26 juin 2017, EHESS, Paris

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26 juin 2017, EHESS, Paris
APPEL À COMMUNICATIONS : ENQUÊTER SUR LES RÉPUTATIONS
26 juin 2017, EHESS, Paris
Journée d’études organisée par Adeline DENIS, Sarah KOLOPP et Guillaume
LANCEREAU, avec le soutien du Centre Maurice Halbwachs (CMH, UMR 8097) et du Centre
de Recherches Historiques (CRH, UMR 8558).
Cette journée d’études se donne pour objectif d’analyser les fondements et les formes
des dynamiques réputationnelles, leurs effets sociaux, politiques et culturels, ainsi que les
outils dont disposent les chercheurs pour les objectiver. Si les réputations attachées à des
acteurs ou des collectifs sont ici prioritairement concernées, des enquêtes portant sur les
réputations d’objets ou d’institutions pourront être mobilisées à titre de comparaison.
La date limite d’envoi des communications (en langue française ou anglaise, deux
pages environ avec explicitation des matériaux d’enquête, ainsi que nom, coordonnées, statut
et affiliations) est fixée au 20 février 2017 aux adresses suivantes : [email protected],
[email protected], [email protected].

Les logiques réputationnelles structurent, à un degré et selon des modalités variables,
l’expérience individuelle et collective du monde social, en particulier au sein d’univers
professionnalisés (artistiques, académiques, politiques, financiers, etc.) fortement soumis aux
enjeux de confiance des pairs, de distinction et de singularisation, de notoriété et de célébrité,
ou encore de neutralisation des rumeurs.
En dépit de l’intérêt scientifique suscité par la question des réputations, le
développement d’investigations au sein de traditions de recherche relativement indépendantes
a abouti à un obscurcissement des frontières de cet objet et à une fragmentation des travaux
empiriques. De la fama antique et médiévale (Gauvard, 1993 ; Guenée, 2008) aux effets
politiques et sociaux du régime moderne de célébrité (Chappey, 2013 ; Lilti, 2014), en passant
par les avatars humanistes de la renommée littéraire (Burckhardt, 1958 ; Destemberg, 2016),
l’étude historiographique des dynamiques réputationnelles se concentre largement sur les
univers de production culturelle, en même temps qu’elle redynamise des questionnements
1
parfois anciens sur le phénomène de la rumeur (Bloch, 1921 ; Gotteland, 2001), du scandale
et de la dispute (Lilti, 2007 ; Prochasson, Rasmussen, 2007 ; Waquet, 2010). Les
ethnographes, qui s’appuient en partie sur les bavardages et commérages pour dévoiler les
formes d’organisation des communautés ou milieux d’interconnaissance, ont peu thématisé ce
fait social, exceptés les cas où les gossips ont été identifiés comme moteurs et résultats de
luttes de statuts (Gluckman, 1963 ; Elias, 1965) utiles à la compréhension des relations de
pouvoir (Bailey, 1971). Dans la même lignée, certains politistes américains ont mobilisé la
notion de réputation pour rendre compte des modalités de construction d’un leadership local
(Hunter, 1953 ; Freeman et al., 1963), sans que cette direction de recherches ne soit
réellement réactualisée, du moins jusqu’à récemment (Fisher & Sciarini, 2015). La sociologie
française a essentiellement appréhendé les réputations à l’œuvre dans les univers culturels et
politiques par le biais des concepts de capital symbolique (Bourdieu, 1994 ; Dubois, 2009 ;
Cousin & Chauvin, 2010), ou de valeur, de grandeur et de singularité (Heinich, 1999 ; Karpik,
2007). La sociohistoire des champs intellectuel et littéraire a ainsi donné plusieurs pistes
fécondes pour saisir les luttes et les mécanismes par lesquels opèrent la reconnaissance et la
consécration littéraire (Sapiro, 1999 ; Casanova, 1999).
Ainsi, il apparaît que les réputations, parce qu’elles colorent les relations sociales et se
trouvent au fondement de rapports de pouvoir, méritent une attention renouvelée. L’enjeu de
cette journée d’études consiste donc à dresser un bilan de ces investigations au moyen d’un
dialogue résolument interdisciplinaire, axé autour d’une série de questions : comment les
sciences sociales enquêtent-elles sur les phénomènes de réputation ? Inversement, que font les
réputations au monde des sciences sociales ? Une approche empirique et réflexive en termes
de réputation peut-elle apporter un nouvel éclairage sur les conditions sociales, souvent
invisibilisées, de fonctionnement d’espaces sociaux au sein desquels les enjeux symboliques
sont prééminents ? Au niveau structurel, comment cette approche peut-elle être mobilisée
pour rendre intelligibles des positions ou des carrières au sein de ces espaces ? Sur un plan
interactionnel, quels outils nous permettent d’expliciter le façonnement et les usages de la
réputation comme ressource ou comme stigmate, ainsi que les stratégies et les contraintes
liées à ces usages ?
Plusieurs directions peuvent être dégagées en vue de donner à la notion de réputation
une épaisseur conceptuelle à même d’éclairer des cas empiriques divers et d’éprouver ainsi de
nouvelles pistes méthodologiques. Nous privilégierons les communications qui visent à
répondre à ces questions en appuyant leurs réflexions méthodologiques et leurs conclusions
sur des matériaux empiriques.
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La réputation : frontières et méthodes
Dans la mesure où l’enjeu de cette journée d’études consiste à élaborer, d’un point de
vue interdisciplinaire, une définition opérationnelle du concept de « réputation », il convient
d’interroger les frontières de l’objet ainsi que les matériaux, méthodes et dispositifs
d’enquêtes permettant de saisir la diversité des régimes de réputation, des logiques de
consécration, mais aussi des dynamiques de discrédit et de disqualification.
Le chercheur travaillant sur un matériau ethnographique, constitué par essence de
récits et de jugements portés sur le monde et sur les autres par les enquêtés, ne sera pas
confronté aux mêmes opérations d’objectivation que celui travaillant sur un matériau
prosopographique. En quoi consistent ces opérations ? Comment le chercheur qui s’interroge
sur les réputations doit-il traiter et contrôler ses données ?
De plus, les phénomènes de réputation se déploient à l’échelle d’espaces sociaux plus
ou moins étendus, depuis les milieux d’interconnaissance les plus restreints jusqu’au niveau
transnational. Quelles sont, selon les cas, les justes échelles d’appréciation d’une réputation ?
Dans quelle mesure ces « jeux d’échelles » peuvent-ils éclairer les différents aspects d’un
même phénomène ?
Construire et travailler une réputation
Une réputation, bonne ou mauvaise, grande ou petite, résulte d’un travail relationnel et
de luttes d’accréditation (Becker, 1982; Chauvin, 2011 ; Giraud, 2015 ; Saunier, 2015). Pour
le chercheur, objectiver la réputation revient à décrypter cette activité réputationnelle au
moyen d’une série de questions : comment, concrètement, les acteurs (se) font-ils un nom ?
Quel rôle jouent, selon les univers et configurations socio-historiques, les entrepreneurs de
crédit ou de discrédit (Ranum 1980), les intermédiaires (Lizé, Naudier, Roueff, 2011) et
professionnels de la réputation (Legavre, 1993) ? Quelles dispositions, croyances, réseaux,
instruments formels ou informels, sont mis au service du travail réputationnel par les acteurs ?
Quels dispositifs de réputation (Beuscart et al., 2015), fondés éventuellement sur l’essor
d’instruments métrologiques (classements, notations, évaluations chiffrées), sont mobilisables
et mobilisés ?
Quelles sont, en matière de réputation, les stratégies et les degrés de réflexivité des
acteurs, leurs marges de justification et leurs modes de présentation de soi ? Comment met-on
en scène et en récit une réputation ? Comment « sauver la face », se défendre face à une
rumeur, neutraliser ou renforcer des jugements positifs ou négatifs ?
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Pertes et profits des réputations
La réputation peut être envisagée comme un instrument social de légitimation,
susceptible de transformer un rapport de force ou d’asseoir une domination. À ce titre, elle
apparaît au cœur de certaines analyses processuelles et transactionnelles qui rendent compte
des dynamiques et des positionnements dans des espaces professionnalisés, tant artistiques et
intellectuels (Becker, 1982 ; Sapiro, 1999), que politiques (Bailey, 1988; Hunter, 1990) et
économiques (Chauvin, 2010). Comment les ressources réputationnelles s’accumulent-elles et
s’articulent-elles à d’autres ressources ? Quels usages concrets sont faits de ces modes de
qualification et de disqualification ? Les ressources réputationnelles circulent-elles facilement
d’un univers à un autre ? Quels sont les effets des réputations sur la structuration des groupes
sociaux et professionnels, sur les trajectoires ou carrières des individus ? Enfin, et plus
largement, quels sont les moyens scientifiques pertinents (analyse de réseaux, prosopographie,
analyse ethnographique, etc.) et les matériaux empiriques permettant d’étudier les espaces et
temporalités dans lesquels se produisent ces effets ?
Comité scientifique
Bruno COUSIN (Sciences Po Paris), Benoît DE L’ESTOILE (CNRS),
Raphaëlle LAIGNOUX (Université Paris I Panthéon-Sorbonne), Antoine LILTI (EHESS),
Michel OFFERLÉ (École normale supérieure), Gisèle SAPIRO (EHESS).
Bibliographie indicative
ALDRIN Philippe, Sociologie politique des rumeurs, Paris, PUF, 2005.
BAILEY Frederick G. (dir.), Gifts and Poison. The Politics of Reputation, Oxford, Basil
Blackwell, 1971.
BAILEY Frederick G., Humbuggery and Manipulation. The Art of Leadership, Ithaca, Cornell
University Press, 1988.
BECKER Howard, « Réputation », dans Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1982.
BEUSCART Jean-Samuel, CHAUVIN Pierre-Marie, JOURDAIN Anne & NAULIN Sidonie, « La
réputation et ses dispositifs. Introduction », Terrains & travaux, n°26, 2015, p. 5-22.
BLOCH Marc, « Réflexions d’un historien sur les fausses nouvelles de la guerre », Revue de
synthèse historique, vol. XXXIII, n°1, 1921, p. 13-35.
4
BOURDIEU Pierre, Raisons pratiques. Sur la théorie de l’action, Paris, Seuil, 1994.
CASANOVA Pascale, La République mondiale des lettres, Paris, Seuil, 1999.
CHAPPEY Jean-Luc, Ordres et désordres biographiques. Dictionnaires, listes de noms,
réputation des Lumières à Wikipédia, Seyssel, Champ Vallon, 2013.
CHAUVIN Pierre-Marie, « Réputation et division du travail. Ethnographie des vendanges
bordelaises », Ethnologie française, vol. 41, n°1, 2011, p. 131-140.
CHAUVIN Pierre-Marie, Le marché des réputations. Une sociologie du monde des vins de
Bordeaux, Bordeaux, Édition Féret, 2010.
COUSIN Bruno & CHAUVIN Sébastien, « La dimension symbolique du capital social : les
grands cercles et Rotary clubs de Milan », Sociétés contemporaines, n°77, 2010, p. 111-137.
DESTEMBERG Antoine, « Acteurs et espaces de la renommée universitaire. Jalons pour une
histoire des messagers de l’université de Paris à la fin du Moyen Âge », Revue historique,
n°678, 2016, p. 3-32.
DUBOIS Sébastien, « Entrer au Panthéon littéraire. Consécration des poètes contemporains »,
Revue française de sociologie, vol. 50, n°1, 2009, p. 3-29.
ELIAS Norbert & SCOTSON John L., “Observations on Gossip”, dans The Established and the
Outsiders, London, Frank Cass & Co, 1965, p. 89-105.
FISCHER Manuel & SCIARINI Pascal, “Unpacking Reputational Power: Intended and
Unintended Determinants of the Assessment of Actor’s Power”, Social Networks, vol. 42,
2015, p. 60-71.
FREEMAN Linton C., FARARO Thomas J., BLOOMBERG Warner, SUNSHINE Morris H.,
“Locating Leaders in Local Communities: a Comparison of some Alternative Approaches”,
American Sociological Review, n°28, 1963, p. 791-798.
GLUCKMAN Max, “Gossip and Scandal”, Current Anthropology, vol. 4, n°3, 1963, p. 307-316.
GOFFMAN Erving, La Mise en scène de la vie quotidienne. La présentation de soi, Paris, Les
Éditions de Minuit, 1973.
GAUVARD Claude (dir.), « La Renommée », Médiévales, n°24, 1993.
GIRAUD Frédérique, « S’imposer parmi ses pairs. Le travail réputationnel d’Émile Zola à
l’assaut de la sphère restreinte du champ littéraire », Terrains & travaux, n°26, 2015,
p. 23-40.
GOTTELAND Sophie, « Rumeur et politique dans la cité grecque à l’époque classique »,
Hypothèses, 2001 / 1-4, p. 267-279.
GUENÉE Bernard, Du Guesclin et Froissart. La fabrication de la renommée, Paris, Taillandier,
2008.
5
HEINICH Nathalie, L’épreuve de la grandeur. Prix littéraires et reconnaissance, Paris, La
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HEINICH Nathalie, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris,
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HUNTER Floyd, Community Power Structure. A Study of Decision Makers, Chapel Hill,
University of North Carolina Press, 1963.
HUNTER Virginia, “Gossip and the Politics of Reputation in Classical Athens”, Phoenix, vol.
44, n°4, 1990, p. 299-325.
KARPIK Lucien, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007.
LEGAVRE Jean-Baptiste, Conseiller en communication. L’institutionnalisation d’un rôle, thèse
de doctorat en science politique, Université Paris I, 1993.
LILTI Antoine, « Querelles et controverses. Les formes du désaccord intellectuel à l’époque
moderne », Mil neuf cent, n°25, 2007, p. 13-28.
LILTI Antoine, Figures publiques. L’invention de la célébrité 1750-1850, Paris, Fayard, 2014.
LIZÉ Wenceslas, NAUDIER Delphine & ROUEFF Olivier, Intermédiaires du travail artistique. À
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PROCHASSON Christophe & RASMUSSEN Anne (dir.), « Comment on se dispute. Les formes de
la controverse », Mil neuf cent, n°25, 2007.
RANUM Orest, Artisans of Glory. Writers and Historical Thought in Seventeenth-Century
France, Chapel Hills, University of North Carolina Press, 1980.
SAPIRO Gisèle, La guerre des écrivains. 1940-1953, Paris, Fayard, 1999.
SAUNIER Émilie, “Produire la valeur artistique dans une économie de la notoriété. Le cas
d’Amélie Nothomb”, Terrains & travaux, n°26, 2015, p. 41-61.
WAQUET Françoise, Respublica Academica. Rituels universitaires et genres du savoir, XVIIeXXIe siècle, Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010.
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