Chapitre 10 : MEDICAMENTS ET PATHOLOGIES Insuffisance

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Chapitre 10 : MEDICAMENTS ET PATHOLOGIES Insuffisance
Chapitre 10 :
MEDICAMENTS ET PATHOLOGIES
Insuffisance rénale – Insuffisance hépatique
Objectifs :
− Savoir décrire les modifications de la pharmacocinétique des médicaments chez l’insuffisant rénal
− Savoir comment et où trouver l’information nécessaire pour réaliser une adaptation de posologie à
la fonction rénale.
− Etre capable d’adapter la posologie des médicaments à la fonction rénale.
− Savoir décrire les modifications de la pharmacocinétique des médicaments chez l’insuffisant
hépatique.
Pour atteindre les objectifs, il est nécessaire de connaître, comprendre et maîtriser les
mots clés suivants : (mots clés soulignés dans le texte)
• Adaptation de la posologie
• Toxicité rénale
Plan
Introduction
1. Médicaments et insuffisance rénale (IR)
1.1 Toxicité rénale des médicaments
1.2. Conséquences de l’IR sur la pharmacocinétique
1.3 Adaptation de la posologie
2. Médicaments et insuffisance hépatique
Faculté de Médecine de Strasbourg, Module de Pharmacologie Générale DCEM1 2005/2006
« Médicaments et pathologies » - C. Loichot et M. Grima - Mise à jour : septembre 2004
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Introduction
Par définition, la prescription d’un médicament vise au traitement d’un état pathologique donné.
Celui-ci peut être à l’origine de modifications importantes influençant le comportement
pharmacocinétique du médicament.
Le devenir du médicament est contrôlé par deux organes essentiels, le rein et le foie. Toute atteinte
importante des fonctions rénales et hépatiques conduit donc à une modification des processus de
biotransformation et d’excrétion du médicament.
Ce chapitre traitera des conséquences de l’insuffisance rénale et de l’insuffisance hépatique sur la
pharmacocinétique et le maniement des médicaments. D’autres pathologies peuvent également
affecter le devenir du médicament : par exemple : les maladies digestives (avec des modifications de
résorption), l’insuffisance cardiaque (avec une diminution des débits sanguins locaux).
1.
Médicaments et Insuffisance rénale
Deux aspects peuvent être envisagés :
• Le médicament peut avoir un effet toxique au niveau du rein et être responsable d’une insuffisance
rénale ou l’aggraver si elle pré-existe ;
• Une insuffisance rénale établie diminue l’élimination rénale des médicaments, conduisant à des
modifications pharmacocinétiques et/ou pharmacodynamiques.
1.1. Toxicité rénale des médicaments
Le rein est un organe particulièrement sensible à un toxique en raison des facteurs suivants :
• Il reçoit un débit sanguin élevé (20 % du débit cardiaque) ;
• Son activité métabolique est élevée ;
• Il possède une grande surface d’endothelium (sensibilité accrue au risque toxique et
immunologique) ;
• Le mécanisme de contre-courant dans la medulla est susceptible d’augmenter les concentrations
intraparenchymateuses ;
• Il possède de nombreuses protéines de transport ;
• Il a la capacité d’augmenter la fraction libre des médicaments en rompant les liaisons aux
protéines plasmatiques.
Les différents mécanismes de toxicité rénale des médicaments sont :
-
Diminution de la perfusion sanguine rénale : ex les produits de contrastes iodés, les AINS chez des
patients à risque (hypovolémique, insuffisant cardiaque, cirrhose, personnes âgées …).
L’inhibition des prostaglandines vasodilatatrices rénales par les AINS peut entraîner chez ces
patients à risque une diminution du débit sanguin rénal et un risque d’hypoperfusion.
-
Interférence de la balance hydroélectrique avec survenue d’hypokaliémie, hyponatrémie,
hypovolémie : ex les diurétiques chez des personnes deshydratées (fièvre, diarrhée..)
-
Effet cytotoxique direct du médicament : ex aminosides
-
Réaction d’hypersensibilité : ex pénicilline
-
Obstruction tubulaire par dépôts dans la lumière tubulaire : ex indinavir, 7-OH méthotrexate
(métabolite du méthotrexate)
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1.2. Conséquences de l’insuffisance rénale sur la pharmacocinétique
Toute atteinte sévère de la fonction rénale modifie prioritairement l’élimination rénale du
médicament ; néanmoins, d’autres étapes de la pharmacocinétique peuvent être altérées :
‰
la résorption gastrique
ex : l’hypochlorhydrie qui accompagne fréquemment l’insuffisance rénale chronique sévère ralentit la
résorption des médicaments à pKA acide.
‰
l’effet de premier passage hépatique
il semble que pour les médicaments à effet de premier passage hépatique élevé, l’insuffisance rénale
diminue l’ampleur de ce processus sans que le mécanisme de cette interférence soit compris.
‰
La fixation aux protéines plasmatiques
Le syndrome néphrotique s’accompagne d’une hypo-albuminémie liée à la protéinurie. Cette baisse de
la concentration des protéines plasmatiques augmente la fraction libre du médicament présent dans le
plasma avec un risque de toxicité pour les médicaments fortement liés aux protéines tels que les
sulfamides hypoglycémiants, les coumariniques.
‰
La distribution
L’augmentation du compartiment extracellulaire par la rétention œdémateuse accompagnant
l’insuffisance rénale est susceptible de modifier la distribution.
‰
L’élimination urinaire
Les conséquences d’une insuffisance rénale concernent essentiellement les médicaments qui sont
principalement éliminés sous leur forme active (ou de métabolite actif ou de métabolite toxique) par le
rein. La figure ci-dessous décrit, en fonction de la filtration glomérulaire, l’évolution des demi-vies
plasmatiques de trois antibiotiques :
•
La tétracycline et la gentamicine, presque exclusivement éliminées sous leur forme active par le
rein ;
•
La rifampicine : entièrement métabolisée au niveau hépatique.
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Lorsque la filtration glomérulaire diminue environ de moitié, les demi-vies de la tétracycline et de la
gentamicine augmentent, d’autant plus que la part du médicament éliminé sous forme active par le rein
est plus élevée. En revanche, pour la rifampicine, il n’y a aucune conséquence de la diminution de la
filtration glomérulaire.
En clair, une insuffisance rénale entraînant une forte baisse de la filtration glomérulaire (clairance de
la créatinine endogène inférieure à 30 ml/min) diminue de façon importante l’élimination urinaire des
médicaments qui sont éliminés sous leur forme active par le rein.
Sans adaptation de la posologie de ces médicaments, la diminution de l’élimination conduit à un
allongement de la demi-vie d’élimination et à une augmentation des concentrations plasmatiques.
Chez un patient insuffisant rénal, et pour un médicament éliminé sous forme active par le rein, la
concentration plasmatique à l’équilibre Css sera égale à :
t1/2 IR.
Css IR. = Css sujet sain X ------------------t1/2 sujet sain
où t1/2 est la demi-vie plasmatique du médicament.
En pratique, un doublement de la demi-vie plasmatique chez l’insuffisant rénal entraîne un
doublement de la concentration plasmatique à l’équilibre d’un tel médicament.
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1.3. Adaptation de la posologie
L’adaptation posologique est nécessaire quand :
- le médicament est majoritairement éliminé sous forme inchangée active par le rein (> 50 %)
- des métabolites actifs ou toxiques sont éliminés par le rein.
Remarque : Le degré d’insuffisance rénale est évalué par la filtration glomérulaire.
La filtration glomérulaire est estimée par la clairance de la créatinine endogène. La clairance de la
créatinine endogène normale est d’environ 120 ml/min pour un sujet masculin adulte de 70 kg. La
clairance de la créatinine endogène peut être calculée à partir du taux de créatinine plasmatique par la
formule de Cockroft :
Formule de Cockroft :
Chez l'homme :
Cl créat. (ml/min)=
(140 – âge en années) x poids (kg)
0,814 x créatininémie (µmol/l)
Chez la femme, corriger en multipliant le résultat par 0,85 :
Cl créat. (ml/min)=
(140 – âge en années) x poids (kg)
x 0,85
0,814 x créatininémie (µmol/l)
Lorsque la créatinine est exprimée en mg/ml, multiplier sa valeur par 8,8
Insuffisance rénale chronique modérée pour Cl créatinine : 30-50 ml/min
L’adaptation de la posologie, rendue nécessaire par la relation qui existe entre t1/2 et concentration
plasmatique, peut se faire selon deux méthodes :
• augmentation de l’intervalle de temps entre les prises avec conservation des doses, cette approche
permet d’obtenir les mêmes concentrations plasmatiques maximales ;
• diminution de la posologie en conservant le même intervalle.
Evolution des concentrations plasmatiques selon la méthode d’adaptation posologique
chez le sujet normal (en pointillé) et chez le sujet insuffisant rénal (en trait plein)
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Plus précisément, le calcul de l’adaptation varie selon que le médicament est totalement éliminé sous
forme active par le rein ou seulement partiellement.
Si le médicament est à élimination rénale exclusive (exemple des amininosides), on peut réduire, de
manière proportionnelle à l’insuffisance rénale, la quantité administrée : par exemple, si l’insuffisance
rénale entraîne une réduction de 50% de la fonction rénale, il faut :
•
soit réduire les doses de 50 %
•
soit doubler les intervalles de prise.
En cas d’élimination rénale partielle on peut :
•
soit trouver l’information dans les monographies du Vidal,
•
soit utiliser un nomogramme permettant d’évaluer le pourcentage de diminution de l’élimination
rénale du médicament à partir d’une évaluation de la fonction par la mesure de la clairance de la
créatinine endogène : par exemple le nomogramme de Dettli (voir ci-dessous).
Nomogramme de Dettli
L’adaptation de la posologie doit également tenir compte de la présence de métabolites actifs ou
toxiques éliminés par le rein.
Exemple de métabolite actif qui s’accumule chez l’insuffisant rénal : la n-acétylprocaïne, métabolite
du procaïnamide, en s’accumulant chez l’insuffisant rénal est susceptible d’entraîner des accidents
cardiaques.
Exemple de métabolite toxique : l’oxypurinol, métabolite de l’allopurinol a un effet toxique en cas
d’accumulation.
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L’adaptation de la posologie peut être contrôlée par des dosages des concentrations plasmatiques. Ils
ne sont pas toujours possibles. Leur coût est élevé. Ils ne sont utiles que si :
• l’effet thérapeutique est dû au médicament et non à un métabolite éliminé par d’autres voies que le
rein ;
• il y a équilibre entre les concentrations plasmatiques et tissulaires avec évolution parallèle entre les
deux compartiments ;
• il n’existe pas de paramètres cliniques ou biologiques permettant de quantifier l’effet
thérapeutique ;
• les taux thérapeutiques sont connus ;
• le dosage est spécifique ;
• l’index thérapeutique est étroit, en particulier chez des patients à risque.
2.
Médicaments et insuffisance hépatique
L’insuffisance hépatique pose de réels problèmes si elle est sévère : cirrhose décompensée
éventuellement accompagnée d’œdèmes (qui peuvent représenter un troisième compartiment de
distribution), cytolyse hépatique grave.
En cas d’insuffisance hépatique, on observe d’une part une diminution du métabolisme due à une
diminution de la synthèse enzymatique et d’autre part une diminution de la synthèse des protéines
plasmatiques.
Par conséquent, on observe généralement :
• une meilleure disponibilité du médicament liée à un effet de premier passage hépatique minoré
pour les médicaments à extraction hépatique élevée (voir chapitre “ élimination “) ;
• une augmentation des concentrations maximales et de la concentration à l’équilibre (voir chapitre
“ éléments de pharmacocinétique ”) ;
• une augmentation de la demi-vie d’élimination (voir chapitre “ éléments de pharmacocinétique ”).
Dans certains cas, l’augmentation des concentrations plasmatiques peut provoquer une toxicité (index
thérapeutique étroit).
Il n’y a pas de paramètre biologique ou clinique évaluant le degré d’insuffisance hépatique qui soit
corrélé à la clairance hépatique des médicaments.
Il n’y a pas de règle générale pour l’adaptation de la posologie en cas d’insuffisance hépatique et il
faut tenir compte de chaque cas particulier.
Pour en savoir plus
•
Influence de l’état fonctionnel rénal sur le maniement des médicaments. J.L. Imbs et coll. In :
Pharmacologie clinique - Bases de la thérapeutique Ed. Giroud 2e édition, Expansion Scientifique
Française, Paris 1988
•
Néphrotoxicité médicamenteuse. J. Diezi. In : Pharmacologie clinique - Bases de la thérapeutique.
Ed. Giroud 2e édition, Expansion Scientifique Française, Paris 1988
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