Chronique des autoroutes maritimes Où en est-on

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Chronique des autoroutes maritimes Où en est-on
Politique maritime
Chronique des autoroutes maritimes
Où en est-on ?
André Vigarié
De l’Institut Français de la Mer
On a beaucoup écrit, beaucoup discuté sur cette question des autoroutes maritimes1 ; et
une première expérience est en cours d’application avec la ligne Toulon - Civitavecchia. Cette
dernière fournit un premier thème de réflexion ; mais sans doute tout n’est pas résolu ; et il y a
encore besoin de définir chaque cas et de s’adapter à toutes circonstances. D’autre part, la
conjoncture a évolué depuis le rapport Richemont. La composition de l’Europe a changé et
continue de le faire ; en France, des « optiques atlantiques » sont à confirmer ou à préciser.
Au total, a-t-on beaucoup avancé vers plus de réalisations concrètes ailleurs que dans le cas
ci-dessus évoqué ? Peut-être est-il besoin d’une brève mise au point, en évitant de répéter ce
qui a fréquemment été dit.
Revenir aux faits concrets d’observation
La surcharge routière continue à imposer la réalisation d’autoroutes maritimes
D’une utilité pressante en divers endroits d’Europe, elles sont dans le Golfe de
Gascogne dont il sera surtout question ici, une évidente et urgente nécessité. La croissance
régulière du trafic dans les Pyrénées Occidentales génère un lourd transit répondant à la fois
au commerce français et aux échanges communautaires des pays ibériques. Les statistiques
principales sont rappelées ci-dessous 2 parce qu’elles sont à la fois officielles et les plus
récentes (2002) ; elles témoignent d’une croissance annuelle de plus de 3 %.
Exprimée en poids de marchandises, donc utilisant camions et convois routiers, cela
représente 44,6 Mt qui traversent la montagne, les deux sens Nord et Sud étant réunis. Les
autocars ne sont pas compris dans ces données, et sont au nombre de 337 chaque jour.
1
L’expression « autoroute maritime » est une image choisie à dessein pour transporter des flux de
camions sur la mer afin qu’ils ne soient pas conduits à saturer les capacités d’acheminement des
autoroutes terrestres. Ndlr
2
Source : Observatoire franco-espagnol des trafics dans les Pyrénées. Document n° 3 – décembre
2003, dont pages 22 et 36, et supplément de novembre 2003
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Ces chiffres sont impressionnants, mais pour le problème posé, il est aussi important
de considérer leur répartition entre les flux routiers selon des cartes qui ont été publiées 3 et qui
ont gardé leur signification. Elles montrent :
- Des flux de long trajet continental vers l’Europe centrale et orientale ; ils s’éloignent vers
l’Est, rapidement, du littoral atlantique ; pour eux, l’urgence d’une autoroute maritime
atlantique ne paraît pas patente.
- Des flux qui au contraire réclament un passage maritime évident : ceux existant entre les
pays ibériques et la moitié Ouest des Îles Britanniques. Ils peuvent bénéficier d’un trajet direct
depuis ou vers la côte Nord de l’Espagne, sans passage par une autoroute maritime
aboutissant à un port français, ce qui les obligerait à une seconde traversée (la Manche) voire
à une troisième (Mer d’Irlande). Or, un tel trajet direct, qui est en fait une autoroute maritime,
existe : c’est la ligne régulière Mac Andrew de Bilbao à Bristol, qui se consolide actuellement
en lançant, pour deux mois d’essais débutés en mars 2005, des transports d’high cubes reefers
de légumes et de fruits pour la clientèle des grandes surfaces anglaises. Cette ligne assure
actuellement quatre départs chaque semaine, ce qui est déjà une bonne fréquence, avec
45 heures de passage en mer.
- Restent les flux très importants de desserte du bassin de Londres, du Nord de la France, du
delta du Rhin, des grandes villes de l’Allemagne du Nord ; ce sont les grands bassins de frets
routiers européens, qui imposent des pratiques particulières et bien établies (cf. ci-après) ;
c’est en fonction d’eux qu’il faut penser une autoroute maritime atlantique, la géographie
jouant un rôle essentiel dans le choix des ports français susceptibles de servir d’appui, en
particulier quant à la longueur des trajets en mer à parcourir, et des trajets sur terre à
économiser.
Telles sont les bases concrètes des choix possibles d’une véritable autoroute maritime.
Circulation journalière aux passages des Pyrénées occidentales en 2002
Tous véhicules
A 63- Biriatou
R N 10 - Béhobie
R D 912 - H endaye
TOTAL
D ans sens N > S à
Biriatou
D ans sens S > N(id)
Poidslourds seuls
Véhicules légers
36863
12980
19264
69107
19173
14109
1038
771
15 9
18
7210
22754
11942
18493
53
189
11693
17690
6899
10791
Qu’est-ce qu’une véritable autoroute maritime ? Quelle en doit être la définition ?
Il peut paraître curieux de poser la question ; mais cela est nécessaire parce qu’il y a
des divergences d’optique qui peuvent se révéler coûteuses.
La Commission des transports et du tourisme du Parlement européen 4 affirme « …la
définition des autoroutes maritimes par rapport au transport maritime à courte distance
(TMCD) reste floue, » ce qui ne l’empêche pas d’en intégrer plusieurs dans le nouveau
Réseau européen des Transports, dont l’autoroute maritime de la Baltique, l’autoroute
maritime de la presqu’île ibérique jusqu’à la Mer du Nord, et la mer d’Irlande… La direction
générale des transports et de l’énergie (DG TREN) de Bruxelles a créé l’organisme TRAPIST
3
Rapport IFM « Le développement du cabotage européen », Paris 2002 p.26 et 27. Disponible sur le
site internet ifmer.org.
4
Document PR/5445003 FR/doc. 20 décembre 2004.
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(Tools and Routines to assist ports and improve shipping) en juin 2005 ; peut-être pour aider à
préciser les conceptions ?
Puis il est d’autres façons divergentes d’aborder le problème 5 : pour le président de
l’Union européenne, une autoroute maritime vise simplement à la facilitation générale des
transports maritimes ; pour la Commission de Bruxelles, très convaincue de son utilité, il
s’agit d’un transfert volontaire du trafic routier vers la mer ; pour les milieux parlementaires
français, l’idée s’est développée d’en faire un élément d’aménagement du territoire.
D’autre part, les propositions pratiques qui ont été faites par différents ports, et que la
presse a publiées, montrent deux conceptions :
- Celle de plusieurs ports de la Manche d’abord, qui, certes, se réfèrent à la surcharge routière
sans indiquer les moyens précis envisagés pour l’alléger, et qui suggère en plus l’appel de fret
aux économies des arrière-pays ; ils créent des associations de lignes et de ports depuis El
Ferrol jusqu’à Cuxhaven et la Mer du Nord. Ils s’appuient sur la pratique du roll on - roll off
et introduisent des départs rythmés sur base hebdomadaire. Ils prévoient des ruptures de
charges pour réorientation entre les diverses directions, ce qui pose la question des temps
d’acheminement. C’est très intéressant, mais suffit-il d’affirmer une faible régularité, non
quotidienne, pour constituer un service d’autoroute maritime, alors que des lignes de cabotage
de semblable nature existent déjà ? Quelles différences y a-t-il avec ces dernières ?
- Les ports du golfe de Gascogne, Nantes et La Rochelle précisément, avancent des projets
plus structurés. Le premier surtout : il envisage trois départs quotidiens à heures fixes de
navires - shuttles, en navette régulière dans chaque sens ; les véhicules routiers, connaissant
les horaires portuaires, prennent simplement leur ticket de passage, embarquent, puis
débarquent, puis reprennent la route sans formalité ; tel est théoriquement le fonctionnement
de l’autoroute maritime qui est la transposition du transmanche ; c’est la technique du
« passage d’eau », du bac sur une rivière. C’est exigeant en investissements, en nombre de
navires - shuttles, en choix de clientèle pour aller vite aux entrées et sorties des ports : des
remorques seules sont retenues ; et cela se différencie du cabotage traditionnel auquel on
laisse les autres formes de trafics dont ceux générés par les arrière-pays régionaux, ce qui est
un signe distinctif.
Cette distinction, ce partage de tâches : est-ce si simple ? Car ce cabotage existe,
vigoureux, et ne sera pas sans poser de problème de concurrence ainsi que le montre la ligne
Mac Andrew ci-dessus évoquée, et qui se place dans la seule perspective de TMCD. Il faut
rappeler que ce cabotage est puissant et actif : sur l’Atlantique, plus de 70 lignes régulières
fonctionnent, transportant 345 Mt de cargaisons, sur la base du libéralisme le plus compétitif ;
son rôle est de prendre du fret là où il existe : l’empêchera-t-on d’embarquer des remorques
ou des camions s’il en est en attente, d’attirer toutes formes complémentaires qui pourraient
être des appuis pour les navires - shuttles, lesquels chargeront éventuellement des clients du
cabotage traditionnel, ce qu’ont affirmé des ports de la Manche ? Il est illusoire de penser que
ce cabotage sera sans réaction si les lignes de substitution du trafic routier réussissent à attirer
du fret vers les ports atlantiques. Ce sont des problèmes qui n’ont pas été suffisamment
perçus.
L’opinion des milieux maritimes se divise sur la faisabilité des autoroutes maritimes
La Commission européenne reste ferme dans ses positions ; elle affirme la nécessité
d’alléger par recours aux voies de la mer la surcharge routière ; elle maintient ses demandes
de projets dans le cadre de l’opération Marco-Polo qui, en 2004, a engagé 20,4 M d’euros sur
5
Selon la constatation du Président de l’UPACCIM, Michel Quimbert, à Strasbourg le 30 septembre
2004.
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des propositions qui ont été retenues ; mais dans son cas, ne reste-t-il pas quelque ambiguïté,
puisque la notion même d’autoroute maritime n’a pas été rigoureusement définie ?
En France, le débat est ouvert sur la réalisation de ces autoroutes maritimes. La
direction des transports maritimes, des ports et du littoral (DTMPL), jusqu’en fin 2004, a été
très claire : elle était très favorable au principe de liaison maritime organisée , mais elle n’a
pas pris positon sur le choix des ports d’appui ; elle a informé qu’elle procéderait au
lancement d’appel à projets dans le second semestre de 2005, préalablement à l’appel d’offres
pour la construction des navires, et au choix des opérateurs portuaires et maritimes ; ce sont
les bases d’un organigramme conduisant à l’ouverture de ligne courant 2006, au plus tôt. Cela
a précipité les annonces de divers projets, dont ceux des ports de la Manche. La réalisation du
service Toulon - Civitavecchia n’a pas tenu compte de ces dates, et témoigne d’une certaine
indépendance, sauf sur le plan financier.
Dans ce contexte, les positions affichées par les milieux professionnels sont
contrastées quant à la réalisation des liaisons à créer. Jean Philippe Huchet 6, en tant que
capitaine de marine marchande, y est totalement opposé : « la France n’a pas naturellement
vocation à accueillir les autoroutes maritimes… Le navire roulier est le moins productif en
termes d’unité payante… Les projets d’autoroute maritime entre Nantes et Bilbao sont
irréfléchis. » Ces affirmations ne paraissent pas reposer sur des justifications suffisantes. La
même position négative relève de la revue Rail et Transport7 : « les projets de lignes ont
coulé », ce qui est aussi une affirmation sans base objective : les engorgements routiers
demeurent une réalité qui s’impose.
La DTMPL, qui ne se veut pas liée par les conclusions qui seront tirées, a demandé au
bureau de services CATRAM une étude beaucoup plus fine sur l’autoroute maritime de
Gascogne entre la basse Loire et Bilbao. Le rapport, en janvier 2005, conclut à la nonrentabilité du projet, le trajet étant trop court ; un second Rapport CATRAM affirme une
meilleure rentabilité sur Le Havre ou Dunkerque ; mais dans ce cas, n’est-ce pas un cabotage
traditionnel masqué quelque peu cadencé, et qui, par ailleurs, existe déjà ? Plusieurs départs
quotidiens exigeraient un nombre élevé de bateaux : huit navires en navette, lourds à investir
et à rentabiliser, sans compter les difficultés nées de la durée d’un parcours en mer avec le
périple par Ouessant.
Nantes a vivement protesté, affirmant que la conception « du passage d’eau » n’a pas
été comprise, donc pas prise en compte ; et les autorités de la basse Loire ont lancé leur propre
étude près du bureau de services ORDIEMAR, pour lui demander de faire la démonstration de
la viabilité du projet ligérien.
Les autoroutes maritimes sortent des cartons pour entrer sur la place publique des
villes littorales. La nécessité demeure de trouver des solutions pour des problèmes qui ne sont
pas réglés.
Qu’est-ce qui n’a pas encore été bien résolu ?
Les questions qui demeurent ouvertes sont en général de nature socio-économique :
coût de parcours, réactions humaines. Cela a été souligné dès l’origine dans le cadre des
études de l’IFM.
La rentabilité globale d’un système d’autoroute maritime
Globale : c’est-à-dire pour l’ensemble des partenaires.
6
7
Jean Philippe Huchet, Les pendules à l’heure, Marines Éditions ISBN 2.915379.22X.
Revue Rail et Transport, 26 janvier 2005
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Pour le navire utilisé d’abord. L’attribution d’aides à l’armateur pour le lancement
d’un service cadencé n’est plus discutée dans son principe. Elle peut l’être dans la pratique.
« Des doutes subsistent sur les modalités et les conditions des soutiens financiers proposés en
regard des investissements nécessaires pour le lancement de lignes. »8 Ces aides, selon nos
informations qu’il faudrait peut-être confirmer ici, sont cependant substantielles si l’on en
juge par le cas concret de la ligne Grimaldi Louis Dreyfus (GLD) au départ de Toulon ; pour
un seul navire mis en service, un second étant prévu selon les besoins, et pour trois rotations
hebdomadaires, il est versé :
- une part européenne non encore fixée à l’heure de la présente rédaction ; mais qui a été
demandée à la hauteur de 2,5 M d’euros ;
- puis une part française d’un million d’euros sur trois ans par l’agence de financement des
infrastructures de transport ;
- puis une allocation italienne de 100 euros par véhicule et par voyage, directement attribuée
au transporteur.
Cette dernière allocation doit retenir l’attention. Elle correspond au principe qu’à une
volonté politique de désengager les routes doit correspondre une contribution financière de
nature politique. Le principe en a été déjà évoqué en France par le rapport Liberti adressé au
Ministre Gayssot le 17 Avril 2002 ; si son attribution est envisagée dans le cadre de
l’autoroute maritime de Gascogne, qui paiera ? La France dont le financement est déjà engagé
au titre de l’aménagement du territoire selon le rapport Richemont, et qui sera la seule
pratiquement à profiter d’un désengorgement routier éventuel ? Ou l’Espagne qui ne
bénéficiera pas d’un tel allègement à cause des dispositions géographiques ? Ou bien
l’Europe, puisque le trafic de transit est européen, mais elle aura déjà versé une contribution ?
Cette aide de 100 euros est substantielle pour la ligne Toulon - Civitavecchia face au coût de
la traversée : la grille tarifaire pour les véhicules chargés varie de 270 à 520 euros, et le coût
moyen effectif est de 450 euros (transports et services au chauffeur compris : cabine,
repas…).
Ces aides globales paraissent donc efficaces, puisque la ligne a été lancée. Elle a
visiblement des chances de durer car elle bénéficie d’autres avantages : un fond de cale de
voitures neuves exportées de France, la prise de conteneurs, une part de trafics touristiques en
liaison avec la Méditerranée orientale, des charges d’armement restreintes, car le navire est
sous pavillon italien 9 ; et surtout, quant aux professionnels routiers : un gain de temps pour
l’acheminement des convois (14 heures 30 par la mer contre 22 heures par terre) et un gain
consécutif sur le coût à payer pour le trajet final.
Ces conditions propices seront-elles transposables dans le golfe de Gascogne et les
eaux atlantiques ? Certes, le rapport Richemont prévoit le financement des navires comme
cela est rappelé ci-dessus ; mais il demeure bien d’autres charges, dont portuaires : location
des terre-pleins et de quais dédiés, obligation de pilotage10, et autres services… Et demeure le
choix des clientèles dont l’éventail peut être plus large qu’il n’est dit, comme le montre le cas
italien. Bien des aspects restent à préciser, et « …il n’y aura pas d’autoroute maritime sans
un cadre clair et transparent » (Loyola de Palacio, 13 octobre 2004).
Pour le transporteur routier ensuite, des inquiétudes demeurent. Son rôle pour
l’initiation d’un nouveau service peut-être décisif comme le montre la création par les
entreprises de transport terrestre turques d’une ligne régulière adaptée depuis Hyderpasa
(Istanbul) et Cesme jusqu’à Trieste, les chauffeurs étant envoyés par avion pour les convois
8
Projet de rapport au Parlement, op. cité ci-dessus, § 9 p.5/14.
Il est à remarquer que ce pavillon est européen et d’un pays fondateur de l’Union ? Il est en
conséquence difficile de comprendre pourquoi un autre pavillon (le français ?) serait plus cher. Ndlr.
10
Réaffirmée par le Ministre François Goulard au congrès annuel des pilotes des 12 - 14 avril 2004.
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continuant leur voyage au-delà par voie de terre. C’est évidemment rentable : en 2003, il a été
ainsi expédié 152 000 unités de fret. ; et les sociétés routières y ont trouvé leur compte,
puisque ce sont elles qui ont ouvert la ligne.
Mais les entreprises françaises n’en sont pas là ; elles ont encore quelque souci quant à
la fiabilité des horaires ; bon nombre de contrats sont prévus pour livraison à 24 ou 48 heures,
et il y a des risques de retard par tempêtes, de remplacement éventuel de navire, ce qui ne peut
se faire comme de remplacer un camion.
C’est surtout le calcul du coût de passage en mer qui soulève encore quelques
réflexions et des réticences, et ce, dans deux domaines. Le premier est lié aux distances à
parcourir avec comparaison sur terre et sur mer. Un convoi routier coûte environ 1 euro par
kilomètre, et 0,80 si l’on a recours à des sous-traitants ; le navire est nettement moins cher. On
a intérêt à utiliser des lignes maritimes longues pour l’économie comparée qu’elles procurent.
Mais le navire est beaucoup plus lent, ce qui n’est pas toujours compatible avec la durée des
contrats usuels. Et se pose la question du chauffeur : dans quel cas est-il profitable qu’il
accompagne son véhicule, ce qui a priori est recherché par l’entreprise routière (cf. ci-après).
Le prix de revient d’un chauffeur est d’environ 19 euros de l’heure en France, de 15 en
Espagne : le rétribuer pour un passage d’une dizaine d’heures en mer peut devenir
rédhibitoire. C’est pourquoi des promoteurs d’autoroute maritime. ne retiennent que le
passage de remorques non accompagnées, on le sait. Mais il faut voir que c’est au prix de
l’acceptation d’autres contraintes : il faut alors mettre en place dans les ports des parcs de
tracteurs de service, dont l’usage requiert, estime-t-on, plus d’une heure à l’embarquement, et
au moins trois heures au débarquement, car alors des contrôles s’imposent lors de la reprise
du véhicule par le nouveau chauffeur, que le transporteur doit prévoir en exigeant de lui la
même fiabilité que celle du conducteur d’origine.
Si la clientèle est nombreuse, ces manœuvres augmentent la durée du parcours global.
La conception idéale du « passage d’eau » rapide s’en trouve compliquée. L’armement GLD
entre Toulon et Civitavecchia a donc choisi d’accepter les convois accompagnés, mais en
mettant en ligne un ferry mixte, qui est plus onéreux qu’un pur navire roll on - roll off, à
l’achat et avec les charges consécutives qu’il implique.
Le recours au chauffeur routier soulève, on le sait, d’autres problèmes. D’abord, il est
un garant de la sécurité et de la fiabilité du service accompli : il est responsable de son
véhicule et de sa charge sur tout le parcours où il est présent. Mais, pour les entreprises, il
peut avoir un autre rôle : à la fin du trajet aller, on lui confie souvent la charge de rechercher,
près des courtiers, dans les bassins de fret autour de Londres, du Nord de la France, du
Benelux, des chargements de retour qui assurent la rentabilité globale du transport. La
pratique du changement de conducteur qu’implique le passage de remorques non
accompagnées remet en cause ces avantages recherchés, surtout par les entreprises ibériques,
très souvent encore artisanales, et par d’autres aussi. Ce peut être une des raisons de l’envoi
par avion des chauffeurs turcs jusqu’au port italien de leur autoroute maritime quand leurs
convois doivent continuer vers l’Europe du Milieu.
Un dernier problème demeure. L’utilisation d’une autoroute maritime ne se
pérennisera que si le transporteur routier y gagne en argent. À partir de quel gain changera-t-il
ses habitudes et procédera-t-il aux adaptations nécessaires, par exemple de conditionnement
des chargements ? Une enquête faite près des chargeurs méditerranéens conduit à retenir un
avantage de 5 % par rapport au coût global d’acheminement, ce qui paraît être une limite
sous-estimée. Il y a quelques années, le ministère néerlandais des transports consulté avait nié
la possibilité de transfert des marchandises de la terre vers la mer à moins de 30 %, car il faut
changer trop d’habitudes, de mentalités, de structures de fonctionnement ; si tel était le cas,
les chances de la voie maritime en seraient diminuées.
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Conclusion
La réflexion a certes beaucoup avancé quant à la construction d’autoroute maritime.
Sans doute pas encore assez cependant, bien qu’il existe aujourd’hui des réalisations qui
constituent autant d’exemples à analyser. On aurait tort de penser qu’il suffit d’attirer vers le
littoral des chargements routiers par la seule mise en place de services maritimes bien
organisés. Ainsi que l’IFM l’a affirmé plusieurs fois, la réussite de ces autoroutes sera
acquise sur terre où se trouve le fret, avec l’appui évident d’une bonne organisation en
mer. Sans doute est-ce ce qui a été compris par les responsables italiens accordant par
exemple l’allocation des 100 euros ci-dessus indiquée.
Mais il peut, il doit y avoir d’autres mesures d’aides pour ce transfert de flux routiers :
qualité des infrastructures littorales, dont des voies rapides côtières vers les ports, contrôles
incitatifs de circulation, internationalisation des coûts externes de transport pour les mettre à
la charge des utilisateurs de routes, et sans doute aussi une véritable politique nationale et
communautaire de navigation dans les mers bordières de l’Europe.
A-t-on avancé depuis la publication du rapport Richemont ? Oui, sans doute, vers un
certain nombre de solutions. Oui, également vers la perception de difficultés à résoudre.
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