendu l’hygiène plus « corporelle » au Brésil qu’en France : les représentations sociales du propre, tout comme les descriptions et les performances de « techniques de lavage » du corps dénotent au Brésil d’une relation beaucoup moins « intellectualisée » et « rationalisée" au corps qu’en France. En outre, la fréquence et les techniques du corps mises en œuvre au cours de l’hygiène corporelle sont apparues beaucoup plus homogènes au Brésil qu’en France, où les acteurs faisaient preuve d’une imagination débordante pour mettre au point leurs rituels d’hygiène. L’hygiène corporelle brésilienne me semble donc plus automatisée que l’hygiène française, certainement parce qu’elle est étroitement contrôlée par les regards d’autrui et n’est donc pas uniquement un phénomène d’ordre privé, comme en France, mais une dimension corporelle de l’apparence qui entre en jeu dans toutes les interactions sociales . Dès lors, pour un Français, habitué à des eaux de bain chaudes et des salle de bains chauffées, le douche froide qui rafraîchit sous les tropiques est difficilement supportable. La résistance au froid ne va pas de soi, alors que pour les Brésiliens une douche chaude est comme l’épreuve du feu, comme s’ils se brûlaient plus facilement, c’est cette chaleur que les Français recherchent quand ils pensent à se laver. 8 « Les techniques du corps sont les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps ».« Chaque société a ses habitudes corporelles 4 bien à elle. Ces « habitudes » varient non pas simplement avec les individus et leurs imitations, elles varient surtout avec les sociétés, les éducations, les convenances, les modes et les prestiges ». Mauss, 1950 8 J’ai, en effet, l’impression que la positivité associée au corps, et les traditions hygiéniques indigène et africaine ont rendu l’hygiène plus « corporelle » au Brésil qu’en France : les représentations sociales du propre, tout comme les descriptions et les performances de « techniques de lavage » du corps dénotent au Brésil d’une relation beaucoup moins « intellectualisée » et « rationalisée" au corps qu’en France. En outre, la fréquence et les techniques du corps mises en œuvre au cours de l’hygiène corporelle sont apparues beaucoup plus homogènes au Brésil qu’en France, où les acteurs faisaient preuve d’une imagination débordante pour mettre au point leurs rituels d’hygiène. L’hygiène corporelle brésilienne me semble donc plus automatisée que l’hygiène française, certainement parce qu’elle est étroitement contrôlée par les regards d’autrui et n’est donc pas uniquement un phénomène d’ordre privé, comme en France, mais une dimension corporelle de l’apparence qui entre en jeu dans toutes les interactions sociales 5