Aménager sa classe en ateliers : motifs et processus d

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Aménager sa classe en ateliers : motifs et processus d
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Aménager sa classe en ateliers :
motifs et processus d'innovation
par Anne GODENIR, chercheuse
au Service de Pédagogie Expérimentale
Professeur Marcel CRAHAY
Université de Liège
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Aménager sa classe en ateliers
Cet article est la note de synthèse d'un travail d'innovation réalisé dans le
cadre d'un projet de recherche conduit par le service de pédagogique expérimentale
et intitulé "Articulation de la classe ateliers et de la pédagogie du projet : vers un
modèle concret". Les institutrices qui ont participé à ce travail accueillent des enfants
de 2 ans ½ à 6 ans, réunis soit en groupes homogènes, soit en classe composite.
Elles pratiquent toutes les "ateliers", à une exception près, mais pas toujours avec un
égal bonheur.
INTRODUCTION
Le processus d'innovation adopté privilégie l'espace de la classe comme lieu
d'échanges. Sur la base des questions de l'institutrice et des problèmes qu'elle
rencontre, le chercheur présente des propositions d'aménagement. Ces propositions
sont souvent des solutions mises en oeuvre par d'autres institutrices dans des
contextes relativement similaires. Lorsque cela n'est pas possible, le chercheur et
l'institutrice recherchent ensemble des solutions originales. Dans une deuxième
étape, l'institutrice réalise les propositions concrètement, tout en prenant note des
écueils et réussites de l'entreprise. Deux ou trois semaines plus tard, à l'occasion
d'une nouvelle visite en classe, on fait le point sur l'essai et on décide de poursuivre
ou non dans la voie choisie, ou d'y apporter quelques modifications. Il arrive
fréquemment que l'institutrice réalise ces modifications avant l'arrivée du chercheur.
En bref, il ne s'agit pas tant d'exposer un modèle à suivre que de présenter une piste
d'innovation à reconstruire dans chaque contexte de classe. Chercheur et institutrice
se rencontrent ainsi à plusieurs reprises (trois ou quatre visites selon les classes).
L'avantage de cette démarche est qu'elle conduit à prendre une position proche
des préoccupations individuelles et toujours concrète. Elle autorise également la
confrontation de problématiques et de solutions abordées dans des contextes
particuliers et permet de dégager des lignes de forces transversales pour le
fonctionnement des classes en ateliers.
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Aménager sa classe en ateliers
FONDEMENTS THEORIQUES
A première vue, cette démarche apparaît tout à fait empirique. On teste ici des
solutions concrètes, observées dans d'autres contextes. Il faut pourtant préciser que
cette démarche s'appuie sur des connaissances théoriques à deux niveaux.
D'une part, du point de vue de l'innovation, elle s'appuie sur le modèle de T.R.
GUSKEY (1989) 1. On considère que le changement de conduites éducatives à long
terme s'opère moins en tentant de convaincre les enseignants du bien fondé d'une
nouvelle approche que par l’application mesurée d'un modèle pédagogique et
l'observation des modifications souhaitées dans le comportement des enfants. Dans
cette perspective, ce sont les effets des changements qui concourent à transformer
les opinions et attitudes des enseignants. En d'autre mots, ceux-ci sont davantage
déstabilisés dans leurs convictions par l'observation des comportements de leurs
propres élèves que par un discours démontrant la logique et la pertinence du
changement. Il est donc nécessaire que les nouvelles pratiques soient efficaces et
que les changements de comportements soient perçus par l'enseignant, sans quoi
celui-ci revient rapidement à ses conduites éducatives initiales.
D'autre part, les solutions proposées pour aménager les classes en ateliers ont
été construites dans le cadre de la première phase de la recherche, en collaboration
avec un petit groupe d'institutrices. Ces propositions de fonctionnement figurent
dans un document écrit 2. Celui-ci sert de support à l'innovation dans les classes où
l'institutrice préfère, pour commencer, réfléchir sur la base d'un écrit plutôt que de
discuter directement avec le chercheur.
La plupart des propositions ont été construites en se référant à la théorie
piagétienne de l'apprentissage. En outre, le souci de respecter les besoins des
enfants était particulièrement présent chez certaines institutrices. Ce souci ne
contrarie pas la référence théorique à Piaget. Au contraire, les deux niveaux de
réflexion convergent concrètement dans une organisation centrée en grande partie
sur le jeu. Il s'agit, pour enrichir l'environnement des enfants, de créer des lieux
d'expérimentation et d'action ludiques.
Dans ces activités ludiques, l'autonomie des enfants (condition sine qua non
du fonctionnement en ateliers) passe par le développement de "projets d'action"
souvent très simples (remplir une bouteille d'eau, construire une maison, ...).
1
T.R. GUSKEY (1989), “ Attitude and perceptal change in teachers. ” - International Journal of
Educational Research, 13, 1, 439-453.
2
“ Des projets d'action dans les ateliers à l'école maternelle ” - A. GODENIR. Service de Pédagogie
expérimentale. 1993.
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Aménager sa classe en ateliers
Les processus qui conduisent aux projets d'action varient selon que les enfants
se trouvent dans des ateliers tels que les jeux symboliques, les jeux d'eau, de sable,
de construction,...
Dans le cas des jeux de connaissance physique, le tâtonnement sans but
particulier provoque un effet que l'enfant cherche à reproduire : il a dès ce moment
un projet d'action (M. CRAHAY, A. DELHAXHE, 1990) 3.Ensuite, “ la reproduction
successive du même projet contribue donc à la stabilisation des actions et à leur
évolution ” (M. CRAHAY, 1988, p. 31).
Dans d'autres domaines, c'est l'expérience vécue avec l'institutrice et les
enfants qui est le moteur du projet. L'imitation de l'action d'autrui est un processus
fécond. L'institutrice peut attirer l'attention sur le projet de l'action d'un enfant. Il
arrive alors que les autres enfants s'approprient le projet et tentent d'obtenir les
mêmes résultats que ceux qu'ils ont observés.
Plus l'activité est structurée, plus l'institutrice a un rôle d'initiation. Dans les
jeux de table, qu'il s'agisse de loto, puzzles, dés, cartes, ... elle doit apprendre les
règles, faire comprendre l'enjeu. Ensuite, lorsque l'enfant est capable de jouer, il
peut décider de recommencer la partie. C'est seulement alors que l'on peut parler de
projet d'action. C'est également le cas lorsque les enfants observent le déroulement
d'un jeu et demandent à y jouer sans en connaître les règles.
Le besoin d'agir est le moteur de tous ces projets. "L'enfant a besoin d'action.
C'est sa manière de découvrir le monde, de l'explorer, de le comprendre " (CRAHAY,
DELHAXHE, 1990, p. 9).
Mais l'enfant a des besoins autres que l'action, qui suscitent également des
aménagements divers et circonstanciels. Nous empruntons ici une classification
construite pour les plus jeunes 4 : besoins relatifs au bien-être : dormir (prévoir un
coin sieste), se reposer (prévoir un lieu de repos et de détente), boire (permettre
une liberté de déplacement vers le lavabo), besoin d'aller à la toilette (apprendre aux
enfants à s'y rendre seuls), de se sentir à l'aise (ne pas être trop mouillé par les jeux
d'eau, par exemple). Pouvoir compter sur l'adulte en cas de conflit, de pleurs, de
malaise est également fondamental et suppose que l'institutrice soit disponible pour
des interactions privilégiées avec chaque enfant.
3
M. CRAHAY et A. DELHAXHE (1988). “ Agir avec les rouleaux. Agir avec l'eau. ” - Coll. Agir et
interagir à l'école maternelle. Bruxelles : LABOR, vol. 2.
M. CRAHAY (1991). “ Agir avec du matériel structuré. ” - Coll. Agir et interagir à l'école maternelle.
Bruxelles : LABOR, Vol. 5.
4
Collection R. TAVERNIER (1989). “ Les petits, la section de 2 à 4 ans. ” - Paris : Bordas.
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Aménager sa classe en ateliers
La disponibilité de l'institutrice lui permet de respecter une seconde liste de
besoins relatifs à l'affirmation de la personnalité :être reconnu comme une
personne et communiquer de façon personnalisée. La liberté de déplacement dans
la classe régulée par certaines règles d'organisation sur lesquelles nous
reviendrons, permet à l'enfant de bouger, d'agir, mais aussi de marquer sa
possession d'un objet, d'un territoire, autre besoin tout aussi fondamental. Peu à
peu, la variété des stimulations lui permet d’accepter les autres. Il faut toutefois qu'il
ait des possibilités de repli, d'abandon du terrain collectif pour jouer seul, regarder
les autres sans participer à leur activité...
Le souci de respecter tous ces besoins a parfois guidé l'innovation, sans que
cela ait nécessairement fait l'objet d'une réflexion formalisée. De même, la référence
au besoin d'agir et au projet d'action tel qu'il a été traduit à partir des conceptions
piagétiennes de l'apprentissage a souvent été un guide pour le choix de pratiques
nouvelles.
Pratiquement, seul le fonctionnement en ateliers permet de répondre de
manière adéquate à cette double préoccupation. Pourtant, à l'origine des innovations,
on ne trouve pas tant cette préoccupation que les problèmes concrets rencontrés
par les institutrices dans le fonctionnement des ateliers. Car les ateliers existent
dans les classes maternelles. Cependant, leur mise en place est plus souvent la
conséquence d'un certain conformisme aux usages du temps présent que
l'aboutissement d'une réflexion sur les opportunités que présente ce système de
fonctionnement. En conséquence, les problèmes et questions abondent.
QUESTIONS POSEES PAR LES INSTITUTRICES
a) Dans les classes qui accueillent des enfants jeunes (2 ½ à 4 ans)
• Comment développer l'autonomie des enfants de telle sorte que l'institutrice
puisse travailler avec un groupe d'enfants de façon approfondie ? (1 classe
d'enfants de 2 ans ½ - 3 ans; 1 classe d'enfants de 3 - 4 ans).
• L'atelier dans lequel se trouve l'institutrice ne risque-t-il pas de provoquer un
engouement s'il y a une liberté de choix et de passage ? (3 classes d'enfants de 2
ans ½ - 3 ans).
• Combien d'ateliers faut-il ouvrir et quels types d'activités peut-on proposer
simultanément ? (1 classe d'enfants de 3 - 4 ans).
• Que faire avec les enfants plus jeunes qui ne s'impliquent dans aucune activité ?
(1 classe d'enfants de 3 - 5 ans).
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Aménager sa classe en ateliers
• Comment assurer le passage autonome des enfants dans les ateliers en évitant
les conflits, les bousculades, les dérives ? (1 classe de 2 ans ½ - 4 ans).
• Est-ce que l'on ne risque pas que tous les enfants se retrouvent dans le même
atelier ? (1 classe d'enfants de 2 ans ½ ; 1 classe d'enfants de 2 ans ½ - 3 ans).
• Comment faire face à l'engouement des enfants pour une activité très attractive ?
(3 classes d'enfants de 2 ans ½ - 3 ans).
• Comment gérer le rangement des ateliers : au fur et à mesure ou en fin de
séance ? (1 classe d'enfants de 3 ans; 1 classe d'enfants de 3 - 4 ans).
• Comment gérer l'espace de la classe pour y inclure des ateliers divers, un espace
de repos (notamment lorsque le bâtiment ne dispose pas de couloir et que les
mallettes ou les manteaux encombrent une partie de l'espace) ? (2 classes
d'enfants de 3 ans; 1 classe d'enfants de 4 ans; 1 classe d'enfants de 2 ans ½ 5 ans).
b) Dans les classes qui accueillent des enfants plus âgés (4 ans ½ )
• Que se passe-t-il dans les ateliers d'activités structurées ou formelles lorsque
l'institutrice est occupée ailleurs ? (1 classe d'enfants de 5 ans).
• Ne risque-t-on pas de délaisser les enfants qui sont dans de tels ateliers ?
(1 classe d'enfants de 3 - 5 ans).
• Comment gérer le bruit, les perturbations, la dispersion et le désordre, est-ce bien
utile de fonctionner en ateliers ? (1 classe d'enfants de 5 ans).
• Comment limiter le nombre de places disponibles et les conflits pour le territoire ?
Faut-il utiliser un tableau à double entrée ? (2 classes d’enfants de 5 ans).
L'énumération des problèmes rencontrés par les institutrices dans leur pratique
des ateliers montre que les difficultés changent en fonction de l'âge des enfants. Les
problèmes énoncés par celles qui accueillent les plus jeunes sont davantage centrés
sur des questions d'organisation de l'espace, du matériel, du passage des enfants
dans les activités et sur les limites du nombre de places disponibles dans chaque
atelier. L'idée souvent sous-jacente à ces questions est que les plus jeunes
manquent d'autonomie, sont incapables de se tenir à une activité... et rendent la vie
en ateliers tout simplement impossible.
Avec les plus grands, il est aisé de prévoir des activités formelles dans
lesquelles ils acceptent de s'impliquer pendant un certain temps (à quelques
exceptions près !). Les questions des institutrices tournent dès lors autour du
contrôle des enfants dans ces activités plus formelles pour éviter qu'ils ne bâclent
leur travail, ne copient sur les autres,...
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Aménager sa classe en ateliers
L'analyse de tous ces problèmes conduit généralement à réfléchir au problème
de l'investissement des enfants dans les activités proposées. Cet investissement
garantit l'équilibre du fonctionnement en ateliers. Il donne aux enfants une
autonomie d'action dans l'atelier qui permet à l'institutrice de se consacrer soit à la
satisfaction des besoins d'un enfant, soit à l'explication de consignes, au suivi d'une
activité plus structurée. Pour que cet investissement soit réel, l'enfant doit avoir
l'occasion et la liberté de choisir parmi des activités nombreuses et attractives.
L'apprentissage des limites et des règles de vie en groupe est aussi évoqué
régulièrement. Il s'agit de développer l'autonomie des enfants dans le passage d'un
atelier à l'autre, ce qui comprend la capacité de choisir une activité, de respecter le
nombre de places disponibles, de ranger les objets avant de quitter l'atelier, ... 5
RESUME DES AMENAGEMENTS
Dans chaque classe, la réflexion a suscité des modifications d'ampleur
variable, en fonction du système initial d'organisation des institutrices. Voici la
synthèse des transformations réalisées.
a) Rompre avec l'organisation traditionnelle centralisée et hiérarchisée
Cette organisation centralisée observée dans la majorité des classes (81 %)
propose en premier lieu trois ou quatre lieux d'activités dans lesquels les enfants se
répartissent. Il s'agit généralement d'activités structurées, avec consignes ou règles
précises. A l'issue de l'activité, les enfants peuvent se rendre dans un coin jeu pour
"s'occuper". Dans plusieurs classes (38 %), les activités "centrales" sont à nouveau
proposées le lendemain. Une tournante est organisée de telle sorte que les enfants
passent par toutes les activités.
5
Dans les deux cas, le terme autonomie est utilisé dans son acception psychologique comme
l'intériorisation des règles : état de la volonté qui puise dans elle-même, dans ses propres règles,
les principes de son action (ant. : hétéronomie).
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Aménager sa classe en ateliers
Le schéma de fonctionnement selon ce système est le suivant :
L'activité et la répartition des enfants dans les "coins d'occupation" est tout à
fait libre. Certaines institutrices "ferment" les "coins" trop bruyants, et parfois ne
proposent qu'une seule activité d'occupation. Dans de tels systèmes, les activités
centrales sont relativement formelles. Comme l'institutrice n'est pas disponible pour
tous, elle se voit contrainte de proposer des activités simples : coloriage,
découpage, collage. Les enfants ne s'impliquent pas toujours dans ces activités et
parfois les bâclent pour pouvoir se rendre soit au coin jeu, soit au lavabo pour jouer
avec l'eau. Enfant, les jeux d’occupation ne sont disponibles que pour les enfants
qui terminent rapidement leur tâche : ce sont souvent les mêmes.
Voici un exemple de fonctionnement observé dans une classe de petits de 3
ans ½. Trois activités centrales sont organisées sur un thème découpage/collage,
(
coloriage, modelage); un coin jeu (lotos, puzzles, encastrement...) est ouvert.
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Aménager sa classe en ateliers
Voici le bilan de cette séance :
-
5 enfants ont modelé environ 20 minutes (explications comprises)
2 enfants ont modelé 13 et 14 minutes (explications comprises)
2 enfants ont découpé et collé (environ 12 minutes)
2 enfants ont seulement découpé (environ 10 minutes)
1 enfant a attendu et rêvé (20 minutes)
3 enfants ont colorié (environ 8/9 minutes)
1 enfant a colorié pendant 20 minutes. (Après 14 minutes, il appelle l'institutrice,
souhaitant s'arrêter. Elle l'invite à terminer sa tâche).
Quelques enfants arrivent au coin jeu (puzzles et lotos) les uns après les
autres et s'y investissent relativement peu en temps.
Pour éviter les inconvénients d'un tel système, deux institutrices organisent les
activités en tournante sans “ coins d'occupation ”. Elles proposent aux enfants des
activités qui n'ont pas de fin - quantité de puzzles et encastrements et jeux avec des
petits matériaux de construction - ainsi qu'une activité qu'elles dirigent et dont la fin
sonne le moment de la tournante. Dans de tels systèmes, les temps d'attentes
augmentent considérablement.
b) Décentraliser et reconsidérer le jeu au premier plan de l'action
éducative
Globalement, les modifications réalisées dans les classes ont été :
A. L'introduction d'activité significatives qui répondent aux besoins de l'enfant
et à sa capacité d'investissement. Les activités introduites dans l'une ou l'autre
classe sont les suivantes : bac à eau, rouleaux/planches, tableau dessin libre,
vélos, dînette, déguisements, poupées, aimants/ressorts.
B. La gestion de l'espace pour que les diverses activités coexistent avec un
minimum de perturbation. L'équilibre des lieux est une priorité. P. VAYER et al.
(1991) 6distinguent trois groupes de tâches :
a. des activités impliquant la situation assise. Cet espace évolue à mesure que les
enfants avancent en âge;
b. des activités d'action, individuelle ou en groupe (jeux symboliques, objets,
constructions,...). L'espace dévolu à ces activités est d'autant plus important que
les enfants sont jeunes;
c. le repos ou l'intimité où chacun, quand il le souhaite, peut se retirer, se détendre.
Cet espace est important à tout âge.
6
P. VAYER, A. DUVAL et C. RONCIN (1991). “ Une écologie de l'école, la dynamique des structures
matérielles ” - Paris : P.U.F.
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Aménager sa classe en ateliers
Le schéma de la classe se modifie dès lors de la façon suivante :
Le cloisonnement entre les différents espaces d'activités s'opère par des
armoires ou étagères qui permettent le rangement du matériel spécifique. Cela évite
que les enfants traversent la classe avec le matériel.
Le passage dans les ateliers est généralement libre. Il est toutefois possible de
passer avec les enfants plus âgés un contrat qui stipule qu'ils devront se rendre
dans une activité déterminée par l'institutrice, dans le courant de la journée ou de la
semaine par exemple.
C. Un système de gestion de la répartition des enfants dans les différents
ateliers. Notons d'emblée qu'il n'est pas possible, dans un même tableau, de
gérer les limites de places disponibles et le contrôle du passage.
c1. Une régulation “ naturelle ” par un grand nombre d'activités attractives est le
système qui doit être privilégié avec les tout-petits (environ 10 activités pour 20
enfants). Le nombre de places disponibles dans les ateliers doit être nettement
plus important que le nombre d'enfants dans la classe.
c2. Le système des colliers ne fonctionne pas avec les enfants de 2 ans ½. Sa mise
en place prend trop de temps et comme ces enfants arrivent tout au long de
l’année, l'institutrice passerait une trop grande partie du temps réservé aux
ateliers à guider ces enfants. Avec les trois ans, il devient opérationnel : au
début, l'institutrice pose, à l'entrée des ateliers, un nombre de colliers qui
correspond au nombre de places disponibles. L'enfant prend un collier lorsqu'il
se rend dans un atelier et le remet lorsqu'il en sort. Par la suite, les colliers
peuvent être suspendus sur un tableau qui présente les différentes activités
possibles. Il suppose cependant que l'enfant soit capable d'opérer un choix sans
rencontrer le matériel et de revenir au tableau lorsqu'il souhaite changer
d'activité.
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Aménager sa classe en ateliers
c3. Les schèmes numériques qui représentent le nombre de places disponibles
peuvent remplacer les colliers à l'entrée des ateliers lorsque les enfants sont
capables de dénombrer. Il peuvent également être utilisés dans un tableau
d'inscription simple qui présente les activités possibles. Les enfants placent leur
prénom dans la colonne qui correspond à leur choix.
D. Un système de contrôle de l'activité des enfants
d1. Le contrôle de l'activité des enfants dans les ateliers peut se faire
“ naturellement ” lors du regroupement final : les enfants racontent ce qu'ils ont
fait. Si une activité est imposée à tous, l'institutrice établit la liste des enfants qui
l'ont déjà réalisée et prévient ceux qui doivent s'y rendre dans les jours suivants.
d2. La liste des prénoms à cocher lorsque l’on a terminé l'activité est un moyen de
contrôle utilisable lorsque les enfants sont capables d'identifier leur prénom.
d3. Le tableau à double entrée doit être réservé aux enfants les plus âgés. Ils
placent une pastille dans la cellule à l'intersection de la colonne de leur prénom
et de la ligne de l'activité lorsqu'ils ont terminé celle-ci. Lors du regroupement,
l'institutrice fait référence soit à la liste de prénoms, soit au tableau à double
entrée pour établir le bilan des activités et permettre aux enfants de bien
comprendre la fonction de ces systèmes.
E. La gestion du temps de l'institutrice. Celle-ci se partage entre la supervision
des diverses activités, l'aide au choix d'une activité, la réponse aux besoins
spécifique d'un enfant et l'explication ou le suivi d'une activité plus complexe. Au
début, le rôle de l'institutrice est davantage orienté vers la supervision.
Progressivement, les enfants comprennent le système et deviennent plus
autonomes. L'institutrice peut alors se consacrer à d'autres tâches et notamment
introduire une activité plus structurée (une seule à la fois : jeu structuré, activité
artistique, découverte d'un livre...).
Voici, en exemple, une séance observée dans une classe de tout petits. Les
ateliers ouverts sont les jeux symboliques (coiffeur, bain, landau, déguisement,
table, dînette, magasin), les rouleaux et planches, les puzzles, lotos, et la ferme, les
bricolages, le dessin (tableau et feuille), le modelage, le bac à eau.
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Aménager sa classe en ateliers
11H 00
L'institutrice regroupe les enfants sur le tapis. Elle donne les consignes :
“ Aujourd'hui, tout est ouvert sauf la peinture et le bac à sable ”. Elle
explique qu'elle a mis de l'eau dans la baignoire pour laver les poupées,
puis introduit deux nouveaux ateliers : le dessin libre au tableau avec
les craies, les rouleaux et les planches. Elle présente le matériel et
donne quelques conseils de sécurité. Elle limite le nombre de places
disponibles à l'atelier dessin par des colliers. Les enfants se répartissent
dans les ateliers.
11H 05
L'institutrice installe deux enfants au bac à eau. Ensuite elle passe à
l'atelier dessin où se trouvent trois enfants, puis se rend dans l'atelier
construction. Elle discute avec les enfants pour connaître leurs projets
de construction. Elle suggère des actions.
11H 10
L'institutrice intervient au bac à eau, passe au dessin libre, pour réguler
les activités, repasse aux constructions puis se rend à la dînette. Elle
écoute les échanges entre enfants.
11H15
Un enfant a terminé son dessin. Il appelle l’institutrice. Elle le
complimente puis se rend aux constructions. Un enfant est en train de
démolir les constructions des autres. L'institutrice constate qu’il y a trop
de monde dans l'atelier. Elle invite deux enfants à changer d'activité, leur
énonce toutes les activités possibles. L'un choisit les petites constructions
(la ferme),l'autre (R) les histoires sur cassette. L'institutrice l'installe.
Après quelques minutes, l’enfant (R) quitte l'enregistreur et déambule à
proximité des constructions. L'institutrice constate qu'il y a moins
d'enfants dans l'atelier et accepte que l'enfant y retourne.
11H20
L'institutrice se rend dans l'atelier dînette. Elle aide un enfant à laver une
poupée et discute avec lui. Elle se rend aux constructions pour y
rappeler les consignes de sécurité. Un enfant a fini son dessin. Il lui
montre puis rentre dans l'atelier construction. C'est la bousculade, un
enfant pleure, un autre explique qu'il y a trop de monde. L'institutrice
confirme et cherche des solutions, elle invite un tout petit à se rendre dans
une autre activité. Elle l'installe à la ferme puis passe au bricolage.
11H25
L'institutrice supervise les ateliers bac à eau, bricolage, constructions.
Elle observe le bon déroulement sans participer à l'activité des enfants.
Aux constructions, il y a à nouveau trop de monde. L'institutrice invite
quelques enfants à changer d'atelier.
11H30
Un enfant se rend au bac à eau. L'institutrice lui rappelle que lorsqu'il n'y
a plus de tablier, il n'y a plus de place. Elle lui propose l'atelier des
histoires enregistrées. Ensuite, elle joue un peu avec l'enfant à la ferme,
passe à la dînette, puis se rend au modelage où se trouve l'enfant (R). Il
démolit tout ce qu'il produit. L'institutrice l'invite à ne pas détruire tout son
modelage.
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Aménager sa classe en ateliers
11H35
Un enfant doit aller à la toilette. L'institutrice lui explique comment faire et
le surveille tout en restant dans l'atelier modelage.
11H38
L'institutrice met la musique qui annonce la fin des ateliers et le
rangement. Elle dirige le rangement en insistant pour que tout le monde y
participe. Elle aide particulièrement les enfants de l'atelier rouleaux et
planches.
11H43
L'institutrice invite les enfants à se regrouper sur le tapis.
A première vue, on peut avoir l'impression d'un papillonnage. L'institutrice est
loin de consacrer une demi-heure à une leçon structurée. Son action n'en est pas
moins valable, au contraire.
Les enfants de cette classe sont très jeunes et pourtant ils ont l'opportunité et
sont, pour la plupart, capables de s'investir dans une activité durant un temps
certain. De son côté, l'institutrice partage son temps entre les différents ateliers. Elle
a ainsi l'occasion d'observer les enfants et de multiplier les échanges privilégiés
avec tous. Elle encourage, félicite, rappelle les consignes, témoigne de l'affection,...
en fonction de ce qu'elle observe.
Elle participe aussi au jeu des enfants dans les ateliers symboliques, au
modelage et passe davantage de temps encore dans l'atelier des rouleaux et
planches qui est ouvert pour la première fois. Elle doit notamment y gérer
l'engouement des enfants. Elle trouve aussi le temps de surveiller plus étroitement
l'activité d'un enfant qui se fixe difficilement sur une activité et passe quelques
minutes avec lui dans l'atelier modelage.
Lorsque les enfants grandissent, il est possible d'augmenter le temps que
l'institutrice consacre à une activité, par exemple d'expression ou de jeu structuré,
sans négliger pour autant la supervision des autres activités et les réponses aux
besoins spécifiques de l'un ou l'autre enfant.
BILAN DE L'INNOVATION
Les institutrices ont reçu un questionnaire d'évaluation à renvoyer par la poste.
Quinze d'entre elles y on répondu.
Concernant la démarche d'innovation, elles se montrent toutes très satisfaites.
Elles la jugent “ concrète ”, “ appropriée à chaque situation ”. Les modifications sont
“ facilement réalisables ” et “ rapides ”. “ Le contact direct entre l'institutrice et le
chercheur est important ”, “ il permet d'exprimer les difficultés ”, “ de repérer les
points positifs et les points faibles ”.
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Aménager sa classe en ateliers
“ L'aide est personnalisée ” et “ répond aux problèmes concrets ”, “ spécifiques à
chaque classe ”, fonction 1) des enfants de la classe, 2) du local occupé, 3) du
matériel existant. Il n'y a “ pas de généralité ”, mais “ une démarche individuelle ”.
Sur le plan des innovations proprement dit, outre les modifications observées
tout au long des visites de classes et qui sont mentionnées globalement dans cet
article, il est possible d'avoir une idée de l'impact de ce travail grâce au
questionnaire. Une question portait sur le classement d'activités éducatives selon
qu'elles étaient réalisées toujours en petit groupe, tantôt en petit groupe tantôt en
grand groupe, toujours en grand groupe.
Si, comme on peut s'y attendre, les activités de jeux d'eau, sable, graines et
jeux symboliques ont toujours lieu en petits groupes, on observe également une
rupture avec l'organisation frontale pour les activités telles que les jeux de règles, le
modelage, les activités sur feuille, les activités culinaires, l'exploitation de livres et
les activités d'observation (éveil scientifique). On note également des modes de
regroupement variés du côté de la narration d’histoires, de la psychomotricité et du
calendrier. Les activités rythmiques, le chant et la collation restent
fondamentalement des activités réalisées en grand groupe.
Cette répartition des activités peut être évaluée par comparaison avec une
étude descriptive récente des classes maternelles. Cette étude montre que les
activités verbales (narration, interprétation livre, observation...), musicales et
psychomotrices ne sont jamais, d'ordinaire, réalisées en petits groupes 7.
Chant
Collation
Rythme
Calendrier
Psychomotricité
Narration
Lecture livre
Observation (éveil)
Activité culinaire
Activité feuille
Jeux règles
Modelage
Jeu symbolique
Eau/ graines/ sables
Légende :
grand groupe
grand ou petit groupe
petit groupe
7
A. DELHAXHE(1991). “ L'école maternelle au pluriel. Etude descriptive de la gestion du temps et
de son influence sur les activités réalisées par les enfants ” (p. 184).
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Aménager sa classe en ateliers
Il faut souligner que l'innovation ne portait pas directement sur l'intégration de
ces activités dans les ateliers. Il s'agissait plutôt de donner une flexibilité de
fonctionnement qui permette l'introduction d'activités diverses, au gré de
l'institutrice.
Quant aux conséquences des modifications sur les conduites des élèves, elles
sont nombreuses et toutes positives. L'autonomie est citée 10 fois, la capacité de
gérer le temps de travail ou d'activité : 5 fois. D'autres citent encore la responsabilité
(1), l'initiative (1), la motivation (1), la créativité (2), la structuration de l'espace (1).
Une institutrice précise que les enfants apprennent à choisir et à s'impliquer
dans les activités. L'aide envers les autres, la concertation et la communication
entre enfants sont citées 5 fois. La diversité des choix apparaît comme une réponse
à la diversité des intérêts (1) et débouche sur moins de conflits (1). Le système
permet de respecter le rythme des enfants (3). Ceux-ci apprennent aussi à respecter
les jeux et à ranger (2).
Le cadre est plus calme, l'ambiance plus sereine, il y a moins de bruit (2).
L'institutrice se sent plus disponible pour chacun (2), elle est personne ressource
(1). Pour conclure, une institutrice souligne que son nouveau système qui permet
plus de liberté est fort apprécié par les enfants.
CONCLUSION
La mise en place d'une structure en ateliers ne s'improvise pas. Elle repose sur
le principe que les enfants sont capables d'autonomie dans le choix et le
déroulement d'une activité, tandis que l'institutrice est occupée avec d'autres
enfants. Cette autonomie, définie comme l'intériorisation des normes qui régissent la
vie en groupe et les initiatives, dépend de plusieurs conditions. L'espace doit être
aménagé pour que le matériel soit accessible et stimulant, et que les activités des
uns ne gênent pas les autres. Le nombre d'activités doit être suffisant pour
permettre une répartition harmonieuse des enfants dans les ateliers. Des systèmes
plus ou moins formels de gestion de la répartition des enfants et du contrôle de leur
activité favorisent l'équilibre des passages d'un atelier à l'autre. Les enfants sont
libres de choisir leur activité. Certaines sont imposées, les enfants ont, pour les
réaliser, un délai défini. La part d'activités ainsi imposées croit avec l'âge des
enfants.
Le rôle de l'institutrice est multiple : elle partage son temps entre les différents
ateliers. Elle a ainsi l'occasion d'observer les enfants et de multiplier les échanges
privilégiés avec tous. Elle encourage, félicite, rappelle les consignes, témoigne de
l'affection... en fonction de ce qu'elle observe. Elle participe aussi au jeu des enfants
et progressivement introduit des activités plus structurées pour lesquelles sa
disponibilité est requise. A la fin de chaque séance, elle regroupe les enfants et
procède avec eux au bilan des activités.
23
Aménager sa classe en ateliers
Notons que ces différentes conditions de fonctionnement sont en totale
concordance avec les recommandations formulées par la commission sur les
rythmes scolaires :
“ la gestion du temps de la journée devra prévoir :
• une répartition équilibrée des activités d'apprentissage dans les différentes
disciplines;
• des alternances entre les types d'activités dans les modes de groupement des
élèves, dans les modes d'approche des apprentissages;
• une part accordée au temps libre, aux activités choisies par les élèves... ”8
Le rapport de la commission met spécialement l'accent sur les variations
quotidiennes, hebdomadaires et interindividuelles dans l'attention des enfants.
Seule la souplesse dans la gestion du temps peut répondre à ces variations.
Pour être réussie, la mise en place d'une telle structure nécessite qu'elle ait
des effets positifs et directement observables sur le comportement des enfants.
C'est une condition essentielle pour que l'innovation perdure. Le bilan de
l'innovation fait apparaître une grande satisfaction chez les institutrices quant à la
démarche adoptée (discussion, observation, décision, modification). Elles
mentionnent toutes les conséquences positives des modifications apportées sur les
conduites des enfants, essentiellement du point de vue de l'autonomie, mais aussi
de la gestion du temps de travail, de la concertation et de l'entraide.
v v v v v
8
Rapport de la Commission des rythmes scolaires (4 octobre 91), p. 74.

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