Comment estimer l`incertitude de mesure lors de la

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Comment estimer l`incertitude de mesure lors de la
Comment estimer l’incertitude de mesure
lors de la quantification de pesticides ?
Laure Joly et Vincent Hanot
WIV-ISP, Juliette Wytsmanstraat 14, 1050 Brussel
L’incertitude, un élément clé de la décision
Dans le cadre particulier de la sécurité alimentaire, les concentrations de pesticides détectés doivent impérativement être inférieures à la concentration limite maximale autorisée (MRL). A cet égard, il est essentiel de disposer
d’une information complète afin de pouvoir se prononcer quant à la conformité d’un produit vis-à-vis des règles
en vigueur.
Cependant, ces concentrations ne prennent tout leur sens que lorsqu’elles sont nuancées par leur incertitude de
mesure. Celle-ci permet, en effet, de caractériser la dispersion des valeurs que l’on peut raisonnablement attribuer
à une mesure pour un niveau de confiance donné (k) [1].
Pour évaluer l’incertitude de mesure sur la concentration d’un pesticide, plusieurs approches peuvent être envisagées pour autant qu’elles cadrent avec le GUM (Guide to the expression of uncertainty in measurement [2]) et la
norme ISO 17025 [3].
Les différentes approches possibles
L’incertitude de mesure, un calcul complexe et fastidieux qui nous ramène sur les bancs de l’école
L’approche complète, également appelée « bottom-up », est décrite dans le guide EURACHEM [4]. Ce guide nous
propose d’adopter la démarche suivante : tout d’abord, lister toutes les sources d’incertitudes potentielles et chiffrer l’incertitude associée à chacune de celles-ci. Par la suite, les différentes contributions identifiées sont exprimées sous forme d’écarts type. Finalement on combinera ces écarts type pour obtenir l’incertitude type composée (uc) à partir de laquelle on calculera une incertitude dite élargie (U). Exemple : U=k uc= 2 uc pour un niveau de
confiance de 95 %.
Grâce à cette approche rigoureuse, les incertitudes liées à chaque source ou étape de la procédure sont clairement identifiées et quantifiées. Le fait de connaitre la valeur propre à chaque incertitude pourra être utilisé ultérieurement afin d’optimiser la procédure analytique.
Néanmoins, appliquée au domaine particulier de l’analyse de pesticides, cette approche s’avère particulièrement
fastidieuse et est pratiquement impossible à mettre en œuvre. De plus, elle tend à sous-estimer l’incertitude de
mesure dans les cas complexes, ceci est principalement dû au fait qu’il est difficile d’inclure l’ensemble des contributions dans le calcul final [5].
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Calculer l’incertitude sans en connaitre les sources
L’approche « top-down » développée par l’Analytical Methods Commmittee (AMC) [6] ne peut quant à elle être
utilisée que pour des méthodes déjà validées. Cette démarche empirique consiste à caractériser l’incertitude à
travers la variabilité des résultats d’analyse intra et inter-laboratoires.
Dans cette approche, U= √(u2biais+ u2 Rw ), le biais est déterminé à partir des z-scores obtenus aux tests inter-laboratoires et des mesures de matériaux de référence tandis que la reproductibilité intra-laboratoire (URw,) est, quant à
elle, déterminée à partir d’échantillons de contrôle qualité (QC) et de données de validation.
Comme l’approche « top-down » maximise la probabilité d’inclure toutes les contributions, elle est souvent plébiscitée en chimie analytique. L’AFSCA prône également ce type d’approche [7].
Fixer l’incertitude à 50 % en suivant les recommandations du SANCO 12495/2011
En pratique, calculer l’incertitude de mesure, de quelque manière que ce soit, pour plusieurs centaines de molécules et dans plusieurs dizaines de denrées alimentaires différentes (ce qui est le cas des analyses multi-résidus de
pesticides) se révèle être parfaitement irréalisable.
Conscient de cette problématique, le SANCO 12495/2011 [8] recommande aux laboratoires ayant démontré leur
compétence lors des tests inter-laboratoires de fixer l’incertitude à 50 %. Cette valeur, apparemment arbitraire,
découle de l’observation des déviations standards robustes (Qn-RSD) des tests inter-laboratoires européens sur
plusieurs années. La figure 1 montre que la déviation standard robuste est proche de 25 % pour la plupart des
pesticides et ce, indépendamment du type de matrice rencontré. Dès lors, la déviation standard d’usage (FFP-RSD
) est fixée à 25 % et l’incertitude élargie FFP-RSD à 50 % pour un niveau de confiance de 95 %.
Sur la figure 1 nous remarquons également qu’au fil des années, les Qn-RSD tendent à se rapprocher de la valeur
de la FFP-RSD.
Figure 1. Déviation standard robuste (Qn-RSD) des différents pesticides détectés au cours des
10 tests inter-laboratoire européens. Les matrices analysées sont constituées de fruits ou de
légumes, différents chaque année. Les concentrations des pesticides obtenues varient entre
50 et 1000 ng/g de matrice. Reproduction avec l’aimable autorisation de l’European Union
Reference Laboratory for residues of pesticides in fruits and vegetables (EURL-FV)
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Estimer l’incertitude avec les équations d’Horwitz et de Thompson (Horwitz modifié)
Il s’agit d’une approche complètement différente des deux précédentes, basée sur les équations empiriques
d’Horwitz et de Thompson, et qui considère l’incertitude comme étant uniquement proportionnelle à la concentration en pesticides.
L’équation d’Horwitz ( U= 0.02 c0.8495 pour un niveau de confiance de 95 %) est utilisée pour des concentrations (c
en g/g) comprises entre 1.2 10-7 (120 ppb) et 0.138 (13.8 %). Pour des concentrations plus faibles, c’est l’équation
de Thompson (Horwitz modifié) qui est utilisée ; U= 0.22 c [9,10].
Cette démarche permet surtout de se faire une bonne idée de l’ordre de grandeur de l’incertitude.
Comparaison des incertitudes obtenues avec les différentes méthodes
L’EURL « Pesticides Fruits and Vegetables » a estimé l’incertitude associée à différents pesticides à une concentration de 10 ppb par le biais de chacune des méthodes précédemment discutées [11].
En voici les principaux résultats : l’approche « bottom up » n’a pas été utilisée en raison de sa complexité,
l’approche « top-down » évalue l’incertitude à 54 %, la méthode SANCO donne une incertitude de 50 %, enfin
l’équation de Thompson estime l’incertitude à 44 %.
Néanmoins, pour être complet, il faut également préciser que dans certains cas spécifiques, l’incertitude sur la
mesure de la concentration d’un pesticide reste bien inférieure à 50 %.
C’est notamment le cas de l’analyse des bromures qui se fait à travers une méthode dite « single residu » pour
laquelle les concentrations détectées sont de l’ordre de 50 ppm. Selon l’équation d’Horwitz et au vu des quantités
détectées, l’incertitude est de 10 %, soit un résultat proche de la RSD robuste (Qn-RSD) des test inter-laboratoires
(8.6 % au PT –SRM6).
L’incertitude est également réduite lors de l’utilisation d’un standard isotopique dans des méthodes « single residu
». Le standard isotopique est ajouté en début d’analyse et corrige la plupart des incertitudes liées à l’extraction, à
la purification et à l’injection. De cette manière, le biais et la reproductibilité intra-laboratoire obtenus sont minimisés et l’incertitude élargie est bien en deçà des 50 %.
Bibliographie
1. International vocabulary of basic and general terms in metrology (VIM),ISO 1993
2. Guide to the expression of uncertainty in measurement (GUM). BIPM, IEC, IFCC, ISO, IUPAC, IUPAP, OIML. International organization of standardization, Geneva Switzerland, 1st edition 1993, corrected and reprinted 1995
3. ISO/DIS 17025, General Requirements for the Competence of Calibration and Testing Laboratories, ISO, Geneva, Switzerland, 2000.
4. Quantifying uncertainty in analytical measurement. EURACHEM/CITAC Guide,2nd ed., 2000
5. Measurement uncertainty in testing, Eurolab Technical report N°1/2002
6. Analytical Methods Committee of the Royal Society of Chemistry, Analyst, 1995, 120 ; 2303.
7. Procédure pour la détermination de l’incertitude de mesure pour les analyses chimiques quantitatives. Note
de service de l’AFSCA n°LAB P 508 disponible sur le site web de l’AFSCA
8. Method validation and quality control procedures for pesticide residues analysis in food and feed. Doc
SANCO/12495/2011
9. Horwitz, W., Kamps, L.R., Boyer, K.W., J. Assoc. Off. Anal. Chem., 1980, 63 ; 1344.
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10.Thompson, M., Analyst, 2000, 125 ; 385.
11.Comparative study of the main top-down approaches for the estimation of measurement uncertainty in multiresidue analysis of pesticide in fruit and vegetables, Medina, P, Presentation at EURL SRM/FV Workshop, 27-28
October 2010 Almeria (Spain)
[email protected]
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