Janvier 2012 - vol. 24, no 1

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Janvier 2012 - vol. 24, no 1
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Cahiers de propriété intellectuelle inc., sont édités par cette dernière. Ils sont
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tél. : (514) 842-3937. Pour abonnements : 1-800-363-3047.
PRÉSENTATION
Une longue jonque de nuages… amarrée au
ras de l’horizon, retardait seule le premier
feu de l’aurore.
–Colette, La naissance du jour
(Paris : Flammarion, 1928)
- Vous êtes en retard !
- Un magicien n’est jamais en retard, ni en
avance d’ailleurs Frodon Saquet. Il arrive
précisément à l’heure prévue
–Peter Jackson (réalisateur), Le seigneur des
anneaux : la communauté de l’anneau (2001)
Bien sûr, recevoir en fin mars un numéro dont la parution était
prévue pour janvier peut surprendre. Ce sont là toutefois les aléas de
la publication d’une revue. On oscillera ici entre un « j’ai remarqué
souvent que les gens qui sont en retard sont de bien meilleure
humeur que ceux qui ont dû les attendre »1 au « on ne peut être en
retard si on est dans l’infini »2. La rédaction vous épargne le « mieux
vaut arriver en retard qu’en corbillard »3 !
Dans ce numéro, quatre articles, deux capsules et cinq comptes
rendus.
Les auteurs Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie
et Olivier Tourangeau4 font le point sur la notion d’emploi d’une
marque de commerce par le biais de l’annonce de celle-ci.
1. De l’auteur dramatique André Roussin (1911-1987).
2. Blaise Pascal, Pensées (1670) (Paris : Livre de poche, 1962), à §186.
3. Charles Cahier, Quelque six mille proverbes et aphorismes usuels empruntés à
notre âge et aux siècles derniers (Paris : Julien, Lanier et Cie, 1856).
4. Du cabinet Smart & Biggar.
V
VI
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Laurent Carrière5 nous fait part6 de l’interaction des quatre
lois statutaires canadiennes de propriété intellectuelle en ce qui a
trait à la protection de la mode7.
Anthony Hémond8 et l’Union des consommateurs9 révisent
dans leur mémoire au comité législatif10 certains aspects du projet de
loi C-11 portant sur la Loi sur la modernisation du droit d’auteur11,
en commentant notamment les nouvelles exceptions au droit d’auteur au bénéfice des utilisateurs et les relations entre consommateurs et fournisseurs de service Internet.
Les professeurs Geiger12, Griffiths13 et Hilty14 nous permettent
la reproduction, en français, de leur déclaration fracassante de 2011
sur le test des trois étapes pour respecter les équilibres du droit d’auteur15, avec le caveat des auteurs à l’effet qu’il ne s’agit pas d’un
manifeste rédigé par des activistes anti-droits d’auteur.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés
principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats et
d’agents de brevets et de marques de commerce.
Il est toujours curieux de parler de soi à la troisième personne.
Ce qui permet deux citations de circonstance sur la mode et le retard, puisque
c’est, par la force des choses, le thème de la présentation (mais non du numéro) :
« Je hais les montres, c’est la raison pour laquelle je suis toujours en retard » : Karl
Lagerfeld, extrait du magazine VSD (édition du 21 au 28 mars 2002), qui est
quand même plus délicat que le « Les femmes sont toujours d’une mode en retard. »
de Florence Delay, Le aïe aïe de la corne de brume (Paris : Gallimard/Folio, 1984).
Maintenant du cabinet Allali Brault, mais à l’époque à l’Union des consommateurs.
Sous la direction de Marcel Boucher, responsable des affaires juridiques et de la
recherche à l’Union des consommateurs.
Ici, il faut départager le « Un escalier de ministère est un endroit où des gens
qui arrivent en retard croisent des gens qui partent en avance » de l’homme d’État
Georges Clémenceau (1841-1929) du « Un ministère est un lieu où ceux qui
partent en avance croisent dans les escaliers ceux qui arrivent en retard » du dramaturge Georges Courteline (1858-1929) et du « Un conseil général est une
assemblée où des personnes qui arrivent en retard en rencontrent d’autres qui
partent en avance » du politicien Édouard Herriot (1872-1957). Cela dépasse le
propos mais la Rédaction sera heureuse de vos commentaires sur l’origine première de cette boutade !
« Les partis sont toujours en retard sur les idées » : Léon Bourgeois, Solidarité
(Paris : Armand Colin & Cie, 1896), à la page 9.
Maître de conférences, directeur général et Directeur du Laboratoire de recherche
du Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), université de Strasbourg ; chercheur associé à l’institut Max Planck pour la propriété
intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich.
Maître de conférences à la faculté de Droit de l’université Queen Mary de Londres.
Directeur de l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la
concurrence et le droit fiscal à Munich ; professeur aux universités de Zurich et
Munich.
Présentation
VII
Alexandra Neri16 commente l’affaire eBay17 laquelle apporte
des éclaircissements très utiles sur la question de la vente sur une
place de marché en ligne de produits portant atteinte à des droits
de marque, pose également les limites à la portée des injonctions
judiciaires pouvant être prononcées à l’encontre d’un intermédiaire
mais laisse une grande incertitude quant aux conditions dans lesquelles l’exploitant d’une place de marché peut voir sa responsabilité
engagée du fait des contrefaçons commises par ses utilisateurs.
Le cinquantenaire de l’Organisation africaine de la propriété
intellectuelle est célébré par Laurier Yvon Ngombé18 par un retour
historique sur sa création et son évolution de même que par une
discussion sur l’avenir prévisible et l’avenir souhaitable de cette
organisation.
Olivier Charbonneau19 résume l’ouvrage20 Access-Right : The
Future of Copyright Law21.
Ghislain Roussel22 fait du « trois pour un »23 avec ses comptes
rendus de trois ouvrages24 portant sur la gestion de la propriété
15. « Les lois sont dangereuses quand elles retardent sur les mœurs. Elles le
sont davantage lorsqu’elles se mêlent de les précéder. » Marguerite Yourcenar,
Mémoires d’Hadrien (Paris : Plon, 1951).
16. Avocate, associée du cabinet Herbert Smith (Paris).
17. CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay International AG e.a. – C-324/09.
18. Avocat à la Cour d’appel de Paris (Barreau de l’Essonne), chargé d’enseignement
au CNAM Île de France et à l’ESGCI – PPA.
19. Bibliothécaire professionnel à l’Université Concordia.
20. Zohar Efroni, Access-Right : The Future of Copyright Law (Toronto : Oxford University Press, 2010).
21. « Si, en art, on devait suivre son époque, alors Rembrandt serait bien en retard par
rapport à Van Gogh » : Charlie Chaplin, Histoire de ma vie (1964) (Paris : Pocket,
1989).
22. Président du conseil d’administration des Cahiers.
23. Pas la version française Trois pour un du film canadien These Girls (2006) du réalisateur tout aussi canadien John Hazlett.
24. La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques, Avis, Conseil de
la science et de la technologie du Québec, Direction générale des communications et
des services à la clientèle, ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, gouvernement du Québec (Montréal : MDEIE, 2011), Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la
privatisation des savoirs, Couture (Marc), Dubé (Marcel), Malissard (Pierrick),
(Québec : PUQ, 2010) et Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir, Martin (Éric), Ouellet (Maxime), coll. Lettres libres,
(Montréal : Lux, 2011). Ce dernier ouvrage cadre bien avec les manifestations étudiantes de mars…
VIII
Les Cahiers de propriété intellectuelle
intellectuelle en milieu universitaire25 et, en prime, un compte rendu
d’un ouvrage26 portant sur Louvigny de Montigny27.
Il faut également profiter de l’occasion pour souhaiter la bienvenue aux nouveaux membres du comité de rédaction des Cahiers
de propriété intellectuelle, Annie Morin28 et Daniel Paul29, qui
s’ajoutent à Marie-Josée Lapointe30 et Florence Lucas31 et remercier de leur participation ceux qui ont gracieusement cédé leur
place, Marek Nitoslawski et Benoît Clermont, patria bene meritus32.
Le comité exécutif de rédaction est maintenant composé, ordre
alphabétique oblige, de Louise Bernier, Laurent Carrière, Mistrale
Goudreau, Florence Lucas et Ghislain Roussel33.
25. « L’enseignement doit être résolument retardataire. » Charles-Auguste Chartier,
dit Alain, Propos sur l’éducation (1932), 13e édition (Paris : PUF, 2002), à la
page 46 et le rédacteur admet que la citation est hors contexte, à la limite de la
mauvaise foi !
26. Marie-Pier Luneau, Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs (Montréal :
Leméac, 2011).
27. « Louvigny Testard de Montigny (né à Saint-Jérôme en 1876 – mort en 1955), parfois connu sous le pseudonyme de Carolus Glatigny, est un journaliste, écrivain,
poète et critique québécois » enseigne Wikipédia. C’est bien court pour résumer
tout ce que ce dernier a fait pour l’avancement du droit des auteurs et du droit
d’auteur au Canada et c’est pourquoi – scoop – le prochain numéro des Cahiers
abordera certains aspects de sa biographie. De circonstance, diront certains, eu
égard à certaines des avancées ou reculs du projet de loi C-11, ce qui nous permet
de placer un « qu’est-ce que le passé, sinon du présent qui est en retard ? » Pierre
Dac, L’os à moelle – Organe officiel des loufoques (mars 1940), (Paris : Omnibus,
2007).
28. Avocate, directrice de ArtistI.
29. Avocat, vice-président des affaires juridiques de CGI.
30. Avocate chez BCF.
31. Avocate chez Gowling Lafleur Henderson.
32. Marcus Tullius Cicero, Lettres de Cicéron à Atticus, Livre IX, Lettre IV (49 A.D.),
dans « Œuvres complètes de Cicéron avec la traduction en français » (Paris :
Firmin Didiot, 1869) sous la direction de Napoléon Désiré Nisard. Cette référence
est un prétexte pour dépoussiérer des livres de cours Classique (et hésiter sur la
forme plurielle à utiliser, ou non) car la même citation est disponible – et plus
accessible – dans les pages roses du Larousse® ou sur le site de la Société
Saint-Jean-Baptiste de Montréal pour sa médaille Bene Merenti de Patria.
33. Les membres du comité de rédaction sont également membres du comité de lecture.
Présentation
IX
Et, pour tenter de faire pardonner le retard de publication34, le
perlier. Si on connaissait déjà « la plante » pour « l’appelante », on a
vu récemment un « la pelle » pour un « l’appel ». On aura également
lu une prescription « instinctive » plutôt qu’« extinctive »35, une
convention « anonyme » des actionnaires plutôt qu’« unanime » et des
producteurs qui « bafouillent » les droits des auteurs, plutôt que
« bafouent ». Et, enfin, le « ce droit est à vendredi »36 devait sans
doute se lire « ce droit est à vendre »37…
Sur ce, bonne lecture !38
Laurent Carrière
Rédacteur en chef39
34. « La vie est comme un train. Vous prévoyez des retards de temps en temps, mais
pas un déraillement… » de nous rappeler le joueur de baseball Wilver Dornell
« Willie » Stargell (1940-2001) dans une entrevue : [1976-08-16] Sports Illustrated. (Bien sûr c’est une traduction, la citation complète est « Life is like a train. You
expect delays from time to time, but not a derailment, and a derailment’s what we
had. It happened so quick and without warning. ») Le rédacteur en chef a vraiment
des lectures éclectiques.
35. Si, si, une coquille comme cela, ça ne s’invente pas : Réjean Labonté Inc. c. Fortin,
C.S. Abitibi, 615-05-00095-84 (C.S. Qué. ; 1985-08-02), le juge Viens.
36. En fait, cette perle aurait été davantage de circonstances dans un commentaire lié
à l’affaire Robinson c. Films Cinar Inc., 2011 QCCA 1361 (C.A. Qué. ; 2011-07-20) ;
requêtes pour permission d’en appeler à la Cour suprême du Canada produites
(C.S.C.) ; 2011 QCCA 2305, (C.A. Qué. – requête pour suspension ; 2011-12-09),
mais pourquoi attendre ?
37. On pourrait aussi ajouter « À la suite d’une presque incroyable série de bourdes,
d’inepties, d’incompétence ou d’inexpérience des différents procureurs qui l’ont
représenté tour à tour dans ce dossier, et de la vénalité du demandeur et, faut-il le
croire, de celle de ses procureurs… » : Blais c. Barile 2011 QCCS 2921 (C.S. Qué. ;
2011-06-14), le juge Michaud, que l’on pourra opposer – ça ne s’invente pas – à un
« Sylvio Langevin réclame la propriété de la terre. Dans un autre dossier entrepris
le même jour, il réclame celle des planètes Mercure, Vénus, Jupiter, Saturne et
Uranus, ainsi que des quatre grosses lunes de Jupiter. À l’audience, le requérant
souhaite amender ce second recours pour y ajouter ses revendications sur Neptune et Pluton, ainsi que sur l’espace entre chaque planète, à la grandeur de la
galaxie. » Re Langevin 2012 QCCS 613 (C.S. Qué. ; 2012-02-22), le juge Michaud.
38. « Le retard est la politesse des artistes » : André Maurois, Les roses de septembre
(Paris : Flammarion, 1956).
39. Toujours sans traits d’union.
CAHIERS DE PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE INC.
CONSEIL D’ADMINISTRATION
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Louise BERNIER, professeur
Responsable du Programme
Droit et Biotechnologies
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Laurent CARRIÈRE, avocat
Robic, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Jean-Nicolas DELAGE, avocat
Fasken Martineau,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Ejan MACKAAY,
professeur retraité
Faculté de droit,
Université de Montréal,
Montréal
Hélène MESSIER,
directrice générale COPIBEC
Montréal
Annie MORIN, avocate
Directrice de ArtistI
Montréal
Pierre-Emmanuel MOYSE,
professeur
Faculté de droit
Université McGill,
Montréal
Daniel PAUL, avocat
Vice-président des affaires
juridiques de CGI
Montréal
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
secrétaire trésorière
BCF, Montréal
Ghislain ROUSSEL,
président
avocat conseil
Montréal
Florence LUCAS, avocate
Gowling Lafleur Henderson,
Montréal
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Rédacteur en chef
Laurent CARRIÈRE
Rédactrice en chef adjointe
Florence LUCAS
Comité de rédaction et comité de lecture
Georges AZZARIA, professeur
Faculté de droit
Université Laval, Ste-Foy
Louise BERNIER, professeur
Responsable du Programme
Droit et Biotechnologies
Faculté de droit
Université de Sherbrooke
Laurent CARRIÈRE, avocat
Robic, Montréal
Vivianne DE KINDER, avocate
Montréal
Jean-Nicolas DELAGE, avocat
Fasken Martineau,
Montréal
Mistrale GOUDREAU, professeure
vice-présidente
Faculté de droit, droit civil,
Université d’Ottawa, Ottawa
Ejan MACKAAY,
professeur retraité
Faculté de droit,
Université de Montréal,
Montréal
Hélène MESSIER,
directrice générale COPIBEC
Montréal
Annie MORIN, avocate
Directrice de ArtistI
Montréal
Pierre-Emmanuel MOYSE,
professeur
Faculté de droit
Université McGill,
Montréal
Daniel PAUL, avocat
Vice-président des affaires
juridiques de CGI
Montréal
Marie-Josée LAPOINTE, avocate
secrétaire trésorière
BCF, Montréal
Ghislain ROUSSEL,
président
avocat conseil
Montréal
Florence LUCAS, avocate
Gowling Lafleur Henderson,
Montréal
Daniel URBAS, avocat
Borden Ladner Gervais,
Montréal
Comité exécutif de rédaction
Louise BERNIER
Laurent CARRIÈRE
Mistrale GOUDREAU
Florence LUCAS
Ghislain ROUSSEL
Comité éditorial international
Valérie Laure BENABOU
Directrice du M2 Droit des Nouvelles
Technologies de l’Information
et de la Communication
Faculté de droit et de science politique
Université de Versailles-SaintQuentin-en-Yvelines, France
Awad BASSEM
Al Ain Court
United Arab of Emirates
Jacques de WERRA
Professeur ordinaire de droit
des obligations et de droit de
la propriété intellectuelle
Faculté de droit
Université de Genève
Suisse
Paul Edward GELLER
Attorney at Law
Los Angeles, U.S.A.
Jane C. GINSBURG
Morton L. Janklow Professor of
Literary and Artistic Property Law
School of Law
Columbia University
New York, U.S.A.
Teresa GRZESZAK
Faculté de droit
Université de Varsovie
Pologne
Lucie GUIBAULT
Assistant professeur en propriété
intellectuelle
Instituut voor Informatierecht
Université d’Amsterdam
Pays-Bas
Jacques LABRUNIE, Ph.D
Gusmao Labrunie
Sao Paulo, Brésil
Fransumo LEE, avocat
Cabinet ORIGIN
Seoul, Corée du Sud
André LUCAS
Professeur, Faculté de droit
Université de Nantes
France
Stefan MARTIN
Commissaire
Office de l’harmonisation
dans le marché intérieur
Alicante, Espagne
Victor NABHAN
Président de l’ALAI international
Professeur étranger OMPI
France
Gianluca POJAGHI, avocat
Studio Legale Pojaghi
Milan, Italie
Antoon A. QUAEDVLIEG
Professeur
Faculté de droit
Université de Nimègue
Pays-Bas
Alain STROWEL
Avocat Covington & Burling LLP
Professeur, Facultés
Universitaires Saint-Louis
Bruxelles, Belgique
Paul L. C. TORREMANS
Professeur, School of Law
University of Nottingham
Grande-Bretagne
Silke von LEWINSKI, chercheur
Head of Department
European Copyright Law,
IP and Indigenous Heritage
Max-Planck-Institute for
Intellectual Property
Münich, Allemagne
Ghislain ROUSSEL
Avocat conseil
Secrétaire du comité
Montréal (Québec) Canada
TABLE DES MATIÈRES
L’emploi d’une marque de service par l’annonce :
une approche pratique
Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et
Olivier Tourangeau. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
Identifier et protéger la propriété intellectuelle dans les
vêtements et accessoires de mode au Canada
Laurent Carrière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Mémoire de l’Union des consommateurs sur le projet de loi C-11
Anthony Hémond . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Déclaration en vue d’une interprétation du « Test des trois
étapes » respectant les équilibres du droit d’auteur
Christophe Geiger, Jonathan Griffiths et Reto M. Hilty . . 147
Capsules
Vente sur une place de marché en ligne de produits
portant atteinte à des droits de marque – responsabilité de
l’exploitant de la place de marché – injonctions judiciaires
à l’exploitant
Alexandra Neri. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 157
Une brève histoire de l’avenir… de l’Organisation africaine
de la propriété intellectuelle (OAPI)
Laurier Yvon Ngombé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165
XV
XVI
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Comptes rendus
Access-Right: The Future Of Copyright Law
Olivier Charbonneau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 173
La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations
entre l’université et l’entreprise : pour une véritable
dynamique d’alliances stratégiques
Propriété intellectuelle et université – entre la libre
circulation des idées et la privatisation des savoirs
Université inc. – des mythes sur la hausse des frais de
scolarité et l'économie du savoir
Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 177
Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs
Ghislain Roussel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Vol. 24, nº 1
L’emploi d’une marque de
service par l’annonce :
une approche pratique
Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie
et Olivier Tourangeau*
1. « ANNONCE » : UNE DÉFINITION . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1 Dictionnaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2 Loi sur les marques de commerce . . . . . . . . . . . . . 5
1.2.1 Paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de
commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
1.2.2 Alinéa 5 b) de la Loi sur les marques de
commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
1.2.3 Paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de
commerce . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1.3 La jurisprudence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
© Christian Bolduc, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Tourangeau, 2012.
* Christian Bolduc est avocat associé au cabinet Smart & Biggar. Guillaume Lavoie
Ste-Marie et Olivier Tourangeau sont étudiants en droit au cabinet Smart &
Biggar.
1
2
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2. L’ANNONCE : CONDITIONS D’EMPLOI
D’UNE MARQUE DE SERVICE SOUS LE
PARAGRAPHE 4(2) DE LA LMC . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.1 L’annonce doit faire référence aux services . . . . . . . 10
2.2 L’annonce doit être communiquée aux
consommateurs canadiens . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2.3 Les services doivent pouvoir être exécutés au
Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
3. CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Au Canada, la notion d’emploi est au cœur du droit des
marques de commerce, qu’il s’agisse de l’acquisition des droits ou de
la mise en application de ceux-ci. Le paragraphe 4(2) de la Loi sur les
marques de commerce1 (ci-après « LMC ») établit ce que constitue
l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des services
(ci-après « marque de service »). Celui-ci diffère de ce que constitue
l’emploi d’une marque de commerce en liaison avec des marchandises et qui est prévu par le paragraphe 4(1). Le paragraphe 4(2) de
la LMC prévoit notamment qu’une marque de service est réputée
employée si elle est i) employée ou ii) montrée dans l’annonce ou
l’exécution de services2. Ce texte se penche sur les conditions à satisfaire pour qu’une marque soit réputée employée lorsque employée ou
montrée dans l’annonce de services. Puisque la loi est silencieuse sur
les exigences de cet aspect du paragraphe 4(2), il existe une certaine
ambiguïté entourant l’emploi des marques de service par l’annonce.
En effet, le terme « annonce » n’étant pas défini dans la LMC, il faut
se tourner vers la jurisprudence et le contexte dans lequel ce terme
est utilisé dans la LMC pour bien en comprendre le sens. De plus,
certaines conditions doivent être satisfaites afin que l’emploi d’une
marque de service par l’annonce de ces services se traduise en l’emploi réputé de la marque en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC.
Étant donnée l’importance de l’emploi d’une marque et des droits qui
en découlent, il est primordial pour son propriétaire de bien saisir le
concept « d’annonce » et de déterminer dans quels contextes sa
marque sera réputée employée.
1. « ANNONCE » : UNE DÉFINITION
Plusieurs sources peuvent être utiles afin de clairement définir
le terme « annonce » tel qu’employé au paragraphe 4(2) de la LMC,
dont notamment les dictionnaires de langues française et anglaise,
qui définissent le terme tel qu’utilisé couramment ; les différents
articles de la LMC où le terme est utilisé ; la doctrine, qui pourra
1. Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 [ci-après « LMC »].
2. LMC, supra note 1, para. 4(2).
3
4
Les Cahiers de propriété intellectuelle
éclaircir certaines ambiguïtés ; et la jurisprudence, où les articles
pertinents de la LMC sont appliqués en espèce.
1.1 Dictionnaires
Lorsqu’un terme n’est pas défini à même la loi où il est utilisé,
l’outil par excellence pour définir ce terme est le dictionnaire, qui
indique le sens courant d’un terme3. Le Petit Larousse Illustré donne
la définition suivante du terme « annonce » :
Annonce :
– Action d’annoncer quelque chose, de le faire connaître.
– Ce qui laisse prévoir un événement ; indice précurseur.
– Avis par lequel on fait savoir quelque chose au public et,
en particulier, message publicitaire en faveur d’un produit
inséré dans les journaux, dit à la radio ou montré à la télévision.4
alors que le Shorter Oxford English Dictionary donne la définition de son équivalent dans la version anglaise du paragraphe 4(2)
de la LMC :
Advertise :
– To call to the attention of (another); to notify, admonish, or
formally warn.
– To give notice of, make generally known; to make publicly
known, by announcement in a journal, by circular, etc.5
Notons que malgré la mention de « produit » dans la définition
française, celle-ci demeure néanmoins utile dans l’interprétation de
la LMC dans un contexte d’annonce de services. Selon ces défini3. À ce sujet, l’auteur Pierre-André Côté mentionne : « Le juge est censé connaître le
sens courant des mots. Il est néanmoins pratique très courante de se référer aux
dictionnaires de langue qui ont pour fonction de rendre compte des usages linguistiques d’une communauté à un moment donné. » CÔTÉ (Pierre-André), Interprétation des Lois, 3e éd., (Montréal : Thémis, 1999), à la page 331.Voir aussi Hutt c.
La Reine [1978] 2 R.C.S. 476 (C.S.C.), le juge Spence à la p. 481.
4. Collectif, Le Petit Larousse Illustré 2011 (Paris : Larousse, 2010).
5. Collectif, Shorter Oxford English Dictionary, 3e éd., (Oxford : OUP).
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
5
tions, nous constatons que « l’annonce » implique une certaine communication, soit de faire connaître quelque chose, de le faire savoir
au public. Le moyen par lequel le public est avisé ne semble pas être
un élément déterminant, bien que les journaux, la radio, la télévision et les circulaires soient mentionnés comme étant des médias
acceptables.
1.2 Loi sur les marques de commerce
Étant donnée l’absence de définition du terme « annonce » dans
la LMC, il est utile de se tourner vers les différents articles de la loi
dans lesquels le terme est utilisé afin de bien en cerner le sens. En
effet, « (d)onner aux mêmes mots le même sens dans l’ensemble
d’une loi est un principe de base en matière d’interprétation des
lois. »6. Une définition du terme « annonce » devra donc être constante et bien applicable à chaque instance de son utilisation dans la
LMC, et chaque indice quant à son sens nous aidera à donner une
définition générale au terme.
1.2.1 Paragraphe 4(2) de la Loi sur les marques de
commerce
4.(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison
avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.
Comme nous l’avons mentionné plus haut, le paragraphe 4(2)
de la LMC établit les conditions d’emploi d’une marque de service. Il
est intéressant de noter la logique circulaire de cet article : une
marque de service est employée si elle est employée, entre autres,
dans l’annonce de ces services. Lu de manière distincte, cet article
donne donc une définition d’emploi qui dépend d’elle-même, puisqu’il
faudrait d’abord savoir de quelle façon une marque de service peut
être employée afin de déterminer si cette même marque est réputée
employée sous le paragraphe 4(2).
À ce stade, il est important de distinguer l’emploi d’une marque
de commerce dans l’annonce de service et l’emploi d’une marque au
sens de la définition « d’emploi » de l’article 2. La marque de service
6. R c. Zeolkowski, [1989] 1 R.C.S. 1378 (C.S.C.), le juge Sopinka au para. 19 [ci-après
Zeolkowski].
6
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sera réputée employée au sens de l’article 2 si elle est montrée ou
employée, entre autres, dans l’annonce de ces services. Puisque le
paragraphe 4(2) crée une distinction entre les termes « employée » et
« montrée » dans un contexte d’annonce, il s’ensuit qu’il est possible
« d’annoncer » sans montrer la marque. Cette section du texte a pour
but d’établir dans quel contexte une marque de service peut être
« employée ou montrée […] dans l’annonce de ces services », alors que
la section suivante se penche sur les conditions à satisfaire pour
qu’une marque employée ou montrée dans l’annonce de services soit
réputée employée sous le paragraphe 4(2) de la LMC et selon la définition « d’emploi » sise à l’article 2 de la LMC.
Par ailleurs, un des critères d’emploi énoncés au paragraphe 4(2)
nous donne un indice important : une marque de service peut être
montrée dans l’annonce de ces services. Nous savons donc que l’annonce peut avoir un aspect visuel.
1.2.2 Alinéa 5 b) de la Loi sur les marques de commerce
5. Une personne est réputée faire connaître une marque de
commerce au Canada seulement si elle l’emploie dans un pays
de l’Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas :
a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec cette
marque au Canada ;
b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec
cette marque :
(i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce
parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,
(ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées
au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces
marchandises ou services, et si la marque est bien connue
au Canada par suite de cette distribution ou annonce.
Alors que le paragraphe 4(2) de la LMC indique que le terme
« annonce » peut avoir un aspect visuel, on remarque ici que l’application de l’alinéa 5 b) de la LMC est restreinte aux annonces prenant la
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
7
forme de publications imprimées et d’émissions de radio7. Cet article
nous permet d’étoffer notre définition du terme « annonce » au sens
de la LMC en confirmant qu’aux yeux de la loi, il est possible « d’annoncer » dans ces deux médias.
1.2.3 Paragraphe 20(1) de la Loi sur les marques de
commerce
20. (1) Le droit du propriétaire d’une marque de commerce
déposée à l’emploi exclusif de cette dernière est réputé être
violé par une personne non admise à l’employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises
ou services en liaison avec une marque de commerce ou un
nom commercial créant de la confusion. Toutefois, aucun enregistrement d’une marque de commerce ne peut empêcher une
personne :
a) d’utiliser de bonne foi son nom personnel comme nom commercial ;
b) d’employer de bonne foi, autrement qu’à titre de marque de
commerce :
(i) soit le nom géographique de son siège d’affaires,
(ii) soit toute description exacte du genre ou de la qualité de
ses marchandises ou services, d’une manière non susceptible d’entraîner la diminution de la valeur de l’achalandage
attaché à la marque de commerce.
Puisque ce texte n’a pas pour objectif une analyse poussée du
concept de violation d’une marque de commerce, notons simplement que le paragraphe 20(1) nous permet d’élaborer une définition
encore plus précise du terme « annonce ». En effet, l’article énumère
la vente, la distribution et l’annonce comme étant des actions distinctes. Nous savons donc qu’il peut y avoir annonce sans vente ou
distribution.
7. Il est bien établi dans la jurisprudence qu’une marque qui est annoncée d’une autre
façon que celles mentionnées à l’alinéa 5 b) ne permet pas d’établir que la marque
est bien connue au Canada en vertu de l’article 5 de la LMC. Voir Williams Companies Inc. c. William Tel Ltd. (1999), 4 C.P.R. (4d) 253 (C.F.P.I.) ; Valle’s Steak House
c. Tessier (1980), 49 C.P.R. (2d) 218 (C.F.P.I.) ; Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd.
(1981), 56 C.P.R. 44 (C.F.P.I.).
8
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.3 La jurisprudence
Suite à cette interprétation de « l’annonce » dans la LMC, et
considérant le sens courant du terme, nous savons maintenant que
l’annonce peut prendre plusieurs formes. De son côté, la jurisprudence nous donne des exemples concrets d’annonces pouvant mener
à un emploi réputé sous le paragraphe 4(2) de la LMC. Bien que les
diverses formes de communication ayant fait l’objet d’une analyse
par le registraire ou les tribunaux soient normalement étudiées au
cas par cas, les exemples suivants restent utiles en démontrant
la grande variété de médias pouvant servir à faire l’annonce de
services.
D’abord, les médias plus traditionnels mentionnés dans la troisième définition du dictionnaire Larousse8 peuvent être utilisés pour
« annoncer » au sens de la LMC. Ainsi, dans l’arrêt Anissimoff &
Associates c. Stentor Resource Centre Inc.9, la Commission des oppositions a jugé que l’emploi de la marque ADVANTAGE dans des
publicités publiées dans des magazines et des journaux, diffusées à
la radio et montrées à la télévision se qualifiaient comme « annonce »
au sens de la LMC10.
Les nouvelles technologies peuvent aussi servir à faire « l’annonce » de services. Par exemple, un propriétaire de marque de service peut faire l’annonce de ces services sur son propre site Internet11
ou en faisant la promotion des services sur l’Internet en général12.
Finalement, il est aussi possible « d’annoncer » en distribuant
différents types de documents à des clients potentiels : la distribution de cartes d’affaires13, de dépliants d’information14 et de prospec8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
Supra, note 4.
(2004), 38 C.P.R. (4th) 573 (C.O.M.C.) l’agente d’audience Savard [ci-après Anissimoff & Associate].
Ibid aux paras. 6 et 9.
Cogan c. EMusic.com Inc. (2001), 92 C.P.R. (4th) 345 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Flewelling ; Law Office of Philip B. Kerr c. Face Stockholm Ltd. (2001), 16
C.P.R. (4th) 105 ; Grafton-Fraser Inc. c. Harvey Nichols and Co. (2010), 89 C.P.R.
(4th) 394 ; McCarthy Tetrault c. AutoZone Parts Inc. [2011] C.O.M.C. 73.
Anissimoff & Associate, supra note 9 au para. 6.
Norman M. Cameron Law Corp. c. CMS Cameron McKenna LLP 2009 CarswellNat 5044 (C.O.M.C.), l’agente d’audience Sprung au para. 35 ; Brouillette Kosie
Prince c. Great Harvest Franchising Inc. 2008 CarswellNat 364 (C.O.M.C.),
l’agente d’audience Sprung aux paras. 11-12, confirmé 2009 CF 48 (C.F.), le juge
Beaudry [ci-après Great Harvest Franchising Inc.].
Brouillette Kosie Prince c. Great Harvest Franchising Inc. 2008 CarswellNat 362
(C.O.M.C.), l’agente d’audience Sprung aux paras. 7 et 10, confirmé 2009 CF 48
(C.F.), le juge Beaudry.
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
9
tus15 peuvent constituer des formes valides d’annonces. Il faut noter
qu’il n’est pas certain si l’emploi de la marque de service dans un
annuaire pourrait aussi être qualifié d’« annonce »16.
Suite au survol de ces différentes sources, nous pouvons maintenant donner une définition – du moins provisoire – au terme
« annonce » tel qu’utilisé dans la LMC. L’annonce est une communication dirigée vers le public qui peut prendre plusieurs formes : elle
peut avoir un aspect visuel (montrée à la télévision), un aspect auditif (diffusée à la radio), ou être publiée (dans les journaux, par
exemple). Comme la jurisprudence l’indique, cette liste n’est pas
exhaustive. En effet, il semble que la fonction de l’annonce, soit d’aviser le public, prenne préséance sur une liste fermée de médias acceptables. Il importe donc au propriétaire d’une marque de service
d’adapter ses efforts promotionnels afin de s’assurer de gagner l’attention du public. De plus, l’annonce se distingue de la vente et de la
distribution : elle peut donc être communiquée à un moment différent de celui où le service est exécuté, ce qui est conforme à la jurisprudence17.
2. L’ANNONCE : CONDITIONS D’EMPLOI D’UNE
MARQUE DE SERVICE SOUS LE PARAGRAPHE 4(2)
DE LA LMC
La jurisprudence, appliquant le paragraphe 4(2) de la LMC
dans un contexte d’annonce de service, n’élabore pas sur une définition du terme « annonce ». Par contre, un examen de ces décisions
nous permettra d’établir dans quelles situations une annonce satisfera les conditions du paragraphe 4(2) de la LMC. À cet effet, les
tribunaux ont élaboré les conditions suivantes, qui devront être
respectées afin qu’une annonce constitue un emploi réputé d’une
marque de service.
15. Great Harvest Franchising Inc, supra note 13.
16. Il a été jugé dans certaines décisions qu’un tel emploi pouvait être qualifié
d’« annonce », par exemple dans Great Harvest Franchising Inc, supra note 13 et
Lapointe, Rosenstein c. Bum Wrap Clothing Store (1995), 63 C.P.R. (3d) 564
(C.O.M.C.) [ci-après Bum Wrap Clothing Store]. Par contre, la Cour fédérale a
jugé que l’emploi de la marque dans un annuaire qui ne donne que de l’information sur le moyen de contacter l’entreprise n’équivaut pas à une annonce et un
emploi de la marque : Salam Toronto Publications c. Salam Toronto Inc. 2009 FC
24 (C.F.) la juge Simpson au para. 41. À ce sujet, voir aussi la section 2.1 de ce
texte.
17. Voir par exemple Dynaturf Co., infra note 34, où le registraire a jugé qu’une
annonce peut mener à l’emploi d’une marque de service avant même que le service n’ait été exécuté au Canada.
10
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.1 L’annonce doit faire référence aux services
La première condition à satisfaire pour qu’une annonce constitue l’emploi d’une marque de service dicte que l’annonce dans
laquelle la marque est employée ou montrée doive faire référence
aux services offerts.
Il est possible de tirer cette condition du paragraphe 4 (2) de
la LMC directement. En effet, l’article énonce clairement que la
marque doive être employée ou montrée, inter alia, dans « l’annonce
de ces services », et non dans l’annonce de la marque seule. Le simple
fait d’annoncer une marque de service ne constitue donc pas un
emploi de la marque en liaison avec des services, à moins qu’un
consommateur puisse associer la marque de commerce aux services
en question.
À ce jour, les tribunaux ont accepté plusieurs façons d’associer
une marque de service aux services offerts : placer la description des
services dans le même cadre que celui où la marque est montrée dans
l’annonce constitue la façon la plus directe.
Par exemple, la distribution de cartes d’affaires pourra constituer une annonce réputée être l’emploi d’une marque de commerce si
les services y sont mentionnés ou décrits18.
L’association entre la marque de commerce et les services qui y
sont rattachés peut également se faire de façon moins directe. Dans
l’affaire Lapointe, Rosenstein c. Bum Wrap Clothing Store19, le propriétaire de l’enregistrement de la marque THE BUM WRAP devait
prouver, dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 45 de la
LMC, l’emploi de la marque en association avec des services d’opération d’un magasin de vêtements. Une page de bottin téléphonique
sur laquelle figurait la marque de commerce, déposée en preuve par
le propriétaire de la marque, a été reconnue comme une annonce
valide sous le paragraphe 4(2) de la LMC. En effet, puisque la
marque de commerce était placée sous la section « vêtements » du
bottin, il a été accepté que le consommateur puisse associer la
marque au service offert.
18. Gowling Lafleur Henderson LLP c. Wall [2011] T.M.O.B. 75. (C.O.M.C.).
19. Bum Wrap Clothing Store, supra note 16.
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
11
L’affaire Sim & McBurney c. Dieppe Insurance Brokers Ltd20.
offre un exemple d’association encore moins directe entre la marque
de commerce et la description des services. Dans cette affaire, la
Commission des oppositions devait décider si la présence de la
marque de service sur la première page d’une présentation sur projecteur était une forme valide d’annonce et d’emploi de la marque de
commerce. La présentation en question avait pour but de faire
connaître à des clients potentiels les services offerts en association
avec la marque de service. Même si la description des services n’apparaissait pas directement à côté de la marque, il a été jugé que les
clients potentiels qui assistaient à la présentation pouvaient associer la marque placée sur la première page aux services décrits dans
le reste de la présentation. Il ne semble donc pas nécessaire que
l’association de la marque annoncée aux consommateurs et la description des services offerts en liaison avec la marque doive être
simultanée pour conclure à l’emploi de la marque : elles peuvent être
en deux temps.
Notons que le fait de montrer la marque de commerce sur un
site Internet sur lequel les services sont décrits pourra également
être reconnu comme un emploi d’une marque de commerce en liaison
avec ces services21, mais que le simple fait d’enregistrer un nom de
domaine contenant la marque de service ne sera pas considéré
comme étant un emploi de la marque22.
Enfin, il semble qu’une description de services faisant partie de
la marque même ne sera pas suffisante pour satisfaire la condition
d’association entre la marque et les services offerts. Dans l’affaire
J.L. Duval, Ltée v. Extra Foods Ltd.23, le propriétaire de la marque
EXTRA FOODS & Design en association avec des services d’opération de magasins d’alimentation a mis en preuve des photographies
de deux magasins sur lesquels la marque était affichée en réponse à
un avis envoyé sous l’article 45 de la LMC. Puisqu’il n’était pas possible de déterminer la nature des services offerts dans les magasins à
partir des photographies, la Commission des oppositions a jugé qu’il
n’était pas possible d’associer la marque telle qu’employée aux ser20. Sim & McBurney c. Dieppe Insurance Brokers Ltd. [1997] T.M.O.B. 191 (C.O.M.C.).
21. Law Office of Philip B. Kerr c. Face Stockholm Ltd. (2001), 16 C.P.R. (4d) 105 ;
Grafton-Fraser Inc. c. Harvey Nichols and Co. (2010), 89 C.P.R. (4th) 394 ;
McCarthy Tetrault c. AutoZone Parts Inc. [2011] C.O.M.C. 73.
22. Modis Inc. c. Modis Communications Inc. 2004 CarswellNat 4627 (C.O.M.C.),
l’agente d’audience Bradbury au para. 26.
23. (1994), 55 C.P.R. (3d) 565 (C.O.M.C.), le président Partington (ci-après « Extra
Foods »).
12
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vices offerts, et a par conséquent radié la marque du registre. À ce
sujet, la Commission écrit :
While it might be inferred from the trade mark EXTRA FOODS
& Design that the nature of the registrant’s business would
relate to food products, such a matter should not be left to inference on the part of the Registrar.24
[les italiques sont nôtres]
Notons par contre que la preuve au dossier semble avoir été
déficiente puisque l’affidavit soumis par le titulaire ne mentionnait
pas le type de service offert dans les magasins photographiés. De
plus, le titulaire aurait vraisemblablement pu tenter de démontrer
que la marque était montrée dans l’exécution des services, mais il a
choisi de ne soumettre aucune argumentation écrite. Par contre, il
semble clair que les magasins apparaissant sur les photos en annexe
de l’affidavit soumis par le titulaire soient des magasins d’alimentation : on voit sur l’une des photographies une longue file de paniers
d’épicerie, alors qu’on aperçoit un homme portant un sac d’épicerie
sur une autre25. Il faut alors se demander pourquoi la Commission
écrit : « Neither of the photographs provided by Mr. Jerczynski
indentifies the type of retail business shown in the photographs. »26.
Bien que la Commission semble d’avis qu’une inférence quant à la
nature des services ne puisse pas être tirée directement des termes
utilisés dans une marque, il semble que la piètre défense du titulaire
et l’apparente réticence de la Commission à reconnaître la nature de
magasins sur des photographies qui identifient clairement celle-ci
aient joué un rôle important dans la radiation de la marque.
Essentiellement, donc, cette première condition exige qu’un
lien entre la marque et les services offerts soit créé dans l’esprit du
consommateur. Les moyens d’arriver à cette fin vont d’une présentation directe et simultanée de la marque et de la description des services à une présentation en séquence, mais une marque descriptive
au point de rendre possible une inférence du type de service offert
pourrait ne pas être suffisante. Malgré tout, et sans vouloir vanter les mérites des marques descriptives, les auteurs de ce texte
croient que l’annonce d’une marque qui mentionne sans équivoque le
nom des services tels qu’ils apparaissent sur l’enregistrement de la
marque satisfera cette condition étant donné le lien évident entre la
24. Ibid à la p. 567.
25. Exhibit 3 à l’affidavit de John Jerzynski signé le 22 juin 1992.
26. Extra Foods, supra, note 23 à la p. 567.
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
13
marque et les services. Puisque « l’annonce » est un concept large et
qu’il existe donc plusieurs moyens d’annoncer une marque, les tribunaux tendent à examiner la question au cas par cas27.
2.2 L’annonce doit être communiquée aux consommateurs
canadiens
Pour que la marque de commerce soit réputée employée en liaison avec des services, l’annonce dans laquelle la marque est montrée
ou employée doit avoir été communiquée aux consommateurs au
Canada28.
Cette condition découle de la définition même du terme
« annonce » puisque, comme mentionné précédemment, le fait d’annoncer implique de faire connaître quelque chose, de le faire savoir
au public. Si l’annonce de la marque de service n’est pas communiquée aux consommateurs canadiens, on ne peut donc pas la considérer employée.
Dans la décision Cornerstone Securities Canada Inc. c. Canada 29, le propriétaire de l’enregistrement pour la marque CORNERSTONE & Design devait prouver l’emploi de sa marque en
liaison avec des services d’investissement en raison d’une procédure
sous l’article 45 de la LMC. Le propriétaire de l’enregistrement a
déposé en preuve des annonces préparées pour être envoyées par
télécopieur à des clients potentiels, ainsi qu’une publicité rédigée par
une autre entreprise dans le but d’être publiée dans les journaux.
Bien que la Cour fédérale ait reconnu l’existence de certains de ces
documents, elle est arrivée à la conclusion que la marque de service
n’avait pas été employée en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC. En
effet, Cornerstone Securities Canada Inc. n’a fourni aucune preuve
démontrant que les annonces avaient réellement été communiquées
par télécopieur aux clients potentiels ou publiées dans les journaux.
Aux fins du paragraphe 4(2) de la LMC, il n’est donc pas suffisant
que l’annonce existe : elle doit aussi être portée à l’attention des
consommateurs canadiens.
27. GILL (A. Kelly) et al., Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2003), à la p. 3-62.
28. Cornerstone Securities Canada Inc. c. Canada (1994), 58 C.P.R. (3d) 417 (C.F.)
[ci-après « Cornerstone Securities »] ; Fox on Canadian Law of Trade-marks and
Unfair Competition, supra note 27, à la p. 3-65, où les auteurs écrivent : « Another
important consideration relating to use with services is the requirement that the
mark is displayed in the performance or advertising of services in Canada […] »
(italiques dans le texte).
29. Cornerstone Securities, supra note 28.
14
Les Cahiers de propriété intellectuelle
De plus, comme mentionné précédemment, l’annonce de la
marque de service sur le site Internet d’une entreprise peut constituer un emploi de celle-ci30. Il existe toutefois une ambiguïté à savoir
s’il est nécessaire, en vertu du paragraphe 4(2) de la LMC, de prouver que des Canadiens ont visité le site Internet ou si le simple fait
que le site soit accessible à partir du Canada soit suffisant. Dans certaines décisions, il a été mis en preuve que des personnes se trouvant
au Canada avaient visionné la page Internet sur laquelle se trouvait
la marque de service31. Cependant, il a été jugé, dans au moins une
décision, que l’annonce d’une marque de service sur un site Internet
constituait l’emploi de cette marque sans que le juge n’ait indiqué s’il
y avait au dossier une preuve démontrant que des consommateurs
canadiens avaient visité le site32. Notons qu’il soit possible que le
juge ait inféré que des consommateurs canadiens avaient visité le
site du simple fait que celui-ci était en ligne. Il serait sans doute tout
de même plus prudent pour le propriétaire d’une marque de s’assurer que des consommateurs canadiens ont visité le site puisque,
comme mentionné précédemment, « l’annonce » suppose qu’un avis a
été donné aux consommateurs.
2.3 Les services doivent pouvoir être exécutés au Canada
Finalement, la simple annonce d’une marque de service et son
association aux services offerts ne sera pas suffisante pour établir
son emploi. En effet, les services associés à la marque annoncée
doivent être disponibles au Canada. Bien que cette exigence ne ressorte pas clairement du texte du paragraphe 4(2) de la LMC, la jurisprudence est claire sur la question : le propriétaire d’une marque de
service devra s’assurer d’avoir la capacité de desservir les consommateurs canadiens au Canada s’il désire obtenir la protection que lui
confère l’emploi de sa marque.
En premier lieu, il a été établi dans la décision Porter c. Don the
Beachcomber33 que les services auxquels la marque est associée
doivent avoir été exécutés au Canada pour que la marque soit
réputée employée. Dans cette affaire, l’intimé, qui opérait un restaurant aux États-Unis, a reçu un avis du registraire en vertu de l’article 44 de la LMC (maintenant l’article 45 de la LMC) lui demandant
de fournir une preuve d’emploi de sa marque de service DON THE
30. Supra note 21.
31. McCarty Tétrault c. Lawyers Without Borders Inc. (2010), 87 C.P.R. (4th) 437.
32. Deutsche Telekom AG c. TVI Interactive Systems Inc. 1999 CarswellNat 3521
(C.O.M.C.), l’agent d’audience Herzig aux paras. 6-7.
33. Porter c. Don the Beachcomber (1966), 48 C.P.R. 280 (C. d’É.) [ci-après « Porter »].
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
15
BEACHCOMBER afin d’éviter qu’elle ne soit radiée du registre des
marques de commerce. L’intimé a alors mis en preuve des publicités
qui avaient circulé au Canada sur lesquelles figurait la marque de
service, mais n’a fourni aucune preuve de l’exécution de ces services
au Canada. Le registraire a tout de même conclu qu’il s’agissait d’un
emploi de la marque de service suffisant pour que celle-ci ne soit pas
radiée du registre. Porter a par la suite porté cette décision en appel
à la Cour de l’Échiquier du Canada, qui renversa la décision du registraire. Le juge Thurlow en est venu à cette décision en concluant que
deux éléments distincts sont nécessaires pour constituer « l’emploi »
d’une marque de services : les services eux-mêmes, qui seront distingués d’autres services grâce à la marque, ainsi que l’emploi de la
marque dans l’exécution ou l’annonce de ces services. Comme les services n’avaient pas été exécutés au Canada dans le cas en espèce, le
juge Thurlow conclut qu’il n’y avait pas d’emploi de la marque de service au Canada au sens de l’article 44(3) de la LMC et ordonna sa
radiation du registre.
Il a ensuite été confirmé, notamment dans l’affaire Wenward
(Canada) Ltd. c. Dynaturf Co.34, que les principes énoncés par le juge
Thurlow concernant les conditions à satisfaire pour conclure à l’emploi d’une marque de service sont d’application générale35. De plus,
étant donné les faits différents en l’espèce, le registraire dans Dynaturf a légèrement modifié les conditions de Porter pour tenir compte
des situations où un fournisseur de services étranger ne les a pas
exécutés au Canada, mais en a la capacité. Dans cette affaire, la compagnie Dynaturf avait déposé une demande d’enregistrement de
marque en association avec des services de construction et de réparation de terrains de tennis sur la base d’un emploi au Canada
depuis décembre 1969. Wenward s’est opposé à l’enregistrement de
la marque en évoquant, entre autres, que la marque DYNATURF
n’avait pas été employée au Canada par la requérante, citant à
cet effet la décision Porter36. En effet, Dynaturf avait annoncé sa
marque et ses services au Canada dès l’automne 1969, mais n’avait
jamais exécuté ses services sur le territoire canadien. Le registraire
nota par contre une distinction importante entre les faits en l’espèce
et ceux établis dans Porter : alors que les services de restauration
associés à la marque DON THE BEACHCOMBER ne pouvaient pas
être exécutés hors du lieu physique du restaurant, la requérante en
espèce avait la capacité d’exécuter ses services à l’étranger puisque
34. Wenward (Canada) Ltd. c. Dynaturf Co. (1976), 28 C.P.R. (2d) 20 (C.O.M.C.)
[ci-après « Dynaturf Co. »].
35. Dynaturf Co., ibid. à la p. 25.
36. Porter, supra note 33.
16
Les Cahiers de propriété intellectuelle
la nature même de ceux-ci requérait un déplacement. Le registraire
a donc conclu que la première condition d’emploi d’une marque de
service – soit l’exécution des services – sera satisfaite s’il est possible
de les exécuter au Canada.
Ce développement pourra avoir d’importantes conséquences
dans l’industrie du commerce électronique. En effet, comme le démontre la décision récente McCarthy Tetrault v. AutoZone Parts
Inc.37, il est maintenant possible pour un fournisseur de services installé à l’étranger d’obtenir la protection conférée par une marque de
service s’il fait l’annonce sur l’Internet de services disponibles aux
consommateurs canadiens. Dans cette décision, AutoZone Parts Inc.,
le propriétaire de l’enregistrement de la marque GET IN THE ZONE
en liaison avec des services de vente de pièces automobiles, a dû
démontrer l’emploi de sa marque de service en réponse à un avis du
registraire envoyé en vertu de l’article 45 de la LMC. AutoZone Parts
Inc. possède seulement des magasins aux États-Unis, mais maintient également un site Internet sur lequel il est possible d’acheter
des pièces automobiles. Le site Internet permet, entre autres, aux
consommateurs canadiens d’obtenir de l’information au sujet des différentes pièces et de les commander par téléphone, après quoi les
pièces sont livrées directement à l’adresse du consommateur au
Canada. En concluant que ces activités constituent un emploi de
la marque de service au Canada, la Commission des oppositions
mentionne :
Cependant, l’Inscrivante n’a pas besoin d’avoir un point de
vente au Canada pour respecter les exigences en matière d’emploi en liaison avec les services en vertu du paragraphe 4(2) de
la Loi. Il suffit pour établir l’« emploi » que les services soient
« fournis sans que les clients canadiens aient à quitter le
Canada » et que la marque de commerce soit employée en liaison avec lesdits services.38
Il est donc possible pour une entreprise étrangère offrant
des services depuis l’extérieur du Canada d’établir l’emploi d’une
37. (2011), 93 C.P.R. (4th) 322 (T.M.O.B.), l’agente d’audience Barnett [ci-après
« AutoZone »].
38. AutoZone, supra note 37 au para. 9, citant Saks & Co. c. Canada (Registrar
of Trade Marks) (1989), 24 C.P.R. (3d) 49 (C.F.P.I.) ; Bedwell Management Systems Inc. c. Mayflower Transit, Inc. (1999), 2 C.P.R. (4th) 543 (C.O.M.C.) ; et
Venice Simplon-Orient-Express, Inc. c. Société Nationale des Chemins de fer
Français SNCF (2000), 9 C.P.R. (4th) 443 (C.F.P.I.), confirmant 64 C.P.R. (3d) 87
(C.O.M.C.).
L’emploi d’une marque de service par l’annonce
17
marque de service s’il est possible pour un consommateur canadien
de recevoir le service sans quitter le pays.
3. CONCLUSION
Afin de se prévaloir des droits qui découlent de l’emploi d’une
marque de service, il sera utile pour son propriétaire d’utiliser les
conditions établies par la jurisprudence comme ligne directrice d’une
stratégie de promotion et de publicité afin que la publicité et la promotion d’une marque de service soient réputées un emploi de celle-ci.
Pour ce faire, il est fondamental de distinguer l’emploi d’une marque
de service dans l’annonce de ces services de l’emploi réputé d’une
marque de service au sens du paragraphe 4(2) de la LMC. En effet, il
semble que l’emploi de la marque de service dans l’annonce de service ne soit que la première étape à franchir pour établir l’emploi
réputé d’une marque de service au sens du paragraphe 4(2) : il faudra par la suite s’assurer que cette annonce satisfasse les trois
conditions énumérées plus haut.
De plus, l’annonce est un concept large aux yeux de la loi, et une
approche fonctionnelle semble prévaloir sur une définition stricte du
terme. En effet, bien que certains médias soient explicitement mentionnés dans différents articles de la LMC, ceux-ci ne semblent pas
être déterminants. Retenons plutôt que la fonction principale de
l’annonce devra être d’aviser le public d’un lien entre une marque de
service et les services offerts.
Enfin, le service offert prend une place d’importance égale à
celle de l’annonce dans l’emploi d’une marque de service. Alors que
les deux premières conditions s’appliquent à la forme et à la communication de l’annonce, la troisième concerne la disponibilité et l’exécution des services. L’emploi d’une marque de service ne dépend
donc pas uniquement d’un effort promotionnel, mais aussi d’une
activité, ou du moins d’une capacité, opérationnelle canadienne.
*
Vol. 24, nº 1
Identifier et protéger la propriété
intellectuelle dans les vêtements et
accessoires de mode au Canada
Laurent Carrière*
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21
1. LOIS SUR LES DESSINS INDUSTRIELS
(L.R.C. 1985, C. I-9) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
1.1
Qu’est-ce que c’est ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
1.2
En pratique qu’est-ce qui pourra donc être protégé ? . . . 29
1.3
Les limites du dessin industriel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
1.4
Qui est propriétaire? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
1.5
Nature des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2. LOI SUR LE DROIT D’AUTEUR (L.R.C. 1985, C. C-42) . . . . 46
2.1
Pas de protection pour les idées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
© CIPS, 2012.
* Avocat et agent de marques de commerce, Laurent Carrière est l’un des associés principaux de ROBIC, S.E.N.C.R.L., un cabinet multidisciplinaire d’avocats
et d’agents de brevets et de marques de commerce. Notes pour une allocution
initialement présentée le 2011-09-09 lors du colloque « La mode sort ses griffes –
Protecting Fashionable Intangibles » organisé par L’ALAI (Canada) dans le cadre
de la Semaine de la mode.
19
20
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.2
Types d’œuvres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
2.3
L’originalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
2.4
Qui est l’auteur ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.5
Qui est le propriétaire ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
2.6
La protection du droit d’auteur et l’enregistrement . . . 52
2.7
Nature des droits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
2.8
L’exception de non-violation et les exceptions
à cette exception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3. LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE
(L.R.C. 1985, C. T-13) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.1
Qu’est-ce qu’une marque ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.2
En quoi peut consister une marque . . . . . . . . . . . . . . . . 62
3.3
Les formes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
3.4
Qu’est-ce qui n’est pas une marque ? . . . . . . . . . . . . . . 104
3.5
Des droits qui naissent de l’emploi . . . . . . . . . . . . . . . 106
3.6
Ce qui est enregistrable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
3.7
Propriétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
4. LOI SUR LES BREVETS (L.R.C. 1985, C. P-4). . . . . . . . . . . 108
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
Vol. 24, nº 1
Identifier et protéger la propriété
intellectuelle dans les vêtements et
accessoires de mode au Canada
Laurent Carrière
« L’année prochaine, je travaillerai dans la
haute couture »
dit Arthur à Marie-Julie
– Louis Garrel (réalisateur), Petit tailleur (2010)
INTRODUCTION
J’aurais voulu amorcer cette présentation de façon multimédia.
Par exemple, un extrait musical de
• Fashion, le hit de David Bowie (« Scary Monsters (and Super
Creeps) », 1980) ou encore
• Les talons hauts de Robert Charlebois (« J’taime comme un fou »,
1983) ou, pourquoi, pas
• À la droite de Dior d’Alain Chamfort (« Une vie Saint Laurent »,
2010).
Je vous rassure : c’est sans difficulté que j’ai résisté à un
• Addidas de Run-DMC (« Raising Hell », 1986) car il est bien tôt le
matin pour du rap ! ou au
21
22
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• Fashion de Lady Gaga (« Confessions of a Shopaholic », 2009) car,
en ce cas, c’est ma crédibilité/bon goût qui aurait pu en prendre
un sérieux coup.
En guise d’introduction cinématographique, j’aurais pu procéder à un visionnement
• de Prêt-à-porter, le film de Richard Altman (1994) ou même
• de Le diable s’habille en Prada de David Frankel (The Devil Wears
Prada, 2006), ou, qui sait
• du Petit tailleur, le court métrage trop peu connu de Louis Garrel
(2010) ou encore
• Brave Little Tailor, le court métrage d’animation (en Technicolor,
s’il-vous-plaît) de Walt Disney (1938) réalisé par Bill Robert et
mettant en vedette Mickey Mouse (mais même un p’tit 8 minutes
et 21 secondes c’est malheureusement trop long dans le contexte
de cette allocution)
• d’une sélection de bandes-annonces de films portant sur la mode
et son milieu
• mais certainement pas de Knock Off (1998), ce navet du réalisateur hongkongais Tsui Hark mettant en vedette Jean Claude Van
Damme dans le rôle d’un créateur de mode qui doit faire cause
commune avec un agent de la C.I.A. pour combattre des terroristes.
Et, dans le domaine de la télévision, faire référence à
• What Not To Wear (version américaine sur TLC animé depuis
2003 par Stacy London et Clinton Kelly)
• Say Yes to the Dress (toujours sur TLC, immense plogue publicitaire depuis 2007 pour le magasin de robes de mariées newyorkais Kleinfield Bridal)
• Ladette to Lady (la série anglaise au nom évocateur sur ITV depuis 2005) ou encore
• aux défunts The Fashionista Diaries (ABC, 2007) et Launch My
Line (Bravo, 2009-2010)
Propriété intellectuelle dans les vêtements
23
Sans compter les comedy drama Ugly Betty (2006-2010), Sex in
the City (1998-2004) et How to Make It in America (2010- ) ou même
le sitcom Veronica’s Closet (1997-2000).
J’aurais même osé vous lire quelques extraits
• du Traité de la vie élégante d’Honoré de Balzac (1830),
• du Vaillant petit tailleur (Le) [au choix, dans la version conte
des frères Grimm (1812), conte illustré de Disney (Deux coq d’or,
1975), bédé de Mazan (Pierre Lavaud, dit) (Delcourt, 1976) ou
roman d’Éric Chevillard (Minuit, 2004)
• de quelques doctes ouvrages sur la sociologie ou l’éthique de la
mode, ou même, pourquoi pas,
• du Manuel des normes de l’éco-socio-certification des vêtements
et du textile (si, si, ça existe vraiment !),
avec pour fond un diaporama en fondu enchaîné de l’évolution de
l’habillement depuis 1482.
J’aurais ainsi étalé un vaste semblant de culture emprunté
sans vergogne du web et démontré mon propos sur le caractère protéiforme de l’intérêt pour un « phénomène multifonctionnel » mais
on m’a demandé de modérer mes transports et, sans écorner le budget du colloque, de m’en tenir à la protection des créations de mode
au Canada.
Ma présentation sera donc mono-média !
La mode, un sujet d’actualité, s’il en est, ce que confirmerait
une lecture récente des journaux.
Toutes auront soupiré devant la robe de mariage de Kate
Middleton, robe à peine froissée par le CopyKate du « qui a copié
qui » ? La robe de l’Anglaise Sarah Burton pour Alexander McQueen
ressemble-t-elle tant que cela à celle dessinée deux ans plus tôt par
le Belge Gérald Watelet pour la [maintenant] princesse Isabella
Orsini ? De toute façon, l’une et l’autre n’étaient-elles pas inspirées
de celle de Grace Kelly (1956) ?
Et toutes ces copies bon marché de la robe de la princesse anglaise qui est venue nous visiter en juillet dernier.
24
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Cette visite aura d’ailleurs permis de s’éclater sur des sujets
aussi constitutionnellement élevés que « Kate Middleton royal tour
of Canada in dresses » [quoique certains, voyeurs, auront d’emblée
préféré la petite robe jaune virevoltante sous l’hélicoptère].
On aura tous lu, je le présume, sur les déboires américains de
Christian Louboutin c. Yves Saint Laurent dans la saga des semelles
rouges [778 F. Supp. 2d 445 (S.D.N.Y. 2011-08-11), en appel].
On aura également lu le revers anglais de Lucasfilm c.
Ainsworth relativement à la protection du casque des stormtroopers
impériaux de Star Wars [[2011] UKSC 39 (U.K. S.C. ; 2011-07-27)].
Et, pour les abonnés aux listes de diffusion des Cours fédérales,
l’une ou l’autre des récentes péripéties de Louis Vuitton et Burberry
dans leur lutte pour réprimer des contrefaçons vancouveroises et torontoises de leurs sacs griffés [(95 CPR (4th) 297 (C.F. ; 2011-06-27))].
Donc la mode est un sujet qui est d’actualité, même dans le
domaine judiciaire.
La mode, ce sont les habitudes collectives et passagères en matière d’habillement.
La mode vestimentaire est un univers de paradoxes elle est utile ou futile, élitiste ou populaire, naturelle ou surfaite ; elle est un produit
ou une valeur immatérielle. Elle doit interpréter l’internationalisation des tendances
et la régionalisation des goûts. Portée par les
marques, elle s’impose ; critiquée par la rue,
elle compose. Porteuse des valeurs de luxe, elle
veut se démocratiser : populaire, elle revendique sa créativité. Elle habille le corps et l’âme.
Il n’est pas facile, dans ses conditions, d’en
faire une radiographie rationnelle.
– Gilles FOUCHARD, La mode, collection
Idées reçues (Paris : Le cavalier bleu, 2005),
aux pages 9-10.
La mode (ou les modes), et plus précisément
la mode vestimentaire, désigne la manière de
se vêtir, conformément au goût d’une époque
dans une région donnée. C’est un phénomène
impliquant le collectif via la société, le regard
Propriété intellectuelle dans les vêtements
25
qu’elle renvoie, les codes qu’elle impose et le
goût individuel. […] L’une de ses caractéristiques vient de son changement incessant,
incitant par là-même à renouveler le vêtement
avant que celui-ci ne soit usé ou inadapté.
– WIKIPÉDIA sous l’entrée « Mode (habillement) ».
Et, pour introduire le sujet, une citation :
Il n’y a plus de mode, rien que des vêtements.
– Karl LAGERFELD (1933- )
Et, pour la protection des créations de la mode, que ce soient
vêtements, chaussures ou chapellerie, sacs et parapluies, bijoux et
autres accessoires de la mode vestimentaire, tout un arsenal est disponible aux
• stylistes et modélistes,
• ingénieurs textiles,
• tailleurs, coupeurs et patronniers,
• brodeurs, denteliers et couturiers,
• modistes et plumassiers,
• créateurs et autres intervenants.
Il s’agira, on s’en doute, d’une question de moyens et de volonté
mais également de stratégie et d’imagination.
Pour les fins de mon propos, je m’en tiendrai aux protections
statutaires des lois fédérales canadiennes sur
i)
les dessins industriels,
ii) le droit d’auteur,
iii) les marques de commerce, et
iv) si, on en a le temps, ce dont je doute fortement, les brevets.
26
Les Cahiers de propriété intellectuelle
C’est volontairement que j’exclurai de mon survol (surtout que
je n’ai pas de prétentions à l’exhaustivité) les protections non-statutaires qui pourraient découler du délit de substitution, de l’abus
de confiance ou d’un bris de contrat et que j’éviterai bien prudemment de m’engager sur l’à-propos de campagnes publicitaires telles
« Fakes are never in Fashion » du magazine « à complexes » Harper’s
Bazaar <http://fakesareneverinfashion.com/buzz_on_fakes.asp> ou
de fournir un avis sur des questions existentielles comme « La mode
doit-elle être protégée ? », « La copie, c’est la démocratisation de la
mode » et autres propos propres aux blogues sur le sujet <http://
canadafashionlaw.blogspot.com/>.
J’ajoute d’emblée que ces protections statutaires s’emboîtent
et, parfois, peuvent être cumulées, ce qui maintient un flou artistique pour le plus grand bonheur des juristes.
Une réserve : c’est un tour d’horizon dans un temps limité, sinon même très limité, et uniquement en droit canadien. Je dresse
également la table pour les autres conférenciers, dont ma collègue
Irene Calbolli qui fera, je nous le souhaite, une analyse beaucoup
plus pointue (et illustrée !) de droit comparé et prospectif (notamment sur le Innovative Design Protection and Piracy Protection
Act – IDPPPA américain) qui, depuis le 2011-08-25 est étudié par le
Sous-comité de la Propriété intellectuelle, Concurrence et Internet
du Comité judiciaire du Sénat américain. Et je laisserai à d’autres le
soin de discuter de l’incidence du modèle communautaire.
1. Loi sur les dessins industriels (L.R.C. 1985, c. I-9)
En résumé – In a nutshell
• Vise la protection du design original d’un objet.
• Doit être enregistré pour être protégé.
• Durée de protection limitée à 10 ans.
• Taxe d’enregistrement 400 $ + taxe de maintien 350 $.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
27
What the movement to casual dress may signify is a recession of theatricality as a mode
of organizing social interactions, together with
a rising cost of time (it takes longer to select,
dress in, and undress from formal dress) […]
We would expect […] a movement to casual
dress because formal dress is less comfortable
and generally more expensive, especially when
time costs are figured in.
– Richard A. POSNER, Public Intellectuals: A
Study of Decline (Boston : Harvard University
Press, 2001), aux pages 308-309)
[A]s critics of casual days have emphasized,
deciding what to wear takes more time, and is
more stressful, when guidelines are gone.
– Erik M. JENSEN, Law School Attire; A Call
for a Uniform Uniform Code (2007), 33 Oklahoma City University Law Review 419, à la
page 439, note 116.
1.1 Qu’est-ce que c’est ?
Un dessin industriel concerne les caractéristiques visuelles
relatives :
• à la forme,
• à la configuration,
• au motif,
• aux éléments décoratifs, ou
• à une combinaison de ceux-ci
appliquées à un produit fini
• fabriqué à la main ou
• à l’aide d’un outil ou d’une machine.
Le dessin ne doit pas résulter de la fonction ou de l’utilité
même de l’article : seules les caractéristiques ornementales, d’un
28
Les Cahiers de propriété intellectuelle
vêtement par exemple, pourront être protégeables au titre de dessin
industriel.
Le dessin doit posséder des caractéristiques visant à capter
l’intérêt visuel.
« dessin » : caractéristiques ou combinaison de caractéristiques
visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le
motif ou les éléments décoratifs.
« design » or « industrial design »: means features of shape,
configuration, pattern or ornament and any combination of
those features that, in a finish, should article, appeal to and
are judged solely by the eye.
Forme et configuration font appel à un objet tridimensionnel.
La forme fait référence à l’aspect extérieur de l’objet alors que la
configuration fait plutôt référence à l’organisation des composantes,
leur arrangement (qui pourra donner lieu à la forme).
• la forme d’un chapeau (on pourrait penser ici au haut-de-forme
du chapelier fou dans Alice au pays des merveilles, au chapeau
de groom de Spirou ou encore aux bibis que l’on voit aux hippodromes de Ascot ou de Chantilly).
• Pour ce qui est d’une configuration, imaginons une superposition
de nervures sur un chapeau qui lui donneront sa forme.
Motifs et éléments décoratifs sont quasi synonymes et font appel à la bi-dimensionnalité : c’est quelque chose qui est apposé sur
l’objet.
Un motif est souvent constitué d’éléments répétitifs. Un motif
peut être décoratif mais toutes les décorations ne forment pas un
motif. Ainsi, la broderie d’un pingouin sur la poche d’une chemise est
un élément décoratif. Par contre, la répétition de ce même pingouin
sur toute la surface de la chemise, c’est alors un motif.
Un article peut exister sans motifs ou ornements mais il ne
peut exister sans forme ou configuration.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
29
1.2 En pratique qu’est-ce qui pourra donc être protégé ?
Les caractéristiques visuelles d’un objet fini, soit :
• un motif répétitif appliqué à un sac à main (un sac griffé)
• la forme d’un chapeau ou d’une robe (la robe parapluie de Bouchard)
• une décoration appliquée à une chemise (un personnage de manga sur une cravate)
• une broderie (l’une de celles de René Derhy ou sur vos nappes des
grandes occasions)
• les caractéristiques visuelles d’une chaussure de course (ici, il y
en a « un char et une barge » et pour le grand sportif que je suis ce
n’est pas facile de s’y reconnaître).
Mais ne seront pas protégés par dessin industriel :
• le matériau dont est faite une jupe ou
• le mode de fermeture ou d’attache d’un sac à main.
Et c’est quoi un objet fini ? Cela fait référence à un objet physique par rapport à une idée et l’objet fini ne se limite pas à un objet
utilitaire mais inclut également le support d’une œuvre.
Et les caractéristiques visuelles ? Le texte anglais fait référence à « appeal to and are judged solely by the eye ». [Celles-ci
seront appréciées du point de vue d’un consommateur averti.]
Il faudra, on s’en doute, que le dessin soit discernable à l’œil.
En effet, si le motif est invisible du consommateur, il ne peut pas
être ornemental. Donc une constellation de minuscules étoiles sur
un tissu qui ne serait visible qu’à la loupe ne se qualifierait pas. Non
plus d’ailleurs qu’un dessin qui serait caché à l’intérieur d’une doublure (et non la doublure elle-même qui, elle, se voit).
Et ce qui constitue le dessin c’est le motif et non l’effet de ce
motif. Par exemple, un effet réfléchissant résultant de la réfraction
de la lumière sur des bandes posées sur un sac, ne serait-ce qu’à
cause du caractère éphémère et fluctuant, ne se qualifierait pas de
30
Les Cahiers de propriété intellectuelle
dessin. Par contre, les bandes elles-mêmes pourraient l’être, sans
référence toutefois à l’effet.
1.3 Les limites du dessin industriel
Les caractéristiques résultant
• uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire
• les méthodes ou principes de réalisation d’un objet
ne sont pas protégeables par dessin industriel.
Un objet utilitaire c’est un objet qui a une fonction autre que
de servir de substrat à une œuvre artistique ou littéraire. Cela comprend les modèles et les maquettes de ceux-ci.
Mainetti
D.I. 39608 de 1975
E.R.A.
D.I. 44959 de 1979
Un dessin peut être appliqué à un objet utilitaire mais ce dessin
ne doit pas avoir uniquement une fonction utilitaire (par exemple,
des pinces à l’extérieur d’un cintre à jupes, c’est pas mal fonctionnel et, judiciairement, cela aura conduit à l’invalidation des dessins
industriels qui s’y rapportaient) :
The facts of the present case are unusual in that the hangers
are not only not sold to the general public, but they are not even
visible until removed from the skirt which is hung on them.
They are then either thrown away by the vendor or, if given to
the purchaser with the garment, they are first seen by the purchaser at the time when the garment is removed from them.
All the ornamentation and design on the ends of the hangers is
hidden under the skirts until they are removed with only the
top of the clip on each end showing, and of course the centre
hook. The arms of the hanger and the designs on the ends of
Propriété intellectuelle dans les vêtements
31
the arms leading to the hooks remain hidden under the skirt
when it is hung on them and it is the function of the design and
the spring which the arms provide which holds the skirt out flat
for better display free of sagging and wrinkles. It is reasonable
to conclude that not even the dress manufacturers themselves
who buy these hangers to display and sell the skirts on them
have any but the slightest interest in the ornamental design at
the ends of the arms. There is a clear distinction to be made,
therefore, between ornamental design applied to such hangers
and designs applied to objects such as chairs, water pitchers,
teapots, and perhaps even tent pegs which are visible in use,
the artistic design of which may appeal to a purchaser quite
aside from the useful function which they serve.
I find therefore that both designs are primarily functional and
that a hanger of this sort, where the more significant design
features are hidden and which is not intended to be admired
by or sold to the public at large in any event, should not have
been subject to industrial design registration and should be expunged from the register pursuant to s. 22(1) of the Industrial
Design Act. [Mainetti S.P.A. c. E.R.A. Display Co. Ltd. (1984),
80 CPR (2d) 206 (C.F.P.I. ; 1984-03-15), le juge Walsh à la
page 226 ; les italiques sont nôtres.]
Cette limite ne s’applique pas à un dessin qui, quoique apposé
à un objet utilitaire, n’a pas de fonction uniquement utilitaire. Par
définition, un vêtement est utilitaire mais le motif floral qui peut
être apposé sur celui-ci, lui, aura, plus souvent qu’autrement, une
fonction uniquement décorative.
L’autre limite c’est l’originalité. Pour être original, il doit y avoir
des différences marquées entre le dessin que l’on veut protéger et les
dessins préexistants, ce qui s’évalue visuellement.
The design is merely a trade variant of what has gone before.
This jurisprudence demands a higher degree of originality
than is required with regard to copyright. It seems to involve
at least a spark of inspiration on the part of the designer either
32
Les Cahiers de propriété intellectuelle
in creating an entirely new design or in hitting upon a new
use for an old one. It should be noted that one of the dictionary
definitions of “original” is “novel in character or style, inventive, creative” [Bata Industries Ltd. c. Warrington Inc. 5 CPR
(3d) 339 (CFPI, 1985-03-27), la juge Reed à la page 347 ; les
italiques sont nôtres.]
Pourra être originale une nouvelle application d’un dessin
ancien (par exemple, la reproduction du patriote d’Henri Julien
(« Montreal Daily Star », 1888) sur des boucles d’oreilles ou un sac
à main.
Sera aussi originale la nouvelle application d’une combinaison de vieux dessins, même dans le domaine public. Par exemple, le
premier personnage de Bécassine (Annaïck Labornez, dite) sur des
cravates ; la combinaison de tous les costumes de Bécassine, en rond,
sur des sacs à main. C’est en effet le dessin, considéré comme un tout
ornemental, qui sera alors protégé.
Et, condition d’importance, au Canada, le dessin ne doit pas
avoir été publié depuis plus d’un an en quelque pays que ce soit lors
de la production de la demande au Canada.
1.4 Qui est propriétaire ?
L’auteur est le premier propriétaire du dessin sauf si l’auteur
• a exécuté ce dessin
• pour une autre personne
• contre contrepartie onéreuse [en anglais : « good and valuable
consideration »].
Ici, on peut comparer la disposition avec celle de la Loi sur le
droit d’auteur qui, elle, précise que la considération doit avoir été
payée…
Un enregistrement de dessin industriel peut se céder, en tout
ou en partie. Il peut également faire l’objet de licences.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
33
1.5 Nature des droits
L’enregistrement d’un dessin industriel donne à son titulaire le
droit exclusif au Canada de
• fabriquer
• importer à des fins commerciales
• vendre
• louer
• offrir en vue de vente
• offrir en vue de location
• exposer en vue de vente
• exposer en vue de location
un objet
• pour lequel un dessin a été enregistré ou
• différentes versions importantes de celui-ci.
[On aura ici noté la similarité entre l’alinéa 11(1)a) de la Loi sur les
dessins industriels et le paragraphe 3(1) de même que les alinéas
27(2)a) et 27(2)c) de la Loi sur le droit d’auteur.]
Encore une fois, le droit exclusif est acquis par l’enregistrement du dessin ; il n’y a pas de telle chose qu’un dessin industriel
non-enregistré.
La protection est de 10 ans à compter de l’enregistrement sous
réserve d’une taxe de maintien payable à l’expiration de la cinquième
année de l’enregistrement. Une fois la protection du dessin expirée,
le dessin tombe dans le domaine public et son utilisation est ouverte
à tous, du moins en ce qui a trait au dessin qui était protégé par ce
dessin industriel.
34
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Et l’exploitation du dessin industriel n’est pas une obligation
préalable à son enregistrement ou au maintien de celui-ci pour son
plein terme ou à l’institution de procédures en violation.
Tout cela c’est bien beau et bien théorique. Examinons le registre du dessin industriel pour voir ce qui a fait l’objet d’enregistrements. Selon la classification, ce qui serait d’intérêt relèverait de la
classe 6 (vêtements), 26 (tissus et textiles), 58 (bijoux) et 223-225
pour les sacs.
Illustrons (avec des mots et un appel à vos souvenirs, réels ou
inventés)
Chapeaux
006-04-01
131204
chapeau
Gongshow
2010
111465
chapeau
anti-moustique
St-Germain
2007
73050
casquette
Yupoong
1993
Propriété intellectuelle dans les vêtements
773
chapeau
de fourrure
d’hiver pour
femmes
Colman
35
1887
Vestes
006-03-05
137500
veste
Nike
2011
134751
veste
Lululemon
2010
92684
veste
Benisti
2001
2100
veste pour
employé
Wilkins
1903
36
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Robes
006-03-01
123042
robe
parapluie
Bouchard
(également
objet, on le
verra
d’un
enregistrement
de
droit
d’auteur
et
d’un
enregistrement
de marque de
commerce)
2008
110747
chemise
de nuit
Bénard
2007
47475
chasuble
Slablinck
1980
19192
robe
Faith Gow
1953
Chemises
133089
006-03-03
maillot de
sport
Nike
2010
Propriété intellectuelle dans les vêtements
97891
chemise
Dornbierer
2004
95983
chemise
Hatco
2003
1205
blouse
Hayward
1895
Corsets et gaines
37
006-02-03
103663
soutien-gorge
Lightning2
2004
42359
sous-vêtement
pour femmes
Strouse,
Adler
1977
29910
gaines pour
femme
Sarong
1967
1454
corset
Horne
1898
38
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Partie de vêtements
006-01
134993
pochette
Ben Sherman
2010
107190
col rond
avec double
ligne
Canada
Sportswear
2005
80195
revers de
gilet
Chromalloy
1997
64249
bordure de
vêtement
Adidas
1989
Tours de cou
006-06
128084
écharpe
Villeneuve
2009
116108
nœud papillon
Grison
2007
Propriété intellectuelle dans les vêtements
91523
cravate
Reed
2001
2368
col
Arlington
1905
Tissu
39
026-04
137628
doublure
pour
vêtement
Columbia
Sportswear
(cubes tridimensionnels)
2011
126833
tissu de
camouflage
Majerfeld
(saison
de
la chasse !
Mais
aurait
sans
doute
pu se qualifier
comme
marques
de
commerce ou
droits d’auteur,
comme on le
verra plus tard)
2009
69206
motif
Guidi
1991
4671
tartan
Monarch
1919
40
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Bottes
006-05-02
138086
Jeststream
Boot
DKH
2011
133558
botte
Deckers
2010
125772
botte
Wolverine
2009
91063
botte
ZM
2000
Souliers
006-05-03
138724
soulier
Nike
(qui
squatte
le
registre
du
dessin
industriel
avec plus de
1 700 entrées
de
toutes
sortes)
2011
128209
soulier
Crocs
(pour peu que
vous fréquentiez les hôpitaux)
2009
Propriété intellectuelle dans les vêtements
128046
chaussure
Lacoste
2009
373
soulier
Boirin
1880
Souliers – Formes simulées
41
006-05-03-06
126252
chaussure
Vibram
2009
62225
soulier pour
enfant
Quality
1989
36418
chaussure
Newfeld
1973
16989
soulier
Trimfoot
1949
42
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Semelles
006-05-04
138723
semelle
Nike
2011
133196
semelle
Columbia
Sportswear
2010
41199
semelle
Bata
1976
869
semelle
Freagant
1900
Chaussettes
006-05-06
139951
chaussette
Columbia
Sportswear
2011
132465
chaussette
X-Technology
2010
17847
bas
Burlington
1950
Propriété intellectuelle dans les vêtements
1377
guêtres
Horne
43
1898
Sacs
221-10
132136
sac à main
Hermès
2010
114647
sac à poignées
Harveys
2007
109175
sac à main
Gucci
2006
724
sac d’école
Edwards
1888
44
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Contenants
002-02-02
131443
présentoir
Effigi
2010
113050
emballage
pour vêtement
Paris Genève
2007
70731
cartonnage
pour
bonneterie
(« L’Eggs »)
(Hanes)
Sara Lee/HL
(forme d’un
demi-œuf,
également
l’objet d’un
signe distinctif)
1992
37305
sac et rabat
(avec volet
transparent)
Dim
1973
carrousel de
rangement
Pro-Mart
2011
Cintres
138018
044-01-02
Propriété intellectuelle dans les vêtements
129195
cintre de
sousvêtements
à 5 volants
Spotless
plastics
2009
128274
cintre
multi-section
Ingenious
designs
2009
3308
coat hanger
American
Block Hat
1912
Parapluie
45
006-11
• Motifs sur la toile du parapluie (par exemple
cette série de balles/ballons de sport)
• Forme de la toile
• Forme de la poignée (tête de bâton de golf ou animal)
137715
parapluie
avec matériel
réfléchissant
Shedrain
2011
133272
parapluie
Elder
2010
67685
parapluie
Umbrella
industries
1990
motifs sur la surface de
la toile, forme de la toile,
forme de la poignée,
forme de l’étui, etc.
46
2040
Les Cahiers de propriété intellectuelle
porte
parapluies
McClean
1902
Bijoux
058-01
91589
chaînon de
fermoir pour
bijou
Gervais
2001
79116
broche
Fortin
1996
41909
bijou couvreongle
Guebtin
1977
15034
assortiment
broche et vis
d’oreille
St-Prosper
1946
2. Loi sur le droit d’auteur (L.R.C. 1985, c. C-42)
En résumé – In a nutshell
• Vise la protection de l’expression originale d’une idée.
• Durée de protection : vie de l’auteur plus 50 ans à compter de
l’expiration de l’année civile de son décès.
• Droit quasi-mondial naissant de la simple création.
• Enregistrement facultatif.
• Taxe d’enregistrement de 50 $, sans renouvellement.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
47
La mode, m’en crisse. C’est la haute couture
ou rien. La haute couture, je veux bien, comme
laboratoire et comme cour à scrap des modes.
Je ne veux pas voir des mannequins porter
des vêtements qui pendouilleront la prochaine
année dans les 23 garde-robes des 23 bonnes
femmes les plus riches de la Haute-Yamaska.
Je veux voir des mannequins porter des robes
qu’on accrochera au mur comme des Van Gogh.
Je veux que les robes soient coupées par des
alchimistes, pas par des diplômés du collège
LaSalle.
Des alchimistes qui habillent des émotions,
l’amour, la nuit, l’espoir, la mer, la douleur, la
fragilité. Et chaque fois, je veux voir dépasser
le jupon de la poésie en soie sauvage.
– Pierre FOGLIA, Le jupon de la poésie [201109-24] La Presse, Plus-3
2.1 Pas de protection pour les idées
Le droit d’auteur, on le sait, ne protège pas une idée ou un
concept mais plutôt l’expression de ceux-ci sous une forme matérielle quelconque.
Ce n’est pas l’idée d’un motif floral qui sera protégée mais le
rendu de ce motif floral. Ce n’est pas l’idée « [de] la réutilisation d’un
objet dysfonctionnel en quelque chose d’élégant. » (– Claude Bouchard) comme un vêtement fait avec de la toile de parapluie ou des
cravates qui sera protégée mais le rendu de cette idée.
2.2 Types d’œuvres
La loi prévoit 4 types d’œuvres : artistiques, dramatiques, littéraires et musicales. La pertinence de chacune d’elles au domaine de
la mode n’est pas évidente mais on peut s’y essayer (ne serait-ce que
pour démontrer ma proposition initiale sur l’importance de l’élaboration d’une stratégie « ingénieuse » de protection, parfois hors des
sentiers battus).
48
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Artistique :
• les croquis, patrons et prototypes : un motif du vêtement, par
exemple
– la broderie BARBITAL de René Derhy [Grosse frustration !
L’exhibit P-13A a été retiré du dossier 500-09-005144-977
(Greenberg c. Derhy) 37 C.P.R. (4th) 305 (C.A. Qué ; 200403-15) et le produit a été discontinué alors aujourd’hui pour
savoir ce en quoi consistait cette fameuse broderie…
– les corbeaux de la vancouveroise Dorothy Grant ou
– le tartan du Yukon
• ou le vêtement lui-même, par exemple
– la robe-parapluie de Claude Bouchard [DA 1053688 publiée
en 2007] ou
– les peignoirs tel le # 720 wrap around bias robe (ou l’une
d’elles) de Patricia Fieldwalker [DA 1011825 publiée en 2002].
Dramatique ?
La chorégraphie d’un défilé de mode (par hypothèse, ça serait
quand même plus que le simple dandinement des mannequins) ou
encore sa simple fixation cinématographique.
Littéraire ?
Les notes d’un styliste sur les idées et thèmes à partir desquels
il travaille (attention : ce qui sera protégé c’est le rendu graphique,
mots ou dessins, pas l’idée ou le feeling).
Plus prosaïquement, ça pourra être un trend book – cahier de
tendances comme ceux de Nelly Rodi ou de Pecleres.
Musicale ?
Une chanson originale accompagnant un défilé ; une mélodie
caractéristique déclenchée par le fermoir d’un sac à main ou, encore,
l’impression de phrases ou partitions musicales sur un vêtement.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
49
2.3 L’originalité
La créativité est l’art de dissimuler ses sources.
Creativity is the art of concealing your source.
– Gabrielle BONHEUR, dite Coco Chanel
(1888-1971)
Le critère de protection sera l’originalité de l’œuvre.
Et l’originalité, en matière de droits d’auteur, n’est pas synonyme de nouveauté ou d’inventivité ou de mérite artistique.
Une œuvre est originale, pour les fins de la Loi sur le droit
d’auteur, si elle émane d’un auteur et si elle n’est pas la copie d’une
autre œuvre (ce qui n’empêche pas de s’inspirer des travaux des
autres).
L’œuvre doit être le produit de l’exercice du talent et du jugement d’un auteur, c’est-à-dire, le recours
• aux connaissances personnelles
• à une aptitude acquise
• à une compétence issue de l’expérience
• au discernement
• à la capacité de se faire une opinion (et de sélectionner).
Il est donc possible que :
• Deux œuvres identiques soient originales si les auteurs n’ont
pas copié l’un sur l’autre (cela pourra dépendre du thème ou des
sources communes). Par exemple, le cœur, symbole de l’amour
pour les robes de St-Valentin ! (Je sais, je sais, il y a beaucoup de
façons de rendre un p’tit cœur mais à moins d’une représentation anatomiquement correcte – et quelque peu rébarbative – la
représentation convenue est celle que l’on trouve généralement
sur les jeux de cartes et s’obtient par la sélection du bon casseau
des caractères Unicode (2661 pour le cœur blanc, 2662 pour le
cœur noir, 2766 pour le cœur floral, etc. ; mal pris, on peut même
recourir au « plus petit que 3 » !)
50
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• En autant qu’il soit suffisamment original, le fait qu’un dessin ou
un croquis emprunte des éléments au domaine public (i.e., non
protégés) n’invalide pas la protection.
On pourra ici comparer la protection que donne un dessin industriel à une œuvre tombée dans le domaine public mais appliquée
à un nouveau médium et le droit d’auteur qui ne protège pas une
œuvre tombée dans le domaine public, peu importe la façon dont
elle est utilisée (i.e., la reproduction d’une peinture de Léonard de
Vinci sur des ceintures pourrait être protégée par dessin industriel mais pas par droit d’auteur).
(Pour compliquer les choses : La Joconde de Léonard de Vinci est
dans le domaine public et n’est plus protégée ; par contre, celui
qui prend une photo de la Joconde est propriétaire de l’œuvre artistique qu’est la photographie qui, elle, est protégée et confère à
son auteur le droit exclusif d’en permettre la reproduction).
• Enfin, une compilation d’éléments du domaine public peut ellemême attirer protection à titre de compilation.
2.4 Qui est l’auteur ?
Celui qui crée, qui met la main à la planche à dessin et non pas
celui qui donne des idées ou « dirige le trafic ».
Cela est parfois difficile à évaluer, particulièrement lorsqu’un
chef d’atelier/directeur de collection intervient beaucoup (sinon
beaucoup trop au goût du dessinateur) pour corriger/ajuster un dessin technique ou le tombé d’une robe.
Il pourra y avoir œuvre de collaboration lorsque l’apport de
chacun des intervenants/créateurs ne peut se distinguer, c’est-à-dire
qu’il en résulte une œuvre dont on ne peut reconnaître la partie
propre à chacun de ses auteurs (donc deux auteurs ou plus pour une
même œuvre). Pour qu’il y ait œuvre de collaboration, deux conditions doivent être réunies : i) l’apport doit relever de la composition
et non des idées et ii) la contribution doit être significative, mais pas
nécessairement identique ou d’importance égale.
2.5 Qui est le propriétaire ?
Tout comme pour le dessin industriel, l’auteur est le premier titulaire du droit d’auteur. Si l’auteur est dans une situation d’emploi,
Propriété intellectuelle dans les vêtements
51
à moins d’avis contraire, c’est l’employeur qui sera propriétaire des
droits d’auteur et ce, sans qu’il soit nécessaire de procéder par voie
de cession. Autrement, l’auteur, même payé pour son apport créatif,
demeure propriétaire du droit d’auteur.
Une situation particulière : la création pour la Couronne. En pareil cas, c’est sa Majesté la Reine qui, à moins d’entente au contraire,
est titulaire des droits d’auteur. Dès lors, ceux qui seront appelés à
dessiner les nouveaux uniformes des Forces armées royales canadiennes devront en tenir compte.
Contrairement au mythe, hors les situations d’emploi ou visant
la Couronne, ce n’est pas parce qu’un créateur-pigiste est payé pour
ce qu’il a fait qu’il perd la propriété de ses droits ou, inversement,
que celui qui a payé pour le travail ne devient pas nécessairement
propriétaire des droits d’auteurs dans l’œuvre. Et le monde de la
mode ne fait pas exception à ce principe de l’auteur premier titulaire
du droit d’auteur.
À moins d’une cession écrite, faut-il le rappeler, le créateur
conserve ses droits. Au mieux, paiement des honoraires à un pigiste
ne donnera droit qu’à une licence limitée d’exploitation pour qui a
payé. Si un créateur-pigiste crée des broderies destinées uniquement
à des sacs à main, il pourra intervenir advenant que ces broderies
soient aussi utilisées pour des vêtements.
La question de la propriété des droits, comme bien d’autres, dépend souvent du situs de la création ou de la conclusion du contrat.
Ce que je décris est propre à la situation canadienne et ne correspond pas, par exemple, à la situation française ou américaine.
Et même si employé ou cédant, indépendamment de la propriété des droits d’auteur dans l’œuvre, le créateur gardera ses droits
moraux dans cette œuvre par opposition aux droits d’exploitation
économique de celle-ci. Les attributs du droit moral, au Canada, sont
• le droit à la revendication de création [je suis l’auteur !] et
• le droit à l’intégrité [non-modification de l’œuvre] ou association
à une cause, si préjudiciable à la réputation du créateur. Typiquement un dessin signé qui serait dénaturé lors de la reproduction
sur l’objet auquel il est appliqué.
52
Les Cahiers de propriété intellectuelle
2.6 La protection du droit d’auteur et l’enregistrement
La protection du droit d’auteur s’obtient du seul fait de la création, sans nécessité d’enregistrement.
Au Canada, il est cependant possible d’obtenir l’enregistrement
du droit d’auteur, ce qui permet de bénéficier de certaines présomptions dans le cas de procédures judiciaires.
Par contre, le système canadien, contrairement au système
américain, ne demande pas que l’œuvre sur laquelle on veut enregistrer des droits d’auteur soit produite auprès du registraire du
droit d’auteur pour les fins de l’enregistrement. Lorsque l’on fait une
recherche dans la base de données de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, cela donne des situations où les œuvres protégées
ne correspondent, somme toute, qu’à un titre, par exemple
• T-shirt, œuvre artistique de Jean-Louis Tremblay
• Clothing, œuvre artistique de Jijjy Badee
• Clothing/apparel, compilation d’œuvres artistiques de Richard
Forbes
• Chapeau à faces trapézoïdales T-Cask, œuvre artistique de Gyslain
Sylvain
• 2 personnages habillés en sacs-ordures, œuvre artistique de Jean
Beaulnes
• Cancer Ribbon with robe-hood and Ribbon hands positioned as
arms up and ready to fight, œuvre artistique de Hilary Walls
• The Magic Dress, œuvre artistique de Martin Helse
• Little Black Dress, œuvre artistique de Gena Kling [qui d’entre
vous, mesdames (ou peut-être messieurs) n’a pas dans sa garderobe la jolie petite robe noire passe-partout ? Alors pour savoir ce
à quoi correspond vraiment cet enregistrement, c’est tintin !]
Et la durée de protection au Canada est la vie de l’auteur plus
50 ans à compter de l’expiration de l’année civile de son décès.
Attention : prendre note que cette durée de protection est différente selon les pays et variera dans le cas d’œuvres de collaboration.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
53
2.7 Nature des droits
Le droit d’auteur est un faisceau de droits qui comporte, entre
autres, le droit exclusif
• de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de
l’œuvre sous une forme matérielle quelconque
• et le droit d’autoriser ces actes.
Le droit existe, rappelons-le, de par la simple création et n’est
pas assujetti à quelque formalité de dépôt ou obligation d’exploitation pour que son titulaire soit admis à en réprimer violation.
C’est un droit qui peut se démembrer quasi à l’infini (territoire,
média, etc.), selon l’imagination du titulaire, par cession, totale ou
partielle, ou licence.
Le droit d’auteur semble donc le mode idéal de protection pour
les articles de mode. Cela serait trop beau.
2.8 L’exception de non-violation et les exceptions à cette
exception
Il faut maintenant parler, même brièvement, de l’article 64 de
la Loi sur le droit d’auteur. Cet article, pénible de lecture, fait à lui
seul deux pages pleines dans les « statuts », en 429 mots dans sa
version française et 509 dans sa version anglaise !
L’exception.
Résumé : Lorsqu’un dessin est tiré d’une œuvre artistique et
appliqué à un objet utilitaire pour lequel il y a plus de 50 exemplaires, tough luck, mais la reproduction non autorisée de ce dessin
par un tiers ne constituera pas une violation du droit d’auteur.
Développons.
Cet article pose pour principe qu’il n’y a pas de violation
• du droit d’auteur ou
• des droits moraux
54
Les Cahiers de propriété intellectuelle
sur
• un dessin appliqué à un objet utilitaire ou
• sur une œuvre artistique dont le dessin est tiré
ni le fait de reproduire
• ce dessin ou
• un dessin qui n’en diffère pas sensiblement
par
• réalisation de l’objet ou
• reproduction graphique ou matérielle de celui-ci ou
• en effectuant un acte réservé exclusivement au titulaire du droit
d’auteur
ni le fait d’accomplir avec un objet ainsi réalisé un acte réservé au
titulaire
pourvu que l’objet, de par l’autorisation du titulaire du droit d’auteur
au Canada ou ailleurs à l’étranger
• soit reproduit à plus de 50 exemplaires ou
• si planche, gravure ou moule, serve à la production de plus de
50 objets utilitaires.
Pour les fins de cet article, un dessin ce sont les caractéristiques [visuelles] ou une combinaison de caractéristiques visuelles
d’un objet fini en ce qui touche
• la configuration
• le motif
• ou les éléments décoratifs.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
55
Attention, le paragraphe 64(2) de la Loi sur le droit d’auteur
ne vise que la violation ou non du droit d’auteur et non l’existence
même du droit d’auteur.
Une robe, pour esthétique qu’elle soit, est un objet utilitaire.
Une robe (ou son patron) est protégée par droit d’auteur. Si la robe
n’est pas reproduite à 50 exemplaires, il pourra y avoir violation du
droit d’auteur. Si le patron n’est pas destiné à servir à la reproduction à plus de 50 exemplaires de la robe, il pourra y avoir violation.
Ce n’est que lorsqu’il y a plus de 50 exemplaires que l’exception de
non-violation entre en jeu.
Ne seraient sans doute pas visées par cette exception de nonviolation les créations flyées de Jean-Paul Gaultier et compagnie
puisque non-destinées à une telle reproduction ; idem quant aux
créations du cordonnier Giaconelli Mateotti dans Les chaussures
italiennes de Henning Mankel (Paris : Seuil, 2009) [« Ça doit revenir
cher, ai-je dit. Quand une chaussure accède au rang de joyau… »].
En pareil cas, l’exception ne s’appliquerait pas, il y aurait violation.
Qu’est-ce qu’un objet utilitaire, spécialement dans le domaine
de la mode ?
• vêtements, chaussures, chapellerie,
• sacs
• bijoux
– épingles à cravate, boutons de manchette et boutons de plastron de smoking
– montres
– bagues, colliers, bracelets [ces trois derniers produits demeurant sujets de discussion].
C’est un objet remplissant une fonction utilitaire (y compris
tout modèle ou toute maquette de celui-ci).
56
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Une fonction utilitaire, c’est la fonction d’un objet autre que
celle de simple support d’un produit artistique ou littéraire.
Quaere. Un dessin particulier destiné à être appliqué à un
objet utilitaire et cet objet est fabriqué à plus de 50 exemplaires.
L’exception devrait jouer. Toutefois, est-ce qu’il y aura violation du
droit d’auteur si un tiers applique ce dessin à un objet utilitaire qui,
lui, n’a jamais été reproduit à plus de 50 exemplaires.
Par exemple, le dessin d’une robe mais qui peut également servir de pochette ou de cravate, de catogan ou garniture de poignée.
Quaere. Avant 1988, c’est l’intention de produire à plus de
50 exemplaires qui déterminait ou non la protection [à l’époque, ce
n’était pas encore une exception mais plutôt une exclusion de protection].
On pensait sans doute que d’éliminer la preuve d’intention
allait faciliter les choses. Que non !
Qu’en est-il, par exemple, d’un objet utilitaire qui, à l’origine,
n’est pas destiné à être reproduit à plus de 50 exemplaires ?
Quaere. Et qu’en est-il lorsqu’il s’écoule un certain délai entre
la révélation du modèle et sa mise en marché ? Est-ce à dire que tant
que le fatidique « + 50 » n’est pas atteint, l’exception ne s’appliquerait pas ? Que l’on pense ici aux copies de la robe de mariée de Kate
Middleton disponibles dans les 24 heures du mariage.
Alors, sauf pour la Haute Couture, les œuvres à vocation
muséale ou théâtrale ou les travaux uniques d’étudiants, le droit
d’auteur semble dégriffé pour protéger la commercialisation d’un
produit prêt-à-porter ou de consommation de masse.
Les exceptions à l’exception.
Mais pour compliquer les choses, – comme si c’était vraiment
nécessaire – il y a non pas une mais des exceptions à cette exception.
En effet, le paragraphe 64(3) énumère sept cas de non-application de cette exception de non-violation. Celles qui sont principalement d’intérêt pour le domaine de la mode ont une existence
autonome à titre d’œuvres artistiques.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
57
Récapitulons
• L’œuvre artistique est protégée.
• Il n’y aura pas de violation si l’œuvre artistique est destinée à être
reproduite à plus de 50 exemplaires.
• Sauf si une des exceptions à l’exception s’applique.
Il y aura violation du droit d’auteur ou des droits moraux sur
une œuvre artistique, même destinée à être reproduite à plus de
50 exemplaires sur un objet utilitaire si
a) il s’agit d’une représentation graphique ou d’une représentation photographique appliquée à un objet. En anglais, il est dit :
« graphic or photographic representation applied to the face of
an article ». C’est quoi ça, une « représentation graphique » ? il
semblerait que cela couvrirait, par exemple, une broderie. On a
droit également à la divergence entre le texte français et le texte
anglais. Dans le texte français, une broderie intérieure serait protégée, mais pas selon le texte anglais.
b) une marque de commerce, la représentation d’une marque de
commerce ou une étiquette. Une marque de commerce, on le verra
plus tard, c’est un signe qui permet de distinguer les marchandises d’un individu de celles d’un autre. Il ne s’agit pas de déterminer ici si le propriétaire de la marque de commerce ou le
contrefacteur « emploie » celle-ci à titre de marque de commerce
sur le produit et, pour que cette exception joue, il pourra y avoir
emploi à titre purement décoratif (pourvu que par ailleurs, en
d’autres lieux, il y ait un emploi de marque.
Par exemple, une étiquette Chanel où le logo CHANEL dans
l’étiquette intérieure du vêtement sera un emploi de marque. La
reproduction sur tout le vêtement copiée du mot « Chanel » ou du
logo ST-HUBERT sur un gaminet, pourrait n’être que purement
décorative (donc peut-être pas d’emploi au sens de la Loi sur les
marques de commerce) mais l’exception de l’exception jouerait.
Dans le contexte, qu’est-ce qu’une étiquette ? Je l’ignore mais ne
me suis pas attardé beaucoup à l’étude du sujet.
Il pourrait dès lors y avoir une dualité de protection entre la
marque de commerce et le droit d’auteur (et même, en certains
cas, avec le dessin industriel). Par hypothèse, un personnage de
58
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Walt Disney est protégé à titre de marque de commerce pour la
vente des produits auxquels ce personnage est associé. S’agissant
d’un motif qui peut être apposé sur un objet utilitaire, il pourrait
y avoir protection par voie de dessin industriel. S’agissant d’une
œuvre artistique, même appliquée à un objet utilitaire, l’apposition de ce dessin à un produit pourrait donner lieu à une violation
de droit d’auteur.
La question de dualité de protection est confirmée au Canada.
Toutefois, cela ne viserait que la marque de commerce figurative
ou semi-figurative et non la marque nominale puisque dans celleci il n’y aurait pas, par hypothèse, de droit d’auteur.
L’exception à cette dualité de protection pourrait être une marque
telle celle de Via Vegan [enregistrement 750271 du 2009-10-14]
qui consiste en 55 mots et pourrait se qualifier d’œuvre littéraire :
CHOOSE LIFE CHOOSE POSITIVITY CHOOSE THE GOLDEN RULE CHOOSE TO BE AT PEACE WITH YOURSELF
CHOOSE SALVATION SCEGLIETE DI FARE UNE DIFFERENZA CHOOSE TO MAKE A DIFFERENCE CHOISISSEZ
DE FAIRE UNE DIFFÉRENCE CHOOSE TO BE DIFFERENT CHOOSE TO BE A REBEL CHOOSE TO BE FUNKY
CHOOSE TO BE YOURSELF CHOOSE TO CREATE A FASHION STATEMENT
Mais nous serions alors hors les cadres de l’article 64 LDA puisque
celui-ci ne vise que les œuvres artistiques. Fin de la digression.
Quid du signe distinctif qui constitue une forme de marque. La
reproduction d’un stylo BIC, de l’emballage filé des fromages
BABYBEL…
Quaere (encore). La forme d’un soulier qui deviendrait distinctive
au point d’être protégée en vertu de l’article 13 de la Loi sur les
marques de commerce donnerait-elle ouverture à l’exception de
l’exception de l’alinéa 64(3) b).
Attention, rien n’exige que le titulaire de la marque de commerce
soit aussi le titulaire du droit d’auteur.
L’enregistrement de la marque de commerce peut avoir été radié.
Ce qui compte c’est que le signe fonctionne comme marque de
commerce.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
59
Cela pourrait comprendre la présentation particulière (tradedress) d’un produit, par exemple, les chaussures CROCS.
c) matériel dont le motif est
• tissé ou
• tricoté ou
• utilisable à la pièce
• utilisable comme revêtement
• utilisable comme vêtement.
d) des œuvres architecturales qui sont des
• bâtiments
• modèles de bâtiments
• maquettes de bâtiments.
On notera d’abord que la définition est plus restreinte que celle
de l’article 2 qui fait référence à « bâtiment et édifice » (building
and structure).
Seraient donc exclus
• les ponts
• bateaux
• tours de forage
• tours de télécommunication, per se
• sculptures
• arches
• pièces de bâtiments
mais viseraient les maisons en rangée au motif répété de banlieue.
60
Les Cahiers de propriété intellectuelle
e) l’exception à l’exception s’appliquera également s’il s’agit de la
représentation
• d’êtres réels
• d’êtres imaginaires
• de lieux réels
• de lieux imaginaires
• de scènes réelles
• de scènes imaginaires
pour donner à un objet
• une configuration
• un motif ou
• un élément décoratif.
[En anglais on notera : feature of shape, of configuration, of pattern or of ornament].
Ne pas oublier qu’il peut y avoir violation de droit d’auteur dans
une œuvre bidimensionnelle par l’apposition de cette œuvre sur
un autre substrat, sur un objet tridimensionnel ou encore dans
un rendu tridimensionnel de l’œuvre et de l’apposition de l’œuvre
à la configuration tridimensionnelle d’un objet (par exemple, un
gobelet en forme de tête de Popeye).
f) les objets vendus par ensemble pourvu qu’il n’y ait pas plus de
50 ensembles.
Par hypothèse, pour une édition spéciale, il y aurait moins de
50 kits lesquels comprendraient chacun plus de 50 objets utilitaires comme, par exemple, des boutons de manchettes ornés.
g) autres œuvres ou objets désignés par règlement, et il n’y en a pas !
Ce qui nous amène au troisième sujet.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
61
3. Loi sur les marques de commerce (L.R.C. 1985, c. T-13)
En résumé – In a nutshell
• Signe qui permet de distinguer les marchandises d’une personne
de celles des autres.
• Les droits naissent et se maintiennent de par l’emploi territorial.
• Quoique non obligatoire, l’enregistrement est possible et alors
valide pour 15 ans, renouvelable.
• Les taxes d’enregistrement sont de 450 $.
For a judge warming the bench, shoes make
no devil-may-care statement, and trousers (or
breeches aren’t going to show in the courtroom
either). Shirts or blouses? No way they’ll be
visible, except (maybe) at the collar.
– Erik M. Jensen, « Under the Robes – A Judicial Right to Bare Arms and Legs and…? »
(2009), 12 Green Bag (2d) 221, aux pages 223224 [deux succulentes notes de bas de page
omises]
Pour sélectionner tout ce qu’offre cette loi, il convient d’abord
d’en cerner, sinon maîtriser les concepts.
3.1 Qu’est-ce qu’une marque ?
Une marque de commerce c’est un signe adapté à distinguer
les marchandises ou services d’une personne de ceux d’une autre.
Cela a pour première conséquence le caractère spécifique de
la marque c’est-à-dire qu’elle n’est pas protégée in vacuo mais toujours en liaison avec des marchandises ou services spécifiquement
indiqués.
Et, pour deuxième conséquence : sous réserve de licence, pour
maintenir la distinctivité d’une marque de commerce, seul son propriétaire peut l’utiliser (sinon, la marque n’est plus associée à une
seule source)
Et enfin, la marque de commerce doit être employée et présentée à titre de marque de commerce et non, par exemple, à titre de
62
Les Cahiers de propriété intellectuelle
générique ou dans des variations telles qu’on ne la reconnaît plus.
C’est d’ailleurs l’une des problématiques du revamping ou de la modernisation d’une marque.
3.2 En quoi peut consister une marque
La marque peut consister :
• d’un mot, inventé ou non
– ALLIGATOR, enregistrement 136,238
– CAROLINA HERRERA, enregistrement 361,675
– SUHALI, enregistrement 620,227
– TARSIANI, enregistrement 735,171
– RAFFINALA, enregistrement 561,467
– NEOS, enregistrement 783,211
– ROBE PARAPLUIE, enregistrement 743,502
– VANESSA, enregistrement 185,374
[Cette marque illustre bien mon précédent propos sur la spécificité de la marque. Au registre canadien des marques de
commerce on trouve la marque VANESSA
> de la québécoise Television Sex-Shop inc. pour des services de production et diffusion
> de la suisse Biodesign pour des produits de beauté
> de l’allemande Hailo-Werk pour des planches à repasser
> de l’ontarienne House of Charms pour des bijoux
> de la montréalaise Vanessa Equipment pour des machines à crème glacée et à expresso
> du beauceron Jacques Fournier pour des poupées
Propriété intellectuelle dans les vêtements
63
> de l’italienne Tyco pour des valves
> de l’ontarienne Dometic pour des machines à coudre et
des aspirateurs
> de la chic 111764 Canada pour des vêtements et de la
lingerie
> de la newyorkaise Oneida pour des assiettes
> de la suisse Nyro-Plan pour des lavabos de salle de
bain et
> de l’anglaise Patons & Baldwins pour du fil à tricoter
et des livres.]
• d’une ou plusieurs lettres
– BVD, enregistrement 149,945 de Modern Shirts (ou B.V.D.,
enregistrement 10771)
– C, enregistrement 689,116 de Polo/Lauren
– S torsadé, enregistrement 505,738 de Levi Strauss
– S répétitifs, enregistrement 639577 de Aldo
– F, enregistrement 557,665 de Fila
– GWG, enregistrement 142,459 de Levi Strauss
– THD, enregistrement 696,320 de Tommy Hilfiger
– LV, enregistrement 557,176 de Louis Vuitton Malletier
– XXX, enregistrement 703,315 de Lanificio Emenegildo Zegna
– Z, enregistrement 671,166 de Consitex (Zegna)
• d’un chiffre
– 5, enregistrement 442,247 de Chanel
– 501, enregistrement 308,843 de Levi Strauss
64
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• de lettres et de chiffres
– FOREVER 21, enregistrement 569,326 de Forever 21
– FOREVER XXI, demande 1,107,176 de Forever 21
– 725 KIDS, enregistrement 532,501 de Walmart
– 1 2 3 UN DEUX TROIS, enregistrement 619,236 de Etam
– FIFTY SIX 56 FS-TAG, enregistrement 671,280 de Effigi
– 2.1 DENIM, enregistrement 773,712 de Forever 21
• d’un dessin, seul ou avec des mots
– FRUIT OF THE LOOM, enregistrement 481,032
– DESSIN DE DEUX CERCLES ET UN TRIANGLE, enregistrement 538,928
– 18 BARS, demande 1454932
– SKULL & CROSSBONES, demande 1,315,104
– TOD’S, enregistrement 755,288
– TRISTAN, demande 1,386,071
– TRUE STAR, enregistrement 687,130
– NEW MAN, enregistrement 172,348
Propriété intellectuelle dans les vêtements
65
1454932 Triple 5
Colour is claimed as a feature of the trade-mark. The trade-mark consists of a series of eighteen (18) contiguous bars having the following colours, commencing from the left: the first bar
being in the colour light brown, the second bar being in the colour red, the third bar being in
the colour light brown, the fourth bar being in the colour navy, the fifth bar being in the colour
green, the sixth bar being in the colour taupe, the seventh bar being in the colour light brown,
the eighth bar being in the colour red, the ninth bar being in the colour light brown, the tenth
bar being in the colour navy, the eleventh bar being in the colour light brown, the twelfth bar
being in the colour red, the thirteenth bar being in the colour light brown, the fourteenth bar
being in the colour green, the fifteenth bar being in the colour light brown, the sixteenth bar
being in the colour navy, the seventeenth bar being in the colour light brown, the eighteenth
bar being in the colour green.
481032 Fruit of the Loom
Et la grappe de fruits
172348 Newman
(upsidon)
1386071 Boutique Tristan
& Iseut
Où le T symbolise l’union de
l’homme et de la femme ;
on verra dans cette marque
au style épuré des mains
enlacées plutôt qu’une quelconque position du kamasutra !
• d’une couleur ou de couleurs
– TOMMY HILFIGER (et ses 3 rectangles), enregistrement
547024
– RED COLOUR, enregistrement 769,715
– TARTAN de Burberry, enregistrement 590,925
– TOILE DAMIER de LVMH, enregistrement 722,343
– FILA, enregistrement 258,009
66
Les Cahiers de propriété intellectuelle
547024
Tommy Hilfiger
722343 LVMH
590925 Burberry
The mark is lined for
the colours red and
blue and the applicant
claims the colours red
and blue as a feature of
the mark.
285009 Fila
Red for the upper part
of the “F” and blue for
all the rest.
• d’une étiquette (toutes celles que l’on peut trouver sur une paire
de jeans LEVI’S)
– CHEMISE LACOSTE, 412,267
– ARMANI JEANS, TMA414,785
– LEVI’S, enregistrement 311581
– RED TAB, enregistrement 566,448
– ORANGE TAB, enregistrement 278290
– ÉTIQUETTE SUR CHEMISE, enregistrement 459128
– BUFFALO DAVID BITTON & TAG, enregistrement 749,259
– RED TAG, enregistrement 194,716
– LEVI STRAUSS & CO. QUALITY CLOTHING, enregistrement 276,249
– GO TAGLESS SANS ETIQUETTE, demande 1,237,896
– BANANA REPUBLIC, enregistrement 804019
– FILA FINE COLLECTION, demande 862057
Propriété intellectuelle dans les vêtements
412267 de Chemise
Lacoste (Abd)
414785
de Giorgio Armani
67
276249
Levi Strauss
1237896
Sara Lee/HBI
278290 Levi Strauss
749259 No Excess
The trade mark is an orange tab comprising
a folded ribbon of textile material or the like
appearing on and permanently affixed to the
exterior of the garment in such a position
that the TAB is visible while the garment is
being worn, the trade mark being applied to
the goods by stitching the edges of the TAB
into a structural seam of the garment so that
the stitching of said seam secures one end of
the TAB to the garment with the folded edge
thereof extending visibly from the seam. The
drawing is lined for the colour orange.
The trade-mark consists of a small rectangular
shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior of a
clothing shirt in a position as indicated in the
attached drawing and described as follows: the
tab of material is located on the button seam of
the shirt approximately mid-way between the
last and second to last buttons. The representation of the wares as shown in dotted outline
does not form part of the trade-mark as applied
for but is used to establish the relationship of the
rectangular shaped piece of material with the
actual clothing garment.
311581 Levi Strauss
804019 Banana Republic
The Trade mark comprises the word LEVI’S
rendered on a tab comprising a folded ribbon
of textile material or the like appearing on and
permanently affixed to the exterior of an article, the trade mark being applied to the article
by stitching one edge of the tab into a structural seam of the article so that the stitching of
said seam secures one edge of the tab to the
article with the folded edge thereof extending
visibly from the seam.
68
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• d’armoiries, vraies ou fausses
– CREST de Tommy Hilfiger, enregistrement 483,261
– MILTON YOUTH SOCCER CLUB, enregistrement 727,360
– WOODS & GRAY, enregistrement 459,359
– R.C.M.P., dossier 902,518
– POLO, enregistrement 4591,82 (Polo/Lauren)
483261
Tommy Hilfiger
727360
Milton YSC
459359
Woods & Gray
459182
Polo/Lauren
726491
Dizaro
747571
Dizaro
902518
RCMP
• d’une devise ou d’un slogan
– QUALITY NEVER GOES OUT OF STYLE, enregistrement
275,541 (Levi)
– OUR SIGNATURE, YOUR STYLE, enregistrement 700,836
(Levi)
– PLUS VOUS ETES RAVISSANTE, PLUS NOUS SOMMES
RAVIS, enregistrement 163,746 (Canadelle)
– WONDERBRA, THE BRAS THAT MAKES THE CLOTHES
THAT MAKE THE WOMAN, enregistrement 294,000
(Canadelle)
Propriété intellectuelle dans les vêtements
69
– POUR S’HABILLER SANS Y LAISSER SA CHEMISE,
enregistrement 770,313 (Reitmans)
– POUR LA FEMME MODÈLE, PAS LE TOP-MODÈLE,
enregistrement 786, 392 (REITMANS)
– POUR AVOIR PLUS D’UN STYLE DANS SON SAC,
TMA770,333 (REITMANS)
– UNUM SUMUS, enregistrement 783,693 (Tristan & Iseult)
• d’un poinçon ou d’un sceau
– THE SEAL OF QUALITY, TMDA 8199 (Hudson’s Bay)
– SHIELD, enregistrement 358,008
– THIS IS A PAIR OF LEVI’S, enregistrement 425,308
– V & R, enregistrement 607,630
– THE GUARANTEED FORSYTH SHIRT, UCA 09333
– ROOTS GENUINE LEATHER, enregistrement 339,963
– L.A. GEAR, enregistrement 394,805
19773 de Hudson’s bay Company
Crest and motto consisting of: shield: quartered by a cross-charged in each quarter by beaver
statant. Supporters: two stags springing- horned and hoofed – one stag on each side. Crest:
fox sejant on cap of maintenance. MOTTO: in scroll PRO PELLE CUTEM. The crest and motto
to be enclosed by a double circle in the margin of which the words and figures HUDSON’S
BAY COMPANY INCORPORATED 1670 are imprinted and underneath the whole of which is
printed the words THE SEAL OF QUALITY.
70
Les Cahiers de propriété intellectuelle
425308 Levi Strauss
339963 Roots
339963 Forsyth
• d’une représentation d’animal, réel ou stylisé
– ALLIGATOR, enregistrement 751,836
– CROCODILE, enregistrement 559,121
– PERROQUET, enregistrement 536,982
– AIGLE, enregistrement 666,587
– BUFFALO, enregistrement 463,289
– BULL, enregistrement 241,532
751836
de Lacoste
559121
de Crocodile
Garments
463289
de Buffalo Bitton
666587
de Aigle
• d’une représentation de personnes, réelles ou fictives
– POLO PLAYER, enregistrement 314,256
– GIRL, enregistrement 519,040
– WOMEN, enregistrement 201,642 ? ?
– EXCEL-FIT, enregistrement 175,184
– DISCRETION (Christine Brodeur enregistrement 174,040
Propriété intellectuelle dans les vêtements
71
– MAN – COWBOY, enregistrement 167,518
– MISS MARY OF SWEDEN, enregistrement 758,578
– SILHOUETTE RENÉ LACOSTE, 1416798
174040 de Avalon
758578 de Miss Mary of Sweden
Christine Brodeur a donné son consentement
à l’usage de sa photo. Arrière-plan bleu pâle
et bleu foncé ; bas-culotte couleur chair et
blouson de fleurs de couleurs rose, violet, or
et vert ; la matière à lire sur l’étiquette est en
blanc, noir et bleu foncé.
Arrière-plan bleu pâle et bleu foncé ; basculotte couleur chair et blouson de fleurs de
couleurs rose, violet, or et vert ; la matière à
lire sur l’étiquette est en blanc, noir et bleu
foncé. de Lary
314256 de Polo Ralph
Lauren
519040 Le Château
1416798 Lacoste
• d’une scène
– VILLAGE, enregistrement 665,884
– TOWER, UCA 44941
– ARBRE ET FEUILLES, enregistrement 741,925
– SCENE, enregistrement 290,915
72
Les Cahiers de propriété intellectuelle
665884
Intrawest
44941 C&J Clark
741925
de Cote Reco
290915
Zegna Baruffa
« motif d’arbres et
feuilles » pour des
vêtements de chasse
• d’une signature, réelle ou fictive
– PIERRE CARDIN, enregistrement 342,833
– AGNÈS B., enregistrement 412645
– CAROLYN TAYLOR, demande 1,267,144
– KATHERINE BARCLAY, enregistrement 715,381
342833
Pierre Cardin
412645
Agnès Trouble
1267144
By Design
715381
Corwik
• d’un patronyme, réel ou inventé
– ALFRED SUNG, TMA620,491 (né le 1948-06-14)
– YVES SAINT LAURENT, enregistrement 358,669 (19362008)
– MARIE SAINT PIERRE, demande 1,441,713 (1961- )
– NICOLE BENISTI, enregistrement 721,285
– RENÉ BARTON, enregistrement 654568
– MICHAEL STARS, enregistrement 577185
Propriété intellectuelle dans les vêtements
73
– MICHAEL KORS, enregistrement 473,538 (né Karl Anderson, Jr. le 1959-08-09)
• d’une combinaison plus ou moins heureuse de ce qui précède
– TRISTAN ET ISEUT, enregistrement 344,035
– ABC, demande 1311580
– THÉATRE DU MOULIN ROUGE…, demande 1528170
– LEVI STRAUSS, enregistrement 266,592
1311580 de Maurice Ohayon
La marque de commerce est une marque à deux dimensions. Une vue partielle de trois
profils de modèles de jeans attachés à une vue partielle de trois profils de torses humains. Le
premier profil est identifié, au bas de celui-ci, par la lettre A, le second profil par la lettre B
et le troisième profil par la lettre C. Le tout étant qu’une marque de commerce. La couleur
est revendiquée comme une caractéristique de la marque de commerce. Les trois représentations de jeans sont BLEU CLAIR. Les lignes de contour des jeans sont BLEU FONCÉ (là où
applicable). Le tracé du dos des mannequins est NOIR. Le tracé de l’abdomen des mannequins est ROUGE. La lettre A est MARRON. La lettre B est MAUVE. La lettre C est ORANGE.
344035 Boutique
Tristan et Iseut
1528170 de Bal du Moulin
Rouge (Henri de Toulouse
Lautrec, 1864-1901)
266592 Levi Strauss
74
Les Cahiers de propriété intellectuelle
et des marques traditionnelles, quoique surprenantes :
• de l’apposition d’une couleur
– BABY ANABELL BAG, enregistrement 635,563
– SEMELLE ROUGE, enregistrement 810,294
635563 de Zapt
1466797 de Louboutin
La marque de commerce est composée de couleurs « bleu clair »,
« rose », « gris » et « blanc » dans la mesure où ces couleurs sont
appliquées à la surface visible entière du sac montré dans les dessins. La marque de commerce est une combinaison de la couleur
« bleu clair » appliquée au corps du sac montré dans le dessin,
la couleur « blanc » appliquée aux représentations du mouton,
à l’ovale au-dessus du sac à l’avant et à l’arrière, à la forme carrée au centre de l’avant du sac, à l’ovale dans le coin inférieur
gauche de l’arrière du sac, aux formations nuageuses appliquées
à toutes les surfaces du sac et aux mots ZAPF CREATION, la couleur « rose » appliquée aux bordures de tous les côtés du sac, à
la surface supérieure de la languette qui s’étend en travers du
haut du sac, au contour autour des représentations du mouton,
au contour autour de toutes les formes ovales et carrées sur le sac,
aux mots BABY ANNABELL et <http://www.zapfcreation.com>
et au contour des mots ZAPF CREATION, aux points en embruns
appliqués à diverses parties de tous les côtés du sac et au contour
essentiellement rectangulaire à l’arrière du sac ayant des parties
semi-circulaires découpées montrées dans les dessins, et la couleur « gris » appliquée au contour du mouton et les points en
embruns appliqués à diverses parties de tous les côtés du sac. Les
quatre dessins sont des perspectives de la marque.
La marque de commerce consiste en la
couleur rouge (Pantone*
181663TP) appliquée à
toute la surface externe
de la semelle de la chaussure telle que montrée
dans le dessin (* Pantone
est une marque de commerce enregistrée).
Annoncée le 2011-07-06.
Admise le 2011-10-21.
• d’un positionnement
Bon, tous connaissent les broderies sur les poches de jeans.
Cela en est parfois « mélangeant » mais on finit par s’y retrouver !
Propriété intellectuelle dans les vêtements
75
621,446
Polo/Lauren
660,917
Reitmans
728,634
Calvin Klein
754,417
NYDJ
756,060 Sellmor
(Foxy Jeans)
766,291
Sellmor
722,804
Sellmor
695,373
Sellmor
1,543,804
Sellmor
742,577
Inditex (Zara)
1,514,959
McCrane
588,009
Giorgio Armani
685,967
Dynamite
1,545,085
Paper Denim
1,545,085
Page denim
1,304,072
Abercrombie &
Fitch (opposition
de Levi Strauss)
706,112
Abercrombie &
Fitch
680,637
Abercrombie &
Fitch
706,303
Abercrombie &
Fitch
706,113
Abercrombie &
Fitch
76
Les Cahiers de propriété intellectuelle
788,163
Retail Royalty
688,638
Retail Royalty
688,638
Retail Royalty
786,495
Retail Royalty
1,379,477
Retail Royalty
301,631
H.D. Lee
217,830
H.D. Lee
679,969
denimXworks
679,224
Right-On Co
695,101
Right-On Co
698,976
Right-On Co
675,710
Right-On Co
675,711
Right-On Co
1,280,870
Right-On Co
758,072
Rallye
595,047
Aritzia
709,264
Tween Brands
709,093
Tween Brands
705,689
Tween Brands
715,470
Tween Brands
Propriété intellectuelle dans les vêtements
77
1,465,787
Tribal Sportswear
1,466,840
Tribal Sportswear
1,492,730
Tribal Sportswear
1,493,036
Tribal Sportswear
1,466,859
Tribal Sportswear
1,493,492
Tribal Sportswear
1,498,091
Tribal Sportswear
698,832
Western Glove
1,505,375
Western Glove
703,051
Western Glove
1,505,374
Western Glove
517,787
Western Glove
266,223
Edwin
661,212
Edwin
1,392,613
Dylan George
1,392,614
Dylan George
517,605
Levi Strauss
39879
Levi Strauss
1,506,279
Levi Strauss
142,607
Levi Strauss
78
Les Cahiers de propriété intellectuelle
354,788
Levi Strauss
381,977
Levi Strauss
738,977
Levi Strauss
294,040
Basic/Kappa
802,709
Dizaro
802,711
Dizaro
802,715
Dizaro
802,714
Dizaro
469,127
Buffalo
785,399
Buffalo
698,822
Buffalo
714,713
Esprit
728,634
Calvin Klein (ceux
qui sont attentifs
et qui ont de
bons yeux auront
constaté que c’est
un doublon)
640,212
Banana
Republic
684,591
Parasuco
455,442
Parasuco
470,156
Majone
1,499,331 Wrangler
(en opposition par
Rossignol)
595,540
Fashion Box
455,292
BRI
Propriété intellectuelle dans les vêtements
1,511,229
Jiangsu Able
478,537
Big project
1,265,096
Citizens of
Humanity
79
702,095
Diesel
Mais on peut aller au-delà :
– A DOUBLE ARCUATE, enregistrement 398,79
– SLEEVE LINES, 1546656FLY LABEL, enregistrement
490,891
– LULULEMON WAVE DESIGN, enregistrement 728,845
– LUCKY YOU, enregistrement 484,728 (goût douteux)
– 3-STRIPES JACKET, enregistrement 757,178
– TOE SMILE, enregistrement 611,997
– SOCK, enregistrement 319,504
– SOCK, enregistrement 348,038
– RED STRIP ON HEEL OF SHOE, enregistrement 696,140
– H CALEÇON, enregistrement 498,624
80
1546656 Lululemon
Les Cahiers de propriété intellectuelle
490891 Worsburg
728945 Lululemon
The trade-mark consists of a rectangle
with two sets of diagonal lines
611997 Converse
(TOE SMILE)
The mark consists of
a
two-dimensional
label consisting of a
solid bar along the
middle of the toe.
UCA38492 Jockey
An arbitrary threepronged
figure
applied to the front of
underwear.
498624 Château
Mfg. (Jockey)
757178 Adidas
The mark consists of
three parallel stripes
running along the
sleeve of a shirt,
Tshirt,
sweatshirt,
jacket, or coat.
348038 McGregor
696140 Prada
The trade-mark is
a
two-dimensional
strip, the colour of
which is red, applied
to a shoe as shown in
the drawing.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
81
Bottes
513802 de R. Griggs
1515193 de Kodiak
The applicant claims the colours as features
of the trade-mark, the colour BLACK for the
upper ribbing of the outsole; the colour YELLOW for the welt stitching. The mark consists
of horizontal ribbing located on the out sole
and of a welt stiching. The representation of
the outline of a boot shown in dotted lines
does not form part of the mark but is included in the drawing to show the position of the
mark
The representation of the footwear in dotted
lines does not form part of the trade-mark.
The trade-mark consists of the word EXILE
and the curves and loops design shown in
black.
858230 de R. Griggs (abd)
328507 de Kodiak
The trade-mark consists of a pull tab fastened
at the topmost heel portion of the footwear
article, two-tone horizontal ribbing located
on the outsole, welt stitching and an undersole. The representation of the article of a
boot shown in dotted lines does not form part
of the trade-mark but is included in the drawing to show part of the position of the mark.
The representation of the outline of the undersole shown in dotted lines does not form
part of the mark but is included in the drawing to show part of the position of the mark.
82
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Braguette
738205 de Isaco
The trade-mark is two-dimensional. The
mark consists of open-fly jeans that includes
a representation of denim. The stippling is a
feature of the mark that indicates texture and
does not represent colour.
484728 de Lucky Brand
The design portion of the mark consists of a
rectangular cloth label sewn and positioned
vertically on the inside of the front fly of a
pair of pants and two four leaf clovers. The
broken lines in the drawing are not a part of
the mark and no claim is made to them. [d’un
goût douteux, on en conviendra !]
1514960 de McCrane
The trade-mark consists of stitching in the
form of a stylized letter J on the fly flap of a
pair of pants. The features of the pants themselves do not form part of the trade-mark.
762470 de Selimor
A stitched design of a triple bar-tack sewn at
the fly of jeans, pants and shorts. The representation of the fly and jeans, pants or shorts
shown in dotted outline does not form part of
the trade mark.
Chandail
714655 de Lance
Colour is claimed as a feature of the trademark. The trade-mark is a two-dimensional
band applied to the sleeve of a shirt, the colour of the band being yellow.
621814 de H-D Michigan
The representation of the garment shown
in dotted outline does not form part of the
trade-mark. The trade-mark consists of a
wide orange stripe outlined by two narrow
stripes. The wide orange stripe has been lined
for colour.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
83
531537 de Oshkosh B’Gosh
1467396 de Pence Love
The mark consists of an inverted isosceles
triangle having a base approximately equal
to its altitude superimposed upon the darker
background of the overall material itself at a
point immediately below the apex formed at
the juncture of the two suspender straps at
the back of the overall. The representation of
the wares shown in dotted outline does not
form part of the trade mark.
The mark consists of two sets of four horizontal and collinear red stitched lines applied
to the bottom right corner of the particular
t-shirt shown in the attached drawing. The
representation of the t-shirt shown in dotted
outline does not form part of the mark.
419663 (rad) de Nike
Bauer Hockey
456415 de Adidas
The representation of the shirts shown in
the dotted outline does not form part of the
trade-mark.
408960 de Joff
1542423 de Lululemon
The trade mark consists of two parallel one
half (1/2) inch stripes which are woven at an
angle and incorporated into the inside left
hand end of the collar; the representation of
the wares shown does not form a part of the
trade mark.
The trade mark consists of three parallel bars
applied to the front left-hand seam of the
upper chest/shoulder area of a shirt, t-shirt,
sweatshirt, sweater, tank top or jacket. The
dotted outline of the garment and the inset
view of the garment do not form part of the
mark and are intended only to show the position of the mark. Color is not claimed as a
feature of the mark.
84
Les Cahiers de propriété intellectuelle
737787 de HDOS
The trade-mark consists of the adjacent vertical colour stripes in the following sequence
beginning from the left: white, red, yellow,
blue applied to the surface of the particular
shirt shown in the drawing, and of the colour
yellow applied to the surface of the sleeves
of the particular shirt shown in the drawing.
Chapeau
798013 de Tilley Durables (ref)
1506013 de Rhonda Bear
The representation of the hat in dotted outline does not form part of the trade mark.
The trade mark consists of four grommets and
their relative size and placement in relation
to the aplicant’s wares as shown in the above
drawing.
1271096 de K&0 (abd)
1268638 de Caracer
The mark consists of a flag design on bill of The trade-mark consists of a two-dimensional
cap, the design being cross hatched in the design applied to the exterior of a helmet.
above drawing to indicate a flag design.
The three-dimensional object shown in dotted outline in the drawing does not form part
of the trade-mark.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
85
Chaussette
1376622 de Flagship
1495276 de Thoneburg (abd)
The mark consists of a line around the base of
a sock, which begins in the heel area on one
side of the foot, travels toward the toe area,
turns to cross the toe area, and after crossing the toe area turns to continue around the
other side to the heel area opposite the place
at which it began. The matter shown by the
dotted lines in not a part of the mark and
serves only to show the position of the mark.
The mark consists of a contrasting colored
configuration located on the instep and arch
areas of the overall sock representation, such
contrasting colored configuration extending
throughout the instep from the toe area to
the top of the ankle area of the sock, and extending as a continuous band encircling the
arch area; such configuration being outlined
in the instep and arch areas by a first narrow
contrasting colored band and a second wider contrasting colored band, and at the top
of the ankle area by a single wide contrasting colored band; and having in the instep
area two opposite lines of contrasting colored
dashes in a symmetrical chevron pattern. The
overall sock representation forms no part of
the mark. The drawing represents four views
of a sock bearing the mark.
1,226,591 de GAKM
319504 de Thoneburg
The mark consists of three lines completely
encircling the toe area of the sock and in a
colour that differs from the background or
principal colour of the sock. Colour is not
claimed as a feature of this trade-mark, but
the subject mark is not depicted in green.
The mark consists of a contrasting shaded
configuration located in the ball and undertoe areas, and in the heel and immediate adjacent high-splice and sole areas of the overall
sock configuration. The representation of a
sock forms no part of the mark.
86
Les Cahiers de propriété intellectuelle
794,696 de Sara Lee (ref)
348038 de McGregor
The trade-mark consists of a red line located
at the toe of a sock.
18622 de McGregor
1420175 de GAKM
Representation of a sock having a smiling face The trade-mark consists of the colour GOLD
portrayed thereon.
applied to the whole visible surface of the toe
of the particular sock shown in the drawing.
Chemise
769715 de TN1
459128 de No Excess
The trade-mark consists of the colour red as
applied to the whole of the visible surface
of the lower portion of a three dimensional
button design as affixed to the penultimate
position from the bottom of the shirt and at
the penultimate position from the cuffs of
the shirt. The drawing is lined for colour. The
representation of the shirt shown in dotted
outline does not form part of the trade-mark.
The representation of the remaining buttons
not lined for the colour red shown in dotted
outline does not form part of the trade-mark.
The trade-mark consists of a small rectangular
shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior
of a clothing shirt in a position as indicated
in the attached drawing and described as
follows: the tab of material is located on
the button seam of the shirt approximately
mid-way between the last and second to last
buttons. The representation of the wares as
shown in dotted outline does not form part
of the trade-mark as applied for but is used
to establish the relationship of the rectangular shaped piece of material with the actual
clothing garment.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
87
1000612 de Natural Balance (abd)
352627 de Dylex
The trade-mark consists of a small rectangular
shaped piece of material applied to or otherwise attached permanently to the exterior of a
clothing shirt in a position as indicated in the
attached drawing and described as follows:
the rectangular shaped piece of material is
vertically located approximately one-quarter
of the way from the top of the shoulder of
the shirt, and horizontally is set mid-way in
the garment. The trade-mark also consists of
the lower edge of the shirt collar displayed
in a wide “v” shape with a small button in
the middle of the “v”. The representation of
the wares as shown in dotted outline does
not form part of the trade-mark as applied
for but is used to establish the relationship of
the piece of materials with the actual clothing
garment.
The mark is applied to the inside collar of a
shirt and consists of a row of stitching in kelly
green in the form of two arcs; the applicant
is claiming the colour kelly green as a feature
of the mark.
Étiquettes
488554 de Buffalo
625362 de Buffalo
The trade-mark consists of a half-circle shape
tab with the word BUFFALO written onto.
The trade-mark is two-dimensional and consists of a label applied to the wares shown in
the attached drawing. The object shown in
dotted outline does not form part of the mark
but merely shows the position of the mark on
the wares
88
Les Cahiers de propriété intellectuelle
456522 de Guess ?
The colour red is a claimed feature of the
trade-mark. The representation of the neckline of a shirt, shown in dashed outline, does
not form part of the mark.
773459 de R. Griggs (abd)
The mark consists of a pull tab fastened at the
topmost heel portion of the footwear article.
The representation of the outline of a boot
shown in dotted lines does not form part of the
mark is included in the drawing to show the
position of the mark. The applicant claims the
colours as features of the trade-mark, i.e.: the
colour black for the pull tab
Gants
399600 de Kinco (rad)
The trade-mark consists of a wave-like design; the representation of the wares shown
in dotted outline does not form part of the
trade-mark.
721878 de Ranka (abd)
The trade mark is a small marker or tab, one
side of which is affixed permanently to one
side of the cuff portion of a glove, the marker
or tab projecting visibly outwardly from the
glove. The representation of the wares does
not form part of the trade mark.
707044 de Kinco
The trade-mark consists of the colours grey,
red and violet applied to the visible surface
of a glove in the particular orientation as illustrated in the drawing. The drawing is lined
for the colours grey, red and violet.
643057 de Superior Glove
The trade-mark consists of a stripe of contrasting fabric appearing on the lateral side of
a glove shown in dotted outline. The representation of the glove is merely for illustration
purposes to show the position of the stripe
on the glove and does not form part of the
trade-mark.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
268960 de Isotoner
423695 de Autin
Glove (rad)
89
416659 de C.B.M.
(rad)
296361 de CCM
Motif
707999 de Fendi
455587 de Louis Vuitton (motif épi)
The trademark is bidimensional, and is constituted of the following elements in a square:
lines of duets of black “F”, each duet being
composed of two “F” (one the right way up,
the other upside down) on a tobacco brown
background. The protection is only claimed
for the combination of the above-mentioned
elements in the mark, to the exclusion of any
relief or texture.
La requérante revendique les couleurs
comme caractéristiques de la marque,
soit : la marque est constituée d’un ensemble
composé de lignes irrégulières et d’un double
ton de couleur jaune produisant un effet de
relief. La représentation graphique est une
vue de dessus en direction oblique.
303605 de Céline
668459 de S Tous
90
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Motif – Tartan
611569 de Burberry
795292 Eddie Bauer
Colour is claimed as a feature of the trademark. The colours red, blue, yellow, white,
hunter green, khaki, hunting orange and navy
are claimed as a feature of the mark. The
mark consists of a plaid design with the colours red, blue, yellow, white, hunter green,
khaki, hunting orange and navy.
731496 de Tommy Hilfiger
523043 de Aquascutum
Colour is claimed as a feature of the trademark. The applicant claims the colours red,
white, blue and black as features of the
mark. The dark squares in the four corners
of the drawing are comprised of blue smaller
squares in the centre which are outlined by
a black frame. The squares in between the
dark corner squares are made up primarily of
alternating blue and white diagonal lines. The
middle square is predominantly white. There
are pairs of intersecting lines in the center of
the design consisting of alternating blue and
white diagonal lines which change to solid
blue when they exit the predominantly white
centre square. There are predominantly red
lines made up of alternating red and white
lines on the diagonal outlining the central
white portion of the mark. They change to
red and blue diagonal lines when they pass
the predominantly white centre square.
Colour is claimed as a feature of the trademark. The pattern comprises repeating large
squares, each large square having four horizontal bands of four smaller squares. The top
horizontal band in the large square has the
four smaller squares in the following colours:
the first one is dark blue on light blue, the
next is dark blue on beige, the next is dark
blue on light brown, and the last is dark blue
on beige. The second and fourth horizontal
bands have four small squares in the following colours: light blue, beige, light brown and
beige. The third horizontal band has four
small squares in the following colours: dark
brown on light blue, dark brown on beige,
dark brown on light brown, and dark brown
on beige.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
91
Pantalon
757203 de Adidas
523422 de Coalision
The mark consists of three parallel equally
spaced stripes applied to a trouser or short,
the stripes running along one third or more of
the side of the trouser or short, as illustrated
on the form of the application. The dotted
outline of the garment is not claimed as part
of the mark and is intended only to show the
position of the mark.
Partie de la marque, elle est incluse seulement pour démontrer l’emplacement de la
marque de commerce qui est une ligne de
point de couture représentée sous la forme
d’une ligne pleine. Les lignes pointillées ne
font pas partie de la marque.
1529404 de Lululemon
301631 de H.D. Lee
The representation of the garment in dotted The trade mark consists of a double line of
outline does not form part of the trade-mark. stitching in the form of an ogive curve across
each of adjacent pockets. The outline of the
pocket, and the outline of the garment, do
not form part of the trade mark.
1545478 de RCRV
The trade mark consists of the stitching design as applied to the waist to thigh portion of
each pant leg shown in the attached drawing.
The representation of the pant leg shown by
the dotted outline does not form part of the
trade mark.
92
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Poche
802714 de Dizaro
577449 de Guess ?
The mark consists of a red stylized letter “G”
positioned on the side seam of a pocket. The
dotted outline of the pocket does not form
part of the mark.
1481352 de GWG
1492730 de Tribal Sportswear
The trade-mark is two-dimensional and consists of a stitched rectangle centered near the
top of the right back pocket of the garment.
The representation of the pockets shown in
dotted outlines does not form part of the
trade-mark, but merely shows the position of
the mark.
The trade-mark consists of stitching designs as
applied to pockets. The representation of the
pockets shown in solid lines does not form
part of the trade-mark, but merely shows the
position of the mark.
Sac
186434 de Adidas
1493061 de Timbuk2
The trade mark consists of three stripes of any
colour applied to the article at an angle to the
vertical and horizontal and located on the article substantially to one side thereof.
The mark consists of three vertical panels of
varying colours, together spanning the width
of the product. The object shown in dotted
outline does not form a feature of the mark
and is used to indicate the placement of the
mark. The solid lines indicate the mark being
claimed.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
1446150 de Kenneth Cole
93
407991 de Louis Vuitton (rad)
The trade-mark consists of two two-dimen- La décor floral et les lettres sont en jaune sur
sional circles, which do not perform func- un fond marron foncé.
tional purposes, as applied to a three-dimensional object. The three-dimensional object
shown in dotted lines does not form part of
the trade-mark. The drawing depicts two (2)
perspectives of the same trade-mark.
714198 de S.A.S. Jean Cassegrain
529821 de Jeanne Lottie’s
The trade-mark consists of the colour brown The trade-mark is comprised of a three-diapplied to the whole of the visible surface of mensional tag with front, back and underside
the closing flap, handles and zipper tabs of as depicted.
the particular handbag shown in the drawing
in three different perspectives of the same
mark. These perspectives include a front
view, rear view and top view of the handbag.
Semelle
616311 de Lloyd
684774 de Aerogroup
Colour is claimed as a feature of the trademark. The trade-mark is comprised of a continuous and horizontal red strip in the heel
of a shoe.
The trade-mark comprises a pattern defined
by a repeating series of diamond or rhombishaped elements arranged sequentially and
adjacent to one another, applied to the bottom surface of the sole portion of a shoe, as
shown in the drawing.
94
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1519968 de Converse
456499 de Vans
701806 de Walsh
479488 de C&J Clark
The trade-mark consists of the colour black
applied to the whole of the visible surface of
the particular shoe sole shown in the drawing. The dotted lines shown across and
lengthwise represent a chevron patterning on
the shoe sole itself, the tip and heel of the
sole are stippled to indicate that the chevron
pattern does not extend to these portions of
the sole.
Soulier
1445156 de Kenneth Cole
161856 de Adidas
The trade-mark consists of a two-dimensional
circle, which does not perform functional
purposes, as applied to the three-dimensional object. The three-dimensional object
shown in dotted lines does not form part of
the trade-mark
The trade mark consists of three substantially
parallel stripes of any colour applied to the
footwear in such a position as to extend substantially diagonally from the lacing to the
bottom of the shoe on both sides at a point
near the mid-point from front to back thereof.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
95
264673 de Puma
428850 de Reebok
The trade mark consists of an elongated stripe
of any colour either contrasting with or identical to the colour of the background on which
it appears, which elongated stripe appears on
the side of the wares. The dotted stylized outline of an article of footwear does not form
part of the trade mark, but is included in the
drawing to illustrate the configuration of the
mark as it is actually used in association with
the wares.
The trade-mark is characterized by the affixing of a three-dimensional convex semisphere on the upper part of the tongue, without regard to surface material, texture, words
or designs on the surface; the representation
of the shoe shown in dotted outline does not
form part of the trade-mark.
462218 de Calenda
1483831 de Canadance
La représentation d’une chaussure ne fait pas
partie de la marque ; la marque consiste en
une région dénudée sur l’avant d’une chaussure faisant voir une surface brillante sousjacente.
Colour is claimed as a feature of the trademark. The image that is applied to the visible surface of the quarter of the shoe is red.
The three-dimensional object shown in dotted lines does not form part of the mark. The
trade-mark consists of the color red, in a twodimensional image which does not perform
functional purposes, applies to the visible
surface of the quarter of a shoe. The Maple
leaf in the drawing does not form part of the
mark but rather shows an example of the
mark wherein the image defines a Maple leaf.
96
Les Cahiers de propriété intellectuelle
264140 de Famolare (rad)
715782 de Keds (abd)
The trade mark consists of a nameplate
shown in solid lines in the attached drawing.
The dotted outline of a shoe does not form
part of the trade mark.
450783 de Fila
356449 de Saucony
1499994 de Vans
349356 de Reebok
• d’une photo (d’un modèle, professionnel ou non, ou d’une vedette,
actuelle ou has been)
> JOBST MEDICAL LEGWEAR, enregistrement 516,137
> CASBAH, enregistrement 174,033
> JACQUES VILLENEUVE, enregistrement 524,855
> MICHAEL SCHUMACHER, enregistrement 637,501
Propriété intellectuelle dans les vêtements
516137
BSN Medical
174033
Avalon
97
524855
Villeneuve
637501
Schumacher
• caricature ou représentation stylisée
– DANNY JAMES, enregistrement 772,083
– ROLLAND Hi Ha TREMBLAY, enregistrement 393,410
– AYKROYD-BELUSHI, demande 1,400,486
– AUTHENTIC HENDRIX, demande 1,291,176
772083 Dan
Bauman
393410 Barette
1400486 Aykroyd
Belushi « The Blue
Brothers »
1291176
Experience Hendrix
• marque téléphonique (séquence numérique, complète ou partielle)
ou vanité
– 967-1111
– -3030
– 98-ROBIC
– 800-FLOWERS
98
Les Cahiers de propriété intellectuelle
• marque architecturale
– façade ABERCROMBIE, enregistrement 771,681
– façade BOBOLI, enregistrement 323,367
– entrée BUILD-A-BEAR, enregistrement 617,964
– décoration intérieure d’ABERCROMBIE, 1,530,377
771681
Abercrombie
323367 Boboli
617964
Build-A-Bear
1530377 Abercrombie & Fitch
The trade-mark is three-dimensional. The mark consists of a mounted Moose head centered
in a rectangular enclave above and behind the cash wrap counter. The broken lines are intended to show placement of the trade-mark and are not a part of the trade-mark.
3.3 Les formes
Une marque peut également consister d’une forme. Une marque
de commerce est principalement perçue comme bidimensionnelle.
Rien n’empêche toutefois qu’elle puisse être tridimensionnelle. La
loi prévoit qu’une marque de commerce comprend également un
signe distinctif (distinguishing guise), savoir :
• le façonnement de marchandises
– BIRDCAGE, enregistrement 712,883
– BOW-TIE DESIGN, demande 1,394,756
Propriété intellectuelle dans les vêtements
99
– SQUITO, demande 1,528,324
– MANTRA, demande 1,431,769
– ELEVEN COAT, enregistrement 458,774
– SAC BIRKIN, demande 1,414,879
– SAC KELLY, enregistrement 696,581
– SEMELLE ROYER, demande 1,384,839
– SAC AMERIBAG, enregistrement 777,017
– BOTTE LUNAR, enregistrement 340648
712883 Winsdsford
(birdcage)
1394756
Cotton Babies
1528324 Squito
1431769
Canada Goose
1414879 Hermès
(sac Birkin)
777017
de AmeriBag
« dessin que forment
deux
extrémités d’une couche
lorsque repliées »
458774
Eleven Floor
696581
de Hermès
(sac Kelly)
100
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1384839 Royer
340648
de Régence
• le façonnement de contenants
– CONTENEUR, enregistrement 459,181
• le mode d’envelopper des marchandises
– SACHET DIM, enregistrement 385,046
• le mode d’empaqueter des marchandises
– EGG CARTON (COLLAR), enregistrement 463,514
– SACHET DIM (2), enregistrement 348,247
– BOÎTE À T-SHIRT, 1273461
348246 Dim
463514 de
Hanes/Sara Lee/
HBI (L’Eggs)
385046 Dim
459181 Daher
1274361 de
Mountain
Certaines marques tridimensionnelles, parce qu’elles ne forment
pas partie intégrante d’une marchandise ou de son contenant, ne
seront pas considérées comme des signes distinctifs mais comme
des marques de commerce « ordinaires ». Cela peut être avantageux dans la mesure où pour obtenir l’enregistrement d’un signe
Propriété intellectuelle dans les vêtements
101
distinctif il faut prouver des ventes très importantes au Canada.
[La preuve se fait par affidavit, est stricte et, surtout, accessible à la
concurrence…]
La différence entre la marque tridimensionnelle et le signe distinctif peut être illustrée par la calandre et l’emblème de garniture
sur le capot. Le premier est une partie essentielle sans laquelle le
véhicule n’est pas complet alors que l’autre n’est qu’une décoration
qui n’empêche pas le véhicule de fonctionner (à preuve toutes ces
voitures dont on a piqué l’emblème et qui roulent toujours !)
– Un agencement de fermetures à glissières
– Une étiquette en cuir avec le mot MACKAGE, rivetée à l’intérieur du col d’une veste, enregistrement 800074
– Trois filaments qui dépassent d’une surpiqûre en forme d’étoile
« MIKOSA SHOOTING SAR », enregistrement 712345
– Un cœur tridimensionnel retenu par une double lanière
à l’extérieur d’un sac à main, enregistrement 671534 (de
Brighton)
– Un tire-languette en forme de crâne pour une fermeture à
glissière d’un bottillon
– Une pastille servant d’étiquette, 1,508,161.
– Le fermoir ou serrures VUITTON, non pas seuls mais sur un
sac, demande 1202045.
Varia
721707 de Seattle Pacific
1508161 de Echo Design
The mark consists of the wording UNION on
the lower right side of a circular button. The
button also has multiple threads attached to a
small off-centered hole.
The trademark consists of a three dimensional configuration of a disc with a stylized
lower case “e” embossed on one side used as
a hangtag for the goods.
102
Les Cahiers de propriété intellectuelle
712345 de 1148 Company
671534 de Brighton
The trade-mark consists of a three-dimensional configuration of a heart-shaped design
and a strap which appear on the side of a
handbag which is depicted in dotted-outline
form and is not part of the mark but appears
in the drawing to show the location of the
mark.
1003970 de Carhart (abd)
1,147,291 de Veneto (abd)
The mark consists of the semi-heart shaped
design of a suspender button by which the
suspender of a bib overall is fastened to the
torso of the overall bibs.
The Trade Mark consists of a three-dimensional tag with front and back as depicted,
used only with the word VENETO printed
thereon.
797948 de Mackage
750372 de H&M
The trade mark is a tab as shown in the attached drawing, permanently inserted at the
center back collar inseam of the outerwear
jackets, coats, trench coats, parkas, cloaks,
ponchos and blazers and in the inseam of the
other wares, and held at the bottom by the
rivet. The dotted line indicates the location
of the rivet which does not form part of the
trade mark
Propriété intellectuelle dans les vêtements
664747 de Parasuco
103
753577 de Sellmor (les rivets de)
The trade-mark consists of three metal studs
applied to the particular positioning inside
the square stitching as shown in the drawing.
638677 de Jack Spratt (rad)
640360 de Superior Glove
The trade-mark consists of a belt loop having The trade-mark is a three-dimensional mark
a band of contrasting colour. The outline of and consists of a cut-out design applied to the
the goods does not form part of the trade- back of a glove (not shown).
mark.
473694 de WWRD
The trade mark consists of a repeated pattern
of two groups of roses applied to the edge of
the article as illustrated in the drawings. The
number of groups in the repeated pattern will
vary in accordance with the article to which
it is applied.
1190402 de Louis Vuitton (abd)
104
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1544859 de Tiffany
The mark consists of a three-dimensional
rivet with a concentric circle in its center. The
stylized words ‘TIFFANY & CO.’ are engraved
clockwise around the annulus of the rivet.
The gray tones are for shading purposes only.
Color is not claimed as a feature of the mark.
3.4 Qu’est-ce qui n’est pas une marque
La caractéristique essentielle d’une marque n’est pas qu’elle
soit visuellement ou phonétiquement agréable ou qu’elle soit originale mais qu’elle distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée ou qui est adaptée à
les distinguer (source, origine).
Dès lors, ne pourra atteindre ce but une marque qui ne serait que
• un élément qui n’aurait qu’une fonction utilitaire
– par exemple, une couture de couleur au bout d’une chaussette relèvera plus d’un mode de construction de la chaussette que d’une marque ou encore comme une ornementation mineure de cette couture
– une serrure sur un sac à main
– un point de faufilage ou un point arrière (par opposition à un
point de fantaisie ou un surpiquage), une piqûre (stitching)
destinés uniquement à tenir 2 morceaux de vêtements ou
constituant uniquement le mode même de couture
– une bande de couleurs qui indiquerait où déchirer un emballage de cellophane dans lequel serait un vêtement.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
105
• un élément qui n’aurait qu’une fonction ornementale
– des fleurs sur une robe [mais peut alors être protégé par
droit d’auteur ou dessin industriel]
– des bandes parallèles sur un short (oui, oui, l’enregistrement
des 3 bandes d’Adidas pour des vêtements a déjà été radié
comme n’ayant qu’une fonction décorative mais c’était en
1978 [Addidas (Canada) Ltd. c. Colins Inc. 38 C.P.R. (2d)
145 (C.F.P.I. ; 1978-01-18))
– une surpiqûre ou une broderie à moins qu’elle ne soit utilisée pour distinguer (attention, il peut y avoir également une
protection par droit d’auteur ou dessin industriel).
• une appellation commune à une industrie
– bord-à-bord (edge-to-edge)
– sur-mesure (custom made)
– grimace (pucker) pour un faux-pli
– empire pour une robe puisque c’est un style
– cintré (fitted)
– ligne A ou A-line pour une robe ou une jupe ajustée aux
hanches et s’élargissant jusqu’à l’ourlet, ce qui donne une
forme de A (créée par Christian Dior et popularisée par Yves
Saint Laurent)
– robe parapluie…
• un grade de qualité
– XXXL ou XS
– petite
• un terme descriptif du produit (ou d’une qualité essentielle de
celui-ci)
– « undiz » pour des sous-vêtements
– « tout chaud » pour des manteaux (y compris les variantes
« to show », « tou cho » et « too chaud »)
106
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le sujet est complexe et a fait l’objet de beaucoup d’articles,
notamment aux États-Unis. De la jurisprudence canadienne, l’on
peut néanmoins tirer :
• que ce qui est uniquement décoratif ne saurait constituer une
marque de commerce enregistrable [ce qui n’empêchera pas une
marque esthétiquement agréable d’être enregistrable] ;
• que ce qui est uniquement fonctionnel ne saurait constituer une
marque de commerce enregistrable [ce qui n’empêchera pas une
marque dont l’utilité est secondaire d’être enregistrable] ;
• que si la caractéristique résulte uniquement du processus de
fabrication, la marque de commerce n’est pas enregistrable ;
• que si la caractéristique n’est pas uniquement décorative ou utilitaire (donc secondaire), la marque est enregistrable ;
• que le caractère fonctionnel (esthétique ou utilitaire) doit se rapporter à la marque elle-même et non à son support.
3.5 Des droits qui naissent de l’emploi
Il n’est pas requis qu’une marque soit enregistrée pour être
protégée et c’est de l’emploi du signe, à titre de marque de commerce,
que naîtront des droits exclusifs.
Il demeure possible d’enregistrer une marque de commerce,
ce qui permet de bénéficier de certains droits exclusifs et d’avantages procéduraux ; c’est aussi une façon d’asseoir son programme
de licensing et de droits dérivés.
L’enregistrement d’une marque de commerce donne le droit
à l’emploi exclusif au Canada de cette marque pour les marchandises ou services visés par l’enregistrement de même que le droit de
réprimer l’emploi d’une marque de commerce qui serait de nature à
créer de la confusion ou à dévaluer l’achalandage d’une marque de
commerce enregistrée.
Sauf pour les marques de commerce enregistrées à titre de
signes distinctifs, la protection vise l’identification du produit plutôt
que le produit lui-même.
Propriété intellectuelle dans les vêtements
107
3.6 Ce qui est enregistrable
En principe, tous les signes sont enregistrables, sauf… [Et le
temps pressant, on sautera par dessus le « sauf », sauf pour préciser qu’il y a souvent « moyen de moyenner » sur cette question car
autrement aucun designer ne pourrait enregistrer son nom comme
marque de commerce.]
La loi pose que certains signes ne peuvent pas être enregistrés, par exemple, un patronyme. Si tel était le cas, en absolu, aucun
designer ne pourrait enregistrer sa marque de commerce. Nuançons.
La loi prohibe l’enregistrement d’une marque qui n’est qu’un
nom de famille. Si la marque est accompagnée d’éléments distinctifs
ou encore si la marque a d’autres significations qu’uniquement celle
d’un nom de famille (par exemple, deux prénoms ou un nom commun) ou encore que ce nom de famille n’est pas très connu, la marque sera enregistrable. Si ce n’est pas le cas, un patronyme pourra
quand même être enregistré à titre de marque de commerce pourvu
qu’il soit démontré que par des ventes importantes la marque est
devenue distinctive.
Une marque qui est le nom du produit dans une autre langue
ou qui donne, en français ou en anglais, une description claire ou une
description fausse ou trompeuse d’une caractéristique intrinsèque
du produit, de son lieu d’origine ou de ses artisans ne sera pas à
prime abord enregistrable.
Et, bien sûr, ne sera pas enregistrable une marque de commerce qui crée de la confusion avec une autre marque de commerce
ou un nom commercial. D’où l’importance de recherches préalables
pour s’éviter des surprises !
Le maître-mot, en tous les cas, demeurera de sélectionner ce
qui peut distinguer les marchandises et présenter le signe à titre
de marque de commerce et non comme un descriptif ou un enjolivement. À cet égard, un marquage approprié est de nature à diminuer
un impact négatif.
3.7 Propriétaire
C’est celui qui utilise une marque à titre de propriétaire (par
opposition à un agent ou distributeur) qui est le propriétaire de la
marque. Il peut y avoir violation d’une marque, qu’elle soit enre-
108
Les Cahiers de propriété intellectuelle
gistrée ou non ; par contre si une marque est enregistrée mais non
employée, elle sera vulnérable à une demande de radiation.
4. Loi sur les brevets (L.R.C. 1985, c. P-4)
En résumé – In a nutshell
• Vise les inventions, c’est-à-dire une idée couplée à la façon de la
mettre en œuvre.
• Nécessite 3 critères : nouveauté, utilité et activité inventive.
• Enregistrement obligatoire.
• Durée de protection limitée à 20 ans à partir du dépôt.
• Taxes entre 950 $ et 1950 $ + une taxe de maintien de 50 $ à 650 $
par année.
La forme d’un objet de la mode ou la disposition d’un dessin
peut être conditionnée par sa fonction, par son but utilitaire. Dans
ce cas, les règles en matière d’invention et de brevets s’appliquent
aux innovations techniques. On pourra discourir longtemps sur le
sujet en indiquant qu’il offre sans doute le meilleur régime de protection mais sans doute le plus coûteux.
Il vise entre autres les matériaux, les systèmes d’attache et
autres améliorations dans le domaine de la mode de même que des
procédés de fabrication.
Certaines idées farfelues peuvent faire l’objet de brevets (on
dépassera cependant le stade de Jacques Carelman, Catalogue
d’objets introuvables (Paris : Balland/Livre de poche, 1969), modernisé à <http://impossibleobjects.com/> ; ou des amusements qui pullulent sur la toile, tel <http://video.answers.com/strange-clothinginventions-516912691>).
La simple idée d’une robe faite d’un matériau inhabituel tels
condoms, papier annuaires téléphoniques, vaisselle, bulles de plastique (Lady Gaga, en mars 2009 dans son Fame Ball Tour), bandes
de caoutchouc, capteurs de luminosité, rubans adhésifs, ballons, aliments (viande comme la robe de Lady Gaga – encore – créée par
Propriété intellectuelle dans les vêtements
109
Franc Fernandez pour le 2010 MTV Music Awards), fermetures à
glissière, ou une robe à colorier, comme telle, ne sera pas protégeable.
Et le succès commercial n’est pas non plus un préalable :
Autant illustrer par divers exemples (encore une fois non exhaustifs) tirés du registre canadien des brevets.
CA 1299321 SHORTS OU JUPES AVEC
COMBINAISON INTÉGRÉE
Abrégé : An article of clothing, namely a pair of shorts or a short
skirt comprises a first body portion and a second body portion
to be worn as an outer member and as an inner member of
slip, respectively, and a waistband portion connecting the first
and second portions. The first body portion, second body portion and waistband portion comprise s one-piece knitted tube
with the waistband portion disposed between and connecting
the first and second body portions. The second body portion
has a front portion and a rear portion and is adapted to be
folded inwardly into the first body portion along the waistband
portion, thereby providing a slip or liner within the first body
portion when worn by the wearer. Articles of clothing according to the invention present inner slips as holders for absorbent
insert pads worn by incontinent adults and effectively conceal
such incontinence aids more completely than prior known
such garments. Moreover, the manner of construction permits
on advantageously economical continuous manufacturing process in which individual garments are produced simply by the
separation of pairs from one another and a subsequent folding
process.
CA 2260056 PROCÉDÉ ET APPAREIL
POUR FORMER, EMBALLER ET
VENDRE DES VÊTEMENTS
Abrégé : Pour vendre des vêtements, on leur confère tout
d’abord une forme compacte, puis on les insère dans un récipient. Ce vêtement et son récipient sont ensuite vendus à partir
d’un distributeur de boissons classique.
CA 2508986 MÉTHODE DE CRÉATION
D’IMAGES CORPORELLES
Abrégé : A method of creating an image on the body. In particular, a novel method of creating a tanned image or text on
the body using an article of clothing for a mask.
110
Les Cahiers de propriété intellectuelle
CA 2085429 SYSTÈME DE CARACTÈRES INTERCHANGEABLES POUR
LES VÊTEMENTS
Abrégé : Les noms des joueurs sur les chandails sportifs sont
habituellement cousus ou collés. Ces procédés présentent des
inconvénients lorsqu’on veut changer les noms des joueurs. En
effet, un certain temps est nécessaire pour cette opération et
de plus, il y a un risque d’endommager les chandails. Dans
la présente invention, un nouveau procédé offre la possibilité de changer le nom d’un joueur sur un chandail de façon
rapide, simple et efficace. Cet élément est particulièrement
avantageux lorsqu’un chandail peut être utilisé par différentes
personnes. Le nouveau procédé consiste à coudre une bande
de matière plastique transparente sur le chandail de façon à
former des cases pouvant recevoir des lettres pour former le
nom. Ainsi, le nom peut être remplacé à volonté en substituant
de nouvelles lettres dans les cases.
CA 1083753 CHAUSSETTES INCORPORANT UNE PIÈCE FLEXIBLE
SERVANT À LES APPARIER
Abstract of the disclosure: A pair of socks is held together from
the time it is removed for laundering, during washing, and,
later, by means of a flexible patch secured to each sock, the
patches of a pair adhering to each other when pressed together. A manual pull will separate the socks for use. Flexible hookand-pile patches are presently preferred inasmuch as their flexibility avoids stretching and tearing the socks during washing.
The hook patches are prevented from catching on the trousers
or other clothes of the wearer by closing an integral or attached
patch of pile to cover these hook patches, and the patches are
opened up for additional bonding area with matching hookand-pile patches on the other sock.
Bref, deux morceaux d’adhésifs (Velcro®, par exemple) qui
fera en sorte qu’au sortir de la sécheuse, il n’y aura plus de
chaussettes orphelines.]
CONCLUSION
Et pour conclure bon ton, une citation :
Une mode a à peine détruit une autre mode,
qu’elle est abolie par une plus nouvelle, qui
cède elle-même à celle qui la suit, et qui ne
sera pas la dernière.
– Jean de LA BRUYÈRE, Les caractères de La
Bruyère (Vienne : de Schraembl, 1849), tome 2,
à la page 191.
Vol. 24, nº 1
Mémoire de l’Union des
consommateurs sur le
projet de loi C-11*
1. MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION . . . . . . . 114
Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125
2. NOUVELLES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR
AU BÉNÉFICE DES UTILISATEURS . . . . . . . . . . . 126
a)
« Contenu non commercial généré par l’utilisateur » . . 126
Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 129
b)
Reproduction à des fins privées. . . . . . . . . . . . . 130
c)
Risques de poursuite contre le Canada. . . . . . . . . 133
Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 135
d)
Fixation d’un signal et enregistrement d’une
émission pour écoute ou visionnement en différé . . . 136
e)
Copies de sauvegarde . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136
Proposition d’amendement . . . . . . . . . . . . . . . 139
© Union des consommateurs, 2012.
* Anthony Hémond, avocat, alors analyste politiques et réglementation en matière
de télécommunications, radiodiffusion, inforoute, vie privée pour la recherche et
rédaction, sous la direction de Me Marcel Boucher, responsable des affaires juridiques et de la recherche. Mémoire présenté le 31 octobre 2011. L’usage du masculin,
dans ce rapport, a valeur d’épicène.
111
112
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. RESPONSABILISATION DES FOURNISSEURS DE
SERVICE INTERNET . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140
4. RESPONSABILITÉ DES FOURNISSEURS DE
SERVICE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141
Union des consommateurs est un organisme à but non lucratif
qui regroupe plusieurs Associations coopératives d’économie familiale (ACEF), l’Association des consommateurs pour la qualité dans
la construction (ACQC) ainsi que des membres individuels.
La mission d’Union des consommateurs est de représenter et
défendre les droits des consommateurs, en prenant en compte de
façon particulière les intérêts des ménages à revenu modeste. Les
interventions d’Union des consommateurs s’articulent autour des
valeurs chères à ses membres : la solidarité, l’équité et la justice
sociale, ainsi que l’amélioration des conditions de vie des consommateurs aux plans économique, social, politique et environnemental.
La structure d’Union des consommateurs lui permet de maintenir une vision large des enjeux de consommation tout en développant
une expertise pointue dans certains secteurs d’intervention, notamment par ses travaux de recherche sur les nouvelles problématiques
auxquelles les consommateurs doivent faire face ; ses actions, de
portée nationale, sont alimentées et légitimées par le travail terrain
et l’enracinement des associations membres dans leur communauté.
Union des consommateurs agit principalement sur la scène
nationale, en représentant les intérêts des consommateurs auprès
de diverses instances politiques, réglementaires ou judiciaires et
sur la place publique. Parmi ses dossiers privilégiés de recherche,
d’action et de représentation, mentionnons le budget familial et l’endettement, l’énergie, les questions liées à la téléphonie, la radiodiffusion, la télédistribution et l’inforoute, la santé, l’alimentation et les
biotechnologies, les produits et services financiers, les pratiques
commerciales, ainsi que les politiques sociales et fiscales.
Finalement, dans le contexte de la globalisation des marchés,
Union des consommateurs travaille en collaboration avec plusieurs
groupes de consommateurs du Canada anglais et de l’étranger. Elle
est membre de l’Organisation internationale des consommateurs
(CI), organisme reconnu notamment par les Nations Unies.
113
114
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1. MESURES TECHNIQUES DE PROTECTION
L’article 47 du projet de loi C-11 propose l’ajout à la Loi sur le
droit d’auteur d’un nouvel article 41, intitulé « Mesures techniques
de protection et information sur le régime des droits ».
Les mesures techniques de protection y sont définies comme :
Toute technologie ou tout dispositif ou composant qui, dans le
cadre normal de son fonctionnement : a) soit contrôle efficacement l’accès à une œuvre, à une prestation fixée au moyen d’un
enregistrement sonore ou à un enregistrement sonore et est
autorisé par le titulaire du droit d’auteur ; b) soit restreint efficacement l’accomplissement, à l’égard d’une œuvre, d’une prestation fixée au moyen d’un enregistrement sonore ou d’un
enregistrement sonore, d’un acte visé aux articles 3, 15 ou 18 ou
pour lequel l’article 19 prévoit le versement d’une rémunération.1
Le même article du projet de loi interdit le contournement de
ces mesures techniques de protection (article 41.1(2) de la Loi sur le
droit d’auteur), et permet aux titulaires de droit de poursuivre tout
contrevenant. Cette interdiction du contournement des mesures
techniques de protection limite par ailleurs l’exercice par les utilisateurs des droits que leur confèrent les nouvelles exceptions introduites au projet de loi, comme le droit à la reproduction à des fins
privées ou encore à l’enregistrement pour visionnement différé.
On ne peut que déplorer l’inclusion, dans la définition des
mesures techniques, des technologies qui contrôlent l’accès à une
œuvre. Les mesures techniques protégées vont de ce fait bien au-delà
de ce que les Traités de l’Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle (OMPI) prévoyaient. En effet, l’article 11 du Traité
OMPI sur le droit d’auteur (WCT), intitulé « obligations relatives aux
mesures techniques », se lit comme suit2 :
1. Projet de loi C-11, article 47 du, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica
tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
2. L’article 18 du Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes (WPPT) contient une disposition similaire à celle de l’article 11 WCT.
Traité de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes. Traité
de l’OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes [en ligne]
<http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/wppt/trtdocs_wo034.html> (page consultée le
13 janvier 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
115
Les Parties contractantes doivent prévoir une protection juridique appropriée et des sanctions juridiques efficaces contre
la neutralisation des mesures techniques efficaces qui sont
mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de
leurs droits en vertu du présent traité ou de la Convention
de Berne et qui restreignent l’accomplissement, à l’égard de
leurs œuvres, d’actes qui ne sont pas autorisés par les auteurs
concernés ou permis par la loi.3
En établissant une protection juridique pour les mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres, l’article 41 va
au-delà de la simple protection des droits dont disposent les auteurs,
en permettant aux auteurs et aux titulaires de droit de limiter, par le
biais de mesures techniques, les droits que la Loi confère aux utilisateurs. En effet, les droits conférés à l’auteur, droits à la sauvegarde desquels devraient contribuer les mesures de protection dont
traitent les Traités OMPI, se retrouvent tous édictés à l’article 3 de
la Loi sur le droit d’auteur ; à aucun moment le droit de contrôler l’accès à l’œuvre n’est identifié comme étant un droit conféré à l’auteur.
Les seules références dans la Loi sur le droit d’auteur à un droit d’accès dont disposerait l’auteur se retrouvent aux articles 30.8 et 30.9,
qui traitent des enregistrements éphémères et du droit des auteurs
d’avoir accès aux registres des entreprises. Comme le fait justement
remarquer Thomas Heide, ni les Traités OMPI, ni la convention de
Berne ne confèrent à l’auteur un tel droit d’accès, pas plus qu’un
droit d’intervenir sur les droits d’accès conférés aux utilisateurs4.
L’accès à l’œuvre est le droit qu’exerce l’utilisateur suite, par
exemple, à l’exercice par les artistes interprètes et les producteurs
d’enregistrement sonore de leur droit de mise à disposition, droit de
mise à disposition qui n’est lui-même qu’une composante du droit de
communication au public5. Ainsi, « l’artiste interprète a un droit
d’auteur qui comporte le droit exclusif, à l’égard de sa prestation ou
3. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT), article 11 [en ligne] <http://www.
wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html> (page consultée le 13 janvier 2011).
4. HEIDE Thomas, « Copyright in the E.U. and United States: What “Access Right”? »
(2001) E.I.P.R. 469, 470. « Does copyright provide a “right against the gaining of
unauthorised access” to copyrighted works, a right which would give rise to a
power to control access to such works if it could be said to exist? To be sure, neither
the WIPO Copyright treaty nor the Berne Convention explicitly articulate such
right. (…) It is instantly observable that there is no “right against the gaining of
unauthorised access” to a copyrighted work. ».
5. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 103 « (…) the making available
right was considered to be an aspect of the communication right (…) ».
116
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de toute partie importante de celle-ci : (…) d) d’en mettre l’enregistrement sonore à la disposition du public et de le lui communiquer,
par télécommunication, de manière que chacun puisse y avoir accès
de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement6 », et le producteur d’un enregistrement sonore a un droit d’auteur qui comporte
le droit exclusif, à l’égard de la totalité ou de toute partie importante
de cet enregistrement sonore « (…) (1.1) a) de le mettre à la disposition du public et de le lui communiquer, par télécommunication, de
manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment
qu’il choisit individuellement7 ».
La lecture de ces articles sur le droit de mise à disposition par
télécommunication nous amène à souligner l’incohérence du projet
de loi. En effet, l’exercice par le titulaire du droit de mise à disposition par télécommunication confère aux utilisateurs un droit d’accès
aux œuvres, droit d’accès qui devient illusoire et peut être nié à l’utilisateur si le titulaire des droits d’auteur met en place des mesures
techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres et restreignent ou empêchent l’exercice de ce droit d’accès.
L’article 11 du Traité OMPI WCT, qui ne définit en aucune
façon ce qu’il faut entendre par mesure technique efficace, laisse
donc aux États membres une grande flexibilité pour l’intégration de
ces mesures, comme le soulignent les auteurs Reinbothe et Von
Lewinski : « Contracting Parties’ legislators have a wide range of
flexibility for implementing the obligations under Article 11 WCT8 »,
qui tempèrent pourtant : « At the same time, Article 11 WCT does
give some guidance and indicates the limits to such flexibility 9. »
Le Traité OMPI WCT n’énonçant que l’obligation minimale de
l’existence d’une protection juridique appropriée, il revient aux États
d’établir le type de mesures techniques visées et la protection qu’ils
entendent accorder à ces mesures techniques de protection. Séverine
Dusollier abonde dans le même sens :
Il ressort de ces discussions que cette formulation, et particulièrement le critère de protection appropriée, vise à soumettre la
6. Article 9(1) du projet de loi C-11, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica
tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
7. Article 11(1) du projet de loi C-11, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublica
tions/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le4 octobre 2011).
8. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 142.
9. Ibid.
Mémoire sur le projet de loi C-11
117
protection des mesures techniques à l’économie générale du
droit d’auteur et cherche à atteindre un équilibre entre les intérêts en jeu. Il n’est donc plus question d’une protection précise,
mais d’une simple obligation de protéger les mesures techniques dont l’étendue et la portée adéquates doivent être trouvées par chaque législateur national.10
Depuis 1996, date à laquelle ces Traités OMPI WCT et WPPT
ont été adoptés, nombreux sont les pays qui les ont ratifiés. À titre
d’exemple, les États-Unis ont, avec le Digital Millenium Copyright
Act, introduit dans la Copyright Law le chapitre 12 relatif aux
mesures techniques de protection. L’article 1201 (a) mentionne :
« No person shall circumvent a technological measure that effectively control access to a work protected under this title. (…)11 » À
cela s’ajoute la définition de l’efficacité d’une mesure technique : « a
technological measure “effectively controls access to a work” if the
measure, in the ordinary course of its operation, requires the application of information, or a process or a treatment, with the authority
of the copyright owner, to gain access to the work12. »
On constate que l’approche adoptée par la loi américaine, sur
laquelle semblent prendre exemple les mesures avancées dans le
projet de loi canadien, se concentre sur les mesures techniques de
protection qui contrôlent l’accès à l’œuvre. Cela est d’autant plus
vrai que l’interdiction de contourner les mesures techniques de protection ne vise que celles qui contrôlent l’accès13. Il est important de
tenir compte du fait que la loi américaine n’est pas construite sur le
même modèle que la Loi canadienne et qu’elle n’intègre pas, par
exemple, de droit de mise à disposition pour les titulaires de droit14.
Il importe donc de faire preuve de la plus grande prudence lorsque
l’on désire importer dans le droit canadien des mesures calquées sur
la législation américaine.
10. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Larcier, Bruxelles, 2007 p. 89.
11. Copyright Law of the United States and related Laws contained in Title 17 of
the United States Code, [en ligne] <http://www.copyright.gov/title17/> (page
consultée le 21 janvier 2011).
12. Ibid.
13. Article 41.1 de la Loi sur le droit d’auteur : « 41.1 (1) Nul ne peut : a) contourner
une mesure technique de protection au sens de l’alinéa a) de la définition de ce
terme à l’article 41 ; ».
14. Sydnor, Thomas D., 2009 « The Making-Available Right Under U.S. Law » Progress & Freedom Foundation Progress on Point Paper, vol. 16, No. 7, March 2009.
[en ligne] : <http://ssrn.com/abstract=1367886> (page consultée le 27 janvier
2011).
118
Les Cahiers de propriété intellectuelle
La Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil
du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, J.O.C.E.,
22 juin 2001, L 167/10, dite Directive société de l’information (ciaprès « la Directive »), adopte une approche plus neutre des mesures
techniques de protection et ne se concentre pas essentiellement sur
les mesures qui contrôlent l’accès aux œuvres. L’article 6 (1) de cette
Directive précise : « Les États membres prévoient une protection
juridique appropriée contre le contournement de toute mesure technique efficace, que la personne effectue en sachant, ou en ayant des
raisons valables de penser, qu’elle poursuit cet objectif15. » Une
mesure technique est définie comme :
toute technologie, dispositif ou composant qui, dans le cadre
normal de son fonctionnement, est destiné à empêcher ou à
limiter, en ce qui concerne les œuvres ou autres objets protégés,
les actes non autorisés par le titulaire d’un droit d’auteur ou
d’un droit voisin du droit d’auteur prévu par la loi, ou du droit
sui generis prévu au chapitre III de la directive 96/9/CE. Les
mesures techniques sont réputées efficaces lorsque l’utilisation
d’une œuvre protégée, ou celle d’un autre objet protégé, est contrôlée par les titulaires du droit grâce à l’application d’un code
d’accès ou d’un procédé de protection, tel que le cryptage, le
brouillage ou toute autre transformation de l’œuvre ou de l’objet protégé ou d’un mécanisme de contrôle de copie qui atteint
cet objectif de protection.16
Outre le fait que cette disposition ne vise que les mesures de
protection qui visent à assurer l’exercice des droits qui sont déjà
conférés au titulaire des droits d’auteur, il est intéressant de constater que la Directive s’attarde à définir la notion d’efficacité, qui est
une condition essentielle à l’interdiction du contournement de ces
mesures techniques de protection. En effet, seules les mesures techniques qui sont efficaces dans l’atteinte de l’objectif de protection
mentionné à cet article (soit la protection des droits existants des
titulaires) sont protégées. Cette définition d’efficacité étant absente
dans le projet de loi C-11, le texte proposé ouvre la porte à des litiges
quant à l’interprétation du terme « efficace » qui est utilisé, sans y
être défini, dans la définition de ces mesures techniques de protec-
15. Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur
l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la
société de l’information.
16. Ibid.
Mémoire sur le projet de loi C-11
119
tion17. Et ces litiges ne manqueront pas de soulever la question du
type de traitement qui devra être réservé à des mesures de protection qui sont efficaces quant aux fins visées par celui qui les utilise,
mais qui ne visent pas exclusivement à protéger un droit conféré par
la Loi au titulaire.
Les États membres disposent, nous l’avons vu, d’une certaine
flexibilité pour intégrer dans leur droit national les dispositions de la
Directive. La Suède, qui a également ratifié les Traités OMPI WCT
et WPPT, a adopté en ce sens l’article 52 de la Loi sur le droit d’auteur concernant les œuvres littéraires et artistiques (la Loi sur le
droit d’auteur suédoise) :
The expression “Technological measure” as used in this Chapter, means any effective technology, device or component
designed to prevent or restrict, in the normal course of its operation, the reproduction or the making available to the public of
a copyright-protected work without the consent of the author or
his successor in title. (…) It is prohibited to circumvent, without
the consent of the author or his successor in title, any digital or
analogue lock which prevents or limits the making of copies of a
work protected by copyright, to circumvent a technological process, such as encryption, that prevents or limits the making
available to the public of a work protected by copyright, or to
circumvent any other technological measure that prevents or
limits such acts of making available.18
Les mesures techniques qui sont visées par la Loi sur le droit
d’auteur suédoise sont exclusivement, conformément à ce qui est
prévu aussi bien dans le Traité OMPI que dans la Directive, celles
qui protègent les droits existants, soit les droits de reproduction et de
mise à disposition. Il n’est donc pas question de protéger les mesures
techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres.
La Suède entend au contraire s’assurer que le droit d’accès
conféré aux utilisateurs est lui aussi bien protégé. Le second alinéa
de ce même article 52 de la Loi sur le droit d’auteur suédoise prévoit
en effet que l’interdiction de contourner les mesures techniques de
protection ne s’applique pas aux utilisateurs qui ont un accès légal
17. Article 41 de la Loi sur le droit d’auteur tel que proposé par l’article 47 du projet
de loi C-11.
18. Act on Copyright in literary and artistic Works (Act 1960:729, of December 30,
1960, as amended up to April 1, 2009).
120
Les Cahiers de propriété intellectuelle
aux œuvres, à qui il est donc permis de contourner les mesures techniques de protection19.
Le projet de loi C-11 ne prévoit malheureusement aucune
disposition dans ce sens. L’absence d’une précision semblable est
regrettable lorsqu’on considère les types de problèmes que posent à
l’utilisateur certaines de ces mesures techniques de protection. Par
exemple, certaines mesures de protection empêchent la lecture de
CDs de musique sur des ordinateurs afin d’empêcher la copie de son
contenu – alors que le droit d’accès conféré à l’utilisateur se doit, logiquement, d’inclure le droit de cet utilisateur d’accéder à l’œuvre à
partir de tout appareil compatible. Le choix du type d’appareil que
pourra utiliser le consommateur ne relève évidemment pas des
droits conférés par la Loi au titulaire des droits d’auteur. D’autres
mesures techniques de protection empêchent également la lecture de
DVDs sur des ordinateurs portables. D’autres encore rendent impossible la lecture des DVD achetés en Europe sur un lecteur DVD canadien. Et ce ne sont là que quelques exemples.
Aussi, nous croyons que le Canada devrait fortement s’inspirer
de l’approche adoptée par la Loi sur le droit d’auteur suédoise,
attendu que cette approche, qui protège à la fois les droits existants des ayants droit et du public, parvient à maintenir l’équilibre
que devrait absolument viser la législation canadienne sur le droit
d’auteur.
On retiendra qu’un nombre non négligeable de pays qui ont
signé et ratifié les Traités OMPI WCT et WPPT n’ont pas intégré
dans leur législation de protection pour les mesures techniques qui
ont pour objet de contrôler l’accès aux œuvres, se limitant à reconnaître les mesures techniques qui protègent les droits existants. Au
Japon, par exemple :
“technological protection measures” means measures to prevent
or deter such acts as constitute infringements on moral rights
of authors or copyright mentioned in Article 17, paragraph (1)
or moral rights of performers mentioned in Articles 89, paragraph (1) or neighboring rights mentioned in Article 89, paragraph (6) (hereinafter in this item referred to as “copyright, etc.”)
(“deter” means to deter such acts as constitute infringements on
19. Ibid., article 52d) Act on Copyright in literary and artistic Works : « The provisions of the first Paragraph do not apply when someone, who in a lawful way has
access to a copy of a work protected by copyright, circumvents a technological
measure in order to be able to watch or listen to the work. ».
Mémoire sur le projet de loi C-11
121
copyright, etc. by causing considerable obstruction to the results
of such acts; the same shall apply in Article 30, paragraph (1),
item (ii)) by electronic or magnetic means or by other means not
perceivable by human perception (in next item referred to as
“electro-magnetic means”), excluding such measures as used not
at the will of the owner of copyright, etc., which adopt means of
recording in a memory or transmitting such signals as having
specific effects on machines used for the exploitation of works,
performances, phonograms, broadcasts or wire diffusions (in
next item referred to as “works, etc.”) (“exploitation” includes
acts which would constitute infringements on moral rights of
authors of performers if done without the consent of the author
or the performer), together with works, performances, phonograms, or sounds or images of broadcasts or wire diffusions.20
La Loi sur le droit d’auteur de la Slovaquie ne fait pas mention
non plus des mesures techniques qui protègent l’accès aux œuvres.
L’article 59(2) précise à cet effet : « Technological measure pursuant
to par. 1 shall mean any procedure, product or component integrated
into a procedure, product or device designed to avoid, limit or prevent infringement of copyright in a work21. » Outre la Suède, la
Slovaquie et le Japon, on pourra ajouter à la liste des pays qui ont
veillé, tout en protégeant les mesures techniques de protection,
à préserver l’équilibre entre les droits des titulaires et les droits
des utilisateurs : la Finlande, le Danemark, le Mexique, la Chine,
certains de ces pays se trouvant être parmi les plus importants
partenaires commerciaux du Canada22.
Il est important de noter que le rattachement d’une protection
des mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès au critère d’efficacité des mesures techniques de protection prévu dans les
Traités est fortement remis en question. À ce sujet, concernant l’absence de définition du critère d’efficacité, Séverine Dusollier précise :
« La protection des mesures techniques mises en place par le texte
international ne vise en effet que les outils qui satisfont au critère
d’efficacité, critère qui n’est pourtant pas défini par les traités23. » Si
le Traité OMPI n’oblige pas les parties contractantes à traiter des
20. Copyright Law of Japan, Article 2 (xx), [en ligne], <http://www.cric.or.jp/cric_e/
clj/cl1.html#cl1+S1> (page consultée le 26 janvier 2011).
21. Copyright, Act No. 618, as amended, 2008 [en ligne] <http://www.wipo.int/
wipolex/en/text.jsp?file_id=189475> (page consultée le 11 janvier 2010).
22. Gouvernement du Canada, Droit d’auteur équilibré, [en ligne] <http://www.ic.gc.
ca/eic/site/crp-prda.nsf/fra/h_rp01153.html> (page consultée le 11 janvier 2011).
23. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 137.
122
Les Cahiers de propriété intellectuelle
mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres,
certains considèrent que le Traité doit être interprété comme les
incluant, attendu que c’est ce qu’a fait la législation américaine.
Séverine Dusollier réfute à bon droit cette interprétation : « un commentateur des traités (FICSOR, p. 545, C11.04) trouve l’interprétation de la notion dans le texte américain du DMCA. Une telle
méthode d’interprétation, recourant à un texte postérieur et émanant d’un autre législateur, nous paraît erronée24. ».
Selon certains auteurs, la prise en considération des mesures
techniques protégeant l’accès aux œuvres est essentielle pour se
conformer aux exigences des Traités OMPI WCT et WPPT25.
Comme nous l’avons mentionné, les Traités OMPI WCT et
WPPT ne visent pas expressément les mesures techniques de protection qui protègent l’accès aux œuvres, se limitant à celles « qui sont
mises en œuvre par les auteurs dans le cadre de l’exercice de leurs
droits. » Certains pays européens qui ont ratifié les Traités WCT et
WPPT ainsi que la Directive ont fait le choix de ne pas inclure parmi
les mesures techniques de protection, qu’il est interdit de contourner, celles qui protègent l’accès aux œuvres ; il est donc tout à fait
possible de ratifier ces Traités OMPI WCT et WPPT sans inclure de
mesures techniques de protection qui contrôlent l’accès aux œuvres.
Dans son ouvrage de référence sur le droit d’auteur et la protection des œuvres dans l’univers numérique, Séverine Dusollier mentionne à propos de la Directive société de l’information :
Les simples actes de réception et d’utilisation de l’œuvre, et
notamment l’accès à celle-ci, peuvent désormais, par le truchement de mécanismes subordonnant l’accès à l’œuvre et par
la protection légale de ceux-ci, faire l’objet d’un contrôle par
l’ayant droit. Cette avancée de la propriété littéraire et artistique sur le terrain de l’accès et de l’utilisation de l’œuvre bat en
brèche le principe essentiel de l’indépendance de l’œuvre et de
son support. Tandis que l’accès à l’œuvre constitue une prérogative normalement réservée au propriétaire matériel du support
de l’œuvre ou au fournisseur du service portant sur l’œuvre la
couverture par le droit d’auteur des dispositifs techniques por24. Ibid.
25. FICSOR Mihály, « Legends and reality about the 1996 WIPO Treaties in the light
of certain comments on Bill C-32 » [en ligne] <http://www.iposgoode.ca/wp-content/
uploads/2010/Ficsor-Legends-and-Reality-about-the-1996-WIPO-Treaties-C-32and-TPMs.pdf> (page consultée le 10 janvier 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
123
tant sur cet accès brouille les cartes en s’écartant de la notion
d’exploitation publique des œuvres, qui définit en principe
l’étendue de la réservation conférée sur l’œuvre.26
Le consommateur qui se procure une copie d’une œuvre dans
un magasin, suite à l’exercice par l’ayant-droit de ses droits existants, soit ceux de mise à disposition ou de distribution, s’attend à
pouvoir accéder à l’œuvre, et cela sans difficulté, puisque « l’accès à
l’œuvre constitue une prérogative normalement réservée au propriétaire matériel du support de l’œuvre27. » Cette volonté de contrôle
excessif a un effet pervers : les mesures techniques de protection
atteignent aujourd’hui un tel degré dans la volonté de contrôler
l’accès aux œuvres que le consommateur se détourne souvent des
œuvres qu’il pourrait d’autre part légalement se procurer. Ironiquement, les titulaires des droits d’auteur vont jusqu’à pousser les
consommateurs à chercher à se procurer auprès de sources non
autorisées des œuvres qu’ils auraient été prêts à acquérir par les
voies traditionnelles, qu’ils bouderont en raison des restrictions abusives qui leur sont imposées. Le cas du jeu vidéo « Spore » illustre
parfaitement cette situation – les mesures techniques de protection ont gravement affecté les ventes de ce jeu. Pour jouer à ce
jeu vidéo, le consommateur devait en effet nécessairement disposer d’une connexion Internet et activer un compte en ligne. Le
consommateur devait par conséquent être continuellement connecté
à Internet pour jouer28. Outrés par ces mesures techniques de protection abusives, les consommateurs se sont tournés vers des sources
« alternatives » pour se procurer l’œuvre dans un format qui n’était
pas muni de ces mesures de protection29. L’éditeur du jeu a par la
suite décidé de supprimer les mesures techniques de protection pour
offrir le jeu en téléchargement sur Internet30.
Selon certains, les mesures techniques de protection qui
contrôlent l’accès par l’utilisateur aux plateformes de téléchargement, qui sont d’après eux nécessaires parce qu’elles soutiennent des
26. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 581.
27. Ibid.
28. CHAMPEAU Guillaume, Spore lapidé à cause de ses DRM, [en ligne] <http://
www.numerama.com/magazine/10584-spore-lapide-a-cause-de-ses-drm.html>
(page consultée le 11 janvier 2011).
29. FABIEN H., Spore : le piratage bat son plein depuis son lancement [en ligne]
<http://www.generation-nt.com/spore-piratage-drm-telechargement-actualite152821.html> (page consultée le 11 janvier 2011).
30. EA commercialise Spore sans DRM [en ligne] <http://www.cnetfrance.fr/news/
ea-commercialise-spore-sans-drm-39385763.htm> (page consultée le 11 janvier
2011).
124
Les Cahiers de propriété intellectuelle
modèles d’affaires, doivent être protégées dans la Loi sur le droit
d’auteur31. On rétorquera que la Loi sur le droit d’auteur n’a pas pour
objet de protéger des modèles d’affaires, mais bien de conférer aux
auteurs certains droits et obligations, tout en assurant un équilibre
entre ces droits et ceux du public. La protection des mesures techniques qui contrôlent l’accès ne relève pas selon nous de la Loi sur le
droit d’auteur, les modèles d’affaires dont il est question concernant
la prestation d’un service et non le droit d’auteur.
Comme le rappelle si bien Séverine Dusollier : « Délivrer un
accès à l’œuvre, en autoriser une utilisation limitée, mettre l’œuvre à
disposition du public, permettre son téléchargement, sont autant
d’actes de prestations de services32. » L’auteure mentionne à titre
d’exemple, les projections cinématographiques :
[…] l’acte de projeter publiquement un film est un acte de communication pour lequel l’exploitant doit avoir l’autorisation de
l’auteur, tandis que l’acte de contrôler l’accès des personnes
dans son lieu d’exploitation ne relève que des conditions de la
prestation de services qu’il offre au public. Cette délivrance de
l’accès n’est pas un acte soumis au monopole de l’auteur, il ne
relève que de la prestation de services ou, le cas échéant, de
l’exercice d’un droit de propriété sur le support.33
Il importe donc de ne pas céder à la confusion qui semble voulue
et entretenue par certains titulaires de droit. L’accès non autorisé ou
frauduleux à de tels services est déjà sanctionné par la loi, par le
biais de dispositions pertinentes figurant, par exemple, au Code criminel. Ne cherchons pas à faire de la Loi sur le droit d’auteur un
fourre-tout qui viserait à protéger l’ensemble des intérêts des entreprises qui transigent, d’une manière ou d’une autre, des biens ou des
services en relation avec des œuvres sur lesquelles il pourrait exister
un droit d’auteur.
31. SOOKMAN Barry, An FAQ on TPMs, Copyright and Bill C-32 [en ligne]<http://
www.barrysookman.com/2010/12/14/an-faq-on-tpms-copyright-and-billc-32/> (page consultée le 11 janvier 2011) ; GANNON James, TPMs: A comprehensive guide for Canadian copyright law [en ligne] <http://jamesgannon.ca/
category/2010-copyright-bill/> (page consultée le 11 janvier 2011).
32. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 398.
33. Ibid.
Mémoire sur le projet de loi C-11
125
Proposition d’amendement
Nous proposons que soit amendé l’article 47 du projet de loi
C-11 relatif à la définition de mesures techniques de protection par
la suppression du point a) de cet article et par une modification du
point b) de ce même article.
Suite à ces modifications, cet article se lirait donc comme suit :
« Mesure technique de protection » : Toute technologie ou tout
dispositif ou composant mis en œuvre par les titulaires de
droits d’auteur dans le cadre de l’exercice des droits que leur
confère la présente loi et qui, dans le cadre normal de son
fonctionnement, restreint efficacement l’accomplissement, à
l’égard d’une œuvre, d’un acte visé aux articles 3, 15 ou 18.
Concernant le critère d’efficacité, le sens donné à ce terme par
les auteurs Reinbothe et Von Lewinski devrait, d’après nous, être
retenu dans le projet de loi. Selon ces auteurs :
Technological measures, which do not function properly or
which interfere with the normal functioning of the equipment
or services, the use of which they are intented to apply to and to
control, do not qualify for protection under Article 11 WCT. If,
for example, a copy control mechanism interferes with the
playability of a television or a VCR, it is not protected against
circumvention or abuse.34
Aussi, devrait être intégrée dans le projet de loi une définition
de l’efficacité, comme le proposent Reinbothe et Von Lewinski, ainsi
que Séverine Dusollier35. Cette définition se lirait comme suit :
Une mesure technique de protection qui empêche le fonctionnement ou interfère avec l’activité normale des équipements de
lecture ou des services ou avec une utilisation légitime des
œuvres est réputée ne pas être efficace.
Cette définition de mesures techniques de protection serait
conforme aux exigences des Traités internationaux de l’OMPI, serait
limitée aux seules mesures techniques de protection qui relèvent
34. REINBOTHE Jörg, et Silke Von LEWINSKI, The WIPO Treaties 1996, Butterworths Canada Ltd, Markham, Ontario, 2002 p. 145.
35. DUSOLLIER Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Bruxelles, Larcier, 2007, p. 138.
126
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de l’exercice des droits d’auteur et maintiendrait le nécessaire équilibre entre les droits des titulaires des droits d’auteur et ceux des
utilisateurs.
2. NOUVELLES EXCEPTIONS AU DROIT D’AUTEUR AU
BÉNÉFICE DES UTILISATEURS
Le projet de loi C-11 introduit de nouvelles exceptions au bénéfice des utilisateurs. Il s’agit des exceptions intitulées « contenu non
commercial généré par l’utilisateur36 », « reproduction à des fins privées37 », et « fixation ou reproduction pour écoute ou visionnement en
différé38. »
Ces nouvelles exceptions, qui confèrent aux utilisateurs certains droits nouveaux, sont les bienvenues et cette initiative est d’autant plus appréciable que ces nouvelles exceptions viennent légaliser
des pratiques largement répandues chez les consommateurs, pratiques supportées par le marché, qui leur offre depuis longtemps certains des outils qui permettent ou facilitent ces pratiques.
Les dispositions qui prévoient ces exceptions doivent toutefois,
à notre avis, être amendées ; en effet, certaines conditions rattachées
à l’exercice ou l’encadrement de ces exceptions risquent fort de se
révéler inapplicables, ou semblent ne pas atteindre la cible qu’elles
devraient viser. De plus, certaines des limites qui sont apportées à
l’exercice de ces droits ne nous semblent pas justifiées. En outre, le
libellé de ces articles n’apparaît pas toujours propre à permettre aux
utilisateurs de bien connaître et comprendre la nature, la portée et
les limites de ces droits qui leur sont conférés.
a) « Contenu non commercial généré par l’utilisateur »
L’article 22 du projet de loi C-11, qui propose l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le droit d’auteur, introduit une nouvelle excep-
36. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
37. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout d’un article 29.22 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
38. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout d’un article 29.23 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
127
tion au droit d’auteur relativement au contenu non commercial
généré par l’utilisateur. Cet article se lit comme suit :
(1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour
une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet
du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci – déjà publiés ou mis à
la disposition du public – pour créer une autre œuvre ou un
autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de
même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou
d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions
suivantes sont réunies :
a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des
fins non commerciales, ou l’autorisation de le diffuser n’est
donnée qu’à de telles fins ;
b) si cela est possible dans les circonstances, la source de
l’œuvre ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces
renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur, de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur sont mentionnés ;
c) la personne croit, pour des motifs raisonnables, que
l’œuvre ou l’objet ou la copie de ceux-ci, ayant servi à la création n’était pas contrefait ;
d) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet, ou
l’autorisation de le diffuser, n’a aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou
éventuelle – de l’œuvre ou autre objet ou de la copie de
ceux-ci ayant servi à la création ou sur tout marché actuel
ou éventuel à son égard, notamment parce que l’œuvre ou
l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer.39
Nous sommes d’avis que le libellé des exceptions devrait permettre aux utilisateurs de comprendre facilement la portée des
droits qui leur sont conférés et de savoir aussi précisément que possible le cadre à l’intérieur duquel ils peuvent profiter de l’exercice de
ces exceptions aux droits des auteurs. Si, en adoptant ces nouvelles
dispositions, on vise à normaliser les pratiques des utilisateurs, il
39. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.21 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
128
Les Cahiers de propriété intellectuelle
nous semblerait important de veiller aussi à ce que la rédaction soit
elle-même un tant soit peu normalisée, afin d’assurer que les utilisateurs comprennent bien le cadre de ces exceptions. La certitude
qu’auront les utilisateurs que ce qu’ils font est tout à fait légal amènera une plus grande sécurité juridique, et un cadre clair leur permettra de savoir à quel moment ils excèdent la portée des droits qui
leur sont conférés.
Nous soulignerons ici certains des problèmes que nous percevons dans les exceptions telles que rédigées.
L’alinéa a) de ce nouvel article 29.21 exclut l’application de cette
exception à toute exploitation commerciale de la nouvelle œuvre créée
par l’utilisateur. Si elle est exploitée commercialement ou si l’utilisateur autorise une exploitation commerciale de la nouvelle œuvre, l’utilisation de l’œuvre source sera considérée être faite en violation du
droit d’auteur. Cette nouvelle exception a été présentée comme l’exception « YouTube ». Or, « YouTube » n’est pas une organisation à but
non lucratif, mais bien une entreprise commerciale. Il faut savoir que
le contenu généré par les utilisateurs est exploité commercialement
par la compagnie « Google », le site affichant des bandeaux publicitaires sur les pages où le contenu généré par l’utilisateur est diffusé.
Aussi, tel que libellé, cet article ne permettrait pas à l’utilisateur qui
entend se prévaloir de l’exception d’autoriser YouTube à diffuser ce
nouveau contenu qu’il aurait généré.
L’alinéa b), quant à lui, crée une exception à la reconnaissance
des droits moraux des auteurs40, puisque l’obligation imposée à l’utilisateur qui génère du contenu à partir d’une autre œuvre de citer le
nom du créateur de l’œuvre originelle est toute relative, le droit à la
paternité de l’auteur sur l’œuvre originelle devenant ainsi accessoire. Si la justification dans ce contexte de cette entorse aux droits
moraux apparaît évidente, il n’en demeure pas moins que l’équilibre
est rompu et qu’il serait bon de chercher à minimiser autant que possible cette atteinte aux droits moraux.
Si la Loi ne peut raisonnablement imposer à l’utilisateur, dans
le cadre de cette exception, de contrainte supérieure à celle qui y est
prévue, une généralisation des licences « creative commons » pour40. Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. 1985, c. C-42, article 14.1 : « L’auteur d’une œuvre
a le droit, sous réserve de l’article 28.2, à l’intégrité de l’œuvre et, à l’égard de tout
acte mentionné à l’article 3, le droit, compte tenu des usages raisonnables, d’en
revendiquer, même sous pseudonyme, la création, ainsi que le droit à l’anonymat. ».
Mémoire sur le projet de loi C-11
129
rait combler cette faille. Les créateurs auraient en effet intérêt à
adopter des licences de type « creative commons », qui permettent
non seulement la modification des œuvres, mais qui garantissent le
droit à la paternité41.
Proposition d’amendement
Le fait de permettre aux utilisateurs de générer du contenu et
de créer de nouvelles œuvres à partir d’œuvres existantes est souhaitable et le fait de légaliser une pratique qui est courante l’est tout
autant, pourvu que les droits des créateurs ne soient pas mis en
péril. Le fait de prévoir que ce droit de créer une nouvelle œuvre à
partir d’une œuvre existante ne pourra être exercé que si cela n’a
« aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre (…), notamment parce que
l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y substituer » nous
apparaît maintenir à ce titre une protection équilibrée.
Afin de régler les incertitudes qu’amènerait la rédaction de l’actuelle proposition relative au contenu généré par l’utilisateur, nous
proposons une modification de cet article afin qu’il se lise comme
suit :
(1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour
une personne physique, d’utiliser une œuvre ou tout autre objet
du droit d’auteur ou une copie de ceux-ci – déjà publiés ou mis à
la disposition du public – pour créer une autre œuvre ou un
autre objet du droit d’auteur protégés et, pour cette personne de
même que, si elle les y autorise, celles qui résident habituellement avec elle, d’utiliser la nouvelle œuvre ou le nouvel objet ou
d’autoriser un intermédiaire à le diffuser, si les conditions suivantes sont réunies :
a) la nouvelle œuvre ou le nouvel objet n’est utilisé qu’à des
fins non commerciales par l’utilisateur, et l’autorisation
donnée par l’utilisateur à un tiers d’utiliser la nouvelle
œuvre interdit l’exploitation commerciale directe de cette
nouvelle œuvre ;
41. Nous pensons ici à une solution semblable à celle qui a été proposée pour la reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective des droits de reproduction par
les titulaires de droits d’auteur, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
130
Les Cahiers de propriété intellectuelle
b) des efforts raisonnables, compte tenu des circonstances,
sont entrepris par l’utilisateur pour que la source de l’œuvre
ou de l’autre objet ou de la copie de ceux-ci et, si ces renseignements figurent dans la source, les noms de l’auteur,
de l’artiste-interprète, du producteur ou du radiodiffuseur
soient mentionnés ;
c) l’utilisation de la nouvelle œuvre ou du nouvel objet par
l’utilisateur ou par le tiers qui a été autorisé à le diffuser n’a
aucun effet négatif important, pécuniaire ou autre, sur l’exploitation – actuelle ou éventuelle – de l’œuvre ou autre
objet ou de la copie de ceux-ci ayant servi à la création, ou
sur tout marché actuel ou éventuel à son égard, notamment
parce que l’œuvre ou l’objet nouvellement créé ne peut s’y
substituer.
b) Reproduction à des fins privées
L’article 22 du projet de loi C-11 introduit un nouvel article 29.22
dans la Loi sur le droit d’auteur, qui instaure une nouvelle exception
aux droits exclusifs des auteurs. Cette exception viserait à permettre aux utilisateurs d’effectuer des reproductions des œuvres
dont ils possèdent une copie. Si cette exception est souhaitable,
les conditions qui l’encadrent sont, malheureusement, extrêmement
restrictives et ne sont pas de nature à permettre à cette exception
de procurer les avantages réels qui devraient raisonnablement en
découler.
En effet, si l’utilisateur ne peut contourner les mesures techniques de protection (comme le précise le paragraphe c) de l’article 29.22 proposé), ce droit de reproduction à des fins privées risque
fort de n’être applicable que selon le bon vouloir des ayants droit ; il
leur suffirait en effet d’utiliser une mesure de protection pour interdire la mise en œuvre par les utilisateurs d’un droit qui leur est
consenti par la Loi42. Or, dans la recherche d’équilibre qui doit être
une préoccupation constante en matière de droit d’auteur, les droits
conférés aux ayants droit ne doivent pas avoir pour effet de leur permettre de restreindre indûment ceux qui sont conférés aux utilisateurs. La Cour suprême le rappelait en ces termes dans l’affaire
42. La Cour suprême du Canada reconnaît en effet dans la décision CCH Canadienne
Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339 au §48, que
les « exceptions » constituent des droits reconnus aux utilisateurs : « À l’instar des
autres exceptions que prévoit la Loi sur le droit d’auteur, cette exception correspond à un droit des utilisateurs. ».
Mémoire sur le projet de loi C-11
131
Euroexcellence : « De même, dès que le droit d’auteur est accordé à
l’égard d’une œuvre, la protection qu’il confère ne doit pas excéder
ses limites naturelles et doit dûment tenir compte des droits des utilisateurs43. »
Afin d’assurer la mise en œuvre de ce droit à la copie privée
conféré aux utilisateurs, nous proposons donc que l’interdiction de
contourner les mesures de protection n’y fasse pas obstacle.
Tel que rédigé, ce droit à la copie privée semble pour le moins
difficile à mettre en œuvre dans les faits ; c’est l’acte que constitue le
fait de faire une reproduction qui est autorisé au premier alinéa,
sous réserve de certaines conditions. Les conditions dont l’existence
peut être vérifiée au moment de l’acte permettent à l’utilisateur
de connaître les limites de son droit (la propriété de la copie de
l’œuvre, par exemple) ; certaines autres, qui portent sur des faits qui
ne pourront être que postérieurs à l’acte autorisé (ne donner la reproduction à personne, par exemple, ou l’interdiction de céder la copie
de l’œuvre qui a servi à faire la reproduction sans que n’aient été
détruites au préalable toutes les reproductions), visent à interdire
un acte (la reproduction) qui était permis au moment où il aura
nécessairement été fait. Outre les problèmes d’application évidents
que posent ces conditions (ne serait-ce que sur le plan de la vérification), cette façon de procéder, soit l’interdiction a posteriori de faire
une chose qui était autorisée au moment où elle a été faite, n’est pas
de nature à permettre aux utilisateurs de bien comprendre la portée
des droits qui leur sont conférés et de normaliser efficacement les
comportements du public relativement à la copie privée.
Pour ce qui est des termes utilisés dans cet article, soulignons
par ailleurs que les reproductions qu’il permet, qui sont déjà pratique courante, sont couramment appelées « copies » (plutôt que
reproductions) par tous les intervenants (les utilisateurs aussi bien
que les ayants droit). En nommant à cet article « copie » l’original qui
sera utilisé pour effectuer une reproduction (par exemple, à l’alinéa 1a) : la personne a obtenu la copie légalement), le texte tel que
rédigé risque fort d’entretenir une certaine confusion.
Dans une perspective de simplification qui viserait à permettre
à tous une meilleure compréhension de ce qui est permis et des
limites de ces autorisations, il nous semble par ailleurs qu’une exception conçue plus largement permettrait d’inclure dans un même
43. Euro-Excellence Inc. c. Kraft Canada Inc., 2007 CSC 37.
132
Les Cahiers de propriété intellectuelle
article l’exception introduite avec l’article 29.23, soit le droit de fixer
un signal et d’enregistrer une émission pour écoute ou visionnement
en différé et l’exception de copie privée44, et le droit à la copie de sauvegarde introduit par le projet de loi C-11. À notre avis, l’institution
d’un régime unique pour la reproduction des œuvres45, assorti de
redevances adéquates, serait en effet possible et préférable. Un tel
régime, qui serait, idéalement, neutre technologiquement, présenterait le double avantage de permettre à tous les créateurs qui voient
leurs œuvres copiées d’être rémunérés, et aux utilisateurs de ne plus
vivre dans l’insécurité juridique, en se demandant si le fait de copier
telle ou telle œuvre sur un de leurs appareils est autorisé ou non par
les titulaires de droit ou par la Loi.
Idéalement, et pour respecter les exigences des Traités de
l’OMPI, cette exception de reproduction à des fins privées devrait
donc être assortie d’un système qui permette une rémunération des
créateurs, à l’image de celle qui est définie dans la partie VIII de
la Loi sur le droit d’auteur. À cet effet, nous souhaiterions rappeler ce que les parlementaires canadiens suggéraient déjà dans les
années 80 :
Constatant que l’on ne s’entend guère sur l’importance du préjudice économique occasionné par le phénomène de l’enregistrement à domicile, la majorité des membres du Sous-Comité
ont conclu que, quelle que soit l’envergure du dommage causé,
cette pratique n’en demeure pas moins une reproduction non
autorisée d’une œuvre protégée, pour laquelle les titulaires de
droits d’auteur ne reçoivent aucune indemnité. Le Sous-comité
estime qu’un régime de redevances doit être institué. Aussi
a-t-il rejeté la solution qui consiste simplement à soustraire
l’enregistrement à domicile de l’application de la loi sur le droit
d’auteur ; il préconise plutôt la mise en place d’un régime d’indemnisation en échange duquel l’enregistrement à domicile
serait légalisé.46
44. « En résumé, pour résoudre le problème de l’enregistrement à domicile, la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé une solution semblable à celle
qui a été proposée pour la reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective
des droits de reproduction par les titulaires de droits d’auteur, sous réserve seulement de l’approbation par une Commission du droit d’auteur réorganisée des
tarifs contestés. » HÉBERT Monique, « La réforme de la Loi sur le droit d’auteur », Bulletin d’actualité, Bibliothèque du Parlement, 25 octobre 1982, révisé le
9 janvier 1990, p. 16.
45. Rappelons que les œuvres littéraires peuvent elles aussi être reproduites.
46. HÉBERT Monique, « La réforme de la Loi sur le droit d’auteur », Bulletin d’actualité, Bibliothèque du Parlement, 25 octobre 1982, révisé le 9 janvier 1990, p. 14.
Mémoire sur le projet de loi C-11
133
À cela, le Sous-Comité ajoutait :
[…] la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé
que les redevances soient perçues à la fois sur les appareils et
sur les supports d’enregistrement sonore et magnétoscopique ;
cette solution est celle qui permet le mieux de respecter le principe de la responsabilité liée à la reproduction de l’œuvre, et elle
tient compte de l’évolution rapide de la technologie, qui pourrait fort bien, par exemple, rendre désuète l’utilisation des
bandes.
En résumé, pour résoudre le problème de l’enregistrement à
domicile, la majorité des membres du Sous-comité ont recommandé une solution semblable à celle qui a été proposée pour la
reproduction d’œuvres écrites, soit la gestion collective des
droits de reproduction par les titulaires de droits d’auteur, sous
réserve seulement de l’approbation par une Commission du
droit d’auteur réorganisée des tarifs contestés.47
Aussi, si nous croyons, attendu que la pratique est largement
répandue et que la Loi doit veiller à la normaliser, que la reconnaissance et l’encadrement de ce droit de copie privée sont indispensables, nous proposons par ailleurs d’amender le projet de loi C-11 en
vue d’y intégrer une mesure favorisant la rémunération des titulaires de droit, soit l’instauration de redevances sur les supports et
appareils permettant la reproduction des œuvres. Cette mesure tiendrait ainsi compte des usages des consommateurs qui copient des
œuvres sur différents supports ou appareils.
À notre avis, en plus de veiller à assurer un meilleur équilibre
entre les droits des utilisateurs et ceux des créateurs, l’instauration
d’un régime de redevance généralisé applicable aux copies privées
serait aussi plus prudente : advenant la mise en place d’un droit tel
que celui de reproduction pour fins privées sans rémunération pour
les créateurs, nous pensons que le Canada court un risque de poursuite devant l’Organisation Mondiale du Commerce.
c) Risques de poursuite contre le Canada
Nous sommes d’avis que le droit de reproduction à des fins privées sans rémunération pour les créateurs serait contraire aux obligations prévues aux Traités internationaux et exposerait le Canada
47. Ibid., p.15-16.
134
Les Cahiers de propriété intellectuelle
à des recours devant certaines organisations internationales comme
l’Organisation mondiale du commerce.
En effet, l’article 10 du Traité OMPI WCT énonce les règles qui
encadrent l’introduction de nouvelles limitations ou exceptions aux
droits des auteurs :
1) Les Parties contractantes peuvent prévoir, dans leur législation, d’assortir de limitations ou d’exceptions les droits conférés
aux auteurs d’œuvres littéraires et artistiques en vertu du présent traité dans certains cas spéciaux où il n’est pas porté
atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
2) En appliquant la Convention de Berne, les Parties contractantes doivent restreindre toutes limitations ou exceptions
dont elles assortissent les droits prévus dans ladite convention
à certains cas spéciaux où il n’est pas porté atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni causé de préjudice injustifié aux
intérêts légitimes de l’auteur.48
Toute nouvelle limitation ou exception doit être analysée à la
lumière du test en trois étapes, déjà présent dans la Convention de
Berne49 et repris dans l’Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC)50 : (1) la limitation
ou exception doit être un cas spécial, (2), qui ne porte pas atteinte à
l’exploitation normale de l’œuvre et (3) ne cause pas de préjudice
injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.
Ce test en trois étapes a été utilisé et analysé par un « panel » de
l’OMC dans une affaire opposant les États-Unis à l’Union européenne51. En l’occurrence, le « Copyright Act » prévoyait certaines
exceptions pour les magasins, qui étaient ainsi autorisés à diffuser
de la musique sans avoir à rémunérer les créateurs pour l’utilisation
48. Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur (WCT), article 11 [en ligne] <http://www.
wipo.int/treaties/fr/ip/wct/trtdocs_wo033.html> (page consultée le 13 janvier 2011).
49. Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, [en
ligne] <http://www.wipo.int/treaties/fr/ip/berne/trtdocs_wo001.html> (page consultée le 17 janvier 2011).
50. Accord sur les aspects de droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), [en ligne] <http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm
#TRIPs> (page consultée le 17 janvier 2011).
51. Rapport du groupe spécial de l’Organisation mondiale du commerce, ÉtatsUnis – Article 110, 5 de la loi des États-Unis sur le droit d’auteur, 15 juin 2000,
WT/DS160/R. Cette décision a été largement commentée, aussi nous ne commenterons pas cette décision.
Mémoire sur le projet de loi C-11
135
qu’ils faisaient ainsi de leurs œuvres. Il faut donc retenir, au-delà de
l’interprétation que le « panel » a faite du test en trois étapes, que les
risques pour le Canada d’être également poursuivi devant un tel
« panel » existent et que ce risque devrait être pris en compte dans
l’analyse de la pertinence d’apporter des amendements au projet de
loi C-11 pour tenter de limiter le préjudice que les nouvelles mesures
sont susceptibles d’entraîner pour les créateurs. Afin de résoudre le
problème et éviter tout recours, il serait donc préférable et souhaitable que soit étendu le système de redevance pour copie privée.
Proposition d’amendement
Nous proposons ainsi la suppression de l’actuel alinéa c) de cet
article 29.22, et son remplacement par ce qui pourrait se lire comme
suit :
c) les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles
ont droit, pour les reproductions à des fins privées des œuvres,
à une rémunération versée par le fabricant ou l’importateur du
support ou de l’appareil, selon les modalités des articles 82 et
suivants de la Loi sur le droit d’auteur.
De plus, les conditions actuelles qui sont liées à des actes postérieurs à la reproduction autorisée devraient idéalement se présenter
comme des interdictions d’utilisation de cette reproduction. À ces
réserves s’ajoutent nos critiques sur les mesures techniques de protection, déjà exprimées, qui nous amènent à demander la suppression de l’alinéa relatif à l’interdiction de contourner les mesures
techniques de protection. L’article 29.22 pourrait donc se lire ainsi :
29.22 (1) Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait,
pour une personne physique, de reproduire l’intégralité ou
toute partie importante d’une œuvre ou d’un autre objet du
droit d’auteur si les conditions suivantes sont réunies :
a) la copie de l’œuvre ou de l’autre objet du droit d’auteur
reproduite n’est pas contrefaite ;
b) la personne a obtenu la copie légalement, autrement que
par emprunt ou location, et soit est propriétaire du support
ou de l’appareil sur lequel elle est reproduite, soit est autorisée à l’utiliser ;
c) la reproduction n’est faite et utilisée qu’à des fins privées.
136
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(2) Les auteurs, artistes-interprètes et producteurs admissibles
ont droit, en considération des reproductions à des fins privées
des œuvres, à une rémunération versée par le fabricant ou l’importateur du support ou de l’appareil, selon les modalités des
articles 82 et suivants de la Loi sur le droit d’auteur ;
(3) Les termes « support et appareil » mentionnés à l’alinéa (1)b)
et c) s’entendent notamment de la mémoire numérique dans
laquelle il est possible de stocker une œuvre ou un autre objet
du droit d’auteur pour en permettre la communication par télécommunication sur Internet ou tout autre réseau numérique.
(4) Constitue une violation du droit d’auteur :
a) le fait de donner la reproduction à un tiers ;
b) le fait de conserver la reproduction alors que la personne
a cédé la copie reproduite.
d) Fixation d’un signal et enregistrement d’une émission
pour écoute ou visionnement en différé
Comme nous le mentionnions plus tôt, nous préconisons l’abandon de cet article 29.23, et la création, en lieu et place, d’un droit
étendu de reproduction à des fins privées.
e) Copies de sauvegarde
L’article 22 du projet de loi C-11 propose d’introduire un article 29.24 dans la Loi sur le droit d’auteur. Il s’agirait d’une nouvelle
exception au bénéfice des utilisateurs, soit le droit de faire des copies
de sauvegarde.
Traditionnellement, le droit d’effectuer des copies de sauvegarde a été réservé aux logiciels (la Loi utilise les termes « programme d’ordinateur »). L’article 30.6 b) de la Loi sur le droit
d’auteur prévoit en effet :
Ne constituent pas des violations du droit d’auteur : le fait, pour
le propriétaire d’un exemplaire – autorisé par le titulaire du
droit d’auteur – d’un programme d’ordinateur, de produire une
seule copie de sauvegarde de l’exemplaire ou de la copie visée à
Mémoire sur le projet de loi C-11
137
l’alinéa a) s’il établit qu’elle est détruite dès qu’il n’est plus propriétaire de l’exemplaire.52
Le projet de loi C-11 propose donc de permettre aux utilisateurs
de faire des copies de sauvegarde de toutes les copies des œuvres
qu’ils possèdent. Cependant, l’article 29.23 de la Loi sur le droit d’auteur, tel que proposé par le projet de loi, permet déjà d’effectuer des
reproductions des œuvres. L’introduction d’une telle exception aux
droits des auteurs complexifierait inutilement, à notre avis, la Loi
sur le droit d’auteur : l’utilisateur pourra légitimement se demander
de quelles œuvres il a le droit d’effectuer une copie de sauvegarde…
et en quoi cela diffère d’une reproduction pour des fins privées ?
Nous avons déjà mentionné que le projet de loi devrait chercher
à rendre aussi clairs que possible les droits qui sont conférés aux utilisateurs, afin de permettre à ces derniers d’être certains que les utilisations qu’ils font des œuvres sont couvertes par les exceptions à la
Loi sur le droit d’auteur, et de connaître les limites de ces droits qui
leur sont conférés.
Or, l’introduction du droit à la copie de sauvegarde vient au
contraire créer de la confusion et de l’incertitude, en instaurant deux
régimes différents pour la copie de sauvegarde, selon qu’il s’agit d’un
programme d’ordinateur ou des autres œuvres qui ne sont pas des
programmes d’ordinateur.
Nous pouvons également réitérer ici nos critiques sur les conditions encadrant cette exception et portant sur les mesures techniques de protection : l’impossibilité de se prévaloir de ce droit à la
copie de sauvegarde lorsqu’une mesure technique de protection est
insérée dans l’œuvre limite indûment les droits des utilisateurs. On
remarquera que l’article 31 du projet de loi C-11 (qui prévoit un remplacement de l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur), n’interdit
pas le contournement des mesures techniques dans le cadre des
copies de sauvegarde des programmes d’ordinateur.
Les articles 22 et 31 du projet de loi C-11 méritent certains commentaires particuliers.
L’article 22 du projet de loi C-11, propose un nouvel article 29.24(1) de la Loi sur le droit d’auteur, qui disposerait :
52. Article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur.
138
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour la
personne qui est propriétaire de la copie (au présent article
appelée « copie originale ») d’une œuvre ou de tout autre objet
du droit d’auteur, ou qui est titulaire d’une licence en autorisant l’utilisation, de la reproduire si les conditions ci-après sont
réunies (…).53
Cet alinéa, tel que rédigé, est de nature à faire persister une
certaine confusion dans la compréhension du régime des droits d’auteur. Il en va de même pour l’article 31 du projet de loi C-11 qui modifierait comme suit l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur :
Ne constitue pas une violation du droit d’auteur le fait, pour le
propriétaire d’un exemplaire – autorisé par le titulaire du droit
d’auteur – d’un programme d’ordinateur, ou pour le titulaire
d’une licence permettant l’utilisation d’un exemplaire d’un tel
programme de le reproduire dans le seul but d’obtenir de l’information lui permettant de rendre ce programme et un autre programme d’ordinateur interopérables.54
Le propriétaire de la copie d’une œuvre n’est propriétaire que
du support de l’œuvre, à moins que le créateur ait cédé tous ses droits
sur l’œuvre. La licence est, pour sa part, conférée par le créateur ou le
titulaire de droit à l’utilisateur et porte (ou devrait porter) véritablement sur les droits d’auteur. La propriété d’un support par l’utilisateur ne peut avoir pour effet de limiter l’exercice par le créateur de
ses droits d’auteur. La licence ne peut non plus avoir pour effet de
limiter les droits de l’utilisateur.
À ce sujet, Séverine Dusollier explique :
S’il y a bien vente, c’est d’un exemplaire d’un programme d’ordinateur ou d’une base de données qu’il s’agit et non de la vente
de l’œuvre elle-même. Autrement, il s’agirait d’une cession
totale des droits d’auteur sur l’œuvre, ce qui ne correspond
aucunement à la réalité d’une telle distribution commerciale.
La licence s’applique à l’œuvre, distincte de l’exemplaire matériel dans lequel elle se matérialise. (…)
53. Article 22 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 29.24 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
54. Article 31 du projet de loi C-11 modifiant l’article 30.6 de la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Doc
id=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
139
Il n’empêche que cette figure contractuelle, certes complexe,
peut être dissociée en deux contrats distincts : d’une part, le
contrat de vente relatif au support, ou de prestation de services
s’il s’agit d’un téléchargement ou d’une utilisation à distance et,
d’autre part, le contrat de licence relatif aux droits de l’auteur
sur l’œuvre incorporée sur le support ou transmise par le vecteur informatique.55
Les licences octroyées interdisent systématiquement la copie
de sauvegarde. C’est notamment le cas pour les jeux vidéo, préalablement à l’utilisation desquels l’utilisateur doit accepter des contrats de licence d’utilisateur final56.
Cette pratique qui consiste à assortir la vente de support
d’œuvre avec des contrats de licence commence à se répandre dans le
domaine de la vidéo avec les disques Blu-Ray, ou encore dans l’édition, avec les livres électroniques, mais également dans la musique
avec les plateformes telles qu’iTunes.
Aussi, devant l’incapacité du consommateur de pouvoir négocier ces contrats de licence et de faire valoir ses droits d’utilisateur,
nous suggérons que le projet de loi C-11 affirme clairement que
les droits conférés par la Loi aux utilisateurs, bien souvent par le
biais d’exceptions aux droits exclusifs des titulaires, soient déclarés
d’ordre public et que la Loi reconnaisse que les utilisateurs ne
peuvent y renoncer.
Proposition d’amendement
L’article 21 du projet de loi C-11 devrait être modifié, et proposer que l’article 29 de la Loi sur le droit d’auteur prévoit aussi que :
Nul ne peut, par convention, imposer à un utilisateur la renonciation à un droit que lui confère l’une ou l’autre des exceptions
au droit d’auteur prévu à la présente loi.
55. DUSOLLIER, Séverine, Droit d’auteur et protection des œuvres dans l’univers
numérique, Larcier, Bruxelles, 2007, p. 413.
56. Par exemple, l’accord de licence de la compagnie « Rockstar » qui mentionne :
« vous acceptez de ne pas : faire des copies du Logiciel en totalité ou en partie »,
[en ligne] <http://www.rockstargames.com/eula/fr> (page consultée le 20 janvier
2011) ; Electronic Arts) interdit également la copie du jeu jeu vidéo FIFA soccer 10, article 1d, du contrat de licence [en ligne] <http://www.ea.com/portal/
pdf/legal/EULA_en_SecuROM_Disk_and_Digi_No_Ad_PC_20090824.pdf> (page
consultée le 20 janvier 2011).
140
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3. RESPONSABILISATION DES FOURNISSEURS DE
SERVICE INTERNET
Traitant de la responsabilisation des fournisseurs de service
Internet, le projet de loi C-11 vient légaliser les pratiques actuelles
des fournisseurs de service Internet. En effet, le système dit d’« avis
et avis » est encadré par l’addition de l’article 41.26 à la Loi sur le
droit d’auteur.
Ce système dit d’« avis et avis » est déjà en place et est utilisé
comme moyen de prévention à destination des utilisateurs qui se
livrent à certains actes qui seraient en contravention des droits d’auteur. Le fonctionnement de ce système est assez simple. Le titulaire
de droit qui repère sur Internet une utilisation d’une de ses œuvres
qui serait selon lui faite en contravention de ses droits expédie au
fournisseur de service Internet de l’utilisateur contrevenant un message alléguant cette contravention à ses droits. Le fournisseur se
chargera ainsi de communiquer cet avis à l’utilisateur.
Certains titulaires de droit demandent la modification de cet
article 41.26, et son remplacement par un système d’« avis et retrait »
tel celui que l’on retrouve dans le Digital Millenium copyright Act
américain57. Contrairement au processus d’« avis et avis », le titulaire de droit ne se contenterait pas d’envoyer une allégation de
violation de ses droits au fournisseur de service Internet ou à l’hébergeur du contenu : il pourrait demander, par application d’une procédure d’« avis et retrait », et sur simple avis au fournisseur d’accès, le
retrait du réseau de ce contenu qu’il juge problématique. Il reviendrait ainsi à l’utilisateur d’envoyer au fournisseur de service, le cas
échéant, un contre-avis demandant le maintien du contenu en ligne
en établissant qu’il n’est pas coupable de la violation alléguée. Toutefois, ce système d’« avis et retrait » est plus qu’imparfait et il a été
fortement critiqué aux États-Unis.
Certains ont reproché notamment à ce système les pouvoirs
excessifs qu’il accorde aux ayants droit, ces derniers l’ayant parfois
utilisé pour tenter de limiter la liberté d’expression. À ce sujet, l’organisation Electronic Frontier Foundation (EFF) publie sur son site
Internet un « Takedown Hall of Shame » qui détaille les demandes
de retrait faites par des titulaires de droit de façon abusive. Par
exemple, Universal Music Group a demandé le retrait d’une émis-
57. 17 U.S.C. §§ 512.
Mémoire sur le projet de loi C-11
141
sion qui critiquait l’un de ses artistes58 ; Warner Music Group a
demandé à plusieurs occasions le retrait de vidéos amateurs sur You
Tube qui chantaient une chanson dont Warner a les droits59. Ce ne
sont que deux exemples de cette longue liste d’utilisations de cette
procédure d’« avis et retrait » qu’EFF qualifie de honteuses.
D’autres titulaires de droit demandent que la Loi impose aux
fournisseurs de service Internet le paiement d’une compensation
pour les œuvres qui circulent sur Internet en contravention de leurs
droits60. En fait, les titulaires de droit demandent aux fournisseurs
de service Internet de payer pour tous les actes qu’ils estiment illégaux et qui seraient commis sur les réseaux par les utilisateurs. Si
on imposait aux fournisseurs de service Internet le paiement de tels
« droits », il est bien sûr à prévoir qu’ils augmenteraient en revanche
les tarifs des abonnements Internet. Autrement dit, tous les utilisateurs, qu’ils contreviennent ou non aux droits des titulaires de droit,
auraient à payer une telle compensation. Si un tel système de redevance devait être envisagé, il serait bon qu’un système plus logique
et plus équitable soit proposé. Il est en effet curieux d’envisager un
système qui propose d’une part de maintenir, voire de multiplier les
contraventions à la Loi sur le droit d’auteur (les utilisateurs qui paieraient sans être contrevenants étant encouragés à le devenir) et qui
envisage le paiement par des non-contrevenants de « redevances »
qui ne devraient autant que possible être imposées qu’à ceux qui
entendent avoir des agissements qui sont susceptibles de concerner
des œuvres visées par le droit d’auteur. Nous reviendrons dans ce qui
suit à une approche qui nous semblerait plus acceptable.
4. RESPONSABILITÉ DES FOURNISSEURS DE SERVICE
L’article 18 du projet de loi C-11 propose d’introduire de nouveaux alinéas (2.3) et (2.4) à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur :
58. Music Publisher Tries to Muzzle Podcast Criticizing Akon, [en ligne] <https://
www.eff.org/takedowns/music-publisher-tries-muzzle-podcast-criticizing-a>
(page consultée le 22 janvier 2011).
59. YouTube’s January Fair Use Massacre, [en ligne] <https://www.eff.org/deeplinks/
2009/01/youtubes-january-fair-use-massacre> (page consultée le 22 janvier 2011).
60. Radio Canada, Les artistes montent aux barricades, [en ligne] <http://www.
radio-canada.ca/nouvelles/arts_et_spectacles/2010/11/30/001-droit-auteurmanif.shtml> (page consultée le 22 janvier 2011) « Les artistes réclament notamment des redevances des fournisseurs de service Internet pour compenser les
pertes qu’ils subissent en raison du téléchargement illégal de musique sur Internet. ».
142
Les Cahiers de propriété intellectuelle
(2.3) Constitue une violation du droit d’auteur le fait pour une
personne de fournir sur Internet ou tout autre réseau numérique un service dont elle sait ou devrait savoir qu’il est principalement destiné à faciliter l’accomplissement d’actes qui
constituent une violation du droit d’auteur, si une autre personne commet une telle violation sur Internet ou tout autre
réseau numérique en utilisant ce service.
(2.4) Lorsqu’il s’agit de décider si une personne a commis une
violation du droit d’auteur prévue au paragraphe (2.3), le tribunal peut prendre en compte les facteurs suivants :
a) le fait que la personne a fait valoir, même implicitement,
dans le cadre de la commercialisation du service ou de la
publicité relative à celui-ci, qu’il pouvait faciliter l’accomplissement d’actes qui constituent une violation du droit
d’auteur ;
b) le fait que la personne savait que le service était utilisé
pour faciliter l’accomplissement d’un nombre important de
ces actes ;
c) le fait que le service a des utilisations importantes, autres
que celle de faciliter l’accomplissement de ces actes ;
d) la capacité de la personne, dans le cadre de la fourniture
du service, de limiter la possibilité d’accomplir ces actes et
les mesures qu’elle a prises à cette fin ;
e) les avantages que la personne a tirés en facilitant l’accomplissement de ces actes ;
f) la viabilité économique de la fourniture du service si
celui-ci n’était pas utilisé pour faciliter l’accomplissement
de ces actes.61
Ces alinéas ont été présentés comme ceux qui vont s’attaquer
aux services en ligne qui permettent de télécharger et de mettre à
disposition sur Internet des œuvres protégées par le droit d’auteur.
61. Article 18 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de nouveaux alinéas (2.3) et (2.4)
à l’article 27 de la Loi sur le droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/
HousePublications/Publication.aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le
4 octobre 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
143
Autrement dit, il s’agit de mettre fin à des services tels que ceux
d’« Isohunt », ou « the Pirate Bay »62.
Cet article ne peut toutefois être lu indépendamment des dispositions de l’article 35 du projet de loi C-11, qui propose notamment
d’introduire un article 31.1 à la Loi sur le droit d’auteur et qui viserait spécifiquement les fournisseurs de services Internet :
31.1 (1) La personne qui, dans le cadre de la prestation de services liés à l’exploitation d’Internet ou d’un autre réseau numérique, fournit des moyens permettant la télécommunication ou
la reproduction d’une œuvre ou de tout autre objet du droit
d’auteur par l’intermédiaire d’Internet ou d’un autre réseau
ne viole pas le droit d’auteur sur l’œuvre ou l’autre objet du
seul fait qu’elle fournit ces moyens. (2) Le paragraphe (1) ne
s’applique pas dans le cas où la prestation du service par la personne constitue une violation du droit d’auteur prévue au paragraphe 27(2.3).63
Ces articles proposés, soit 27(2.3), (2.4) et 31.1 de la Loi sur le
droit d’auteur, lus ensemble, indiquent que les fournisseurs de services Internet, s’ils ne veulent pas voir leur responsabilité engagée
et être eux-mêmes poursuivis pour violation du droit d’auteur,
auraient l’obligation de bloquer des services Internet qui seraient
susceptibles de permettre des violations au droit d’auteur (ou d’entraîner, à la limite, des allégations de violation de la part d’ayants
droit). Une telle obligation nous amène inévitablement à nous interroger à l’atteinte qui, du fait du blocage de services sur des réseaux,
serait faite à la liberté d’expression, protégée par la Charte canadienne des droits et libertés64, et de façon plus générale à la neutra62. Témoignage de M. Barry Sookman devant le Comité législatif C-11, le 1er décembre 2010 : « Bien sûr, au Canada, nous avons des problèmes similaires à The
Pirate Bay. Nous avons isoHunt, qui est le deuxième plus gros site BitTorrent au
monde. C’est le plus gros du Canada. Nous avons sept autres sites BitTorrent en
service au Canada, et de nombreux sites Leech et d’autres encore. L’affaire Pirate
Bay est un bon révélateur et mérite que l’on y réfléchisse. Nous avons nous aussi
ces problèmes à régler au Canada et la disposition sur la facilitation sera un bon
outil à cet égard. » (nos italiques), [en ligne] <http://www2.parl.gc.ca/House
Publications/Publication.aspx?DocId=4839067&Language=F&Mode=1&Parl=
40&Ses=3> (page consultée le 22 janvier 2011).
63. Article 35 du projet de loi C-11 proposant l’ajout de l’article 31.1 à la Loi sur le
droit d’auteur, [en ligne] <http://www.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.
aspx?Docid=5144516&file=4> (page consultée le 4 octobre 2011).
64. Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitutionnelle
de 1982, <http://www.canlii.org/fr/ca/const/const1982.html> (page consultée le
26 janvier 2011).
144
Les Cahiers de propriété intellectuelle
lité d’Internet, qu’il nous semble essentiel de garantir. Il n’appartient
certes pas aux fournisseurs d’accès de décider quels sites devraient
ou ne devraient pas être accessibles aux internautes.
Si, en théorie, ce type d’approche pouvait sembler prometteuse
à certains, le législateur aurait eu avantage à tenir compte des expériences étrangères dans le domaine, qui se sont toutes avérées plus
inutiles les unes que les autres, et qui n’ont en aucun cas permis aux
créateurs d’être rémunérés, que ce soit en Suède, avec la loi IPRED
qui était censée mettre un terme au « piratage »65, en France avec la
loi HADOPI, où les internautes se sont détournés des applications
surveillées par l’HADOPI pour continuer à s’adonner par d’autres
biais à leurs pratiques habituelles66. Toutes ces tentatives désespérées pour mettre fin au « piratage » sont une perte de temps, et
une perte d’argent pour les créateurs et les acteurs de l’économie
numérique.
Il est déplorable de constater que le choix que plusieurs
semblent encore privilégier, malgré l’échec d’une telle approche, soit
celui d’une répression qui a fait la preuve de son inefficacité – il y
aurait certes lieu d’enfin s’atteler à trouver de nouveaux mécanismes
de rémunération pour les créateurs : une licence pour la mise à disposition des œuvres sur les réseaux, payée par les utilisateurs à leur
fournisseur de services Internet nous semblerait en ce sens une
approche plus efficace, plus viable et plus équitable. Il nous semble
que c’est ce genre d’approche, où les créateurs seraient rémunérés
par les utilisateurs des œuvres protégées par le droit d’auteur, les
sommes étant perçues par leur fournisseur de service Internet, qui
serait le plus à même de satisfaire l’ensemble des parties. Une telle
mesure serait certes préférable à une tentative de responsabilisation
des fournisseurs de services Internet, qui n’auraient d’autres choix
que de mettre en place un blocage ou un filtrage d’Internet qui non
seulement est inefficace, mais nécessiterait vraisemblablement des
moyens financiers importants. Des sommes qui seraient d’ailleurs
prélevées dans la poche du consommateur, à n’en point douter.
Puisque ce type d’approche aurait pour effets prévisibles de limiter
la circulation des œuvres, de mettre en péril la neutralité d’Internet
65. CHAMPEAU Guillaume, La loi suédoise IPRED est un succès : le piratage augmente, les ventes aussi, [en ligne], <http://www.numerama.com/magazine/
15417-la-loi-suedoise-ipred-est-un-succes-le-piratage-augmente-les-ventesaussi.html> (page consultée le 22 janvier 2011)
66. Rédaction de Zdnet, Hadopi : 75 % des adeptes du téléchargement n’ont pas
modifié leurs habitudes, [en ligne] <http://www.zdnet.fr/actualites/hadopi-75des-adeptes-du-telechargement-n-ont-pas-modifie-leurs-habitudes-39757470.
htm> (page consultée le 22 janvier 2011).
Mémoire sur le projet de loi C-11
145
et la liberté d’expression, d’entraîner des frais pour les consommateurs, sans que ces sommes ne profitent jamais aux créateurs, qui
souhaitent à n’en point douter une plus grande diffusion de leurs
œuvres, nous persistons à croire qu’il est plus que temps de réévaluer les priorités et de travailler à élaborer un cadre qui avantage
toutes les parties impliquées.
Nous tenons à rappeler que certains pays ont pourtant montré
la voie à suivre. En Espagne, la jurisprudence a de façon constante
refusé de condamner les sites qui permettaient le téléchargement et
la mise à disposition des œuvres sur Internet. Comme le déclarait
très lucidement le tribunal : « Condamner impliquerait la pénalisation d’une pratique socialement admise et d’un comportement largement pratiqué où le but n’est pas de s’enrichir illégalement, mais
d’obtenir des copies privées67. »
Qu’il nous soit permis ici de faire un parallèle avec ce qu’écrivait Montesquieu dans l’Esprit des lois, et qu’il nous soit également
permis de croire que le législateur canadien s’en inspirera :
Nous avons dit que les lois étaient des institutions particulières
et précises du législateur ; et les mœurs et les manières, des institutions de la nation en général. De là il suit que lorsqu’on veut
changer les mœurs et les manières, il ne faut pas les changer
par les lois (…).68
Ainsi, comme l’ont prouvé certaines expériences étrangères, ce
n’est pas par la loi que les mœurs actuelles pourront être changées et
que l’on arrivera à détourner les internautes des applications ou
des sites Internet qui leur permettent de se procurer des copies
d’œuvres.
Il est bon de rappeler que la finalité d’une loi sur le droit d’auteur est de favoriser la diffusion de la création, d’une part, et d’assurer que les créateurs soient justement rémunérés, d’autre part. Si les
technologies et les pratiques actuelles ont pour effet de permettre
une diffusion sans précédent des œuvres créatives, il serait absurde
67. CHAMPEAU Guillaume, Le partage par P2P est légal en Espagne selon la
Justice !, [en ligne], <http://www.numerama.com/magazine/3519-Le-partage-parP2P-est-legal-en-Espagne-selon-la-Justice.html> (page consultée le 26 janvier
2011).
68. Montesquieu, L’Esprit des lois, Livre XIX, Chap. XIV, [en ligne] <http://www.
voltaire-integral.com/Esprit_des_Lois/L19.htm#L19_14> (page consultée le 22 janvier 2011).
146
Les Cahiers de propriété intellectuelle
de tenter, par le biais d’une loi qui vise justement une large diffusion,
de poser quelque frein à ces possibilités d’accès phénoménales. Le
plus sage serait au contraire de veiller à cette autre finalité, celle
dont les pratiques actuelles n’arrivent pas à elles seules à assurer
l’atteinte, soit une juste rémunération pour les créateurs.
C’est pourquoi nous suggérons la mise en place d’une rémunération pour les créateurs qui serait fondée sur la gestion collective du
droit de mise à disposition des œuvres. En pratique, les utilisateurs
qui souhaiteraient mettre à disposition des œuvres sur Internet
pourraient obtenir une licence, qui serait en fait proposée avec
l’abonnement Internet de l’utilisateur. Un montant supplémentaire,
soit un tarif établi par la Commission du droit d’auteur, serait ainsi
perçu par le fournisseur de service Internet auprès de l’utilisateur, et
cette somme serait ensuite versée à la société de gestion collective
qui gérerait cette licence ainsi que la redistribution des montants
perçus.
Il est faux de dire que la culture du gratuit est actuellement
dominante sur les réseaux numériques et que les consommateurs
refuseront de payer ce qu’ils obtiennent actuellement sans le payer
directement. Les consommateurs reconnaissent la valeur de la création, et l’expérience a démontré que, lorsque les créateurs laissent
aux utilisateurs la liberté de fixer eux-mêmes le prix de la musique,
leur donnant même la possibilité de ne rien payer du tout, les utilisateurs dans la grande majorité sont prêts à débourser pour soutenir
les créateurs. Les nombreux exemples à ce sujet, comme ces offres de
Misteur Valaire, de Radiohead, ou encore de Nine Inch Nail, nous
semblent éloquents.
Ainsi, nous invitons le législateur à veiller, dans le cadre de sa
réforme, à ce que soit maintenu l’équilibre actuel de la Loi sur le droit
d’auteur, en permettant aux créateurs d’être rémunérés pour les utilisations de leurs œuvres, et en permettant aux utilisateurs d’avoir
accès aux œuvres et à la culture dans le plein exercice de leurs droits.
Vol. 24, nº 1
Déclaration en vue d’une
interprétation du « Test des
trois étapes » respectant les
équilibres du droit d’auteur
Christophe Geiger*, Jonathan Griffiths**
et Reto M. Hilty***
INTRODUCTION
Les inquiétudes soulevées par l’impact du test des trois étapes
(ci après « le test ») sur le droit d’auteur et les droits voisins vont
croissantes. Depuis son inclusion au sein de la Convention de Berne,
le test des trois étapes, destiné à permettre la reproduction d’œuvres
protégées par le droit d’auteur « dans certains cas spéciaux, pourvu
qu’une telle reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre ni ne cause un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur »1, a vu sa portée constamment accrue. Repris dans
l’accord ADPIC2 et les traités de l’OMPI3, son application s’est vue
© Christophe Geiger, Jonathan Griffiths, Reto M. Hilty, 2012.
* Maître de conférences, directeur général et Directeur du Laboratoire de recherche
du Centre d’etudes internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), université de Strasbourg ; chercheur associé à l’institut Max Planck pour la propriété
intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal à Munich.
** Senior lecturer à la faculté de Droit de l’université Queen Mary de Londres.
*** Directeur de l’institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la
concurrence et le droit fiscal à Munich ; professeur aux universités de Zurich et
Munich.
1. Art. 9 (2) de la Convention de Berne.
2. Art. 13, accord ADPIC.
3. Art. 10 du Traité OMPI sur le droit d’auteur et art. 16 (2) du Traité OMPI sur les
interprétations et exécutions et les phonogrammes.
147
148
Les Cahiers de propriété intellectuelle
élargie à l’ensemble des droits d’auteur et des droits voisins. Depuis,
le test a été consacré explicitement au niveau communautaire4 et
incorporé dans de nombreuses législations nationales5. Aujourd’hui,
le test est désormais au cœur de toutes les réflexions concernant le
futur des exceptions et des limitations au droit d’auteur6.
Parallèlement à cette évolution, la lecture consacrée du test des
trois étapes est devenue de plus en plus restrictive. L’interprétation
du test par le panel de l’OMC, sollicité à propos de la section 110 (5)
du Copyright Act américain de 1976, consacre une approche strictement économique de cet instrument juridique et semble ne laisser
qu’une marge de manœuvre très limitée aux États pour rechercher
un équilibre satisfaisant entre les intérêts des titulaires de droits et
les autres intérêts concurrents7. Les juges nationaux ont parfois mal
compris les exigences du test et ont pu l’appliquer d’une manière profondément déséquilibrée8.
C’est dans ce contexte que l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle de Munich et la Faculté de droit de l’Université
Queen Mary de Londres ont réuni un certain nombre d’experts de
diverses nationalités au sein d’un projet commun, avec pour objectif
d’élaborer une déclaration proposant une interprétation équilibrée
du « test des trois étapes » en droit d’auteur. La déclaration issue de
cette collaboration est reproduite ci-dessous. La liste des signataires
est ouverte sur les sites Internet de l’Institut Max Planck9 et de la
Faculté de droit de Queen Mary, University of London10.
4.
V. principalement l’article 5 (5) de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du
droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
5. Notamment en France, v. l’avant-dernier alinéa de l’article L. 122-5 du CPI,
inséré par la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins
dans la société de l’information.
6. V. notamment le Livre Vert de la Commission des Communautés européennes,
Le droit d’auteur dans l’économie de la connaissance, Bruxelles, COM (2008)
466/3, p. 5, selon lequel le test des trois étapes « est devenu la référence en
matière de limitations au droit d’auteur ».
7. Rapport du panel de l’OMC daté du 15 juin, WT/DS160/R.
8. V. Par exemple Cass. 1re civ., 28 févr. 2006 : RIDA juill. 2006, p. 323.
9. <http://www.ip.mpg.de>.
10. <http://www.law.qmul.ac.uk>.
Les équilibres du droit d’auteur
149
Déclaration en vue d’une interprétation du « test des trois
étapes » respectant les équilibres du droit d’auteur11
Préambule
Le rythme toujours croissant du développement technologique
a fondamentalement modifié le rôle et l’impact du droit d’auteur.
L’évolution des nouveaux modèles économiques a entraîné un changement des priorités. Des menaces nouvelles ont vu le jour – menaces pesant à la fois sur les intérêts des ayants droit et sur ceux des
utilisateurs. Autant que possible, ces intérêts potentiellement en
conflit doivent être réconciliés.
Jusqu’à présent, l’harmonisation du droit d’auteur au niveau
international a eu en premier lieu pour objectif de permettre aux
ayants droit de profiter des nouveaux modes d’exploitation et des
nouveaux modèles économiques. Bien qu’une telle harmonisation
internationale profite aux pays exportateurs d’œuvres en leur
garantissant un cadre légal stable et prévisible, les expériences passées, la théorie économique et le principe de souveraineté indiquent
que les États doivent pouvoir jouir d’une marge de manœuvre suffisante pour adapter leur droit d’auteur national en fonction de leurs
propres besoins culturels, sociaux et économiques. Ce sont les dispositions sur les exceptions et les limitations au droit d’auteur qui fournissent le principal mécanisme juridique permettant de garantir au
niveau national une balance des intérêts équilibrée et pertinente,
adaptée aux besoins de chacun des États.
Le test des trois étapes constitue un outil efficace permettant d’éviter une application excessivement large des limitations et
exceptions au droit d’auteur. En revanche, il n’existe aucun autre
mécanisme juridique permettant d’éviter une approche excessivement étroite des limitations et exceptions. Pour cette raison, l’interprétation du test doit être guidée par la recherche d’une application
appropriée et équilibrée des limitations et des exceptions. Ceci est
fondamental si l’on souhaite obtenir une juste balance des intérêts
en cause.
11. Ce texte constitue la version française de la « Declaration on a balanced interpretation of the “Three-Step Test” in Copyright Law », établie pour en faciliter l’accès
aux lecteurs francophones. Bien que la traduction se veuille fidèle à la version originale anglaise, seule cette dernière engage les signataires. La version française
a été rédigée par Christophe Geiger et Sylvie Nérisson. Le texte original est disponible en ligne sur le site de l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle : <http://www.ip.mpg.de>.
150
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Considérant ce qui suit :
L’objectif du droit d’auteur est de servir l’intérêt général en
incitant à la création d’œuvres nouvelles et à leur diffusion auprès
du public. En tant que telles ou en servant de point de départ à de
nouvelles créations, ces œuvres permettent de satisfaire les besoins
de la collectivité. Toutefois, l’intérêt général n’est réellement promu
que si le droit d’auteur fournit des incitations appropriées pour
toutes les parties en cause. Le droit d’auteur doit donc satisfaire les
intérêts des détenteurs originaires de droits (tels que les créateurs)
autant que les intérêts de ceux qui acquièrent les droits dans le cadre
de l’exploitation de l’œuvre (que nous appellerons par la suite les
cessionnaires).
Les créateurs et les cessionnaires ont souvent des intérêts
communs, comme par exemple la lutte contre les utilisations non
autorisées des œuvres. Cependant, leurs intérêts respectifs peuvent
également diverger. En effet, les limitations et les exceptions sont
presque toujours un obstacle à la maximisation des profits provenant des investissements des cessionnaires alors qu’elles peuvent
dans certaines circonstances favoriser les intérêts des créateurs.
Cela est particulièrement le cas dans les systèmes juridiques où l’application des exceptions et limitations est liée au paiement d’une
rémunération équitable dont une part est obligatoirement reversée
au créateur. Le test des trois étapes ne devrait pas être interprété
d’une manière qui compromette une solution adéquate à ce conflit
d’intérêts.
Il n’est pas dans l’intérêt général de promouvoir les intérêts
des ayants droit au détriment des autres intérêts individuels et collectifs existant au sein de la société. Lorsque les intérêts des ayants
droit et ceux du public entrent en conflit, un effort doit être fait pour
parvenir à un arbitrage équilibré. Cette recherche d’équilibre est un
objectif général des règlementations internationales de propriété
intellectuelle, comme l’indique l’article 7 de l’accord ADPIC. Le
Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur insiste d’ailleurs dans son
préambule sur « la nécessité de maintenir un équilibre entre les
droits des auteurs et l’intérêt public général, notamment en matière
d’enseignement, de recherche et d’accès à l’information ».
Les limitations et les exceptions sont le principal instrument
juridique pour réconcilier le droit d’auteur avec les intérêts individuels et collectifs du public. Lors de la détermination de la portée du
Les équilibres du droit d’auteur
151
test des trois étapes, les intérêts des ayants droit ne devraient pas
être les seuls pris en compte. Le besoin de respecter également les
autres intérêts en cause (comme ceux des tiers) est expressément
confirmé par l’application du test au droit de la propriété industrielle
(v. les art. 17, 26 (2) et 30 de l’accord ADPIC). Le fait que les intérêts
des tiers ne soient pas explicitement mentionnés dans les dispositions sur le test des trois étapes en matière de droit d’auteur n’exclut
pas la prise en compte de ces intérêts. Bien au contraire, cette
absence révèle une omission qu’il revient aux juges de combler.
Une juste application du test des trois étapes requiert une
appréciation globale plus qu’une application « étape » par « étape »
des différentes conditions, telle que sa lecture usuelle (mais trompeuse) semble impliquer. Aucune des trois « étapes » ne devrait primer. Ainsi appliqué, le test ne condamne pas la nécessaire recherche
d’équilibre entre les intérêts des différents groupes d’ayants droits,
ou entre les ayants droit d’une part et le public d’autre part. Si, dans
un cas particulier, lors de l’examen des différentes étapes, l’analyse
de la conformité d’une exception ou d’une limitation conduit à des
résultats contradictoires, il convient d’adopter une approche globale.
La formulation actuelle du test des trois étapes n’exclut pas une telle
lecture. Cependant, cette approche a souvent été négligée par la
jurisprudence12.
L’intérêt général est particulièrement fort lorsque l’on est en
présence de valeurs qui sous-tendent les droits fondamentaux. Ces
mêmes valeurs doivent faire l’objet d’une attention particulière lors
de la mise en œuvre du test. Par ailleurs, même si la reconnaissance
de droits exclusifs par le droit d’auteur tend inévitablement à restreindre la concurrence, l’intérêt général commande de limiter cette
propension au strict nécessaire.
Les limitations et exceptions constituent un mécanisme permettant d’éviter les utilisations anticoncurrentielles pouvant résulter d’une position exclusive sur le marché découlant d’un droit de
propriété intellectuelle. À cet égard, les limitations et exceptions se
révèlent plus efficaces que le droit de la concurrence puisqu’elles éta12. V. par exemple l’arrêt de la Cour de cass. du 28 févr. 2006, précit. note 8. La même
approche a été retenue dans le rapport du panel de l’OMC WT/DS114/R du
17 mars 2000 (Canada – Patents), selon lequel le fait qu’une seule des trois conditions ne soit pas remplie établit nécessairement qu’il y a violation de l’article 30
de l’accord ADPIC. Le rapport suivant WT/DS160/R du 15 juin 2000 (USA – Copyright), bien qu’il ne reprenne pas expressément le même raisonnement, ne s’en
est pas écarté suffisamment pour dissiper les incertitudes à ce propos.
152
Les Cahiers de propriété intellectuelle
blissent un fondement général pour « remédier » à ces positions anticoncurrentielles (contrairement à l’approche au cas par cas du droit
de la concurrence). Elles renforcent ainsi la sécurité juridique en
garantissant une certaine prévisibilité et permettent de réduire les
coûts de transaction. Les décisions concernant l’introduction et la
portée des limitations et exceptions pour promouvoir la libre concurrence devraient être laissées à la discrétion des législateurs nationaux. Le test des trois étapes ne devrait pas être appliqué d’une
manière qui permette le maintien de pratiques anticoncurrentielles
ou empêche l’établissement d’un équilibre harmonieux entre les
intérêts légitimes des ayants droit d’une part et la libre concurrence
d’autre part (surtout sur les marchés secondaires).
Une des clefs du caractère incitatif du droit d’auteur pour les
titulaires originaires de droits et pour leurs cessionnaires est la
rémunération de l’utilisation des œuvres à un prix établi par la
loi de l’offre et de la demande. En effet, des tarifs élevés sont
acceptables s’ils résultent d’une libre concurrence. Toutefois, le marché n’est pas le seul indicateur à même d’établir le montant d’une
rémunération « équitable » et à la mesure des intérêts des ayants
droits. La détermination d’une rémunération dans des conditions
anticoncurrentielles n’est pas acceptable.
En conséquence, lorsque l’introduction de nouvelles limitations
et exceptions aux droits exclusifs est nécessitée par la prise en
compte des intérêts des tiers, le test des trois étapes ne devrait pas
exclure une rémunération inférieure au cours établi par le marché.
La rémunération est équitable tant qu’elle constitue une incitation
suffisante à la création de nouvelles œuvres et à leur diffusion. Son
montant doit donc aussi être considéré comme satisfaisant lorsque la
différence entre la rémunération réelle et inférieure au cours du
marché et celle qu’établirait théoriquement la loi de l’offre et de la
demande est justifiée par les intérêts des tiers.
Objectifs
Le test des trois étapes remplit différentes fonctions selon le
type de règlementation et l’ordre juridique dans lequel il s’inscrit.
Dans l’ordre international, il dessine les contours de la liberté laissée
aux États de déterminer les exceptions et limitations au droit d’auteur. Dans l’ordre interne, le test peut être intégré au droit positif ou
seulement servir de clef d’interprétation du droit national.
Les équilibres du droit d’auteur
153
Cette déclaration n’a ni l’ambition de supprimer ces différences,
ni celle de restreindre la liberté des législateurs de déterminer les
exceptions et limitations dans le droit interne ; encore moins d’intervenir dans la répartition des compétences à l’intérieur de l’ordre juridique européen.
Le droit international économique permet la recherche d’un
équilibre des intérêts économiques et sociaux. Le droit international
de la propriété intellectuelle souligne le besoin de cette recherche
d’équilibre. Cette déclaration propose, en matière de droit d’auteur,
une interprétation équilibrée du test permettant d’assurer que les
exceptions et limitations déjà reconnues par les lois nationales ne
soient pas excessivement restreintes et que l’introduction d’exceptions et de limitations justement équilibrées ne soit pas prohibée.
Déclaration
Les signataires :
– Conscients de la reconnaissance croissante du test des trois
étapes par le droit d’auteur au niveau international, communautaire et national,
– Considérant certaines interprétations du test au niveau
international comme indésirables,
– Estimant que l’application du test par certaines juridictions
et législations nationales a été à tort influencée par une
interprétation restrictive de ce test,
– Considérant qu’il est souhaitable que l’interprétation du test
se fasse de manière équilibrée,
Déclarent ce qui suit :
1) Le test des trois étapes constitue un ensemble indivisible.
Les trois conditions doivent être examinées ensemble et selon
une approche globale et ouverte.
2) Le test n’impose pas une interprétation restrictive des exceptions et limitations. Ces dernières doivent être interprétées
conformément à leurs objectifs et justifications/raison d’être.
154
Les Cahiers de propriété intellectuelle
3) La circonscription des exceptions et des limitations aux
droits exclusifs à certains cas spéciaux par le test des trois
étapes n’interdit pas :
a) aux législateurs d’introduire des limitations et exceptions de type « ouvert », tant que leur portée est raisonnablement prévisible, ou
b) aux juges de
– faire une application mutatis mutandi des limitations et
exceptions légales à des espèces similaires à celles prévues par la loi,
– créer de nouvelles limitations et exceptions, lorsque leur
système juridique le leur permet.
4) Les limitations et exceptions ne contreviennent pas à l’exploitation normale des objets protégés lorsqu’elles
– reposent sur d’importantes considérations de valeur égale à
celles qui sous-tendent la protection,
– ont pour effet d’empêcher des restrictions injustifiées à la
libre concurrence, notamment sur les marchés secondaires,
particulièrement lorsqu’une rémunération équitable est garantie, que ce soit par voie contractuelle ou par une autre
voie.
5) L’application du test des trois étapes doit tenir compte tout
autant des intérêts des détenteurs originaires de droits que de
ceux de leurs cessionnaires.
6) Le test des trois étapes devrait être interprété de telle manière qu’il respecte les intérêts légitimes des tiers, à savoir
– les intérêts découlant des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales,
– les intérêts découlant d’un principe de libre concurrence,
notamment sur les marchés secondaires, et
Les équilibres du droit d’auteur
155
– les autres intérêts de la collectivité, comme notamment le
progrès scientifique et le développement culturel, social et
économique.
Initiateurs et coordinateurs de la Déclaration : C. Geiger, Maître
de conférences, Directeur général et directeur du Laboratoire de
recherche, Centre d’études internationales de la propriété intellectuelle (CEIPI), Université deStrasbourg, Chercheur à l’Institut Max
Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le
droit fiscal, Munich ; R. M. Hilty, Directeur de l’Institut Max Planck
pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit
fiscal, Munich, Professeur aux Universités de Zurich et Munich ;
J. Griffiths, Senior Lecturer, Faculté de droit de l’Université Queen
Mary de Londres ; U. Suthersanen, Professeur, Faculté de droit de
l’Université Queen Mary de Londres.
Groupe d’experts ayant participé aux travaux aboutissant à la
Déclaration, et premiers signataires : V.-L. Benabou, Professeur
à l’Université Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Directrice du
Laboratoire Dante ; L. Bently, Professeur et Directeur, Centre for
Intellectual Property & Information Law, Faculté de droit de
l’Université de Cambridge ; T. Dreier, Professeur à l’Université de
Karlsruhe et Directeur, Institut für Informationsrecht, Karlsruhe ;
S. Dusollier, Professeur et Responsable du département Droits Intellectuels au Centre de recherche informatique et droit, Université de
Namur ; G. Ghidini, Professeur à l’Université de Milan et Directeur,
Osservatorio di proprietà intellettuale, concorrenza e comunicazioni,
Université Luiss Guido Carli, Rome ; H. Große Ruse-Khan, Docteur
en droit, Chercheur à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit de la concurrence et le droit fiscal, Munich ;
B. Hugenholtz, Professeur et Directeur, Institute for Information
Law, Université d’Amsterdam ; D. Kallinikou, Professeur associé à
l’Université d’Athènes ; K. Koelman, Docteur en droit et Avocat,
Amsterdam ; A. Kur, Professeur à l’Université de Stockholm, Chercheur à l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, le droit
de la concurrence et le droit fiscal, Munich ; M. Makeen, Lecturer à la
Faculté de droit et à la School of Oriental and African Studies, Université de Londres ; V. Mizaras, Professeur associé et responsable du
département Civil Law and Civil Procedure, Faculté de droit, Université de Vilnius ; H. MacQueen, Professeur et co-directeur, AHRC
Research Centre for Studies in Intellectual Property and Technology
Law, Université d’Edimbourg ; G. Okutan Nilsson, Professeur assistant, Intellectual Property Law Research Centre, Université Bilgi
d’Istamboul ; A. Peukert, Professeur assistant, Chercheur à l’Insti-
156
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tut Max Planck pour la propriété intellectuelle, Munich ; J. Reichman, Professeur à la Duke University School of Law, États-Unis ;
J. Rosen, Professeur à l’Université de Stockholm ; J. Schovsbo,
Professeur à l’Université de Copenhague ; M. Senftleben, Professeur de propriété intellectuelle à l’Université VU d’Amsterdam ;
F. Siiriainen, Professeur à l’Université de Nice Sophia Antipolis ;
P. L.C. Torremans, Professeur à la Faculté de droit de l’Université de
Nottingham ; E. Traple, Professeur à l’Université de Cracovie ;
M. Vivant, Professeur à l’Institut d’études politiques (« Science Po »),
Paris ; R. Weber, Professeur à l’Université de Zurich ; G. Westkamp,
Senior Lecturer à la Faculté de droit, Université Queen Mary de
Londres ; R. Xalabarder, Professeur à l’Université de Catalogne,
Barcelone.
Assistance sur le projet : B. Bajon, Doctorant et boursier à
l’Institut Max Planck pour la propriété intellectuelle, Munich.
Capsule
Vente sur une place de marché
en ligne de produits portant
atteinte à des droits de marque –
responsabilité de l’exploitant de
la place de marché – injonctions
judiciaires à l’exploitant
Alexandra Neri*
Le 12 juillet 2011 la CJUE a rendu un arrêt très attendu dans
l’affaire L’Oréal e.a./eBay International AG e.a.1.
La Cour de justice de l’Union européenne a été saisie de plusieurs questions préjudicielles posées par la High Court of Justice
dans le cadre d’un litige qui opposait L’Oréal et plusieurs de ses
filiales à eBay, et plusieurs personnes physiques.
L’Oréal commercialise des parfums, des cosmétiques et des produits de soin des cheveux. Au Royaume-Uni elle est titulaire de plusieurs marques nationales, au niveau européen elle est titulaire
d’une marque communautaire.
eBay exploite une place de marché en ligne sur laquelle sont
présentées des annonces pour des produits mis en vente par des
personnes inscrites à cette fin auprès du service et ayant créé un
compte vendeur. eBay prélève une commission sur les transactions
© Alexandra Neri, 2012.
* Avocate, associée du cabinet Herbert Smith (Paris).
1. CJUE, 12 juillet 2011, L’Oréal e.a./eBay International AG e.a. – C-324/09.
157
158
Les Cahiers de propriété intellectuelle
effectuées. Les vendeurs et les acheteurs sont tenus d’accepter des
conditions générales interdisant la vente d’objets contrefaits et
imposant le respect du droit des marques.
Ce litige soulève plusieurs questions impliquant l’interprétation de la Directive sur les marques, dont la première concerne la
vente sur la place de marché eBay de produits de marque « L’Oréal »
sans emballage, ainsi que des objets de démonstration et des échantillons, à la revente desquels eBay se serait toujours opposé au sein
de l’Espace Economique Européen.
Selon L’Oréal, ces ventes étaient faites en violation de ses
droits de marque et eBay en serait solidairement responsable, dès
lors qu’elles étaient intervenues via sa plateforme (Point 34).
La deuxième question concernait donc le point de savoir si eBay
est elle-même responsable de l’utilisation de marques de L’Oréal en
raison de l’affichage de celles-ci sur son site (lors de l’affichage des
annonces de ses utilisateurs sur son site), soit en raison de l’utilisation de ces marques pour des campagnes de référencement sur
les sites d’opérateurs de moteurs de recherche, tels que Google
(Point 38).
L’Oréal faisait valoir que, même si eBay n’était pas responsable
des atteintes aux droits attachés à ses marques, une injonction
devait lui être adressée en vertu de l’article 11 de la directive 2004/48
(Point 43).
Les questions préjudicielles posées par la High Court of Justice
nécessitaient l’interprétation des articles 5(1) (a) et 7(1) et (2) de
la Directive 89/104/CE sur les marques, des articles 9(1) sous a) et
13 (1) et (2) du Règlement 40/94/CE sur la marque communautaire,
de l’article 14(1) de la Directive 2000/31/CE sur le commerce électronique et enfin de l’article 11 de la Directive 2004/48/CE relative au
respect des droits de propriété intellectuelle.
À l’occasion de ce litige et en réponse aux questions préjudicielles posées par la High Court of Justice, la CJUE est venue apporter des éclaircissements très utiles sur la question de la vente sur
une place de marché en ligne de produits portant atteinte à des
droits de marque.
Vente sur une place de marché en ligne
159
Elle pose également des limites assez claires à la portée des
injonctions judiciaires pouvant être prononcées à l’encontre d’un
intermédiaire tel que la société eBay.
En revanche, la décision laisse une grande incertitude quant
aux conditions dans lesquelles l’exploitant d’une place de marché
peut voir sa responsabilité engagée du fait des contrefaçons commises par ses utilisateurs.
Les enseignements de cette décision sont à analyser en quatre
points.
1. La contrefaçon commise par les utilisateurs en cas de
revente de produits marqués sans emballage, ou qui
constitue des échantillons ou des produits de
démonstration interdite à la vente
La CJUE, conformément à sa jurisprudence constante, rappelle que la fourniture d’échantillons de parfums à des distributeurs
avec interdiction de les vendre, ne constitue pas, en l’absence d’éléments probants contraires, une mise dans le commerce (point 73).
(Arrêt du 15 janvier 2009, Silberquelle, c-495/07).
La règle de l’épuisement des droits ne peut donc pas jouer.
Par ailleurs, le titulaire de la marque peut s’opposer à la vente
de parfums sans emballages si le retrait de l’emballage prive le
consommateur d’informations essentielles ou porte atteinte à la
réputation de la marque (point 83). Il appartient au titulaire de
la marque d’établir l’existence des éléments constitutifs de cette
atteinte (point 79).
La Cour rappelle en outre que le titulaire peut agir même si les
produits ne se trouvent pas dans le territoire couvert par la marque
(point 62). Il suffit que l’offre en vente soit destinée à des consommateurs situés dans ce territoire (point 65).
2. L’absence d’usage de marque imputable à l’exploitant de
la place de marché du fait de l’apparition des annonces
sur la place de marché en ligne
Lorsque la marque est utilisée par des utilisateurs de la plateforme pour vendre des produits, la Cour de justice estime qu’eBay ne
160
Les Cahiers de propriété intellectuelle
peut pas être l’auteur d’une contrefaçon puisqu’il n’est qu’un prestataire intermédiaire.
L’exploitant d’une place de marché en ligne ne fait donc pas
lui-même un « usage » de la marque, au sens des articles 5 de la
Directive 89/104 et 9 du Règlement nº 40/94 (Point 105).
L’usage de la marque est le fait des clients vendeurs de l’exploitant de la place de marché et non de l’exploitant lui-même
(para. 103). L’usage n’est alors répréhensible de la part de l’internaute que s’il est effectué « dans la vie des affaires » (point 54). Tel est
le cas si les ventes dépassent, en raison de leur volume, leur fréquence ou d’autres caractéristiques, la sphère d’une activité privée
(point 55).
3. L’usage de la marque est en revanche imputable à
l’exploitant de la place de marché s’il prend lui-même
l’initiative de l’utiliser pour promouvoir lui-même les
offres de ses utilisateurs sous la forme de liens
sponsorisés dans le cadre de campagne de
référencement payant : L’appréciation de la
contrefaçon suppose alors une analyse au cas par
cas de chaque lien sponsorisé
Selon la CJUE, eBay engage sa responsabilité, en tant qu’annonceur, lorsqu’il utilise des marques pour faire la promotion de son
service, ou pour promouvoir les offres de ses utilisateurs.
Le titulaire d’une marque est habilité à interdire à l’exploitant
d’une place de marché en ligne de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet exploitant a sélectionné dans le cadre
d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des
produits de cette marque mis en vente sur ladite place de marché,
lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque
ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire,
d’un tiers (point 97).
La CJUE estime que, pour éviter toute confusion, eBay devrait
au moins s’assurer que chaque « lien sponsorisé » communique son
identité ainsi que le fait que les produits sont mis en vente au moyen
de la place de marché qu’il exploite (point 96).
Vente sur une place de marché en ligne
161
4. La recherche difficile du régime de responsabilité
adéquat de l’exploitant
La question est de savoir si l’exploitant peut bénéficier, en cas
d’illicéité des annonces mises en ligne sur la place de marché, du
régime de responsabilité spécifique des hébergeurs prévu à l’article 14 de la Directive 2000/31 sur le commerce électronique.
La CJUE n’exclut pas cette possibilité mais la soumet à la
condition que l’exploitant ne joue aucun « rôle actif », rôle que les
juridictions nationales doivent apprécier au cas par cas.
• Si eBay se contente de stocker sur son serveur les offres à la vente,
il peut bénéficier du régime dérogatoire en matière de responsabilité prévu par la directive 2000/31 et ce, même s’il fixe les modalités de son service (notamment le prélèvement d’une commission
sur les ventes) et même s’il donne des renseignements d’ordre
général à ses clients (conseils et recommandations générales sur
l’usage du service, la manière de libeller les annonces etc.).
• Mais si eBay prête à ses utilisateurs une assistance plus poussée,
en agissant notamment directement pour « optimiser la présentation des offres de vente » ou pour « promouvoir ces offres », il y a
lieu de considérer qu’il a non pas occupé une position neutre entre
le client vendeur concerné et les acheteurs potentiels, mais joué
un rôle actif excluant la dérogation en matière de responsabilité
visée par l’article 14 de la directive 2000/31 (point 116).
Mais il est à noter que la CJUE reste extrêmement vague sur
les notions « d’optimisation » et de « promotion » des offres de ses
clients. Il est possible de penser que les hypothèses envisagées sont
celles décrites par la Cour de justice au point 31 de l’arrêt qui mentionne certaines activités d’aide aux vendeurs pour optimiser leurs
offres, créer leurs boutiques en ligne, promouvoir et augmenter leurs
ventes. eBay fait notamment de la publicité pour certains des produits mis en vente sur sa place de marché en ligne au moyen d’un
affichage d’annonces par des opérateurs de moteurs de recherche,
tels que Google.
Une telle interprétation est très largement conjecturale à ce
stade.
On peut penser que les divergences d’appréciation entre les
juridictions des États-Membres quant au régime de responsabilité
162
Les Cahiers de propriété intellectuelle
adéquat pour les places de marché en ligne ne vont pas cesser en
Europe.
Enfin, même dans l’hypothèse où il n’a pas joué un rôle actif, la
responsabilité de l’exploitant reste engagée « s’il a eu connaissance
des faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente et,
dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi »
(point 124).
Là encore, cela entraîne de l’incertitude.
La Cour fait en effet une référence étonnante à la notion d’« opérateur économique diligent » qui « aurait dû » constater l’illicéité.
Cela peut laisser penser qu’un hébergeur pourrait tout de même,
dans certains cas, être tenu d’effectuer lui-même des recherches
minimales pour vérifier directement la licéité de certains contenus
qu’il héberge. On peut se demander si cela est bien compatible avec
l’article 15 de la Directive sur le commerce électronique, qui exclut
expressément que les intermédiaires puissent se voir imposer une
obligation générale de rechercher eux-mêmes activement l’illicéité
des informations, ce dont il résulte qu’en principe, la connaissance de
telles informations ne peut-être que le résultat d’un signalement
précis.
5. L’exigence de proportionnalité des injonctions
judiciaires pouvant être prononcées contre l’exploitant
En vertu de l’article 11 de la directive 2004/48 sur le respect des
droits de propriété intellectuelle, les juridictions nationales ont le
pouvoir d’enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne, de
prendre les mesures qui « contribuent de façon effective à mettre fin
aux atteintes portées aux droits de marque et à prévenir de nouvelles
atteintes » (point 131).
Les injonctions doivent cependant être « proportionnées », ne
doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime (point 144), mais
au contraire respecter un juste équilibre entre les divers intérêts en
cause (point 143).
Ainsi, il ne peut être exigé de l’exploitant qu’il surveille activement l’ensemble des données de chacun de ses clients (point 139).
Enfin, l’injonction adressée à cet exploitant ne peut avoir pour objet
Vente sur une place de marché en ligne
163
ou pour effet d’instaurer une interdiction générale et permanente de
mise en vente de produits de marque (140).
L’exploitant peut toutefois être contraint de suspendre l’auteur
de l’atteinte (point 141) ou encore de prendre les mesures permettant
de faciliter l’identification de ses clients vendeurs (point 142). Ces
mesures sont cependant citées à titre de simple exemple, le juge
national disposant de marges de manœuvre pour déterminer les
mesures adéquates pouvant contribuer à la prévention des atteintes
futures aux droits de propriété intellectuelle des plaignants.
On peut regretter, là encore, l’insécurité juridique introduite
par la Cour de justice sur ce point. Elle accorde en effet aux juges
nationaux le pouvoir d’enjoindre à l’exploitant d’une place de marché
en ligne, de prendre les mesures qui « contribuent de façon effective à
mettre fin aux atteintes portées aux droits de marque et à prévenir
de nouvelles atteintes », mais sans définir ces mesures. Elle fait ainsi
confiance à l’imagination des juges et à leur pouvoir de créer des obligations nouvelles (obligation de sensibiliser les utilisateurs aux
problèmes de la contrefaçon, d’adopter à leur encontre une politique
de sanction stricte, de mettre en place des systèmes d’alerte automatisée etc.) qui, à notre sens, devrait relever exclusivement du
législateur.
Capsule
Une brève histoire de l’avenir*…
de l’organisation africaine de la
propriété intellectuelle (OAPI)
Laurier Yvon Ngombé**
L’avenir est un présent que nous fait le passé.
— André Malraux
INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167
1. L’AVENIR PRÉVISIBLE DE L’OAPI . . . . . . . . . . . . 167
1.1. Concurrence institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . 168
1.2 Unification institutionnelle . . . . . . . . . . . . . . . 168
2. L’AVENIR SOUHAITABLE DE L’OAPI. . . . . . . . . . . 170
CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 172
© Laurier Yvon Ngombé, 2012.
* Pour reprendre le titre d’un essai de Jacques Attali.
** Docteur en Droit, Avocat à la Cour d’appel de Paris (Barreau de l’Essonne), Chargé
d’enseignement au CNAM Île de France et à l’ESGCI – PPA. L’auteur a publié en
2009 Le Droit d’auteur en Afrique, 2e éd. (Paris : L’Harmattan, 2009) en cours de
réédition.
165
INTRODUCTION
Le continent africain célèbre chaque 13 septembre la Journée
de la propriété intellectuelle. Cette date correspond à celle de la création, en 1962, de l’Office africain et malgache de la propriété intellectuelle (OAMPI) qui deviendra en 1977 l’Organisation africaine de la
propriété intellectuelle (OAPI)1. Cette année, l’OAPI va donc célébrer son cinquantenaire.
À la faveur de cet événement, quelques réflexions sur les scénarios envisageables pour le demi-siècle à venir paraissent être un
exercice aussi intéressant que l’établissement d’un bilan. Les spécialistes de la propriété intellectuelle ont l’habitude de la projection
plus ou moins lointaine dans l’avenir, comme approche de réflexion2.
Concernant l’avenir de l’OAPI, il est d’abord possible d’envisager les scénarios prévisibles, au regard de son histoire et du présent.
Ensuite, il semble intéressant d’évoquer des scénarios souhaitables
pour proposer des pistes de réflexions sur l’avenir.
1. L’AVENIR PRÉVISIBLE DE L’OAPI
Sur ce point, le fil de l’histoire des cinquante années écoulées
laisse entrevoir deux évolutions relatives, d’une part, à une « concurrence institutionnelle » et, d’autre part, à une « unification institutionnelle ».
1. CAZENAVE (Bertrand), « L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle
(OAPI) de Libreville à Bangui » [1989] Propriété industrielle 311 ; NGOMBE (Laurier Yvon), « Une discrète quinquagénaire : l’organisation africaine de la propriété intellectuelle » : (2012), 2 Communication Commerce électronique, Focus 11,
page 2.
2. V. par exemple CARON (Christophe), « Le droit d’auteur de l’an 2440. Cauchemar
s’il en fût jamais », dans Études à la mémoire du professeur Xavier Linant de Bellefonds (Paris : Lexisnexis, 2007), pp. 105 et s. et aussi L’avenir de la propriété intellectuelle. Acte du colloque organisé par l’IRPI le 26 octobre 1992 (Paris : IRPI-Litec,
1993).
167
168
Les Cahiers de propriété intellectuelle
1.1 Concurrence institutionnelle
Concernant la concurrence institutionnelle, il y a eu dans un
premier temps la question d’une éventuelle concurrence entre
l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
(OHADA) et l’OAPI. En effet, le conseil des ministres de l’OHADA
avait, en 2002, étendu le champ de compétence de l’OHADA à la propriété intellectuelle. En 2011, l’OHADA a finalement retiré la propriété intellectuelle de son champ de compétence.
Néanmoins, l’absence de système juridictionnel dans le cadre
de l’OAPI et les inévitables points de contact entre la législation de
l’OHADA et celle de l’OAPI devraient conduire le juge de l’organisation régionale en charge du droit des affaires à se prononcer sur les
textes de l’organisation en charge de la propriété intellectuelle.
Se pose également la question de la coordination entre les
textes de l’OAPI sous sa forme actuelle, ou sous la forme qui adviendra suite à la fusion des deux organisations régionales, et les organisations sous-régionales d’intégration économique telle que l’Union
Économique et Monétaire Ouest-africaine (UEMOA) et la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC)3.
L’évolution des textes des différentes organisations se fera avec
davantage de coordination.
1.2 Unification institutionnelle
Sur le plan institutionnel, l’avenir de l’OAPI renvoie particulièrement à la question de la « cohabitation » de l’OAPI avec l’ARIPO
(African Regional Intellectual Property Organization) et de la très
probable fusion entre les deux organisations. À ce jour, 16 États sont
membres de l’OAPI. En dehors de la Guinée Equatoriale et de la
Guinée Bissau, tous les États membres de l’OAPI sont francophones.
De l’autre côté, les États membres de l’ARIPO sont essentiellement anglophones. À l’origine, l’ARIPO était, justement, l’organisation régionale anglophone de la propriété intellectuelle (English
Speaking African Regional Intellectual Property Organization). Le
« découpage » linguistique initial a été abandonné par chacune des
3. Ainsi, la question de l’épuisement des droits de propriété intellectuelle pourrait être abordée en tenant compte de l’existence de ces différents « marchés
communs ».
L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle
169
organisations. Les deux organisations ont, en effet, prévu chacune
une « ouverture » au-delà de leur espace linguistique originel.
Par ailleurs, comme le souhaitent de nombreux spécialistes,
l’intégration régionale de la propriété intellectuelle sur le continent
africain va irrésistiblement aboutir dans les prochaines années, à
plus ou moins long terme, à la création d’une organisation régionale
unique. En 2007, l’Union Africaine a adopté la Décision sur la création d’une Organisation Panafricaine de la Propriété intellectuelle4
(PAIPO5). L’idée d’une création d’une organisation africaine unique
de la propriété intellectuelle se concrétise donc peu à peu.
Cette unification institutionnelle devrait être l’œuvre de l’OMPI,
de l’Union Africaine, de l’OAPI et de l’ARIPO. Elle impliquera une
mutualisation des moyens et des compétences, notamment en matière de formation et de documentation. Il est fort probable que d’ici
quelques années cohabitent deux revues africaines relatives à la propriété intellectuelle, sans doute sous forme électronique. Le master
de propriété intellectuelle de l’OAPI sera concurrencé par des formations qui apparaîtront au sein de diverses universités d’États
membres. C’est un scénario dont la réalisation est probable dans les
prochaines années.
La législation de l’OAPI s’est progressivement enrichie. Entre
1962 et 1999, l’OAPI a considérablement élargi son champ législatif.
Ainsi en 1977, l’Annexe VII de l’Accord de Bangui portait sur la propriété littéraire et artistique (incluant la protection du patrimoine
culturel) ; en 1999, était adoptée l’Annexe X relative aux obtentions
végétales6. La législation relative au patrimoine culturel va sans
doute davantage évoluer, notamment pour intégrer les nouveaux
textes internationaux sur la question (et particulièrement les travaux de l’OMPI). Par ailleurs, on peut s’attendre à quelques amendements pour tenir compte des effets de l’évolution technologique
depuis 1999. Cet enrichissement normatif se fera sans doute dans le
cadre d’une organisation unique à l’échelle du continent.
Le chemin qui mène à la création d’une organisation unique et
donc à la transformation de l’OAPI comporte néanmoins quelques
préalables. Par exemple, sous l’égide de l’OAPI existe une législation
4. Assembly/AU/Dec. 138 (VIII).
5. Pan African Intellectual Property Organization.
6. MIENDJIEM (Isidore Léopold) et al., « Libres propos sur la législation OAPI relative aux obtentions végétales », (2010), 14:3 Lex Electronica ; disponible aussi à
<http://www. lex-electronica.org/docs/articles_245.pdf>.
170
Les Cahiers de propriété intellectuelle
uniforme de la propriété industrielle alors que, dans le cadre de
l’ARIPO, tel n’est pas (pas encore) le cas. L’organisation unique
devra-t-elle prévoir comme l’OAPI une législation uniforme ? Cette
question fait partie de celles qui permettront à la cohabitation entre
ARIPO et OAPI de durer encore quelques années… mais seulement
quelques années.
2. L’AVENIR SOUHAITABLE DE L’OAPI
Quel que soit l’avenir de l’OAPI, il est souhaitable que sur le
plan législatif certains points soient « renforcés ». En matière de
droit d’auteur, on peut souhaiter un mécanisme de contrainte afin
d’assurer une meilleure harmonisation sur ce point. En effet, le minimum conventionnel prévu par l’Annexe VII de l’Accord de Bangui
(texte de l’OAPI sur le droit d’auteur et le patrimoine culturel) n’est
pas toujours respecté par les lois des États membres7. Par ailleurs, il
est souhaitable d’intégrer à la législation sur le droit d’auteur des
dispositions relatives aux questions de conflit de lois 8.
De même, on peut s’interroger sur les aspects pénaux de la propriété industrielle. Les textes de l’OAPI relatifs aux marques et aux
brevets, par exemple, prévoient aussi bien les actes réprimés que les
peines encourues dans tous les États membres. Concernant les
amendes, cela peut poser problème. Sans doute, celles-ci devraient
être « libellées » autrement. Il pourrait, par exemple, être retenu une
référence permettant de tenir compte du niveau de vie de l’État dans
lequel l’amende sera prononcée. De même, il peut être judicieux de
lancer de nouvelles réflexions sur l’épuisement des droits9.
En matière de marque, la révision de la législation régionale en
1999 a été l’occasion de supprimer l’exigence de l’exploitation de la
7. Pour une illustration parmi plusieurs, voir NGOMBE (Laurier Yvon), « L’œuvre
audiovisuelle dans les États de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle » (2005), 17:2 Cahiers de propriété intellectuelle 337.
8. Sur l’intérêt de la question, voir notre étude : « Mise en œuvre du droit d’auteur
dans les États de l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle et questions
de droit international privé » (2006), 2 Journal du droit International – Clunet 563.
9. Pour une critique de la législation régionale actuelle, voir TANKOANO (Amadou),
« Les importations parallèles et les licences non volontaires dans le nouveau droit
des brevets des États membres de l’OAPI », dans Commerce, propriété intellectuelle et développement durable vus de l’Afrique, Documents présentés au Dialogue
régional de Dakar, organisé les 30 & 31 juillet 2002, par ICTSD, ENDA Tiers
Monde et Solagral. p. 115; disponible à <http://ictsd.org/downloads/2008/06/dakar_
chapter6.pdf>.
L’Organisation africaine de la propriété intellectuelle
171
marque comme condition de son renouvellement10. Il paraît souhaitable d’envisager au moins sur ce point une révision de l’Annexe relative aux marques.
En attendant la mutation annoncée et prévisible de l’organisation et quelle que soit la forme qu’elle prendra, se pose toujours la
question de la mise en place d’un système juridictionnel. Cette question fait partie de celles qui méritent d’être mises en chantier pour
les années à venir.
Il sera a priori plus facile de distinguer les aspects de propriété
industrielle des aspects de propriété littéraire et artistique. On peut
souhaiter, à ce propos, l’existence d’une juridiction supranationale
compétente, d’une part, pour se prononcer sur les questions préjudicielles relatives à l’ensemble du champ législatif de l’OAPI et, d’autre
part, pour se prononcer en dernier ressort sur l’application du droit
uniforme (propriété industrielle).
Parmi plusieurs points à aborder pourrait figurer celui de l’arbitrage en matière de propriété intellectuelle. On peut ainsi imaginer un centre d’arbitrage de l’OAPI. Ce centre d’arbitrage pourrait,
par exemple, être compétent en matière de conflit de titularité d’expressions du folklore.
Il est également souhaitable de veiller au renforcement de l’accès à la documentation et particulièrement de la jurisprudence en
matière de propriété intellectuelle.
Les spécialistes africains de la matière sont de plus en plus
nombreux. Ce qui sera un facteur contribuant à une plus grande
effectivité du droit de la propriété intellectuelle sur le continent. On
peut néanmoins souhaiter des échanges plus fréquents entre ces spécialistes. Cela peut se faire par le biais d’un réseau animé par l’OAPI.
Pour les années à venir, on peut aussi souhaiter un investissement plus important de l’OAPI dans l’encouragement de la création,
comme cela se fait avec beaucoup de succès pour l’innovation.
10. KIMINOU (René), « La révision des marques de l’Organisation africaine de la
propriété intellectuelle » (2011), 129 Revue du droit de la propriété intellectuelle 23
172
Les Cahiers de propriété intellectuelle
CONCLUSION
Dans l’attente de cet avenir rêvé et possible à l’horizon 2062, on
peut déjà se féliciter des efforts fournis, du travail accompli et du
chemin parcouru par l’OAPI pendant les cinquante années écoulées.
Compte rendu
Access-Right: The future of
copyright law*
Olivier Charbonneau**
Le droit d’auteur souffre de réformes inappropriées suite à
l’émergence de nouvelles technologies de l’information et des communications et opère dans un cadre où sa structure est fatalement
biaisée. Ainsi, Zohar Efroni propose que la nature même du droit
d’auteur numérique (« digital copyright ») aurait été lentement et
subtilement érodée pour en faire un outil qui dicte les modalités d’accès aux œuvres numériques protégées par le droit d’auteur, au delà
de ce qui était possible avant l’émergence du monde numérique.
Ce constat normatif quant aux assises épistémologiques du
droit d’auteur (auquel l’auteur ne s’objecte pas) impose une réflexion
quant à la conceptualisation dominante de cet outil législatif dans
l’articulation des marchés de biens d’information numérique. Si le
droit d’auteur est maintenant un outil de contrôle de l’accès, comme
la criminalisation du contournement de verrous numériques, réfléchissons à comment réconcilier ce nouveau rôle avec son articulation
comme cadre juridique.
Afin de développer son sujet, l’auteur divise son livre en trois
parties. La première – de loin la plus intéressante et réussie –
consiste en une analyse théorique puisant dans les fondements des
sciences de la communication, de l’économie et du droit. Ensuite,
© Olivier Charbonneau, 2012.
* Efroni (Zohar), Access-Right: The Furure of Copyright Law (Toronto, Oxford University Press, 2010), xxiv, 608 p. ISBN10 : 0199734070.
** Bibliothécaire professionnel à l’Université Concordia, candidat au doctorat en
droit à l’Université de Montréal.
173
174
Les Cahiers de propriété intellectuelle
l’auteur se lance dans une analyse historique et comparative
détaillée (et parfois aride) des développements législatifs en Europe
et aux États-Unis. Il se base sur les études déposées par les diverses
instances gouvernementales officielles et les lois ainsi édictées.
Finalement, l’auteur articule son modèle du point de vue conceptuel
afin de proposer des pistes pour sa mise en œuvre.
Avant de poursuivre l’analyse du contenu du livre, présentons
rapidement le modèle proposé par Efroni.
L’auteur propose comme solution l’analogie de « l’accès » comme
étant idée dominante du droit d’auteur numérique. Dans son
modèle, une œuvre numérique protégée par le droit d’auteur est
employée dans le contexte d’un accès « humain » (« human access »),
par exemple, par la lecture d’un livrel1 ou lorsque le lecteur en discute du contenu avec une connaissance ou, par un accès « technologique » (« technological access ») lorsque ledit livrel est copié sur une
liseuse.
Ensuite, l’auteur précise que l’accès peut également être divisé
en « comportements d’accès » (« accès-conducts ») puis en « comportements de communication » (communication-conducts) – essentiellement, le fait d’accéder pour soi dans le premier cas ou pour autrui
dans le second. Ainsi, l’auteur définit le « droit d’accès » (« accessright ») comme étant le droit exclusif d’autoriser les comportements
d’accès ou de communications sur une œuvre protégée. Il distingue
également le « droit-à-l’accès » (« right-of-access ») comme étant un
droit dont l’utilisateur dispose pour contraindre l’ayant droit pour
permettre (ou faciliter) un accès humain.
La force du modèle proposé découle d’une approche nuancée
des impératifs évoqués dans le contexte numérique. Les mesures de
protection technologiques (« technological protection measures »)
peuvent limiter certains accès humains portant ainsi préjudice au
droit-à-l’accès d’une utilisatrice. Puis, les droits d’accès sont garantis
par l’intégrité des systèmes de gestion des droits numériques (« digital rights managements »), d’où leur importance dans le contexte du
droit d’accès. Ainsi, il est possible de mieux articuler les modalités du
droit d’auteur dans l’univers numérique.
1. Selon le Grand Dictionnaire de l’Office québécois de la langue française (<http://
www.granddictionnaire.com>), un livre électronique se désigne par livrel – à l’instar d’un courrier électronique en courriel.
Access-Right: The Future of Copyright Law
175
L’auteur arrive à ce modèle à la fin de la première partie de son
livre, où il emploie une analyse Hohfeldienne2 du modèle de communication de Shannon3 dans l’univers numérique. Hohfeld proposa un
cadre théorique pour formaliser les relations juridiques implicites
entre deux individus selon leur contexte. Chaque relation découle de
deux positions mutuellement exclusives juridiques, créant ainsi un
continuum entre une prétention de droit jusqu’à l’immunité et indiquant leurs positions opposées pour l’autre. Shannon, quant à lui,
proposa un modèle simple de la communication qu’il utilisa dans
ses recherches sur la cryptographie. La combinaison de ces deux
modèles mène à une analyse économique du droit d’auteur fort pertinente pour les questions soulevées par l’univers numérique.
Dans sa seconde partie, Efroni livre une analyse détaillée et
parfois aride des développements législatifs en Europe et aux ÉtatsUnis. Son objectif est de démontrer que ces développements ne sont
pas en lien avec le modèle qu’il propose, surtout au niveau de la rhétorique proposée dans la documentation officielle des commissions
et autres études gouvernementales ou parlementaires. Les trois
thèmes retenus (un chapitre chaque) sont le droit de reproduction
numérique (« digital reproduction right »), le droit de communication
numérique (« digital communication right ») et la protection des verrous numériques (« anticircumvention laws »). Malheureusement,
cette section se concentre sur la documentation et ne réserve qu’une
très petite place à l’application de son modèle au contexte législatif,
ce qui la rend aride et brise l’équilibre de son texte.
Enfin, Efroni reprend son modèle à la troisième et dernière section pour proposer des pistes de mise en œuvre, surtout en tant que
modifications législatives. Encore ici, il semble manquer la cible en
maintenant son analyse dans l’arène théorique lorsqu’une analyse
plus pratique aurait été bienvenue. Par exemple, on s’attendrait à ce
qu’il identifie les dispositions législatives à modifier dans le contexte
Européen et des USA, puisqu’il a déjà offert une analyse poussée de
leur processus de réforme dans la section précédente. En lieu de ceci,
il propose deux versions de son modèle – forme « forte » ou « faible »
(« strong form » ou « weak form ») et indique au lecteur d’imaginer la
suite.
2. Surtout : Hohfeld (Wesley N.), « Some fondamental legal conceptions as applied in
judicial reasoning », (1913) 23 Yale Law Journal 16 et Hohfeld (Wesley N.), « Fondamental legal conceptions as applied in judicial reasoning », (1917) 26 Yale Law
Journal 710.
3. Shannon (Claude E.), Weaver (Warren), The mathematical theory of communication, University of Illinois Press, 1963.
176
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Efroni offre un livre intéressant qui propose des pistes concrètes pour une définition axiologique du droit d’auteur en lien avec
l’environnement numérique. La force de son œuvre réside dans sa
première partie, où il démontre avec une dextérité intellectuelle surprenante la flexibilité et l’intelligence de son modèle des droits
d’accès. La donne change là où l’épistémologie rencontre l’herméneutique. Sa deuxième partie brise le ton de la première tout en négligeant de tisser des liens adéquats avec son modèle proposé. La
troisième partie ne sauve pas la donne et laisse le lecteur sur sa faim.
Pour tout dire, Efroni propose une théorie très intéressante,
pertinente, mais mal exécutée et démontrée.
Compte rendu
La gestion de la propriété intellectuelle
dans les relations entre l’université et
l’entreprise : pour une véritable
dynamique d’alliances stratégiques*
Propriété intellectuelle et université –
entre la libre circulation des idées et la
privatisation des savoirs**
Université inc. – des mythes sur
la hausse des frais de scolarité
et l’économie du savoir***
Ghislain Roussel****
©
*
Ghislain Roussel, 2012.
La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université
et l’entreprise : pour une véritable dynamique d’alliances stratégiques, Avis,
Conseil de la science et de la technologie du Québec, Direction générale des
communications et des services à la clientèle, ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation, gouvernement du Québec, Montréal, 2011, 71 pages, ISBN : 978-2-550-61858-4 ; ISBN PDF : 978-2-550-61857-7
(Document disponible à : <http://www.mdeie.gouv.qc/objectifs/informer/rechercheet-innovation>).
** Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la
privatisation des savoirs, Couture, Marc, Dubé, Marcel, Malissard, Pierrick,
Presses de l’Université du Québec, Québec, 2010, 374 pages, ISBN : 978-2-76052587-0.
*** Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du
savoir, Martin Éric, Ouellet, Maxime, Lux Éditeur, coll. Lettres libres, Montréal,
2011, 152 pages, ISBN : 978-2-89596-126-0.
**** L’auteur est avocat conseil en droit d’auteur et président de la corporation Les
Cahiers de propriété intellectuelle inc.
177
178
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Le présent compte rendu couvre exceptionnellement trois ouvrages, mais il ne vise pas dans le détail l’ensemble du contenu des
ouvrages Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs et Université Inc. – Des
mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir,
car le fil conducteur porte sur les impacts de la commercialisation
de l’expertise et du savoir par les universités en quête plus que
jamais de sources de financement accrues ou nouvelles à des fins
d’enseignement et de recherche.
Le compte rendu s’attarde aux conséquences et aux retombées
économiques effectives sur la gestion de la propriété intellectuelle au
fil des années par les universités qui se sont dotées de plus en plus et
pour la plupart de politique ou de stratégie de commercialisation
et de bureau de valorisation de leurs innovations, recherches et
savoirs, et, tout particulièrement, aux effets sur les missions premières des universités, la « liberté universitaire » et l’apport financier des étudiants avec l’augmentation des frais de scolarité.
En 1980, les États-Unis adoptaient la Loi Bayh-Dole établissant un encadrement législatif de la propriété intellectuelle en
milieu universitaire en vue de faciliter et de renforcer les activités de
transfert technologique des universités, sinon de les y inciter fortement vers l’entreprise privée qui réduisait de plus en plus ses budgets dans la recherche et le développement. Ladite loi légitimait
l’effort de commercialisation des recherches dans les universités
américaines dorénavant autorisées à déposer un brevet sans l’aval
de l’agence fédérale de financement et à transférer leurs technologies vers des PME américaines. Cette loi a eu des effets positifs,
semble-t-il, mais les activités de transfert technologique ne représentent que 10 à 15 % du volume total des transferts vers l’industrie.
La Loi Bayh-Dole a fait des petits et elle a été appuyée par
l’OCDE et la Commission européenne par la suite et divers pays de
l’Asie. Divers consortiums de recherche précompétitive et centres
stratégiques de recherche ont été créés. De nouveaux modèles de gestion de la propriété intellectuelle ont été proposés et mis en place,
ainsi que des centres d’échanges sur la propriété intellectuelle avec,
comme objectifs, l’éducation et la formation à l’entrepreneuriat dans
les universités visées.
Or, selon l’Avis du Conseil de la science et de la technologie
« CST »), se basant sur divers rapports et données statistiques,
« [L]es activités de transfert technologique stricto sensu rapportent
Propriété intellectuelle et université
179
peu aux universités, qui misent de plus en plus sur une approche
holistique visant à maximiser les retombées globales de leurs activités de transfert. D’ailleurs, ce n’est pas le transfert technologique qui
attire en premier lieu l’entreprise, mais l’accès à l’expertise en
recherche (excellence) et aux compétences des étudiants ».
Le Canada a tenté de faire de même à quelques reprises, mais
sans trop de succès ni de résultat tangible d’envergure. Le Rapport
Fortier de 1999 (Rapport du groupe d’experts sur la commercialisation des résultats de la recherche universitaire - Les investissements
publics dans la recherche universitaire : comment les fructifier,
4 mai 1999, Conseil consultatif des sciences et de la technologie) a
connu de vives oppositions de la part des professeurs-chercheurs et
d’universités, notamment, et a soulevé des tensions entre les universités et les entreprises au regard de la gestion de la propriété
intellectuelle.
Le Québec a tâché d’intervenir en 2001 par l’adoption d’une
politique et, en 2002, du Plan d’action en matière de gestion de la PI
dans les universités et établissements du réseau de la santé et des
services sociaux (Ministère de la Recherche, de la Science et de la
Technologie). Des universités se sont certes dotées d’un bureau de
transfert de technologie et elles ont développé des activités de commercialisation de la recherche, mais les revenus accrus se sont fait
beaucoup attendre au regard des dépenses engendrées par les universités au chapitre du fonctionnement des organismes de transfert.
Par ailleurs, loin d’être un incitatif, les contrats de recherche continuaient d’augmenter sensiblement et davantage que les revenus
de commercialisation émanant des transferts technologiques. La
raison invoquée était aussi « le faible taux de réussite des mécanismes de transfert technologique en provenance des universités,
[à] la difficulté de les arrimer aux objectifs commerciaux des entreprises… ».
L’Avis du CST présente dans son chapitre 1 le contexte international en effervescence dans ce domaine, dont celui aux États-Unis,
puis la situation au Canada au chapitre deuxième et, dans le troisième, le défi particulier du Québec.
Le chapitre 4 de l’Avis énumère et décrit les principaux problèmes et irritants à la collaboration universités-entreprises dans la
gestion de la propriété intellectuelle, dont la capacité financière et
stratégique des PME, la résistance historique des universités au
regard de leur mission « car la commercialisation se fait au détri-
180
Les Cahiers de propriété intellectuelle
ment de la recherche fondamentale, le manque d’harmonisation nuit
à l’image du monde universitaire comme partenaire… La recherche
universitaire est très en amont du marché et peu orientée sur les
besoins des entreprises, même à long terme ».
Le chapitre 5 de l’Avis propose et met de l’avant huit grands facteurs de succès de transfert technologique des universités vers les
entreprises, dont : un engagement réel et responsable des partenaires de haut niveau, une amélioration générale des compétences
en gestion de l’innovation et en entrepreneuriat, la confiance et des
relations à long terme, la rapidité, la souplesse et la flexibilité des
négociations, le travail en synergie, et non en solo, la diminution
des risques juridiques et technologiques reliés aux transferts, une
connaissance approfondie des besoins de l’entreprise, de l’environnement externe et du marché (les « centres [de recherche sectoriels]…
rôle de passerelle dans l’arrimage des travaux de recherche des universités aux réalités et aux besoins du marché »), et des stratégies
d’appui aux PME.
Le chapitre 6 de l’Avis du CST contient les recommandations
du Conseil en vue d’une dynamique renforcée d’alliances et de coopération universités-entreprises : « la gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre les universités et les entreprises doit
être envisagée comme l’une des composantes d’une dynamique d’innovation interactive, coopérative et la plus fluide possible, plutôt que
comme une activité isolée de commercialisation d’une invention ».
De telles approches de coopération universités-entreprises ne
sont cependant pas toujours bien perçues ni reçues par les premières
impliquées, soit les universités, et les professeurs-chercheurs comme
nous le verrons ci-après.
Enfin, l’Avis du CST sur La gestion de la propriété intellectuelle dans les relations entre l’université et l’entreprise : pour une
véritable dynamique d’alliances stratégiques est complété de diverses annexes, dont la liste des membres du Conseil, la liste des
membres du comité sur la propriété intellectuelle, dont Me JeanNicolas Delage, avocat chez Fasken et membre du comité de rédaction des Cahiers de propriété intellectuelle, les fiches des trois ateliers du Forum qui ont servi à la consultation, à la réflexion et à la
rédaction de l’Avis du Conseil au ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation.
Propriété intellectuelle et université
181
L’ouvrage Propriété intellectuelle et Université – Entre la libre
circulation des idées et la privatisation des savoirs de Marc Couture,
Marcel Dubé et Pierrick Malissard décortique les impacts de cette
stratégie de la commercialisation des innovations techniques par les
universités et ses conséquences sur la diffusion et le partage de
l’information scientifique. L’ouvrage est une « vue d’ensemble des
enjeux entourant le lien entre les activités menées au nom des missions de l’université et la mise en œuvre du régime de la propriété
intellectuelle ».
Marc Couture est notamment professeur à la Télé-Université,
Marcel Dubé professeur retraité de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke et Pierrick Mélissard, responsable des relations
avec l’Europe à l’Université du Québec à Montréal. Tous trois se sont
intéressés depuis plusieurs années à la commercialisation de la
recherche et de l’expertise universitaires, à l’accès et à la diffusion de
l’information scientifique et à l’évolution de la gestion de la propriété
intellectuelle dans les institutions d’enseignement supérieur.
Avant d’aborder la dimension de la commercialisation de l’information scientifique en tant que telle, résumons au préalable les
chapitres autres que les sixième et septième de cet ouvrage, fort complet et riche en enseignements.
Dans les chapitres 1, 2, 3 et 4, comme « de nos jours peu
de dimensions de l’activité universitaire qui ne fassent tôt ou tard
intervenir des questions ou des enjeux de propriété intellectuelle »,
incluant l’enseignement et la recherche, Marcel Dubé présente de
manière concise, claire et fort accessible la nature et la portée juridique de la propriété intellectuelle, du point de vue canadien, mais
aussi américain et britannique, en considérant la jurisprudence
récente dont l’Affaire CCH. L’auteur traite ensuite des diverses
formes de la propriété intellectuelle et de leurs domaines d’application, de la titularité de la propriété intellectuelle et, finalement, de la
protection et de l’exploitation de la propriété intellectuelle, sous
l’angle du droit civil du Québec et de la common law, englobant le
régime des sanctions.
Au chapitre 5, Pierrick Malissard fait un magistral historique des origines et de l’évolution de la propriété intellectuelle et
il « évoque aussi comment… les communautés scientifiques et le
monde universitaire ont été interpellés par ces nouvelles notions ».
C’est tout le dilemme entre la mission même des universités, qui est
la diffusion du savoir dans le public, l’enseignement avec, en opposi-
182
Les Cahiers de propriété intellectuelle
tion ou, pour certains en complémentarité, la mission de recherche.
Dans la seconde moitié du XXe siècle, « les universités sont devenues
ou ont été incitées à devenir des partenaires majeurs de l’entreprise,
tant publique que privée, dans l’« économie du savoir »… « ce partenariat n’apparaît que très marginalement orienté vers sa [l’université] vocation première : la formation ».
L’auteur met en perspective, sous l’angle de la common law,
puis du droit continental ou civil de la propriété intellectuelle, d’une
part, l’historique visant le statut des inventeurs, des inventions et
des brevets, à savoir l’origine des « monopoles », et, d’autre part, l’historique du statut des auteurs, des œuvres et du copyright. L’auteur
nous entraîne dans une lecture captivante, remontant à l’époque
romaine, bien avant l’Édit de Moulins ou le Statute of Anne, et identifiant l’origine du mot copyright, soit copye, soit le nom et le titre de
propriété dans un registre foncier (pages 114-115). Pierrick Mélissard conclut que « les doctrines civiliste et anglo-américaine ont
pourtant eu tendance à converger avec le temps… ». L’auteur se
penche par la suite sur l’ambivalence canadienne du régime de la
propriété intellectuelle entre la common law et le droit civil.
Comment le monde de la science est intervenu ou a été immergé
dans la propriété intellectuelle et comment l’Université y a été confrontée ? « Avec l’apparition du professeur-chercheur, le rapport des
universités à la propriété intellectuelle allait, d’abord imperceptiblement puis de manière plus évidente, se modifier ». Dès les années
1920-30, des universités ont commencé « à jouer un rôle de plus en
plus actif dans la commercialisation des innovations techniques
découlant de leurs activités de recherche… ». Mais l’Université continuait de remplir sa mission de diffusion du savoir dans le public et à
« sauvegarder son espace de liberté universitaire ».
Le chapitre 8 de Propriété intellectuelle et Université – Entre
la libre circulation des idées et la privatisation des savoirs est consacré à l’enseignement médiatisé et au droit d’auteur. Marc Couture
analyse toutes les facettes de l’activité universitaire, même les plus
modernes, et il en scrute la dimension de la propriété intellectuelle,
vaste exercice complet et d’actualité en dépit de la date de l’ouvrage
(2010) et de questions non encore résolues ou pendantes avec le
projet de loi C-11 de 2011 sur la modernisation de la Loi sur le droit
d’auteur. Nous naviguons du droit d’auteur sur les œuvres de l’enseignement, œuvres traditionnelles ou numériques, en insistant sur les
traditions universitaires et l’« exception professorale : la liberté universitaire des professeurs », qui est fondamentale dans la détermina-
Propriété intellectuelle et université
183
tion de la titularité, au droit d’auteur sur les cours en ligne (titularité
du professeur ou multiple ? Est-ce une œuvre de collaboration ?
Qu’en est-il dans le cas de la direction d’une équipe de recherche ?),
à l’utilisation d’œuvres protégées dans l’enseignement médiatisé,
aux hyperliens (pages 217 et s.), au respect des logos et des marques
de commerce, à l’accès libre aux ressources numériques d’apprentissage.
Le chapitre 9 de l’ouvrage présente également un vaste portrait
de qualité visant les étudiants et la propriété intellectuelle, à savoir
l’étudiant en tant que tel, l’étudiant auteur, chercheur, utilisateur de
documents protégés, l’étudiant rémunéré dans le cadre d’un projet
de recherche, l’étudiant auteur « fantôme ». L’auteur Marc Couture
traite aussi de la cosignature (page 230 et s.), de la coinvention,
de l’utilisation et de l’exploitation de la propriété intellectuelle,
ainsi que du partage des redevances avec l’étudiant chercheur ou
collaborateur.
Le chapitre 10 résume la réglementation de la propriété intellectuelle dans les universités canadiennes à partir de la documentation recueillie à même des sites universitaires sur le Web. Les volets
intéressants à souligner portent sur la décision de commercialiser (pages 283 et s.), les droits d’utilisation par les non-titulaires
(pages 287 et s.) et le partage des revenus de la commercialisation
(pages 291 et s.) où les régimes sont diversifiés et nombreux.
L’ouvrage est complété par six annexes : Exceptions à la violation du droit d’auteur applicables aux universités, Notes méthodologiques sur l’analyse des politiques des universités canadiennes,
Liste des documents des établissements universitaires cités, Pratiques de cosignature dans diverses disciplines, La gestion numérique des droits et L’accès libre, le logiciel libre et les licences
associées.
Le chapitre 6 Propriété intellectuelle et Université – Entre la
libre circulation des idées et la privatisation des savoirs se penche
sur le lien entre la recherche universitaire et le monde industriel, les
universités s’étant « vu confier par les pouvoirs publics un nouveau
rôle en matière de commercialisation des innovations techniques
résultant de recherches menées en leur sein ». Pierrick Mélissard
écrit que « ce mouvement vers une commercialisation croissante des
productions et des expertises universitaires soulève beaucoup de
questions ». Il y a transformation du rôle et de la mission de l’Université traditionnelle de diffusion du savoir dans le public dès les
184
Les Cahiers de propriété intellectuelle
années 1920-30. Le phénomène de la commercialisation de la fin
des années 1990 et du début de 2000 n’est pas nouveau selon l’auteur, car il « renoue en fait avec la situation qui régnait avant
la Deuxième Guerre mondiale, ou même un peu après. Depuis la fin
du XIXe siècle,… l’histoire de la recherche scientifique montre des
variations cycliques de collaboration entre les chercheurs et les
industries ».
Les années 1980 ont vu l’expansion de la commercialisation
universitaire dans le contexte de la Loi Bayh-Dole américaine encadrant les fonds fédéraux dans le financement des recherches dans les
universités. L’auteur fait également état des critiques et des retombées de la législation, puis des tentatives d’agir de même en Europe,
avec les réticences des professeurs-chercheurs qui perdaient alors
dans plusieurs pays leur statut ou privilège de professeur au chapitre de la titularité dans les brevets. « Dans l’ensemble, la réputation de la loi américaine apparaît sans doute surfaite : le Bayh-Dole
Act a probablement servi de prétexte à une sorte d’effet “bandwagon”
qui s’est superposé à une hausse des activités de commercialisation
dans les universités, en particulier à une augmentation du nombre
de brevets universitaires… (…) [l]es revenus de commercialisation
des universités ne sont pas, toutes proportions gardées et sauf exception, particulièrement impressionnants…. De plus, ces revenus engendrent des frais divers qui demeurent flous, au total,… ». « Une
loterie » ! Un seul brevet sur 200 commercialisé génère des revenus
supérieurs à 1 million $.
L’auteur Mélissard fait ensuite état des politiques adoptées par
le gouvernement canadien en tentant de créer un climat positif à des
alliances entre les universités et les entreprises. Le bilan s’est avéré
peu concluant dans l’ensemble, sinon peu flatteur, et les résultats
furent, somme toute, mitigés. Les universités ont adopté leur propre
cadre stratégique de gestion de la propriété intellectuelle, indépendamment de la volonté exprimée dans le Rapport Fortier précité. Ce
dernier fut très mal accueilli par les universités et les professeurschercheurs, répétons-le.
Quant au gouvernement du Québec, rappelons la Politique québécoise de la science et de l’innovation en 2001 et le Plan d’action en
matière de gestion de la propriété intellectuelle dans les universités
et établissements du réseau de la santé et des services sociaux où se
déroulent des activités de recherche de 2002. Ce plan proposait des
modèles de cadre réglementaire de la propriété intellectuelle dans
les universités. Les réactions furent très critiques au nom de la
Propriété intellectuelle et université
185
« liberté universitaire » et de la propriété intellectuelle des chercheurs. Leur propre cadre réglementaire a été adopté par les universités, sans modification au regard du plan d’action gouvernemental,
le tout dans un environnement très varié et incohérent.
Quant aux impacts économiques de la commercialisation sur la
recherche universitaire, ils soulèvent des questions majeures concernant l’éthique scientifique ou l’intégrité de l’institution universitaire, la diffusion de l’information scientifique et son partage, l’effet
pervers dans l’obtention de brevets et la fragmentation des résultats
de recherche, etc.
L’université « entrepreneuriale » peut-elle encore défendre le
domaine public ? « Tout en continuant de prendre la charge (et la
défense) du domaine public, elles [les universités] se sont mises à utiliser de plus en plus certains dispositifs de protection, tels les brevets, pour appuyer des activités de commercialisation de plus en plus
importantes. Or, les dangers ou les risques d’une telle évolution sont
nombreux : effritement du statut de l’Université comme institution
indépendante et neutre ; perte de crédibilité pour le monde universitaire… ; érosion du domaine public dont elle était jusque-là un des
remparts. Dans un tel contexte, la défense de la liberté universitaire
peut tout aussi bien signifier la défense de la liberté d’entreprise et
des intérêts individuels de ces nouveaux “propriétaires du savoir”
que sont les chercheurs-entrepreneurs, que celle des intérêts de
la communauté universitaire et de la société qu’elle dessert – et
qui assure la majeure partie de son financement ». De plus, il y a
réappropriation de la diffusion de l’information scientifique et des
résultats de recherche.
Ce sont ces mêmes inquiétudes qui seront reprises pour partie
par les auteurs Éric Martin et Maxime Ouellet dans leur ouvrage
ci-après, lequel poursuit un autre objectif cependant.
Le chapitre 7 de l’ouvrage de Couture, Dubé et Mélissard est
consacré à l’information scientifique diffusée sous forme de produits
traditionnels dont les revues savantes, mais aussi dans les nouveaux
médias dont l’Internet, de même qu’à la propriété et à la diffusion
des données et des informations et à celle des descriptions des
recherches et des résultats de recherche.
La diffusion traditionnelle recourait d’abord aux périodiques
ou revues savantes, puis à la suite de leur disparition ou substitution, aux publications en ligne et à l’accès en ligne des contenus, dans
186
Les Cahiers de propriété intellectuelle
un contexte de privatisation et de concentration accrue des revues
savantes sur support papier. Une nouvelle problématique du droit
d’auteur a surgi, vu le peu d’intérêt des auteurs dans un premier
temps, puis leur intérêt accru, à protéger leurs droits. L’auteur de ce
chapitre souligne que les politiques ou les pratiques des revues en
ligne ne sont pas cohérentes ni uniformes et qu’il y a de tout.
En conclusion, l’auteur souligne qu’« il est à souhaiter que la
tendance à l’accroissement de la circulation et du partage des idées –
plus concrètement, l’accès aux innovations et aux créations qui les
incarnent – soit ce qui finisse par dominer dans toutes les sphères de
l’activité universitaire… Une seule chose est sûre : l’espoir de tirer de
la commercialisation de ces œuvres des profits – ou même des revenus – plantureux s’est vite évaporé ».
Ce sont ces préoccupations, en sus d’autres, que nous constaterons dans l’ouvrage suivant complémentaire : Université Inc. – Des
mythes sur la hausse des frais de scolarité et l’économie du savoir.
Éric Martin est doctorant en science politique à l’Université
d’Ottawa et chercheur à l’Institut de recherche et d’informations
socio-économiques (IRIS) et Maxime Ouellet est docteur en études
politiques de l’Université d’Ottawa et il enseigne au Collège LionelGroulx et, depuis peu, à l’UQAM.
L’ouvrage Université Inc. – Des mythes sur la hausse des frais de
scolarité et l’économie du savoir, consiste à réduire en miettes, sous
l’angle de la hausse des frais de scolarité et de l’endettement des étudiants universitaires, divers mythes entourant le financement des
universités, la recherche de partenariats avec l’entreprise privée et
la commercialisation du savoir et à dénoncer le changement de mission de l’Université, la gestion de la propriété intellectuelle, le transfert des revenus supplémentaires provenant de la contribution des
étudiants vers la mission de recherche, et ce, selon des alliances avec
l’entreprise privée et au détriment de l’enseignement de base, de la
formation, du rôle premier de l’Université dans la société, dans le
domaine public, dans la diffusion du savoir dans le public.
L’Université doit-elle marcher au pas de l’entreprise privée ?
« La raison principale [de la hausse des frais de scolarité] tient à l’adhésion de l’élite économique à un nouveau mythe, celui de l’économie
du savoir. Ce mythe veut que la nouvelle façon de faire des profits
implique de consacrer le plus de fonds possibles au financement de la
recherche et développement, entre autres pour créer des innovations
Propriété intellectuelle et université
187
techniques brevetables que l’on pourra par la suite faire fructifier en
bourse. Curieusement, dans l’économie du savoir, l’enseignement
devient beaucoup moins important que la recherche… [c]e sont les
jeunes et les familles que l’on appauvrit pour financer une mutation
commerciale de l’université qui ne rapporte presque rien aux institutions, qui bénéficie certes à une poignée d’administrateurs et d’entrepreneurs, mais qui n’entraîne pas les retombées économiques
positives promises… L’utopie du capital de risque et de l’économie du
savoir ne donne pas les résultats escomptés… Les professeurs se
désintéressent de l’enseignement pour se consacrer à la recherche…
Le phénomène de la hausse des frais de scolarité est le symptôme
d’une logique de privatisation et de marchandisation des universités, non seulement de leur financement, mais aussi et surtout de leur
finalité… Il s’agit d’un détournement de la mission fondamentale
des universités… ».
Voilà quelques extraits de l’introduction de cet ouvrage de
Martin et de Ouellet qui ne peuvent être plus clairs sur le devenir de
la mission des universités et l’utopie de la commercialisation du
savoir.
Le chapitre 1 de l’ouvrage traite du mythe « Il faut augmenter
les frais de scolarité parce que les universités sont sous-financées ».
Les auteurs constatent que « Le financement de la recherche vient
donc grever le budget qui devrait normalement être dédié à l’enseignement… La recherche prend le pas sur l’enseignement… L’Université se trouve donc écartelée entre deux missions et la recherche
semble être en voie de dépasser l’enseignement… [l]a hausse des
frais de scolarité ne servira pas à corriger le problème du sousfinancement de l’enseignement universitaire. Elle servira surtout à
appliquer le modèle anglo-saxon au Québec : des universités de
recherche abondamment financées, où le fardeau du coût de l’enseignement incombe à des étudiants qui paient des frais de scolarité
élevés… »
Le mythe 2 « La hausse des droits de scolarité ne réduit pas l’accès à l’université » est aussi démoli : « une telle mesure aura des
impacts négatifs sur la fréquentation scolaire et découragera ceux
qui désirent entreprendre ou poursuivre des études supérieures »,
statistiques à l’appui.
Le mythe 3 « La hausse des frais de scolarité sera compensée
par une augmentation de l’aide financière aux études et indexera ces
frais à la valeur qu’ils avaient en 1969 » : « on essaie de faire payer les
188
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Québécois pour le renversement des finalités d’institutions autrefois
publiques ».
Le mythe 4 « La modulation des frais de scolarité par discipline
est plus équitable » nous interpelle moins comme le mythe 5 : « Il est
juste d’augmenter les frais de scolarité parce qu’en investissant
davantage dans leur “capital humain”, les étudiants vont obtenir un
meilleur salaire une fois sur le marché du travail ». « (…) Cette rhétorique vise à inverser la conception historique de l’éducation : on ne
considère plus que la formation des individus relève de la responsabilité de la société, mais qu’il s’agit plutôt d’un investissement individuel au service exclusif de l’accumulation de richesse personnelle et
de la croissance économique des entreprises… Les chantres de la
liberté de l’individu se font plutôt les promoteurs d’une nouvelle
tyrannie : celle du marché »… [n]ous sommes en voie de transformer
l’institution d’éducation en institution de reproduction de services
du système, de « bipèdes pensants qui n’ont d’autres soucis que de
maintenir ce [pseudo-] marché libre et autorégulé et de maintenir
cette mécanique de reproduction et de multiplication de l’argent ».
Le mythe 6 « Le bas prix des études universitaires diminue la
valeur des diplômes » est aussi battu en brèche : « l’augmentation des
frais de scolarité induit une logique clientéliste qui pervertit le sens
de l’éducation et qui risque de réduire la qualité de l’enseignement ».
« En résumé, loin de rehausser la valeur des diplômes, l’augmentation des frais de scolarité conduit à une détérioration de l’apprentissage et des critères d’évaluation, bref, à un nivellement par le
bas généralisé aux antipodes de ce que devait être la période des
études… ».
Le mythe 7 « Les dons privés ne menacent pas l’indépendance
des universités » dénonce les effets pervers du recours au secteur
pour le financement des universités. « Cette reconversion commerciale de l’université tend à se faire au détriment des activités pédagogiques les plus fondamentales ; la recherche prend le pas sur
l’enseignement… ». « En résumé, l’assujettissement des universités
à la mission de développement économique mêne à une perte d’autonomie pour les établissements d’enseignement et à une augmentation des dépenses bureaucratiques qui détourne les finalités de
l’éducation au profit d’intérêts privés corporatifs ».
Le mythe 8 « La commercialisation de la recherche universitaire va servir à financer le système universitaire ». Or, selon les
Propriété intellectuelle et université
189
auteurs, « Les revenus de commercialisation profitent principalement des redevances de licences. Ils sont faibles essentiellement
parce que les licences sont cédées très tôt dans leur phase de développement… Bref, cette activité commerciale ne rapporte rien aux universités et équivaut à financer publiquement de la recherche pour
les entreprises privées… ». L’augmentation des frais de scolarité profite « Essentiellement aux entreprises qui tirent profit de l’économie
du savoir… ». « En résumé, la commercialisation des résultats de la
recherche universitaire n’est pas une véritable source de financement pour les universités. C’est une façon, pour les entreprises, de
sous-traiter la recherche aux universités… ».
En conclusion, « L’instrumentation du savoir par les missionnaires du développement économique met en péril l’autonomie
universitaire et provoque un accroissement des dépenses bureaucratiques qui détourne les finalités de l’éducation au profit d’intérêts
privés. Loin de financer l’université, cet arrimage signifie plutôt que
les établissements d’enseignement supérieur deviendront les laboratoires de sous-traitance des entreprises… C’est sans doute ce
détournement des finalités des institutions qui est l’aspect le plus
préoccupant de toute cette charge par l’élite contre l’université pour
la plier aux besoins de la guerre économique… ».
Enfin, l’ouvrage est suivi de contributions de Guy Rocher, Lise
Payette, Omar Aktouf et Victor-Lévy Beaulieu.
Il y a de quoi être songeur, sinon inquiet, avec ce nouvel
Eldorado des revenus de la commercialisation de la recherche scientifique par les universités.
Compte rendu
Louvigny de Montigny –
À la défense des auteurs*
Ghislain Roussel**
Louvigny de Montigny !!! Qui était-ce ? Qui est-ce ? Un auteur,
un écrivain, un journaliste, un juriste, un polémiste, un gestionnaire
de droits de répertoires français, un traducteur, une décision d’un
tribunal ? Tout cela et davantage.
Certains se souviendront avant tout de Louvigny de Montigny
comme le « Père » du droit d’auteur du Canada par le nombre de
poursuites judiciaires qu’il a entreprises ou initiées, par ses nombreux écrits dont les préfaces de ses divers ouvrages publiés au fil
des ans et par ses multiples interventions auprès de parlementaires
et d’éditeurs de journaux pour le respect du droit d’auteur au Canada
et la reconnaissance des droits des écrivains. Pour d’autres, cela
éveillera des causes jurisprudentielles fondamentales en droit canadien du droit d’auteur du début du XXe siècle jusqu’aux années cinquante. Pour d’aucuns, un illustre inconnu qui devait le demeurer
même s’il fut des plus actifs professionnellement dans la première
moitié du XXe siècle comme auteur, polémiste et important gestionnaire de droits d’auteur et élément moteur dans l’organisation professionnelle du métier d’écrivain.
Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir par hasard au Salon
international du livre de Montréal de novembre 2011 l’ouvrage de
© Ghislain Roussel, 2012.
* LUNEAU (Marie-Pier), Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs (Montréal : Leméac, 2011), 221 pages, ISBN : 978-2-7609-06004.
** L’auteur est avocat conseil en droit d’auteur et président de la corporation Les
Cahiers de propriété intellectuelle inc.
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192
Les Cahiers de propriété intellectuelle
Marie-Pier Luneau Louvigny de Montigny – à la défense des auteurs
publié chez Leméac. On m’avait souligné le rôle de ce personnage –
sans plus – lors de ma formation en droit d’auteur et en propriété
industrielle à l’Université Laval, au début des années 70, et j’avais
souvenir de la lecture de l’ouvrage de référence d’alors écrit par
Jacques Boncompain, qui est toujours de ce monde.
J’ai donc beaucoup appris à lire l’ouvrage de la professeure
Luneau sur l’histoire du droit d’auteur au Canada. Des tas de choses
que j’ignorais, à l’exception d’une certaine jurisprudence mettant en
cause Louvigny de Montigny, sur ce grand aristocrate de naissance
canadienne-française – appellation de l’époque – dont feu Pierre
Tisseyre, qui devait prendre la relève des mandats de gestion de
Louvigny de Montigny au nom des répertoires de la Société des gens
de lettres de France (SGDL) et de la Société des auteurs dramatiques
de France (SACD), me parlait avec abondance, enthousiasme et
flamme.
Quelle brillante idée de redonner vie à cet auteur, polémiste,
défenseur et promoteur du droit d’auteur et des droits des écrivains
canadiens-français d’alors. Sachons-en gré à la professeure Luneau.
L’intérêt de cet ouvrage, c’est avant tout qu’il n’est pas rédigé
par un juriste ni sous la lorgnette du droit. L’auteur est professeure
de littérature québécoise au Département des lettres et des communications de l’Université de Sherbrooke et elle est codirectrice du
Groupe de recherches et d’études sur le livre au Québec, le GRÉLQ.
Elle s’intéresse au statut d’auteur entre autres de Louvigny de
Montigny qu’elle suit minutieusement tout le long de sa vie et à
son rôle primordial dans la défense des droits des écrivains français
d’abord, puis de ceux des Canadiens-français et dans l’organisation
de la professionnalisation du métier d’écrivain du Québec. L’exercice
est mené de manière alerte et dynamique et le tout est appuyé
par de multiples documents épistolaires provenant de divers fonds
d’archives, bien que certaines périodes soient à ce chapitre lacunaires.
Louvigny de Montigny fut peut-être un écrivain de moindre
importance, malgré ses prétentions, mais il fut un ardent promoteur
et défenseur du droit d’auteur et des écrivains et il fut de toutes les
batailles.
Nous apprenons beaucoup et il y a là un magistral cours synthèse de l’origine et de l’évolution du droit d’auteur au Canada, en
Louvigny de Montigny
193
tant que Dominion, et jusqu’aux années cinquante. Nous découvrons
que la source jurisprudentielle authentiquement canadienne émane
de la « piraterie » à grande échelle d’œuvres protégées réalisée par la
négation de l’application de la Convention de Berne de 1886 au
Canada, même si ce dernier en était membre du fait de l’adhésion de
l’Empire britannique au nom de ses Dominions. Les premiers responsables de cette piraterie étaient les éditeurs et, tout particulièrement, les éditeurs de journaux qui reproduisaient impunément et
sans autorisation ni reconnaissance des sources ni versement de
redevances des textes d’écrivains français préalablement édités,
puis ultérieurement des textes d’écrivains québécois (« canadiensfrançais »).
Cette bataille de tout instant pilotée par Louvigny de Montigny
dans la première moitié du XXe siècle s’est poursuivie sa vie durant
avec une lutte acharnée contre la piraterie, malgré la confirmation
par des tribunaux de l’application au Canada de la Convention de
Berne. Cela n’a pas empêché de multiples interventions et poursuites de ou au nom de Louvigny de Montigny. Et les écrivains plutôt
timides ou réfractaires à entreprendre ou mandater des procédures
judiciaires ne furent pas les plus grands alliés de Louvigny de Montigny. Au contraire !
En introduction, l’auteure Luneau remonte aux origines de
Louvigny de Montigny né à St-Jérôme le 1er décembre 1876, descendant d’une huitième génération établie en Nouvelle-France. Ses origines aristocrates lui furent reprochées toute sa vie presque, étant
souvent accusé avec mépris et dédain, en s’attaquant fréquemment à
son apparence et à son habillement et à la qualité de la langue française qu’il plaidait, de défendre les intérêts des écrivains d’ici alors
qu’il se nourrissait – intellectuellement et économiquement – des
écrivains français.
Louvigny de Montigny est le cinquième d’une famille de quatorze enfants. Il effectue des études au Collège Sainte-Marie, puis il
entreprend une première année de droit à la Faculté de droit de
l’Université Laval à Montréal, puis abandonne. Son père a publié en
1869 la première « Histoire du droit canadien ». De Montigny a
notamment été directeur des services de traduction du Sénat canadien, poste dont il s’est beaucoup servi dans ses démarches en vue de
la reconnaissance du droit d’auteur au Canada, puis directeur de ces
services, représentant de la SDDL et de la SACD en Amérique du
Nord, membre de la Société Royale du Canada, dont il a démissionné
avec fracas, membre du bureau d’administration de l’Association
194
Les Cahiers de propriété intellectuelle
des auteurs canadiens, officier d’Académie, Chevalier de la Légion
d’honneur, etc. Louvigny de Montigny meurt le 20 mai 1955, à
78 ans.
Plus en détail, le chapitre 1 de l’ouvrage de Marie-Pier Luneau
« Une trajectoire en porte-à-faux » décrit le parcours d’auteur de
Louvigny de Montigny dont déjà sa lutte épique pour le respect du
droit d’auteur et l’amélioration du sort économique des écrivains. La
professeure Luneau fait état des origines de Louvigny de Montigny
comme écrivain et de son rôle dans la création de l’École littéraire de
Montréal en 1895. Il collabore au Monde illustré et il est très actif
comme journaliste avec divers textes afin d’éradiquer la piraterie
dans les journaux : La Presse, dès 1899, Les Débats, Les Vrais Débats,
L’Avenir, La Gazette municipale de Montréal. Il agit déjà comme surveillant assidu des pratiques frauduleuses des journaux avec la
reproduction non autorisée d’écrits d’écrivains français protégés,
reproduits fréquemment sans référence au nom de l’auteur et de la
maison d’édition.
Dans diverses publications, les siennes ou celles qu’il promeut
comme Maria Chapdelaine, il entend « occuper une place de programmateur dans la vie littéraire » (page 39) et il « trace un véritable
plan d’action pour favoriser l’envol de la littérature canadiennefrançaise » (page 40), ce qui lui occasionne plusieurs vives oppositions. Il publie La langue française au Canada, objet de polémique
comme la plupart de ses ouvrages. Attaques contre le contenu, mais
les attaques sont aussi menées contre les prétentions littéraires et
linguistiques de Louvigny de Montigny et sa légitimité comme écrivain. Il publie en 1925 Antoine Gérin-Lajoie, en 1928, Le bouquet
de Mélusine, puis Les boules de neige en 1935 et, en 1937, La
revanche de Maria Chapdelaine, regroupement de textes d’une thèse
de doctorat.
Ce que nous devons noter de cette période, ce sont les luttes
assidues, la polémique, mais « sa renommée n’est pas à la hauteur de
son talent » (pages 59-60). « S’il ne fait pas l’unanimité comme écrivain à Montréal, il semble pourtant occuper le premier plan dans la
vie culturelle outaouaise [lieu de résidence à Ottawa à une époque].
Concernant le droit d’auteur, il devient vite une référence obligée »
(page 60).
Le chapitre 2 intitulé « Le père du droit d’auteur au Canada » se
penche longuement sur le combat mené par Louvigny de Montigny
afin de s’assurer que la Convention de Berne s’applique au Canada et
Louvigny de Montigny
195
pour faire déclarer que le Canada en fait partie. La législation canadienne sur le droit d’auteur contient alors une disposition qui s’oppose à la Convention de Berne en exigeant l’enregistrement du droit
d’auteur pour sa protection et le dépôt de trois copies de l’œuvre
visée. Louvigny de Montigny mène également de front le dossier
relatif au manque d’organisation de la profession d’écrivain et à l’indifférence des écrivains d’ici face au problème du droit d’auteur et à
la piraterie.
Soulignons certains événements importants : en 1904, création
de la Commission des droits d’auteur au sein de l’Association des
journalistes canadiens-français ; 1er décembre 1904, première action
devant les tribunaux contre des éditeurs responsables de piraterie ;
23 mars 1906, décision du juge Fournier de la Cour supérieure du
Québec dans l’affaire Mary contre Hubert qui dispose que la Convention de Berne a préséance sur la Loi sur le droit d’auteur ; confirmation du jugement en juin 1906 par la Cour d’Appel du Québec, mais
cela ne met pas un terme à la piraterie.
En effet, le projet de loi sur le droit d’auteur envisagé en 1910,
qui deviendra loi en 1924, maintient le statu quo et il constitue un
net recul. De vives contestations surgissent à propos de la reconnaissance légale d’un régime de licence de reproduction sans autorisation d’un ouvrage publié hors Canada au profit des éditeurs
canadiens. En dépit de toutes les représentations à l’échelle du
Canada auprès du gouvernement, la loi est adoptée sans modification. Le combat en vue de sa modification se poursuivra jusqu’à la fin
des années quarante. Et ce, même si le Canada adhère à la Convention de Berne, Acte de Berlin, en 1928, et que le Parlement ratifie le
tout le 22 juin 1931.
D’aucuns diront que rien n’a beaucoup changé par comparaison
aux débats entourant les projets de loi de 2009 (C-32) et de 2011
(C-11) modernisant la Loi sur le droit d’auteur avec la sourde oreille
du gouvernement fédéral aux critiques. De Montigny écrit en 1930 :
« cette loi a plutôt été élaborée pour la protection de l’Industrie
et pour permettre aux industriels d’exploiter avec impunité les
Auteurs » (page 100).
Plusieurs tentatives de sensibilisation des écrivains canadiens-français au respect de leurs droits sont effectuées, mais en
vain. La Société des écrivains canadiens constituée en 1936 se joint
cependant à la lutte contre la piraterie conduite par Louvigny de
Montigny. Des contrats de reproduction sont conclus avec des édi-
196
Les Cahiers de propriété intellectuelle
teurs de journaux et nous pouvons écrire que ces contrats sont pour
l’époque très avant-gardistes et qu’ils constituent des modèles au
chapitre des exigences au bénéfice des auteurs et des redevances à
verser (pages 87-88). L’implantation de tels contrats semble courante dans les années 1940 tant à la SGDL qu’à la SACD.
En dépit de sa persévérance et de son opiniâtreté, tout le travail
de Louvigny de Montigny dans le domaine du respect du droit
d’auteur et de la piraterie sera à refaire lors de la Seconde Guerre
mondiale. Les éditeurs de journaux reprennent leurs « mauvaises
habitudes » en prétextant l’inapplicabilité de la Convention de Berne
en temps de guerre et se basant sur l’adoption par le Parlement canadien de la législation d’exception permettant la réimpression sans
autorisation des livres français contre une redevance de 10 % versée
au Bureau du Séquestre des biens ennemis. Le Canada est alors en
guerre et la France est déclarée collaboratrice de l’Allemagne. Il s’ensuit une très grave crise d’autorité pour Louvigny de Montigny
comme gestionnaire des répertoires d’œuvres d’auteurs français.
De Montigny rebondira rapidement et il travaillera étroitement avec
le Bureau du Séquestre désormais responsable de la gestion des
licences de reproduction. Louvigny de Montigny obtiendra ainsi des
mandats de réclamation de la part du Séquestre.
Au chapitre 3 « À la guerre comme à la guerre », Marie-Pier
Luneau s’attarde au fonctionnement du droit d’auteur au Canada à
l’époque de Louvigny de Montigny et en temps de guerre, période qui
a permis l’éveil du métier d’« editor » et l’éclosion d’une industrie de
l’édition littéraire, laquelle devait connaître des lendemains très difficiles après la fin de la Seconde Guerre mondiale et avec la reprise
de l’édition des écrivains français en France. La professeure Luneau
traite avec moult détails captivants de la participation de Louvigny
de Montigny à la gestion des droits d’auteur en temps de guerre sous
le Séquestre relativement à la réimpression d’ouvrages français par
des éditeurs canadiens, dont les éditeurs de journaux.
Plusieurs éditeurs et organisations caritatives font cependant
fi des mandats de Montigny. Ils contestent âprement son mandat de
gestion sous le régime du Séquestre et du Commissaire aux brevets
et ils lui reprochent de s’enrichir aux dépens des auteurs. D’autres
poursuites contre la piraterie s’enclenchent précédées ou accompagnées parfois de fort longs échanges épistolaires à l’occasion acrimonieux. Certains s’éternisent même, mais en vain. Le combat couvre
également la suppression des signatures des auteurs, en plus de la
lutte pour la reconnaissance et la signature du traducteur en 1942.
Louvigny de Montigny
197
De Montigny occupe aussi le champ de la gestion du droit d’exécution
publique d’œuvres musicales à la radio et au cinéma.
L’historique du litige qui a mené à la décision Zamacoïs c.
Le Bien public en 1943 est hallucinant et descriptif du climat de
contestation et de suspicion prévalant à l’égard de Louvigny de Montigny. Comme faisait-il pour tenir le coup, car il devenait âgé ? Je
renvoie de plus au litige avec la Revue Aujourd’hui dans l’affaire
De Montigny c. Cousineau qui a donné, en 1950, la décision de la
Cour suprême du Canada. Celle-ci a confirmé l’application de la
Convention de Berne au Canada même en période de guerre et la
pleine autorité du Séquestre de déléguer ses pouvoirs à une tierce
personne.
Opiniâtreté certes de Louvigny de Montigny, mais combien
d’ennemis (page 149). « On prête à Montigny quelque 480 actions en
justice mettant en cause le droit d’auteur… » (page 22).
Le chapitre 4 « La mise en valeur pacifique du terrain conquis »
est consacré à l’organisation de la profession d’écrivain, à la planification de la relève de Louvigny de Montigny comme gestionnaire de
droits, laquelle ne s’est pas effectuée en toute sérénité, là encore, et à
l’émergence du véritable rôle de l’éditeur. Louvigny de Montigny
s’opposait fermement à ce rôle, car il défendait bec et ongles son droit
de regard dans la fabrication du support de ses œuvres, même si par
la suite il a eu recours à des éditeurs pour la publication de certaines
de ses œuvres.
Il faut prendre connaissance de la bataille épistolaire épique de
Louvigny de Montigny avec l’éditeur Gérard Dagenais des Éditions
Pascal, à partir de 1944, quant à la publication de Au Pays du Québec
et, après publication, pour exiger des redditions de comptes. Le conflit est incessant entre l’auteur et l’éditeur et, selon le point de vue de
Louvigny de Montigny résumé par la professeure Luneau : « S’il doit
y avoir un dominant dans la relation auteur-éditeur, il est clair dans
son esprit qu’il ne peut s’agir que de l’auteur… » (page 175).
Puis, les années cinquante et la vieillesse certes méritée, mais
toujours aussi mouvementée, dont ses responsabilités au sein de la
Société des écrivains canadiens, dont il sera le vice-président de 1946
à 1951, et la persistance de ses représentations afin de faire modifier
l’article 4 de la Loi sur le droit d’auteur de 1938 afin de permettre aux
auteurs et aux compositeurs canadiens de recevoir une redevance
lors de la reproduction de leurs œuvres sur des supports mécaniques.
198
Les Cahiers de propriété intellectuelle
À son agenda sont toujours inscrites la promotion constante de la littérature et la mise en œuvre d’un projet de contrat type déjà fort
moderne à l’époque avec, entre autres, une clause pénale en cas de
retard de l’éditeur (pages 184-185) et la reprise de possession des
exemplaires invendus ou en entrepôt en cas de faillite de l’éditeur. Le
projet n’a cependant pas abouti.
En 1953, Louvigny de Montigny alors âgé de 76 ans transfère
ses responsabilités à Pierre Tisseyre. Il démissionne de la SGDL
en octobre 1954 et il est pris la même année dans un différend avec la
SACD à propos de la succession du mandat de gestion pour l’Amérique du Nord.
En conclusion, la professeure Luneau mentionne notamment
ce qui suit : « En ce domaine [le droit d’auteur] il est indiscutablement le spécialiste. Mais comme écrivain, il n’est pas un mentor… » (page 214)… « Si Montigny, le médiateur culturel, a été un
agent incontournable dans la vie littéraire de la première moitié du
XXe siècle, Montigny l’auteur… est aujourd’hui oublié. » (page 215)…
« Sur ce plan [considérations économiques] les acquis sont énormes.
Montigny a réussi, au fil des décennies, à imposer la notion de droit
d’auteur : en punissant les pirates, il a éveillé les consciences des
écrivains eux-mêmes quant à la valeur de leurs travaux.… Mais
Montigny a fait en sorte que ce combat devienne une cause collective…, portée par plusieurs agents – dont les éditeurs eux-mêmes… »
(page 207).
Pour parodier les propos de Claude-Henri Grignon, non
Louvigny de Montigny n’est pas mort ni oublié.