Le plus beau cadeau que l`on puisse faire au monde…
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Le plus beau cadeau que l`on puisse faire au monde…
La promesse de l’aube : Le plus beau cadeau que l’on puisse faire au monde… Il y a des livres qu’on lit pour se vider l’esprit et qu’on oublie aussitôt. D’autres nous marquent pour toujours. Chacun de leurs mots sonne juste, chacune de leurs phrases fait résonner nos cordes sensibles, chacune de leurs idées est une vérité profonde. La promesse de l’aube est l’un de ces ouvrages qui, merveilleux, poignants et immortels, restent à jamais gravés dans notre cœur. C’est aussi l’un des plus beaux romans jamais écrit sur l’amour qui unit une mère et son fils. « Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. » La promesse de l’aube, c’est celle que l’amour maternel nous fait à l’aube de la vie. Une fausse promesse, une illusion, un mirage. La croyance, vouée à être déçue, que nous retrouverons un jour un lien aussi puissant que celui qui peut exister entre une mère et son fils. Mais la promesse de l’aube, c’est aussi celle que le jeune Romain, dans son plus jeune âge, a faite à sa mère. Celle de triompher des dieux cruels qui règnent sur le monde : Totoche, le dieu de la bêtise, Merzavka, le dieu des vérités absolues, et Filoche, le dieu de la haine. Toute sa vie, Romain luttera contre ces créatures mauvaises. Par amour filial. Le roman débute sur une plage de Californie. Romain a quarante-quatre ans. Allongé sur le sable, il se replonge dans ses souvenirs. Le premier qui émerge est celui du jour où sa mère vient lui dire adieu alors qu’il s’apprête à effectuer son service militaire. Sous les regards moqueurs de ses compagnons de caserne, sa mère l’embrasse et déclare : « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d’Annunzio, ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es ! » Romain est rouge de honte. « Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là », avoue-t-il, posant ainsi la clef de voûte de son ouvrage : cette ambivalence des sentiments, oscillant entre la nostalgie d’un amour maternel exubérant et la rancune d’être trop aimé. Les prophéties de sa mère sont les premières d’une longue série. Elles rythment le récit de la vie de Romain Gary. Elles révèlent en outre le poids des attentes maternelles quant à la grandeur de la destinée filiale. Le masque de l’humour dissimule une réalité parfois sinistre… Au fil des pages, les tentatives de Romain pour trouver la voie de la célébrité se succèdent. De la danse au dessin, en passant par le violon, il cherche son talent, chapeauté par sa mère qui place une confiance aveugle en ses capacités de réussite. Ces chemins menant à la gloire se terminent souvent en cul de sac. Et c’est l’occasion pour l’auteur d’ironiser avec cet humour si délicieux qui caractérise son œuvre. Ainsi, écrira-t-il à propos du professeur qui lui donnait des cours de violon : « Je n’ai gardé du « maestro » que le souvenir d’un homme profondément étonné chaque fois que je saisissais mon archet, et le cri « Aïe ! Aïe ! Aïe ! » qu’il poussait alors, en portant ses deux mains à ses oreilles, est encore présent à mon esprit. Je crois que c’était un être qui souffrait infiniment de l’absence d’harmonie universelle dans ce bas monde, une absence d’harmonie dans laquelle je dus jouer, au cours des trois semaines que durèrent mes leçons, un rôle éminent. » Mais, si l’auteur aborde cette quête identitaire sous l’angle de l’autodérision et de la parabole humoristique, ce flot de réminiscences prend sa source dans un sombre événement. Le souvenir du jour où, âgé de treize ans, il découvrit l’ampleur des sacrifices que sa mère faisait pour lui. Le souvenir du jour où il la surprit en train de saucer la graisse et le jus de viande accumulé dans le fond de la poêle. Alors qu’il mangeait lui-même quotidiennement le steak qu’elle y faisait cuire. Envahi par un mélange de honte et d’impuissance, Romain s’enfuit, sous le coup de cette révélation : « Une farouche résolution de redresser le monde et de le déposer un jour aux pieds de ma mère, heureux, juste, digne d’elle, enfin, me mordit au cœur d’une brûlure dont le sang charria le feu jusqu’à la fin. » Et lorsque sa mère le retrouve, ils décident ensemble que c’est une carrière d’écrivain qui lui conviendra le mieux. Il se met alors à forger des centaines de pseudonymes, dont ni lui ni sa mère ne sont jamais satisfaits. Romain Kacew de son vrai nom, plus connu sous celui de Romain Gary, poursuivra toute sa vie ce jeu trouble autour de sa propre identité. Il publiera des livres sous de nombreux hétéronymes – Emile Ajar, Fosco Sinibaldi ou encore Shatan Bogat – et s’amusera à brouiller la piste de ses origines dans ses interviews. Écrire c’est « redresser le monde » Encore enfant, initié à la magie par l’un de ses camarades surnommé Pastèque, Romain fabrique un talisman qui va lui permettre de réaliser tous ses vœux. Evidemment, il souhaite combler sa mère de présents. Malgré qu’il y ait placé tous les ingrédients cabalistiques nécessaires, tels que moustaches de chat et fourmis vivantes, le talisman ne fonctionne pas. De dépit, Romain pousse un cri « de colère, de peur et d’étonnement ». « Depuis, je me suis fait à l’idée et, au lieu de hurler, j’écris des livres », conclut-il, en révélant de la sorte le pouvoir magique de l’écriture. Mais Romain Gary, durant sa vie, ne s’est pas uniquement contenté de redresser le monde par le pouvoir de son imagination. Il fut aussi un homme d’action. La promesse de l’aube nous raconte son engagement militaire durant la seconde guerre mondiale. Et l’héroïsme dont il fit preuve en tant que navigateur à bord de son avion bombardier. Lui-même atteint par un éclat de shrapnel, il guide à la voix le pilote blessé aux yeux, momentanément aveugle, afin de réaliser l’objectif de la mission. Lorsque l’avion manque de s’écraser au sol, Romain prétend sourire. Il ne s’agit pas là d’une fanfaronnade destinée à se mettre en valeur. En effet, il ironise ensuite : « ce sourire fut sans doute une de mes créations littéraires les plus longuement préméditées. Je la mentionne ici dans l’espoir qu’elle figurera dans mes œuvres complètes. » Pour son haut fait de guerre, il recevra la prestigieuse croix de la libération. Malgré la grande fierté qu’il en conçoit, l’auteur reste humble dans le récit de ces événements, effacé derrière une touchante modestie. La promesse tenue… Si Romain Gary estime que la vie lui a fait une promesse qu’elle n’a jamais tenue, il a en revanche plus que comblé les attentes de sa mère, qui voulait pour lui un destin hors du commun. Militaire décoré, il mène ensuite une carrière diplomatique et devient un écrivain dont l’œuvre est mondialement reconnue. Le seul à avoir obtenu deux fois le prix Goncourt : la première fois, en 1956, pour Les Racines du ciel, publié sous le nom de Romain Gary et la seconde, en 1975, pour La Vie devant soi, signé cette fois du pseudonyme Émile Ajar. Nul doute qu’il ait fait tout son possible pour que sa maman soit fière de lui. En écrivant La promesse de l’aube, il a offert à l’humanité un ouvrage unique, teinté d’un humour nostalgique et d’une tendresse poignante. Son roman est plein d’une force salvatrice apte à nous réconforter quand les vilains dieux Totoche, Filoche et Merzavka nous jouent de mauvais tours. Et pour cela, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse faire au monde. Jean Nigault.