Soleil, Terre, Lune, Mars et…Mercure Je vis par la fenêtre le Soleil

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Soleil, Terre, Lune, Mars et…Mercure Je vis par la fenêtre le Soleil
Je vis par la fenêtre le Soleil se lever, il illuminait les champs à perte de vue. Depuis le
château de Benatek, situé non loin de la ville de Prague, que l’empereur Rodolphe II luimême m’avait offert en gage de remerciement pour être venu jusqu'à lui, je pouvais
apercevoir à la fois terre et ciel. En y songeant, je n’avais pas abandonné le Danemark de
gaîté de cœur, je m’en étais fait bannir. Ma magnifique île de Hveen, que le roi Fréderic II
m’avait offert ; Uraniborg, mon palais de résidence et Stellaborg, mon palais des étoiles : tout
cela m’était perdu à jamais.
Je me trouvais dans mon bureau, assis à mon écritoire. Je venais de finir la lecture d’une lettre
que ma sœur, restée au Danemark, venait de m’envoyer. Elle ne faisait qu’une seule ligne,
mais elle me faisait souffrir le martyr, comme une lame retournée sans cesse dans ma chair :
« Surtout ne rentre pas au Danemark, ils t’arrêteraient ». Je ne pouvais plus faire marche
arrière. Je déchaussais ma prothèse nasale qui me brûlait à cause des larmes. J’avais perdu
mon nez du temps de l’université, en défendant les théories de Pythagore face à un autre
étudiant. J’apposais de l’onguent sur ce qu’il me restait de nez pour calmer la brûlure. J’avais
dû faire face à nombre de trahisons. Pour l’instant, j’étais pris dans une nasse inextricable
avec Kepler et l’empereur. Kepler était un jeune et brillant astronome allemand, mais il
pensait comme Copernic. J’étais moi-même un astronome émérite mais j’avais réfuté les
idées de Copernic depuis longtemps. Là se situait notre principal différent. Je l’avais
néanmoins réinvité à Benatek car il restait le meilleur apprenti que j’avais eu, malgré sa vue
désastreuse. L’empereur, quant à lui, ne cessait de me demander des horoscopes, un travail de
bas étage juste bon pour des astrologues. Cela me dérangeait au plus haut point car il ne
s’agissait nullement de sciences, mais plutôt d’un art de charlatans. Demandez à cent
astrologues de faire l’horoscope d’une seule personne, ils donneront tous un avis différent. Je
me levai et me rendis dans l’aile du château abritant mes instruments transportables, les autres
étant restés à Hveen. Je regardais ma sphère armillaire et ses cercles dorés, ainsi que mon
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horloge astronomique joliment bleutée. Cette dernière me servait lors des phénomènes, à
calculer très précisément le temps que chaque phase durait, notamment pour les éclipses.
J’étais occupé en ce moment par l’étude du Soleil. J’étais fermement convaincu que tout
tournait autour de la Terre, surtout le Soleil.
Depuis un des tuyaux espions que j’avais installé, j’entendis alors Kepler arriver, je descendis
les marches et l’accueillis à bras ouverts. Nous nous dirigeâmes vers mon salon et
commençâmes à converser. Nous parlâmes de nos convictions respectives, mais elles
divergeaient en plusieurs points. La discussion dégénéra donc et Kepler sortit, l’air furibond.
Il ne voulait rien entendre, alors que mes propos étaient rationnels ! Je regrettai néanmoins de
n’avoir point écouté ce qu’il disait et d’avoir été aussi cassant. Mais il le fallait, Copernic ne
pouvait avoir raison, cela n’avait pas de sens et ce jeune homme tout aussi brillant qu’il était
devait en prendre conscience. Je retournais dans mon bureau encore furibond. En reprenant
mon calme, je m’attelais à nouveau à mes tables rudolphines, que j’espérais terminer
prochainement.
Le lendemain, il vint me voir et me pria de lui donner accès à mes recherches. Ma réponse
étant négative, la conversation s’envenima et Kepler sortit en vociférant.
Quelques jours plus tard, l’empereur me fit quérir. Je me rendis à son palais, situé dans la ville
de Prague. Quand j’arrivai, il conversait avec un homme corpulent. Il disait : « Sire, vous ne
pouvez pas satisfaire toutes vos folies passagères au détriment du trésor de la Couronne ! »
Puis il partit, l’air insatisfait. L’empereur me dit qu’il s’agissait de son trésorier, et il me
commanda un horoscope pour les mois à venir. J’acceptai à contrecœur et lui demandai
d’accéder à une requête. Une fois dans l’antichambre, je me sentis beaucoup mieux, le départ
inopiné de Kepler seulement un jour après son arrivée m’avait ébranlé. Je rentrais au château
de Benatek et me reposais.
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Kepler vint me voir pour me remercier d’avoir parlé en sa faveur à l’empereur et pour me
prévenir qu’il travaillerait seul. Je noyais le chagrin que cela me causait dans l’alcool. Ce fut
l’empereur lui-même qui me tira hors de ce gouffre, il s’impatientait au sujet de son
horoscope. Malgré moi, je m’attelai à la tâche et m’installai à ma lunette astronomique. Je
scrutai les cieux et rédigeai l’horoscope tant attendu. Lorsque je lui tendis, l’empereur le lut et
parut mécontent, il me congédia.
Je siégeais aux côtés de l’empereur quand je vis le trésorier faire irruption dans la salle. Il
s’approcha de l’empereur et lui chuchota à l’oreille. Je n’entendis que quelques bribes des
paroles qu’ils échangèrent : « Il faut l’éliminer…trop de dépenses…la ruine ». L’empereur
acquiesçait à chaque phrase et m’informa qu’il n’allait couvrir aucune dépense.
L’empereur quitta ensuite la salle, suivi de son conseiller.
Le lendemain, je reçus une missive me conviant à un banquet de la part d’un grand seigneur
habitant à l’Est. J’y retrouvai de nombreux membres de la cour. Pour cette occasion, j’avais
mis ma prothèse en or massif. Elle aurait pu permettre, à elle seule, de nourrir une famille
entière pendant toute une vie. Je n’avais malheureusement plus de poudre blanche à mettre
dessus afin de camoufler le métal rutilant. L’ami français qui m’en avait offert était mort
depuis longtemps. M’étant arrêté à une auberge pendant le voyage, je ne mangeai pas
beaucoup. Je vis que cet antipathique trésorier avait également été invité, il rechignait et
picorait à peine dans son assiette. Je repartis le soir même. Je me couchai, éreinté par des
heures de voyage en coche. Je me réveillai, des douleurs me lancinaient l’estomac. Je pris un
médicament préparé par mes soins. J’appris que tous ceux qui avaient pris part au banquet
étaient alités. Je fus guéri en deux semaines à peine, mais une douleur dans le bas du ventre
persistait, et je la traitais avec le même remède, deux fois par jour.
Mais, malgré le
médicament, la douleur grandissait et s’étendait au reste de mon estomac. Or, ce médicament
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était censé soigner toutes les douleurs gastriques. Je fis effectuer des tests sur les autres
membres du banquet afin de savoir si l’ingestion de ce médicament menait à la guérison.
Guérison qu’il accomplit car tous les participants du banquet furent remis sur pieds en
quelques jours. J’étais donc atteint d’un autre mal, incurable par mon remède. Ce qui
indiquait que ce mal qui touchait dorénavant l’ensemble de mon estomac et de mon intestin
n’était pas naturel. Mais peut-être s’agissait-il seulement d’un mal passager. Je passai les
semaines suivantes à peaufiner mon livre, mais à un rythme très irrégulier car j’étais
fréquemment dérangé par des nausées et des vertiges. Au bout de deux mois, j’eus une
intuition concernant la maladie dont j’étais atteint. J’étais persuadé que l’on avait versé un
poison dans la nourriture, mais je n’en avais pas absorbé assez pour mourir. Je pris des
précautions. Je fis surveiller mes mets de leur conception à leur arrivée à ma table. Mais il n’y
avait rien de suspect. Je fis de même avec mes rafraîchissements, mais il n’y avait toujours
rien. Mon état empirait et j’écrivis une lettre à la famille Rosenkrantz, au Danemark, eux
sauraient comment agir pour stopper mon lent trépas. En attendant la réponse à ma missive,
j’allai effectuer mon horoscope et je pris mon médicament. Malgré mon aversion pour les
prédictions, il fallait que je sache. Ce que je vis dans les cieux me bouleversa. De grands
troubles ainsi que ma fin prochaine y étaient inscrits. J’étais empoisonné et mon assassin était
Kepler. Certes, ce n’étaient que des prédictions astrologiques, mais tout de même. Je
m’enfermai dans ma chambre, apeuré et fébrile. J’avais peur de la mort. Peur de fermer les
yeux une ultime fois et de sombrer dans un éternel sommeil. Je passai la nuit sans dormir,
tremblant dans mon lit. Lorsque le Soleil apparut enfin à l’horizon, je fus quelque peu rassuré.
Je reçus la réponse à ma lettre trois semaines plus tard. Mon lointain cousin me sommait de
demander de l’aide à l’empereur. Aide qu’il me refusa aussitôt, sans aucun prétexte apparent.
Ainsi donc, Kepler voulait me tuer et l’empereur ne voulait point m’aider. Une idée félonne
germa dans mon esprit. Et si l’empereur et Kepler s’étaient alliés pour m’éliminer ? Il avait
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les motifs nécessaires pour m’éliminer. Quant à l’empereur, il avait parlé d’éliminer
quelqu’un qui dépensait sans compter. Il s’agissait forcément de moi. Je me barricadais dans
ma chambre, demandant à ce que mon repas soit surveillé et qu’il me soit apporté à des heures
précises. Je m’attelais à la lourde tâche qu’était l’écriture de mon ouvrage, mais, rapidement,
j’eus du mal à me lever. L’on m’annonça la venue prochaine de l’empereur avec Kepler, tous
deux en voyage pour une lointaine conférence. Je me préparai à tenir le siège, faisant monter
de la nourriture ainsi que de l’eau dans mes appartements et allant même jusqu’à condamner
les fenêtres, afin que personne ne me voit. Lorsqu’ils arrivèrent, je me cachai sous mon lit.
Après m’avoir affaibli en m’empoisonnant, ils venaient achever le travail eux-mêmes.
J’entendis des pas devant la porte de ma chambre. Je me recroquevillai, en un essai superflu,
pour me rendre invisible à leur regard assassin. Ils enfoncèrent la porte et je les vis entrer, un
couteau à la main. Ils commencèrent à chercher dans les pièces adjacentes. Je saisis
l’opportunité. Je sortis de sous le lit et me précipitai vers la sortie. J’arrivai dans le jardin et
me couchai sur l’herbe encore humide de la rosée matinale. Les deux hommes sortirent et je
reconnus l’empereur, mais l’homme à ses côtés n’était pas Kepler. Il devait s’agir d’un
assassin que l’empereur devait avoir payé pour m’éliminer, ne voulant pas se salir les mains.
J’entendis un bruit de pas dans mon dos et me réfugiai derrière un chêne centenaire. Soudain,
on me tira sur le côté. Kepler me tenait fermement, l’empereur à ses côtés. L’homme qui les
accompagnait m’injecta un produit et je me sentis tomber dans les bras de Morphée.
Je me réveillai dans mon lit. L’empereur était déjà parti, il avait laissé un message indiquant
qu’il laissait son médecin personnel à mon service.
Tout cela me rassurait, mais une question me taraudait : si l’empereur et Kepler ne voulaient
pas ma mort, qui était responsable de ma maladie ? J’y réfléchis pendant quelques instants
mais je ne pus trouver de réponse à ma question.
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Lorsque j’observai le médecin pour la première fois, il me rappela un des conseillers du roi. Je
lui demandai de créer une grande quantité de médicament. Il exécuta donc cette requête.
Malgré le médicament, mon état s’envenimait toujours. Je fus très vite contraint de rester dans
mon lit, n’ayant plus la force de me mouvoir. Ne comprenant néanmoins toujours pas ma
maladie, je demandai au médecin d’analyser le médicament, car il s’agissait de la seule
substance que j’ingérais et que je n’avais pas vérifiée. Il donna donc le médicament à un rat
mais il n’était pas mortel car le rat ne mourut point.
Je passai plusieurs jours à y réfléchir. N’ayant pas une totale confiance en ce médecin, je me
traînai vers la cage où se situait le rat. Il était mort. Je sentis la mort s’emparer de mon âme.
La vie s’écoula hors de mon corps, sans que je sache qui m’avait tué.
Je pénétrai dans la chambre de Tycho, j’aperçus son corps dans un coin de la pièce. Ainsi, le
mercure avait fonctionné. Il était lent certes, mais efficace. Désormais, rien ne me bloquera
plus dans la conquête du pouvoir. Mon accoutrement en ce médecin impérial n’aura pas été en
vain.
Avec un trésorier sur le trône, l’argent de l’empire sera entre de bonnes mains.
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