Aspects ORL de la maladiede Kaposi – ENT aspects of Kaposi`s

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Aspects ORL de la maladiede Kaposi – ENT aspects of Kaposi`s
cas clinique
Peau
Mots-clés
Maladie de Kaposi - Lésions ORL - VIH
Keywords
Kaposi’s disease - ENT lesion - HIV
Aspects ORL de la maladie
de Kaposi
ENT aspects of Kaposi’s disease
V. Koffi-Aka*, F. Ehouo*, A. Magagi*, A. Kaloga**, E. De Méideros*, A. Yotio*
L
a maladie de Kaposi (MK) connaît une recrudescence depuis
l’apparition du VIH, avec une prévalence plus élevée des
formes épidermiques. Elle a représenté moins de 5 % des
séries étudiant les manifestations ORL observées au cours de
l’infection à VIH à Abidjan (1-3). Le présent travail vise à étudier
les lésions ORL des patients souffrant de MK et à en déterminer
le profil épidémiologique.
Tableau I. Répartition des plaintes fonctionnelles ORL.
Plaintes fonctionnelles
P a t i e n t s e t m é t h o d e s Il s’agit d’une analyse rétrospective sur 11 ans (poursuivie de
1994 à 2004) de patients atteints de la maladie de Kaposi et ayant
présenté des lésions ORL. Le recensement a été effectué au CHU de
Treichville, dans les services de dermatologie (27 patients), d’ORL
(7 patients) et des maladies infectieuses et tropicales (1 patient).
Les caractéristiques épidémiologiques et les aspects ORL ont été
étudiés.
R é s u l t a t s Parmi les 68 patients souffrant d’une maladie de Kaposi et présentant des manifestions ORL, 35 cas (51 % : 22 hommes et 13 femmes,
dont 18 célibataires) étaient exploitables selon nos critères. La
moyenne d’âge était de 38,5 ans, avec des extrêmes de 20 à 71 ans.
Les tranches d’âges de 21 à 50 ans étaient les plus touchées (80 %).
Il y avait 2 cas de récidive de la maladie de Kaposi. La répartition
des plaintes fonctionnelles ORL (tableau I) a montré une prédominance des signes oropharyngés de type odynodysphagie (n = 26),
suivis des lésions faciales (n = 11, soit 31,42 %) [figures 1, 2 et 3].
* Service ORL et CCF du CHU de Treichville, Abidjan, République de Côte-d’Ivoire.
** Service de dermatologie-vénérologie du CHU de Treichville, Abidjan, République de
Côte-d’Ivoire.
Nombre de cas
Pourcentage
Dysphagie
15
42,85
Odynodysphagie
11
31,42
Lésion faciale
11
31,42
Dyspnée laryngée
3
8,57
Dysphonie
3
8,57
Obstruction nasale
3
8,57
Adénopathie cervicale
2
5,71
Hypersialorrhée
1
2,85
Les patients ont consulté en première intention dans le service
d’ORL du fait de la sévérité des signes ORL : dysphonie et dyspnée
laryngée (n = 3), odynodysphagie (n = 4), obstruction nasale (n = 3),
polyadénopathie cervicale (n = 1). Les autres patients (n = 16), ont
été adressés dans le cadre du bilan systématique ou suite à une
plainte fonctionnelle spécifique. Dans 10 cas, les patients n’ont
pas fait l’objet d’une consultation ORL et ont été pris en charge
par d’autres services (dermatologie ou maladie infectieuse). Les
manifestations ORL étaient polymorphes et généralement multifocales (tableau II). Les lésions kaposiennes se présentaient le plus
souvent sous la forme de plaques et de nodules angiomateux. Des
lésions tumorales, notamment bourgeonnantes ou ulcéro-nécrotiques, ont été observées au niveau de la langue (n = 3), du voile du
palais (n = 2), du larynx (n = 2) et du cavum (n = 1). L’atteinte faciale
se présentait sous forme d’œdème, de lésions angiomateuses et
nodulaires. Ces lésions siégeaient préférentiellement au niveau
de la pointe du nez et des paupières. Des lésions œsophagiennes
(n = 4) ont été découvertes lors d’un examen fibroscopique pour un
diagnostic de dysphagie basse. L’atteinte ganglionnaire cervicale
a été révélée chez 8 patients (22,85 %).
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Tableau II. Distribution des lésions selon la topographie et la macro­
scopie.
Topographie
Voile du palais
27
– Plaque : 8
– Œdème : 7
– Macule angiomateuse : 3
17
– Plaque : 4
– Macule : 3
– Tumeur bourgeonnante : 2
– Tumeur pédiculée ulcéronécrotique : 1
– Nodule : 1
11
– Adénopathies cervicales : 8
– Macule : 2
– Placard nodulaire : 1
11
– Plaque angiomateuse : 7
– Nodule : 2
– Macule : 1
9
Gencives
– Plaque : 4
– Nodule : 2
6
Piliers amygdaliens
– Plaque : 2
– Lésion maculo-papuleuse : 1
– Nodule : 1
4
Pointe du nez
– Nodule : 4
– Macule : 2
4
Œsophage cervical
– Nodule : 2
– Plaque : 2
4
Palais dur
– Plaque : 2
– Nodule : 2
4
Fosses nasales
– Plaque angiomateuse : 2
– Nodule : 2
– Ulcération : 1
3
– Nodule des plis vocaux : 2
– Œdème des plis
ventriculaires : 1
– Tumeur de l’épiglotte : 1
– Tumeur bourgeonnante
des plis vocaux : 1
3
Amygdale
– Plaque : 2
2
Rétro-auriculaire
– Nodule : 1
1
Paroi postérieure
du pharynx
– Œdème : 1
1
Plancher buccal
– Nodule : 1
1
Rhinopharynx
– Tumeur bourgeonnante : 1
1
Face
Langue
Cou
Muqueuses jugales
▼ Figure 3. Lésions papuleuses kaposiennes de la face et de l’aisselle gauche (série du
service de dermatologie du CHU de Treichville).
Nombre
de patients
– Plaque : 14
– Nodule : 6
– Macule : 5
– Tumeur : 2
– Lésion maculo-papuleuse : 1
▲ Figure 1. Nodule angiomateux rétro-auriculaire (série du service de dermatologie
du CHU de Treichville).
▲ Figure2. Plaques angiomateuses et œdème de la face (série du service de dermatologie du CHU de Treichville).
Macroscopie : n
Larynx
La maladie de Kaposi a été diagnostiquée de façon fortuite car
aucune lésion classique évocatrice associée n’a été observée,
notamment devant des lésions du larynx, des fosses nasales, du
cavum et dans un cas de polyadénopathie chronique. Le diagnostic
définitif a toujours été anatomopathologique à partir de biopsies.
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cas clinique
Chez 82,85 % des sujets, les lésions extra-ORL étaient dominées
par l’atteinte des membres inférieurs : œdème, macules ou nodules
angiomateux. Les autres sièges concernaient les membres supérieurs, l’œil et le thorax.
Quatre-vingt-quatorze pour cent des patients (n = 33) étaient
séropositifs ; un patient s’est opposé à la réalisation du test sérologique VIH. Outre l’infection à VIH, on relevait 31 cas d’anémie,
11 cas de candidose, 5 cas de tuberculose et 1 cas de toxoplasmose.
Soixante-trois pour cent patients (n = 22) avaient reçu un traitement
spécifique. La molécule qui a été la plus couramment utilisée était
la doxorubicine à la dose de 50 mg tous les 21 jours. Huit patients
ont été parallèlement traités par antirétroviraux (ARV). Du fait de
leur mauvais état général, les autres patients ont reçu un traitement
symptomatique. Malgré l’état d’immunodépression, l’évolution sous
traitement spécifique a été favorable dans 77 % des cas, avec fonte
des œdèmes et rémission des lésions. Parmi les 13 patients qui n’ont
pas reçu le traitement spécifique, 5 sont décédés des suites d’une
anémie sévère, d’une hémorragie ou d’affections opportunistes.
Les autres patients (n = 8) ont été perdus de vue.
D i s c u s s i o n Depuis l’apparition du VIH, les lésions extra-cutanées de la MK
sont plus courantes (4-6). En dehors de deux patients de l’étude
répondant d’ailleurs à la définition de la MK classique, tous
les autres patients étaient séropositifs. Un patient a refusé de
réaliser la sérologie VIH (7). Le taux élevé de MK épidémique est
en rapport avec la recrudescence du sida qui, en Côte-d’Ivoire,
touche environ 14 % de la population. La faible prévalence de la
MK dans les travaux antérieurs (1-3) pourrait être imputable au
mode de recrutement.
Les lésions ORL de la MK siègent classiquement au niveau des
muqueuses buccale, pharyngée et laryngée (1-10). Elles sont
rarement isolées (5, 7) et peuvent cependant précéder la lésion
cutanée caractéristique. Les lésions cutanées évocatrices les plus
fréquentes sont représentées par des plaques. Elles sont associées
à des nodules dans 40 % des cas. L’atteinte laryngée est rare mais
ancienne, décrite dès 1872 par M.K. Kaposi (5, 10). De véritables
lésions tumorales telles que celles observées dans notre série ne
sont pas rares. D’autres sites inhabituels ont été rapportés comme
le conduit auditif externe (11) ou le cavum, dont nous avons relevé
un cas. Les lésions œsophagiennes sont généralement découvertes
au cours d’une fibroscopie motivée par l’existence d’une dysphagie
basse. A. Lafeuillade (5) a décrit 3 cas révélés lors d’un examen
pour dysphagie, épigastralgie, et mélæna. L’atteinte faciale à type
d’œdème ou de lésions angiomateuses et nodulaires (31,42 %
de notre série, soit 11 patients sur 35) a été la plus fréquente.
L’envahissement ganglionnaire cervical (22,85 % de notre série,
soit 8 patients sur 35) a été plutôt rare chez l’adulte (4, 2, 7). Les
ganglions superficiels semblaient les plus atteints, même si toutes
les aires ganglionnaires étaient concernées. Le statut rétroviral
n’a pas pu être prouvé chez un patient de 37 ans ayant présenté
une localisation ganglionnaire isolée (7). Les autres pathologies
associées traduisent les possibilités d’hémorragie (anémie) et/
ou l’état immunodépressif engendré par la MK (tuberculose,
toxoplasmose).
L’évolution à court terme a été favorable pour la plupart des
patients traités. Les protocoles thérapeutiques varient selon les
équipes (8) et reposent classiquement sur la chimiothérapie antimitotique et rétrovirale et/ou la radiothérapie. En dehors de la biopsie
ou des formes obstructives, la chirurgie est peu ­indiquée.
Conclusion
Les manifestations ORL de la maladie de Kaposi sont diverses
et non spécifiques. Elles ont concerné principalement des sujets
séropositifs. La symptomatologie varie en fonction du siège et
du volume de la lésion. Les localisations cutanéo-muqueuses
ont été les plus fréquentes, conformément aux données de la
littérature.
■
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