La Traduction en situation de diglossie Sanon
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La Traduction en situation de diglossie Sanon
La Traduction en situation de diglossie Sanon-Ouattara, F.E.G. IMPORTANT NOTE: You are advised to consult the publisher's version (publisher's PDF) if you wish to cite from it. Please check the document version below. Document Version Publisher's PDF, also known as Version of record Publication date: 2005 Link to publication in University of Groningen/UMCG research database Citation for published version (APA): Sanon-Ouattara, F. E. G. (2005). La Traduction en situation de diglossie: Le cas du discours religieux chrétien au Burkina Faso [S.l.]: s.n. Copyright Other than for strictly personal use, it is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), unless the work is under an open content license (like Creative Commons). 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Cette tentative de reconstitution des objectifs se fera à travers l’analyse des stratégies de traduction adoptées. Notre approche se veut descriptive. Toury (1985 et 1995) a démontré le bien fondé de cette approche en traductologie, qui, en plus de décrire l’objet étudié, constitue le seul moyen réel permettant de tester, de réfuter et d’amender les théories qui sous-tendent la discipline. Le cadre théorique du skopos que nous avons choisi pour cette analyse, comme n’importe quelle approche, oriente la perspective du chercheur, même s’il peut paraître comme une restriction en soi. Ce choix a été largement justifié dans la présentation de la méthode, ce qui nous dispense de le faire encore ici en détail. La méthode de Nord (1991), basée sur cette théorie que nous avons exploitée, propose une analyse pragmatique des facteurs intra et extratextuels, qui paraît pertinente pour toute traduction interculturelle, ce que nous vérifierons dans l’évaluation de la méthode au chapitre VII. L’analyse des facteurs extratextuels, tels que proposée par Nord (1991), exigerait une analyse globale impossible à faire ici. Les chapitres III et IV, portant sur les contextes culturel et linguistique du Burkina Faso représentent, d’une part ces aspects extratextuels pour le texte cible. Quant aux textes source, il faudrait pouvoir les définir tout d’abord. Les traducteurs se sont basés sur des textes français pour produire leur version, alors que ces derniers sont eux-mêmes des traductions. L’analyse textuelle montre à la fois des traces du français et du grec, comme nous le verrons par la suite. On est en droit de se demander alors, laquelle des versions doit être considérée comme source. Il serait très prétentieux de vouloir décrire le contexte culturel de la France parce qu’il est très vaste et évolue, tout comme celui du Burkina d’ailleurs. Quant à la culture des peuples de la Bible, il serait encore plus prétentieux de vouloir la décrire, dans la mesure où il ne s’agit pas d’un seul peuple et où les traces de leurs cultures respectives se trouvent entremêlées dans les textes. Une description de l’histoire de ce livre permettrait de pallier cette difficulté, mais cela ne se justifierait pas non plus dans un travail comme celui-ci, basé certes sur les traductions bibliques, mais qui vise à les analyser dans un cadre plus global. Ainsi donc, référence sera faite à ces cultures au cas par cas et selon leur pertinence pour l’analyse. 128 Avant d’entamer l’analyse proprement dite qui comporte trois parties (paratexte, linguistique et thématique), voici comment s’est fait la sélection des éléments du corpus. Sélection du corpus Le corpus est tiré du Layidukura publié en 1996 et re-édité en 1999. Le choix de cette version se justifie par le fait que c'est la seule partie de la Bible qui a été traduite et publiée en dioula du Burkina par l'Alliance Biblique du Burkina. Il existe d’autres versions de la Bible entière, publiées en dioula dit ivoirien et en bambara, qui sont très proches du dioula parlé au Burkina Faso comme nous l’avons vu au chapitre précédent, mais nous nous sommes limités strictement aux productions du Burkina. L’analyse porte, sur trois aspects : le paratexte, l’analyse linguistique détaillée de certains versets et l’analyse thématique. Pour l'analyse du paratexte, le Layidukura a été considéré globalement, même si tout ne sera pas présenté ici en détail. Les notes introductives, les notes de bas de page, les illustrations en images, la présentation générale comme les sous titres, les divisions en chapitres et versets seront examinées sous cette rubrique. Dans la détermination des fonctions ou objectifs d'une version de la Bible, une place de choix est donnée à ces aspects qui permettent au traducteur d'exprimer directement l’intention qui guide sa traduction (De Vries, 2003). Pour l'analyse linguistique plus détaillée, des fragments de texte ont été retenus. Nous avons choisi des versets susceptibles de poser des problèmes de traduction, liés aux différences culturelles, sur la base des difficultés de traduction rencontrées par les traducteurs eux-mêmes (entretien du 04 août 2001), mais aussi de notre expérience personnelle. Les résultats découlant de l’analyse de ces versets seront ensuite testés par un échantillon prélevé au hasard, afin de vérifier leur représentativité. Pour chaque verset du Layidukura analysé, nous proposons une traduction littérale faite par nous-même. Pour les versions françaises, nous avons travaillé avec celles qui nous ont été indiquées par les traducteurs eux-mêmes, comme étant les plus utilisées. Il s’agit du Français Courant, de la Louis Segond Révisée et la Traduction œcuménique de la Bible (TOB). Les traducteurs que nous avons rencontrés n’ont pas pu fournir les années d’édition exactes de ces versions françaises qu’ils utilisent, chacun utilisant l’année d’édition de son choix, pourvu qu’elle soit reconnue officiellement. Nous travaillons avec le Français Courant édité en 1997, la Louis Segond Révisée de 1997 et la TOB de 1988. Pour l’analyse proprement dite des passages retenus, nous choisissons pour la comparaison, deux versions françaises (et pas toujours les mêmes), parmi celles qui viennent d’être citées. Dans la troisième partie constituée de ‘l’analyse thématique’, des versets faisant référence à des thèmes afférant à la culture ont été sélectionnés pour compléter les deux précédentes rubriques. 129 Nous nous sommes également servi du Nouveau Testament interlinéaire grec-français et grec-anglais (1958) et du Nouveau Testament grec (The Greek New Testament de 1968, édité par le United Bible Societies), pour vérifier certains termes grecs utilisés, afin de mieux comprendre les choix des traducteurs, surtout dans cette analyse thématique. 1 ANALYSE DES PARATEXTES En rappel, Genette (1987 : 5) présente le paratexte comme «le renfort et l’accompagnement d’un certain nombre de productions, elles-mêmes verbales ou non, comme un nom d’auteur, un titre, une préface, des illustrations» qui entourent et prolongent le texte pour «le présenter au sens habituel, […] mais aussi le rendre présent, pour assurer sa présence au monde, sa «réception» et sa consommation […]». Il précise par ailleurs que cet accompagnement est ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs. Le paratexte se retrouve donc comme faisant partie du texte et n’en faisant pas partie en même temps, comme il le dit encore par ailleurs: une «zone indécise entre le dedans et le dehors, …lisière, …frange du texte imprimé, qui, en réalité commande toute la lecture» (Ibid., 8). Il apparaît donc aussi important que le texte lui-même, car déterminant pour la compréhension de celui-ci. Ainsi défini, le paratexte exclut les textes oraux qui ont pourtant eux aussi, un renfort et un accompagnement, permettant de les définir et de les présenter à leur audience, comme nous le verrons à l’analyse des données orales. En traductologie, De Vries (2003) a désigné par ce terme ‘paratexte’ l’ensemble des notes et commentaires du traducteur, visant à clarifier des points de traduction. Il a démontré que ce sont des passages privilégiés à considérer dans la détermination des fonctions de la traduction en général, et celles de la Bible en particulier, toute traduction biblique représentant une re-écriture selon certaines fonctions. La version du Layidukura a été produite à partir de différents textes source qui n’ont pas forcément les mêmes fonctions. L’intérêt de la comparaison des paratextes de ces textes est de pouvoir retrouver les fonctions explicites de chaque version et de tenter de reconstituer les critères qui ont guidé la production du paratexte dioula, le point central de l’étude étant le texte dioula. Cette analyse du paratexte se justifie parce qu’elle permet de déterminer l’orientation d’ensemble de la traduction, surtout dans ce cas précis où il s’agit de données bibliques. Notre analyse commence avec le péritexte éditorial (Genette, 1987 : 20) désignant ici la présentation globale des différentes versions (couverture, format, type de papier, composition typologique), en un mot, toutes les données techniques, avant d’analyser successivement les préfaces, les illustrations en image, les notes de bas de pages, les découpages en péricopes. Un commentaire global sur les paratextes sera donné en guise de conclusion à cette partie. 130 1.1 Le péritexte éditorial Cette zone essentiellement sous la responsabilité de l’éditeur, participe aussi à la manière dont l’audience reçoit le texte. Le Layidukura sur lequel nous travaillons, à savoir la version re-éditée de 1999, se présente comme un livre de format in-folio (désignant que la feuille est pliée en deux et formant 4 pages), encore reconnu comme le type A5 (15 X 21 cm), relié par brochage (opération qui consiste à rassembler les feuilles imprimées en cahiers, qui sont ensuite liées ensemble par une couture, puis recouverts d'une feuille collée au dos des cahiers) 28 avec une couverture bleue recouverte d’une matière plastique. L’édition antérieure de 1996 (considérée comme la même version que celle que nous analysons) est d’un format de poche, donc plus petit, mais reste presque identique à l’édition de 1999 pour les autres détails. Le papier utilisé est le papier dit ‘Bible29’ qui est un papier mince, fort et opaque, employé surtout pour l'impression des Bibles, missels et dictionnaires. Sur la couverture en haut au centre, figure la mention «LAYIDUKURA» et un peu plus bas «Dioulakan na, Burkina Faso» qui signifie en dioula au Burkina Faso. Sur le côté de la reliure figure encore «LAYIDUKURA» (nos guillemets). La police est de taille 12 pour l’édition de 1999 et de taille 10 pour celle de 1996, écrits tous les deux avec un alphabet phonétique, qui est le type d’alphabet utilisé jusqu’à l’heure actuelle par les langues nationales au Burkina, comme nous le disions au chapitre IV. Ces pages consacrées à l’éditeur sont entièrement rédigées en français, à part le titre du livre Layidukura qui est en dioula. Aucune mention n'indique qu'il s'agit d'une traduction et par conséquent les noms des traducteurs ne sont pas mentionnés. Seul figure le nom de l'éditeur qui est l'Alliance Biblique du Burkina Faso. L’édition de 1996, qui semble être la première édition de la version du Layidukura sur laquelle nous travaillons, indique que l’imprimatur30 est de Monseigneur Anselme Sanon, évêque de Bobo. Une copie de ces pages introductives est incluse en annexes. Quant aux versions françaises, il ne semble pas très approprié de fournir une description détaillée de leurs données techniques, étant donné qu’il en existe plusieurs éditions avec différentes caractéristiques techniques, laissant ainsi le lecteur libre de choisir la version qui lui convient le mieux. Pour les besoins de la comparaison avec le Layidukura néanmoins, nous tenterons cette description, au moins avec les versions précises sur lesquelles nous travaillons. Le Français Courant édité en 1997 sur lequel nous travaillons, se présente dans un format un peu plus petit que le Layidukura (1999), avec une couverture dure, reliée par une couture. Le même type de papier que celui du Layidukura est utilisé. Sur la 28 Glossaire du bibliophile : http://www.galaxidion.com/home/glossaire/glossaire_b.php. idem. 30 Autorisation d’imprimer accordée par l’autorité ecclésiastique ou par l’université à un ouvrage soumis à son approbation. 29 131 couverture, est écrit en haut au milieu «bonne nouvelle pour toi !» et sur la même page légèrement à gauche, est mentionné «LA BIBLE EN FRANÇAIS COURANT ». Au verso de la page de couverture figure encore «bonne nouvelle pour toi ! suivi d’un petit commentaire donnant des directives sur le contenu, qui se termine par «La Bible est à ta portée, à toi de te lancer !». Sur la même page, est mentionnée «Alliance Biblique Universelle». Tout autour du livre en bas, sont présentés des dessins orangés sur une couverture de fond gris, avec le côté de la reliure en bleu. La police est également de taille 12 à l’intérieur du livre comme pour le Layidukura et l’alphabet latin est utilisé comme dans la plupart des langues européennes. Le Français Courant, contrairement au Layidukura, mentionne qu’il s’agit d’une traduction, mais ne précise pas les noms des traducteurs. La Louis Segond Révisée quant à elle est de format plus petit encore que le Français Courant et présente les mêmes caractéristiques de reliure que le Layidukura, sauf que la couverture de la Louis Segond Révisée est de type ciré et non recouverte de plastique. En haut au centre, est mentionné «LA SAINTE BIBLE». La même mention, suivie d’une image de colombe figurent sur le côté de la reliure, d’où l’appellation de cette version «La Colombe». La typographie des lettres est similaire à celle du Français Courant. Les notes de l’éditeur dans cette version se limitent à la mention «la Sainte Bible, traduite d’après les textes originaux hébreu et grec, nouvelle version Louis Segond Révisée avec notes, références glossaire et index» et tout en bas «Alliance Biblique Universelle, 1997». Là aussi, il est explicitement question de traduction, mais les noms des traducteurs ne sont pas mentionnés non plus. Une note précise que la traduction et les notes sont l’œuvre de la Société Biblique Française, tandis que les cartes sont de ‘United Bible Societies’ (Alliance Biblique Universelle). À la page suivante, sont présentés les droits d’auteur, suivis de la table des matières. Une copie des pages introductives de ces versions françaises sera aussi présentée en annexes. La première remarque qui découle de la comparaison de ces différents péritextes éditoriaux est la sobriété du Layidukura en ce qui concerne la qualité technique du livre, par rapport aux versions françaises, au moins par rapport au Français Courant, dans ce cas précis. Si la Louis Segond dont nous nous servons est similaire du point de vue de ses caractéristiques techniques au Layidukura, d’autres éditions, dont l’aspect externe semble plus coûteux, existent aussi. Cette différence peut s’interpréter par le faible pouvoir d’achat présumé de l’audience éventuelle du Layidukura. La deuxième observation pouvant être pertinente pour notre analyse est la différence entre les typographies. L’alphabet utilisé pour la production du Layidukura. Cela peut être le signe d’un système d’écriture non encore bien élaboré et laisse présumer que le public visé n’a pas une culture de lecture développée. On peut enfin faire remarquer dans cette partie que le format, le type de papier et la reliure utilisés pour le Layidukura permettent de reconnaître qu’il s’agit soit d’une 132 Bible ou de passages bibliques. En effet, les Bibles, malgré leur diversité, ont un aspect particulier comme par exemple le genre de papier utilisé, la couverture et la reliure qui permettent de les reconnaître à partir de leur présentation externe et le Layidukura n’a pas failli à ce niveau. On pourrait déduire globalement du péritexte éditorial, que Layidukura s’adresse à une cible relativement modeste, à qui on propose une traduction d’un livre quasi universel, qui se reconnaît malgré tout par son aspect extérieur. 1.2 Les préfaces Comme la plupart des préfaces, celle du Layidukura présente le livre. Sa traduction littérale en français pourrait donner ceci : Le livre que vous tenez, c’est Layidukura. C’est un travail collectif des églises. Il est le fruit du travail commun de l’église catholique et des églises protestantes, qui se sont donné la main pour pouvoir changer/traduire ce livre en dioula. Nous avons reçu de l’aide de l’Alliance Biblique Universelle. Nous espérons que d’ici quelques années, toute la parole de Dieu sera disponible en dioula, pour permettre aux chrétiens de la lire pendant les prières ou les enseignements. Nous vous demandons de nous aider de quelque manière que ce soit et de prier pour nous. Vous verrez des signes dans ce livre. Certains seront comme une petite étoile placée derrière des passages jugés difficiles à saisir. Cela montre que ces passages sont expliqués à la fin de la page. Voici ce signe : * Il y a aussi des passages qui peuvent se trouver entre ces deux signes suivants […]. Ce signe veut dire que les passages qui s’y trouvent ne se retrouvent pas dans tous les vieux livres. Dans ce livre, voici comment nous allons nous référer à certains noms : Abraham équivaut à Ibrahima. David équivaut à Dawuda. Isaac équivaut à Isiyaka. Marie équivaut à Maryamu. Moïse équivaut à Musa. Noé équivaut à Nuhun. Salomon équivaut à Solomani. Jacob équivaut à Yakuba. Joseph équivaut à Yusufu.» (Fin de l’introduction) (notre traduction). Les noms ci-dessus désignés comme équivalents dioula sont reconnus comme des noms musulmans dans le milieu burkinabè. Cela peut indiquer que le public visé est soit familier à l’islam, soit à ces noms dits français, soit aux deux. Ces équivalences entre noms français et dioula peuvent aussi être un indice que des versions françaises ont influencé la production du Layidukura, même si cela n’est pas expressément mentionné. Après cette préface, est donné l’ordre de présentation des livres : Layidukura commence par les quatre évangiles (Mathieu, Marc, Luc et Jean), suivis des Actes des Apôtres, des lettres aux Romains, des deux lettres aux Corinthiens, de la lettre aux Galates, aux Ephésiens, aux Philipiens, puis de la lettre aux Colossiens et des deux lettres aux Théssaloniciens. Suivent les deux lettres de Timothée. Après, par ordre, il y a la lettre à Tite, à Philémon, aux Hébreux, de Jacques suivis des deux 133 livres de Pierre, des trois livres de Jean, du livre de Jude, de l’Apocalypse et d'une annexe expliquant les nouveaux concepts. Cette préface est assez sobre par rapport à celle des versions françaises. En effet, le Français Courant commence par «des pages d’information facilitant l’accès» au livre, qui s’étalent sur vingt pages. Précisons dès à présent pour cette version que même si nous consacrons un paragraphe à part à l’analyse des illustrations en image, des références y seront faites ici ne serait-ce que brièvement, car cette préface est essentiellement basée sur le commentaire des images illustratives et serait incompréhensible si nous la présentons totalement détachée des images. Le Français Courant présente la Bible comme une histoire d’amour. Parmi les objectifs spécifiques explicites, on peut noter : Le livre que tu as entre les mains raconte une histoire d’amour particulière : Dieu luimême offre son amour à tous les hommes et au monde. Tu es personnellement concerné par cette histoire. Ta curiosité est éveillée ? Alors laisse-toi entraîner dans l’aventure et lis ! Tu trouveras sur les pages en couleur tout ce dont tu as besoin pour un voyage passionnant à la découverte de la Bible : Des infos sur le monde de la Bible, des conseils pratiques, des propositions de recherche personnelle, des thèmes à discuter. La Bible est ensuite présentée comme le best-seller mondial traduit en entier ou en partie dans plus de deux-mille langues. Cette mention de best-seller mondial est un argument publicitaire dont la valeur est attestée, ce dont témoigne sa consommation de masse. Ensuite, des conseils pratiques sont donnés pour sa lecture, suivis d’explications sur les notes. La Bible est présentée comme un livre très ancien mais toujours d’actualité, qui concerne toutes les tranches d’âge. Le problème des originaux est abordé par une image de grottes comportant de petits trous. En dessous, se trouve la mention «dans les grottes de Qumrâh près de la mer morte, on a découvert en 1947 des manuscrits de la Bible datant de l’époque de Jésus ». Après cette image, les langues d’origine de la Bible sont évoquées. Les livres de l’Ancien Testament ont été rédigés en hébreu. Seules quelques parties plus récentes sont écrites en araméen. Le NT est écrit en grec. Aucun manuscrit original ne nous est parvenu, mais nous disposons de copies de peu postérieures aux originaux, en particulier pour le NT. À la suite de ce commentaire, on explique que ces manuscrits ont été trouvés dans les bibliothèques de couvents, dans le sable du désert ou dans les grottes. Le texte précise que la division en chapitres est l’œuvre de l’archevêque anglais Stephen Langton au 13ème siècle et que celle des versets fut mise au point par l’imprimeur genevois Robert Estienne pour une édition bilingue grec-latin du NT datant de 1551. En français, cette division s’est généralisée au 16ème siècle. 134 Une grande partie de cette préface est destinée à guider le lecteur dans sa découverte de ce livre, comme on peut le remarquer, par les nombreux conseils pour faciliter son usage. Après «ces pages d’information facilitant l’accès à la Bible», sont présentés par ordre une «lettre au lecteur» de la part des traducteurs et réviseurs, la table des matières, les signes et abréviations, la présentation de «la Bible en Français Courant» (qui raconte l’histoire de cette version), suivi en dernier ressort de «l’unité, la formation et le texte» de la Bible On peut émettre l’hypothèse que le Français Courant s’adresse à une audience plus instruite qui a une culture générale plus large par rapport à l’audience du Layidukura. Cette préface non seulement guide le lecteur, mais l’encourage surtout de toutes les façons possibles à continuer la lecture. Les détails sur la manière dont on s’est procuré les originaux sont un indice que le lecteur est averti qu’il a affaire à une traduction. Les déductions pouvant être faites de ces indices sont que l’audience présumée est plus prompte à la lecture et plus avisée de l’histoire de la Bible que celle du Layidukura. Quant à la version Louis Segond Révisée encore appelée ‘La colombe’, sa préface est beaucoup plus sobre que celle du Français Courant. Après une carte de la Palestine au temps de l’Ancien Testament au tout début de cette version, suivie les références éditoriales mentionnées plus haut et de la table des matières indiquant l’ordre dans lequel sont présentés les livres, cette préface explique la méthode de travail adoptée, de même que les objectifs recherchés. L’initiateur de cette version est l’Alliance Biblique Française et le texte mentionne qu’elle a été préparée par un comité de théologiens, de pasteurs et de laïcs. À propos de la méthode de travail, la préface dit ceci : La méthode de Louis Segond a été conservée à chaque fois qu’elle correspondait au texte original et à la langue française en usage aujourd’hui…. A côté des traductions en Français Courant, qui sont nécessaires pour initier les gens non avertis au message biblique, le peuple chrétien doit pouvoir disposer d’une traduction qui lui permette de savoir exactement comment se présente le texte original. Sans connaître les langues bibliques, le lecteur peut ainsi se faire une idée de leur génie propre, avec leur vocabulaire, leurs répétitions, leurs formulations concrètes qui sont parfois surprenantes. On découvre ici un objectif du Français Courant qui n’a pas été évoqué expressément dans ladite version : initier les gens non - avertis au message biblique. La Louis Segond Révisée quant à elle, vise à «laisser le lecteur le plus proche possible des originaux par le vocabulaire, la structure, les formulations», etc. Implicitement, l’audience visée par cette version est plutôt avisée du message biblique. 135 Il est précisé plus loin que «Le principe adopté par les réviseurs a été de suivre d’aussi près que possible les textes hébreu et grec». Ensuite, les noms des «principaux artisans de la traduction» sont donnés, suivis des signes conventionnels et les abréviations. En récapitulant les différents skopos déductibles des préfaces, on peut dire que chaque version a fait preuve d’autonomie. Ainsi, Le Layidukura n’est pas resté esclave des versions source, mais a exprimé sa propre sélection. Il y a des ajouts et des omissions au sens général par rapport aux versions source. Ces notions revêtent un autre sens en traductologie, où elles sont considérées comme des fautes de traduction. Delisle et al. (1999 : 60) définissent en effet l’omission comme «une faute de traduction qui consiste à ne pas rendre dans le texte d’arrivée un élément de sens du texte de départ, sans raison valable» et l’ajout comme « une faute de traduction qui consiste à introduire de façon non justifiée dans le texte d’arrivée, des éléments d’information superflus ou des effets stylistiques absents du texte de départ (1999 : 10). Comme nous le verrons dans la discussion générale à la fin de l’analyse, cette définition mérite d’être relativisée, surtout dans ce cas précis où il s’agit de traduction biblique, où chaque version fait sa propre sélection des éléments jugés pertinents par rapport à l’audience et à la fonction visées. Parlant d’ajouts donc, on peut citer l’introduction générale, dans laquelle il est mentionné comment on se référera aux noms propres en dioula. En ce qui concerne les omissions, elles sont difficiles à déterminer parce que les versions source entre elles n’ont pas les mêmes éléments. Si on s’en tient uniquement à la longueur de la préface (vingt pages pour le Français Courant, onze pages pour la Louis Segond Révisée et seulement quatre pour le Layidukura), on peut se rendre compte que bien des éléments ont été supprimés du Layidukura. Cela peut s’expliquer par le fait que le Layidukura ne porte que sur le Nouveau Testament alors que les versions françaises portent sur toute la Bible. En outre, en vérifiant dans le reste du texte la représentativité de cette stratégie d’omission avec d’autres passages tirés au hasard, il est apparu que les introductions proposées aux différents évangiles par le Layidukura et les versions françaises sont différentes, chaque version ayant produit une introduction qui lui est propre. Cela conforte l’hypothèse de l’indépendance du Layidukura. Outre ces notes introductives éloquentes, le paratexte comprend aussi les illustrations en image, les notes de bas de page et la division en péricopes (division en chapitre et versets) que nous analysons aux sous-paragraphes suivants 1.3 Illustrations en image Toutes les versions que nous analysons ont contiennent des illustrations en images, mais pas aux mêmes niveaux. Ainsi, celles du Layidukura interviennent dans le texte même et font référence à des versets précis, contrairement à celles des versions 136 françaises où elles se trouvent dans la préface et aussi à l’intérieur du livre, mais ne font pas référence à des versets spécifiques. Dans le Layidukura, nous avons relevé en tout quinze illustrations en images dans les quatre évangiles analysés en entier. La première image, celle d’animaux sauvages, est utilisée en référence à Mathieu 8 : 20 qui dit ceci : « Yezu y’a f a ye ko : ‘dng be kongowuluw f, nyaga be knw f, nga layr te mg denc f » (Jésus lui dit : « les chiens sauvages ont des trous, les oiseaux ont leur nid, mais le fils de l’homme n’a pas de place où dormir). Aucune illustration en image n’est donnée pour ce passage dans le Français Courant, ni dans la Louis Segond Révisée. Comment peut-on interpréter cette image dans le Layidukura ? A priori, nous disons que rien ne la justifiait, car sa pertinence n’est pas évidente dans le contexte. Il en est de même pour l’image utilisée dans Mathieu 18 : 28 où des pièces d’argent sont présentées avec la mention ‘dener war d’ qui signifie ‘argents du denier’, absente des versions françaises. On se demande ce que peut apporter la vue d’une image d’animaux sauvages ou d’une pièce de denier au lecteur. Environ une dizaine d’images de ce genre ont été ainsi employées sans raison apparente. Par contre, les images de Luc19 : 37, se référant au mont des oliviers (olvuyrkuru) et Jean 15 :1 portant sur un cep (erzsun) peuvent s’expliquer par le fait que ces réalités sont inconnues de la population cible. La logique de l’insertion des images illustratives n’est pas évidente et on peut dire qu’il s’agit là d’une stratégie mixte de traduction dont les fonctions mixtes peuvent se résumer à ce qui suit : dans un contexte où le taux d’analphabétisme est élevé, les images peuvent être plus parlantes que les lettres, mais faut-il qu’elles soient pertinentes ! Le premier groupe d’images mentionné – celles dont la pertinence n’est pas évidente- ne semble pas remplir une fonction précise. La Louis Segond Révisée n’a pas d’autres illustrations que la carte de la Palestine collée sur la partie interne de la couverture. Pour ce qui est du Français Courant, ses illustrations en image sont surtout regroupées au début de la version et présentées avec ce que la version elle-même a intitulé «pages d’information facilitant l’accès à la Bible». Ces images sont commentées au fur et à mesure qu’elles sont présentées. Entre la couverture et la page des références de l’éditeur, figurent, comme on le disait plus haut en effet, vingt pages en couleur avec beaucoup d’illustrations en images sur du papier glacé et un texte dont nous avons présenté une partie dans l’analyse des préfaces. Tout en bas, on distingue une image colorée de groupe à côté de la mention «Société Biblique». Ces illustrations en images colorées du Français Courant sont beaucoup plus nombreuses que celles du Layidukura. Pour récapituler les fonctions éventuelles de ces images illustratives, on peut tout d’abord présumer, en ce qui concerne le Français Courant et le Layidukura, qu’elles 137 visent à inciter à plus de lecture, parce que ce n’est qu’en tenant le livre dans les mains qu’on peut y avoir accès, ces deux versions s’adressant à des publics relativement novices en connaissance de la Bible. Cette hypothèse est d’autant plus probable que la Louis Segond Révisée qui a implicitement exprimé dans sa préface qu’elle s’adressait à un public avisé du message biblique n’a pas d’autres illustrations que cette carte de la Palestine que nous avons déjà évoquée. Il n’est pas impossible aussi que ces images dans le Layidukura aient bien suivi un phénomène de mode, sans objectif précis. La plupart des versions modernes de la Bible incluent des pages d’illustration en image et le Layidukura a bien pu suivre cette mode, même s’il est resté indépendant dans cette entreprise. Sa sobriété par rapport au Français Courant peut aussi être un indice des moyens financiers différents dont disposaient les deux projets de traduction et aussi les deux audiences présumées, comme nous le disions plus haut. 1.4 Les notes de bas de pages Le Layidukura semble avoir fait preuve de la même autonomie dans cette partie comme dans les précédentes. La stratégie semble avoir été la même : des ajouts et des omissions. Les notes de bas de page du Layidukura n’ont pas reproduit celles des versions ‘source’, et en ont rajouté d’autres qui ne figurent pas dans ces versions. Le nombre des renvois en bas de page des trois évangiles (Mathieu, Luc et Jean) s’élève à quarante trois dans le Layidukura. Aucun renvoi n’est noté dans l’évangile de Marc. Par contre, dans ce seul évangile de Marc, le Français Courant a fait cent cinquante deux renvois en bas de page et la Louis Segond Révisée, cent deux. Le Français Courant fait des renvois soit pour expliquer des notions, soit pour référer à d’autres versets ou à d’autres versions. La Louis Segond Révisée, en plus, fait cas des manuscrits. Les deux (Français Courant et Louis Segond Révisée) renvoient à la comparaison de certains passages avec des livres de l’Ancien Testament, ce qui est impossible pour le Layidukura qui ne porte que sur le Nouveau Testament. Des quarante trois renvois de bas de page notés dans les quatre évangiles du Layidukura, dix se réfèrent au texte grec pour expliciter des passages. C’est le cas de Mathieu 11 : 18, 11 : 29, Luc 12 : 54, 12 :55, 14 : 14, 23 : 48, Jean 2 : 6, Jean 8 : 59, Jean 15 : 5, Jean 15 : 16. À titre indicatif pour ces références au grec, le renvoi de Luc 14 : 14 dit ceci : « N’ y’o k bna duba sr, bar olu te se k’ ka juru sara, nga Ala bna sara sn » (si tu fais cela, tu auras des bénédictions, parce qu’ils ne peuvent pas payer tes dettes, mais Dieu te paieras demain). Note de Luc 14.14 : A fra grek kan na ko : mgtlennnw kununlon na. (Il est dit en grec, ‘le jour de la résurrection des justes’). Elle porte vraisemblablement sur le terme ‘sini’ (demain). D’autres notes de bas de page ont servi à expliquer le sens de certaines notions, comme dans Mathieu 16 : 18, où la note explique que le mot «église» signifie ‘le 138 peuple de Dieu’ et Jean 1 : 42, où le renvoi explique que le nom Pierre signifie ‘pierre’. Une autre série de notes fournit des explications sur certaines pratiques juives, susceptibles d’être mal comprises de la cible du Layidukura. C’est le cas de Mathieu 27 : 35 et Jean 2 : 4 par exemple : Mathieu 27 : 35 « zuwfuw f, n’u tun b’a f ka fn d tlan u n nygon c, walma ka mg d woloma, u tun b to ka sbnn k kabakuruw kan, k’u nyagam nygn na mnan d kn n’u b to k’o b. Walma u b kalaw kar ka bn mgda ma, mnw be yen. Kala kelen ka jan n t nunu ye. Traduction littérale : «chez les juifs, quand ils voulaient se partager quelque chose entre eux, ou choisir quelqu’un, ils écrivaient sur des pierres qu’ils mélangeaient dans un récipient pour ensuite les enlever. Ou encore, ils cassaient des bâtonnets au nombre de personnes présentes. Il y a un bâtonnet qui est plus long que les autres». Ce renvoi a un caractère informatif essentiellement. Celui portant sur le verset Jean 2 : 4 qui suit, tente également d’expliquer une pratique dite juive, qui pourrait être à la limite choquante pour la cible du Layidukura, si on se réfère à l’analyse culturelle présentée au chapitre III. Analysons tout d’abord le verset, avant d’en venir à la note. Jean 2 : 4 « Nga Yezu y’a jaab ko : muso ! E ko ne ka mun k ? Ne ka waat ma se fl » Traduction littérale : ‘Mais Jésus lui répond : femme, que veux-tu que je fasse ? Mon heure n’est pas encore arrivée’. Versions françaises : «Mais Jésus lui répondit : «Mère, est-ce à toi de me dire ce que j’ai à faire ? Mon heure n’est pas encore venue». (Français Courant). « Jésus lui dit : «femme qu’y a-t-il entre toi et moi ? Mon heure n’est pas encore venue » (Louis Segond Révisée). Si toutes ces trois versions ont fait des renvois de bas de page sur ce verset pour expliquer cette réponse un peu troublante de Jésus à sa mère, la position du Layidukura est pour le moins extrême. En effet, la note de cette version dit : « Yezu t’un b’a f k’a bamuso boyn ten n’a f o ba f tubabu kan na cogomn ko madamu » Traduction littérale : Jésus voulait ainsi témoigner du respect pour sa mère. C’est comme quand on dit madame en français. 139 Le Français Courant dit en note : « Mère : littéralement femme, mais le terme grec n’a pas la nuance d’irrespect que comporte la traduction littérale en français». Quant à la Louis Segond Révisée, sa note explique que la traduction littérale de ce verset est : ‘quoi à moi et à toi ?’ qui signifierait en réalité ‘que veux-tu de moi’ ? Le décalage entre ces différentes notes est significatif. Il est vrai que la formule utilisée dans le Layidukura à savoir ‘femme’ est choquante dans un contexte africain où on doit beaucoup de respect à ses parents, comme nous l’avons vu au chapitre III. Le fait de s’adresser à sa mère par ‘femme’ (terme neutre pourtant), est perçu comme irrespectueux dans les sociétés africaines. Pour le Français Courant, c’est la traduction littérale en français du mot grec qui peut paraître irrespectueux et la note rectifie cette connotation en précisant qu’il ne s’agit pas d’irrespect. Elle demeure quand même modérée par rapport au Layidukura qui affirme que Jésus voulait ainsi témoigner du respect à sa mère, ce qui correspond en quelque sorte au contraire même de ce que le verset sans note pourrait laisser croire. Cette exagération est sans doute à la hauteur du choc que pouvait créer ce verset sans note, auprès des populations cible. La version de la Louis Segond paraît encore plus choquante, mais ses objectifs clairement définis dans sa préface (viser un public déjà bien avisé du message biblique et rester le plus proche possible des originaux) aident à sa compréhension. Ces références au grec, propres au Layidukura peuvent se justifier par une recherche de clarté mais aussi de crédibilité de la version produite, parce qu’elles minimisent l’influence des versions françaises qui ont servi de source et donnent une impression de proximité de la version produite aux originaux. L’analyse des notes de bas de page vient renforcer davantage l’hypothèse de l’indépendance du Layidukura par rapport aux versions françaises. Cette version a vraisemblablement créé son propre paratexte selon ses besoins. Nous verrons dans le sous-paragraphe suivant ce qui ressort de la division des textes en péricopes. 1.5 La division des textes en péricopes Par péricope, on désigne le découpage du texte en petites parties avec des sous-titres. Cette division et ce titrage sont l’œuvre des traducteurs eux-mêmes et peuvent être des facteurs indicateurs du but ou de la fonction des traductions. Si le Layidukura a suivi la division en chapitres et versets qui prévaut de nos jours dans les Bibles, son découpage en péricopes lui est propre. L’analyse détaillée des péricopes des quatre évangiles a été menée. Nous ne présentons en détail que le chapitre 7 de l’évangile de Jean (qui est déjà assez long) à titre indicatif, mais il est assez représentatif des autres passages. 140 Le chapitre 7 de l’évangile de Jean dans le Layidukura commence par le titre ‘Yezu balimaw ma l’a la’ (les parents de Jésus n’ont pas confiance en lui) qui va du verset 1 au verset 10. Des versets 11 à 24, ‘Yezu b mgw kalan sumanladn nyanagw la’ (Jésus enseigne les gens au sujet de fêtes des récoltes). Des versets 25 à 31, ‘Yezu ye kisibaga ye wa ?’(Jésus est-il le sauveur ?) Des versets 32 à 36, ‘Alabatosoba klsbagaw b’a f ka Yezu mn’ (les gardiens du temple veulent arrêter Jésus). Des versets 37 à 39, ‘Sumanladn nyanagw labanlon’ (le dernier jour des festivités de la récolte). Des versets 40 à 53, ‘Jama be faran Yezu kosn’ (les gens sont divisés à cause de Jésus). Le chapitre 7 prend ainsi fin. Le chapitre 8 commence avec le titre ‘kakalamuso ka koo’ (au sujet de la femme adultère) qui va du verset 1 à 11. Pour les mêmes passages, la Louis Segond Révisée observe seulement trois soustitres : Le chapitre 7 commence par le titre ‘incrédulité des frères de Jésus’ qui va jusqu’au verset 9. Le verset 10 commence par le titre ‘Jésus à Jérusalem pendant la fête des huttes’ qui va jusqu’au verset 52. Le verset 53 à lui seul est sous le titre ‘la femme adultère’. Quant au Français Courant, son chapitre 7 commence par le titre ‘les frères de Jésus ne croient pas en lui’ qui va jusqu’au verset 9. Le verset 10 commence sous le titre ‘Jésus à la fête de huttes’ et va jusqu’au verset 24. Du verset 25 au verset 31, c’est le titre ‘Jésus est-il le messie ?’ qui prévaut. Du verset 32 au verset 36, le titre est ‘Des gardes sont envoyés pour arrêter Jésus’. Les versets 37 à 39 sont sous le titre ‘des fleuves d’eau vive’, Les versets 40 à 44 sous le titre ‘la foule se divise à cause de Jésus’ Et les versets 45 à 52 sous le titre ‘l’incrédulité des chefs juifs’. Le verset 53 à lui seul porte le titre ‘Jésus et la femme adultère’. Les versions les plus proches par rapport à la division en péricopes sont le Layidukura et le Français Courant, quoique toujours différentes. Leurs différences se trouvent d’abpord au niveau du premier sous-titre du chapitre 7 qui va jusqu’au verset 10 dans le Layidukura alors qu’elle s’arrête au verset 9 dans le Français Courant. Ensuite, des versets 37 à 39, pendant que la version du Français Courant titrait ‘des fleuves d’eau vive’, celle du Layidukura parlait de ‘sumanladon nyanagw labanlon’ (le dernier jour de la fête des récoltes). Plus loin, tandis que le Layidukura 141 n’avait qu’un seul titre ‘Jama be faran Yezu kosn’ (les gens sont divisés à cause de Jésus) allant du verset 40 à 53’, le Français Courant l’a morcelé en trois sous-titres, de 40 à 44 ‘la foule se divise à cause de Jésus’, de 45 à 52, ‘l’incrédulité des chefs juifs’ et le verset 53 tout seul, ‘Jésus et la femme adultère’. Il n’est plus besoin de mentionner que chaque version est autonome dans sa division en péricopes. Ces sous-titres guident le lecteur dans sa recherche de certains passages, en mettant en évidence une partie du contenu dans le titre. L’analyse de cette partie vient encore confirmer la thèse de l’autonomie du Layidukura. 1.6 Commentaire global sur les paratextes L’importance du paratexte dans la détermination des objectifs d’une œuvre n’est plus à démontrer, surtout dans le cas des traductions bibliques qui constituent une reécriture et la production d’une nouvelle version selon certaines fonctions. L’analyse de ces différents éléments du paratexte confirme ce fait. Les différentes parties qui le constituent ont chacune fait preuve d’autonomie. En rappel, une des fonctions du paratexte est de donner des indications sur les objectifs de traduction et cela peut guider le lecteur dans son choix de la version qui répond le mieux à ses aspirations, dans les cas où plusieurs versions existent dans une langue. Pour les langues où il n'existe qu'une seule version, comme c’est le cas du Layidukura (même s’il a été reédité), le skopos doit néanmoins être défini pour l’audience cible, mais aussi pour les traducteurs eux-mêmes, parce qu’autrement la traduction serait impossible. À défaut de l’être clairement, l'analyse du texte doit permettre de le reconstituer parce que la traduction fait nécessairement des choix. Les intentions explicites ne correspondent pas toujours au skopos qui peut être multiple ou avoir d’autres buts implicites, idéologiques, religieux et économiques par exemple. Les fonctions du Layidukura peuvent se résumer comme suit : la première fonction explicite et implicite (c’est à dire déductible de l’analyse) à la fois est une fonction évangélisatrice : elle est perceptible à partir des objectifs spécifiques de la traduction clairement définis dans la préface, mais aussi de ceux déductibles des autres éléments du paratexte. Des efforts ont été entrepris afin de réaliser une communication efficace. Au sein de ces efforts, on peut citer tout d’abord le choix du Français Courant comme principale version source des traductions. Ce choix en tant que tel peut répondre à un objectif. Comme l’indique le nom du Français Courant, il a été produit dans un français courant, adapté et simplifié au maximum sur le plan de la langue pour être facilement compréhensible. Le Layidukura a été en grande partie traduit selon cette version, sans doute à cause de cette facilité relative. Notons au passage que l’une des stratégies de traduction de textes écrits en français au Burkina vers les langues nationales est de procéder d’abord à une traduction intralinguale au sein de la langue source pour produire une version très simple sur le plan linguistique, dite en français fondamental, avant de procéder à la traduction interlinguale. Cette stratégie, animée par un souci didactique, 142 risque cependant de s’apparenter à une infantilisation de l’audience en ce sens qu’on lui simplifie le texte au maximum, quitte à occasionner des pertes de sens. Le Layidukura n’a pas fait exception à cette règle. Non seulement la version simplifiée des traductions bibliques disponibles, à savoir le Français Courant a été privilégiée, mais aussi un document visant à guider les traducteurs vers le sens à donner au message a été élaboré à cet effet. La préface du Layidukura n'indique pas tous ces détails, qui nous ont été donnés par les traducteurs eux-mêmes lors d'une séance de travail le 04 août 2001 à Bobo, où nous les avons rencontrés dans le cadre du présent travail. Ensuite, les illustrations en images peuvent inciter à la foi par la lecture et la méditation. En plus de la fonction évangélisatrice, on peut également voir ici une fonction d’alphabétisation. Nous avions fait remarquer au chapitre IV que le terme ‘alphabétisation’, qui signifie en fait l’enseignement de l’écriture ou de la lecture aux personnes ne connaissant pas un alphabet donné, servait à désigner au Burkina, l’enseignement en langues nationales. En effet, on fait la différence entre alphabétisés (langues nationales) et instruits (sachant lire et écrire en français). Les instruits ont du mal à lire l’orthographe des langues nationales qui utilisent des symboles phonétiques. Les textes produits en langues nationales, comme c’est le cas du Layidukura, comportent des limitations intrinsèques de fonctionnement, car ils ne peuvent véritablement être lus que par des alphabétisés, qui n’ont pourtant pas de culture de lecture. On pourrait parler d’une fonction idéologique d’émancipation du dioula par la production du Layidukura, si on considère son indépendance relative par rapport aux versions françaises, de même que sa référence au grec, pouvant lui donner plus de crédibilité. Cependant, le paradoxe dans ce cas serait que certaines stratégies de traduction semblent infantiliser l’audience dioula et à ce moment-là, la thèse de l’émancipation ne tiendrait plus. Les fonctions déductibles de l’analyse de ce paratexte sont mixtes et pas toujours très claires. On peut en outre évoquer ici une autre fonction visée par le Layidukura, ne figurant pas explicitement sur la version, mais qui nous a été confiée par le premier responsable de l’église de Bobo en la personne de Monseigneur Anselme Sanon lors d’une interview le 06 décembre 2003. Il dit en effet que les catholiques et les protestants ont dû faire des concessions pour produire cette version commune du Layidukura, le plus important étant l’unité entre les chrétiens. L'analyse linguistique qui va suivre, basée sur la comparaison du Layidukura et des versions françaises, tentera de vérifier toutes ces hypothèse de fonctions déduites de l’analyse du paratexte. La même approche descriptive sera adoptée. 143 2 ANALYSE TEXTUELLE Comme annoncé dans la méthode, les éléments spécifiques que nous aborderons sont le lexique, la grammaire et la syntaxe, les figures de styles et enfin l’analyse pragmatique. 2.1 Analyse des éléments du lexique Le point focal de cette partie est la détermination de l’influence des facteurs extratextuels et des objectifs de traduction sur les choix lexicaux. Plusieurs phénomènes sont observables, mais les plus pertinents sont les néologismes et les adaptations lexicales. 2.1.1 Néologismes Le néologisme est défini par Delisle et al. (1999 : 57) comme «un mot ou terme de création récente ou emprunté depuis peu à une autre langue, ou acception nouvelle d’un mot ou d’un terme existant». Dans la première note, il précise que l’on distingue des néologismes de forme et des néologismes de sens. Dans la deuxième note, il ajoute que les néologismes de forme sont créés de toutes pièces, par regroupements lexicaux, par dérivation, ou encore par emprunt à une autre langue. La troisième note précise que les néologismes de sens sont obtenus en donnant un sens nouveau à un terme existant. Dans cette définition, on remarque que l’amalgame est fait entre les néologismes et les emprunts. Seules les expressions nin senuman composées de nin (d’origine dioula qui veut dire âme) et de senu (d’origine bambara, dérivé du mot ‘sani’ qui veut dire propre), et Ala ka sagadn (Agneau de Dieu) semblent être les seuls néologismes de sens. Nous y reviendrons dans l’analyse thématique. C’est surtout les néologismes d’emprunt qui se retrouvent dans cette version du Layidukura, les principales langues d’emprunt étant le français et l’arabe. 2.1.1.1 Néologismes et/ou emprunts d’origine française On note un nombre relativement élevé d’emprunts d’origine française. Ils ont été adaptés pour la plupart pour avoir une consonance dioula. Nous notons les exemples suivants : Yezu Krista (Jésus Christ) dans romains 3 : 21-22, Olivuyirikuru (le mont des oliviers) dans Luc 19 : 37, rzen (raisin) (Jean 15 : 1), duvn (le vin) dans Mathieu 9 : 17 ou encore mutard ks (le grain de moutarde) dans Marc 4 : 30. Ce genre de néologisme, pouvant s’apparenter à de l'adaptation est encore plus visible dans la traduction des noms propres de personnes, de rivières, de monts de pays et de villes. Les noms propres de rivière sont suivis par la mention ‘baa da’ (rivière) et ceux des monts, par la mention ‘kulu’ (montagne) ou kuru’ qui veulent exactement dire les mêmes choses. Pour les noms des monts, nous avons ‘olivuyirikuru’ (monts 144 des Oliviers) dans Luc 19 : 37, ‘Sinaï kulu’ (le mont Sinaï) dans Actes 7 : 38b. Pour les noms de ville ou de pays, les traducteurs ont juste mentionné les noms adaptés en dioula quelquefois suivis des mentions ‘mara’ (ville ou localité) ou ‘jamana’ (pays) pour signifier qu’il s’agit d’un nom de pays ou de ville. Ainsi on note : Nazareti (Nazareth) dans Luc 2 : 51, Zope (Joppé) dans actes 10 : 9, Etiyopi jamana (le pays d’Ethiopie) dans Actes 8 : 27, Lida (Lydda) dans Actes 9 : 32, Sezare (Césarée) dans Actes 10 : 1, Damasi (Damas) dans Actes 9 : 19, Samari (Samarie) dans Actes 8 : 1 Zeruzalemu (Jérusalem) dans Actes 8 : 4, rmu (Rome) dans l’introduction des actes des apôtres, Palestini jamana (le pays de la Palestine) dans l’introduction des actes des apôtres, Israyl (Israël) dans Actes 1 : 6, Zude mara (la ville de Judée) dans Actes 1 : 8. Même si des adaptations sont faites pour donner la consonance dioula, la racine des mots est française. Cela se perçoit beaucoup plus à l'oral qu'à l'écrit, parce que les noms de pays dont l’orthographe est identique par exemple en français et en anglais, sont prononcés selon les règles phonétiques du français, adaptées au dioula. Ainsi à l’oral, on perçoit plus l’influence de la langue française. Tout comme le français, l’arabe aussi a constitué une langue d’emprunt. 2.1.1.2 Néologismes et/ou emprunts d’origine arabes Ils témoignent de la forte influence de l’arabe sur le dioula, et partant, de l’islam dans l’ouest du Burkina. Ces mots ou expressions préalablement employés par la communauté musulmane sont entrés dans la langue dioula et en font désormais partie. Il s’agit peut-être plus d’emprunts que de néologismes en ce qui les concerne. Ils ne sont pas nés de cette traduction seule. C’est le cas par exemple de Ala (Dieu) dans Mathieu 3 : 15, Mlkw (les anges) dans Hébreu 2 : 2, nr (gloire) dans Jude 8, Ala tando (rendre grâce à Dieu), batoli (adoration) dans romains 12 : 1, saraka (sacrifice) dans romains 12 : 1. Il y a en outre l’adaptation des noms propres. Nida and Taber (1974 : 30) avaient proposé que les noms propres soient adaptés pour paraître naturels dans la langue qui reçoit le message. Telle est bien la démarche suivie dans Layidukura où depuis l’introduction, les noms les plus courants ont été signalés par leurs équivalents dioula qui se trouvent être des noms dits musulmans, parce que prioritairement portés par des musulmans. L’utilisation de ces noms musulmans peut être le signe d’une forte influence de l’islam sur la population dioulaphone. En effet Sandwidé (1999) affirme que bien que l’islam ne fût pas bien répandu au sein de la population au moment de l’arrivée des missionnaires, ce sont essentiellement les Dioula qui y adhéraient. La langue et le peuple dioula ayant eux-mêmes été souvent assimilés à l’islam (Nébié, 1984), il n’est pas étonnant de voir cette influence de l’arabe dans le Layidukura. En ce qui concerne cette stratégie d’utilisation des termes musulmans, l’exégète Sanon Elie (interview du 04 août 2001) a expliqué que l'objectif était de montrer le 145 rapprochement entre les deux religions, avec le secret espoir de conquérir des âmes musulmanes. Cette stratégie n'est d’ailleurs pas systématique, comme le montre le cas de la traduction de Jean Baptiste. Ainsi, certaines versions dioula (notamment de Côte d’Ivoire) l'ont traduit par son équivalent musulman Yaya, tandis que le Layidukura a préféré Zan Batizerikebaga dans Mathieu 9 : 14 qui signifie ‘Jean le Baptiste’. Cette option permet d’introduire la notion de ‘baptême’ dans la version. Zan Batizerikebaga (Jean le Baptiste) est plus explicite que Yaya, même s'il s'agit du même personnage. Outre cette influence de l’islam, le Layidukura a aussi fait appel à des termes tirés des réalités de la culture cible en substituant des mots peu connus par d’autres plus connus. 2.1.2 Substitution Dans cette partie, il sera question de démontrer l’influence du milieu sur les choix des traducteurs. Il s’agit essentiellement d’éléments lexicaux tirés du quotidien des populations dioulaphones. Ces mots ou expressions tirés de la culture locale sont utilisés comme substituts de termes utilisés dans les versions françaises. C’est le cas de fonks (graine de fonio) dans Mathieu 17 : 20, employé comme substitut à la graine de moutarde, de fiy nyaa kelen (une mesure de calebasse) employée pour traduire ‘une grande quantité’, de fln (calebasse) dans 1 Corinthiens 10 : 16 pour comme substitut à la coupe. On peut faire remarquer que Le Layidukura a eu recours à deux mots fy et fln pour dire ‘calebasse’. Ces deux mots veulent effectivement dire calebasse, mais le premier fy est reconnu comme étant le mot dioula et fln comme bambara, ce qui illustre bien la confusion entre ces deux langues dont nous parlions plus haut Tous ces éléments lexicaux seront plus largement développés dans l’analyse pragmatique. En conclusion à cette analyse du lexique, disons que la stratégie du choix des éléments du lexique n’a pas été uniforme : autant les néologismes que les adaptations ont été employés, comme c’est le cas dans la plupart des traductions interculturelles. Les néologismes d’emprunt du français témoignent de l’influence de cette langue (utilisée comme langue source) sur Layidukura, tandis que les emprunts de l’arabe démontrent une influence de l’islam, et ceux tirés du milieu, une relative indépendance. Cela peut constituer un indice du skopos multiple et pas très bien défini de cette version. Le principal objectif semble avoir été la communication efficace dont la finalité peut encore être l’évangélisation. La représentativité de ces stratégies a été vérifiée sur un échantillon de passages choisis au hasard dans le texte. Dans l’évangile de Mathieu, nous avons choisi l’introduction et les deux premiers chapitres, dans celui de Marc, les chapitres deux et trois, dans celui de Luc, l’introduction et les deux premiers chapitres, les mêmes passages pour celui de Jean et les chapitres seize, dix-sept et dix-huit des actes des apôtres. La vérification de ces 146 passages a confirmé l’influence du français surtout sur les noms propres (personnes, pays, villes) et celle de l’arabe sur les mots déjà entrés dans la langue comme mlk (ange), hakl (esprt), Ala (Deu), (jnaw), tuub (convertr), waajul (prêcher). En effet, dans tout l’échantillon, toutes les fois où il s’est agi de traduire un nom propre, son équivalent français, adapté à la consonance dioula, a été privilégié. La néologie Nii Senuman a aussi été retrouvée. Le texte à la lecture paraît naturel en dioula. La seule expression, présente dans tous les passages vérifiés et qui ne semble pas tout à fait courante est ‘Ala ka mg woloman’ (l’homme choisi de Dieu) pour signifier le Christ. L’analyse grammaticale et syntaxique a revelé le respect des structures de chaque langue, ce qui rend peu pertinent sa présentation en détail. On ne sent pas d’influence étrangère dans le texte. Cela témoigne de son indépendance, qui peut avoir servi un objectif d’adaptation. Les figures de style dont la présentation suit au point suivant ont été retenues, afin d’analyser la traduction de certains aspects relatifs aux sujets tabous dans la société, auxquels référence a été faite dans le chapitre III. Parmi les caractéristiques des langues africaines en général et bambara en particulier, on note une subtilité du langage, marquée par une ambiguïté, des euphémismes, des proverbes et des métaphores. L’intérêt de cette rubrique est de pouvoir déterminer tout d’abord si ces caractéristiques reconnues des langues africaines se retrouvent dans Layidukura et surtout si elles lui sont propres. 2.2 Les figures de style On note un nombre élevé de figures de style dans Layidukura, telles que les hyperboles, les euphémismes, les métaphores, les métonymies, les synecdoques et les simili, mais pour la plupart, elles ont été calquées des versions source, si bien que leur présentation en détail ne semble pas très pertinente pour nos propos. Nous examinons quand même deux exemples liés à la sexualité, qui ont eu recours à l’euphémisme. Même si cette figure de style n’est pas propre au Layidukura, le choix des mots dans cette version mérite que l’on y prête attention.. Exemple 1 1 Corinthiens 7 : 36b : «N kanbelen d y a ye ko a te se k’a yr mn a ka mamnmusu fan f, a k’a furu ka keny n’a yr ka mrya ye, o te ke kojugu ye» Traduction littérale : si un jeune homme voit qu’il ne peut pas se tenir/contrôler devant sa fiancée, qu’il se marie selon sa pensée, cela n’est pas un péché. Versions françaises «Maintenant, si un jeune homme pense qu’il cause du tort à sa fiancée en ne l’épousant pas, s’il est dominé par le désir et estime qu’ils devraient se marier, eh 147 bien, qu’ils se marient, comme il le veut, il ne commet pas de péché » (Français Courant). «Si quelqu’un débordant d’ardeur, pense qu’il ne pourra pas respecter sa fiancée et que les choses doivent suivre leur cours, qu’il fasse selon son idée. Il ne pèche pas. Qu’ils se marient» (TOB). Exemple 2 1 Corinthiens 7 : 37-38 : «Nga n kambelen mn ya latg a yr dusu la, n degunyoro t’a la fewu, n’a be se a yr kr fana, k’a latg a yr kn ko a tena se a ka mamnmuso ma fewu, ale be baaranyuman k. Mn ma furu k fana o tg ye konyuman k kosb». Traduction littérale : mais un jeune homme qui décide de lui-même sans contrainte aucune, s’il sait se maîtriser, s’il choisit de lui-même de ne pas toucher à sa fiancée du tout, il fait un bon travail. Celui qui se marie aussi fait vraiment bien.’ Versions françaises «Par contre, si le jeune homme, sans subir de contrainte, a pris intérieurement la ferme résolution de ne pas se marier, s’il est capable de dominer sa volonté et a décidé en lui-même de ne pas avoir de relations avec sa fiancée, il fait bien. Ainsi, celui qui épouse sa fiancée fait bien, mais celui qui y renonce fait encore mieux» (Français Courant). «Mais celui qui a pris dans son cœur une ferme résolution, hors de toute contrainte et qui, en pleine possession de sa volonté, a pris en son for intérieur la décision de respecter sa fiancée, celui-là fera bien, et celui qui ne l’épouse pas encore mieux» (TOB) Nous remarquons que dans ces passages, ‘se tenir devant sa fiancée’ ou ‘ne pas toucher à sa fiancée’, correspond dans le Français Courant à ‘ne pas avoir de relation avec sa fiancée’ et ‘respecter sa fiancée’ dans la Louis Segond Révisée. Si toutes les trois versions ont fait preuve d’euphémisme, elles demeurent toutes indépendantes dans le choix des mots. Après vérification de ce passage dans le Nouveau Testament interlinéaire grec anglais, il ressort que l’expression grecque employée est τηρειν τηυ εαντον παρθενον (threin thu eanton) (to keep himself virgin). On se rend compte que la version du Layidukura n’est pas celle qui a le plus ‘ménagé’ cette expression, car sa proposition fait plus allusion à la corporalité que celle de la TOB. Ainsi donc, les caractéristiques de subtilité et d’euphémisme reconnues aux langues africaines ne leur sont pas propres. 148 On remarque d’ailleurs l’absence des autres figures de style privilégiées des sociétés africaines et plus précisément bambara (Camara, 1976), où le choix des mots requiert beaucoup de précaution, visant à atténuer les effets néfastes du langage (Zahan, 1963) et à contourner les sujets sensibles. Celles qui existent dans le Layidukura, se trouvent aussi dans les versions françaises. Cette analyse des figures de style ne nous dit pas grand-chose sur le skopos probable du Layidukura. L’analyse pragmatique qui suit fournira plus d’éléments pertinents. 2.3 L’analyse pragmatique Cette partie constitue le point focal de notre analyse, au sens qu’elle met le texte dioula dans son contexte et permet de relever les stratégies et les fonctions de la traduction dans un contexte plus large, comme le préconise l’approche du skopos. Deux principaux phénomènes se dégagent de l’analyse : les adaptations au contexte socioculturel que nous comparons au ‘domesticating’ et l’introduction de nouveaux concepts, comparée au ‘foreignizing’, comme le laissait déjà entrevoir l’analyse du lexique. 2.3.1 Passages adaptés Il s’agit ici de passages ayant pris en compte certaines réalités culturelles dans la traduction, lui donnant une couleur locale. Il pourrait s’agir de ce que Venuti (1995) a appelé ‘domestication’. Examinons les versets suivants : Exemple 1 Actes 14 – 14 «Cden Barnabas n Pol y’o famu tuma mn na u y’u kun mn ka pren ka bol k’u sgr k’a f u ye ko» Traduction littérale : quand les envoyés Paul et Barnabas ont compris cela, ils ont saisi leur tête en criant vers eux en disant : Versions françaises «Mais quand les deux apôtres l’apprirent, ils déchirèrent leurs vêtements et se précipitèrent dans la foule en criant» : (Français Courant) «A cette nouvelle, les apôtres Barnabas et Paul déchirèrent leur manteau et se précipitèrent vers la foule en criant» (TOB) Dans ce verset, l’expression ‘déchirer leurs manteaux ou leurs vêtements’, correspondant sans doute à une pratique juive de l’époque, a été remplacée par ‘saisir la tête’. Le verset grec parle en effet de διαρρηξαντεσ τα ιµατια εαυτϖν (diarrhxa 149 ntes ta imatia eautwê), qui signifie littéralement traduit en anglais ‘rending their garments’. Dans les cultures africaines de manière générale, on ne déchire pas son manteau quand on est en colère ou hors de soi. On peut soit saisir sa tête des deux mains, soit la secouer, soit donner un coup de poing, etc. Cette équivalence de sens a été établie. Exemple 2 Mathieu 17 : 20 « Yezu ya f u ye ko : « aw te la ne la kosb mn k, o lo. Tny na, ne b’a f aw ye, ko n’aw ka lanaya bonya tun be fonks b, aw tun be se k’a f kulu ye ko a ka wul ka b yan ka taa l yen f’. O fn te yen n’aw tena se ka mn k ». Traduction littérale : Jésus leur dit : «c’est parce que vous ne croyez pas en moi. En vérité, je vous dis que si votre foi avait la grosseur d’une graine de fonio, vous pourriez dire à une montagne de se lever d’ici pour aller s’arrêter là-bas. Il n’y aurait pas cette chose que vous ne seriez pas en mesure de faire». Versions françaises «Jésus leur répondit : ‘parce que vous avez trop peu de foi. Je vous le déclare, c’est la vérité : si vous aviez de la foi gros comme un grain de moutarde, vous diriez à cette colline : ‘Déplace-toi d’ici à là-bas, et elle se déplacerait. Rien ne vous serait impossible». (Français Courant). «C’est à cause de votre petite foi, leur dit Jésus. En vérité, je vous le dis, si vous aviez de la foi comme un grain de moutarde, vous direz à cette montagne : «transportetoi d’ici là, et elle se transportera ; rien ne vous sera impossible» (Louis Segond Révisée). La version dioula a introduit un élément lexical qui n’existait pas dans les versions françaises : le fonio, une céréale aux graines très petites, cultivée au Burkina. La graine de moutarde n’existant pas dans ce pays, elle a été remplacée par cette autre graine très petite dont le public cible est familier. Le traducteur aurait pu utiliser un néologisme pour désigner cette graine afin de laisser au texte sa couleur originale. Il se serait servi d’une note pour expliquer cette option. Il a plutôt choisi de transmettre le sens idiomatique du verset au détriment des mots pris individuellement, même s’il est vrai qu’il n’y a pas d’expression idiomatique en dioula faisant allusion au fonio. Le grain de moutarde n’a t-il pas d’autres caractéristiques que le grain de fonio n’a pas ? Comme le dit la parabole de la graine de moutarde (Marc 4 : 30-32), il s’agit de la graine la plus petite, mais une fois enfouie en terre, la plante qui en sort dépasse en taille toutes les autres plantes, ce qui n’est pas le cas pour le grain de fonio. Les traducteurs du Layidukura ont pour leur part privilégié ce facteur de petitesse en trouvant un autre élément très petit dans la culture de la langue d’arrivée, pour le cas 150 de ce verset précis où ce symbole de la moutarde n’est pas véritablement en jeu. Car, pour les cas où le sens du verset est basé essentiellement sur ce symbolisme de la graine de moutarde, le terme mutardks dont la racine est emprunté du français, a été privilégié, comme c’est le cas dans Mathieu 13.31-32, Marc 4. 30-32 et Luc 13.18-19. Cette stratégie de substitution n’est donc pas systématique pour le cas de la graine de moutarde. Analysons un autre exemple. Exemple 3 1 Corinthiens 10 : 16 «An be barka la Ala ye flen dubaman mn kosn ka sr k’a mn, ale t’an jn n Krsta ye a jol bnko la wa ?» Traduction littérale : La calebasse pour laquelle nous rendons grâce à Dieu avant de la boire, ne nous unit-elle pas au christ pour son sang versé ? Versions françaises : «Pensez à la coupe de la Cène pour laquelle nous remercions Dieu : lorsque nous en buvons, ne nous met-elle pas en communion avec le sang du christ ? ...» (Français Courant) «La coupe de bénédiction que nous bénissons, n’est-elle pas la communion au sang du Christ ? …» (Louis Segond Révisée) La calebasse est le récipient utilisé au Burkina pour servir la bière locale encore appelée ‘dolo’. Cette traduction de ‘coupe’ par ‘calebasse’ peut viser à produire un effet d’équivalence de sens, étant donné que la coupe est peu connue dans la culture, tout comme le vin d’ailleurs. Ce qui peut par contre paraître paradoxal, c’est que ‘le vin’ a été traduit par ‘duvn’ comme dans Mathieu 9 : 17, Mathieu 27 : 34, Marc 2 : 22, Marc 15 : 23, Luc 5 : 38, Luc 10 :34. On peut comprendre que ce terme ait été adapté aussi du français. Nous y reviendrons au sous-paragraphe suivant consacré à l’analyse de passages ayant introduit d’autres éléments culturels. 2.3.2 Passages ‘inadaptés’ Le terme ‘inadapté’ ne comporte pas ici de jugement de valeur. Il indique seulement la présence d’éléments nouveaux dans le contexte, ce que nous comparons au foreignizing, qui est d’amener l’audience vers le texte source, à l’inverse du ‘domesticating’. 151 Exemple 1 Mathieu 9 : 17 «O cogo kelen na, mg s te duvnkn k foroko krman na. N mg mn y’o fana k, a ka foroko bna faran duvn kgtuma na. A bna bn a ka foroko, n duven na. Mgw be duvnkn k foroko kura le kn. N’u y’a k ten, a te bn a s la » Traduction littérale : de la même manière, personne ne met le vin frais dans un vieux récipient. Celui qui fait cela, son contenant va se déchirer au moment de la fermentation. Il perdra son récipient et son vin. C’est dans de nouveaux récipients que les gens mettent le nouveau vin. Versions françaises «On ne verse pas non plus du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On verse au contraire du vin nouveau dans des outres neuves et ainsi le tout se conserve bien». (Fançais Courant) «On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres ; sinon les outres s’éclatent, le vin se répand et les outres sont perdues. On met au contraire le vin nouveau dans des outres neuves, et l’un et l’autre se conservent». (TOB) Nous avons vu au sous-paragraphe précédent que «la coupe» avait été substituée par «la calebasse» dans le Layidukura. Pour rester dans la même logique les traducteurs auraient pu traduire le vin par la bière locale connue sous le nom de dolo, si tant est que la notion de vin est une notion importée, même si de nos jours, de plus en plus, avec l’influence de l’occident, cette boisson est connue. Quel danger y avait-il à traduire ‘vin’ par ‘dolo’ ? Si on s’en tient au raisonnement du cardinal Godfried Danneels, archevêque de Malines-Bruxelles (Belgique), qui est intervenu comme conférencier dans le cadre de l'Assemblée plénière annuelle de la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), du 17 au 22 octobre 200431, on comprend toute la portée de ce terme ‘vin’ et la difficulté de sa traduction. Les prêtres africains au concile Vatican II avaient revendiqué dans le cadre de l’inculturation un christianisme qui tienne compte de leur réalité culturelle et cela touchait aussi à la liturgie (Conus 1975) dont une partie est réservée à l’eucharistie, c'est-à-dire au pain et au vin (appelés espèces eucharistiques) qui deviennent respectivement le corps et le sang de Jésus. Le cardinal Danneels donc, en référence à cette inculturation de la liturgie affirme : 31 http://religions.free.fr/1250_papes/1250_papes/1258_liturgie.html. 152 Le problème de l'«inculturation» est un phénomène récent […]. Nous ne pouvons pas discuter ici de tous les aspects de ce problème. Mais le principe est clair. Si la liturgie relève de l'incarnation, il est indispensable qu'elle soit inculturée aux différentes cultures de l'humanité. Cela va de soi. La liturgie doit être inculturée, ou plutôt, la liturgie s'inculturera si elle est vécue dans la foi et l'amour du Christ par des gens de toutes cultures. Mais il y a des limites. La liturgie n'a pas seulement pour fonction de structurer la religiosité humaine ; elle informe des mystères chrétiens. Ces mystères se sont déroulés dans l'histoire, en un lieu et en un temps particuliers et en lien avec des rites et des symboles particuliers. La dernière Cène n'est pas un repas religieux quelconque ; c'est le repas que le Seigneur a pris avec ses disciples la veille du jour où il a souffert. Il s'ensuit que toutes les célébrations eucharistiques doivent être reconnaissables, ce qui suppose des références et des connexions formelles. Il n'y a pas de repas religieux culturel qui soit équivalent à la Cène du Christ. En ce sens, il ne sera jamais possible d'«inculturer» complètement l'Eucharistie. La liturgie n'est pas seulement une donnée qui relève de l'incarnation ; elle est aussi de l'ordre du salut. Comme telle, elle a une influence salutaire, salvifique, sur les cultures de l'humanité. Ce n'est pas n'importe quelle pratique religieuse ou «liturgie» populaire qui peut servir de «véhicule» à la liturgie chrétienne. Il y a des niveaux d'incompatibilité, et il y a des prières et des pratiques qu'il ne convient tout simplement pas d'employer dans la liturgie chrétienne. Le «discernement» ici ne sera pas toujours facile. Si Monseigneur Lucas Kalfa Sanon, évêque de Banfora (interview du 18 juin 2004), pense comme le cardinal Danneels que les espèces de l’eucharistie (le pain et le vin) sont très essentielles pour la liturgie, donc ne pouvant être remplacées à la légère sans décision concertée, il espère tout de même que la substitution de ‘vin’ par ‘dolo’ sera une réalité un jour, éventualité que le cardinal Goldfried ne semble pas envisager du tout. Monseigneur Lucas Sanon dit en effet : En fait, l’église est tout à fait d’accord pour l’inculturation, mais il y a certaines choses que Jésus a faites et on ne peut pas les changer comme ça, sans tenir compte de toute l’église. C’est par exemple, comme le Christ a pris le pain et le vin, on continue à faire cela, même si dans la logique, on devrait prendre des produits de chez nous et je crois qu’un jour, on arrivera quand même à cela. Si la question de la substitution des espèces eucharistiques n’est pas vraiment traductologique, le choix des options dans la traduction permet de déceler ces enjeux. Les termes liés à l’incarnation, à savoir le pain et le vin ne sauraient donc être adaptés. Le pain a été traduit par ‘buru’, emprunté de l’anglais bread. Il est vrai que le pain comme le vin sont des aliments étrangers importés et par conséquent, on peut bien comprendre qu’on s’y réfère par des emprunts. Notre propos ici est de faire remarquer le choix des traducteurs, qui a été de ne pas les adapter, comme dans les cas précédents que nous avons évoqués au point 2.4.1. D’ailleurs, ces termes ‘pain’ et 153 ‘vin’ n’ont pas toujours été traduits par buru et duvn. Ils ont été par moment adaptés selon le contexte. Si dans Mathieu 26 : 26-28 qui décrit le repas de la Sainte Cène et également dans bien d’autres passages, buru et duvn sont effectivement employés, les termes dumuni (nourriture) et dr ont également été utilisés dans d’autres contextes. Sur trente-deux emplois de ‘pain’ dans les évangiles de Mathieu et Marc, dumuni a été employé sept fois, comme dans Mathieu 6 : 11 (donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien) ou Mathieu 15 : 26 (il ne sied pas de prendre le pain des enfants et de les jeter aux petits chiens). On aurait pu déduire que l’emploi de dumuni se justifie par le fait que dans ces passages, ‘pain’ semble être utilisé dans un sens général de nourriture, mais le verset Mathieu 7 : 9 (quel est d'entre vous l'homme auquel son fils demandera du pain, et qui lui remettra une pierre ?) qui emploie ‘pain’ dans un contexte aussi général n’a pas répondu à cette logique. Quant au terme ‘vin’, nous l’avons retrouvé vingt et une fois dans tout le Nouveau Testament. Layidukura l’a rendu seulement douze fois par duvn comme dans la description de la Sainte Cène mentionnée plus haut et d’autres versets comme Mathieu 9: 17, 27 : 34, Marc 2 : 22, 15 : 23, Luc 1 : 22, 7 : 33. Par contre, dans Actes 2 : 13, Romains 14 : 21, Ephésiens 5 : 18, 1 Timothée 3 : 8, Titus 2 : 3, c’est le terme dr (dolo) qui a été utilisé. On note d’autres cas où ‘vin’ a été autrement traduit. Dans Luc 10 : 34 par exemple, la Louis Segond Révisée dit ‘il s’approcha et banda ses plaies, en y versant de l’huile et du vin’ et cette idée a été traduit dans le Layidukura par ‘a gwrla k’a ka joldaw ko, ka fura k u la( il s’approcha, lava ses plaies et y mit des médicaments). Dans ce contexte, le choix de ‘médicament’ pour traduire ‘huile et vin’ se comprend bien. De même, dans révélation 14 : 8, le terme vin est employé dans un sens métaphorique. La Louis Segond parle du vin de la fureur de l’inconduite et le Layidukura parle de kakalaya (hypéronyme de mal utilisé pour traduire adultère, largement discuté dans l’analyse thématique). En conclusion, l’analyse révèle que l’adaptation des termes ‘pain’ et ‘vin’ dépend du contexte. Pour la description de la Sainte Cène, toute adaptation de ces termes, substitution du pain et vin en aliment ou bière locale, serait un «délit grave», pour emprunter l’expression de Tincq qui relatait dans le journal Le monde No 18430 du 27 avril 2004 la plainte du Vatican sur ce qu’ils ont appelé «des pratiques contraires à la discipline», lorsque dans une église en Afrique, le célébrant avait remplacé le vin par la bière locale. Le document du Vatican poursuit, selon le journal toujours, que «ces tentatives d’inculturation de la liturgie sont interdites. Seuls sont autorisés, le pain azyme pur froment et le vin de raisin pur et non corrompu, sans mélange de substances étrangères. Aucun prétexte ne peut justifier le recours à d’autres boissons, même dans les pays où le vin n’est ni produit, ni traditionnellement consommé». 154 Pour le cas précis de la traduction de ‘vin’, disons que l’effet exotisant n’est pas seulement au niveau de l’emploi du terme ‘duven’ en lieu et place de ‘dolo’. Il s’agit d’un ensemble d’éléments culturels difficilement transférables en dioula. Outre ces cas assez particuliers de passages non adaptés, il existe d’autres passages pour lesquels les traducteurs ont préféré amener l’audience vers le texte source. Exemple 2 Mathieu 26 : 65 : « Sarakalaasebaga kuntgba dmna foo a y’a yr ka fan faran k’a f ko : ‘a ye Ala tg cn ! An mako t mg la k’a jalak tugu » Traduction littérale :’ Le chef des prêtres s’est mis en colère au point de déchirer ses vêtements et dit : ‘il a ’gâté le nom de Dieu’ (qui peut vouloir dire aussi salir la réputation de Dieu)! Nous n’avons plus besoin de personne pour l’accuser encore. Versions françaises «Alors le grand- prêtre déchira ses vêtements et lui dit : Il a fait insulte à Dieu ! Nous n’avons plus besoin de témoins ! Vous venez d’entendre cette insulte faite à Dieu». (Français Courant) «Alors le Grand Prêtre déchira ses vêtements et dit : «Il a blasphémé. Avons-nous encore besoin de témoins! Vous venez d’entendre le blasphème» (TOB) Dans le Layidukura, la première partie du verset ‘le chef des prêtres s’est mis en colère au point de déchirer ses vêtements’ explique au lecteur que c’est de colère qu’il a déchiré ses vêtements, ce qui n’est pas courant dans la culture cible. Cette même expression avait pourtant été traduite différemment dans la même édition du Layidukura notamment pour la traduction de actes ‘14-14’, où on disait que le chef des prêtres avait saisi sa tête de colère, ce qui est plus vraisemblable dans le contexte dioula. Notons au passage dans ce verset que la traduction même de ‘chef des prêtres’ demeure ambiguë. Le terme dioula qui a servi à cela n’est pas tout à fait nouveau dans la langue, mais pourrait prêter à confusion avec les prêtres sacrificateurs traditionnels. Les catholiques, lors de leurs célébrations, lui préfèrent le terme ‘sonnilasebaga’, terme concurrent qui signifie ‘celui qui transmet les offrandes’. La notion de blasphème n’est pas très précise non plus. Elle a été rendue par ‘gâté le nom de Dieu’, littéralement traduit, mais pourrait signifier aussi salir l’image ou la réputation, ce qui ne veut pas dire grand-chose en soi. La traduction semble un peu diluée par rapport à la gravité de l’acte. La notion de blasphème, il faut le dire est quand même un peu étrangère dans les cultures du Burkina. Elle peut être comparée à la violation des lois sacrées des religions traditionnelles. 155 On note un autre exemple similaire. Exemple 3 Marc 14 : 63 « Yesu y’o f drn, sarakalasebagaw kuntgba dmna, foo a y’a yr kannadulok mn k’a faran k’a f ko : An mako t mg la tugu k’a jalak ». Traduction littérale : quand Jésus eut dit cela, le chef des prêtres s’est énervé jusqu’à déchirer son vêtement en disant « nous n’avons plus besoin de personne pour l’accuser ». Versions françaises : «Alors le grand prêtre déchira ses vêtements et dit : «Nous n’avons plus besoin de témoins !» (Français Courant) «Alors le souverain sacrificateur déchira ses vêtements et dit : qu’avons-nous encore besoin de témoins ? » (Louis Segond révisée) Ce verset a les mêmes caractéristiques que celui qui précède. Dans la version française, nulle part, il n’est fait mention de la colère du grand prêtre, mais cette notion est peut-être sous-entendue dans celle du déchirement des vêtements, dans la logique de la culture juive dont il était question. Les traducteurs dioula ont levé ce sous-entendu en précisant que c’est de colère que les vêtements ont été déchirés. Sans cette explicitation, le passage aurait été incompréhensible. C’est un élément de la culture judéo-chrétienne qui est ainsi introduit dans la traduction. Ces trois derniers versets analysés se réfèrent aux vêtements déchirés. Ce point de discordance culturelle a été soulevé par les traducteurs eux-mêmes lors de l’interview du 04 août 2001. On se rend compte à travers leurs stratégies divergentes de traduction, que la concordance terminologique n’a pas été un critère important. La question que nous sommes tenté de poser après l’analyse linguistique de ces passages est de savoir si les traducteurs sont toujours conscients de leurs choix. On note des cas d’adaptation dans le contexte culturel, des cas d’introduction de nouveaux concepts, et d’autres passages difficiles à comprendre, du fait d’une différence culturelle. Il est vrai que le même texte peut avoir plusieurs skopos. Une enquête auprès de l’équipe traductrice serait nécessaire pour la compréhension de ses stratégies, mais il faut tout d’abord pouvoir situer les responsabilités. Le travail de traduction est fait à Bobo, mais le dernier mot revient à la conseillère de L’Alliance Biblique pour le Burkina. Nos différentes tentatives d’échange avec elle sont restées vaines, étant donné qu’elle est très occupée et réside à Abidjan (Côte d’Ivoire), tout en ayant à charge le projet de traduction du Layidukura du Burkina. C’est dire tout l’effort qui est déployé pour la production de cette version. 156 Nous proposons à présent une analyse thématique visant à tester ou compléter celle qui précède dans la même logique de détermination du skopos du Layidukura. 3 ANALYSE THÉMATIQUE Sur la base des réalités culturelles présentées aux chapitres précédents, le présent paragraphe se propose d’analyser certains thèmes qui peuvent soit poser des problèmes de compréhension ou de fonctionnement dans la culture cible, soit permettre de juger des caractéristiques culturelles dites africaines. En rappel, les caractéristiques des langues et cultures africaines étudiées aux chapitres III et IV incluaient entre autres la préférence des euphémismes pour les questions taboues comme celles relatives à la sexualité, la supériorité de l’homme par rapport à la femme, des pratiques religieuses assimilées au fétichisme, et enfin une forte influence de l’islam. Cette analyse comporte quatre sous-groupes. Le premier sous-groupe est lié à la sexualité et à la corporalité. Il permettra de voir si cette traduction respecte le caractère tabou des questions liées à la sexualité et à la corporalité, mais aussi l’euphémisme qui ont été rapportés comme caractéristiques des langues africaines. Le deuxième thème, lié au premier, traite des rapports entre l’homme et la femme. Il se propose de vérifier l’image de subordination de la femme à l’homme, décrite au chapitre III. Le troisième aborde les passages qui font allusion aux croyances africaines. Enfin, le quatrième et dernier thème analyse les sujets relatifs à certains symboles du christianisme, dont la réception risque d’être assez complexe dans la culture cible. Ainsi se justifie le choix des thèmes que nous avons jugés intéressants pour la présente étude. La liste n’est certainement pas exhaustive, mais nous espérons que cette analyse fournira des éléments intéressants selon le skopos, permettant de décrire les stratégies des traducteurs, ce qui devra à son tour permettre de déduire quelques objectifs ou fonctions du Layidukura. 3.1 La sexualité et la corporalité La traduction des termes tels que l’adultère et la fornication, le baiser, la virginité et la circoncision seront les principaux points développés dans cette partie. 3.1.1 L’adultère Dérivé du latin ‘adulteratio’, l’adultère signifiait « altération, adultération, une chose mise pour une autre, un crime de faux, fausses clefs, faux contrats, faux seing ; de là, celui qui se met dans le lit d’un autre fut nommé adultère, comme une fausse clef qui fouille dans la serrure d’autrui »32. 32 http://www.voltaire-integral.com/17/adultere.htm. 157 Le Dictionnaire encyclopédique biblique de Bogaert (1987) définit l’adultère au sens propre, d’une part, comme l’inconduite de la femme mariée, peu importe que le mariage ait été consommé ou non (fiancée), et d’autre part, les relations extraconjugales d’un homme avec une femme mariée, non avec une femme non mariée, ni avec une concubine ou une esclave. En d’autres termes, la femme ne pouvait violer que son propre mariage, tandis que l’homme ne pouvait violer que le mariage d’un autre homme. Le mot ‘adultère’, dans les différents versets, a différents sens dans les saintes écritures. L’adultère est un crime contre la foi du mariage. Par extension, le mot a quelquefois été employé dans un sens métaphorique pour désigner tout péché contre le sixième commandement qui est ‘tu ne commettras pas d'adultère’. Il est alors synonyme d’idolâtrie. L’alliance du peuple fidèle avec Dieu est comparée à un mariage, en conséquence celui qui rejette Dieu pour se livrer à des idoles est appelé du même nom que celui qui viole la loi conjugale. Il en est de même pour toute altération et toute corruption, et le fait d’une famille, d’une race d’un peuple qui dégénèrent de leurs ancêtres. Dans les exemples qui vont suivre pour l’analyse de ce thème, nous commençons tout d’abord par le sens métaphorique. Analysons le verset suivant : Exemple 1 Mathieu 12 : 39 «Yezu y’a jaab ko : « B mgw ka jugu, u murutra Ala ma. U b’a f ne ka kabako k u nyana, n’ga ne tna kabako s k k’a yra u la n kra Zonas ta nygn t». Traduction littérale : Jésus leur répondit : «les gens d’aujourd’hui sont méchants. Ils se sont détournés de Dieu. Ils veulent que je fasse des miracles devant eux, mais je ne ferai pas d’autre miracle si ce n’est celui du prophète Jonas». Versions françaises «Jésus leur répondit en ces termes : « les gens d’aujourd’hui, qui sont mauvais et infidèles à Dieu, réclament un signe miraculeux, mais aucun signe ne leur sera accordé si ce n’est celui du prophète Jonas» (Français Courant). «Il leur répondit : une génération mauvaise et adultère recherche un signe, il ne lui sera donné d’autre signe que celui du prophète Jonas» (Louis Segond révisée) On se rend compte que cette notion abstraite d’adultère avait déjà été relativement simplifiée par une périphrase dans le Français Courant. Ce sens a été préservé dans Layidukura. 158 Au sens courant, l’adultère est défini comme tout rapport sexuel volontaire d’une personne mariée avec une personne autre que son conjoint. Différents mots ou expressions ont servi à sa traduction dans Layidukura. Il a été plus souvent traduit par kakalaya, défini en Bambara33 comme ‘débauche, fornication, luxure’ (dictionnaire bambara français de Bailleul, 2000). Ce mot est devenu, après une évolution sémantique, un hypéronyme qui désigne le ‘mal’ de façon générale. Le terme kakalaya est de nos jours employé couramment dans le langage et n’est pas forcement lié à la sexualité, ni à une infidélité quelconque. Ce n’est pas un mot tabou et il s’emploie dans tous les milieux. Le choix de ce mot pour traduire ‘adultère’ est plutôt surprenant. Une petite enquête34 réalisée auprès de la population dioulaphone du Burkina a confirmé cette impression. Certains ont préféré le terme ‘jnya’ (mot plutôt rare aussi dans le langage courant, mais plus fréquent lors des prêches musulmans) pour la traduction de ce terme. Le même mot ‘adultère’ est traduit par ‘nyamgya’ dans Mathieu 19 : 18, Marc 7 : 22 alors que ce terme ‘nyamgya’ à son tour avait été employé pour traduire les termes ‘impudiques’ et ‘fornicateurs’. Nous émettons deux hypothèses : soit la langue dioula perçoit ces termes comme des synonymes, soit elle a un vide lexical pour un terme et se sert d’un terme voisin pour le combler. La question fut posée à l’exégète Sanon Elie (entretien du 04 août 2001), à savoir pourquoi le terme kakalaya avait été choisi pour traduire ‘adultère’, dans la mesure où son sens a évolué et il n’exprime plus exactement cette idée ? Cette question n’a eu d’autre réponse que de nous demander de faire des propositions. Quelles peuvent alors être les raisons du choix des traducteurs ? Le terme kakalaya, comme nous l’avons dit plus haut, est plus générique. Étant donné le médium oral dans lequel la traduction va être utilisée, il était sans doute plus facile de le prononcer sans être impudique. Le fonctionnement du mot a donc pu être privilégié au détriment de son sens. Qu’en est-il du deuxième mot nyamgya employé pour traduire le même terme adultère? Le terme nyamgya ne figure pas dans le dictionnaire bambara français de Bailleul (2000), mais des adjectifs qui lui sont dérivés sont présentés. Il s’agit 33 Le dioula du Burkina n’a malheureusement pas encore son dictionnaire propre, nous permettant de vérifier les sens des mots. On a recours donc aux dictionnaires Bambara. 34 Nous avons demandé à une vingtaine de personnes adultes des deux sexes, chrétiens et musulmans, de plus de vingt ans, locuteurs natifs du dioula, ce qu’ils entendaient par «kakalaya», aucune des réponses n’était liée à la sexualité. Ensuite, nous leur avons demandé de proposer une traduction du terme ‘adultère’. Une seule personne (un musulman) a fait à ce moment le rapprochement entre ces deux mots, en reconnaissant quand même que ce sens avait évolué. Un autre musulman a proposé ‘jineya’, et une dizaine (musulmans et chrétiens) ont proposé ‘nyamgya’, mais tout en reconnaissant aussi que ce terme voulait aussi dire fornication. Sept personnes (chrétiennes) n’ont pas pu faire de propositions, ne trouvant pas de mot approprié. 159 de amgden35 (bâtard, enfant illégitime), de amgc (amant), et de amg muso (amante). Ces définitions se réfèrent toutes à la sexualité, mais ne disent pas s’il s’agit de personnes mariées ou pas. Dans le langage courant, le terme nyamgya revêt plusieurs sens36. Les adjectifs qui en sont dérivés, notamment ‘amgden’ sont plus couramment utilisés que le substantif. Tout d’abord, nyamgya désigne toute relation sexuelle qui a lieu entre individus qui ne sont pas des conjoints, peu importe si l’un ou l’autre est marié ou pas. Il peut aussi désigner dans les familles polygames, toute relation sexuelle entre le mari et la femme qui n’est pas de ménage. En effet, dans ces familles, le mari visite ses femmes à tour de rôle selon un calendrier bien fixé et chaque femme sait à l’avance quels jours elle doit le recevoir. Ce dernier peut, en sa qualité de maître de foyer, décider, selon ses préférences, d’aller voir une autre que celle qui est de ménage,. Cette ‘injustice’ est qualifiée de nyamgya. Par extension, ce terme est allé jusqu’à désigner le fait d’aller avec son mari en pensant à un autre homme. C’est comme un péché en pensées. Le sens de ce terme nyamgya varie donc selon qu’on soit dans une famille polygame ou pas. Même s’il touche à la sexualité, il ne correspond pas exactement à l’idée d’adultère, quoique plus proche de ce terme de nos jours que kakalaya. La préférence de ce dernier par rapport à nyamgya peut s’expliquer par les raisons évoquées plus haut. Le fonctionnement du texte à produire a pu jouer en défaveur de nyamgya, plus proche en sens d’‘adultère’, quoique toujours inexact. Le terme ‘kakalaya’ a été noté vingt deux fois dans Layidukura. Dans Mathieu 5 : 27, Mathieu 5 : 28, Mathieu 12 : 39, Mathieu 15 : 19, Mathieu 16 : 4, le terme grec employé dans le ‘Interlinear Greek-English New Testament’ (1958) est µοιχενσειs (moicenseis), qui signifie littéralement ‘commit adultery’, tandis que dans Mathieu 5 : 32, il est question de πορνεια (porneia) qui peut vouloir dire ‘fornication’, prostitution, débauche et aussi adultère. Layidukura a retenu le terme kakalaya pour les versets Mathieu 19 : 9, Marc 10 : 11, Marc 10 : 12, Marc 10 : 19, Luc 16 : 18, Luc 18 : 11, Luc 18, 20, Jean 8 : 3, Romains, 2 : 22, Romains 7 : 3, Romains, 13 : 9, 1 Corinthiens 6 : 9, Hébreux 13 : 4, Jacques 2 : 11, Jacques 4 : 4 2 Pierre 2 : 14 contre seulement deux fois nyamgya dans Mathieu 19 : 18 et Marc 7 : 22. Pour tous ces versets, les versions françaises emploient le terme ‘adultère’, tandis que le grec et le dioula emploient tous les deux, deux termes comme synonymes, ce qui confirme l’influence du grec sur le Layidukura. Ny et sont utilisés en dioula pour transcrire le même son. Nous avons gardé le dans ces cas pour respecter l’orthographe du dictionnaire de Bailleul. 36 Le manque de dictionnaire unilingue dioula nous a conduit à demander autour de nous dans les familles dioulaphones musulmanes ou chrétiennes, ce que ce terme signifiait. Cinq familles ont été visitées et c’est la synthèse de leurs conceptions qui est présentée ici. 35 160 La traduction de Jean 8 : 4, portant sur l’histoire de la femme adultère a particulièrement attiré notre attention. Analysons-la : Exemple 2 Jean 8 : 4 «Muso mn tun lann b n c d ye, an y’a mn». Traduction littérale : la femme qui était couchée avec un homme, nous l’avons prise. Versions françaises «Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d’adultère» (TOB). «Et disent à Jésus : Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d’adultère» (Louis Segond Révisée). La version du Layidukura est assez ambiguë. ‘La femme qui était couchée avec un homme, nous l’avons prise’, rend l’idée de sexualité, mais pas forcément d’adultère, puisque l’homme en question aurait bien pu être le mari de la femme et alors, il ne serait pas question d’adultère au sens courant. Si, ni l’un ni l’autre n’est marié, il ne s’agit pas d’adultère dans son sens classique non plus, mais le mot grec utilisé est πορνεια (porneia), qui peut bien vouloir dire ‘adultère’, fornication, débauche, comme nous l’avons vu plus haut. Quoi qu’il en soit, le Layidukura, dans sa version, banalise cette idée d’adultère et cela peut être perçu comme un euphémisme. Il est vrai que la notion d’adultère varie selon que l’on se trouve dans une société polygamique ou pas. Au temps de l’Ancien Testament où la polygamie était permise, on imagine que la notion d’adultère avait un sens différent de ce que la loi évangélique est venue imposer. Dans les sociétés africaines où la polygamie est toujours très présente, on peut imaginer les difficultés de traduction de ce terme. La polysémie du terme grec πορνεια (porneia) peut également justifier les choix divergents des traducteurs dans les différents versets. Ainsi, dans 1 Corinthiens 6 : 13 et 18, 2 Corinthiens 12 : 21 et Colossiens 3 : 5, le Layidukura parle de kakalaya, la Louis Segond Révisée et le Français Courant de ‘impureté’. Dans Galates 5 : 19 où il est question de πορνεια (porneia), ακαθαρσια (akatharsia) (impureté) et ασελγεια (aselgeia) (débauche et libertinage) dans le texte grec, la TOB emploie les termes débauche, libertinage et adultère, tandis que le Layidukura emploie kakalaya et ngtya (le fait d’être sale). Dans Hébreux 13 : 4 πορνουs (pornons) (fornicateurs) a été traduit par nyamgyaklaw (amants), le même terme qui avait été proposé pour ‘adultère’ dans Mathieu 19 : 18 et Marc 7 : 22. Le Layidukura emploie les termes kakalaya, mgkolonya (le fait d’être mauvais) et malobalya’ (le fait de ne pas avoir honte) pour traduire respectivement ακαθαρσια (impureté), πορνεια et αδελγεια (débauche, impureté ou impudicité) dans 2 Corinthiens 12 : 21, 161 tandis que la TOB employait ‘impureté’, ‘inconduite’ et ‘débauche’ et le Français Courant, ‘impureté’, ‘immoralité’ et ‘vice’. L’inconstance lexicale constatée au niveau de ces termes liés à la sexualité est donc générale et se justifie dans le texte grec lui-même. Le recours par contre aux hypéronymes de ‘mal’ en dioula pour traduire ces termes est propre au Layidukura, ce qui revient à un euphémisme, preuve de la nature sensible de ces termes et de leur caractère tabou dans la société. Toutes ces impudicités (adultère, fornication, débauche, prostitution) sont connues et sévèrement sanctionnées dans les sociétés africaines, même si l’amalgame est fait au niveau lexical, pour les trois premiers termes (adultère, fornication et débauche). Quand la fornication par exemple est prouvée par une grossesse avant le mariage dans certaines sociétés burkinabès et surtout dans les familles musulmanes, la fille et sa famille sont dites déshonorées. Il n’est pas rare au Burkina de voir des filles se faire renvoyer du domicile parental pour cette faute. Dans la religion musulmane, comme chez les juifs à l’origine, le jour qui suit la première nuit des mariés, on est tenu de présenter le drap tâché de sang, sur lequel ont dormi les mariés, signe de la virginité (notion discutée au paragraphe suivant) de la fille et cela est une très grande fierté pour les parents de cette dernière. Dans le cas contraire, au cas où le drap ne serait pas tâché, c’est la tristesse et le déshonneur. Le fait que cette notion d’adultère culturellement bien connue soit confondue à d’autres notions, quoique sémantiquement proches, peut se justifier par le texte de base. Nous allons voir à présent ce qui ressort de l’analyse du terme ‘virginité. 3.1.2 La virginité Dans le langage courant, la virginité désigne l’état d’une fille qui n’a pas encore eu de rapport sexuel. Par extension, il désigne ce qui est intact. Ce thème, malgré le fait qu’il soit bien connu de la culture cible, n’a pas manqué de poser des problèmes de traduction. Pour preuve, la traduction de ‘Vierge Marie’, expression courante surtout dans l’église catholique en est un exemple. On se sert du néologisme ‘Maria vierzi’ qui est un emprunt du français, ou de l’expression ‘Maria Senu’ (Sainte Marie), plus usitée que ‘Maria Vierzi’ (Vierge Marie), même si les deux expressions désignent la même personne. Est-ce une option pour ne pas avoir à s’encombrer avec la traduction de ‘vierge’ ? Analysons la version que propose le Layidukura pour la traduction de ‘vierge’. Exemple 1 Dans Mathieu 1 : 23 il est dit : «Sunguru d bna kn taa ka denc wolo…» Traduction littérale Une jeune fille concevra et mettra au monde un fils. 162 Versions françaises «La vierge sera enceinte et mettra au monde un fils…» (Français Courant). «Voici que la vierge concevra et enfantera un fils …..» (TOB). Ainsi, ‘vierge’ est traduit ici par ‘jeune fille’. Il en est de même dans Mathieu 25 : 1, 7, Luc 1 : 27, Actes 21 : 9, 2 Corinthiens 11 : 2. Si on s’en tient à la comparaison avec les versions françaises uniquement, on peut dire que la jeune fille n’est pas forcément vierge. Cette traduction peut s’expliquer dans le contexte africain toujours. Dans le milieu traditionnel, une jeune fille est censée rester vierge jusqu’à son mariage et en se mariant, elle cesse d’être sunguru ‘jeune fille’, mais devient muso ‘femme’. Il y a cependant la possibilité de traduire cette notion de virginité par la périphrase ‘sunguru ou muso min ma c ln. (la fille ou la femme qui n’a pas connu d’homme), mais cette option paraît susceptible de choquer. Pour ce qui est des versets spécifiques étudiés, le terme grec utilisé est παρθενον (parthenon), qui, curieusement signifie à la fois selon le lexique grec anglais Oxford (1996) ‘maiden girl’, ‘virgin’ et même ‘unmarried women who are not virgin’. La version du Layidukura se comprend donc et se justifie bien. Nous examinons à présent d’autres cas où le terme παρθενον (parthenon) est employé dans un autre contexte, lui donnant un autre sens. Exemple 2 1 Corinthiens 7 : 37-38 «Nga n kambelen mn ya latg a yr dusu la, n degunyr t’a la fewu, n’a be se a yr kr fana, k’a latg a yr kn ko a tna se a ka mamnmuso ma fewu, ale be baaranyuman k. Mn ma furu k fana o tg ye konyuman k ksb». Traduction littérale: mais un jeune homme qui décide de lui-même sans contrainte aucune, s’il sait se maîtriser, s’il choisit de lui-même de ne pas toucher à sa fiancée du tout, il fait un bon travail. Celui qui ne se marie pas aussi fait vraiment bien.’ Versions françaises «Par contre si le jeune homme sans subir de contrainte a pris intérieurement la ferme résolution de ne pas se marier, s’il est capable de dominer sa volonté et a décidé en lui-même de ne pas avoir de relations avec sa fiancée, il fait bien. Ainsi, celui qui épouse sa fiancée fait bien, mais celui qui y renonce fait encore mieux» (Français Courant). «Mais celui qui tient ferme en lui-même sans contrainte et avec l’exercice de sa propre volonté, et qui a décidé en son cœur de garder sa (fille) vierge, celui là fait 163 bien. Ainsi, celui qui donne sa (fille) vierge en mariage fait bien, celui qui ne la donne pas fait mieux». (Louis Segond Révisée). Nous remarquons que pour ces versets, même en français, les textes présentent une différence entre eux. Le même mot se trouve être ‘fiancée’ dans le Français Courant, tandis que la Louis Segond Révisée a gardé le terme ’vierge’. Le texte grec utilise toujours le terme παρθενοs (parthenos), qui peut désigner, ‘vierge’, jeune fille, fiancée et même jeune mariée. Encore une fois, cette confusion apparente entre ‘jeune fille’ et ‘fiancée’ dans les versions françaises mêmes a sa source dans le texte grec. Nous avons également choisi de présenter dans ce sous thème de la sexualité et de la corporalité la notion de baiser dont l’intérêt réside dans son étrangeté pour les sociétés dioulaphones. 3.1.3 Le baiser Dans la tradition judéo-chrétienne, le baiser semblait être quelque chose de courant et de naturel. Il pouvait être une marque de respect aussi bien que de tendresse, ainsi qu’un mode de salutation. Ce concept n’étant pas très familier dans la culture cible, on pouvait s’attendre à des difficultés de traduction. Ainsi donc, dans Mathieu 26 : 48, Mathieu 26 : 49, Marc 14 : 44, Marc 14 : 45, c’est un geste qui a été décrit. Il est dit en dioula ‘a ya bolo meleke a kan kan’ ce qui veut dire, ‘il a mis ses mains autour de son cou’, en prenant le soin d’expliciter qu’il s’agit de salutation. Pourquoi les traducteurs ont-ils choisi ce geste précisément ? Mettre les mains autour du cou est un geste qui se fait souvent au Burkina entre parents et enfants, surtout les petits enfants. On assiste maintenant de plus en plus à des scènes d’accolades et d’autres formes de baiser importées, mais traditionnellement, le geste décrit par les traducteurs, qui traduirait l’affection ou la salutation affectueuse, existait entre enfants et parents. Il y a eu donc adaptation à la culture cible. Dans d’autres versets comme Luc 22 : 47, Luc 22 : 48 et 1 Pierre 5 : 14, le terme baiser a été traduit simplement par ‘salutation’ sans autres référence au geste. Dans ces cas encore, on peut parler d’adaptation au contexte cible, le baiser représentant pour les sociétés judéo-chrétiennes, ce que le salut représente pour les sociétés africaines, peu importe la manière de le faire. Il existe un troisième groupe de versets où il est plutôt question de ‘saint baiser’ et cette notion a été traduite en dioula de différentes manières. Il s’agit de Romains 16 : 16, 1 Corinthiens 16 : 20, 2 Corinthiens 13 : 12. Dans Romains 16 : 16, Le texte dioula dit : ‘Aw ka nygn fo n kngw ye’, ce qui signifie littéralement ‘saluez-vous avec un ventre blanc’, en d’autres termes saluezvous avec un cœur sincère, tandis que la TOB parlait de ‘saint baiser’, le Français 164 Courant de baiser fraternel et le grec de φιληµατι αγιω (philêmati agio) (saint baiser). La même expression de ‘saint baiser’ a été traduite paradoxalement dans 1 Corinthien 16 : 20 par ‘an ka nygn fo kosb k’an bolo meleke nygn kan na’ (saluez-vous bien en vous mettant mutuellement les mains autour du cou), ce qui revient à la description du geste, en plus de l’idée de salutation. Cette instabilité dans le choix des stratégies peut se justifier, soit par plusieurs objectifs combinés de la traduction de ce passage, soit par un malaise dans la traduction de ce concept. Les exemples suivants illustrent davantage cette inconstance. Exemple 1 Luc 7 : 38 : «A sera mnk, a brla Yezu sn kuuna ka kas damn. A kasra foo a nyaj ye Yezu sn nyg. O k, a y’a kunsg k k’o jos n’a b’o saalon. Ka tla ka tulu kasadman bn u kan». Traduction littérale : Quand elle est arrivée, elle s’est accroupie sur les pieds de Jésus et commença à pleurer. Elle a pleuré jusqu’à ce que ses larmes mouillent les pieds de Jésus. Après cela, elle a pris ses cheveux pour les essuyer en les caressant. Ensuite, elle y a mis de l’huile parfumée. Versions françaises «Et se tînt derrière Jésus, à ses pieds, elle pleurait et se mit à mouiller de ses larmes les pieds de Jésus ; Puis elle les essuyait de ses cheveux, les embrassa et répandit le parfum sur eux » (Français Courant). «Et se plaçant par derrière, tout en pleurs, aux pieds de Jésus, elle se mit à se baigner ses pieds de larmes ; elle les essuyait avec ses cheveux, les couvrait de baiser et répandait sur eux du parfum» (TOB). Exemple 2 Luc 7 : 45 « I ma ne fo ka n far saalon, nga ale, kabn ne nana f, a ma ne sn saalon dabla Traduction littérale Tu ne m’as pas salué en me caressant le corps mais elle, depuis que je suis venue chez toi n’a pas cessé de me caresser les pieds. Versions françaises « Tu ne m’as pas reçu en m’embrassant ; mais elle n’a pas cessé de m’embrasser les pieds, depuis que je suis entré » (Français Courant). 165 « Tu ne m’as pas donné de baiser, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle n’a pas cessé de me couvrir les pieds de baisers »(TOB). Dans ce passage, le terme ‘baiser’ ou encore καταφιλουσα (kataphilousa) (fervently kissed) du Nouveau Testament Interlinéaire grec anglais (1958), a été rendu par ‘caresser’ dans Layidukura. Ces termes ne sont guère synonymes. La relation apparente entre eux est qu’ils expriment tous deux une intimité corporelle. Le choix de ce nouveau terme, vise-t-il plus de pudeur, vu le contexte dans lequel il sera utilisé ? En effet, contrairement à ce que la retraduction de ce terme en français laisse penser, ce terme saaloon a une connotation d’affection pas forcément liée à la sexualité. Les raisons qui ont conduit à cette option ne sont pas apparentes. Si on pense au contexte de son fonctionnement oral, on peut penser que ce choix a obéi à ce critère, encore que le fait de ‘saluer en caressant le corps’ ne veut pas dire grand chose en soi dans les traditions du Burkina. Les différentes options de traduction de ce terme sont peut-être dues à son étrangeté dans le contexte cible. Dans les traductions interculturelles, il n’est en effet pas aisé de concilier le sens original et l’adaptation à une culture donnée. Nous nous penchons à présent sur le dernier terme retenu, après quoi nous verrons si des points communs se dégagent entre eux. 3.1.4 La circoncision Ce terme a été classé dans ce sous thème à cause de son sens premier –ablation du prépuce- qui a trait au corps, malgré le sens métaphorique qu’il a acquis dans la culture judéo-chrétienne par la suite, qui est la circoncision du cœur introduite par Moïse. Selon son sens premier dans la culture judéo-chrétienne, la circoncision était considérée comme une marque honorable et on considérait comme ‘impurs’ tous ceux qui n’étaient pas circoncis, comme on l’a vu aussi dans la société bambara au chapitre III. Dans ce sens, les traducteurs ont choisi le terme dioula knkn (circoncire)’, comme dans Luc 2 : 21, Jean 7 : 22, Jean 7 : 23, Romains 2 : 25, Romains 2 : 26, Romains 2 : 27, Romains 2 : 28, Romains 2 : 29, Romains 3 : 1, Romains 4 : 11, Romains 4 : 12, 1 Corinthiens 7 : 19, Galatiens 2 : 9, Galatiens 5 : 6, 5 : 11, 6 : 12, 6 : 15, Collosiens 3 : 11. L’acte étant bien connu dans les sociétés traditionnelles africaines, il n’y a pas eu de difficulté majeure concernant sa traduction. Le terme knkn’ est aussi bien connu et s’utilise autant que des euphémismes relatifs comme ‘sigi’ (asseoir) ou ‘sigi ng kr (asseor à côté du fer), employés aussi dans le langage courant pour désigner ce geste. Dans la tradition juive, la circoncision était une pratique rituelle que tous les enfants mâles devaient subir huit jours après leur naissance (Luc 1 : 59 et 2 : 21). Dans la plupart des sociétés traditionnelles africaines, notamment bambara, c’est pendant les cérémonies d’initiation préparant les jeunes au mariage qu’ont lieu la 166 circoncision et/ou l’excision (Dieterlen, 1951). Similairement, le dictionnaire encyclopédique de la Bible (1987 ) explique que la circoncision devait primitivement être une initiation au mariage et se pratiquer au moment des fiançailles dans les sociétés juives, étant donné que les noms signifiant ‘époux’, ‘fiancé(e)’, ‘gendre’, beau-père, de même que le verbe voulant dire ‘s’allier par mariage’, sont de même racine que le verbe arabe ‘hâtana’, dont le sens propre est circoncire. Outre ce sens concret, ce terme est aussi utilisé dans un sens métaphorique. Le Seigneur prescrit la circoncision à Abraham comme ‘signe d’alliance’, de telle sorte que quiconque ne portera pas ce signe «devra être retranché» de son peuple. Partant de ces gestes, la circoncision a acquis un sens abstrait en relation avec son sens concret. Tout comme on circoncit le corps pour le purifier, Moïse parle de la circoncision du cœur qui, à son avis, est plus importante que celle du corps. Les juifs se sont tellement caractérisés par ce signe que l’on les désignait par ‘circoncis’, comme le montrent les exemples ci-après. Exemple 1 Romains 4 : 9 «dagamu mn koo fra d, ale te dan zwfuw dama ma, syaw wrw fana nn b’a la». Traduction littérale : le bonheur qui a été évoqué ne concernera pas seulement les juifs. Les autres races seront concernées. Versions françaises «Ce bonheur existe-t-il seulement pour les hommes circoncis ou aussi pour les non circoncis ?» (Français Courant) «Cette déclaration de bonheur ne concerne donc que les circoncis ?» (TOB) Exemple 2 Romains 15 : 8 «Ne b’a f tny na ko Ala ka kantgya ksn, Krsta ye baara k zwfuw ye, janko Ala tun ye laydu mnw ta an faw ye, o ka k» Traduction littérale : Je vous le dis en vérité qu’à cause de la parole divine donnée, le Christ a travaillé pour les juifs, pour que les promesses faites par Dieu à notre égard s’accomplissent. Versions françaises «En effet, je vous l’affirme, le Christ est devenu le serviteur des juifs, pour accomplir les promesses que Dieu a faites à leurs ancêtres et montrer ainsi que Dieu est fidèle» (Français Courant). 167 «Je l’affirme en effet, c’est au nom de la fidélité de Dieu que Christ s’est fait serviteur des circoncis pour accomplir les promesses faites aux pères» (TOB). Dans les versets Galates 2 :7, 2 : 8, 2 : 12, Colossiens 4 : 11, Tite 1 : 10, le terme ‘circoncis’ a été non seulement assimilé à ‘juif’, mais aussi à ‘croyant’. Dans l’exemple 1, le Layidukura oppose les juifs aux autres races et on pourrait se demander dans quelle catégorie les membres de l’audience cible peuvent être classés, eux qui pourraient être croyants sans être juifs et circoncis sans croire en Jésus. On note d’autres versets où les termes ‘circoncis’ et ‘incirconcis’ semblent avoir été traduits littéralement dans un sens difficilement classifiable entre le concret et l’abstrait. Un exemple de ces cas est Romains 2 : 25 «Knkn kany n’I b sarya labato, nga n’I t sarya labato, I ka knkn koo te jaat tugun» Traduction littérale : La circoncision est bien si tu obéis à la loi, mais si tu n’obéis pas à la loi, ta circoncision ne compte plus Versions Françaises «Si tu obéis à la loi, la circoncision t’est utile, mais si tu désobéis à la loi, c’est comme si tu n’étais pas circoncis» (Français Courant) «Sans doute la circoncision est utile si tu pratiques la loi, mais si tu transgresses la loi, avec ta circoncision, tu n’es plus qu’un incirconcis» (TOB). Dans ce cas, le terme circoncision semble avoir été employé dans un sens concret et abstrait à la fois. Il en a été de même pour Romains 2 : 26, 3 : 30, 4 : 11, 4 : 12, 1 Corinthien 7 : 18, Galate, 6 : 13, Ephésiens 2 : 11, Philippiens 3 : 2, 3 : 3, 3 : 5, Colossiens 2 : 11, 2 : 13, 3 : 11. Cette difficulté de classification de ce cas d’utilisation de ‘circoncis’ peut s’expliquer par le fait qu’avant l’introduction de la notion de circoncision du cœur, c’est par la circoncision au sens concret que les croyants devaient se distinguer des non-croyants (Genèse 17 : 11). Ainsi, les croyants assimilés aux circoncis que nous avons étudiés dans les paragraphes précédents, étaient à l’origine de vrais circoncis au sens concret, c'est-à-dire, ceux qui avaient subi la circoncision de la chair. Désormais, on estime que la seule circoncision de la chair ne suffit plus et qu’il faut la circoncision du cœur. Cela ne veut pas dire que la circoncision de la chair est interdite. Le sens du mot ‘circoncision’ a évolué, et les versets sus-présentés, démontrent des traces des deux sens. Pour récapituler ce qui ressort de ce thème lié à la corporalité et à la sexualité, on peut dire que l’amalgame qui règne entre les notions liées à la sexualité, a sa base 168 dans les originaux grecs eux-mêmes. L’approche des traducteurs a donc été de suivre ces originaux, sauf pour le cas de l’euphémisme, exprimé par le choix d’hyperonymes de mal, propre au Layidukura. Cela confirme les caractéristiques du langage dans les sociétés africaines en général, évoqués au chapitre III. Si l’instabilité lexicale notée pour les deux derniers termes abordés semble se justifier pour ‘la circoncision’, il n’en a pas été de même pour le baiser, concept mal connu de la culture cible, dont la traduction semble obéir à l’euphémisme comme dans les cas précédents. Les fonctions du Layidukura déductibles de ces stratégies de traduction peuvent être la communication efficace avec une audience cible dont les valeurs ont été globalement prises en compte, comme le préconise la théorie du skopos. Le prochain thème abordé est proche du précédent. Il analyse les rapports entre l’homme et la femme dans la société. 3.2 Rapports entre l’homme et la femme Dans ce thème, il sera question concrètement d’analyser les versets dont la traduction laisse transparaître l’image que se fait la société sur la femme. Nous y aborderons les fiançailles, le mariage et le lévirat et en dernier ressort, la répudiation. 3.2.1 Les fiançailles Bien que le terme ‘fiancée’ ait été abordé dans le sous-thème précédent pour marquer sa confusion avec ‘vierge’, il n’est pas redondant de l’évoquer à nouveau ici, étant donné que l’accent n’est pas mis sur les mêmes aspects. Dans le langage courant, les fiançailles sont définies comme l’engagement que prennent les futurs époux de contracter le mariage. Dans les sociétés africaines traditionnelles, ce sont les familles des futurs fiancés qui entreprennent les démarches pour les fiançailles de leurs enfants (Dacher, 1972). Ce n’est que récemment, dans les environs des années 1960, qu’on permit aux jeunes gens de faire eux-mêmes leurs choix surtout dans les zones urbaines, mais même dans ces cas, ce sont les parents qui font les démarches. Sur ce plan, les populations judéo-chrétiennes et africaines avaient des pratiques relativement similaires. Les traducteurs ont choisi le terme dioula mamnmuso qui correspond selon la religion traditionnelle à celle qui a été promise à un homme sans que les deux concernés ne soient forcément d’accord, ce qui n’est pas le cas pour ‘fiancé’. Cela reflète bien la conception de la société sur le mariage et la femme. On parle plus souvent de mamnmuso (fiancée) que de mamnc (fiancé). C’est la fille qui est promise et non l’homme. Ainsi mamnmuso a été retenu toutes les fois où il s’est agi de fiancée dans les versions françaises, comme dans Mathieu 1 : 18, Luc 1 : 27, 2 : 5, 1 Corinthien 7 : 36, 37, 38 et Apocalypse 21 : 9, mais ‘παρθενος’ (parthenos) est le même terme grec utilisé dans le texte de base qui peut vouloir dire fiancée, comme nous l’avons vu 169 dans le précédent thème. Il est vrai qu’il peut aussi vouloir désigner l’homme célibataire, mais le contexte permet de déterminer dans ce cas qu’il s’agit du féminin. Si le terme employé dans Layidukura, à savoir mamnmuso, est bien le terme dioula signifiant ‘fiancée’, il démontre toute la philosophie du mariage dans les sociétés traditionnelles. La femme, en étant celle qui est promise, a un statut inférieur à celui de l’homme qui est le bénéficiaire. Bien d’autres versets, liées au mariage et au lévirat illustrent ce fait. Nous les analyserons à la section suivante. 3.2.2 Le mariage et le lévirat Analysons les exemples suivants : Exemple 1 Marc 12 : 19 « ‘N c d saara k’a ka muso to k’a sr a muso ma dn sr, a dgc ka kan k’o muso nn ta, janko ka dn sr muso nn ma, ka k a koroc s ye». Traduction littérale : Si un homme meurt en laissant sa femme sans que celle-ci n’ait eu d’enfant, son petit frère doit prendre cette femme, afin d’avoir des enfants avec elle pour son grand frère. Versions françaises «Maître, Moïse nous a donné ce commandement écrit: «Si un homme qui a un frère meurt et laisse une femme sans enfant, il faut que son frère épouse la veuve, pour donner des descendants à celui qui est mort» (Français Courant). «Maître, Moïse a écrit pour nous : si un homme a un frère qui meurt en laissant une femme, mais sans laisser d’enfant, qu’il épouse la veuve et donne une descendance à son frère» (TOB). L’analyse de cette traduction révèle plusieurs faits : d’abord, nous notons une similarité entre ce qui est prescrit dans la Bible et ce qui se passe dans la réalité africaine : le lévirat. Seulement pour ce cas, la version française précise que c’est quand l’homme meurt sans enfant que cette pratique est conseillée, contrairement aux sociétés africaines où cette condition n’existe pas. Que le défunt ait eu des enfants avec la femme ou pas, le lévirat est pratiqué. La deuxième remarque que nous faisons par rapport à la traduction de ce verset, est la position de la femme par rapport aux enfants. Le texte grec (si quelqu’un meurt en laissant une femme et en ne laissant pas d’enfant), reproduit dans la version française, laisse comprendre que c’est le couple qui n’a pas eu d’enfants, tandis que le Layidukura précise bien que c’est la femme qui n’a pas eu d’enfant. Même s’il est vrai que cela revient au même, la précision sied à un contexte bien précis. En effet, dans les foyers qui n’ont pas d’enfants, dans les sociétés africaines, c’est toujours la 170 femme qui est accusée d’être stérile. On n’hésite pas à recourir à la polygamie pour tenter de se faire une progéniture. La traduction de ce passage a tenu compte des normes de la société qui la reçoit. La troisième remarque découlant de l’analyse de ce verset est que le Layidukura a pris le soin de préciser que c’est le petit frère qui prend la femme de son grand frère décédé. En effet, dans les sociétés traditionnelles mêmes où le lévirat est pratiqué, on n’hérite pas d’un petit frère. La femme faisant partie de l’héritage, il n’est pas permis au grand frère d’épouser la femme de son petit frère défunt. Le texte français ne donne pas de précision à ce sujet. Cette explicitation du Layidukura sied bien au contexte et à l’audience cibles. Il en a été de même pour l’exemple suivant : Exemple 2 Marc 6 : 18 «I man kan k dgc ka muso bs a la k’a furu’» Traduction littérale : Tu ne dois pas retirer la femme de ton petit frère et l’épouser. Versions Françaises Car Jean disait à Hérode : Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère’ (Français Courant). Car Jean disait à Hérode : «il ne t’est pas permis de garder la femme de ton frère». (TOB). Le choix de ‘dgc’ (petit frère) pour traduire ‘frère’ peut aussi s’expliquer par le fait qu’il n’existe pas de terme en dioula pour dire ‘frère’ tout simplement. On peut soit dire ‘grand frère’ ou ‘petit frère’. Les traducteurs auraient pu dans ce cas choisir aussi ‘grand frère’ au lieu de ‘petit frère’ ou indiquer les deux. Leur choix s’explique de toute façon dans le contexte. C'est ce qui est admis dans la société qui a été privilégié. Si ces deux exemples relatifs au lévirat sont indicateurs du statut inférieur de la femme dans la société, l’exemple suivant relatif au mariage est aussi signicatif. Exemple 3 1 Corinthiens 7 : 2 «Nga, kakalaya kosn, a ka ny c kelen kelen b ka muso furu, muso kelen kelen b ka sg c f ». Traduction littérale : Mais, à cause de ‘l’adultère’, c’est bien que chaque homme se marie et que chaque femme reste chez un homme. 171 Versions françaises «Cependant en raison de l’immoralité si répandue, il vaut mieux que chaque homme ait sa femme et chaque femme ait son mari» (Français Courant). «Toutefois, pour éviter tout dérèglement, que chaque homme ait sa femme et que chaque femme son mari» (TOB). Tout d’abord, on peut faire remarquer les choix lexicaux de ce verset : dans les versions françaises, on note une certaine neutralité ‘chaque mari a une femme et chaque femme a un mari’, tandis que dans le Layidukura, l’homme se marie, et la femme reste chez un homme, ce qui donne à l’homme un statut supérieur. Ensuite, on peut dire que la traduction dioula de ce verset est ambiguë en ce sens qu’on ne dit pas clairement que chacun a droit à un seul conjoint. Elle indique que chaque femme doit rester chez un homme, sans préciser que chaque homme a droit à une seule femme. Ce verset, tel que traduit, n’interdit pas clairement la polygamie, pratique courante dans les sociétés africaines, comme nous l’avons vu au chapitre III. Les versions françaises sont très claires sur ce point avec l’utilisation des adjectifs possessifs ‘sa’ et ‘son’, qui montrent qu’il s’agit du singulier. Dans le texte grec de même, l’usage des termes εκαστοs (ekastos) (each man), εκαστη (ekastê) (each woman) et de l’expression τον ιδιον ανδρα (ton idion andra) (her own husband) indique que chacun a droit à un seul conjoint. L’ambiguïté de la version dioula favorise les hommes. Cette traduction vient démontrer encore une fois une facette de la conception du mariage et de l’image de la femme dans la société traditionnelle, et l'attachement à la polygamie. Il est vrai que dans la Bible de manière générale la soumission de la femme à l’homme est prônée, mais pour ce choix-ci, le Layidukura a fait son propre choix. Les versets traitant de la répudiation, qui seront analysés au point suivant, renforcent encore plus cette image du statut inférieur de la femme par rapport à l’homme. 3.2.3 La répudiation Analysons l’exemple suivant : Exemple 1 Marc 10 : 11-12 «Mg o mg y’a ka muso gwn ka dwr ta, o tg be kakalaya k. A b’a muso fl hak ta. N muso mn bra a c f ka taa furu d wr ma, a be kakalaya k». Traduction littérale : Tout homme qui chasse sa femme pour en prendre une autre commet ‘l’adultère’. Il pèche contre sa première femme. Si une femme quitte son mari pour aller se marier à un autre, elle commet ‘l adultère’. 172 Versions françaises «Il leur répondit : si un homme renvoie sa femme et en épouse une autre, il commet un adultère envers la première ; de même, si une femme renvoie son mari et épouse un autre homme, elle commet un adultère» (Français Courant). «Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l’égard de la première. Et si la femme répudie son mari et en épouse une autre, elle est adultère» (TOB). Nous remarquons que pour la traduction de ces deux versets, le verbe répudier a été traduit différemment, selon qu’il s’applique à l’homme ou à la femme. Quand c’est l’homme qui répudie, le Layidukura dit qu’il ‘chasse sa femme’. Quand c’est la femme qui répudie, on dit qu’elle ‘quitte son mari’. Le terme grec est pourtant aussi le même pour les deux : απολυση (apoluonê) Il en est de même pour épouser. S’agissant de l’homme, on dit qu’il prend une autre femme, tandis que pour la femme, on dit qu’elle se marie à un autre. L’homme est donc le maître tout-puissant qui peut ‘chasser et reprendre une autre’, tandis que la femme, elle, ‘quitte’ pour aller rentrer ailleurs’, c’est à dire se marier à quelqu'un d'autre. Ces traductions, même si elles ne sont pas propres aux sociétés africaines, reflètent la réalité que vivent les femmes africaines en général. La femme a moins de valeur que l’homme dans la société. On pense que le mariage l’arrange plus et qu’elle doit faire plus d’efforts pour se maintenir dans le foyer. Cette inégalité a sa source dans la Bible même, comme l’indiquent les versets 1 Corinthiens 11 : 5, 7, 8, 9, 1 Corinthiens 14 : 34, 35, Ephésiens 5 : 22, 23, 24, Colossiens 3 : 18, 1 Timothée 2 : 11, 12, 1 Pierre 3 :1. Jean 8 : 5 évoque la sanction devant être appliquée à la femme adultère, mais omet de préciser le sort qui doit être réservé à l’homme avec qui l’adultère est commis, étant donné qu’on ne peut pas commettre l’adultère toute seule. En outre, les versets Mathieu 5 : 31-32 donnent les cas où l’homme peut répudier sa femme : si celle-ci est infidèle, mais rien n’est dit sur la possibilité pour une femme de quitter son mari. Si ces inégalités constatées sont dans les originaux grecs eux-mêmes, les versions françaises ont fait preuve de plus de neutralité envers les sexes, à l’image des sociétés occidentales contemporaines. Les fonctions déductibles de ces traductions peuvent être le souci d’une communication efficace comme dans le thème précédent. En tenant compte de la culture cible dans les stratégies de traduction, le message a peut-être plus de chance de passer et d’être accepté. On peut aussi comparer cette stratégie au respect des normes sociales. Tout cela peut s’inscrire dans le cadre de l’évangélisation. Les traducteurs ont su tirer profit de l’environnement cognitif de l’audience pour orienter leur approche, comme le préconise la théorie de la pertinence. Le prochain thème illustre davantage la prise en compte de cet environnement cognitif pour une fonction précise. 173 3.3 L’évangélisation Ce thème traite des passages qui laissent transparaître certaines croyances ou pratiques africaines, tout comme ce qui précède, mais à la différence que les notions présentées ici orientent plus clairement le sens de la traduction vers un objectif d’évangélisation. 3.3.1 Le croyant Ce thème a été retenu à cause de sa traduction particulière. On y a souvent ajouté en dioula le complément ‘Jésus’ ou ‘Christ’ pour signifier peut-être qu’on ne peut croire qu’au Christ tandis que les versions françaises s’en sont tenus au verbe croire et le grec (πιστευω) (pisteuo) de même. Cet ajout de ‘Jésus’ dans le Layidukura témoigne sans doute d’un objectif d’évangélisation. Le terme croyant est même synonyme de chrétien dans le Layidukura. Analysons les exemples ci-après. Exemple 1 Actes 10 : 45 «Zwifuw minw tun laara Yezu la n’u nana Piyeri bila sira….». Traduction littérale : les juifs qui croyaient en Jésus et qui étaient venus accompagner Pierre... Versions françaises «Les croyants d’origine juive qui étaient venus avec Pierre …» (Français Courant). «Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui avaient accompagné Pierre » (TOB). Exemple 2 Actes 11 : 2 «Piyeri kosegira Zeruzalemu tuma min na, Zwifuw min tun laara Yezu la, oluw ye Piyeri jalaki…» Traduction littérale : Quand Pierre retourna à Jérusalem, les juifs qui croyaient en Jésus l’accusèrent. Versions françaises «Quand Pierre revint à Jérusalem, les croyants d’origine juives le critiquèrent» (Français Courant). «Lorsque Pierre remonta à Jérusalem, les circoncis eurent des discussions avec lui» (TOB). 174 Le terme ‘croyant’ ou ‘croire’ a été explicité par le nom de Jésus dans les exemples qui précèdent. Il en a été de même dans Actes 2 : 44, 4 : 32, 19 : 18, Romains 10 : 4, 1 Corinthien 7 : 12, 7 : 13, 14 : 22, 1 Théssaloniciens 2 : 102 : 13, 1 Timothée 4 : 35 : 16, 6 : 2, Tite 1 : 6. Bien que les versions françaises se contentent seulement du terme ‘croyant’, le Layidukura a éprouvé le besoin de préciser qu’il s’agissait de la foi en Jésus. Dans Actes 15 : 5, le Layidukura parle de ‘disciple’ et cela sous-entend ‘disciple de Jésus’, tandis que dans Actes 16 : 1, le terme croyant est synonyme de chrétien. S’il est vrai que le terme ‘croyant’ en français se réfère à celui qui croit en Dieu, l’ajout du complément Dieu ou Christ n’est sans doute pas anodin. En effet, ce terme employé tout court sans complément ne précise pas en qui il faut croire. Le fait d’avoir plus souvent choisi le terme ‘Jésus’ ou ‘Christ’ au lieu de Dieu pour expliciter ce concept en dioula fait peut-être partie des objectifs du bailleur de fond de la traduction qui comprennent l’évangélisation. Dans les sociétés burkinabées, ‘croire en Dieu’ est un fait universel, tandis que ‘croire en Jésus’ est une affirmation chrétienne. Cette explicitation s’imposait peut-être dans le contexte pour éviter toute confusion. C’est un indice que les traducteurs ont une idée de l’environnement cognitif de l’audience et cela se perçoit aussi au point suivant. 3.3.2 L’idolâtrie Le choix de ce terme s’explique par le fait que sa traduction laisse transparaître un préjugé sur les cultures africaines. Dans le sens courant, l’idolâtrie peut être définie comme tout culte rendu aux images, ou à tout autre Dieu que le’ seul vrai Dieu’. Dans les religions traditionnelles au Burkina Faso, bien que l’unicité et la suprématie de Dieu soient reconnues, il arrive qu’on se réfère à Lui en utilisant des objets comme intermédiaires que les personnes étrangères à ce système ont assimilé à l’idolâtrie.’À chaque fois qu’il s’est agi d’idolâtrie, les traducteurs ont choisi le terme dioula qui correspond à ces objets utilisés dans le cadre des sacrifices religieux : joo. Le choix de ce terme pour traduire ‘idole’ peut ne pas sembler approprié en ce sens qu’il est le terme générique pour ‘fétiche’ et les joo ont des noms. Les pratiquants de la religion traditionnelle rejettent la traduction ‘fétichisme’ de leurs pratiques religieuses, parce qu’ils estiment que ces mots français attribués par le colonisateur ont une connotation péjorative qui ne traduit pas vraiment son sens réel. Il faut dire que les Africains qui s’expriment en langue européenne n’ont pas beaucoup de choix, s’ils veulent être compris de tous. Il est très difficile d’interdire aux Africains le recours à certaines pratiques qui font appel au ‘joo’, quelle que soit leur confession religieuse. La boutade burkinabée qui dit qu’au Burkina il y a 30% de chrétiens, 70 % de musulmans et 100% d'animistes a tout son sens. L’exemple ci-après laisse entrevoir ce préjugé sur la culture africaine. 175 Corinthiens 10 : 14 Aw ka faran josn na Traduction littérale : Arrêtez l’idolâtrie. Versions françaises ‘C’est pourquoi mes chers amis, gardez-vous du culte des idoles’ (Français Courant). ‘C’est pourquoi mes bien-aimés, fuyez l’idolâtrie’ (TOB). Entre ‘fuyez’ et ‘arrêtez’, il y a une nuance. Cette traduction de ‘fuir’ par ‘arrêter’ peut s’expliquer par ce préjugé. Il reste à savoir si ce choix des traducteurs est délibéré ou inconscient. Quoi qu’il en soit, il laisse transparaître cette étiquette. Sur une vingtaine d’usages du terme ‘idole’ dans tout le Nouveau Testament, le Layidukura a choisi joo pour au moins quinze, comme par exemple dans les versets 1 Corinthiens 7 : 41, 15 : 20, 15 : 29 21 : 25, 1 Corinthien 8 : 1 etc. De même, pour le terme ‘idolâtrie’ retrouvé trois fois (1 Corinthien 10 : 14, Galate 5 : 20, Collossiens 3 : 5) dans le Nouveau Testament, le Layidukura a choisi le même terme pour les trois versets. Examinons à présent le quatrième et dernier sous-thème qui introduit de nouvelles notions essentielles pour le Christianisme. 3.4 Les symboles théologiques Il s’agit là des termes purement chrétiens dont la traduction a nécessité la création de néologismes et dont la compréhension n’est toujours pas évidente. 3.4.1 L’esprit saint Le concept de ‘esprit saint’ est tellement essentiel et complexe dans la religion chrétienne qu’une thèse entière ne suffirait pas à explorer tous ses aspects. On le rencontre soixante dix-huit (78) fois dans le Nouveau Testament. L’esprit, de l’hébreu ‘rûach’ et du grec πνευµα (pneuma) qui peuvent tous les deux signifier souffle, vent, haleine, désigne, selon le dictionnaire encyclopédique de Bible (1987), l’air, l’atmosphère, l’espace large entre ciel et terre, élément mystérieux, invisible et pourtant indispensable à la vie. Réalité impalpable, mais qui s’impose parfois avec la force de la tempête ; réalité cosmique dont l’homme dépend et qu’il ne peut jamais mener à sa guise ; une force vitale. Le mot «Esprit» peut être employé dans plusieurs contextes et revêtir ainsi différents sens. Dans les versions françaises il a tantôt été utilisé dans le sens de l’âme (il rendit l’esprit, dans Mathieu 27 : 50), tantôt de démon, comme dans Actes 16 : 18, et quelquefois au sens commun de ‘esprit’ qui est la composante de l’homme qui le fait réfléchir. Chevalier (1966) explique les difficultés de traductions de ce terme, étant donné que l’hébreu rûach et le grec pneuma n’ont pas exactement les mêmes significations. 176 Rûach (Chevalier, 1966 : 22) et pneuma (ibid., 37) peuvent tous les deux signifier souffle, vent, haleine. Le deuxième sens qu’ils ont en commun est la force invisible et sensible assimilée à un démon. Le mot rûach a une troisième signification qui est la force perceptible chez tout homme, son principe vital, présent aussi chez les animaux, ce qui correspondrait au ni 37 dans la cosmogonie bambara. Ce sens se retrouve également quelque peu dans pneuma. Le quatrième sens de rûach employé dans l’Ancien Testament est la force vive de Dieu qui peut vouloir dire la puissance de vie, qui donne vie, un ouragan destructeur, la puissance d’intervention de Dieu dans l’existence d’un homme et enfin l’être intime de Dieu. Ce dernier sens est absent de pneuma qui signifie aussi ‘dispositions psychologiques’, sens que rûach n’a pas (ibid., 39). Dans le Nouveau Testament, le terme ‘esprit’ a reçu un sens plus philosophique, selon le dictionnaire encyclopédique de la Bible (1987), même s’il désigne toujours ‘souffle’ ou ‘vent’. L’esprit de vie subsiste après avoir quitté le corps. Il s’oppose, toujours selon le même dictionnaire, à la chair, comme la volonté droite et forte s’oppose à la faiblesse. Rûach (plus souvent employé dans l’Ancien Testament) et pneuma (du Nouveau Testament) n’ayant pas exactement les mêmes sens, on peut aisément deviner les difficultés qui se posent dans la traduction de ces deux mots (souvent considérés pourtant comme équivalents) surtout vers les autres langues à travers le monde, qui essaient de traduire cette notion d’esprit, qui de l’hébreu, qui du grec, dans le cadre des traductions bibliques. Du point de vue anthropologique, l’homme est composé de deux parties dans la conception grecque, dont pneuma, par opposition à la partie charnelle (chevalier, 1966 : 38), alors que la cosmogonie bambara reconnaît, comme nous l’avons vu au chapitre III, cinq composantes spirituelles. On imagine alors aisément les difficultés de traduction de ce terme en bambara et partant, en dioula. Pour la traduction de ‘esprit’, Layidukura a employé des termes comme (littéralement traduits) pensée, intelligence, âme et génie (démon) selon les contextes. Pour en venir à l’Esprit Saint proprement dit, il est considéré comme la troisième composante de la Sainte trinité avec le Dieu père et fils, relation plutôt complexe à définir et à comprendre pour les non-chrétiens. Le Layidukura se sert de l’expression Nii Senuman pour sa traduction. On s’est donc servi d’une des cinq composantes de la personne humaine dans la conception bambara Nii (âme), auquel on a ajouté l’adjectif senu (utilisé dans le sens de saint), créé par dérivation de sani qui veut dire ‘propre’. Le mot composé ainsi formé donnerait, littéralement traduit, ‘âme sainte’. Cette expression, si elle a été retenue dans Layidukura pour la traduction de Esprit Saint, elle ne fait pas l’unanimité au sein des églises qui ont pourtant contribué à la production de cette version œcuménique. En effet, l’église catholique de Bobo lui préfère ‘Hakili Senu’ qui littéralement traduit 37 Ni et Nii et même Nin, ou encore Niin, servent tous à désigner le même nom, ‘âme’ en dioula. 177 donne Esprit ou Intelligence Saint(e). Cette option, selon Monseigneur Lucas Kalfa Sanon (entretien du 18 juin 2004), se justifie par le fait que l’église catholique ne se reconnaît pas vraiment dans l’expression Nii Senuman, qui ne rend pas bien l’idée d’Esprit Saint. Le Saint Esprit étant la troisième personne de la Sainte Trinité, il a quelquefois été assimilé dans Layidukura à (selon nos retraductions littérales) ‘l’esprit de Dieu’, ‘l’esprit du père’, ‘l’esprit du fils’. Le terme ‘saint’ a aussi souvent été traduit par ‘ce qui est bien’ ou ‘ce qui est en rapport avec Dieu’. Avec toutes les différentes conceptions et interprétations possibles de cette expression données plus haut, on peut comprendre ces discussions autour de sa traduction. Nii Senuman figurait sur la liste des traductions à ré-examiner par les traducteurs du Layidukura, lors de la séance de révision initiée par l’Alliance Biblique du Burkina, à laquelle nous avons pris part le 04 août 2001. Il a simplement été confirmé après de longues discussions, preuve qu’il s’agit d’un concept très complexe. C’est une pratique courante de l’Alliance Biblique de réviser les traductions et de les actualiser selon les remarques de la population qui les utilise. Ces options des traducteurs ont peut-être plusieurs objectifs. En créant un néologisme pour la traduction de Nii Senuman, ils soulignent son importance et en même temps attirent l’attention des lecteurs, dans un but d’évangélisation. Le néologisme de ‘Senuman’ ajouté à ‘Nii’, mot courant signifiant ‘âme,’ donne toute latitude aux évangélisateurs d’expliquer ce concept selon leur doctrine, sans risque qu’il soit confondu à d’autres concepts existant dans la langue. Vu l’importance que revêt cette expression dans le christianisme, le choix d’un néologisme pour sa traduction se défend bien. Nous nous intéressons à présent à un autre concept chrétien, apparu dans les langues et cultures africaines dans le cadre de l’évangélisation. 3.4.2 L’agneau de Dieu Bien que peu de versets en parlent dans le Nouveau Testament, l’importance que revêt ce thème dans le christianisme le rend pertinent pour notre analyse. Plusieurs interprétations ont eu cours pour le sens de cette expression ‘Agneau de Dieu’. Le dictionnaire encyclopédique de la Bible (1987) indique que Jean Baptiste présente Jésus comme l’agneau de Dieu : ho amnos tou theou. L’interprétation qui en a été faite est que l’Agneau de Dieu peut être le symbole de l’innocence et de la justice, mais aussi, et surtout dans le sens de Jean Baptiste, celui du messie, du guide du peuple, de l’agneau immolé sans tâche. Pour sa traduction dans le Layidukura, le terme qui a été le plus retenu est ‘Ala ka Sagaden’. Ce dernier mot (sagaden) est formé de la racine Saga qui veut dire mouton et den qui veut dire enfant. En d’autres termes, le petit du mouton ou le petit mouton, qui n’a pas la nuance qui existe en français entre mouton et agneau, bien que l’agneau 178 soit le petit mouton. On le note dans Jean 1 : 29, et Jean 1 : 36. Le texte grec employé dans ces passages est αµνος (amnos) qui veut aussi dire ‘agneau’. Dans Actes 8 : 32, il est question de brebis et d’agneau respectivement προβατον (probaton) et αµνος (amnos) dans le texte grec, mais le Layidukura a retenu tout simplement le terme ‘saga’ (mouton) pour les deux. C’est vrai que le contexte est différent. Il ne s’agit pas là d’Agneau de Dieu, mais d’agneau tout simplement. Nous notons donc ici deux expressions à analyser, même si elles sont très liées : l’agneau d’une part et l’agneau de Dieu d’autre part. Pour ce qui concerne la traduction de ‘agneau’ tout simplement, on peut noter l’exemple suivant : Exemple 1 Actes 8 : 32 «A tun b yr mn kalanna, a sbnnn tun b ye ko : « A kra n’a f saga, u be taara n mn ye fagayr la, walma u be mn sw tgtgra. A ma kas» Traduction littérale : La partie qu’il lisait dans le livre était la suivante : il était comme un mouton qu’on mène à l’abattoir, ou dont on coupe les poils. Il n’a pas pleuré. Versions françaises «Le passage de l’écriture qu’il lisait était celui-ci : «il a été comme une brebis qu’on mène à l’abattoir, comme un agneau qui reste muet devant celui qui le tond. Il n’a pas dit un mot» (Français Courant). «Le passage de l’écriture qu’il lisait était celui-ci : il a été mené comme une brebis à l’abattoir ; et comme un agneau muet devant celui qui le tond, il n’ouvre pas la bouche» (Louis Segond Revisée). Tandis que les versions françaises emploient les termes ‘brebis’ et ‘agneau’ respectivement προβατον (probaton) et αµνοs (amnos), le Layidukura s’en tient simplement au terme ‘saga’ (mouton). Il est vrai qu’ici, il ne s’agit pas d’Agneau de Dieu mais de ‘brebis’ et ‘d’agneau’. Le terme dioula employé, à savoir, ‘saga’ (littéralement mouton), pour rendre ces deux notions, a une autre connotation : ‘saga’ désigne dans le langage courant, celui qui ne réfléchit pas et qui suit de manière grégaire les autres, à la limite même un idiot, alors que ‘agneau’ évoque la douceur, et que brebis est plus neutre. En fait, comme nous le disions plus haut, le dioula ne connaît pas la nuance entre ‘mouton’, ‘brebis’ et ‘agneau’. Les traducteurs n’avaient donc pas d’autres choix que ce terme ‘saga’, qui ne rend pas l’idée. Cette difficulté de traduction du terme ‘agneau’ se répercute sur la traduction de ‘Agneau de Dieu’, qui est en réalité le terme qui nous intéresse ici. 179 Le dictionnaire encyclopédique (1987) explique que ‘Agneau de Dieu’ est le nom symbolique donné à Jésus Christ, qui est comparé à un agneau à cause de sa résignation. Il est la victime chargée des péchés des hommes, qui s’offre à Dieu pour les expier. Cela renvoie à l’ancienne tradition juive qui était d’immoler l’agneau à la Pâques en sacrifice pour expier les fautes. L’animal qui est le plus facilement immolé en sacrifice au Burkina, notamment à l’ouest, est le coq. Le symbole de pureté est exprimé par la couleur blanche de l’animal. Dans la même logique de l’adaptation remarquée dans les paragraphes précédents, n’était-il pas possible de traduire ‘Agneau de Dieu’ par « Coq de Dieu » ? L’expression ‘Agneau de Dieu’ est calquée en dioula telle quelle, dans un contexte différent, où les mots n’ont pas les mêmes connotations. Toute tentative d’adaptation serait peut-être un risque que les traducteurs n’ont pas voulu prendre. Si on permettait la comparaison avec n’importe quel animal, certes approprié dans la culture cible, cela amènerait des différences d’interprétation et peut-être d’autres connotations liées à l’animal choisi. ‘Coq’ pourrait véhiculer par exemple une image d’agressivité, de combativité et de force, absente de ‘agneau’. Pour conclure cette analyse thématique, on peut dire que la même stratégie mixte de traduction, de domesticating et de foreignizing a été observée, la première pour les passages qui ne mettent pas en jeu les symboles essentiels au christianisme, et la seconde précisément pour les passages qui mettent en jeu ces symboles. Conclusion de l’analyse des données écrites En guise de conclusion à cette analyse des données écrites, comme nous le voyons, la version du Layidukura a pu répondre à plusieurs skopos. Tout d’abord, l’analyse du paratexte renvoie à plusieurs fonctions explicites ou implicites. La principale fonction explicite est une fonction d’évangélisation : « nous espérons que d’ici quelques années toute la parole de Dieu sera disponible en dioula pour que les chrétiens puissent la lire lors des prières et des enseignements » (tiré de la préface du Layidukura, traduit par nous). Dans cette indication des objectifs du Layidukura, on note aussi une fonction d’enseignement et de lecture. La population est en majorité analphabète et la traduction de la Bible en langue nationale pourrait aussi viser à réduire ce taux d’analphabétisme, même si la finalité de l’utilisation de cette version pour des besoins d’alphabétisation demeure encore l’évangélisation. Les fonctions implicites déductibles des autres parties du paratexte, à savoir les notes introductives, les notes de bas de page, le découpage en péricopes et les illustrations en images recoupent quelque peu ces fonctions explicites. L’introduction des illustrations en image, même si elle a pu suivre un phénomène de mode, témoigne aussi de la volonté de mettre à la disposition du lecteur des images concrètes l’aidant à se représenter les notions qui ne lui sont pas familières. En outre, les images sont plus parlantes que les mots et cela est surtout vrai dans les sociétés à majorité analphabète. 180 Les notes introductives révèlent que Le Layidukura s’adresse à un public cible circonscrit, familier à l’islam pour la plupart, imprégné de la culture locale et non familier aux questions bibliques, ce qui explique sans doute son indépendance relative par rapport aux versions françaises qui ont officiellement servi de versions source à la traduction, même si on a pu déceler des traces du grec par-ci, par-là. Le découpage en péricopes démontre la même indépendance. L’analyse linguistique révèle à son tour différentes fonctions qui peuvent renforcer les fonctions explicites et implicites déduites du paratexte. On note des stratégies de domesticating et de foregnizing (Venuti, 1995), pouvant toutes deux répondre à l’expression d’une idéologie en traduction. Ces stratégies se sont matérialisées en ce qui concerne la première, par des explicitations et des adaptations laissant transparaître la prise en compte de la culture cible, et pour la seconde, par la création de néologismes pour les concepts purement chrétiens revêtant une importance particulière pour la religion. L’analyse thématique reflète la même stratégie hybride de traduction, comme c’est en général le cas dans la plupart des traductions interculturelles. Pour cette version précise du Layidukura, la multiplicité des approches peut s’interpréter de différentes manières : il s’agit tout d’abord de textes religieux, très sensibles, dont la traduction requiert par conséquent le plus grand soin. Ensuite, tout travail de traduction est l’occasion de mettre en présence deux ou plusieurs cultures différentes et celle qui reçoit la traduction a beaucoup de chance de se retrouver transformée, dotée de nouveaux concepts issus de la culture source. Que serait une Bible totalement dépouillée de la culture des peuples judéo-chrétiens, même dans le contexte de l’inculturation ? Ce livre s’adresse à tous les peuples du monde, il est vrai, mais il est difficile de l’adapter totalement à la culture de toutes les langues qui le reçoivent au risque de se retrouver avec 2000 versions différentes du même texte. Il est vrai aussi que chaque peuple a ses sensibilités et croyances qu’il convient de respecter, mais dans le cas de la traduction de la Bible, tout dépend du skopos de la traduction, qui est en général fixé par les bailleurs de fond. La production du Layidukura n’a pas fait exception à cette règle. En outre, le fait qu’il y ait peu de versions disponibles dans cette langue complique la tâche des traducteurs qui doivent combiner plusieurs skopos, contrairement au français ou à l’anglais par exemple, où il existe plusieurs versions, chacune présentant des objectifs précis. Les lecteurs de la Bible dans ces langues ont beaucoup plus de choix que ceux du dioula. La fonction centrale du Layidukura semble être principalement une fonction évangélisatrice. Produit dans un projet œcuménique, fruit de la coopération entre les églises catholique et protestante, le Layidukura est conçu aussi pour fonctionner dans ces églises. Dans ce sens, il n’a pas seulement un but d’évangélisation, mais il remplit également des fonctions liturgiques et ecclésiales. Cette double fonctionnalité pourrait expliquer d’une part, l’emploi des substituts culturels dans les cas où ils ne portent pas préjudice au fonctionnement liturgique et où les symboles chrétiens ne 181 sont pas en jeu, et d’autre part, l’usage de néologismes quand ces conditions ne sont pas réunies. Cette double stratégie est déterminée entre autres facteurs par les objectifs de la traduction. On pourrait également attribuer à cette version une fonction d’unification des chrétiens catholiques et protestants dioulaphones, si on s’en tient aux affirmations du premier responsable de l’église de Bobo, Monseigneur Sanon38, lors d’une interview le 06 décembre 2003 dont nous avons fait cas précédemment. Le problème est que chaque confession s’en tient lors de ses célébrations à des expressions qui lui sont propres, et recourt aux versions traduites parallèlement 39 pour la confession en question, si bien qu’on s’interroge sur le rôle même de cette version du Layidukura. Lors des célébrations liturgiques à l’église catholique par exemple, on rencontre des expressions propres à cette église et qui ne figurent pas dans la version commune produite. Monseigneur Lucas Kalfa Sanon pour sa part, a affirmé (interview du 18 juin 2004) que le Layidukura a beaucoup été influencé par l’église protestante, étant donné que c’est elle qui offre la plus grosse part des financements, ce qui lui permet d’avoir le dernier mot sur les options lexicales (choix des mots, préférence des termes, etc.) et sur les stratégies de traduction. Cela confirme bien le rôle primordial accordé au ‘translation commissioner’ dans la théorie du skopos. Le caractère écrit du Layidukura rend cette version (financée par des bailleurs de fond étrangers) très influençable et influencée par ces derniers, ce qui relativise les résultats de cette analyse. Étant donné que cette traduction fonctionne beaucoup plus à l’oral qu’à l’écrit et que chaque confession est libre et plus ou moins indépendante de ses choix à l’oral, une analyse des données orales s’imposait pour valider les résultats de l’analyse des données écrites ainsi que nos hypothèses. Elle a l’avantage de bénéficier des situations réelles de la vie, ce qui permet de limiter le nombre de suppositions par rapport aux données écrites, et d’examiner des faits précis dans un cadre déterminé. Le contexte oral permet de considérer un certain nombre de facteurs pragmatiques, intéressants pour le mécanisme de la traduction. 38 En rappel, la version du Layidukura 1996 a été soumis à l’imprimatur Monseigneur Anselme Sanon, ce qui signifie qu’il l’a approuvée. Il est donc bien placé pour expliquer les objectifs qui ont prévalu dans la production du Layidukura. 39 Les catholiques préfèrent par exemple la version traduite par les missionnaires, appelée « la Bible du dimanche » qui en fait un recueil des textes du dimanche. Il ne s’agit donc pas de toute la Bible, mais d’une sélection des textes du Dimanche étant donné qu’à l’église catholique, les textes de la messe sont connus à l’avance. Quant aux fidèles de l’église de l’Alliance Chrétienne, ils utilisent la Bible en Bambara.