Article complet - Larcier

Transcription

Article complet - Larcier
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
La mise en œuvre dans le domaine pénal
des recommandations de la Commission d’enquête
parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale (1)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 5 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
ADRIEN MASSET (2)
I. Introduction
d’instruction, magistrats du ministère public), fonctionnaires fiscaux, fonctionnaires de police, experts
comptables et fiscaux, ministre des Finances, et avocat de l’État belge.
La Commission d’enquête parlementaire sur les
grands dossiers de fraude fiscale trouve sa source originelle dans une lettre ouverte signée le 2 mai 2007
par quatorze fonctionnaires de l’administration fiscale.
La Commission s’est intéressée à des dossiers pénaux dont l’actualité judiciaire, parfois récente, nous
renseigne l’état d’avancement :
La proposition d’instituer cette Commission d’enquête parlementaire fut déposée le 12 juillet 2007
par quatre députés Ecolo-Groen et PS, rejoints par
des députés CD&V-CDH et MR-OpenVLD : leur
constat initial avait trait à « l’inefficacité de la lutte
contre les délits financiers et fiscaux de grande ampleur commis sur le territoire national ces 15 dernières années », renvoyant aux dossiers KB-Lux et
QFIE et à d’autres moins connus (et non cités) ; la
proposition tendait à « trouver les remèdes aux
causes des échecs systématiques desdits dossiers » (3).
– Dossier KB-Lux : l’irrecevabilité des poursuites a
été jugée de manière définitive par des décisions du
tribunal correctionnel de Bruxelles, de la cour d’appel de Bruxelles et de la Cour de cassation (4) où il
fut tranché que : « Il y a lieu de prononcer l’irrecevabilité des poursuites lorsque l’enquête fut, dès
son origine, gravement déloyale, que les droits de la
défense des prévenus furent, de manière répétée,
sérieusement et définitivement affectés et que les
prévenus furent irrémédiablement privés de leur
droit à un procès équitable ».
La proposition a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée le 10 avril 2008 et, forte de dix-neuf
membres, la Commission a débuté ses travaux le
26 mai 2008 ; la présidence était assurée par le député
F.-X. De Donnea et un expert fut désigné pour assister la Commission, en la personne du premier avocat
général à la cour d’appel de Bruxelles, P. Morlet.
La Commission a entendu septante-et-une personnes : professeurs d’université, magistrats (juges
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
Nous remercions P. Thevissen, assistant au Service de droit pénal et de procédure pénale à la Faculté de droit de l’Université de Liège et avocat au barreau d’Eupen, pour son aide dans la recherche documentaire qui sous-tend la présente
contribution. La rédaction de la présente contribution a été clôturée le 8 avril 2014.
Professeur extraordinaire à la Faculté de droit, au Tax Institute et à HEC – Université de Liège. Avocat spécialisé en droit
pénal des affaires (barreau de Verviers).
Doc. parl., Chambre, sess. extr. 2007, doc. n° 52.0034/001, pp. 3-4.
Corr. Bruxelles, 8 décembre 2009, J.T., 2010, pp. 6 et s., et J.L.M.B., 2010, pp. 60 et s., et en degré d’appel, Bruxelles,
10 décembre 2010, J.T., 2010, pp. 54-58, et J.L.M.B., 2011, pp. 129 et s., le tout confirmé par Cass., 31 mai 2011, R.G.
n° P.10.2037.F., J.T., 2011, p. 583, note M.-A. BEERNAERT, et J.L.M.B., 2011, p. 1524, note A. DE NAUW.
Corr. Bruxelles (ch. cons.), 29 mars 2007, F.J.F., 2007/156, confirmé par Bruxelles (ch. mises acc.), 24 octobre 2007,
R.G.C.F., 2007, p. 429, cependant cassé par Cass., 21 mai 2008, R.G. n° P.07.1710.F., Rev. dr. pén., 2008, p. 935 et Pas.,
2008, I, p. 1248. Ce dernier arrêt a fixé la matière après de nombreux errements : cette solution est qualifiée d’absurde par
le groupe de travail composé de quatre professeurs (fiscalistes) d’université constitué afin de suivre le processus d’actualisation de la charte du contribuable à la lumière des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire – voy.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du
groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier 2010, p. 258. A. DE NAUW, « De verjaring van de fiscale valsheid in geschriften en van het gebruik van valse stukken:
een stand van zaken », in M. MAUS en M. ROZIE (éds), Actuele problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011,
pp. 553-566. Cass., 5 juin 2013, J.L.M.B., 2014, p. 84, note P. MONVILLE ; P. MONVILLE et G. FALQUE, « La prescription de l’action publique », in A. JACOBS et A. M ASSET (dir.), Actualités de droit pénal et de procédure pénale, C.U.P.,
Bruxelles, Larcier, mars 2014, vol. 148, pp. 36-41.
Sur le plan fiscal, pour la licéité de l’opération, voy. par exemple Civ. Bruxelles (32e ch.), 18 décembre 2009, R.G.C.F.,
2010, p. 173.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
– Dossiers QFIE : nombre de dossiers pénaux ont
été clôturés par des décisions de chambre du
conseil constatant l’extinction de l’action publique
en raison de la prescription de l’action publique
dans le cadre de ces dossiers de quotité forfaitaire
d’impôt étranger, mais la Cour de cassation a cassé
une de ces décisions en matière de QFIE sous
l’angle de la prescription (5) (6).
5
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 6 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
– Dossier Beaulieu : dans cette affaire mettant en
cause le groupe industriel de textile Beaulieu, la
Cour européenne des droits de l’homme a, dans
son arrêt De Clerck c. Belgique du 25 septembre
2007, constaté la violation du droit à être jugé dans
un délai raisonnable puisque l’instruction avait débuté en 1990 et que ni la complexité évidente de
l’affaire ni le comportement des requérants
n’avaient pu justifier la longueur de la procédure (7) ; la presse a rapporté, en février 2012,
qu’une transaction pénale serait intervenue, ce qui
entraîne l’extinction de l’action publique.
– Dossiers relatifs aux sociétés de liquidités : le dossier
pénal de référence dans la matière, dit affaire de Croÿ,
a débouché, devant le tribunal correctionnel de
Bruxelles, sur la relaxe des vendeurs de ces sociétés
et sur la condamnation des acheteurs ou concepteurs
du système ; la cour d’appel de Bruxelles a cependant, par arrêt du 21 octobre 2013, déclaré toutes les
poursuites dans ce dossier irrecevables pour cause de
déloyauté des enquêteurs et du juge d’instruction ;
un pourvoi en cassation formé par le ministère public et par la partie civile, l’État belge, a été introduit
contre cet arrêt d’irrecevabilité (8).
(9)
La Commission a adopté le 7 mai 2009 un rapport
fait en son nom par les députés rapporteurs Nollet,
Terwingen et Mathot : les constatations et recommandations de la Commission, regroupées en onze
catégories et déclinant 108 recommandations, figurent aux pages 220 à 272 dudit rapport.
Par une motion adoptée le 14 mai 2009 en séance
plénière, la Chambre des représentants a adhéré à
ces constatations et recommandations (10).
Près de cinq années après ces recommandations, il
nous a paru utile de nous interroger sur la traduction
ou la mise en œuvre concrète de celles-ci pour ce qui
concerne le volet pénal ou l’arsenal législatif de droit
pénal et de procédure pénale.
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(7)
6
(8)
(9)
(10)
(11)
(12)
Pour rappel, le but ultime de création de cette Commission d’enquête parlementaire était bien de proposer des remèdes aux problèmes ayant conduit à un
échec systématique, au pénal, des grands dossiers financiers et fiscaux des dernières années.
La Commission d’enquête parlementaire, en identifiant 54 points douloureux et en nommant 108 recommandations, a-t-elle posé un bon diagnostic, et
le législateur a-t-il été un bon thérapeute ?
L’analyse que nous nous proposons d’entreprendre
est consacrée à la seule matière pénale, notre collègue Marc Bourgeois se réservant, quant à lui, le volet
de la matière fiscale.
II. Les constatations
et recommandations tenant
aux généralités
1) Recommandation 1 : inscription de la lutte
contre la fraude financière et fiscale dans le plan
national de sécurité.
La Commission recommandait au gouvernement,
d’une part, de fixer des priorités en ce qui concerne la
lutte contre la fraude financière et fiscale dans le plan
national de sécurité et, d’autre part, de coordonner
l’action de tous les acteurs (11) (administration fiscale,
services de police, parquets, juges d’instruction,…).
La recommandation a été inscrite dans le plan national de sécurité 2012-2015 qui prévoit, parmi les dix
phénomènes de criminalité prioritaires, que « la
fraude, en particulier la fraude sociale, la fraude fiscale et la fraude à la gestion des déchets » seront traitées en priorité durant la période 2012-2015 (12) :
cette priorité pénale ne surprend pas dès lors que les
présentations budgétaires indiquent, chaque année,
de manière récurrente, des recettes étatiques supplé-
Cour eur. D.H., 27 septembre 2007, J.T., 2007, p. 741, note F. KUTY. J. MEESE, « De redelijke termijn in strafzaken: een
stand van zaken », N.C., 2010, pp. 315-320. F. DERUYCK, « De overschrijding van de redelijke termijn en de onderzoeksgerechten: Let’s get serious », Het strafrecht bedreven. Liber amicorum Alain De Nauw, La Charte, 2011, pp. 171-182.
L’examen des pourvois est fixé aux audiences des 26 mars et 30 avril 2014 (R.G. n° P.13.1869.F.).
Rapport fait au nom de la Commission d’enquête, 7 mai 2009, Doc. parl., Chambre, sess. 2008-2009, doc. n° 52.0034/004,
272 pages.
Doc. parl., Chambre, sess. 2008-2009, doc. n° 52.0034/006.
Pour le point de vue de chacun des acteurs, voy. D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des
lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, 232 p., reprenant des contributions de membres du ministère public (L. DU CASTILLON et
C. ALVAREZ-RODRGUEZ, Blanchiment, « le levier » de la lutte contre la fraude, pp. 9-26, et P. DE WOLF, Le rôle du ministère
public dans la lutte contre la fraude, pp. 27-50), de membres de l’administration fiscale (F. PHILIPSEN et P. SERE, La lutte
contre la fraude fiscale, pp. 51-80, et C. BOURLET, La lutte contre la fraude de masse : développements récents, pp. 81-96), de
fonctionnaires de police (C. PERREMANS, La police locale face à la fraude sociale, pp. 97-110), de membres de la CTIF (F.
DELEPIERRE et M. PENNA, La lutte contre l’argent du crime et les flux financiers du blanchiment d’argent, pp. 111-136) et d’un
juge d’instruction (M. CLAISE, La répression pénale en matière fiscale, pp. 137-152). F. DESTERBECK, « Publiek-private
samenwerking en fiscale fraudebestrijding », in M. MAUS en M. ROZIE (éds), Actuele problemen van het fiscaal strafrecht,
Intersentia, 2011, pp. 139-150.
Ce plan est publié sur le site internet polfed-fedpol.be ; voy. spécialement la page 16 dudit plan.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
mentaires tenant à une meilleure lutte contre la
fraude fiscale.
policiers, de services d’inspection fiscale et sociale,
de l’inspection économique et d’autres services).
La fraude fiscale en tant que priorité pénale est définie par le plan national de sécurité qui, rappelons-le,
est rédigé sous la responsabilité des ministres de l’Intérieur et de la Justice (13) : la fraude fiscale désigne la
fraude à la TVA (14) organisée (conformément à l’article 73 et 73bis du Code TVA) et la fraude organisée
en matière d’impôts sur les revenus ; les autres aspects partiels requièrent bien sûr également une attention mais ne doivent pas être abordés de manière
intégrale et intégrée par le biais d’un programme national type (art. 95 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à
deux niveaux).
La recommandation invite également à une coordination de l’action de tous les acteurs (administration
fiscale, services de police, parquets, juges d’instruction,…). La coordination avec les juges d’instruction
présente structurellement et individuellement plus
de difficultés : d’une part, un juge d’instruction est,
dans chacun de ses dossiers, confiné aux faits qui délimitent sa saisine et, d’autre part, il a déjà été jugé
que le juge d’instruction devait s’imposer une indépendance et une impartialité personnelles et structurelles envers la partie poursuivante qu’est le procureur du Roi (17).
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que les réalisations actuelles sont plus du domaine du médicament en phase d’élaboration que du remède ayant
fait ses preuves.
La fraude fiscale prioritaire se limite ainsi, s’agissant
d’un choix politique, à la TVA et aux impôts sur les
revenus.
Il étonne pourtant que la manière dont ce phénomène criminel déclaré prioritaire sera traité n’est en
rien abordée dans le plan national de sécurité ; la
seule allusion que l’on peut deviner se trouve dans la
mention d’une attention accrue, d’une part, aux
moyens informatiques et technologiques nouveaux
utilisés par les groupes d’auteurs et, d’autre part, au
phénomène de blanchiment (sans concrétisation
pour le blanchiment de fonds issus de fraudes fiscales).
2) Recommandation 2 : utilisation du droit d’injonction positive.
La Commission recommandait au ministre de la Justice de faire un plus large, et partant meilleur, usage
de son droit d’injonction positive parce que, est-il affirmé, trop de dossiers en matière de grande fraude
fiscale n’ont pas pu, pour une raison ou pour une
autre, bénéficier d’un traitement judiciaire leur permettant d’être examinés adéquatement.
Il est à la vérité de mentionner que cette même mission se trouve comprise dans le plan d’action 20122013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale
et sociale (15), soutenu par le secrétaire d’État John
Crombez (16) : on peut y lire des structures de concertation, tantôt existantes (dans la gestion de la problématique una via – voy. infra), tantôt à créer (unités
de recherche multidisciplinaires aidées d’un pool
d’enquêteurs « en réserve » issus de divers services
(14)
(15)
(16)
(17)
(18)
(19)
(20)
Ce pouvoir, rarement exercé en pratique (18), s’il paraît avoir les faveurs des parlementaires, n’en a guère
aux yeux des membres du ministère public qui revendiquent une réelle indépendance (19). L’injonction positive du ministre de la Justice peut toutefois
remédier à l’éventuelle inertie du procureur général
ou du procureur du Roi dans tel ou tel dossier, notamment financier (20), mais est évidemment sans ob-
Ce plan est communiqué au Parlement ; il comprend, d’une part, les missions et les objectifs prioritaires de la police fédérale, tels que fixés par ces ministres, ainsi que la manière dont ils sont atteints ; il fixe, d’autre part, la répartition des
moyens en personnel et en matériel entre les directions générales et services. L’examen du plan national de sécurité
s’opère par le biais du conseil fédéral de police.
L. KENNES et E. RIVERA (dir.), La fraude à la TVA en matière pénale, Bruxelles, Larcier, 2013, 203 p.
Le collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale a été créé par l’arrêté royal du 29 avril 2008 (M.B., 8 mai 2008).
Les membres en sont le ministre de la Justice, le secrétaire d’État à la lutte contre la fraude sociale et fiscale, ainsi que le
SPF Finances, le SPF Sécurité sociale, le SPF Économie, la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), la
police fédérale et/ou locale, le collège des procureurs généraux, le procureur fédéral, l’Organe central pour la saisie et la
confiscation (OCSC).
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 171-219. Adde le rapport de suivi n° 1 de ce plan, janvier 2013, sur le site http://www.samenaanhetwerk.be.
Bruxelles, 7 juin 2010, Rev. dr. pén., 2011, p. 906, note J. DE CODT.
Voy. quelques cas d’application cités par M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale,
Bruxelles, Larcier, 4e éd., 2012, p. 57, note 62.
F. KUTY, « Le devoir du ministère public de proposer une solution de justice : l’expression de son honneur et l’assise de sa
légitimité », note sous Cass., 19 décembre 2012, J.L.M.B., 2013, p. 1454, spéc. n° 12, p. 1462.
J. DE CODT, « Poursuites contre les magistrats », Statut et déontologie du magistrat, La Charte, 2000, p. 151, n° 12.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(13)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 7 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
7
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 8 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
jet s’il doit s’exercer envers l’administration fiscale,
ce que semble vouloir changer la recommandation,
ou envers des juges d’instruction ou des juges correctionnels. Le substitut « tancé » par l’injonction
positive aura souvent raison, à chacun d’en juger,
d’invoquer la surcharge de travail, le manque de
moyens, etc.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis qu’elle relève plus de l’effet placebo que d’une réelle efficacité
et praticabilité.
3) Recommandations 3 et 4 : actualisation de la
charte du contribuable et collaboration plus
étroite entre administration fiscale et justice.
La Commission recommandait deux mesures de ce
point de vue.
La Commission recommande, tout d’abord, d’actualiser la charte du contribuable instituée par la loi du
4 août 1986 en vue de garantir une juste perception
de l’impôt et de maintenir un équilibre entre les
droits du contribuable loyal et coopératif et les
moyens administratifs et judiciaires nécessaires pour
lutter efficacement contre la fraude fiscale : le principe est séduisant sous la réserve que, pour ce qui
concerne les poursuites pénales, il ne sera pas oublié
que les normes internationales et nationales reconnaissent à toute personne suspectée d’avoir commis
une infraction, le droit de ne pas s’auto-accuser, le
droit de se taire et, partant, de ne pas collaborer, et
le droit de se défendre, ce qui recouvre notamment
le droit de nier voire de mentir.
Un groupe de travail composé de quatre professeurs
(fiscalistes) d’université a été constitué afin de suivre
ce processus d’actualisation suggérée de la charte du
contribuable (21) : de manière ferme, il observe que la
justice et le fisc ne sont pas à considérer comme deux
services de l’État, dès lors que la justice est un pouvoir indépendant.
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(21)
8
(22)
La Commission recommande, ensuite, d’assurer une
collaboration plus étroite entre la justice et le fisc en
respectant l’indépendance des deux services : cette
recommandation est de bon sens, à ranger au rayon
des déclarations d’intention, mais est contraire à la
recommandation précédente qui voudrait reconnaître au ministre de la Justice un droit d’injonction
positive envers le fisc. Réserve est faite de l’adoption
de la règle una via (voy. infra).
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis qu’elle relève d’approches très générales dont la mesure de
réalisation concrète est aléatoire, sous la réserve de
l’excellence de la règle una via et sous la réserve de la
création récente du service Coordination AntiFraude (CAF) (22).
4) Recommandation 5 : contrôles sectoriels.
La Commission recommandait d’intensifier les opérations de contrôles sectoriels et thématiques, au départ d’une détermination des groupes cibles dans le
cadre d’un programme dit de gestion des risques, en
association avec une éventuelle possibilité de régularisation préalable.
Si cette recommandation porte essentiellement sur
le volet fiscal, il demeure que la notion de recherche
proactive, inscrite dans l’article 28bis, § 2, du C.i.cr.
au rang des missions d’information préliminaire du
ministère public, pourrait autoriser, pour le volet
pénal, la recherche d’infractions de fraude fiscale
grave et organisée combinées à des infractions d’organisation criminelle ou de blanchiment. La finalité
de l’enquête proactive est clairement judiciaire et répressive, elle ne sert pas un objectif de prévention.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis qu’il n’y a
pas lieu d’émettre pareil avis puisque le volet pénal
est concerné de manière marginale.
Ce groupe de travail a déposé son rapport en septembre 2009 ; voy. J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier 2010, pp. 253-274.
Arrêté du 24 octobre 2013 du Président du Comité de direction portant fixation du siège et des compétences matérielles
du service « Coordination Anti-Fraude (CAF) », M.B., 4 novembre 2013 : à ce titre, les missions de ce service sont,
notamment : ce service est notamment chargé de la coopération avec les autorités judiciaires nationales et, plus particulièrement, la centralisation comme unique point de contact au Service public fédéral Finances de toutes les informations en
provenance des officiers du ministère public près des cours et tribunaux qui sont saisis d’une affaire pénale dont l’examen
fait apparaître des indices sérieux de fraude fiscale, de la Cellule de traitement des informations financières dans le cadre
de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ainsi que des auditorats du travail, ainsi que
de la coopération avec le réseau d’expertise en matière économique, financière et fiscale (ECOFINFISC) du collège des
procureurs généraux ainsi qu’avec les différents services de police concernés en matière de délinquance économique et
financière organisée, ainsi que de la rédaction, le suivi et la mise en œuvre, en collaboration avec les administrations générales concernées, des différents protocoles de coopération avec les départements de la justice, de l’intérieur et des affaires
sociales, ainsi que de la coopération avec les autorités politiques et organes du pouvoir législatif, ainsi que de la coopération avec les différents organes internationaux intervenant dans la lutte contre les fraudes fiscales, économiques et financières, notamment par le suivi de leurs travaux ainsi que la participation éventuelle à ceux-ci et par la coordination des
réponses à des questionnaires.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
III. Les constatations
et recommandations tenant
aux structures
tégré, structuré à deux niveaux) que par l’aboutissement de réformes fondamentales dans l’exercice de
la fonction policière suggérées par le comité P dans
sa fonction d’observatoire de la fonction de police (23).
5) Recommandation 6 : création d’un comité F.
Un contrôle positif, motivant, porteur, ne se conçoit
que dans la possibilité d’apporter des solutions, pas
uniquement des sanctions (24), sauf à développer une
culture d’action défensive, comme cela se vérifia
dans la pratique de la médecine de plus en plus défensive, orientée vers la protection du professionnel
contre une multiplication d’actions judiciaires en
responsabilité.
La Commission recommandait la création d’un comité F (F comme fraude) avec contrôle parlementaire, à l’instar des comités P (services de police) et
R (services de renseignement) : en l’espèce, la feuille
de route serait de contrôler les services intervenant
dans le cadre de la lutte contre les différentes fraudes
(fiscale, économique et sociale), et de recevoir les
plaintes motivées des fonctionnaires et des contribuables, dans le respect des règles de confidentialité.
Les nombreuses propositions de loi visant, entre
autres choses, à la création d’un comité F n’ont pas
abouti à ce jour et l’une d’elles a même essuyé un avis
cinglant de la part du Conseil d’État (25), relayé par le
groupe de travail composé de quatre professeurs (fiscalistes) d’université constitué afin de suivre le processus d’actualisation de la charte du contribuable à
la lumière des recommandations de la Commission
d’enquête parlementaire, qui y voit une violation de
la séparation des pouvoirs et une rupture de l’égalité
des parties dans la procédure contraire à l’article 6
de la Convention européenne des droits de
l’homme (26).
Le lecteur attentif ne peut être que surpris de la généralité du propos : contrôle des fonctionnaires du
fisc, et/ou des fonctionnaires de police, et/ou des
magistrats debout et assis, et/ou des experts désignés
en cours d’instruction, et/ou des administrations actives dans l’exécution des commissions rogatoires internationales,… ?
Les doublons guettent ces contrôles.
Ne prenons que l’exemple de deux dossiers cités en
introduction, les affaires KBLux et de Croÿ (non définitivement clôturée), où le Code d’instruction criminelle et les principes généraux du droit permettaient aux autorités légales de surveillance de
contrôler, ce qui ne fut pas fait ou ce qui fut fait de
manière imparfaite à en croire la teneur des décisions judiciaires rendues pour sanctionner des déloyautés graves d’enquêteurs et de magistrats.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que le projet de création d’un comité F est toujours au stade
d’un projet (27) de prescription médicale.
6) Recommandation 7 : adoption du principe
una via.
Convenons aussi que le comité P, comité permanent
de contrôle des services de police, nourrit sa notoriété et son expertise plus par le pouvoir de police judiciaire qui est reconnu à son service d’enquêtes envers les fonctionnaires de police (qui relèvent d’une
police non pas unique mais d’un service de police in-
(24)
(25)
(26)
(27)
La Commission recommandait de sanctionner les
infractions à la législation fiscale soit par la voie administrative, soit par la voie judiciaire. L’intention
est de lutter contre la petite fraude fiscale autant que
faire se peut par la voie administrative et, d’autre
Les rapports annuels du comité P sont publiés sur le site comitep.be.
Les comités P et R peuvent conduire des enquêtes judiciaires auprès des membres des services de police ou de renseignements sur la base de plaintes de particuliers ou de fonctionnaires de police, ou d’initiative, ou sur réquisition du procureur
du Roi ou du juge d’instruction, ou sur demande du Parlement.
Voy. les propositions successives dans Doc. parl., Chambre, doc. nos 52.1348/001 (avec l’avis du Conseil d’État n° 47.421/2
du 9 décembre 2009, in Doc. 52.1348/002), 52.2210/001, 53.0442/001, 53.0630/001 et 53.0939/001.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du
groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier
2010, p. 260.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 203, expose que ledit plan d’action conseille de mettre en place un cadre légal qui protège le personnel de
l’administration publique en cas de divulgation, en interne ou vers l’extérieur, d’informations sur d’éventuelles pratiques
abusives ou de corruption au sein de la fonction publique (« donneurs d’alerte »). Comp. avec le whistleblowing, dont « La
liberté d’expression du whistleblower », note sous Cour eur. D.H., Guja c. Moldova, 12 février 2008, Rev. trim. dr. h., 2009,
p. 233, et le prolongement dans le monde judiciaire par M. CADELLI, « Du devoir de réserve des magistrats aux vertus
d’indignation et de courage », J.T., 2013, p. 297 ; L. ROTTIERS, « Le sonneur de tocsin : ses origines, son évolution et ses
implications en droit social belge », Kluwer, 2012, 108 p.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(23)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 9 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
9
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 10 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
part, d’organiser pour chaque dossier de fraude fiscale de grande envergure une concertation entre le
fisc, la police et la justice (concertation triangulaire)
sur la manière dont chaque dossier doit être traité
(choix entre la voie administrative et la voie judiciaire).
Cette recommandation a abouti, poussée dans le dos
par l’obligation qui pesait sur la Belgique de prendre
la mesure d’arrêts prononcés par la Cour européenne des droits de l’homme : la loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe « una via » dans
la répression des infractions fiscales et majorant les
amendes pénales fiscales a en effet été adoptée et est
désormais en vigueur ; l’article 29 du C.i.cr. s’est
trouvé complété d’un nouvel alinéa 3.
Le champ d’application et les modalités concrètes de
mise en œuvre ont été explicités dans deux circulaires, l’une à destination des membres du ministère
public, l’autre à destination de l’administration fiscale : il est ainsi fait renvoi à :
– une circulaire col n° 11/2012 du 22 octobre 2012
du collège des procureurs généraux près les cours
d’appel (28) ;
– une circulaire n° 11/2012 du 22 octobre 2012
(AAF n° 8/2012) du SPF Finances (29).
Les commentaires doctrinaux sont nombreux, souvent critiques (30).
Le principe non bis in idem consacré par la loi du
20 septembre 2012 a reçu un important coup de
pouce de la Cour constitutionnelle qui a pris toute la
mesure de la disposition : la Cour a en effet considéré que « Le législateur a méconnu le principe non
bis in idem en permettant au ministère public d’enga(28)
(29)
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(30)
10
ger des poursuites pénales (en ouvrant ou en ne clôturant pas une information judiciaire ou en mettant
en mouvement l’action publique) contre une personne qui a déjà fait l’objet, pour des faits en substance identiques, d’une sanction administrative, à
caractère pénal, devenue définitive, ainsi qu’en autorisant que cette personne soit renvoyée, en raison de
faits en substance identiques, devant une juridiction
pénale ou, si cette juridiction était déjà saisie, en lui
permettant de continuer l’examen de la cause » (31).
Le présent numéro consacre une contribution spécifique à cette question sous la plume de Madame Van
Duerm et nous y renvoyons le lecteur.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que le médicament a été trouvé et administré ; comme dans le
domaine de la pharmacopée, il est à présent temps
d’attendre l’apparition d’éventuels effets secondaires
ou contre-indications afin de pouvoir ensuite adapter la notice.
7) Recommandation 8 : octroi de la qualité d’officier de police judiciaire à des fonctionnaires
fiscaux.
La Commission, inspirée par l’exemple hollandais,
recommandait de créer, au sein du SPF Finances,
une cellule spécifique compétente en matière de
grande fraude fiscale, dont les membres, sous le
contrôle du parquet fédéral, seraient habilités à poser des actes en qualité d’officier de police judiciaire (32).
Une proposition de loi consacrée, entre autres, à
cette promotion n’a pas abouti à ce jour (33).
Cette circulaire est publiée sur le site om-mp.be.
Cette circulaire est notamment reproduite dans G. DE BOLLE, « La loi una via : l’élimination du fondement juridique de
la possibilité d’une double sanction », Rec. gén. enr. not., 2013, p. 72.
Voy. ainsi F. KONING, « Le principe non bis in idem et la loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe una via dans la
répression des infractions fiscales », J.L.M.B., 2013, pp. 581-603. J.-P. BOURS, « Droit pénal ou fiscal ? Electa una via,
recursus ad alteram non datur. La loi du 20 septembre 2012 », J.T., 2013, pp. 165-173. A. LECOCQ et E. CECI, « Réforme
Una Via : le dessus de l’iceberg », Dr. pén. entr., 2013, pp. 3-24. G. DE BOLLE, « La loi una via : l’élimination du fondement juridique de la possibilité d’une double sanction », Rec. gén. enr. not., 2013, p. 72. G. DE FOY et X. PACE, « Principe
una via en matière des droits d’enregistrement, une réforme inachevée », Droits d’enregistrement, 2013, liv. 1, pp. 8-13.
F. SMET, « Una via et transaction : un mariage impossible ? », Fiscologue, 2012, liv. 1317, pp. 8-10. M. ZAGHEDEN, « Una
via: de gulden middenweg of de weg zoek? Een analyse van de wet tot instelling van una via in de vervolging van overtredingen van de fiscale wetgeving », in L. MAES, H. DE CNIJF et L. DE BROECK (éds), Fiscaal praktijkboek 2012-2013.
Directe belastingen. Fiscale nieuwheden praktisch beken, Kluwer, 2012, 376 p. M. DE JAEGER et F. VAN VOLSEM, « Een toelichting bij de Una Via-Wet van 20 september 2012 », T. Strafr., 2013, pp. 2-23. C. THIEL et S. LIPPENS, Het Belgisch una
via-model in fiscale strafzaken. Een vervolging en een beteugeling langs één weg?, Kluwer, 2012, 131 p. S. VAN DUERM, « Transaction pénale, côté fiscal », R.G.C.F., 2012, pp. 351-356. F. KONING, « La loi du 20 septembre 2012 instaurant le principe
“una via” dans la répression des infractions fiscales », in A. JACOBS et A. MASSET (dir.), Actualités de droit pénal et de procédure
pénale, op. cit., pp. 131-172.
(31)
(32)
(33)
C. const., 3 avril 2014, n° 61/2014, att. B.18.3.
Voy. aussi les recommandations 65 et 66 suggérant pareille attribution à des fonctionnaires des services du recouvrement
en butte à des constructions fictives d’insolvabilité.
Proposition de loi instaurant la règle una via dans les affaires pénales fiscales et instituant un auditorat fiscal et un comité
F (19 novembre 2010 – déposée par D. Van der Maelen et consorts) (Doc. parl., Chambre, doc. n° 53.0630/001, p. 10).
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Rappelons que les agents de police judiciaire ne
peuvent, le plus souvent, faire état de leurs recherches que sous forme de rapports adressés à un
officier de police judiciaire qui les inclut dans un
procès-verbal régulier : il y va d’un premier
contrôle, ce qui préserve d’autant les droits de la
personne suspectée.
cale en prévoyant les garanties nécessaires (gardefous), sous contrôle d’un juge.
Cette recommandation doit être lue avec la précédente, mais il s’observe, d’une part, que le pouvoir de
perquisition est, en droit belge actuel, réservé à un
juge d’instruction, qui ne peut même pas en être saisi
par le procureur du Roi dans le cadre d’une miniinstruction, et d’autre part, que les pouvoirs de visite
domiciliaire accordés à des polices spécialisées sous
l’autorisation d’un juge de police sont strictement
délimités (37).
Rappelons aussi, en marge de la Charte du contribuable qui avait réagi contre l’immixtion trop importante de fonctionnaires fiscaux dans les enquêtes
judiciaires, qu’ont déjà la qualité d’officier de police
judiciaire les fonctionnaires des administrations fiscales mis à la disposition soit du procureur du Roi et
de l’auditeur du travail, soit de la police fédérale (34) ;
pour ce qui concerne la police fédérale, il est fait référence aux fonctionnaires des administrations fiscales détachés auprès de l’OCDEFO, l’Office central de lutte contre la délinquance économique et
financière organisée, division de la direction générale de la police judiciaire fédérale (35).
S’agissant d’une atteinte des plus élevées aux libertés
individuelles, il s’entend que le seul impératif d’efficacité ne peut pas présider à l’appréciation de l’opportunité de conférer pareils droits de perquisition
et de saisie à une administration fiscale.
Du reste, le groupe de travail composé de quatre
professeurs (fiscalistes) d’université constitué afin de
suivre le processus d’actualisation de la charte du
contribuable à la lumière des recommandations de la
Commission d’enquête parlementaire, est ouvertement hostile à ce droit de perquisition et a mis en
garde contre l’extension des pouvoirs d’investigation
des inspecteurs du fisc alors que cette procédure ne
revêt, à l’inverse de l’enquête judiciaire, aucun caractère contradictoire (38).
L’absence de détachement d’un fonctionnaire fiscal,
en l’espèce de l’Inspection spéciale des impôts, auprès d’un autre service, ministère public ou police
judiciaire fédérale, pour lui conférer la qualité d’officier de police judiciaire au sein même de sa propre
administration paraît rompre l’équilibre voulu
jusqu’ici entre les pouvoirs administratifs et les pouvoirs judiciaires et policiers. Chacun sait d’expérience que la « culture d’entreprise » au sein d’une
administration, spécialement fiscale, est bien différente de celle qui se constate au sein d’un corps de
magistrats du ministère public ou d’un service de police judiciaire : l’équilibre des droits des parties en
présence, encadrés légalement, doit rester une priorité, par exemple en matière de respect du droit à la
présomption d’innocence (36).
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que celle-ci
n’a pas été concrétisée.
9) Recommandation 10 : désignation de fonctionnaires fiscaux en qualité d’experts lors d’instructions pénales.
8) Recommandation 9 : attribution de pouvoirs
de perquisition et de saisie aux fonctionnaires
fiscaux.
Cette recommandation doit être lue avec les observations faites dans le cadre de l’examen de la recommandation 7 : ces fonctionnaires actuellement déta-
La Commission recommandait d’octroyer le pouvoir de perquisition et de saisie à l’administration fis-
(35)
(36)
(37)
(38)
Les premiers sont au nombre de 18, les seconds 16. F. PHILIPSEN et P. SERE, « La lutte contre la fraude fiscale », in
D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 63-64.
Loi du 10 avril 2003.
Voy. un exemple particulier censuré par Cour eur. D.H., Poncelet c. Belgique, 30 mars 2010, J.L.M.B., 2010, p. 1260.
Voy. ainsi en matière de lutte contre la traite des êtres humains, Cass., 24 avril 2013, R.G. n° P.12.1919.F., J.T., 2013,
p. 416, note L. KENNES.
Ce groupe de travail a déposé son rapport en septembre 2009 ; voy. J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier 2010, pp. 257 et 261.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
La Commission, parce que divers témoins entendus
par elle avaient souligné l’importance de l’aide de ces
fonctionnaires détachés dans l’enquête sur la QFIE,
recommandait de prévoir un nombre suffisant d’assistants fiscaux ayant la qualité d’officier de police judiciaire qui puissent être directement attachés
comme experts au parquet ou à un juge d’instruction
(et non délégués) en vue de leur donner un statut
permanent.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que celle-ci
n’a pas été concrétisée.
(34)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 11 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
11
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 12 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
chés ont déjà la qualité d’officier de police judiciaire
durant ce détachement ; il est contradictoire d’être à
la fois enquêteur OPJ et expert : un enquêteur enquête alors qu’un expert ne donne qu’un avis ; la
question de conférer un statut permanent est une
question strictement administrative.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que celle-ci
n’a pas été concrétisée.
IV. Les constatations
et recommandations tenant
à l’organisation de la justice
La Commission observe, en premier lieu, combien
le manque d’expertise fiscale au niveau des parquets
a pu desservir le traitement des grands dossiers étudiés ; elle considère que la création des substituts
spécialisés en matière fiscale ne fut pas concluante,
notamment parce qu’ils ne peuvent pas suffisamment faire appel à l’expertise fiscale détenue par l’administration fiscale.
Elle considère ensuite que certains parquets locaux,
spécialement Bruxelles, sont sur-engorgés, ce qui
pose le problème de la pertinence de la répartition
géographique des substituts ou des dossiers ; ainsi, la
section fiscale du parquet d’Anvers est-elle amenée à
opérer un tri dans les dossiers pour n’en retenir que
certains, à analyser « de façon approfondie, et ce,
toujours dans le but de récupérer le plus d’argent
possible pour l’État belge » (39).
Revue Générale du Contentieux Fiscal
La Commission suggère ensuite plusieurs recommandations d’amélioration de l’organisation générale du traitement pénal de la fraude fiscale :
12
– inciter le collège des procureurs généraux à placer la lutte contre la grande fraude fiscale comme
priorité lors de la détermination de la politique criminelle ;
– fixer des priorités au niveau des parquets ;
– créer un service au niveau du ressort de la cour
d’appel, appelé « auditorat fiscal » et regroupant
les magistrats spécialisés du parquet ;
(40)
– gérer de manière uniforme le flux de dossiers,
lutter contre l’arriéré, inventorier, utiliser, le temps
nécessaire, la méthode LIFO (‘last in first out’) dans
la gestion des dossiers ;
– assurer le suivi effectif et le traitement des dossiers dans les temps ;
– généraliser les applications informatiques pour
numériser les dossiers judiciaires ainsi que la mise
en place d’un cadre légal nécessaire à cet effet.
10) Recommandations 11 à 17 : amélioration de
l’organisation générale du traitement pénal de la
fraude fiscale.
(39)
– s’assurer que les effectifs disponibles dans les
parquets répondent aux besoins liés à la dévolution
des affaires à tel ou tel ressort en raison des critères
de rattachement adoptés ;
Il n’y a là rien de bien original sauf à souligner la
mission légale des parquets généraux. Rappelons
que les missions du procureur général se conjuguent, d’une part, dans la mise en œuvre cohérente
et la coordination de la politique criminelle de sa
compétence qui est exercée par la voie de circulaires
(art. 146bis C. jud.) (40), et d’autre part, dans l’appui
aux parquets d’instance par la création de réseaux
d’expertise au sein des parquets généraux (art. 143bis
C. jud.) ; la recherche de la qualité du fonctionnement et de l’organisation du ministère public est
confiée tant au procureur du Roi qu’au procureur
général par l’article 146ter du C. jud.
Rappelons aussi la mission légale du collège des procureurs généraux de prendre des décisions, notamment, pour assurer le bon fonctionnement général et
la coordination du ministère public (art. 143bis
C. jud.), sous la précision que l’arrêté royal du 6 mai
1977 relatif aux tâches spécifiques des membres du
collège des procureurs généraux a confié au procureur
général de Bruxelles les tâches spécifiques dans les domaines du droit financier, économique et commercial
et de la criminalité financière, fiscale et économique.
Rappelons encore les missions, d’une part, du Service de la politique criminelle (arrêté royal du
14 janvier 1994) et, d’autre part, du parquet fédéral
qui se voit confier la connaissance des infractions qui
ont une dimension internationale ou une dimension
qui, dans une large mesure, concernent plusieurs
ressorts (art. 144ter C. jud.).
Convenons que voilà un nombre de structures judiciaires bien élevé pour assurer le traitement pénal de
la fraude fiscale, sous la réserve que concertation et
coordination sont d’autant plus indispensables.
Rapport fait au nom de la Commission d’enquête, 7 mai 2009, Doc. parl., Chambre, sess. 2008-2009, doc. n° 52.0034/004,
p. 234.
L’article 146 nouveau du C. jud. issu de la loi du 22 décembre 1998 de réforme du ministère public confiait aux parquets
généraux notamment « la réalisation d’un audit permanent auprès des parquets de première instance et la recherche de la
qualité totale » ; cette disposition n’a jamais été mise en vigueur.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Le projet de création d’un « auditorat fiscal » n’a pas
été concrétisé (41), pas plus que n’a jamais été mis en vigueur l’article 152 nouveau du C. jud., voté par la loi
de réforme du ministère public du 22 décembre 1998,
qui créait au sein de chaque parquet une section, appelée auditorat, chargée des matières économiques,
financières et sociales, au sein de laquelle sont nommés un ou plusieurs substituts ; ce même article prévoyait que, sans préjudice de l’article 155, le procureur du Roi, dans le cadre du règlement du service du
parquet, ne peut affecter les membres de l’auditorat à
d’autres tâches que par une décision écrite et motivée
après concertation avec l’auditeur.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
ces recommandations, il nous est d’avis que ces recommandations sont par trop générales pour se prêter à une évaluation.
11) Recommandations 18 à 20 : augmentation
du nombre de magistrats spécialisés dans les
matières fiscales.
La Commission, sur le mode classique de l’augmentation des moyens et en faisant écho à l’insuffisance
de la capacité judiciaire des services de police, recommande un accroissement du cadre des magistrats (du ministère public, de l’instruction et du
siège, soutenus par des juristes et des référendaires)
spécialisés dans les matières fiscales.
Au-delà de l’abandon du projet Phénix, le développement de l’informatisation de la justice, spécialement pénale, a été plus que laborieux depuis
de nombreuses années (42) ; la mise en place, depuis
le 1er mars 2007, de la Commission de modernisation de l’ordre judiciaire a vu naître divers projets,
pour le domaine civil de manière privilégiée, avec
l’annonce, pour le 1er janvier 2014, de l’aboutissement du projet informatique JustScan, conduit
dans ses aspects techniques par le service d’encadrement ICT, et qui a pour objet de convertir les
dossiers d’affaires judiciaires actuellement sur
support papier en information sur support électronique, de fournir un outil de recherche (dans
des dossiers volumineux par exemple) à l’usage des
magistrats et des autres clients internes (personnel
des greffes ou des parquets) et externes (avocats,
justiciables), de rendre possible la délivrance de
copies des dossiers judiciaires sur support électronique (DVD) et de faciliter la délivrance de copies
papier, et plus généralement, diminuer le nombre
des tâches de manutention liées à la procédure
(transfert du dossier d’une instance à l’autre, photocopies multiples en vue de la communication du
dossier aux parties) (43).
(42)
(43)
(44)
(45)
(46)
(47)
(48)
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que cette
recommandation ne peut se prêter à une réelle évaluation, car elle doit être en adéquation avec les priorités de politique criminelle qui suppose volonté politique et volonté budgétaire, et avec les difficiles
questions de la mesure de la charge de travail, tant au
sein des parquets que des tribunaux (44).
L’adoption du plan management du SPF Justice pour
les années 2013-2019, en vigueur depuis le 15 octobre
2013, devrait aider à la satisfaction de ces objectifs (45).
L’effort financier que devra faire chaque État de
l’Union européenne, déjà engagé dans les structures de
l’OLAF (Office européen de lutte antifraude) (46), sera
multiplié avec l’avancée des projets de concrétisation
d’un parquet européen pour les affaires financières (47).
12) Recommandations 21 à 23 : spécialisation
fiscale des magistrats.
Au départ d’observations faites par elle, la Commission recommande une meilleure spécialisation
fiscale des juges d’instruction, assistés d’un personnel également formé à ces matières, et propose
la création, avec un statut financier amélioré (48),
Sont restées en rade les propositions de loi instituant un auditorat fiscal (Doc. parl., Chambre, doc. nos 52.2210/001,
53.0442/001 et 53.0630/001).
Voy. notamment H. VAN BOSSUYT, « L’informatisation de la justice en Belgique : un cri d’alarme », J.T., 2009, p. 678.
D. MOUGENOT, « Quelques plumes de phénix…Réflexions sur l’entrée en vigueur de certaines dispositions des lois sur la
procédure électronique », J.T., 2013, p. 489.
Voy. les informations sur le site http://www.cmro-cmoj.be/fr/realisations/outils_de_travail/justscan. Il est renseigné
qu’au 30 septembre 2013, 15.401 dossiers ont été scannés à l’aide de JustScan pour un total de 10.499.546 pages. L’information n’est pas précisée quant au nombre de dossiers qui ont trait à des faits de fraude économico-financière et fiscale.
Voy. le site du Bureau Permanent Statistiques et Mesure de la charge de travail : http://vbsw-bpsm.just.fgov.be/
fr#sthash.E6TOqxyD.dpuf.
http://justice.belgium.be/fr/binaries/20131023_MPM_2013-2019_F_tcm421-235562.pdf.
D. FLORE, Droit pénal européen – Les enjeux d’une justice pénale européenne, Bruxelles, Larcier, 2009, pp. 545-551.
Commission européenne, 17 juillet 2013, « Proposition de règlement du Conseil portant création du Parquet européen », http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0534:FIN:FR:PDF.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 173, expose que le plan d’action propose de faire de cette fonction de juge fiscal un mandat spécial
(art. 259sexies C. jud.).
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(41)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 13 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
13
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 14 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
de la fonction de juge d’instruction spécialisé en
matière fiscale.
dossiers issus de l’instruction sont plus solides que
ceux gérés uniquement au niveau du parquet (50).
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que cette
recommandation n’a pas été réalisée.
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que cette
recommandation pourrait être mieux appliquée mais
au détriment de la répression de ces faits complémentaires.
13) Recommandation 24 : favoriser l’intégration
verticale des parquets.
Cette vertu de l’intégration verticale au sein des parquets avait déjà été inscrite dans le Code judiciaire
par la réforme issue de la loi du 22 mars 1998, ellemême issue des travaux des commissions d’enquête
parlementaire sur les enfants disparus et sur les tueries du Brabant (Commission bis).
Dix ans plus tard, une autre Commission d’enquête
parlementaire prône le même remède, ce qui laisse
entendre que, soit la précédente réforme n’était pas
pertinente, soit elle s’est heurtée à des freins puissants (49).
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que cette
recommandation est très diversement appliquée
dans les dossiers financiers actuellement en cours,
pour des motifs qui tiennent tantôt à des particularismes locaux, tantôt à des situations personnelles.
V. Les constatations
et recommandations tenant
aux procédures judiciaires
14) Recommandations 25 et 26 : limitation de la
saisine des juges d’instruction et protection des
enquêteurs.
Revue Générale du Contentieux Fiscal
La Commission relaie le propos que des extensions
de la saisine des juges d’instruction débouchent sur
des dossiers en réalité ingérables, écueil auquel le
ministère public doit veiller. La Commission recommande au ministère public de privilégier la mini-instruction et, de manière inopinée et sans lien avec ce
qui précède, d’assurer la protection des enquêteurs
contre des tentatives de déstabilisation.
14
Si la mini-instruction est un moyen légal et commode de recherche des infractions, des auteurs et des
preuves, il s’observe, de notre point de vue, que le
caractère contradictoire de l’enquête préliminaire
est mieux rencontré par le recours à une instruction
judiciaire et que, pour les dossiers d’ampleur, les
(49)
(50)
(51)
15) Recommandation 27 : permettre des perquisitions dans les affaires de fraude sous le couvert
de la mini-instruction.
La Commission recommande que la législation autorise, dans les affaires de fraude, le procureur du
Roi à demander une mini-instruction pour des perquisitions, sans que le dossier soit mis à l’instruction.
Cette recommandation doit être lue en combinaison
avec la recommandation 8 qui tendait à conférer le
pouvoir de perquisitionner aux fonctionnaires de
l’administration fiscale.
Les critiques identiques sont à émettre et il se
constate tout autant que cette recommandation n’a
pas été concrétisée.
16) Recommandations 28 et 29 : restreindre les
avancées de la loi Franchimont.
La Commission a été sensible au chorus des magistrats entendus qui font valoir les abus qu’entraîne la
loi Franchimont qui est devenue, dans 80 % des dossiers en matière financière, un levier pour faire durer
la procédure, spécialement par le recours aux requêtes en devoirs complémentaires déposées lors du
règlement de la procédure en fin d’instruction. Le
mécanisme de la « purge des nullités » reconnu par
cette loi du 12 mars 1998 est aussi décrié.
L’exemple hollandais où c’est le parquet lui-même
qui décide du devenir du dossier en fin d’instruction
est vanté par la Commission.
La Commission recommande, outre une évaluation
de la loi Franchimont, de s’attaquer aux lourdeurs et
aux abus de procédure, notamment en :
a. offrant la possibilité de scinder les dossiers volumineux : il nous est d’avis que cette procédure existe
déjà par le recours à la disjonction, tant au niveau
de l’instruction que de la juridiction de fond (51) ;
b. supprimant la possibilité de demander des devoirs
complémentaires la veille de la chambre du conseil et
prévoir que ces devoirs doivent être demandés dans des
A. DE NAUW, « L’absence de cohérence dans les réformes du ministère public », Liber amicorum J. du Jardin, Kluwer,
2001, pp. 363 et s. ; G. RAPAILLE, « Le ministère public : un patchwork ? », Rev. dr. pén., 2003, pp. 982 et s.
Voy. par exemple, le récent arrêt d’acquittement dans l’affaire dite Citibank, Bruxelles, 21 mai 2012, Dr. pén. entr., 2013,
p. 143, note A. LECOCQ, P. PROESMANS et N. VAN DER EECKEN.
M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 4e éd., 2012, pp. 489 et 634.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
délais légaux (15 jours avant la Chambre du conseil) :
il nous est d’avis que la loi pourrait être aménagée
pour n’autoriser le dépôt de requêtes en devoirs
complémentaires que x semaines avant l’audience
de la Chambre du conseil, ce qui éviterait des audiences où le magistrat n’a d’autre possibilité, vu
le dépôt de pareille(s) requête(s), que de renvoyer
la cause sine die ; cet aménagement supposerait cependant que le dossier soit mis à la disposition
réelle (à savoir physiquement mais aussi en version électronique) des inculpés, des parties civiles
et de leurs conseils bien avant la date butoir pour
le dépôt de ces requêtes ; avertir les parties,
comme cela se pratique dans divers arrondissements, plusieurs mois avant la date d’audience
mais en ne leur réservant l’accès au dossier que
15 jours avant celle-ci est certes légal mais n’a pas
de sens quand il s’agit de dossiers volumineux ; le
travail d’examen du dossier et de rédaction
d’éventuelles requêtes par les inculpés ou les parties civiles dans un délai aussi réduit est contraire
aux droits légitimes des parties à l’issue d’une procédure qui reste, rappelons-le, couverte par le secret ; en outre, en ce qui concerne la purge des
nullités par les juridictions d’instruction, il s’observe que la loi du 21 décembre 2009 a modifié la
teneur de l’article 235bis, § 5, du C.i.cr. dans le
sens souhaité aussi par la Commission et que la loi
du 14 décembre 2012 a modifié la teneur de l’article 235bis, § 6, du C.i.cr. dans un sens d’efficacité de la procédure ;
par une procédure aménagée, de prononcer des
peines ne dépassant pas une année d’emprisonnement, spécialement lorsque l’inculpé est en
aveux ; par ailleurs, il nous est d’avis qu’il reste
heureusement le filtre indépendant des juridictions d’instruction pour veiller à la régularité des
procédures d’instruction et éviter à certaines personnes, par le bénéfice d’une ordonnance de nonlieu, d’avoir à comparaître à tort devant les juridictions correctionnelles ; le travail de sélection
des juridictions d’instruction, à l’issue d’un débat
contradictoire, est, de manière heureuse, beaucoup plus critique que celui fait, sans débat
contradictoire, par le parquet au travers de ses réquisitions de renvoi ;
d. envisageant d’introduire un délai légal en ce qui
concerne le renvoi de l’affaire : cette formulation, assez
sibylline, peut à la fois désigner la durée des instructions ou la durée des procédures devant les juridictions d’instruction ou le délai de fixation entre une
ordonnance de renvoi et une date d’audience devant
le tribunal ; la fixation de pareils délais répond peutêtre à des impératifs de management mais ceux-ci
sont peu compatibles avec les réalités judiciaires
connues ;
e. envisageant de suspendre la prescription durant les
devoirs complémentaires : cette recommandation a
été entendue par le législateur depuis l’adoption
de la loi du 14 janvier 2013 (52), ce qui a un effet bénéfique sur le calcul de la prescription de l’action
publique, décourageant ainsi les parties qui veulent « jouer la montre », mais qui pourrait être
sans effet sur l’appréciation du délai raisonnable
dans lequel toute accusation en matière pénale
doit être jugée ;
c. envisageant de procéder à une réforme approfondie
de la Chambre du conseil et de la Chambre des mises en
accusation, notamment en allégeant les procédures : il
nous est d’avis que toute mesure d’allégement des
procédures est toujours la bienvenue ; rappelons,
à cet égard, que l’article 235 du Code de procédure pénale en projet, issu des travaux de la commission Franchimont, non suivi d’effet, fut, dans
le souci de décharger les juridictions correctionnelles, de permettre aux juridictions d’instruction,
(53)
f. envisageant d’introduire des sanctions distinctes
pour les manœuvres ostensiblement dilatoires : ces
manœuvres se rencontrent malheureusement (53)
et il appartient aussi aux autorités disciplinaires
d’en connaître ; c’est ce motif qui a, du reste, présidé à la modification technique de diverses dispo-
F. KONING, « La loi du 14 janvier 2013 : une nouvelle cause de suspension de la prescription en cas de devoirs
d’enquête », J.T., 2013, pp. 253-259, démontre le caractère incongru de la réforme quant à l’économie générale des
causes de suspension. En outre, la durée de cette suspension est limitée à une année. Voy. le commentaire de la proposition de loi par F. DESTERBECK, « Proceduremisbruik aangepakt », Fisc. Act., 2012, n° 36, pp. 8-12.
Voy. par exemple, en matière civile, Cass., 19 février 2010, J.T., 2010, p. 140 : « Lorsqu’il n’a d’autre but que de nuire
aux intérêts des parties adverses, notamment de rendre l’exercice d’une voie de recours par celles-ci plus difficile, plus
lent ou plus onéreux, un acte de procédure est constitutif d’abus de droit. Tel est le cas du retrait avec effet immédiat,
par les futurs défendeurs en cassation, de l’élection de domicile pratiquée aux fins de la procédure d’appel lorsqu’il
apparaît que ce retrait a eu pour seul objectif de rendre la formation d’un pourvoi en cassation beaucoup plus difficile,
lente et onéreuse. En ce cas, le pourvoi signifié au domicile précédemment élu par les défendeurs en cassation demeure
régulier et recevable ». J. KIRKPATRICK, « L’avocat et les procédures dilatoires ou manifestement abusives », Journ.
proc., 2004, n° 477, p. 6 ; P. H ENRY, « Aucune cause que ne je croirai pas juste », Liber amicorum Edouard Jakhian,
Bruxelles, Bruylant, 2010, pp. 205-226. Observons que l’amende civile de 15 à 2.500 EUR infligée à la partie qui utilise la procédure à des fins manifestement dilatoires et abusives est expressément exclue, par l’article 780bis, al. 4, du
C. jud., en matière pénale.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(52)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 15 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
15
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 16 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
sitions légales concernant la procédure pénale (54) ;
priver d’effet procédural utile l’acte posé de manière ostensiblement dilatoire est une voie de réflexion, au-delà de l’approche déontologique, indemnitaire ou pénalisante ;
g. envisageant de supprimer tout recours contre une décision de renvoi : assurément, tout recours contre une
décision judiciaire est synonyme de retard dans la
conduite de la procédure mais c’est là méconnaître
les motifs qui ont, à l’époque de la réforme, présidé
à la reconnaissance d’un droit de recours, en outre limité, au bénéfice de l’inculpé (art. 135 du C.i.cr.) ;
reporter la difficulté dans le temps n’est pas, au final,
une économie de procédure ; de manière topique, il
s’observe que la Commission n’a pas opté pour refuser un droit de recours à la partie publique ou à la
partie civile contre une décision de non-lieu.
Il nous est donc d’avis que, dans sa presque totalité
(à l’exception donc d’une nouvelle cause de suspension de la prescription de l’action publique), cette recommandation, nourrie à la technicité de la procédure pénale, n’a pas été suivie d’effet.
17) Recommandation 30 : réflexion à propos de
la règle « le criminel tient le civil en état ».
La Commission recommande d’évaluer les avantages et les inconvénients de la suppression éventuelle de la règle « le criminel tient le civil en état »
en matière fiscale (55).
Cette demande se base sur l’enseignement à tirer d’un
arrêt de la Cour de cassation du 12 décembre 2008 selon laquelle le recouvrement des montants dus n’est
pas nécessairement suspendu du fait que des poursuites pénales sont introduites, pouvant avoir pour
conséquence que le juge pénal constate que des facturations établies par des organes de la société étaient
fictives. Les actions intentées par l’administration
tendant au paiement de la TVA et d’amendes administratives ne constituent pas des actions civiles au
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(54)
16
(55)
(56)
(57)
(58)
sens de l’article 4 du Titre préliminaire contenant le
Code de procédure pénale. Le juge qui doit statuer
sur le litige fiscal n’est, dès lors, pas tenu de suspendre
l’instruction de la cause mais il peut le faire, même s’il
est lié par la décision du juge pénal en raison de l’autorité de la chose jugée en matière pénale (56).
À ce jour, l’article 4 du Titre préliminaire contenant
le Code de procédure pénale n’a pas été modifié.
Le groupe de travail composé de quatre professeurs
(fiscalistes) d’université constitué afin de suivre le
processus d’actualisation de la charte du contribuable à la lumière des recommandations de la
Commission d’enquête parlementaire s’est déclaré
ouvertement favorable à l’abandon de cette règle (57).
VI. Les constatations
et recommandations tenant
aux orientations générales
18) Recommandations 31 à 33 : amélioration des
règles anti-abus.
La Commission, partant de l’option d’empêcher que
des cas d’abus manifestes ne soient considérés
comme un choix en faveur de la voie la moins imposée, recommande de durcir ces règles anti-abus et
d’introduire une mesure générale instaurant l’abus
de droit en matière fiscale.
Cette recommandation a été entendue par la modification de l’article 344 du C.I.R. par la loi-programme du 29 mars 2012, applicable à partir de
l’exercice d’imposition 2013.
Le groupe de travail composé de quatre professeurs
(fiscalistes) d’université constitué afin de suivre le
processus d’actualisation de la charte du contribuable à la lumière des recommandations de la
Commission d’enquête parlementaire était hostile à
toute extension des règles anti-abus (58).
Par exemple, pour éviter les mesures dilatoires, les jugements sur l’action publique autres que ceux qui portent condamnation,
acquittement ou absolution, c’est-à-dire les jugements avant dire droit, peuvent, par une décision motivée, être déclarés exécutoires nonobstant appel. Il en est de même pour les jugements sur l’action civile (art. 205, § 3 et 173 du C.i.cr.) à condition que
la partie civile le demande. En outre, les pourvois en cassation ont, en règle, un effet suspensif sauf lorsqu’ils sont manifestement
irrecevables. Bien plus, une amende de 125 à 2.500 EUR peut être infligée par la Cour de cassation en cas de requête en suspicion légitime manifestement irrecevable. Enfin, la requête en récusation déposée par un tiers au procès étant manifestement
irrecevable et dès lors dénuée d’effet suspensif, elle est susceptible d’entraîner la condamnation du requérant à une amende et au
versement de dommages et intérêts au bénéfice du magistrat injustement mis en cause.
Voy. par exemple, Civ. Bruxelles (32e ch.), 13 septembre 2006, R.G.C.F., 2007, p. 207 ; Bruxelles, 13 juin 2008, J.D.F.,
2009, p. 356.
Cass., 12 décembre 2008, R.G. n° F.06.0111.N., R.G.C.F., 2010, p. 132, Pas., 2008, p. 2957, Courr. fisc., 2009, p. 487,
note W. DEFOOR, p. 488.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du groupe
de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier 2010, p. 262.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du
groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier
2010, pp. 262-264.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Cette disposition nouvelle n’a pas d’incidence sur la
poursuite pénale des faits de fraude fiscale, dès lors
qu’elle ne constitue qu’un moyen de preuve à l’avantage de l’administration fiscale envers laquelle n’est
pas opposable l’acte juridique ni l’ensemble d’actes
juridiques réalisant une même opération lorsque
cette même administration démontre par présomptions ou par d’autres moyens de preuve admissibles
qu’il y a abus fiscal.
L’article 322 du C.I.R. a en effet été modifié, par
plusieurs dispositions légales de 2011, 2012 et
2013 (61), en ce qu’il détermine les obligations de renseignement qui pèsent sur les tiers, en ce compris les
banques, lorsque l’administration dispose dans le
cadre de l’enquête d’un ou de plusieurs indices de
fraude fiscale ; il y est question d’une obligation de
communiquer certains renseignements à un point de
contact central tenu par la Banque nationale de Belgique ; la modification de l’article 333 du C.I.R. est
aussi intervenue en ce que l’administration doit informer le contribuable de l’indice ou des indices de
fraude fiscale et qui justifient une demande de renseignements auprès d’un établissement financier (62).
La Cour constitutionnelle, rejetant le recours en annulation, vient de rappeler l’objet limité de cette disposition qui permet à l’administration fiscale de requalifier dans son ensemble une opération qui a été
artificiellement décomposée en actes distincts : « la
disposition anti-abus est une règle de procédure relative à l’administration de la preuve qui permet
l’établissement factuel de la base imposable » (59).
Il convient de rejoindre l’appréciation de la doctrine
qui considère que le secret bancaire fiscal belge,
jusqu’ici préservé en matière d’impôts sur les revenus, a vécu.
Il demeure que si tel est l’enseignement classique,
d’aucuns craignent que cette notion d’abus fiscal qui
étend la base imposable soit utilisée pour soutenir
aussi des poursuites administratives ou pénales du
chef de fraude fiscale (60).
Ces modifications qui ont une réelle incidence à la
fois dans le domaine fiscal mais aussi pénal alimenteront assurément mieux la teneur des dossiers pénaux
de fraude fiscale, les mécanismes d’information croisée entre administration fiscale et ministère public
ayant été rendus plus performants (63).
19) Recommandation 34 : en finir avec le secret
bancaire fiscal.
La Commission considère que le secret bancaire tel
qu’organisé en Belgique, constitue un véritable obstacle à une lutte efficace contre la fraude fiscale et recommande, dès lors, de modifier la législation afin de
permettre à l’administration d’interroger les banques
lorsqu’elle dispose d’un ou de plusieurs indices que des
revenus n’ont pas été déclarés. Cette adaptation se fera
dans l’esprit des règles européennes et concernera notamment tout ou partie des articles 318, 322 et 323 du
C.I.R., sans préjudice de l’application de l’article 333
du C.I.R. (obligation d’avertir dans certains cas le
contribuable qu’on lève l’obligation de discrétion).
(60)
(61)
(62)
(63)
(64)
La levée du secret bancaire en matière fiscale sert
également la répression pénale de la fraude fiscale,
même si, en procédure pénale, l’article 46quater du
C.i.cr. permet au procureur du Roi et au juge d’instruction de récolter tous renseignements sur les
comptes bancaires auprès des banques et établissements de crédit, parfois même en temps réel via une
méthode d’observation, avec faculté de blocage temporaire ; le même article prévoit une sanction pénale
contre la personne qui refuse de prêter son concours
à ces méthodes de recherche (64).
Cour const., 30 octobre 2013, n° 141/2013, B.15.3.
Th. AFSCHRIFT, L’abus fiscal, Bruxelles Larcier, 2013, pp. 169-180 ; V.-A. DE BRAUWERE et G. DE FOY, « Abus fiscal en
ingénierie patrimoniale : le tigre de papier », Rec. gén. enr. et not., 2012, pp. 297-314 ; S. SEGIER, « Abus fiscal : commentaire autour des deux premières circulaires ministérielles et essai d’approche méthodologique », Rev. gén. fisc., 2012,
pp. 14-24 ; M. BOURGEOIS, « L’abus fiscal et la planification patrimoniale », Act. fisc., 2012, pp. 1-7.
De nombreuses propositions de loi avaient été déposées, sans connaître un aboutissement, ainsi Doc. parl., Chambre, doc.
nos 53.0095/001, 53.0130/001, 53.1185/001 et 53.1189/001.
Th. AFSCHRIFT, La levée du secret bancaire fiscal, Bruxelles, Larcier, 2011, 252 p. ; J.-P. BOURS, « Le secret bancaire fiscal
en Belgique : un état des lieux », J.T., 2012, pp. 205-218 ; P. MALHERBE et M. BEYNSBERGER, « Les nouvelles limites du
secret bancaire en droit fiscal belge », R.G.C.F., 2012, pp. 51-71.
Voy. aussi, en marge du nouvel article 29, al. 2 et 3, du C.i.cr. et des nouveaux articles 462 du C.I.R. et 74ter du CTVA,
les facilités nouvelles quant à la consultation du dossier répressif et la possibilité d’en prendre copie. Les codes fiscaux prévoient que le ministère public est dorénavant directement compétent en vue d’autoriser la consultation et l’éventuelle
copie du dossier par les fonctionnaires fiscaux (article 327, § 1er, du C.I.R. 1992).
F. LUGENTZ, « L’article 46quater C.I.C. ou la réglementation inachevée des recherches bancaires », J.T., 2005, pp. 745752 (l’étude concerne l’article 46quater C.I.C. avant sa modification par la loi du 27 décembre 2005, mais la plupart de
ses analyses restent d’actualité) ; L. K ENNES , Manuel de la preuve en matière pénale, Kluwer, 2009, pp. 273-276 ;
M. PREUMONT, « Les informations bancaires et l’interception des communications », L’enquête, les poursuites et les sanctions, Anthemis, 2011, pp. 121-130. Pour des renseignements sur la coopération judiciaire entre les États membres de
l’Union européenne en matière d’informations sur les comptes bancaires, voy. S. DE BIOLLEY, V. SANTAMARIA, L. SURANO,
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(59)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 17 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
17
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 18 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Il a été observé (65) que la coexistence d’investigations
fiscales (avec obligation du contribuable de collaborer) et pénales (avec droit au silence pour le contribuable suspecté) n’est pas interdite par le principe
« una via », seul le cumul de sanctions fiscales et pénales l’étant : la combinaison des pouvoirs respectifs
de recherche reste donc d’actualité, tout en générant
des conflits procéduraux.
À n’en pas douter, cette recommandation a été complètement suivie d’effet et constitue, de notre point
de vue, une avancée majeure dans la lutte, plus fiscale
que pénale, contre la fraude fiscale. Il ne sera pas
perdu de vue que, suite à un compromis politique, la
suppression du secret bancaire fiscal belge a été
compensée par l’adoption du régime étendu de la
transaction pénale (art. 216bis du C.i.cr.), spécialement dans le domaine économique, social et financier (66).
20) Recommandation 35 : allongement de 5 à
7 ans du délai fiscal de prescription.
La Commission recommande l’allongement des délais de prescription en matière fiscale, tout en
constatant que la majoration de 5 à 7 ans avait déjà
été traduite dans les textes légaux (article 354 du
C.I.R.).
La réforme « una via » issue de la loi du 20 septembre 2012 a aussi prévu une nouvelle cause de suspension de la prescription de l’action en recouvre-
(65)
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(66)
18
(67)
(68)
(69)
(70)
ment et de l’exigibilité de l’accroissement d’impôt
et/ou des amendes fiscales en cas d’exercice de l’action publique par le ministère public.
Ces dispositions fiscales font écho à l’allongement
des règles de prescription en matière pénale fiscale
dont il a déjà été question.
21) Recommandations 36 et 37 : possibilité de
transaction fiscale pénale.
La Commission regrette l’absence d’un système efficace, permettant d’arriver à des accords aux termes
desquels l’administration propose aux contribuables
le paiement de l’impôt plus une somme déterminée
et renonce à toute poursuite pénale.
Observons que les accords avec le fisc ont toujours
existé (67) et que notre législateur a adopté des régimes successifs de déclaration libératoire unique et
autres procédures de régularisation fiscale (68).
L’objectif a été atteint par l’élargissement des possibilités de transaction pénale par l’effet des lois des
14 avril 2011 et 11 juillet 2011 ayant réécrit l’article 216bis du C.i.cr. (69) : l’avancée majeure est,
d’une part, que cette transaction pénale peut désormais éteindre les poursuites pénales même pour des
crimes correctionnalisables, notamment le faux en
écritures, et, d’autre part, que cette transaction pénale peut même intervenir alors que le dossier pénal
est à l’information, à l’instruction ou en traitement
devant les juridictions de fond (70).
G. VERNIMMEN-VAN TIGGELEN et A. WEYEMBERGH, « La phase pré-sentencielle et l’obtention de la preuve », L’enquête, les
poursuites et les sanctions, Anthemis, 2011, pp. 48-51.
A. LECOCQ et E. CECI, « Réforme Una Via : le dessus de l’iceberg », Dr. pén. entr., 2013, p. 16.
M. FRANCHIMONT, A. JACOBS et A. MASSET, Manuel de procédure pénale, Bruxelles, Larcier, 4e éd., 2012, pp. 103 et s. A.
MASSET et M. FORTHOMME, « La transaction pénale de droit commun. La culture judiciaire belge garde-t-elle son
âme ? », Justine, n° 33, Association syndicale des magistrats, 2012, pp. 9-14 ; C. FAGNOULLE et M. FORTHOMME, « La
transaction en matière pénale », Postal Mémorialis – Lexique du droit pénal et des lois spéciales, T. 110, éd. Kluwer, 2013 ;
D. HOLZAPFEL, « Une petite révolution du régime de la transaction pénale », in F. ROGGEN (dir.), Actualités en droit pénal,
UB3, vol. 34, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 67-88 ; E. DE FORMANOIR, « L’extension de la transaction pénale par les lois
des 14 avril et 11 juillet 2011 », Rev. dr. pén., 2012, pp. 245-276 ; M. FERNANDEZ-BERTIER, « Analyse critique de l’extension du régime de la transaction pénale en droit belge », in A. JACOBS et A. MASSET (dir.), Actualités de droit pénal, C.U.P.,
vol. 128, Anthemis, 2011, pp. 203-242 ; M. FERNANDEZ-BERTIER et A. LECOCQ, « L’extension de la transaction pénale en
droit belge : une évolution en demi-teinte », Dr. pén. entr., 2011, liv. 3, pp. 219-238 ; D. VANDERMEERSCH, « L’extension
du champ de la transaction pénale : une réforme qui suscite des questions », J.T., 2011, pp. 669-672 ; R. VERSTRAETEN,
« De verruiming van de minnelijke schikking », in Geboeid door het strafrecht. De advocaat en de strafrechtspleging, Bruxelles,
Larcier, 2011, pp. 59-83 ; F. LUGENTZ, « Actualités législatives – Transaction pénale : la circulaire commune n° 6/2012
(du 30 mai 2012) du ministre de la Justice et du collège des procureurs généraux près les cours d’appel relative à l’application de l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, Dr. pén. entr., 2012, pp. 211 à 217 ; A. MASSET, « La transaction
pénale belge », in A. JACOBS (dir.), Les alternatives au procès pénal, L’Harmattan, Paris, 2013, pp. 195-212.
Il est connu que l’article 9 de l’arrêté du Régent du 18 mars 1831 autorise le ministre des Finances (les directeurs régionaux par délégation) à réduire ou annuler des amendes administratives et accroissements d’impôts dans le cadre d’un
accord avec le contribuable. Voy. aussi la teneur des recommandations 63 et 64 à propos du droit de grâce à retirer au
ministre des Finances. Adde le nouveau barème fixé par l’arrêté royal du 24 septembre 2013 en exécution de l’article 445
du C.I.R. (M.B., 30 septembre 2013).
Voy. les lois successives, depuis celle du 31 décembre 2003 jusqu’à celle du 11 juillet 2013 (en vigueur jusqu’au 31 décembre
2013), en matière de déclaration libératoire unique et de régularisation fiscale ; A. LECOCQ, S. SCARNA, N. KUMPS et E. CECI,
« Nouvelle procédure de régularisation fiscale : analyse de la loi du 11 juillet 2013 », J.T., 2013, pp. 689-695.
Voy. les références citées dans une note précédente.
Pour quelques exemples concrets d’application, voy. A. MASSET, « La transaction pénale belge », in A. JACOBS (dir.), Les
alternatives au procès pénal, L’Harmattan, Paris, 2013, pp. 207-209.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Les droits du Trésor sont sauvegardés (71) dans la mesure où il dispose d’un véritable droit de véto, avec
certitude de percevoir son dû, ce qui est évidemment
primordial pour le crédo budgétaire que s’était assigné la Commission : l’article 216bis, § 6, du C.i.cr.
énonce en effet :
maximum atteint, par application de l’article 41bis
du Code pénal, le montant de 6.000.000 EUR.
Bien plus, par l’effet de la loi du 17 juin 2013 portant
des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable, l’article 449 du C.I.R. a été modifié par l’adjonction
d’un second paragraphe portant le maximum de la
peine d’emprisonnement de 2 à 5 ans lorsque les infractions ont été commises dans le cadre de la fraude
fiscale grave, organisée ou non ; le maximum de
l’amende reste fixé à 500.000 EUR.
« Pour les infractions fiscales ou sociales qui ont
permis d’éluder des impôts ou des cotisations sociales, la transaction n’est possible qu’après le paiement des impôts ou des cotisations sociales éludés
dont l’auteur est redevable, en ce compris les intérêts, et moyennant l’accord de l’administration fiscale ou sociale ».
Sur le plan de l’appréciation de la mise en œuvre de
cette recommandation, il nous est d’avis que cette
recommandation a été entièrement suivie d’effet.
22) Recommandations 43 et 44 : harmonisation
des sanctions fiscales, d’une part, et des sanctions pénales, d’autre part.
Le souci d’égalité des citoyens devant la loi fiscale a
guidé cette recommandation pour ce qui concerne
les sanctions administratives fiscales où une assez
grande indépendance revient à l’administration cependant corsetée par un barème réglementaire dont
la Commission constate que son application peut
aboutir à des montants astronomiques, et, ajouterons-nous dans une perspective budgétaire, irrécupérables pour le Trésor.
Dans le cadre des nouvelles possibilités de transactions pénales dans le domaine économique, financier
et fiscal, et dans la mesure où l’autorité entre les
mains desquelles la transaction repose est le ministère, la ministre de la Justice et le collège des procureurs généraux ont adopté une circulaire pour uniformiser au sein de cet organe l’application pratique
de cette transaction pénale : ainsi est née la circulaire
COL 6/2012 du 30 mai 2012 (72). Celle-ci se limite à
indiquer que le montant de la transaction doit
prendre en compte la gravité de l’infraction en application du principe de proportionnalité, tout en précisant que le montant de la transaction, en cas d’infraction fiscale, devrait être fixé à 10 % ou 15 % des
impôts éludés selon qu’il s’agit d’un prévenu per-
Cette recommandation n’a pas été suivie d’effet.
Le souci de cohérence entre sanctions fiscales administratives et sanctions fiscales pénales imposait que
le montant de l’amende pénale d’un maximum de
125.000 EUR soit relevé.
Cette recommandation a été suivie d’effet par la loi
du 20 septembre 2012 qui assure une modification
des articles 449 et 450 du C.I.R. qui prévoient désormais une peine d’amende avec un maximum de
500.000 EUR, portée, par le jeu nouveau des décimes additionnels (art. 457, § 2, du C.I.R.), à
3.000.000 EUR ; observons que si l’auteur de l’infraction est une personne morale, la peine d’amende
(72)
S. VAN DUERM, « Transaction pénale, côté fiscal », R.G.C.F., 2012, pp. 351-356.
Cette circulaire est publiée sur le site internet du ministère public : http://www.om-mp.be/circulaires.html. Adde le commentaire de F. LUGENTZ, « Actualités législatives – Transaction pénale : la circulaire commune n° 6/2012 (du 30 mai
2012) du ministre de la Justice et du collège des procureurs généraux près les cours d’appel relative à l’application de
l’article 216bis du Code d’instruction criminelle », Dr. pén. entr., 2012, pp. 211 à 217.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
L’augmentation du maximum de la peine d’emprisonnement n’est pas sans importance puisqu’elle fait
désormais entrer la fraude fiscale grave, organisée ou
non, dans le champ d’application possible de l’incrimination d’organisation criminelle : l’article 324bis
du Code pénal qui sanctionne l’organisation criminelle requiert notamment le but de commission
d’infractions punissables d’une peine égale ou supérieure à trois années d’emprisonnement. Par un jeu
de dominos, il s’observe encore que l’infraction
d’organisation criminelle est de celle qui permet les
devoirs d’enquête les plus sévères (méthodes particulières de recherche les plus sévères : contrôle visuel discret, observations avec moyens techniques et
vue dans une habitation, infiltration, autorisation
pour un indicateur de commettre des infractions,
écoute directe dans une habitation ou un lieu privé ;
écoutes téléphoniques, témoignage anonyme complet) ; la qualification d’organisation criminelle ainsi
retenue dans tel dossier d’information ou d’instruction n’est pas sans incidence procédurale dans le
souci d’accroître les pouvoirs policiers.
Pour ce qui est des dossiers faisant l’objet du seul
traitement fiscal, sans prolongement pénal, l’accord
transactionnel à conclure avec l’administration fiscale a le même effet, depuis l’adoption de la règle
una via déjà décrite.
(71)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 19 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
19
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 20 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
sonne physique ou personne morale, en invitant à
retenir un montant supérieur si la transaction intervient durant l’instance d’appel. Il ne sera pas perdu
de vue que l’article 216bis, § 1er, al. 3, du C.i.cr. fixe
le maximum de la somme d’argent à payer au titre de
transaction au maximum de l’amende légale, majorée des décimes additionnels.
Sans autre critère, il nous est d’avis que cette recommandation n’a été qu’imparfaitement suivie d’effet.
23) Recommandation 46 : aggravation de la
peine pour la fraude fiscale grave et organisée.
La Commission appelait de ses vœux une aggravation de la peine pour sanctionner les faits de fraude
fiscale « grave et organisée » afin de la distinguer de
la fraude fiscale « ordinaire » (73).
Elle notait que cette dualité de notion existait, sur le
plan fiscal, dans la réglementation relative à la régularisation fiscale et dans la réglementation du volet
préventif du blanchiment, de même que, sur le plan
pénal, dans la répression du blanchiment.
À l’arrivée, il s’observe, pour le plan pénal, deux
avancées importantes.
Revue Générale du Contentieux Fiscal
D’une part, nous l’avons vu, les amendes pénales
pour fraude fiscale ont été augmentées de manière
spectaculaire par la loi du 20 septembre 2012 avec
un maximum de peine d’amende passant de
125.000 EUR à 3.000.000 EUR ; d’autre part, la
même loi, combinée avec la loi du 17 juin 2013 portant des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable, a
porté le maximum de la peine d’emprisonnement de
2 à 5 ans lorsque les infractions sont commises dans
le cadre de la fraude fiscale grave, organisée ou non.
20
Rappelons que cette aggravation des peines ne peut
pas intervenir de manière rétroactive, puisque l’article 2 du Code pénal interdit la rétroactivité des lois
pénales plus sévères (74) : les nouvelles dispositions légales ne peuvent donc appréhender que les infractions commises après l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions (à savoir le 8 juillet 2013, la loi du
17 juin 2013 ayant été publiée au Moniteur belge du
28 juin 2013 sans modalités particulières d’entrée en
vigueur).
(73)
(74)
(75)
(76)
(77)
D’autre part, aussi bien dans le volet préventif (75) que
répressif (76) du blanchiment, la loi du 15 juillet 2013
portant des dispositions urgentes en matière de lutte
contre la fraude, a remplacé la notion de « fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale » par celle, moins restrictive, de
« fraude fiscale grave, organisée ou non ». Ici aussi,
dans le domaine pénal, l’article 2 du Code pénal impose sa solution de non-rétroactivité de la nouvelle
loi pénale en l’espèce plus sévère.
Il nous est d’avis que la recommandation a été suivie
d’un effet plus large que ce qui fut demandé par elle,
dès lors que la répression accrue s’exerce envers les
cas de fraude fiscale grave, organisée ou non.
VII. Les constatations
et recommandations tenant
aux conseillers et intermédiaires
24) Recommandations 48 à 52 : obligation de
collaboration par dénonciation et mesures envers les conseillers et intermédiaires fiscaux.
La Commission s’est convaincue, au départ assurément de quelques exemples isolés, vérifiés ou non,
que les conseillers financiers (avocats, notaires,
conseillers fiscaux, intermédiaires bancaires,…)
jouaient ou étaient accusés de jouer un rôle moteur
dans l’ingénierie fiscale frauduleuse.
Se sont enchaînées plusieurs recommandations dont
aucune n’a été suivie d’effet :
– l’obligation imposée à ces professionnels d’informer les autorités de la mise en place, par leurs
clients, de structures fiscales dans des paradis fiscaux ou de dénoncer à la CETIF les fraudes fiscales organisées : pareille obligation n’a jamais été
étendue au-delà de ce qu’exige et permet la loi du
11 janvier 1993 préventive du blanchiment, spécialement, pour les avocats, à la lumière des arrêts
de la Cour constitutionnelle et de la Cour européenne des droits de l’homme privilégiant le respect du secret professionnel dans les activités qui
relèvent de la mission de défense confiée aux avocats (77) ;
A. LECOCQ, « Fraude fiscale grave, organisée ou non : moneat lex priusquam ferit », Dr. pén. entr., 2014/1, pp. 15-27.
F. KUTY, Principes généraux du droit pénal belge, t. 1, La loi pénale, Bruxelles, Larcier, 2e éd., 2009, pp. 253-342.
Loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et
du financement du terrorisme.
Article 505 du Code pénal.
De manière la plus récente, voy. les points de vue opposés de F. DELEPIERRE et de G.-A. DAL sous Cour eur. D.H.,
6 décembre 2012, Michaux c. France, J.L.M.B., 2013, p. 25. D. GRISAY, « Dénoncer ou ne pas dénoncer, telle est la question », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 153168.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
– l’aggravation des peines, rendues obligatoires,
contre ces professionnels et, en cas de poursuites
administratives, l’application de sanctions administratives : les articles 446 à 448 et 455 du C.I.R.
n’ont pas été modifiés à ce jour (78) ;
La Commission, pour répondre à un souci d’accélération de la procédure fiscale, recommande d’accorder aux fonctionnaires fiscaux un accès systématique
aux dossiers pénaux faisant apparaître des indices de
fraude (83).
– la révision du statut de magistrats suppléants dont
certains sont avocats fiscalistes qui pourraient être en
prise avec un conflit d’intérêts : il n’y a pas loin du fantasme à la recommandation parlementaire (79) (80) ou à
la dérive journalistique (81) ; doit-il être rappelé que la
fonction de magistrat suppléant est un service rendu à
l’ordre judiciaire et non à l’avocat qui preste gratuitement ce service.
Cette recommandation a été suivie d’effet grâce à
l’adoption de la loi du 14 janvier 2013 portant des
dispositions fiscales et autres en matière de justice
qui a modifié le libellé de l’article 327, § 1 er ,
du C.I.R. : est désormais suffisante l’autorisation du
« ministère public » et non plus de celle du « procureur fédéral, du procureur général ou de l’auditeur
du travail ».
Aucune de ces recommandations n’a été suivie
d’effet.
IX. Les constatations
et recommandations tenant
à l’organisation des services
de police
Le groupe de travail composé de quatre professeurs
(fiscalistes) d’université constitué afin de suivre le
processus d’actualisation de la charte du contribuable à la lumière des recommandations de la
Commission d’enquête parlementaire a eu une approche radicalement différente : il suggère, d’une
part, que la responsabilité solidaire des conseillers
du contribuable (article 458 du C.I.R.), épouvantail
dont la Commission d’enquête ne souffle mot, soit
limitée aux actes d’intervention concrète dans les
opérations de fraude, d’autre part, que, pour le
conseil passif, cette responsabilité soit limitée à un
multiple des honoraires perçus, et, enfin, qu’une
clause de hardship à la mode hollandaise soit
prévue (82).
26) Recommandations 76 à 84 : renforcement
des équipes spécialisées d’enquêteurs.
Sur le registre du manque de capacité policière, la
Commission a rassemblé une série de recommandations appelant à :
– l’augmentation de la capacité d’appui policier
auprès de l’OCDEFO et auprès des services judiciaires d’arrondissement ;
– l’amélioration de la formation des fonctionnaires
et enquêteurs avec revalorisation du statut ;
VIII. Les constatations
et recommandations tenant
à l’organisation
de l’administration
– le renforcement de la concertation entre administration fiscale et parquets et juges d’instruction
sur les besoins de capacité policière ;
– le recours à des experts externes en appui des enquêteurs.
25) Recommandation 75 : accorder aux fonctionnaires fiscaux un accès systématique aux
dossiers pénaux.
(79)
(80)
(81)
(82)
(83)
L’appréciation de la traduction effective de ces recommandations échappe à nos compétences.
N’a pas été accueillie à ce jour la proposition de loi visant à compléter le système « una via » par le renforcement des sanctions contre les intermédiaires fiscaux liés à des fraudes et à des planifications fiscales agressives reposant sur des violations
des règles fiscales ou déontologiques (Doc. parl., Chambre, 5 avril 2013, doc. n° 53.2738/001).
Voy. aussi la recommandation 58.b. de la Commission pour l’édition, par l’administration, d’une revue fiscale belge à la
gloire de l’interprétation administrative.
Cette même défiance, cette fois pour des motifs de spécificité de la procédure et de haute confidentialité des informations,
a inspiré le législateur dans la matière du contrôle, par les chambres des mises en accusation, des méthodes particulières
de recherche (article 235ter du C.i.cr.) ; les conseillers suppléants ne peuvent pas composer le siège de cette juridiction
appelée à exercer ce contrôle (article 102, § 1er, al. 3, du C. jud.).
Voy. à propos du journal Le Vif, l’incident relaté par R.G.C.F., 2008, p. 353, sanctionné par la responsabilité civile du
journaliste et du périodique par Civ. Bruxelles, 9 mars 2009, A&M, 2011, p. 81, note B. DELBECKE et J.D.F., 2011, p. 45.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du
groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier
2010, p. 259.
C. BARBIER, « Het strafonderzoek : een goudmijn voor de fiscale administratie », in M. MAUS et M. ROZIE (éds), Actuele
problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, pp. 649-682.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(78)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 21 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
21
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 22 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
X. Les constatations
et recommandations tenant
à la dimension internationale
Les recommandations émises dans ce volet
(échange d’informations et accords de coopération administrative (84), révision des conventions
préventives de la double imposition, création
d’une task-force « paradis fiscaux »,…) ne concernent pas l’approche pénale (85) de la lutte contre la
fraude fiscale.
XI. Les constatations
et recommandations tenant aux
enquêtes parlementaires
Les recommandations émises dans ce volet (accès
aux dossiers de procédure à caractère civil) ne
concernent pas l’approche pénale de la lutte contre
la fraude fiscale.
XII. Les constatations
et recommandations tenant
aux suivis
Les recommandations émises dans ce volet consacré
au suivi par la Cour des comptes (audit sur l’administration fiscale) ne concernent pas l’approche pénale
de la lutte contre la fraude fiscale, tandis que celles
émises quant au suivi des travaux nous intéresse, audelà de rapports annuels, en ce qu’elles invitent le
gouvernement à établir chaque année lors de la
confection du budget une liste des mesures visant à
combattre la fraude fiscale, à améliorer la perception
des impôts et visant à améliorer la gestion des services du SPF Finances (plan anti-fraude).
(84)
Revue Générale du Contentieux Fiscal
(85)
22
(86)
(87)
(88)
(89)
XIII. Les constatations
et recommandations non faites
par la Commission d’enquête
parlementaire mais faites
par le groupe de travail charte
du contribuable et/ou par le plan
d’action du collège pour la lutte
contre la fraude
Un groupe de travail composé de quatre professeurs
(fiscalistes) d’université a été constitué afin de suivre
le processus d’actualisation suggérée de la charte du
contribuable à la lumière des recommandations de la
Commission d’enquête parlementaire (86) : parcourant le rapport de ce groupe de travail pour ce qui
concerne le volet pénal, nous observons qu’il s’exprime fort à propos relativement aux problématiques suivantes, non abordées par la Commission
d’enquête parlementaire :
a) Imposition ou confiscation : d’une part, le groupe
de travail est soucieux d’éviter une double peine et
suggère que la procédure fiscale se clôture par un
enrôlement d’impôt tandis que la procédure pénale
se clôture, en cas de culpabilité, par une confiscation
du montant correspondant à l’impôt ; on se rappellera l’émoi généré par les conclusions de l’avocat général Spreutels précédant l’arrêt de cassation du
22 octobre 2003 lorsqu’il évoquait le cumul légalement possible entre amende pénale, paiement de
l’impôt éludé et confiscation du montant correspondant à l’impôt en tant qu’avantage patrimonial tiré
directement de l’infraction fiscale, ne trouvant un
possible salut qu’au travers de l’équité (87) ; on évoquera aussi les demandes du plan d’action pour une
exécution plus efficace et plus effective de la confiscation (88), dont l’instauration d’une enquête pénale
d’exécution dont nous avons dénoncé les dérives (89) ;
Voy. notamment le projet de loi portant assentiment au Protocole d’amendement à la Convention concernant l’assistance
administrative mutuelle en matière fiscale, fait à Paris le 27 mai 2010, Doc. parl., Chambre, doc. n° 53.3114/001, adopté
au Sénat et transmis à la Chambre le 8 novembre 2013.
L. HUYBRECHTS, « Internationale en Europese wederzijdse rechtshulp in fiscale strafzaken in Belgisch perspectief », in
M. MAUS et M. ROZIE (éds), Actuele problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, pp. 307-352.
Ce groupe de travail a déposé son rapport en septembre 2009 ; voy. J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier 2010, pp. 253-274.
Cass., 22 octobre 2003, J.L.M.B., 2004 avec obs. F. ROGGEN et concl. av. gén. Spreutels ; J.T., 2004, p. 54 avec concl.
min. publ. et obs. E. BOIGELOT ; R.C.J.B., 2005, p. 83 avec note M.-A. BEERNAERT. Voy. A. MASSET et P. MONVILLE,
« La peine de confiscation et les autres sanctions », in A. RISOPOULOS (dir.), Les avocats face au blanchiment, Bruxelles, Larcier, 2011, pp. 191-192. J. ROZIE, « Bijzondere verbeurdverklaring in fiscale zaken », in M. MAUS et M. ROZIE (éds),
Actuele problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, pp. 627-648.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 204-205.
Projets de loi portant des mesures diverses relatives à l’amélioration du recouvrement des peines patrimoniales et des frais
de justice en matière pénale (I et II), Doc. parl., Chambre, 53/2934 et 2935, votés à la Chambre le 12 décembre 2013 et au
Sénat le 30 janvier 2014 et publiés comme lois du 11 février 2014 (I) et (II) portant des mesures diverses visant à améliorer
2014/1
Janvier
—
Février
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
d’autre part, il ne peut être question de confiscation
efficace que si cette sanction a été préparée, au stade
préliminaire, par une saisie, ce qui conduit le plan
d’action à proposer d’élargir, dans l’enquête administrative, la saisie conservatoire (90).
Ainsi, y est-il aussi suggéré d’accroître les possibilités de détection des faillites frauduleuses, de réévaluer la loi du 4 mai 1999 instaurant une responsabilité pénale des personnes morales dont l’application
ferait la part belle aux personnes physiques (95) ,
d’étendre la création et les possibilités de consultation de divers fichiers informatisés, et d’améliorer la
coopération internationale.
b) Abandon de la jurisprudence classique en matière d’usage de faux : la solution issue de l’arrêt,
déjà cité dans les premières lignes de cette contribution, de la Cour de cassation du 21 mai 2008 est
qualifiée d’absurde par ce groupe de travail qui préconise de déterminer que seul un acte positif
d’usage du faux peut être de nature à en maintenir
les effets ; le groupe de travail observe que, même
dans ce cas, le délai de prescription est de toute façon de douze ans (lire dix ans) (91) ; par contre, le
plan d’action propose la consécration légale de la
jurisprudence de la Cour de cassation (92).
En janvier 2013, J. Crombez, secrétaire d’État à la
lutte contre la fraude sociale et fiscale, a présenté le
premier rapport de suivi concernant le plan d’action
contre ladite fraude comprenant pour l’essentiel un
état des lieux décernant des cartons, vert, orange ou
rouge aux diverses thématiques selon le degré
d’avancement du chantier de réforme (96).
XIV. Conclusions
Il nous revient aussi de considérer les autres dispositions, parfois originales, énoncées par le Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la
fraude fiscale et sociale (93), et qui intéressent le domaine pénal.
Tel un médecin se penchant sur son patient malade,
la Commission d’enquête parlementaire sur les
grands dossiers de fraude fiscale a cru pouvoir isoler
54 constatations qui l’ont amenée à rédiger une
prescription médicale forte de 108 recommandations dont beaucoup intéressent le pénaliste.
Ainsi, y est-il suggéré d’examiner :
– les données d’identité, dont les attestations gestion, des administrateurs ou des gérants de sociétés (94) afin de traquer les hommes de paille ;
– les activités réelles des entreprises afin de traquer
les sociétés fictives, dormantes ou coquilles vides criminogènes.
(91)
(92)
(93)
(94)
(95)
(96)
(97)
le recouvrement des peines patrimoniales et des frais de justice en matière pénale, au Moniteur belge du 8 avril 2014. Voy.
l’avis critique rendu par P. M ONVILLE , M. G IACOMETTI et A. M ASSET pour avocats.be, La Tribune, 2013, n° 40,
octobre 2013, 11 p.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 173-174. P. WAETERINCKX, « Het besalg in (fiscale) strafzaken », in M. MAUS et M. ROZIE (éds), Actuele
problemen van het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, pp. 567-626.
J. MALHERBE, « Réflexions à la suite de l’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale et du rapport du
groupe de travail ‘Actualisation de la charte du contribuable’ », in Les dialogues de la fiscalité. Anno 2010, Bruxelles, Larcier
2010, p. 258.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, p. 175.
C. HARTMAN, « Synthèse du Plan d’Action 2012-2013 du collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale (secrétaire
d’État : John Crombez) », in D. GRISAY (dir.), De la lutte contre la fraude à l’argent du crime. État des lieux, Bruxelles, Larcier, 2013, pp. 190-208 pour ces dispositions transversales.
Le plan propose aussi de revoir la réglementation de l’interdiction de « commercialité » prévue par l’arrêté royal n° 22 du
24 octobre 1934.
Cette remarque est peu pertinente car l’immunité en question ne peut intervenir qu’en cas de faute la moins grave, notion
exclusive de la problématique de la lutte contre la fraude fiscale grave, organisée ou non.
Rapport de suivi n° 1 de ce plan, janvier 2013, sur le site http://www.samenaanhetwerk.be.
Ceux-ci sont même appréciés, en page 257 du rapport de la Commission d’enquête, comme s’étant parfois livrés une véritable « guerre des administrations » comme au mauvais vieux temps de la « guerre des polices », elle-même éradiquée par
la réforme de la loi du 22 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
Le mal paraît à ce point sérieux que la Commission
d’enquête parlementaire n’avait pas hésité à égratigner le personnel médical et infirmier qui,
jusqu’alors, s’occupait du patient : la Commission a
déploré, à chaque niveau de pouvoir, des acteurs insuffisamment formés et en manque de spécialisation,
que ce soit à propos des enquêteurs du fisc (97) ou des
services de police, des magistrats du ministère
– le siège social des sociétés afin de traquer les
boîtes postales criminogènes ;
(90)
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 23 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
23
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 24 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
public, des juges d’instruction et des juges correctionnels (98).
cipe « una via », peut être de nature à faire respecter
cet impératif.
La Commission d’enquête a vu son diagnostic et sa
prescription médicale appréciés, parfois avec sévérité, par quatre spécialistes qui travaillaient en
groupe de travail alors qu’elle a trouvé plus d’écho
auprès d’un secrétaire d’État armé d’un plan d’action
d’un collège pour la lutte contre le mal identifié.
Cet écueil se trouve décuplé par la constatation que
la Commission d’enquête parlementaire entend
donner de plus en plus de pouvoirs d’enquête aux
fonctionnaires du fisc, pouvoirs jusqu’alors réservés
à la sphère judiciaire avec les garanties légales
connues : pouvoir de perquisition et de saisie à reconnaître aux fonctionnaires du fisc avec qualité
d’officier de police judiciaire, pouvoir d’injonction
positive du ministre, obligation pour les professionnels du conseil et du chiffre de devenir des auxiliaires
fiscaux,… : si ces mesures peuvent être soumises à
débat, c’est sous le préalable qu’il ne peut être question de faire l’impasse sur des principes généraux et
fondamentaux qui se nomment séparation des pouvoirs, égalité des parties pour assurer l’équité du
procès,…
Après bientôt cinq années de traitement, comment
se porte le patient ?
Quelques solutions de fortune, emplâtres sur une
jambe de bois, quelques médicaments trop onéreux
ou inaccessibles, quelques renoncements philosophiques, mais aussi, touche d’espoir, quelques remèdes sérieux dont les effets secondaires, telle la
pharmacopée, doivent encore être mesurés.
Au rang de ces remèdes sérieux, citons, dans le domaine pénal, certes l’adoption de la règle « una
via », l’accroissement des sanctions, mais aussi et
surtout l’entrée en vigueur de la transaction élargie
en matière pénale couplée, par un marchandage politique, à la condamnation, plus symbolique qu’efficace, des dispositions protégeant le secret bancaire
qui, en réalité, n’en avait plus que le nom.
Revue Générale du Contentieux Fiscal
Observons que ces remèdes à large spectre sont précisément de ces mesures les plus efficaces pour faire
rentrer l’argent : « la justice au service du budget »
semble en effet le leitmotiv qui a animé les travaux
de la Commission d’enquête parlementaire, alors
que précisément la justice ne s’apprécie pas à la
quantité de peines prononcées ou de sommes confisquées : ne lit-on pas dans le rapport de la Commission d’enquête parlementaire que la mesure décrite
à cet endroit s’inscrit « toujours dans le but de récupérer le plus d’argent possible pour l’État belge » (99).
24
Cette perspective n’est pas sans danger dès lors que
les moyens mis à la disposition de l’administration
fiscale avec l’obligation du contribuable de coopérer
se heurtent avec le droit de ne pas collaborer qui
profite au contribuable suspecté de fraude fiscale (100) : seule une application étanche, nous y insistons, des procédures fiscale et pénale, avec le prin(98)
(99)
(100)
(101)
Dans le même temps, nombre de réformes de procédure pénale sont remises en cause au nom du ralentissement de la procédure, sans offre, réelle, de la
Commission d’enquête parlementaire de proposer
un système permettant quand même à la défense des
suspects inculpés de faire valoir leurs moyens, même
si prévaut l’idée budgétaire, qui n’a que peu de place
dans la recherche de justice, que temps qui passe est
perte d’argent (101).
L’accroissement des pouvoirs d’enquête voulus pour
les fonctionnaires du fisc traduit de la sorte une
montée en puissance du pouvoir exécutif qui se
double d’un constat identique avec le développement du rôle du parquet, membre aussi du pouvoir
exécutif, au détriment des juges d’instruction et des
juridictions d’instruction, membres du pouvoir judiciaire.
Ainsi, la Commission d’enquête parlementaire suggère-t-elle au parquet de privilégier la mini-instruction, d’autant qu’elle entend la rendre possible pour
l’exécution de devoirs de perquisition, ce qui attribue plus de compétences au ministère public au détriment du juge d’instruction ; dans la même dynam i q u e , l e t r a n s f e r t d e c o m p é t e n ce s e n f i n
d’instruction de la chambre du conseil au parquet est
cité dans les options favorables de réforme.
Voy. en effet les constatations précédant les recommandations 19 à 23, 55 à 57, 77, 80 à 83.
Doc. parl., Chambre, doc. n° 52.0034/004, p. 234. Par contre, l’extinction des poursuites par le paiement d’une transaction
est, en droit pénal des affaires, systématiquement décriée par une certaine presse.
T. LITANNIE et P.-R. SCHREDER, « La procédure pénale fiscale », in F. STEVENART MEEUS (dir.), Manuel de procédure fiscale, Anthemis, 2011, pp. 530-533.
M. FRANCHIMONT, « Le temps de la justice – La grande délinquance d’affaires et la durée du procès pénal », in Une criminologie de la tradition à l’innovation – En hommage à Georges Kellens, Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 549-563 ; J. MEESE, De
duur van het strafproces. Onderzoek naar de termijn waarbinnen een strafprocedure moet of mag worden afgehandeld, Gand, Larcier, 2006, 468 p. A. MIHMAN, Juger à temps – Le juste temps de la réponse pénale, L’Harmattan, 2008, 601 p. Y. AGUILA
(dir.), Le temps, la justice et le droit, Presses univ. Limoges, 2004, 373 p.
2014/1
Janvier
—
Février
La mise bout à bout de ces recommandations
conduit ainsi à une prise de pouvoir par l’administration fiscale et le parquet au détriment des juges
d’instruction et des juridictions d’instruction dont
les heures paraissent, par ces considérations et
d’autres plus actuelles mais étrangères à la matière,
bel et bien comptées.
Au-delà de ce tableau pénal un peu sombre, quittons
le patient sur une note d’optimisme et d’espoir, méthode Coué ou automédication, en lisant dans le document de justification budgétaire du SPF Finances
pour l’année 2014 que « une attention particulière
est également portée à la communication interne et
externe. La nouvelle vision stratégique Coperfin vise
en effet un consentement accru des contribuables à
l’impôt. Cela implique des efforts accrus, d’une part,
au niveau de la communication interne pour l’instauration d’une nouvelle culture d’entreprise parmi
les fonctionnaires des Finances, d’autre part, au niveau de la communication externe vis-à-vis des
contribuables tant en matière de lutte contre la
grande fraude fiscale que sur le plan du CRM (citizen
relationship management) » (102) : pouvons-nous réellement croire que l’antidote idéal est le consentement accru des contribuables à l’impôt (103) ?
Ces propositions doivent aussi, dans le cadre de
l’examen d’un équilibre démocratique, être appréciées par comparaison au traitement administratif et
pénal qui est ou sera réservé aux autres phénomènes
criminels qui sont retenus comme prioritaires dans
la mise en œuvre de la politique criminelle : il ne
nous est pas d’avis que la lutte contre les vols à main
armée, la violence dans l’espace public, la vente de
stupéfiants, le trafic d’armes, le terrorisme, la violence intrafamiliale, la traite des êtres humains, la
criminalité informatique ou les cambriolages se
voient administrer pareil remède de cheval.
(102)
(103)
Doc. parl., Chambre, doc. n° 53.3072/012, 5 novembre 2013, p. 15.
Comp. J. VUCHELEN, « Economische analyse van fiscale fraude », in M. MAUS et M. ROZIE (éds), Actuele problemen van
het fiscaal strafrecht, Intersentia, 2011, pp. 1-24, ainsi que P. SMETS, « Les fraudeurs, boucs émissaires d’un système moribond », La Libre.be, Opinions, 27 septembre 2013.
2014/1
Janvier
—
Février
Revue Générale du Contentieux Fiscal
La mise en œuvre dans le domaine pénal des recommandations de la Commission d’enquête parlementaire
Doctrine
001_218957PVP_RGCF2014-1.fm Page 25 Mardi, 6. mai 2014 5:28 17
25