Récit stage groupe espoir Ile de France 2015

Transcription

Récit stage groupe espoir Ile de France 2015
STAGE ALPINISME DU GROUPE ESPOIR ILE DE FRANCE
10-13 août 2015
Courses réalisées : Arête sud de l'Aiguille de Purtscheller
Traversée des Aiguilles Dorées
Encadrants: Pierrick Keller et Yoann Georges
Participants : Guillaume Campagna, Thibault de Gournay, Licia Havard, Clément Nougarede et Olivier Petit
Jour 1 : Préparatifs
La journée du 10 août 2015 commence comme celle du 9 août s'est terminée, maussade. On pourrait
même ajouter brouillardeuse, pour ne pas dire humidasse voire dégueulasse. Au refuge du Tour dans la
vallée de Chamonix, quelques têtes émergent difficilement de leurs sarcophages en duvet : l'équipe
espoir Ile-de-France est presque au complet, au rendez-vous pour son stage estival. Seuls Benoît, Alex et
Henri manquent à l'appel, retenu par des raisons plus ou moins valables, plutôt moins d'après quelques
mauvaises langues.
Au programme de la journée : ravitaillement et préparation du matériel nécessaires à 4 jours en altitude
vers le glacier du Trient. Pour les menus, on fait dans l'originalité : pâtes, semoule et, euh, .., ah oui
semoule. Voilà un guide enchanté ! Vers 10h le soleil pointe le bout de son nez timide, nous laissant
entrevoir un soupçon de possibilité de ne pas arriver à Albert Ier trempés comme des rats. Nous bouclons
donc les sacs en vitesse et décollons vers 14h après avoir englouti un poulet rôti tout frais du marché.
La troupe se lance enfin à l’assaut de l’interminable (un bel euphémisme) moraine du glacier du Tour
menant au refuge Albert 1er. Temps total de montée : 3h30 pour les touristes (Olivier et Clément) tandis
que Thibault explose le record en 1h45. La notion de « troupe » doit cependant être précisée ici : nos
deux jeunes et sveltes encadrants se contentent d’un coup de benne et d’une demi-heure de balade (à
plat).
M’enfin, peu importe, le vieux proverbe chinois dit bien : « Que tu arrives suant et soufflant comme un
crapaud libertin, ou que tu te poses frais et pimpant comme la rosée du matin, dans le refuge Albert Ier tu
seras bien ». « Bien » en effet, compte tenu du pourcentage d'individus de sexe féminin constituant
l'équipe du gardien. Si chaque manager en France savait s’entourer d’un staff pareil, le tourisme n’aurait
aucun problème et le CAF n’aurait plus à s’inquiéter de la disparition des jeunes (ou des moins jeunes) en
montagne.
Nous partageons et découvrons dans le même temps les vivres qui ont été achetées le matin même :
chacun se voit doté d'un quignon de pain et d'une lamelle de fromage pour trois jours. Certains ont pris
les paroles du gourou Edlinger un peu trop au sérieux, heureusement qu’ils n’ont pas proposé de grimper
pieds nus et de remplacer les casques par des bandeaux. Yoann laisse échapper un rire nerveux, Licia
cherche dans son sac si il n'y reste pas un brocoli abandonné et Pierrick esquisse un sourire narquois en
exhibant les deux sandwiches préparés avec amour par sa gardienne de femme. Après avoir passé une
semaine cet hiver à déjeuner de carottes gelées, le lascar sentait le coup venir ! Pour notre part, on va
mendier au gardien qui, pris de pitié devant nos mines déconfites, nous fait don d'un énorme paquet de
pain de mie complet. Quelque peu rassurés, nous partons goûter à un sommeil réparateur, tandis que
Pierrick et Yoann se proposent spontanément d’aider les gardiennes à faire la vaisselle.
Jour 2 : Aiguille Purtscheller
Après une douce nuit bercée par les rires et
les cris des gardien et gardiennes du Refuge
Albert 1er, accompagnés par le bruit
d'hélicoptère généré par le vent dans la
slackline tendue sur le toit du noble édifice,
nous nous réveillons à 4h.
Ceux qui ont choisi de monter eux-mêmes
leurs victuailles se régalent d'un festin d'eau
froide et de müesli, généreusement
accompagné d’un pain de mie dont le côté
« étouffe chrétien » ne fera râler personne. À
leurs côtés, les demi-pensionnaires ne
manqueront pas de profiter du petit dej' du
refuge, qui pour une fois en montagne revêt
des allures de festin pantagruélique.
Nous sortons ensuite sous les étoiles et
suivons l’itinéraire repéré la veille par Licia
pour prendre pied sur le glacier du Tour.
Durant l'approche, le manque de féculents se
fait clairement sentir par ceux qui n'ont dîné
que de melon, thon et carottes la veille au
soir. Après quelques détours pour éviter les
crevasses, et d'autres parce que Thibault avait
envie de monter tout droit dans la pente,
nous arrivons au col supérieur du Tour.
Encore quelques minutes de marche et nous nous arrêtons sous
un rocher pour y laisser nos maigres victuaille ; la différence de
poids ne se fait pas sentir.
Au-dessus de nos têtes se dresse l'arête sud de l'Aiguille
Purtscheller, dont la qualité apparente vient attiser notre envie de
grimper. Nous nous équipons, passons la rimaye puis nous
arrêtons aussitôt pour attendre de voir disparaître les cordées
engagées dans la première longueur. Celle-ci se révèle être la plus
difficile de la course avec un petit passage de 5a. Rien
d’insurmontable pour ceux qui ont enfilés leurs chaussons, mais
suffisant pour laisser quelques souvenirs dans la mémoire de ceux
qui s’y sont engagés en tête et en grosse, surtout quand il s’agit de
leur première expérience en terrain d’aventures.
Dès le début, nous séparons en deux groupes : Yoann et Clément suivent rigoureusement le fil de l’arête,
qui propose une escalade parfois plus technique mais partiellement protégé par quelques spits. A
l’inverse, le reste du groupe s’engage sur l’itinéraire « classique », qui navigue habilement entre les deux
versants de l’arête pour se faufiler dans les lignes de faiblesse les plus évidentes.
Si le topo ne fait référence qu’à 5 longueurs, cette course propose cependant des passages d’escalade
diversifiés, permettant de s’initier ou de revoir pour certains la plupart des techniques d’escalade en
granit. Le passage le plus mémorable de la voie reste le franchissement d’un beau feuillet, qui permet à
chacun d’exprimer son talent : les moins originaux se contentent de passer en dülfer, en renfougne ou de
monter les pieds au-dessus de leurs têtes pour attraper quelques bacs salvateurs. Les plus imaginatifs
choisissent quant à eux tantôt une expérience taupo-spéléologique en s'enfonçant entre le feuillet et la
paroi, tantôt la méthode de la chevauchée fantastique des walkyries. Nettement moins élégante qu’on ne
se l’imagine, le grimpeur laisse ici ressortir ses instincts de poulpe et fait amoureusement corps avec la
montagne en compressant fermement le feuillet entre ses bras et ses cuisses.
La course se poursuit avec un réta déversant sous un bloc coincé qui dévoile à nouveau la diversité des
styles de notre petite équipée. Le grimpeur-poulpe récidive. Encore une ou deux longueurs et nous
atteignons le sommet. Trois rappels plus tard nous rejoignons le glacier. La monstre rimaye est passée
puis après quelques minutes de marche nous sommes de retour à l'attaque de la voie. Nous récupérons
nos maigres victuailles puis traversons le glacier du Trient en direction de la fenêtre de Saleina et du
glacier éponyme. Ça dégringole sévère dans toutes les faces aux alentours, pas très rassurant. Encore
deux heures de marche dans un terrain pénible et nous atteignons le bivouac de l'envers des Dorées.
Chacun ses priorités : certains font chauffer de l'eau
pour un modeste thé, d'autres se jettent littéralement
sur les sachets de ramens abandonnés là par quelques
prédécesseurs, tandis que d'autres encore s'extasient
devant (et dans) les toilettes du refuge-bivouac :
suspendues au-dessus du vide et dotées d'une demidouzaine de rouleaux de papier toilette, d'une cuvette
trois étoiles et d'une vue imprenable sur l'aiguille
d'Argentière, le tout dans une odeur de sapin
fraichement coupé qui vous ensorcelle les narines.
Thibault et Clément montent repérer l'approche du
lendemain tandis que Guillaume et Olivier suivent le
tuyau d'alimentation en eau afin de comprendre
pourquoi ça ne coule pas au refuge. Ne nous appelant
pas Kirikou, nous sommes incapables de rétablir l'eau
courante. Mais ça on ne le comprend qu'après une
bonne heure à creuser le névé au piolet dans une
tentative improbable de dégager le tuyau. Il faut alors se
résoudre à porter des jerrycans à partir du lac à
quelques minutes de marche du bivouac. Heureusement
les intendants du refuge sont là et s'en occupent. Une
petite sieste et 1kg de pâtes plus tard nous nous
couchons, déjà bien fatigués par cette première course !
Jour 3 : Traversée intégrale des Aiguilles Dorées
Après une nuit paisible dans le refuge bivouac de l’Envers des Dorées, nous partons à 4h du matin dans la
nuit noire. La montée dans la moraine n’est guère engageante et la marche d’approche fort longue. Le
moyen le plus efficace pour avancer est de débrancher le cerveau, chose que font également Thibault et
Clément. Si le débranchage cérébral est proportionnel à la vitesse de marche, les deux lascars doivent
vraiment marcher vite. Dommage, parce que c'est eux qui étaient en charge de repérer le sentier la veille
au soir. À peine sortis du refuge, ils ont tôt fait de nous semer dans les blocs : « Je crois qu’on est partis
plus à droite qu’hier » « Oui, mais on avait dit qu’on prendrait le sentier de descente et non celui de la
montée… » « Aaah, mais où est cet enfoi** de câble qui devait nous indiquer la direction ?! » « Je ne sais
pas, moi, c’était beaucoup plus évident hier en plein jour ! ». Toujours est-il que les moins débranchés du
groupe ont la ferme impression, si ce n'est de tourner en rond, du moins d'aller à environ 90° de la
direction qu'ils devraient emprunter. Après deux-trois itinérances, Pierrick reprend donc la main, histoire
d’arriver à l’attaque de la voie avant les vêpres.
Après une montée au col plutôt rude, nous arrivons au départ de la traversée proprement dite. Bonne
nouvelle : nous sommes les premiers ! Malheureusement, le temps d’enlever les crampons, de sortir la
quincaillerie et de boire un coup, deux cordées
d’italiens nous rejoignent. En même temps, il nous
aurait fallu beaucoup de chances pour être seuls
sur une grande classique avec un anticyclone à
faire bronzer un Marseillais. Pierrick s’élance donc
rapidement en tête, tandis que Guillaume le suit
de près dans la première longueur en dalle. Ils sont
suivis par Licia et Olivier, alors que Thibault,
Clément et Yoann jouent le rôle de la voiture balai.
Suivant notre instinct grégaire, nous avons prévu
de rester groupés, histoire de profiter du sens de
l’itinéraire
affuté
de
notre
guidos.
Malheureusement, ce magnifique plan est
rapidement mis à mal par la politesse des ritals,
dignes de celles des parisiens sur le périph’ aux
heures de pointe à la sortie du boulot. Alors en
train de grimper dans la deuxième longueur,
j’entends Olivier lâcher un magnifique « Mais c’est
quoi ce c****** de rital ! Il est passé entre mes
deux cordes ?!! ». Alors bloqué au milieu de la
dalle avec un relais sur un seul spit pour deux
cordées, Olivier doit se décorder pendant que Licia
et Thibault poireautent comme des andouilles au
beau milieu de leur longueur. Au départ détendu,
l’ambiance est vite devenue électrique et on
pourrait presque entendre les abeilles. Yoann, en
repassant devant les italiens, leur raconte leurs
quatre vérités et met le turbo pour les planter une
bonne fois pour toutes. Une fois ces montées
nationalistes apaisées, nous nous replongeons
dans la course, histoire d’en apprécier toute la
saveur.
Alors que le jour se lève doucement, nous prenons conscience de la qualité du rocher. En un seul mot :
sublime ! Le granit est d’une belle couleur orangée, qui a sûrement valu aux Aiguilles leur nom. Pendant
toute la première partie de la course, la progression est aisée. Les passages d’escalade sont faciles, ce qui
nous laisse la possibilité de nous abandonner à un hédonisme digne de Rébuffat. Nous arrivons
rapidement au pied du passage clef : un dièdre très raide qui contraste fortement avec le reste de la
traversée. Bien que seulement cotée 6a/A1, l’escalade n’est pas donnée et les seconds de cordée sont
bien contents de n’avoir qu’à suivre. Dans le départ très bloc, ça souffle, ça renâcle et l’éthique est vite
mise de côté pour ressortir nos compétences d’artificiers. Une fois sortis du passage, nous avons une
petite pensée pour les anciens. S’engager là-dedans, en grosses d’époque, sans les quelques pitons déjà
en place : bravo les cadors !
Cependant, la traversée est loin d’être finie. Nous repartons donc sans faiblir vers la suite des difficultés.
Mais en cherchant à gagner du temps, Pierrick et Guillaume passent discrètement un collu et sont perdus
de vue par Licia et Olivier. Alors livrés à eux-mêmes et libérés de la pression tyrannique qui opprimait
leurs aspirations créatives, leur sang ne fait qu'un tour à la vue d'une pointe élégante et légèrement
excentrée. Ils cèdent à la tentation de rendre visite à la belle. Apercevant nos deux conquérants de
l'inutile fièrement postés sur leur promontoire, Yoann oublie tout bon sens et court les rejoindre, ne
remarquant pas l’absence de Pierrick dans les parages. Clément et Thibault doivent s’y mettre à deux
pour retenir la bête et lui faire entendre raison. Heureusement, la perte de temps est minime, et les deux
cordées retrouvent vite le droit chemin pour rejoindre la cordée de tête.
Nous reprenons donc notre cheminement,
en tachant de ne pas se perdre de vue sur
cette arête bien plus large qu’il n’y paraît.
Après avoir longuement cheminé en versant
sud, où le grain et la couleur du rocher sont
autant d’appels à une escalade hédoniste,
nous basculons en versant nord. Là, la réalité
est tout autre. La canicule qui sévit depuis
juillet a transformé la facile pente neigeuse
en un amas de blocs instables, dont la taille
varie du centimètre au combi Volkswagen.
En théorie cimentés par le permafrost, les
rochers ne tiennent ici que par des
empilements dignes des constructions en
lego les plus aériennes de notre enfance.
Nous tentons de limiter les chutes de pierre
au maximum, mais c’est parfois peine perdue
dans ce versant qui présente bien trop de
points communs avec un kairn géant. Après
un rappel scabreux et une dernière traversée
en versant nord, nous rejoignons le fil de
l’arête, beaucoup plus sain, qui nous mène
promptement au sommet, l'Aiguille de la
Varappe, puis aux rappels.
Le dernier rappel nous permet de franchir la rimaye, d’une
hauteur et d’une verticalité affolante cette année.
Ayant pris pied sur le glacier du Trient, nous n’avons plus qu’à
marcher pour rejoindre notre bivouac de luxe. Au final, aucune
corde de coincée, pas trop d’erreurs d’itinéraires et un temps
plus que correct : les leçons apprises dans le cadre de ce groupe
commencent à rentrer. C’est sur cette agréable constatation
que nous terminons notre journée, en marchant vers le refuge
où nous aviserons du programme du lendemain.
Jour 4 : Partie de Foot avec un caillou et retour en France d'après Thibault
Malgré la promesse d’une belle varappe sur un magnifique granit orange, nous
avons décidé de rentrer directement au chalet du Tour, sans aller tenter ni
l’orage annoncé à la mi-journée sur les Aiguilles Dorées, ni le rappel tardif dans
une face nord dont nous n'avons que trop éprouvé la qualité la veille. Nous voilà
donc repartis dans le pierrier, que nous commençons à bien connaître à force de
nous y perdre, quand vient le premier choix d’itinéraire de la journée : marcher
sans crampons sur une neige bien durcie par le regel nocturne ou passer
sereinement dans un empilement d'énormes blocs plus fiables.
En choisissant la solution de sûreté pour éviter la glissade, je ne me doutais
cependant pas qu’un bloc de 200-250 kg allait venir jouer à chat avec moi. Le
pied coincé et fortement angoissé par le grand crac que je viens d’entendre, je
suis rapidement soulagé par l’arrivée des copains, qui doivent quand même s’y
mettre à 4 pour soulever le bloc de quelques centimètres. À première vue : pas
de jambe fracassée comme on aurait pu s’y attendre mais une belle douleur en
essayant de poser le pied. Un petit tour en hélico s’impose !
30 mn plus tard, je suis évacué par les secours suisses vers l’hôpital de Martigny
où démarera une belle journée remplie d’attente, d’examens et encore
d’attente, tout cela pour finalement apprendre que je n’ai…rien ?! Alors dans
l’incapacité de poser le pied par terre, mes parents viendront me récupérer pour
me ramener dans les Ecrins en passant par Chamonix récupérer les affaires
laissées chez Pierrick. C’est donc au chalet du Tour que le groupe se dissolvera,
pour mettre fin à un stage de courses en arêtes court mais intense !
Bilan de l’histoire : une fracture du pilon tibial et deux ligaments rompus, c’est quelque peu amoché que j’entame cet
automne. Heureusement, cette partie de football ne devrait pas laisser de conséquences et c’est toujours avec le même
enthousiasme que je retrouverai mes compagnons de cordée, pour les futures aventures des parisiens à la montagne !

Documents pareils