Modulation du temps de travail et modification du contrat de - Wk-rh
Transcription
Modulation du temps de travail et modification du contrat de - Wk-rh
JURIspRUDEncE DURÉE DU TRAVAIL. L’arrêt du 28 septembre 2010 confirme les conditions de coordination entre accord collectif et contrat de travail lorsque le premier entraîne une modification du second. Par leur nature, les accords de modulation nécessitent le consentement exprès du salarié à la modification qui en résulte. Modulation du temps de travail et modification du contrat de travail Philippe Florès, Conseiller référendaire à la chambre sociale de la Cour de cassation L’ arrêt commenté montre une nouvelle fois les difficultés d’appréciation des conséquences d’un accord de modulation du travail, la Cour de cassation jugeant de façon constante qu’un accord collectif ne peut modifier le contrat de travail d’un salarié (Cass. soc., 14 mai 1998, n° 96-43.797; 5 févr. 2003, n° 01-40.588). TRAnsfERT DU conTRAT ET MoDULATIon En l’espèce, un ouvrier agricole travaillait pour le compte d’un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC). Du fait de la réduction du temps de travail, la durée mensuelle a été ramenée à 151, 67 heures, le salarié continuant à accomplir au moins 169 heures par mois. À la suite de la reprise des activités du GAEC, le nouvel employeur a fait application de l’accord de modulation en vigueur dans son entreprise. Le salarié s’y opposant et soutenant que la durée du travail avait été modifiée unilatéralement, a saisi la juridiction prud’homale d’une demande de rétablissement de l’horaire de travail initial. Le Conseil de prud’hommes de Valence l’a débouté de ses demandes. De son côté, la Cour d’appel de Grenoble a infirmé cette décision, et, retenant que l’employeur ne pouvait remettre en cause unilatéralement les conditions d’organisation du travail antérieures et que la modulation du travail imposée unilatéralement ne pouvait aboutir à une remise en cause des dispositions contractuelles, a fait droit à la demande de rappel de salaire sur la base des horaires appliquées au sein du GAEC avant le transfert de l’activité. La question posée par le pourvoi était donc de savoir si l’employeur pouvait, dans le cadre de son pouvoir de direction, imposer à un salarié la modulation du temps de travail prévue par un accord collectif, ou bien si un tel changement 12 se heurtait à la force obligatoire du contrat du travail et ne pouvait donc être obtenue qu’avec le consentement du salarié. La Cour de cassation par une formule particulièrement nette, approuve l’arrêt qui avait accueilli la demande de maintien de l’horaire de travail initial et la demande de rappel de salaire qui l’accompagnait : « l’instauration d’une modulation du temps de travail constitue une modification du contrat de travail qui requiert l’accord exprès du salarié. » Le salarié avait déjà bénéficié de la réduction du temps de travail, le maintien de l’horaire de travail à 169 heures, voire au-delà, ne résultant que de l’exécution d’heures supplémentaires. Or l’application de l’accord de modulation, en vigueur dans l’entreprise au sein de laquelle le contrat de travail avait été transféré, avait notamment pour effet de ne plus garantir la réalisation de l’horaire antérieur, de reculer le seuil de déclenchement des heures supplémentaires et de soumettre le salarié à des variations d’horaires sur l’année. Pour un ouvrier agricole travaillant sur une exploitation viticole, on imagine sans peine que la modulation avait pour objet de lisser les heures de travail sur l’année afin de les réduire en période de basse activité, pendant le repos végétatif, pour les concentrer lorsque la vigne ou le vin réclament une attention de chaque instant, et, bien entendu, durant les vendanges. MoDULATIon ET MoDIfIcATIon w Durée du travail et modification La durée de travail fait partie des éléments qui peuvent entrer dans le socle contractuel et ne peuvent être modifiés qu’avec l’accord du salarié. La Cour de cassation examine avec soin la nature des changements apportés aux horaires ou à l’organisation du travail. Ainsi, la chambre sociale a retenu que la modi- Semaine sociale Lamy • 20 décembre 2010 • n° 1472 fication introduisant une coupure de plusieurs heures dans la journée de travail et fixant des horaires variant chaque semaine sur un cycle de cinq semaines ne se borne pas à un simple changement d’horaire relevant du pouvoir de direction de l’employeur, mais institue le passage d’un horaire fixe à un horaire variable et constitue en conséquence une modification du contrat de travail que le salarié est en droit de refuser (Cass. soc., 14 nov. 2000, n° 98-43.218, Bull. civ. V, n° 365). De même, l’accord du salarié, dont les horaires étaient répartis du lundi au vendredi, est nécessaire lorsque la nouvelle organisation doit le conduire à travailler un samedi sur deux, et le prive une semaine sur deux du repos hebdomadaire de deux jours consécutifs (Cass. soc., 22 oct. 2003, n° 01-42.651). Une solution identique est retenue en cas de passage d’un horaire de travail de jour à un horaire de nuit, et inversement (Cass. soc., 14 oct. 2008, n° 07-40.092), y compris lorsque ce passage est partiel (Cass. soc., 7 avr. 2004, n° 02-41.486 ; Bull. civ. V n° 107). w Accord de modulation exclu par la loi du champ de la modification du contrat ? Une interrogation pourrait naître du fait de la rédaction de l’article L. 1222-7 du Code du travail, aux termes duquel, « la seule diminution du nombre d’heures de travail stipulé au contrat de travail en application d’un accord de réduction de la durée de travail ne constitue pas une modification du contrat du travail ». Dès lors, on peut se demander si le législateur n’entendait pas exclure les accords tels que celui objet du litige, du champ d’application de la modification du contrat de travail. Les débats parlementaires relatifs à la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, qui contient cette disposition (art. 30 I), permettent d’écarter cette hypothèse. En effet, notait le rapporteur, M. Gorce, « il n’est donc pas possible aujourd’hui d’être certain que le changement de la durée du travail impliquée par la réduction du temps de travail ne constitue pas une modification du contrat de travail », et le nouvel article avait pour objet de lever les incertitudes : « le projet de loi propose de dénier au seul changement du nombre d’heures fixées au contrat de travail la qualité de modification dudit contrat. le changement du nombre d’heures sera donc considéré comme une simple modification des conditions de travail du salarié qui ne pourra la refuser sans commettre une faute susceptible de conduire à son licenciement. Par ce biais, l’incertitude est levée sur un point qui devrait concerner des millions de contrats dans les années à venir, limitant les risques de contentieux, tout en présentant pour les salariés la possibilité de refuser, voire de contester devant le juge, des changements d’autre nature. » C’est donc bien parce qu’il avait conscience que la modification de la durée du travail pouvait constituer une modification du contrat de travail que le législateur a introduit l’exception prévue par l’article L. 212-3, devenu L. 1222-7 du Code du travail. En conséquence, lorsque les faits n’entrent pas dans cette exception légale, les règles de droit commun relatives à la modification du contrat de travail doivent être appliquées. Du reste, la Cour de cassation a retenu que, si le refus par le salarié d’accepter la modification de son contrat de travail résultant de la mise en œuvre d’un accord de modulation constitue, en application de l’article 30 II de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 alors applicable, une cause réelle et sérieuse de licenciement, c’est à la condition que cet accord soit conforme aux dispositions de l’article L. 212-8 devenu L. 3122-9 du Code du travail dans sa rédaction alors en vigueur. Lorsque l’accord de modulation ne répond pas à ces exigences, le licenciement du salarié motivé par son seul refus d’accepter la modification de son contrat de travail résultant de la mise en œuvre de la modulation est dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 23 sept. 2009, n° 07-44.712, Bull. civ. V, n° 201). Déjà, la Cour de cassation avait retenu que la mise en œuvre du travail à temps partiel modulé au sens de l’article L. 212-4-6 du Code du travail, qui se traduit par une modification de la répartition du temps de travail par semaine ou sur le mois, constitue, pour le salarié déjà titulaire d’un contrat de travail à temps partiel, une modification ration est plus avantageux (Cass. soc., de son contrat de travail. L’accord ex- 28 janv. 1998, n° 95-40.275, Bull. civ. V près du salarié est alors nécessaire (Cass. n° 90 ; 5 mai 2010, n° 07-45.409, Bull. soc., 20 févr. 2008, n° 06-43.349, Bull. civ. V n° 102), même si elle ne porte civ. V, n° 43). Certes, il s’agissait d’un que sur la structure de la rémunération contrat à temps partiel, dont on sait (Cass. soc., 9 juill. 1998, n° 07-41.231), que les éléments de durée sont toujours constitue une modification du contrat contractualisés, mais la solution était de travail qui requiert l’accord exprès manifestement transposable. Même du salarié. En l’espèce, il est bien évidans le cadre d’un contrat de travail à dent que l’accord de modulation avait temps complet, l’accord pour effet de reculer le de modulation n’apseuil de déclenchement c’est bien parce qu’il des heures supplémenporte pas une simple avait conscience que la taires, calculées dans modification des horaires de travail. Il modification de la durée un cadre annuel et non bouleverse ceux-ci sur du travail pouvait sur une base hebdomal’année, par la détermidaire. Certes, le salarié constituer une n’a pas de droit acquis nation de périodes modification que le à l’exécution d’heures hautes et basses auxquelles le salarié devra législateur a introduit supplémentaires. Il s’adapter, sauf stipulaune exception selon n’en demeure pas tions contraires d’un moins que l’accord de laquelle le changement modulation a mécaniaccord d’entreprise ou du nombre d’heures quement pour effet de d’établissement, avec un délai de prévenance fixées au contrat est un réduire les possibilités de sept jours (C. trav., changement des de perception des majorations liées à la art. L. 3122-2 al. 3) et conditions de travail réalisation d’heures qu’il devra prendre en supplémentaires, qui compte dans l’organisation de sa vie personnelle et familiale. ne sont plus décomptées selon la base Comme le notait M. le conseiller hebdomadaire de l’article L. 3121-20 Gosselin, l’application d’un accord de du Code du travail, et modifie de ce modulation constitue une modification fait les conditions de rémunérations du contrat de travail « compte tenu de du salarié, au détriment de ce dernier. la variation des durées du travail imposée En l’espèce, la modification était claire au salarié selon les périodes de l’année » puisqu’après application de la réduc(« Le temps de travail, jurisprudence tion du temps de travail à 151,67 heures récente de la chambre sociale de la Cour par mois, le salarié a continué à exécuter au moins 169 heures, la difde cassation », Dr. soc., p. 374). férence étant payée en heures supplémentaires. L’impact sur la rémunéraw Modulation et rémunération L’accord de modulation peut aussi tion était manifeste puisque la cour retentir sur la rémunération du salarié, d’appel a accordé un rappel de salaire puisqu’il affecte le mode de calcul des de plus de 6 000 euros pour une période heures supplémentaires, et rend en de vingt-six mois. Dès lors, la modificonséquence plus difficile la perception cation du contrat de travail qui résulte des majorations afférentes. Cette de l’atteinte à la rémunération du conséquence d’un accord de modula- salarié impliquait également que soit tion avait récemment été soumis à la recueilli son accord exprès. n Cour de cassation par le biais de l’inu Cass. soc., 28 sept. 2010, cidence des absences du salarié pour n° 08-43.161 P + B cause de maladie (Cass. soc., 9 janv. 2007, n° 05-43.962, Bull. civ. V n° 1 ; Retrouvez le texte de l’arrêt sur : 13 juill. 2010, n° 08-44.550, à paraître au Bull. ; M. Morand « l’incidence des absences sur le calcul des heures supplémentaires dans le cadre de la modu lation », JCP S, 2010, p. 1355). Or, le salaire est le cœur du contrat du tra- poUR coMpLÉTER vail et toute atteinte à la rémunération, Sur cet arrêt, voir aussi « Une mort même minime (Cass. soc., 19 mai 1998, annoncée des accords collectifs n° 96-41.573, Bull. civ. V, n° 265 ; d’annualisation du temps de travail ? » Cass. soc., 20 janv. 2001, n° 98-44.039), Françoise Favennec-Héry, Semaine sociale Lamy n° 1464, p.10 même si le nouveau mode de rémuné- F Semaine sociale Lamy • 20 décembre 2010 • n° 1472 13