Étude de cas sur le recouvrement transfrontalier des créances
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Étude de cas sur le recouvrement transfrontalier des créances
Étude de cas sur le recouvrement transfrontalier des créances pécuniaires Les procédures transfrontalières européennes Projet “Using EU Civil Justice Instruments: Development of training materials and organisation of test seminars“ (Agreement No. JUST/2013/JCIV/AG/4686) This publication has been produced with the financial support of the Civil Justice Programme of the European Union. The contents of this publication are the sole responsibility of ERA and can in no way be taken to reflect the views of the European Commission . Sujet 2 Les procédures transfrontalières européennes Étude de cas sur le recouvrement transfrontalier des créances pécuniaires1 Étude de cas Best Italian Coffee, une société de droit italien qui a son établissement principal à Gênes, en Italie, a vendu une machine à café à M. Esteban Molinero Fernández, un ressortissant espagnol habitant à Nice, en France, où il tient un café à front de mer. La machine a été livrée en mai 2014, accompagnée d'une facture d'un montant total de 9 214 euros. M. Molinero Fernández avait versé un acompte de 7 500 euros à la commande de la machine. Malgré deux rappels écrits de Best Italian Coffee, M. Molinero Fernández ne paie pas le solde du prix de vente. Sur les ordres de Best Italian Coffee, un avocat français introduit une action devant le Tribunal de commerce de Nice afin d'obtenir une décision condamnant M. Molinero Fernández à payer les 1 714 euros restant dus, majorés d'intérêts de retard et des frais de justice. L'acte introductif d'instance est notifié le 30 juin 2014 au café exploité par M. Molinero Fernández, bien que celui-ci soit domicilié à une autre adresse. L'huissier remet l'acte à une personne qui travaille pour M. Molinero Fernández pendant la saison des vacances, conformément à l'article 654 du Code de procédure civile français2. L'audience est fixée au 21 juillet 2014. L'acte ne comprend qu'une information limitée sur la nature de la créance et ne mentionne pas le taux d'intérêt applicable à la créance. En annexe figure un formulaire standard, qui contient une copie des articles 471 à 479 du Code de procédure civile français3. M. Molinero Fernández ne comparaît pas à l'audience et ne s'y fait pas représenter par un avocat. L'avocat qui représente Best Italian Coffee déclare au tribunal que M. Molinero Fernández a apparemment quitté la France. D'après les informations fournies par des voisins, M. Molinero Fernández aurait ouvert un nouvel établissement à Gérone, en Espagne. Best Italian Coffee indique en outre qu'il est peu probable que M. Molinero Fernández possède des biens quelconques en France. 1 2 3 Élaborée par Patrick Wautelet, professeur à l'Université de Liège. Cette disposition est libellée en ces termes : « La signification doit être faite à personne. La signification à une personne morale est faite à personne lorsque l'acte est délivré à son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute autre personne habilitée à cet effet ». Ces dispositions régissent les conséquences du défaut de comparution d'un défendeur. 1 Section I : Titre exécutoire européen Pour résoudre cette affaire, veuillez prendre en considération les complémentaires suivantes, qui doivent être incluses dans l'énoncé des faits : informations Au cours de l'audience, l'avocat représentant Best Italian Coffee exprime son souhait de modifier la demande : outre la condamnation de M. Molinero Fernández au paiement des 1 714 euros, plus les intérêts de retard et les frais de justice, l'avocat invite le tribunal à certifier la décision en tant que titre exécutoire européen en vertu du règlement n° 805/2004. Question 1 La créance réclamée par Best Italian Coffee constitue-t-elle une « créance incontestée » au sens du règlement n° 805/2004 ? 1. Introduction : champ d'application du règlement TEE Comme pour tout autre règlement de l'Union européenne traitant de matières transfrontalières, certaines exigences doivent être satisfaites pour que le règlement n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées soit applicable. En l'espèce, certaines de ces exigences ne soulèvent aucune difficulté. C'est le cas des éléments suivants : 1.1 Champ d'application matériel Aux termes de son article premier, le règlement s'applique aux créances en matière civile et commerciale. Une série de matières sont expressément exclues du champ d'application du règlement créant un titre exécutoire européen, parmi lesquelles, entre autres, les créances concernant des questions de sécurité sociale, d'arbitrage, de faillite et de droit de la famille, comme l'état et la capacité des personnes physiques, les régimes matrimoniaux, les testaments et les successions. À l'inverse, le règlement créant un titre exécutoire européen peut être appliqué en matière d'obligations alimentaires. Remarque à l'intention de l'instructeur : à ce stade, il peut être suggéré aux participants d'examiner la jurisprudence de la Cour de justice européenne à propos de la notion de « matière civile et commerciale ». La Cour a en effet rendu un grand nombre d'arrêts procurant une orientation sur l'utilisation de cette notion. Bien que ces arrêts aient été rendus par rapport à la Convention de Bruxelles de 1968 ou au règlement n° 44/2001, ils restent néanmoins utiles pour cerner le champ d'application du règlement n° 805/2004. Les participants doivent en particulier se pencher sur les dossiers suivants : 2 - arrêt du 14 octobre 1976 dans l'affaire 29/76, LTU Lufttransportunternehmen GmbH, - arrêt du 22 février 1979 dans l'affaire 133/78, Henri Gourdain, - arrêt du 16 décembre 1980 dans l'affaire 814/79, Reinhold Ruffer, - arrêt du 21 avril 1993 dans l'affaire C-172/91, Volker Sonntag, - arrêt du 14 novembre 2002 dans l'affaire C-21/00, Gemeente Steenbergen, - arrêt du 15 mai 2003 dans l'affaire C-266/01, Préservatrice Foncière Tiard SA, - arrêt du 15 février 2007 dans l'affaire C-292/05, Leirini Lechouritou. Dans le cas qui nous occupe, la créance de Best Italian Coffee résulte d'une relation commerciale. L'affaire entre donc précisément dans le champ d'application matériel du règlement. 1.2 Champ d'application géographique À la différence d'autres instruments européens de droit international privé, le règlement créant un titre exécutoire européen a un champ d'application géographique facile à décrire : il s'applique uniquement si la juridiction saisie est une juridiction d'un État membre4. Le règlement repose sur la confiance mutuelle entre les États membres. Il ne peut donc s'appliquer que dans les relations entre États membres. En l'espèce, cette exigence ne suscite aucune difficulté. 1.3 Champ d'application temporel En vertu de l'article 33, le règlement est applicable à partir du 21 janvier 2005. L'article 26 précise qu'il n'est applicable qu'aux décisions rendues postérieurement à cette date5. D'après les faits exposés, il peut être déduit avec certitude que la décision obtenue par Best Italian Coffee a été rendue après la date pertinente. En conséquence, l'affaire entre également dans le champ d'application temporel du règlement. 2 Créances « incontestées » Une condition essentielle à l'application du règlement a trait à la nature des créances : en vertu de son article 3, le règlement s'applique uniquement aux « décisions, transactions judiciaires et actes authentiques portant sur des créances incontestées ». Deux exigences doivent être distinguées. Premièrement, le règlement peut uniquement être appliqué si la créance a fait l'objet d'une décision, d'une transaction judiciaire ou d'un acte authentique. Ces notions sont définies dans la suite du règlement (voir l'article 4). Lorsqu'une décision a été rendue au sujet de la créance, la dénomination que porte cette décision n'a 4 5 Le Royaume du Danemark n'est toutefois pas lié par le règlement n° 805/2004. Dans certains États membres, le règlement n'est entré en vigueur qu'à une date ultérieure. En Bulgarie et en Roumanie, le règlement est entré en vigueur le 1er janvier 2007. 3 aucune incidence : elle peut être appelée arrêt, jugement, ordonnance ou mandat d'exécution. En complément, le règlement s'applique également à la fixation par le greffier du montant des frais du procès. D'autre part, le règlement n'est applicable qu'à certaines créances, à savoir les droits à une somme d'argent déterminée qui est devenue exigible ou dont la date d'échéance a été indiquée dans la décision (article 4, paragraphe 2). Le montant de la créance n'est pas plafonné, de sorte que le règlement TEE peut être appliqué tant pour de très petites créances que pour des montants très élevés. L'article 3 énonce des règles détaillées définissant ce que signifie une créance « incontestée ». Une créance est réputée incontestée dans les trois cas suivants : - une créance est incontestée, tout d'abord, si le débiteur l'a expressément reconnue, ce qu'il peut faire en acceptant son existence au cours d'une procédure judiciaire ou en recourant à une transaction qui a été approuvée par une juridiction ou dans un acte authentique ; - une créance est également incontestée si elle a été établie dans une procédure judiciaire et que le débiteur ne s'y est jamais opposé ; - enfin, une créance est réputée incontestée si elle a été établie dans une procédure judiciaire et que le débiteur n'a pas comparu dans la procédure en question, alors qu'il avait initialement contesté la créance au cours de la procédure judiciaire. Dans ce cas, il convient en outre de s'assurer que la conduite du débiteur soit assimilable à une reconnaissance tacite de la créance ou des faits invoqués par le créancier en vertu du droit de l'État membre d'origine. En l'espèce, le tribunal doit déterminer s'il peut être considéré que le fait que M. Molinero Fernández n'a ni comparu à l'audience, ni mandaté un avocat pour l'y représenter signifie qu'il n'a pas contesté la créance. Cet examen doit être effectué à la lumière du règlement. En même temps, l'article 3 du règlement dispose qu'il convient de tenir compte des « règles de procédure de l'État membre d'origine ». Il existe un certain antagonisme dans cette disposition entre, d'une part, la nécessité de maintenir l'uniformité du droit européen et, d'autre part, la référence claire et directe aux règles de procédure nationales de la juridiction saisie. Cet antagonisme est encore exacerbé en ce que le défaut de comparution du débiteur peut avoir une signification différente d'un État membre à l'autre. Il faut donc examiner à la lumière du droit de l'État membre dont une juridiction a été saisie s'il peut être déduit du défaut de comparution de M. Molinero Fernández qu'il n'a pas contesté la créance, ou au contraire, si son absence doit être interprétée comme une 4 contestation de la créance. Dans le droit français, l'article 472 du Code de procédure civile prescrit que, lorsqu'un défendeur qui a été dûment cité à comparaître ne comparaît pas, le juge doit vérifier si la demande est recevable et bien fondée6. La défaillance du débiteur n'est donc pas réputée signifier qu'il a accepté la créance, mais indique au contraire une contestation de la créance7. La situation est différente dans d'autres États membres, où le défaut de comparution du défendeur équivaut à une acceptation de la créance8. Au premier abord, étant donné que la procédure a été introduite en France, il peut donc être déduit que le débiteur s'est opposé à la créance puisqu'il ne s'est jamais présenté devant la justice. Cette conclusion n'est toutefois pas convaincante. Il pourrait être affirmé que la position du droit français quant aux conséquences d'une non-comparution du défendeur ne peut pas automatiquement être exploitée aux fins de l'application du règlement. La référence, à l'article 3 du règlement, aux « règles de procédure de l'État membre d'origine », était en effet destinée à assurer que, pour être valable, l'opposition doive satisfaire aux conditions procédurales de l'État membre d'origine, et non à imposer sans discernement la validité de toutes les conceptions procédurales de cet État membre9. Dans le préambule du règlement, le considérant 6 confirme en outre que « l'absence d'objections de la part du débiteur telle qu'elle est prévue à l'article 3, paragraphe 1, point b), peut prendre la forme d'un défaut de comparution à une audience (...) ». Il convient donc d'examiner si le défendeur défaillant a été dûment cité à comparaître et informé des conséquences d'un défaut de comparution. Si tel est le cas, il est admis que la défaillance du défendeur doit être réputée signifier qu'il a accepté la créance10. Même si l'interprétation correcte de l'article 3, paragraphe 1, point b), dans ce contexte devrait être confirmée par le tribunal, il peut être supposé que la créance invoquée par Best Italian Coffee est réputée incontestée conformément aux exigences du règlement. Remarque à l'intention de l'instructeur : il serait extrêmement opportun d'inviter les participants à réfléchir à la signification d'un défaut de comparution du défendeur dans leur propre juridiction et, en particulier, à la question de savoir si, en cas de défaillance, il peut être considéré que la demande introduite par le plaignant est incontestée au sens du règlement n° 805/2004. 6 Cette disposition est libellée comme suit : « Si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l'estime régulière, recevable et bien fondée. » 7 Le droit belge, par exemple, adopte une position similaire. 8 C'est le cas dans le droit allemand d'après l'article 331, paragraphe 1, du Code de procédure civile allemand (ZPO). 9 Voir la proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, 11 juin 2003, COM(2003) 341 final, pp. 2 et 3. 10 En ce sens, N. Fricero, « Titre exécutoire européen », Juris-Classeur - Encyclopédie des Huissiers de Justice, v° Europe, 2014, point 14. 5 Question 2 Le tribunal doit-il demander des preuves que le débiteur possède des biens en Espagne pour que l'exécution transfrontalière de la décision puisse être obtenue ? Le règlement TEE repose sur le principe selon lequel l'autorité compétente de l'État membre d'origine doit d'abord vérifier que certaines exigences sont satisfaites. Si elle constate que la décision (ou la transaction judiciaire ou l'acte authentique) portant sur une créance incontestée est conforme aux exigences pertinentes, l'autorité certifie la décision. Une décision qui a été dûment certifiée dans un État membre est directement et immédiatement exécutoire dans tous les autres États membres. Il n'est donc pas nécessaire d'obtenir une déclaration de force exécutoire dans l'État membre dans lequel la décision doit être exécutée11. En l'espèce, si Best Italian Coffee souhaite utiliser le règlement TEE, elle doit s'efforcer de faire certifier la décision par l'autorité française compétente. La décision certifiée sera ensuite automatiquement exécutoire en Espagne. Lorsqu'une partie demande la certification d'un titre exécutoire européen, elle n'a aucune obligation d'indiquer pourquoi l'exécution doit avoir lieu dans un autre État membre. Elle ne doit pas non plus démontrer que le litige et, en particulier, l'exécution de la créance, possèdent une dimension internationale. En particulier, le créancier n'est pas tenu de déclarer l'endroit où le débiteur ou ses biens se trouvent, pas plus que l'endroit où l'exécution sera réalisée. Dans le cas présent, le Tribunal de commerce de Nice ne peut donc pas demander à Best Italian Coffee de démontrer que M. Molinero Fernández possède effectivement des biens en Espagne, qui permettraient de mettre à exécution la décision qui doit être rendue. Question 3 La demande de certification de la décision a-t-elle été formulée en temps utile par Best Italian Coffee ? Dans le cas de l'espèce, Best Italian Coffee a intenté une action sans préciser qu'elle souhaitait que la décision soit certifiée conformément au règlement n° 805/2004. L'acte introductif d'instance ne mentionnait donc pas cette possibilité. Cela n'empêche toutefois pas Best Italian Coffee de demander ultérieurement la certification de la décision rendue. En vertu de l'article 6 du règlement, une demande de certification en tant que titre exécutoire européen peut en effet être adressée « à tout moment » à la juridiction d'origine. 11 Comparer avec les dispositions du règlement Bruxelles I (article 38). 6 Dans de nombreux cas, la demande sera émise simultanément à la requête initiale 12, ce qui exige que le créancier ait sollicité la certification en conjonction avec sa demande initiale. Le tribunal (ou toute autre instance chargée de cette tâche) certifiera alors la décision au moment même où elle sera rendue. Selon le règlement, il n'est toutefois pas interdit au créancier de demander la certification plus tard et il peut la demander à tout moment au cours de la procédure13. Il est admis qu'un créancier peut introduire une demande à cette fin au cours de la procédure même si les règles de procédure pertinentes ne lui permettent pas de modifier l'objet de son action. La demande peut également être émise après que la décision a été rendue. Le règlement n'établit pas de délai à l'intérieur duquel la certification doit être demandée. La certification peut donc intervenir longtemps après que la décision initiale a été rendue. Le règlement ne précise pas si une partie qui souhaite introduire une demande visant à faire certifier une décision en tant que titre exécutoire européen doit être assistée ou représentée par un avocat. Cet aspect doit être réglé selon les règles de procédure pertinentes de l'État membre d'origine. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à rechercher ce qu'il en est dans leur État membre quant à la possibilité pour une partie d'introduire une demande de certification sans se faire assister ou représenter par un avocat. Question 4 Le Tribunal de commerce est-il compétent pour certifier la décision ? La demande de certification doit être adressée à l'autorité compétente de l'État membre d'origine. Il incombe aux États membres de désigner l'autorité qui est compétente pour délivrer les certifications en tant que TEE. De nombreux États membres ont prévu que les décisions soient certifiées par la juridiction qui a été saisie de l'action au fond. D'autres ont confié cette tâche aux greffiers. Malheureusement, cette information ne figure ni dans l'Atlas judiciaire européen, ni sur le portail e-Justice européen. En France, le pouvoir de certifier une décision a été attribué au greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision (article 509-1 du Code de procédure civile)14. Cela signifie 12 Cette possibilité a été spécialement prévue, p. ex., dans la loi néerlandaise transposant le règlement TEE aux Pays-Bas (voir l'article 2.4 « Uitvoeringwet Europese Executoriale Titel », qui dispose ce qui suit : « Een verzoek om waarmerking van een beslissing als Europese executoriale titel kan ook worden gedaan in het geding dat tot die beslissing moet leiden. Alsdan wordt het verzoek gedaan in het procesinleidend stuk of in de loop van het geding. Een dergelijk verzoek wordt niet aangemerkt als een verandering of een vermeerdering van eis »). 13 Voir p. ex. M. Zilinsky, « De Europese Executoriale Titel », Kluwer, 2005, 151-152. 14 Cette disposition est libellée en ces termes : « Les requêtes aux fins de certification des titres exécutoires français en vue de leur reconnaissance et de leur exécution à l'étranger (...) sont présentées au greffier en chef de la juridiction qui a rendu la décision ou homologué la convention. » 7 que le Tribunal de commerce de Nice rendra d'abord sa décision, que Best Italian Coffee devra ensuite présenter au greffier en chef aux fins de la certification. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à trouver l'autorité qui a été désignée pour certifier les décisions dans leur État membre et à déterminer si elle dispose des moyens requis pour gérer les demandes de certifications eu égard aux vérifications qu'elle doit accomplir pour compléter les certificats. Question 5 Best Italian Coffee peut-elle présenter sa demande de certification de la décision qui sera rendue de façon verbale au cours de l'audience du Tribunal de commerce ? La demande de certification d'une décision en tant que titre exécutoire européen doit être émise par une partie. Un tribunal ou une autre autorité ne peut faire certifier une décision de sa propre initiative. Le règlement TEE n'indique qu'en termes sommaires comment une demande de certification doit être présentée. À la différence d'autres règlements, qui prévoient qu'une demande doit être introduite au moyen d'un formulaire type15, l'article 6 du règlement TEE ne prescrit pas l'utilisation d'un document uniforme spécifique. Plus précisément, le règlement ne s'accompagne pas, en annexe, d'un formulaire standard qui pourrait être utilisé pour demander la certification d'une décision. Il s'ensuit qu'aucune exigence de forme spécifique n'est imposée pour la présentation d'une demande au titre du règlement et que les États membres peuvent imposer leurs propres exigences pour la demande d'une certification. En France, par exemple, l'article 509-4 du Code de procédure civile prévoit que la demande doit être introduite en deux exemplaires et comprendre une liste des annexes jointes16. Une demande formulée verbalement au cours de l'audience n'est donc pas suffisante pour obtenir la certification d'une décision. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à chercher si leur État membre a imposé des exigences spécifiques pour la demande de certification d'une décision. Il doit également leur être suggéré d'examiner si les exigences établies par le droit de leur État membre ne sont pas contradictoires avec l'objectif d'accélérer et de simplifier l'accès à l'exécution des décisions concernant des créances incontestées dans d'autres États membres (considérant 8). 15 16 Voir p. ex. l'article 7 du règlement n° 1896/2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer. L'article 509-4 dispose : « La requête est présentée en double exemplaire. Elle doit comporter l'indication précise des pièces invoquées. » 8 Question 6 Le fait que le débiteur ne réside plus en France empêche-t-il la certification de la décision en tant que titre exécutoire européen ? 1. Introduction Lorsqu'elle est appelée à certifier une décision en tant que titre exécutoire européen, l'autorité chargée de cette opération doit vérifier une série d'éléments, dont certains ont trait au champ d'application du règlement et d'autres à la procédure qui a abouti à la décision. L'autorité saisie de la demande de certification doit en premier lieu contrôler que le règlement est effectivement applicable17. À cette fin, elle doit passer en revue toutes les exigences d'applicabilité du règlement, à savoir : la créance doit concerner une matière civile ou commerciale ; la créance doit concerner le paiement d'une somme d'argent déterminée qui est devenue exigible ; la créance doit être incontestée ; et la décision doit être exécutoire. Ces exigences ont déjà été analysées. En l'espèce, il ne fait aucun doute qu'elles sont toutes satisfaites. 2. Compétence de la juridiction qui a rendu la décision L'autorité saisie d'une demande de certification doit également vérifier que la juridiction qui a rendu la décision était compétente. La question de la compétence prend un sens tout particulier dans le cadre du règlement TEE sachant que ce règlement ne comprend pas de liste exhaustive des règles de compétence qui peuvent être appliquées en matière civile et commerciale. La compétence d'une juridiction pour connaître d'un litige relatif à une créance incontestée doit en premier lieu être examinée à la lumière des règles pertinentes applicables au litige. Dans la plupart des cas, il faut appliquer les dispositions du règlement Bruxelles I bis, qui s'applique aux litiges en matière civile et commerciale. En vue de la certification d'une décision en vertu du règlement n° 805/2004, l'autorité chargée de la vérification doit procéder à un examen plus limité : le règlement n'exige en effet pas que toutes les règles de compétence aient été respectées. La certification peut uniquement être refusée dans deux cas (article 6, paragraphe 1, point b)), à savoir si la juridiction qui rend/a rendu la décision n'était pas compétente en vertu des règles applicables en matière d'assurances (articles 8 à 14 du règlement Bruxelles I et articles 10 à 16 du 17 Cela peut être déduit de l'article 6 du règlement. 9 règlement Bruxelles I bis) et en vertu des règles sur les compétences exclusives (article 22 du règlement Bruxelles I et article 24 du règlement Bruxelles I bis). La question de la conformité de la décision avec les autres règles de compétence n'est pas pertinente et ne doit pas être examinée avant la délivrance de la certification, excepté dans le cas où le débiteur n'a pas expressément admis la créance (voir la question 7 ci-après). Dans l'affaire de l'espèce, cette vérification ne devrait donner lieu à aucune difficulté : le litige ne relève ni du domaine des assurances, ni de l'un des domaines de compétence exclusive énoncés dans le règlement Bruxelles I bis. Le fait que le débiteur ait apparemment quitté la France avant la tenue de l'audience ne fait pas obstacle à la certification de la décision. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à déterminer si les juridictions françaises étaient compétentes à l'origine, en vertu du règlement Bruxelles I bis, pour connaître de l'action introduite contre M. Esteban Molinero Fernández par Best Italian Coffee. Ce faisant, ils doivent concentrer leur attention sur l'application de l'article 4 du règlement et la question de savoir quand le défendeur devait être domicilié dans l'État membre dont les juridictions ont été saisies. Question 7 Le greffier en chef doit-il refuser de certifier la décision parce que l'acte introductif d'instance ne mentionnait pas le taux d'intérêt applicables à la créance ? 1. Introduction : vérifications supplémentaires si le débiteur n'a pas expressément reconnu la créance Le règlement TEE comprend une série de garde-fous supplémentaires dans l'hypothèse où la créance est réputée incontestée parce que le débiteur ne s'y est jamais opposé ou n'a pas comparu en justice (article 3, paragraphe 1, points b) et c)). Dans cette éventualité, la créance est réputée incontestée non parce que le débiteur l'a expressément reconnue, mais en raison de son silence et de son attitude. Afin de protéger les droits du débiteur, d'autres aspects doivent alors être vérifiés avant que la décision puisse être certifiée. En premier lieu, l'autorité chargée de certifier la décision doit réaliser une vérification supplémentaire quant à la compétence de la juridiction si la créance se rapporte à un contrat de consommation (article 6, paragraphe 1, point d)). Elle doit contrôler que le consommateur était effectivement domicilié dans l'État membre de la juridiction qui a rendu la décision. En d'autres termes, un titre exécutoire européen peut uniquement être délivré contre un consommateur par les juridictions de l'État membre dans lequel ce consommateur est domicilié. La notion de domicile doit être considérée à la lumière de la définition énoncée à l'article 62 du règlement Bruxelles I bis. Cette vérification supplémentaire doit être effectuée si la créance était réputée incontestée parce que le débiteur ne s'y était pas opposé (article 3, 10 paragraphe 1, point b)). En l'espèce, cette vérification supplémentaire n'est pas nécessaire. M. Esteban Molinero Fernández ne peut prétendre qu'il a commandé la machine à café en qualité de consommateur car il prévoyait de l'utiliser à des fins professionnelles. Dans son arrêt dans l'affaire Vapenik, la Cour de justice européenne a statué que la vérification complémentaire prescrite à l'article 6, paragraphe 1, point d), du règlement n° 805/2004 ne devait pas être réalisée lorsque la créance incontestée résultait d'un contrat conclu entre deux consommateurs. Cette affaire prenait sa source dans un recours que M. Vapenik avait formé pour que M. Thurner soit condamné à lui payer une certaine somme au titre d'un contrat de prêt d'argent conclu entre eux. Au moment de la conclusion de ce contrat, aucune des parties n'était engagée dans des activités commerciales ou professionnelles (arrêt du 5 décembre 2013 dans l'affaire C-508/12, Walter Vapenik/Josez Thurner). 11 En second lieu, l'autorité chargée de certifier la décision doit vérifier si les normes minimales ont été respectées (article 6, paragraphe 1, point c)). Cette vérification s'impose dans l'hypothèse où la créance est réputée incontestée parce que le débiteur ne s'y est jamais opposé ou n'a pas comparu en justice (article 3, paragraphe 1, points b) et c)). Les normes minimales européennes sont exposées en détail au chapitre III du règlement (articles 12 à 19). Elles ont trait à divers éléments destinés à garantir que les droits du débiteur ont bien été respectés. L'article 12 souligne que la procédure doit avoir obéi à ces normes pour que la décision puisse être certifiée. Les normes minimales portent sur les sujets suivants : - la fourniture d'informations au débiteur sur la créance (article 16) et sur les formalités à accomplir pour contester la créance (article 17) ; - la possibilité de demander un réexamen dans des cas exceptionnels (article 19) ; - la signification ou la notification des actes de procédure au débiteur (articles 13, 14 et 15). 2. Informations à fournir au débiteur En vertu de l'article 16 du règlement TEE, l'acte introductif d'instance doit contenir certaines informations obligatoires afin de garantir que le débiteur soit « dûment informé de la créance ». Cette disposition a pour objectif d'assurer que le débiteur puisse comprendre la portée et les conséquences des différents documents qui lui sont signifiés ou notifiés. Dans ce cadre, le débiteur doit recevoir des informations sur la créance (article 16) et sur les formalités procédurales qu'il peut accomplir pour contester la créance (article 17). Sur le premier point, l'acte communiqué au débiteur doit mentionner le « montant » de la créance et une « indication de la cause de la créance ». Si des intérêts sont réclamés, il doit également inclure « le taux d'intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont exigés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l'État membre d'origine » (article 16, point c)). L'article 17 requiert qu'une information soit fournie au débiteur sur la manière de contester la créance. Le débiteur doit être informé des formalités procédurales qu'il doit accomplir s'il souhaite contester la créance, y compris des délais prévus pour cette contestation, de l'obligation ou non d'être représenté par un avocat et des conséquences de l'absence d'objection ou de la non-comparution. Ces renseignements doivent figurer soit dans l'acte introductif d'instance, soit dans un document qui l'accompagne. C'est au moment d'examiner si une décision peut être certifiée que l'autorité chargée de la certification vérifie si les documents transmis initialement étaient conformes à ces 12 prescriptions. L'autorité saisie d'une demande de certification doit utiliser le formulaire type joint au règlement. Le processus de certification exige que ce formulaire soit complété18 et, parmi les nombreuses informations qui doivent y être inscrites, une section concerne le taux d'intérêt. Cette section se présente comme suit : 5.2. Intérêts 5.2.1. Taux d'intérêt 5.2.1.1. % ou 5.2.1.2. % au-dessus du taux de base de la BCE 5.2.1.3. Autre (préciser) 5.2.2. Intérêts devant être perçus à compter du : De plus, l'autorité doit indiquer, aux sections 11.2 et 12.2 du certificat, si le débiteur a été dûment informé comme le prévoient les articles 16 et 17. 11.2. Information en bonne et due forme Le débiteur a été informé conformément aux articles 16 et 17 12.2. Information en bonne et due forme Le débiteur a été informé conformément à l'article 17 Dans le cas présent, l'acte introductif d'instance comprenait des informations sur les formalités procédurales requises pour contester la créance (article 16)19. Il ne comportait toutefois qu'une information limitée sur la nature de la créance et il n'indiquait pas le taux d'intérêt (article 16). De surcroît, la simple mention et la reproduction des dispositions du Code de procédure civile français régissant les conséquences d'un défaut de comparution du défendeur ne semblent pas suffisantes pour satisfaire à l'article 17, selon lequel les informations sur « les conséquences de l'absence d'objection ou de la non-comparution » doivent « ressortir clairement » de l'acte introductif d'instance. Il est donc extrêmement probable que la décision ne puisse pas être certifiée puisque les informations requises selon les articles 16 et 17 sont absentes. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à réfléchir à l'étendue précise des informations relatives à la « cause » de la demande qui doivent être 18 Ce formulaire peut également être complété en ligne à partir de l'Atlas judiciaire européen (http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/). Le certificat peut ainsi plus facilement être traduit dans les autres langues officielles de l'Union européenne lorsqu'il est complété. 19 D'après une circulaire émise par le ministère français de la justice à l'occasion de l'entrée en vigueur du règlement, les exigences applicables selon le droit français garantissent le respect des exigences d'information établies à l'article 16 du règlement (voir la circulaire du 26 mai 2006 adoptée par le ministère français de la justice, réf. CIV 2006-10). 13 mentionnées dans l'acte introductif d'instance. Quel critère doit être appliqué pour déterminer si les informations fournies au débiteur sont suffisantes ? Les participants doivent également être invités à réfléchir à la nature des informations qui doivent être communiquées au débiteur afin de satisfaire aux exigences de l'article 17, notamment dans les États membres où les prescriptions légales applicables aux actes introductifs d'instance sont moins sévères que les normes inscrites à l'article 17. Une discussion peut être menée sur la possibilité pour les praticiens d'inclure dans ces actes davantage d'informations que ne le prévoient les normes procédurales pertinentes afin de satisfaire aux exigences de l'article 17. Question 8 Best Italian Coffee peut-elle remédier aux manquements de l'acte introductif d'instance de façon à pouvoir obtenir une certification ? L'article 18 du règlement TEE dispose que lorsque les exigences énoncées aux articles 13 à 17 n'ont pas été satisfaites au cours de la procédure dans l'État membre d'origine qui a abouti à la décision dont la certification est souhaitée, il est possible dans certains cas de remédier à ces manquements. En vertu de l'article 18, paragraphe 1, un manquement concernant les informations qui ont été communiquées au débiteur peut être pallié si les conditions cumulatives suivantes sont remplies : - premièrement, la décision doit avoir été signifiée ou notifiée au débiteur dans le respect de l'article 13 ou de l'article 14 ; - deuxièmement, le débiteur doit avoir eu la possibilité de contester la décision par un recours et ce recours aurait entraîné un réexamen complet de la procédure ; - troisièmement, le débiteur doit avoir été dûment informé de la possibilité de contester la décision par un recours et des exigences de procédure relatives à ce recours ; - enfin, le débiteur doit avoir omis de former un recours contre la décision. En l'espèce, l'acte introductif d'instance comprenait un formulaire type indiquant comment la créance pouvait être contestée. Il reste à déterminer si le débiteur a également été informé de la possibilité de contester la décision par un recours. Cette information aurait dû figurer « dans la décision ou dans un document l'accompagnant ». Si c'est le cas, la décision pourrait être certifiée même si l'acte introductif d'instance n'était pas conforme aux exigences des articles 16 et 17. Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à étudier les pratiques de leur propre juridiction : les décisions relatives à des créances incontestées comprennent-elles des informations sur la possibilité de contester la décision par un recours prévoyant un réexamen complet ? Si des informations sont fournies à ce sujet, incluent-elles les exigences de procédure relatives à ce recours (y compris les nom et adresse de l'institution 14 auprès de laquelle le recours doit être formé et, le cas échéant, les délais) ? Quel type de recours peut être formé contre une décision et ce recours implique-t-il un réexamen complet ? Question 9 Le tribunal doit-il refuser de certifier la décision parce que l'acte introductif d'instance a été signifié ou notifié à une collaboratrice engagée pour la saison des vacances ? Dans la réponse à cette question, veuillez noter que cette collaboratrice travaille à temps partiel à raison d'un horaire de 4 heures pendant 3 jours par semaine. Avant de certifier la décision, l'autorité compétente doit vérifier que l'acte introductif d'instance a été signifié ou notifié au débiteur conformément à certaines normes. Ce normes, qui sont décrites aux articles 13 et 14 du règlement, constituent la clef de voûte des normes minimales de procédure. L'article 13 porte sur l'hypothèse dans laquelle la signification ou la notification est effectuée au débiteur avec une preuve de réception, et l'article 14 sur l'hypothèse d'une signification ou d'une notification non assortie de la preuve de sa réception par le débiteur. Dans les deux cas, ces dispositions énumèrent une série de procédés qui sont réputés acceptables pour la signification ou la notification de l'acte introductif d'instance. L'autorité chargée de certifier la décision doit vérifier si la signification ou la notification a été dûment effectuée conformément à l'un de ces procédés. Lorsque la signification ou la notification a été effectuée dans un autre État membre, cette vérification doit être opérée en gardant à l'esprit les différentes dispositions du règlement sur la signification ou la notification des actes20. En pratique, la question fondamentale a trait à la signification ou à la notification de l'acte introductif d'instance à M. Esteban Molinero Fernández. Cet acte n'a été signifié ou notifié ni à M. Molinero Fernández, ni à son domicile, mais à une personne qui l'assistait. Il est possible que la signification ou la notification ait été défaillante en vertu du droit espagnol et que le droit espagnol n'accepterait pas ce procédé. Il est également possible (bien que cela s'avérera plus exceptionnel) que cette signification ou cette notification n'ait pas pu être effectuée selon le droit français21. Il n'en demeure pas moins que l'examen doit exclusivement être réalisé à la lumière de l'article 14 du règlement. En vertu de l'article 14, paragraphe 1, point b), du règlement, la signification ou la notification peut être effectuée, « si le débiteur est un indépendant ou une personne morale, (...) dans les locaux commerciaux du débiteur, à des personnes employées par le débiteur ». Le règlement 20 Règlement n° 1393/2007 relatif à la signification et à la notification des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. 21 En l'espèce, le règlement sur la signification ou la notification des actes ne s'applique pas car la signification ou la notification a eu lieu en France. 15 n'établit pas de distinction entre les travailleurs à temps plein ou à temps partiel ou entre les personnes employées sur la base d'un contrat à court terme ou à long terme. En conséquence, le fait que l'acte ait été signifié ou notifié à une personne qui ne travaillait qu'à temps partiel, et uniquement pendant la saison des vacances, ne peut en principe être invoqué pour affirmer que la signification ou la notification n'a pas été dûment réalisée. Il peut être supposé qu'un travailleur comprend qu'un acte signifié ou notifié par un huissier contient des informations importantes et doit donc être transmis à son supérieur. Il ne fait aucune différence à cet égard que le travailleur soit employé à temps plein ou à temps partiel. L'article 14, paragraphe 2, exige en outre que l'adresse du débiteur soit connue avec certitude. En l'espèce, l'acte a été signifié ou notifié dans les locaux où M. Molinero Fernández exploitait un café, alors qu'il était domicilié à une autre adresse. La question n'est toutefois pas de savoir si la signification ou la notification pouvait être réalisée à l'endroit où M. Molinero Fernández exerçait ses activités commerciales, mais selon le critère de l'article 14, paragraphe 2, si l'adresse était connue avec la certitude requise. Le degré de certitude requis en vertu du règlement n'est pas tout à fait clair. Rien ne donne toutefois à penser que le domicile de M. Molinero Fernández ou l'endroit où il exerçait ses activités commerciales n'était pas connu. Il incomberait de toute manière à M. Molinero Fernández de démontrer qu'il existait une incertitude à ce sujet. L'article 14, paragraphe 3, prescrit par ailleurs que la signification ou la notification doit être attestée par un acte signé par la personne compétente ayant procédé à la signification ou à la notification. Cet acte doit mentionner le mode de signification ou de notification utilisé, la date de la signification ou de la notification, et lorsque l'acte a été signifié ou notifié à une personne autre que le débiteur, le nom de cette personne et son lien avec le débiteur. En l'espèce, il convient de consulter le certificat délivré par l'huissier afin de s'assurer que toutes ces informations ont effectivement été indiquées. Si l'acte introductif d'instance n'a pas été signifié ou notifié au débiteur conformément aux dispositions des articles 13 et 14, la certification de la décision reste néanmoins possible. Le créancier reconnu dans la décision peut en effet remédier au non-respect de ces deux dispositions. À cette fin, il doit démontrer que le « comportement » du débiteur prouve qu'il a reçu personnellement l'acte qui devait être signifié ou notifié, en temps utile pour pouvoir préparer sa défense (article 18, paragraphe 2). Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à réfléchir aux différents modes de signification ou de notification des actes qui existent dans leur État membre, notamment dans la perspective de déterminer s'ils sont conformes aux possibilités décrites aux articles 13 et 14 du règlement. Question 10 Supposons que le Tribunal de commerce de Nice a rendu une décision en faveur de Best 16 Italian Coffee et que le greffier en chef a certifié cette décision sur la base du règlement n° 805/2004 peu après l'audience du 21 juillet 2014. M. Molinero Fernández apprend la tenue de l'audience et l'existence de la décision le 28 juillet, lorsque son employée reprend le travail. En effet, la personne à laquelle l'huissier avait remis l'acte introductif d'instance le 30 juin 2014 a été blessée par le chien d'un client peu de temps après la réception de cet acte. Elle a été hospitalisée et elle n'a repris le travail que le 28 juillet. C'est à cette date qu'elle a informé M. Molinero Fernández de l'acte introductif d'instance et qu'elle lui a remis ce document. 1. Introduction Une fois que la décision a été certifiée par les autorités françaises, M. Molinero Fernández ne peut plus faire grand chose pour s'opposer à son exécution. Le règlement TEE vise en effet à garantir la libre circulation des décisions à travers tous les États membres sans qu'une quelconque procédure intermédiaire ne doive être introduite dans l'État membre d'exécution avant qu'une décision puisse être exécutée. L'article 5 du règlement l'explique en détail dans les termes suivants : « Une décision qui a été certifiée en tant que titre exécutoire européen dans l'État membre d'origine est reconnue et exécutée dans les autres États membres, sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu'il soit possible de contester sa reconnaissance. » Le règlement interdit toute forme de recours contre la décision à l'origine de la délivrance d'un certificat de titre exécutoire européen (article 10, paragraphe 4). L'article 10 permet toutefois aux parties de demander la « rectification » ou le « retrait » du certificat de titre exécutoire européen. Cette demande peut uniquement être émise dans les situations suivantes : - si le titre exécutoire européen contient une « erreur matérielle » (comme une faute, p. ex. un chiffre erroné), la juridiction d'origine peut le rectifier (article 10, paragraphe 1, point a)). C'est seulement possible s'il existe une divergence entre la décision et le certificat ; - la juridiction peut également retirer le certificat de titre exécutoire européen « s'il est clair que le certificat a été délivré indûment » (article 10, paragraphe 1, point b)). Cela doit être analysé en prenant en considération les conditions prévues dans le règlement. L'article 10, paragraphe 1, point b), peut par exemple être appliqué s'il est démontré que la créance n'est pas « incontestée ». Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à réfléchir à l'application de l'article 10 dans leur État membre : en vertu de l'article 10, paragraphe 2, le droit de l'État membre d'origine est applicable à la rectification ou au retrait du certificat de 17 titre exécutoire européen. Comment une demande de rectification ou de retrait doit-elle être introduite ? Cette demande implique-t-elle des coûts ? Doit-elle être introduite par un avocat ? 2. Réexamen dans des cas exceptionnels L'article 19 du règlement n° 805/2004 crée la possibilité de demander un réexamen dans des « cas exceptionnels ». Cette possibilité constitue une autre condition minimale obligatoire pour que la décision puisse être certifiée. Le règlement n'organise pas le réexamen, mais dispose simplement que les États membres doivent donner le droit au débiteur de demander un réexamen dans des cas exceptionnels. À l'instar des différents recours prévus à l'article 10 du règlement, le réexamen dans des cas exceptionnels doit être soumis à la juridiction de l'État membre qui a rendu la décision. Contrairement à la possibilité de retrait prévue à l'article 10, paragraphe 1, point b), du règlement, le réexamen vise la décision dans laquelle la créance incontestée a été réglée, et non la certification. Une demande de réexamen ne peut être admise que si M. Molinero Fernández prouve que l'acte introductif d'instance lui a été signifié ou notifié conformément à l'un des modes prévus à l'article 14 et qu'il n'a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense. Le débiteur pourrait également démontrer qu'il a été empêché de contester la créance pour des raisons de force majeure ou par suite de circonstances extraordinaires. Dans les deux cas, le débiteur doit démontrer qu'il n'a commis aucune faute et introduire sa demande « rapidement ». Il est peu probable que M. Molinero Fernández puisse invoquer l'article 19, paragraphe 1, point a), pour solliciter un réexamen. Cette disposition ne s'applique en effet que si la signification ou la notification « n'est pas intervenue en temps utile » pour permettre au débiteur de préparer sa défense. En l'espèce, la signification ou la notification a eu lieu le 30 juin et l'audience le 21 juillet. Même s'il est vrai que M. Molinero Fernández n'a peut-être pas reçu l'acte signifié ou notifié avant que son employée n'ait repris le travail, il n'en reste pas moins que la signification ou la notification faite à l'employée était valable et qu'elle a été effectuée en temps utile. Pour pouvoir se prévaloir de la possibilité prévue à l'article 19, M. Molinero Fernández devrait apporter des preuves solides qu'il n'a effectivement été informé de l'acte signifié ou notifié qu'après que son employée a repris le travail. S'il fournit des preuves en ce sens, il reste encore à déterminer si ce fait équivaut à un cas de « force majeure » ou à des « circonstances extraordinaires ». D'une part, il n'a peut-être réellement pas été informé de l'acte introductif d'instance avant que son employée ne reprenne le travail, de sorte qu'il lui a été impossible d'assister à l'audience et de préparer sa défense. D'autre part, M. Molinero Fernández garde toute la responsabilité de la manière dont il organise ses activités commerciales. Le fait qu'une employée oublie de l'informer de la signification ou de la 18 notification d'actes judiciaires ne doit donc pas automatiquement être assimilé à une excuse en sa faveur. En tout état de cause, il convient de faire référence au droit français pour déterminer comment la procédure de réexamen doit être gérée. En vertu de l'article 540 du Code de procédure civile français, un juge a la faculté de relever le défendeur de la forclusion résultant de l'expiration d'un délai fixé pour former un recours contre un jugement rendu par défaut ou réputé contradictoire « si le défendeur, sans qu'il y ait eu faute de sa part, n'a pas eu connaissance du jugement en temps utile pour exercer son recours, ou s'il s'est trouvé dans l'impossibilité d'agir ». Remarque à l'intention de l'instructeur : les participants doivent être invités à réfléchir aux pratiques en vigueur dans leur État membre : existe-t-il une forme de réexamen qui correspond aux exigences de l'article 19 ? L'article 19, paragraphe 1, prescrit que le débiteur agisse « rapidement » : comment cette exigence doit-elle être interprétée ? Une demande de réexamen est-elle encore réputée introduite en temps utile si elle est émise un mois après que le débiteur a eu connaissance de la décision ? Question 11 Supposons que le tribunal français a décidé de ne pas annuler la décision qui a été certifiée. M. Molinero Fernández souhaite à présent s'opposer à l'exécution de la décision en Espagne et il voudrait s'appuyer à cette fin sur l'argument selon lequel la procédure menée en France n'a pas respecté l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme car il n'a pas été informé en temps utile qu'une procédure avait été engagée contre lui. Le titre exécutoire européen est un acte qui permet à un créancier titulaire d'une décision de justice de faire procéder directement à son exécution sans devoir obtenir au préalable une déclaration constatant sa force exécutoire. Le débiteur ne peut s'opposer à l'exécution en alléguant une violation de l'ordre public ou les autres motifs de refus traditionnels qui peuvent être cités dans d'autres règlements. En théorie, M. Molinero Fernández ne peut donc rien faire en Espagne pour s'opposer à l'exécution du TEE. M. Molinero Fernández ne peut par exemple pas tenter de convaincre les juridictions espagnoles que la décision n'aurait pas dû être certifiée. Les juridictions espagnoles ne peuvent pas non plus examiner comment l'acte introductif d'instance a été signifié ou notifié ou s'il était conforme aux exigences de l'article 13 ou 14 (ou du règlement sur la signification ou la notification des actes). Enfin, les juridictions espagnoles ne peuvent vérifier si les tribunaux français étaient bien compétents. M. Molinero Fernández peut cependant exercer deux possibilités : soit demander un refus d'exécution, soit demander une suspension de l'exécution. Dans un cas comme dans l'autre, la demande ne peut jamais amener une juridiction de l'État membre requis à se livrer à un réexamen au fond de la décision ou de sa certification (article 21, paragraphe 2). 19 Pour obtenir un refus d'exécution, le débiteur doit démontrer que la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen est incompatible avec une décision rendue antérieurement dans tout État membre ou dans un pays tiers entre les mêmes parties et dans un litige ayant la même cause (article 21). Le débiteur peut également solliciter une suspension de l'exécution (article 23). Dans ce cas, il doit d'abord avoir formé un recours contre la décision dans l'État membre d'origine. Une suspension peut également être accordée si le débiteur a demandé la rectification ou le retrait du titre exécutoire européen conformément à l'article 10. 20 Section III : Exécution sur la base du règlement Bruxelles I bis Question 1 Supposons qu'au cours de l'audience devant le Tribunal de commerce de Nice, Best Italian Coffee n'a pas demandé à ce que la décision soit certifiée en tant que titre exécutoire européen. Le tribunal a fait droit à toutes les demandes de Best Italian Coffee. Comment Best Italian Coffee peut-elle à présent obtenir la possibilité que cette décision soit exécutée en Espagne, où réside M. Molinero Fernández ? 1. Introduction Si Best Italian Coffee n'opte pas pour l'application du règlement créant un titre exécutoire européen, elle peut demander l'exécution de la décision française sur la base du règlement Bruxelles I bis. Il existe en effet plusieurs règlements européens destinés à permettre qu'une décision en matière pécuniaire soit exécutée dans une situation transfrontalière : -le règlement n° 1215/2012 ou Bruxelles I bis22 (qui remplace le règlement n° 44/2001 ou Bruxelles I)23, -le règlement n° 805/2004 créant un titre exécutoire européen24, -le règlement n° 861/2007 sur les petits litiges25, -le règlement n° 1896/2006 sur l'injonction de payer26. En fonction des circonstances de chaque affaire et des exigences liées à l'application de chaque instrument, plusieurs possibilités peuvent s'offrir pour parvenir à l'exécution transfrontalière d'une créance. En admettant que la créance de Best Italian Coffee n'est pas contestée, la société peut choisir entre la mise en œuvre du règlement Bruxelles I bis ou du règlement TEE pour obtenir l'exécution de sa créance en Espagne. Elle aurait également pu recourir à la procédure de règlement des petits litiges ou à la procédure européenne d'injonction de payer pour obtenir un acte qui aurait directement pu être exécuté en Espagne sans qu'une déclaration préalable constatant sa force exécutoire ait été nécessaire. La différence avec les deux instruments précités tient à ce que la procédure européenne de règlement des petits litiges et la 22 23 24 25 26 Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (refonte), JO L 351 du 20 décembre 2012, p. 1. Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, , JO L 12 du 16 janvier 2001, p. 1. Règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, JO L 143 du 30 avril 2004, p. 15. Règlement (CE) n° 861/2007 du Parlement européen et du Conseil du 11 juillet 2007 instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges, JO L 199 du 31 juillet 2007, p. 1. Règlement (CE) n° 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 instituant une procédure européenne d'injonction de payer, JO L 399 du 30 décembre 2006, p. 1. 21 procédure d'injonction de payer sont des procédures européennes, qui sont régies en détail dans un règlement européen respectif et conduisent à la délivrance d'un titre exécutoire. En l'espèce, Best Italian Coffee a par contre choisi d'appliquer une procédure de droit français pour obtenir un titre pouvant être exécuté en Espagne. Si la créance est contestée, il est possible que Best Italian Coffee ne puisse pas demander un titre exécutoire européen ou utiliser la procédure européenne d'injonction de payer pour obtenir une décision. Elle pourrait toutefois toujours tenter de mettre à exécution une décision rendue en France en appliquant le règlement Bruxelles I bis. De même, si la créance dépasse le montant maximal (à savoir 2 000 euros), Best Italian Coffee n'a pas le loisir de se tourner vers la procédure européenne de règlement des petits litiges. Enfin, l'expérience de Best Italian Coffee ou de son avocat (interne ou externe) peut également jouer un rôle déterminant dans le choix de l'instrument qui sera utilisé pour obtenir une décision et la faire exécuter. Quel instrument ? Obtenir une décision ? Exécuter une décision ? Montant maximal ? Créances contestées ou incontestées ? Dimension transfrontalière ? Règlement Bruxelles I bis Non Oui Non Les deux Pas obligatoire Titre exécutoire européen Non Oui Non Incontestées Pas obligatoire Procédure de règlement des petits litiges Oui Oui Oui Les deux Obligatoire Procédure européenne d'injonction de payer Oui Oui Non Incontestées Obligatoire La libre circulation des décisions de justice appartient aux objectifs fondamentaux de l'Union européenne. Cet objectif était déjà inscrit dans le traité fondateur de 1957. Au fil des années, les États membres de l'Union ont adopté une succession d'instruments visant à faciliter la reconnaissance et l'exécution transfrontalières des décisions. Cette évolution a été jalonnée par plusieurs étapes, qui ont mis l'accent sur les mesures intermédiaires requises pour qu'une décision puisse franchir les frontières. 22 Première étape : l'Union européenne s'est intéressée dans un premier temps à la procédure requise pour faire exécuter une décision étrangère : cette procédure a été rationalisée et uniformisée par le biais de diverses conventions internationales (Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968). Une évolution majeure est survenue en 2000, avec l'adoption du règlement Bruxelles I (n° 44/2001), qui a depuis été remplacé par le règlement Bruxelles I bis. Bien qu'il maintenait l'exigence selon laquelle une décision rendue dans un autre État membre devait d'abord être déclarée exécutoire avant d'être effectivement exécutée, ce règlement a sensiblement facilité le processus d'exécution. Il a prévu à cette fin que le juge de l'État membre requis, lorsqu'il était saisi d'une demande visant à déclarer une décision étrangère exécutoire, ne pouvait au premier abord examiner les motifs de refus de l'exécution, mais que sa tâche se limitait à l'examen des documents. Deuxième étape : l'expérience engrangée avec les règlements existants a montré que l'obligation d'obtenir une déclaration de force exécutoire avant de pouvoir faire exécuter une décision étrangère ralentissait parfois considérablement le processus d'exécution et entraînait des coûts supplémentaires. Une première tentative visant à faciliter le processus d'exécution transfrontalière a pris la forme de l'adoption du règlement du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen (TEE). En vertu de ce règlement, il est devenu possible d'exécuter une décision dans un autre État membre sans obtenir au préalable une déclaration de force exécutoire. Une décision qui était certifiée en tant que titre exécutoire dans l'État membre d'origine pouvait en effet désormais être exécutée librement dans tous les autres États membres sans étape intermédiaire. Ce procédé a également été employé dans d'autres contextes, comme la responsabilité parentale et l'enlèvement d'enfants. L'étape intermédiaire a aussi été supprimée dans la refonte du règlement Bruxelles I, en ce que le règlement Bruxelles I bis dispose qu'« une décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans cet État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire » (article 39). 23 Troisième étape : en parallèle au démantèlement progressif des étapes intermédiaires, l'Union européenne a également commencé à adopter des instruments de procédure d'un nouveau type, qui ont pour ambition de créer une procédure européenne à part entière. Deux de ces instruments méritent d'être cités : le règlement sur les petits litiges et le règlement sur l'injonction de payer. La procédure européenne de règlement des petits litiges est une procédure écrite selon laquelle le recouvrement des créances de faible montant doit être simple, rapide et peu coûteux. C'est une procédure facultative, qui s'ajoute aux possibilités prévues dans le droit des États membres. La décision rendue à l'issue d'une procédure européenne de règlement des petits litiges est immédiatement exécutoire dans les autres États membres sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire ne soit nécessaire. L'injonction de payer est une procédure uniformisée qui permet à un créancier d'obtenir facilement un titre exécutoire pour une créance pécuniaire incontestée. Grâce à cette procédure, un créancier peut obtenir une injonction de payer européenne sans que le débiteur n'intervienne. L'injonction acquiert la force exécutoire si le débiteur ne forme pas opposition. Une injonction de payer européenne peut être mise à exécution dans tous les autres États membres sans qu'une déclaration constatant sa force exécutoire ne doive être obtenue préalablement. 2. Applicabilité du règlement Bruxelles I bis ? Les considérations qui précèdent ont montré qu'il peut intéresser Best Italian Coffee de recourir au règlement Bruxelles I pour mettre à exécution en Espagne la décision rendue par le tribunal français. Le règlement Bruxelles I bis s'écarte de ce mode d'exécution typique, qu'on retrouve habituellement dans les autres instruments, en ce qu'il n'exige pas que le créancier demande et obtienne au préalable une déclaration constatant la force exécutoire de la décision rendue avant de se prévaloir de mesures d'exécution. Dans le souci d'une bonne compréhension, il convient de distinguer l'État membre d'origine, c'est-à-dire l'État dans lequel la décision est rendue, et l'État membre requis, c'est-à-dire l'État dans lequel la décision est invoquée pour être reconnue ou exécutée (article 2, points d) et e)). L'application du règlement Bruxelles I bis est soumise à plusieurs exigences, qui doivent être analysées individuellement. 24 2.1 Champ d'application matériel Le règlement Bruxelles I bis s'applique en matière civile et commerciale (article premier). Ce champ d'application étendu est encadré par une série d'exclusions importantes. Dans le cas étudié, il ne fait aucun doute que ce règlement s'applique : le litige entre Best Italian Coffee et M. Molinero Fernández a sans ambiguïté un caractère commercial. L'affaire entre donc précisément dans le champ d'application matériel du règlement. De plus, l'affaire ne soulève aucune problématique particulière quant aux diverses exclusions prévues dans le règlement. En particulier, la décision rendue par le tribunal français ne porte pas sur une question d'arbitrage, une procédure d'insolvabilité, la sécurité sociale ou le droit de la famille. 2.2 Champ d'application temporel Le règlement Bruxelles I bis entrera en vigueur le 10 janvier 2015 et s'appliquera à toutes les actions intentées à compter de cette date (article 66). Le régime d'exécution du règlement n'est donc applicable qu'aux décisions rendues à l'issue de procédures qui ont été engagées après l'entrée en vigueur du règlement. Autrement dit, le règlement Bruxelles I bis ne peut être appliqué à une demande de reconnaissance ou d'exécution d'une décision si la procédure qui a abouti à cette décision a commencé avant le 10 janvier 2015. Pour ces décisions, les dispositions du règlement Bruxelles I restent applicables. Contrairement aux instruments européens antérieurs de droit international privé, le règlement Bruxelles I bis ne comprend pas de disposition autorisant l'application des nouvelles règles aux décisions rendues dans des actions intentées avant l'entrée en vigueur de ces nouvelles règles pour autant que ces décisions aient été rendues après que ces règles sont entrées en vigueur (voir, par exemple, l'article 66, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I). En conséquence, les dispositions du règlement Bruxelles I resteront pertinentes au cours des années à venir à chaque fois qu'une question se pose sur l'exécution d'une décision rendue dans une action judiciaire qui a été intentée avant le 10 janvier 2015. L'article 66, paragraphe 2, du règlement Bruxelles I bis le reconnaît en ce qu'il dispose que le règlement Bruxelles I « continue à s'appliquer aux décisions rendues dans les actions judiciaires intentées (...) avant le 10 janvier 2015 qui entrent dans le champ d'application dudit règlement ». 2.3 Champ d'application géographique Le règlement Bruxelles I bis s'applique uniquement si le défendeur est domicilié sur le territoire d'un État membre (articles 4 à 6). Ce principe ne prévaut toutefois pas pour le système de reconnaissance et d'exécution. Les dispositions relatives aux effets transfrontaliers des décisions sont applicables dès l'instant où une décision est rendue par une juridiction d'un autre État membre. Le lieu où se trouve le domicile du défendeur, ou de toute autre 25 partie, est sans incidence. Cela signifie également que le système de reconnaissance et d'exécution du règlement Bruxelles I bis pourrait s'appliquer même si la juridiction d'origine n'a pas fondé sa compétence sur les dispositions du règlement. Tous les instruments européens ayant trait à la circulation des décisions judiciaires sont limités aux décisions émanant d'États membres. Ils ne peuvent donc être invoqués au sujet de décisions rendues par des juridictions siégeant dans des pays tiers. De même, les règlements ne sont pas pertinents pour ce qui concerne les effets de décisions rendues par des juridictions internationales (telles que la Cour internationale de justice) ou des instances arbitrales. Question 2 Quelles démarches Best Italian Coffee doit-elle entreprendre pour faire exécuter la décision française en Espagne au moyen du règlement Bruxelles I bis ? 1. Introduction L'article 39 du règlement Bruxelles I bis dispose qu'une décision rendue dans un État membre jouit de la force exécutoire dans les autres États membres « sans qu'une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire ». Cette disposition garantit concrètement la force exécutoire automatique des décisions entre les États membres. Ainsi, Best Italian Coffee peut directement mettre à exécution la décision française en Espagne, où le débiteur reconnu dans cette décision a sa résidence habituelle. Il ne doit pas obtenir préalablement une déclaration de force exécutoire, comme l'exigeait le règlement Bruxelles I (article 38). 2. Exigences conditionnant la force exécutoire d'une décision Afin de bénéficier de la force exécutoire automatique en vertu du règlement Bruxelles I bis, une décision doit être exécutoire dans l'État membre d'origine. Il n'existe aucune définition européenne de la force exécutoire d'une décision. La satisfaction de cette exigence est déterminée au regard des dispositions de l'État membre d'origine. Dans la plupart des États membres, une décision peut être exécutoire même si elle peut encore être contestée par le biais d'un recours. Elle peut même rester exécutoire pendant une procédure de recours. En l'espèce, il convient d'examiner les prescriptions du droit français pour établir si la décision est effectivement exécutoire. L'article 42 du règlement énonce les autres exigences qui doivent être satisfaites pour que la décision soit exécutoire. En premier lieu, Best Italian Coffee doit fournir une copie de la décision réunissant les conditions nécessaires pour en établir l'authenticité. 26 Cette exigence est destinée à permettre à l'autorité compétente de vérifier si les conditions de reconnaissance ou d'exécution sont bien remplies. L'exigence de fourniture d'une copie authentique ne peut être abandonnée, ce qui signifie que la juridiction ou l'autorité compétente ne peut dispenser le demandeur de lui communiquer une copie de la décision et que cette copie doit réunir les conditions nécessaires pour en établir l'authenticité. Le critère déterminant est que la décision soit conforme aux conditions d'authenticité dans le pays d'origine. Il est possible que dans le pays d'origine, une copie soit réputée authentique, par exemple, lorsqu'elle est revêtue d'un sceau particulier ou qu'elle a été délivrée par une autorité donnée, comme le greffier de la juridiction. En complément, Best Italian Coffee doit également produire un certificat. Ce certificat est un document délivré par la juridiction d'origine sur la base d'un modèle joint au règlement. Il peut être délivré au moyen des formulaires en ligne disponibles dans l'Atlas judiciaire européen (http://ec.europa.eu/justice_home/judicialatlascivil/html/index_fr.htm). Le certificat contient des informations détaillées sur la décision et la manière dont elle a été rendue. Il permet à la juridiction requise de bien comprendre la décision étrangère, même sans l'avoir consultée. Il doit inclure, entre autres, des informations sur le montant en cause, les intérêts et les frais remboursables. Ces renseignements sont fondamentaux dans toute procédure d'exécution. Dans le cas présent, le défendeur n'a pas comparu et ne s'est pas fait représenter au cours de la procédure devant le tribunal français. Aux termes des versions antérieures du règlement, la partie qui demandait l'exécution d'une décision rendue par défaut devait fournir un document qui démontrait que l'acte introductif d'instance avait bien été signifié ou notifié à la partie défaillante. Cette exigence a désormais été intégrée dans le certificat : en vertu du règlement Bruxelles I bis, le certificat qui doit être délivré conformément à l'article 53 exige qu'une mention spécifique soit indiquée lorsque la décision a été rendue par défaut. Dans un tel cas, le certificat doit faire figurer la date à laquelle l'acte introductif d'instance (ou un acte équivalent) a été notifié ou signifié au défendeur (point 4.3.2 du certificat délivré au titre de l'article 53). Cette mention est indispensable pour déterminer si l'acte pertinent a été notifié ou signifié au défendeur en temps utile (article 45, paragraphe 1, point b)). En vertu de l'article 43, le certificat proprement dit doit être notifié ou signifié à la personne contre laquelle l'exécution est demandée. Le règlement Bruxelles I bis ne prévoit pas la possibilité de remplacer le certificat par un acte équivalent. Il n'envisage pas non plus la possibilité pour une juridiction ou une autorité saisie d'une demande de reconnaissance de dispenser le demandeur de la fourniture du certificat, alors que c'était possible en vertu de l'article 55, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I. L'article 41, paragraphe 3, dispose en outre que Best Italian Coffee n'est pas tenue d'avoir une adresse postale en Espagne ou de désigner un représentant autorisé dans ce pays. 27 Question 3 En pratique, comment Best Italian Coffee doit-elle mettre la décision française à exécution en Espagne ? L'exécution effective de la décision à proprement parler n'a pas été modifiée par le règlement Bruxelles I bis. Le règlement affirme expressément que la procédure d'exécution des décisions « est régie par le droit de l'État membre requis » (article 41). Il ajoute dans la même disposition qu'une « décision rendue dans un État membre et qui est exécutoire dans l'État membre requis est exécutée dans ce dernier dans les mêmes conditions qu'une décision rendue dans l'État membre requis ». Le règlement Bruxelles I bis n'établit donc aucune règle sur la manière dont une décision doit être exécutée dans la pratique et laisse cette question aux États membres. En l'espèce, il convient par conséquent de se tourner vers le droit espagnol pour déterminer comment l'exécution peut se dérouler concrètement. En vertu du droit espagnol, la procédure d'exécution requiert une demande d'exécution (« demanda ejecutiva »), qui doit être introduite auprès du Tribunal de première instance. Cette demande doit satisfaire à différentes exigences (énoncées à l'article 549 de la Ley de Enjuiciamiento Civil / Loi de procédure civile)27. Ainsi, elle doit être accompagnée d'une série de documents (énumérés à l'article 550 de la LEC28) et elle doit inclure des informations 27 L'article 549 établit ce qui suit : « 1. Sólo se despachará ejecución a petición de parte, en forma de demanda, en la que se expresarán : 1.º El título en que se funda el ejecutante. 2.º La tutela ejecutiva que se pretende, en relación con el título ejecutivo que se aduce, precisando, en su caso, la cantidad que se reclame conforme a lo dispuesto en el artículo 575 de esta Ley. 3.º Los bienes del ejecutado susceptibles de embargo de los que tuviere conocimiento y, en su caso, si los considera suficientes para el fin de la ejecución. 4.º En su caso, las medidas de localización e investigación que interese al amparo del artículo 590 de esta Ley. 5.º La persona o personas, con expresión de sus circunstancias identificativas, frente a las que se pretenda el despacho de la ejecución, por aparecer en el título como deudores o por estar sujetos a la ejecución según lo dispuesto en los artículos 538 a 544 de esta Ley. 2. Cuando el título ejecutivo sea una resolución del Secretario judicial o una sentencia o resolución dictada por el Tribunal competente para conocer de la ejecución, la demanda ejecutiva podrá limitarse a la solicitud de que se despache la ejecución, identificando la sentencia o resolución cuya ejecución se pretenda. 3. En la sentencia condenatoria de desahucio por falta de pago de las rentas o cantidades debidas, o por expiración legal o contractual del plazo, o en los decretos que pongan fin al referido desahucio si no hubiera oposición al requerimiento, la solicitud de su ejecución en la demanda de desahucio será suficiente para la ejecución directa de dichas resoluciones, sin necesidad de ningún otro trámite para proceder al lanzamiento en el día y hora señalados en la propia sentencia o en la fecha que se hubiera fijado al ordenar la realización del requerimiento al demandado. 4. El plazo de espera legal al que se refiere el artículo anterior no será de aplicación en la ejecución de resoluciones de condena de desahucio por falta de pago de rentas o cantidades debidas, o por expiración legal o contractual del plazo, que se regirá por lo previsto en tales casos. » 28 L'article 550 est intitulé « Documentos que han de acompañar a la demanda ejecutiva ». Il dispose ce qui suit : « 1. A la demanda ejecutiva se acompañarán : 1.º El título ejecutivo, salvo que la ejecución se funde en sentencia, decreto, acuerdo o transacción que conste en los autos. Cuando el título sea un laudo, se acompañarán, además, el convenio arbitral y los documentos acreditativos de la notificación de aquél a las partes. Cuando el título sea un acuerdo de mediación elevado a escritura pública, se acompañará, además, copia de las actas de la sesión constitutiva y final del procedimiento. 2.º El poder otorgado a procurador, siempre que la representación 28 détaillées sur l'identité des parties, la décision qui doit être exécutée et les mesures requises. L'ordonnance d'exécution (« Auto de ejecución ») délivrée par le Tribunal doit être notifiée à la partie adverse, laquelle peut s'opposer à l'exécution dans un délai de 10 jours à compter de la réception de la notification, soit sur le fond de l'exécution, soit pour des raisons de forme. Le Tribunal délivre une ordonnance d'exécution après avoir entendu les parties. Question 4 M. Molinero Fernández peut-il s'opposer à l'exécution de la décision française en Espagne ? Le principe sous-jacent au règlement Bruxelles I bis est que l'exécution s'effectue de plein droit : la décision française peut être immédiatement présentée aux autorités espagnoles pour être exécutée, sans que Best Italian Coffee ne doive demander au préalable une déclaration constatant sa force exécutoire. Cela ne signifie toutefois pas que M. Esteban Molinero Fernández ne peut contester l'exécution de la décision. Trois possibilités s'offrent au débiteur à cette fin. Premièrement, le débiteur condamné dans une décision peut s'opposer à l'exécution sur la base des différentes exigences prévues dans le droit espagnol pour l'exécution des décisions. Étant donné qu'une décision étrangère doit être exécutée « dans les mêmes conditions » qu'une décision espagnole (article 41), le débiteur a la possibilité de s'appuyer sur toutes les conditions et les exigences que le droit espagnol établit pour l'exécution d'une décision. Il peut arriver, par exemple, qu'un paiement ait été effectué après que la décision a été rendue et qu'en raison de ce paiement, l'exécution de la créance pécuniaire soit impossible selon le droit espagnol. Les motifs de refus de l'exécution qui résultent du droit national de l'État membre requis peuvent uniquement s'appliquer « dans la mesure où ils ne sont pas incompatibles avec les motifs visés à l'article 45 » (article 41, paragraphe 2). Deuxièmement, le règlement offre une possibilité spécifique de contester l'exécution : le débiteur condamné peut également introduire une demande tendant à obtenir une déclaration selon laquelle l'exécution de la décision doit être refusée pour l'un des motifs dont la liste exhaustive figure dans le règlement (article 46). Cette procédure doit être introduite auprès d'une juridiction locale de l'État membre requis. Il incombe à l'Espagne d'indiquer quelle juridiction locale doit être saisie d'une procédure de refus d'exécution (article 47). La procédure est contradictoire, tant le débiteur que le créancier de la décision initiale étant impliqués dans son déroulement. La juridiction doit examiner les différents motifs de refus énoncés à l'article 45 (violation de l'ordre public, droits du défendeur, no se confiera "apud acta" o no conste ya en las actuaciones, cuando se pidiere la ejecución de sentencias, transacciones o acuerdos aprobados judicialmente. 3.º Los documentos que acrediten los precios o cotizaciones aplicados para el cómputo en dinero de deudas no dinerarias, cuando no se trate de datos oficiales o de público conocimiento. 4.º Los demás documentos que la ley exija para el despacho de la ejecución. 2. También podrán acompañarse a la demanda ejecutiva cuantos documentos considere el ejecutante útiles o convenientes para el mejor desarrollo de la ejecución y contengan datos de interés para despacharla. » 29 incompatibilité entre décisions, etc.). Comme par le passé, la juridiction saisie ne peut réexaminer la décision au fond et elle ne peut pas non plus remettre en question les constatations de fait sur lesquelles la juridiction d'origine a fondé sa compétence (article 45, paragraphe 2). Troisièmement et dernièrement, le débiteur condamné peut également demander la suspension de la procédure d'exécution, notamment si la décision a été contestée dans le pays d'origine et que ce recours a pour effet de suspendre la force exécutoire de la décision. En vertu de l'article 44, paragraphe 2, du règlement, le débiteur peut dans un tel cas introduire une demande afin d'obtenir la suspension de la force exécutoire dans l'État membre requis. En l'espèce, une attention particulière doit être consacrée à l'article 45, paragraphe 1, point b), qui établit un motif de refus concernant les décisions rendues par défaut. La juridiction saisie en Espagne doit vérifier si l'acte introductif d'instance a bien été notifié ou signifié à M. Esteban Molinero Fernández « en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre ». 30