Peut-on calquer le droit de l`animal sur celui de la personne
Transcription
Peut-on calquer le droit de l`animal sur celui de la personne
LETTRE MENSUELLE N°174 Autres thèmes mars 2015 TRIBUNE GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME Peut-on calquer le droit de l’animal sur celui de la personne humaine ? N’ est-il pas étonnant de voir l’engouement suscité par une loi qui traite du « droit des animaux » quand la vie humaine est menacée dès la conception jusqu’à sa fin ? C’est pourtant à partir de la spécificité humaine que le droit, qui codifie nos rapports humains et les liens avec ce qui nous entoure, a été établi. Jean-Marie Meyer, philosophe, propose des points de repère pour faire face à ces enjeux. Si la personne est respectable c’est d’abord parce qu’elle possède en elle-même le droit d’avoir des droits, c’est-à-dire une dignité. Des représentations de l’animal calquées sur l’homme Il est en premier lieu nécessaire de mettre en garde contre une attitude très répandue et presque inévitable consistant à projeter sur l’animal nos différents états d’esprit. Ainsi, chacun d’entre nous va Le 28 janvier dernier le Parlement a reconnu aux animaux la qualité créditer son chat ou son chien de pensées ou de représentations qui d’« êtres vivants doués de sensibilité1 ». Ce fait, à lui seul, ne pose pas de existent bien en nous, animaux raisonnables, alors que rien n’indique problème particulier car il n’indique pas de grande révolution immé- objectivement qu’elles se retrouvent comme telles dans la psycholodiate dans la manière dont le Droit considère l’animal. On sait, en effet gie de nos animaux familiers. Nos intérêts et notre légitime attachedepuis toujours que la vie animale se caractérise par des réactions ment pour les animaux rendus possibles par nos capacités cognitives sensibles et affectives. Quant au Droit, il lui faut déterminer qui est risquent donc - et c’est le premier point - de nous égarer. Observons, responsable lorsqu’un animal blesse une personne ou endommage d’ailleurs, une évidente dissymétrie : c’est nous, les êtres humains, les biens d’autrui. L’animal ne pouvant être responsable, c’est donc qui interrogeons la vie animale et jamais eux, les autres animaux, qui son propriétaire qui le sera. Sous ce rapport l’animal domestique est s’interrogent consciemment sur cet étrange animal qu’est l’homme. ici considéré lui aussi comme un « bien » de son maître. Certes, bien des animaux communiquent entre eux mais aucun ne sait nommer les choses, ce qui montre qu’ils n’ont pas une connaissance L’homme, une espèce parmi d’autres ? profonde et surtout abstraite du monde dans lequel ils vivent. Ce n’est donc pas tant la décision du Parlement qui nous intéressera En second lieu, certains éthologues présupposent que le comporteque la manière souvent problématique dont nos contemporains se ment des animaux constitue une sorte de version simplifiée du nôtre représentent l’animal et vivent leur rapport avec lui. Nombre d’entre comme si la manière dont nous réagissons au danger, par exemple, eux sont persuadés qu’en raison de la proxiétait déjà esquissée dans la vie des animaux. Or, une mité entre l’espèce humaine et les autres êtres attention plus précise à l’originalité de la conduite vivants, il conviendrait de conférer aux « autres », humaine montre que chacun d’entre nous doit Si l’on n’y prend pas aux grands singes par exemple, des droits qu’il apprendre à évaluer ses actes en conscience et que garde c’est l’origina- ceci présuppose une réflexion, une histoire personnous reviendrait de respecter. On peut alors s’interroger sur ce que cette perspective dévoile nelle et collective qui n’a pas d’équivalent chez les lité de la personne quant aux hésitations de notre culture et sur autres espèces. La conduite des êtres humains passe ce qu’il pourrait advenir de notre civilisation si par une adaptation à ce qui se fait autour d’eux mais humaine qui est mise l’homme lui-même ne devait plus être considéré elle amène aussi, selon les cas, l’agent moral qu’est de côté. que comme une espèce parmi d’autres sans que la personne humaine à « ne pas faire comme tout ses caractéristiques propres lui valent un respect le monde ». Par son refus d’un décret inique, Antistrict et exclusif. On comprend alors quel est l’engone demeure jusqu’à aujourd’hui un modèle très jeu ultime de notre réflexion : c’est le sens de notre tradition juridique éloquent de ce qui caractérise en propre l’agir humain. Ici l’erreur de qui est ici en cause et, au-delà, l’existence ou non d’un humanisme qui certains éthologues est de ne pas comprendre que si le dressage peut traditionnellement fonde cette tradition. Jamais dans notre histoire, engendrer des comportements adaptés, l’éducation, elle, va bien auen effet, l’homme et la bête n’ont été mis sur un pied d’égalité et delà, et n’a de sens qu’à rejoindre ce qui fait la grandeur de chaque c’est cette conviction de fond qui réserve jusqu’à aujourd’hui le personne : son cœur et sa conscience. respect à la personne humaine. Certains vont même plus loin dans leur réduction de l’homme à l’aniA vrai dire, si la personne est respectable c’est d’abord parce qu’elle mal et proposent de situer les bases de la vie morale dans la vie affecpossède en elle-même le droit d’avoir des droits, c’est-à-dire une tive comme si l’empathie avec l’autre être sensible et souffrant était le dignité. C’est cette singularité de l’homme qui est, au fond, l’objet vrai fondement de l’agir juste. De cette manière, il y aurait continuité des débats. Nos contemporains ont de plus en plus de mal à perce- naturelle entre les réactions des primates et les actions relevant de la morale. Jean-Marie Meyer Copyright : DR voir l’originalité de la personne et à tirer de cette connaissance les conséquences éthiques et juridiques qui en dépendent. Les lignes qui suivent voudraient apporter quelques points de repère pour éclairer la situation actuelle. Professeur agrégé, Jean-Marie Meyer, né en 1955, enseigne la philosophie générale en classes préparatoires et l’éthique à la Faculté libre de philosophie comparée (IPC). Il est membre du Conseil pontifical pour la famille. L’animal à respecter ou à protéger ? À cela il faut répondre que la justice regarde d’abord ce qui est dû à la personne de l’autre et non l’état affectif dans lequel je me trouve. L’affectivité, pour importante qu’elle soit n’est pas le principe du respect. D’ailleurs, l’appel au « respect de ce qui est dû » pose plus géné◗ 1. Cf. Synthèse de presse du 30 janvier 2015 : Les animaux officiellement «doués de sensibilité» et Gènéthique vous informe : Les animaux, des êtres vivants doués de sensibilité ? → Autres thèmes → Les partisans de la cause animale parlent de respect de l’animal alors qu’il conviendrait en fait de parler de protection. Fin de vie TRIBUNE ralement le problème de savoir ce qui est dû à l’animal. Tel est, me semble-t-il, le point principal du débat. Beaucoup de partisans de la cause animale parlent, en effet, de respect de l’animal alors qu’il conviendrait en fait de parler de protection. Il s’agit de protéger des espèces alors que le respect s’adresse uniquement à des personnes. Ici, les mots ont leur importance car si l’on n’y prend pas garde c’est l’originalité de la personne humaine qui est mise de côté au nom du désir de promouvoir l’intérêt, légitime mais à sa place, pour les autres espèces. Souvenons-nous du dicton : « Qui trop embrasse, mal étreint ». A vouloir appliquer à l’animal ce qui ne doit aller qu’à l’homme -le respect-, on n’a pas enrichi la moralité humaine. On l’a plutôt fragilisée. Une chose est plus que jamais nécessaire : redécouvrir la profondeur unique de chaque être humain, mon semblable, mon frère, afin de nous garder d’une extension du « droit » qui serait, en fait, l’implosion de notre dignité. Une révolution régressive Une dernière remarque aidera peut-être le lecteur à mieux comprendre ce que visent ces quelques lignes. À la fin du 18ème siècle, Jeremy Bentham, salué comme un prédécesseur par les militants de la cause animale, écrivait : « Il viendra un temps où l’humanité étendra son manteau sur tout ce qui respire. On a commencé par s’attendrir sur le sort des esclaves : on finira par adoucir celui des animaux qui servent à nos travaux et à nos besoins. » L’essentiel apparait ici : lutter pour la « libération » de l’animal appartient à une « philosophie de l’histoire » d’un nouveau genre dans laquelle l’émancipation des noirs ne représente qu’une étape dans un processus qui dépasse l’espèce humaine. Jusqu’à présent c’était au nom de la dignité de l’homme que devait s’écrire notre histoire. La lutte pour l’égalité des hommes éclairait donc en profondeur, et de manière ô combien légitime, les combats contre le racisme. Pour les partisans du droit de l’animal, en revanche, cette originalité de l’homme soit n’existe pas soit ne vaut par reconnaissance de dignité. Il n’est donc pas nécessaire de réserver à l’homme des droits. Voilà pourquoi revendiquer des droits pour l’animal est une sorte de révolution régressive et appelle à la vigilance afin que personne n’oublie ce qui fait l’originalité sans prix de chaque personne humaine. ■ DECRYPTAGE GÈNÉTHIQUE VOUS INFORME C’ est en moins de vingt heures qu’une poignée de députés a discuté, les 10 et 11 mars, la proposition de loi Claeys/ Leonetti. Le vote solennel a eu lieu le 17 mars. Ce texte dit « consensuel » et vu comme « une étape » par le gouvernement, a été voté par une large majorité. taires sur les « 4000 euthanasies clandestines par an en France », une affirmation contestée dans l’hémicycle. Alain Claeys, rapporteur de la loi, s’est dit « obligé » de ne pas soutenir ces amendements, Marisol Touraine, ministre de la santé, elle, ne veut pas « brusquer la société ». C’est finalement à 19 voix près que l’aide active à mourir a été écartée. Pour cette fois. Dès l’ouverture des débats le 10 mars, bien que les rapporteurs se soient défendus d’un texte portant sur l’euthanasie ou le suicide assisté, tous les orateurs ont pris position. De même, si la proposition de loi ne portait pas sur les soins palliatifs, ils étaient au cœur du débat : Marisol Touraine en fera elle-même un sujet en développant les grandes orientations de son plan triennal. Même si les moyens de leur mise en œuvre sont restés extrêmement vagues. Les députés adoptent sans modification majeure la proposition de loi Claeys/Leonetti Lors du vote solennel du 17 mars, l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie, avec 436 voix pour, 34 contre et 83 abstentions. Le texte ouvre notamment un droit à la sédation profonde et continue associée à l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, et rend les directives anticipées contraignantes. Les 1000 amendements déposés par l’Entente parlementaire1 ont été systématiquement rejetés, et n’auront pu améliorer le texte. D’une manière générale, les rapporteurs Claeys et Leonetti, et la ministre n’ont accepté que très peu d’amendements pour ne pas dénaturer le texte et coller au plus près à la commande du gouvernement. Ainsi l’insertion d’une clause de conscience a été refusée. En effet, la reconnaissance d’une telle clause aurait traduit la nature de la sédation profonde et continue : celle d’une dérive euthanasique. On peut cependant compter quelques ajouts comme le droit à la formation aux soins palliatifs pour les professionnels soignants (unique amendement de l’Entente retenu), l’information d’une prise en charge à domicile, la mise en place d’un registre pour référencer les sédations profondes et continues jusqu’au décès ou encore un registre national automatisé des directives anticipées, une aide à la rédaction des directives anticipées des personnes non émancipées, ou encore un rapport annuel sur l’application de la loi et les soins palliatifs. La proposition de loi doit être discutée au Sénat dans les semaines à venir. ■ Copyright : DR Les rapporteurs et la ministre n’ont accepté que très peu d’amendement de peur de dénaturer le texte et pour coller au plus près à la commande du gouvernement. Les députés écartent de peu la légalisation explicite de l’aide active à mourir C’est par voie d’amendements que l’aide active à mourir a été discutée. Ses partisans ont estimé que la sédation profonde et continue du texte donnerait lieu à « une agonie trop longue » et à « une déchéance du corps du patient » provoquée par l’arrêt de l’hydratation, insupportable pour les familles. Ils ont essayé d’appuyer leurs argumen- ◗ 1. Cf. L’Entente parlementaire regroupe des parlementaires de l’opposition reconnaissant la légitimité du droit naturel. Lettre Gènéthique, 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15 [email protected] - www.genethique.org D irecteur de la publication : Jean-Marie Le Méné - R édacteur en chef : Lucie Pacherie I mprimerie : PRD - N° ISSN 1627.498 « Endormir pour faire mourir » adopté en 1ère lecture à l’Assemblée nationale