Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne
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Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne
Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Alioune Mawa FAYE, Secrétaire Général de l’Association Nationale des Directeurs et Cadres de Personnel du Sénégal (ANDCP-S) Résumé : L’Afrique subsaharienne est incontestablement imprégnée par la tradition, et l’importation de modèles " étrangers" de gestion a été marquée le plus souvent par un échec humain et économique. De nombreuses explications ont été apportées afin de comprendre le faible développement économique de l’Afrique : un retard culturel (l’Afrique serait aujourd’hui dans la situation de l’Europe d’il y a un siècle) une conception du temps et de la morale incompatibles avec le monde des affaires… Pourtant, les méthodes de gestion les plus efficaces conçues pour répondre aux conséquences du phénomène de mondialisation s’appuient sur des concepts proches du mode de gestion de l’entreprise africaine : entreprise-réseau, gestion participative, entreprise apprenante, etc. En effet, le modèle de gestion occidental qui s’appuie sur le principe de rationalité et la mise en place d’une organisation bureaucratique fondée sur la stabilité et l’obéissance est battu en brèche. A l’inverse, le phénomène de mondialisation et de compétition internationale contraint les entreprises à adopter une structure organique s’appuyant sur la flexibilité et l’implication des salariés, éléments fondateurs des sociétés africaines. ABSTRACT : Due to the strong influence of traditions in Sub-Saharan Africa the importation of " foreign " management models has on most occasions been a failure in human and economic terms. Many theories have been put forward to try to explain and understand the low level of African economic development : a cultural delay (today Africa is in the same situation as Europe was a century ago), a conception of time and morality incompatible with the business world… However this said, the most efficient management methods which have been elaborated to 1 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire respond to the consequences of the phenomenon of globalization use concepts that are close to the African management model : company networks, participative management, “learning firm”, etc. Western management models that apply the principle of rationality and which generate the creation of a bureaucratic organization structured by stability and obedience are now no longer efficient. On the contrary, the phenomenon of globalization and world competition oblige firms to adopt a structure that relies on employees’ flexibility and implication, the founding elements of African societies. " Mes certitudes d’aujourd’hui sont enracinées dans mes errances du passé ; mon bonheur se nourrit de mes chagrins d’autrefois. Mes connaissances sont les fruits de mes propres expériences. J’ai tout testé moi-même. “ Yannick NOAH L’environnement des organisations ne cesse de se transformer : une 2 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire économie qui se globalise, des technologies de l’information et de la communication qui se développent prodigieusement, des innovations qui déferlent, une concurrence qui se révèle de plus en plus implacable, féroce, impitoyable, des consommateurs qui deviennent de plus en plus exigeants, voire arrogants… bref, un environnement en constante mutation favorisant un contexte de chaos et des défis nouveaux d’une ampleur et d’un caractère planétaires. A l’aube de ce nouveau millénaire, " la seule stabilité, c’est le changement " ; en d’autres termes, le changement devient la règle et la stabilité 3 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire l’exception. Hormis les spécificités culturelles, qu’est-ce qui peut encore différencier une entreprise d’une autre, si l’on considère que, quelque soit leur âge, leur taille, leur secteur d’activité, leur nationalité, elles sont toutes, a priori, confrontées aux mêmes contraintes et aux mêmes risques ? Rien, a priori ! Sauf que, si on tient compte du caractère singulier de son environnement immédiat, l’entreprise africaine pourrait être exclue du champ de comparaison. Cet environnement, dont le potentiel ne lui permet pas une croissance régulière et soutenue, est marqué par la pauvreté, la pandémie du sida 4 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire et autres endémies qui déciment les ressources humaines ; par les cataclysmes, les guerres tribales ou ethniques ; mais aussi par l’instabilité politique… autant de facteurs de risques pour l’entreprise (Faye, 2002). Avec des handicaps aussi sérieux qu’il faut traîner dans une économie moderne en pleine marche vers la globalisation, comment alors devenir ou demeurer une entreprise performante et compétitive ? Cette question est d’une acuité réelle pour les entreprises des pays africains qui s’essoufflent, contraintes qu’elles sont à suivre le rythme effréné des rapides et 5 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire spectaculaires bouleversements qui affectent l’environnement des organisations. Ces bouleversements ont entraîné de profonds changements dans le rôle, la place et le statut de l’Homme dans l’entreprise pour répondre aux nouveaux enjeux (Darbelet, 2001) résultant de ce chaos. Sans ambages, nous posons ainsi la question des dimensions humaines et culturelles dans le processus des changements organisationnels. En effet, dans cet environnement complexe et turbulent, la recherche de la performance et de la compétitivité devenues des enjeux vitaux, oblige les entreprises africaines, 6 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire elles aussi, à revoir leurs pratiques de techniques de management et de gestion de leurs ressources humaines, et d’être alors à l’affût de "thèmes porteurs ". Thèmes porteurs ou " Management dernier cri ", " from USA "… ou d’ailleurs ? Quoi qu’il en soit, les thèmes en question sont toujours ceux pensés et développés par et pour un contexte occidental, alors qu’on assiste à un déplacement des " modèles de référence " : - L’Est des USA et la Scandinavie au profit de la Zone Pacifique. - Dynamique des groupes, Analyse Transactionnelle au profit du Bouddhisme Zen. 7 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Du lendemain des Indépendances jusqu’à nos jours, les pays africains, sans exception, continuent à se distinguer par leur attitude du " tout importer ". Il s’agit en fait de ce fameux mimétisme qui a toujours affecté nos institutions, nos pratiques et comportements et qui trouve son origine dans les rapports séculaires entre ancien colonisateur et ex-colonisé. Certes, un raccourci qui évite de recommencer inutilement ce que d’autres ont déjà expérimenté ! Cette recherche du raccourci n’est pas sans poser problème, comme le constate Tidjani (2000) : " en effet, même si les structures des économies occidentales ont fortement 8 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire influencé celles des pays africains (par exemple, la France dans le cas du Sénégal, de la Côte d’Ivoire, etc. ), il existe dans ces derniers des particularités qui rendent une telle ressemblance pratiquement impossible. Ces facteurs sont, entre autres, le retard économique des pays africains, l’existence d’une structure économique largement dominée par les petites et moyennes entreprises et un retard important dans l’enseignement et dans l’utilisation des techniques de gestion modernes". Il est sans doute temps, compte tenu de la spécificité des contextes et des défis de l’entreprise africaine, que praticiens et théoriciens de la gestion des organisations 9 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire en Afrique cessent de consommer des modèles " prêts-à-porter " ou " prêts à l’emploi " pour développer leurs propres conceptions et outils de gestion, qui doivent être mieux adaptés au contexte de l’entreprise africaine. Cette spécificité, mais aussi la recherche d’une intelligente adéquation entre efficacité économique et progrès social doivent susciter des interrogations sur la nature et les caractéristiques des différentes " régulations " susceptibles d’être mises en oeuvre pour que cesse le " zapping managérial " (Migani, 1993) des chefs d’entre prise africains et de leurs Responsables RH. 10 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Ce symposium organisé conjointement par Euromed Marseille Ecole de Management et l’AGRH sur la question de l’existence d’une pensée euroméditerranéenne en Gestion des Ressources Humaines, nous offre l’occasion d’apporter dans ce débat euroméditerranéen une modeste contribution. Seulement quelques éléments de réflexion sur les possibilités réelles d’intégration des valeurs culturelles traditionnelles dans les pratiques de GRH en Afrique subsaharienne. Les trois pays du Maghreb sud-méditerranéens et l’Europe sont si proches de cette Afrique là. Nous tenterons de cerner, dans une première partie descriptive, les raisons de l’échec 11 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire de la GRH dans les entreprises, raisons qui donc empêchent l’éclosion d’une bonne GRH, pour, dans une seconde partie prescriptive, proposer de changer de paradigme et d’explorer d’autres pistes de nature à favoriser l’émergence de modèles et pratiques de GRH propres aux entreprises africaines. 1. GRH EN AFRIQUE, DE L’ABSURDITÉ DES MODÈLES À LA LOGIQUE D’ÉCHEC Les entreprises africaines ne jouent pas encore dans nos pays " le véritable rôle de locomotive de la croissance comme c’est le cas en Occident " (Kessy, 1999). Tel est le constat fait par M. Z. Kessy 1 en avançant comme raisons majeures : 12 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire - la politique commerciale des métropoles qui a privilégié dans les territoires colonisés la consommation de leurs biens importés - les différentes politiques macro-économiques engagées dans la plupart des pays africains qui ne sont pas de nature à susciter l’émergence d’entrepreneurs et d’entreprises dynamiques - le mode de management qui ne tient pas souvent compte des réalités et de la culture africaine Cette dernière raison est confirmée par bon nombre d’observateurs qui relèvent que les grandes entreprises industrielles africaines, publiques ou privées, 13 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire ont développé un mode de production inspiré des valeurs étrangères et qui ne respecte pas les caractéristiques culturelles des différents groupes sociaux qui sont impliqués. Et la plupart des travaux sur les rapports entre gestion et cultures africaines, comme ceux de Makunza et Verna 2 qui, citant Olomo (1987), ont même conclu que l’importation de modèles " étrangers" de gestion a le plus souvent été un échec humain et économique en Afrique. Certains apportent tout de même une nuance sur les raisons de cet échec des entreprises 14 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire africaines dans l’utilisation des techniques de gestion moderne. Pour eux, il faut rechercher les explications non seulement dans l’environnement institutionnel de la firme, mais encore dans les choix stratégiques managériaux ainsi que dans les processus d’adoption et d’introduction dans les entreprises de ces techniques modernes de gestion (Tidjani, 1993), mais aussi s’interroger sur les obstacles rencontrés au cours de ces processus. Ces raisons prouvent à suffisance qu’il est en train de se former ainsi une prise de conscience que l’entreprise en Afrique est dans une impasse pour ce qui concerne le 15 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire mode de management des personnes et qu’un changement de paradigme s’impose. 1.1. Les entreprises africaines dans l’impasse : entre traditions et rationalité moderne 1.1.1. L’Afrique et ses propres freins Il serait intéressant de donner juste quelques éléments d’appréciation sur les trois facteurs bloquants que sont la diversité, la tradition orale et les problèmes économiques. Même s’il est possible de noter ça et là plusieurs caractéristiques traditionnelles communes aux populations, la caractéristique dominante des pays de l’Afrique subsaharienne, 16 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire c’est leur grande diversité sur les plans culturel, linguistique religieux, ethnique, géographique, historique… (Essy, 2002). A cela s’ajoute que chaque famille, clan, ou ethnie a ses rites, ses autels, et ses officiants. Le Cameroun, que Ongodo 1 considère comme " l’Afrique en miniature " serait la référence du point de vue de la pluralité ethnique et des aires culturelles. Il n’est pas alors aisé, dans un tel pays, de gérer tous les particularismes dus à cette diversité de clans, de tribus, d’ethnies, de religions et de croyances, que seul le tracé colonial a inclus dans un même espace national (Essy, 2002). 17 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire La tradition orale est une valeur traditionnelle très puissante ; c’est une très grande encyclopédie… malheureusement " aux pages bouleversées " (Essy, 2002) puisque rien n’est écrit. Malgré tout, cette encyclopédie comporte un chapitre à lire utilement : la tradition historique, continuant à déterminer les alliances et les interdits qui doivent présider aux relations entre les différents clans, castes, tribus et ethnies. Signalons, à la suite de ce chapitre, ceux des langues et de l’art musical (la musique - à commencer par le Jazz - est la contribution la plus significative de l’Afrique au patrimoine vivant de l’humanité) sont tout aussi importants. 18 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Quant aux problèmes économiques, Desauney, (1987) cité par Makunza et Verna définit trois logiques d’interprétation résultant des analyses des cadres africains expatriés : - la " logique du retard " : l’Afrique serait aujourd’hui dans la situation de l’Europe d’il y a un siècle, c'est-à-dire dans un retard de développement consécutif à un retard culturel. Ce retard sera difficile à combler, si le développement technique de l’Occident maintient son avance, - la " logique du vide " : selon cette logique, les sociétés africaines manqueraient d’un certain nombre d’éléments d’ordre intellectuel (conception du temps) ou moral 19 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire (sens de la responsabilité individuelle) nécessaire à une gestion efficace, - la " logique de la différence" : Cette dernière logique cherche à expliquer la différence entre les comportements des africains et ceux des européens dans certaines circonstances. Verna (1989) se demande d’ailleurs si certaines cultures ou organi- sations sociales ne sont pas définitivement incompatibles avec les modèles de développement que propose l’Occident. 1.1.2. L’Afrique qui a toujours subi L’Afrique sub-saharienne est incontestablement imprégnée par la tradition ; mais 20 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire elle a été aussi profondément bouleversée par les chocs successifs de l’histoire : esclavage, colonisation, pénétration des philosophies et religions nouvelles, sans compter d’autres phénomènes plus ou moins récents (adaptation à des techniques et langues étrangères, indépendance de nouveaux Etats aux contours dessinés depuis l’étranger…) Les rudes épreuves liées à la traite négrière et à la résistance à la colonisation ont constitué les plus traumatisants de ces chocs que l’Afrique a subis, au cours des siècles ; ils l’ont tant affectée qu’elle n’a pas su profiter de la vaste somme d’expériences, 21 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire du corpus immense de savoirs, de savoir-faire, de savoir-être et des techniques de faire-savoir utiles qu’elle a accumulés (Essy, 2002). En revanche son contact avec les philosophies et religions nouvelles semble lui avoir été bénéfique à plusieurs égards. En un demi siècle, l’Afrique a franchi toutes les étapes de l’industrialisation, en passant sans transition du mode de production villageois au stade industriel ; de ce fait, elle n’a pas véritablement connu le stade de la petite entreprise familiale où se forment l’esprit, les pratiques et les symboles, qui caractérisent encore aujourd’hui les grands 22 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire noms de l’industrie des pays occidentaux (Makunza et Verna). Ainsi l’Afrique n’a connu ni révolution agricole, pour paraphraser Samir Amin 1 , ni révolution industrielle. Selon E. Kamdem (2000), cette mutation sera accompagnée, toujours à la faveur du mouvement de colonisation, d’une transformation profonde des sociétés traditionnelles africaines progressivement devenues des sociétés d’organisation au sens d’A.Etzioni(1971). Elle connaît ainsi la pénétration en force des modèles d’organisation et de production économique importés d’Occident. Avec l’influence de la dynamique coloniale, le modèle wébérien de la bureaucratie 23 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire administrative s’installe aux dépens de la tradition incarnée par les chefferies traditionnelles, lieux de concentration de l’autorité politique traditionnelle et de l’autorité religieuse. Ainsi, avec cette rupture manifeste entre la tradition africaine et la rationalité moderne (Elungu, 1987), l’organisation (de production économique) est devenue une source de méfiance au lieu de susciter un attrait aux yeux des africains. Il se développe alors un imaginaire collectif selon lequel " le travail du Blanc ne finit jamais " pour exprimer leur lassitude et leur désintérêt pour le travail industriel et son mode 24 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire d’organisation (Kamdem, 2000). Par ailleurs, étant constituée de règles formelles issues des doctrines des Ecoles classique et néo-classique, l’organisation bureaucratique est conçue pour des organi- sations évoluant dans un contexte de stabilité et de faible incertitude ; elle ne peut donc plus convenir à l’entreprise africaine qui doit, plus que toute autre, répondre efficacement à des objectifs de flexibilité, de réactivité et de qualité. L’organisation bureaucratique africaine actuelle est devenue, elle-même, un système dysfonctionnel, générateur de contre-performances économiques et peu susceptible 25 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire de contribuer au développement personnel des individus (Kamdem, 2000). Pour certains, les ‘‘administrations bureaucratiques africaines’’ seraient responsables du retard économique de l’Afrique (O.Aktouf, 1989 ; J.F.Bayart, 1989,1997). L’Afrique est en réalité le théâtre de la rencontre de deux visions du monde : la sienne qui est celle d’une civilisation plus relationnelle et plus existentielle d’une part, et celle de l’Occident plus rationaliste et plus tourné vers la rentabilité, d’autre part (voir tableau). Il en est bien sûr né un choc culturel qui a considérablement ébranlé les consciences. 26 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Les consciences ont été déstabilisées voire fragilisées par ce choc culturel, mais l’éveil des consciences n’a pu avoir lieu que bien plus tard avec les succès éclatants et les réussites économiques des pays asiatiques alors que les entreprises africaines n’enregistraient que des échecs. Peut-on d’ailleurs parler d’échec, si l’échec ou la réussite suppose un essai, une tentative. Il faut se demander si les vocables innovation, création et autres expressions qui font imaginer la réussite ou son contraire sont dans le lexique des entreprises africaines. Quel est l’impact de tous ces phénomènes sur les pratiques de GRH dans les entreprises 27 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire africaines ? Peut-on s’attendre à une GRH nouvelle et performante ? 1.2. Sortir de l’impasse pour favoriser l’émergence d’une GRH performante L’éveil des consciences aurait dû permettre d’appliquer une vieille maxime wolof 1 très populaire : " Si tu ne sais plus quelle direction prendre, retourne d’où tu viens ". En effet, la GRH dans les entreprises africaines peine à trouver son identité et sa voie propres, perdue qu’elle est dans les nombreux modèles importés. Les praticiens de la GRH dans l’entreprise africaine n’ont jamais eu le choix de leurs méthodes et pratiques. Il faut faire évoluer la GRH et l’envisager plus contextuelle. 28 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire 1.2.1. Une GRH qu’il faut faire évoluer Au-delà du discours sur la GRH, qui place le personnel au centre des préoccupations des chefs d’entreprises au Sénégal, l’importance de la fonction dans la productivité et la compétitivité de la firme n’est pas encore réellement perçue au niveau des PME et de leurs dirigeants. Même dans les grandes entreprises, la perception est différente selon le secteur d’activité et la personnalité (Tidjani, 2000) ou même la formation des dirigeants. Les interviews que nous avons menées auprès d’une quinzaine de cadres dont des 29 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Responsables Ressources Humaines, expérimentés ou débutants, les derniers ayant cependant reçus tous une formation en GRH, corroborent cette assertion. En effet, les réponses obtenues sont sans équivoque : les pratiques de GRH dans les PME sont si peu formalisées, si peu orthodoxes, tellement éloignées des canons universels qu’il faut s’interroger, à l’instar de Cadin et alii (2002), pour savoir si l’on est en présence de GRH. Ainsi, toute réussite enregistrée par cette GRH ne peut être imputée qu’au réflexe et à la capacité de certains acteurs à reproduire, à appliquer, tout en les simplifiant, 30 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire des pratiques importées, des schémas propres à des établissements industriels et commerciaux coloniaux français lesquels, il y a encore une période toute récente, constituaient l’essentiel des entreprises évoluant au Sénégal (Faye, 2004). La transposition des pratiques est bien évidemment facilitée par l’organisation bureaucratique évoquée plus haut qui caractérise l’entreprise sénégalaise. Rien ne différencie le mode d’organisation et de gestion de l’entreprise française de son homologue d’un pays d’Afrique francophone, la question fondamentale de l’identité culturelle bien sûr mise à part. Trois cents ans de présence française laissent des traces indélébiles ! 31 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire La GRH en PME africaine en général et sénégalaise en particulier n’est donc qu’un fac-similé plus ou moins blafard de ce qui se pratique ailleurs, s’inscrivant dans une perspective très instrumentale (Faye, 2004). En effet, la perspective universaliste et instrumentale est naturellement intégrée dans les priorités et pratiques quotidiennes de GRH et de management des chefs d’entreprise africains ou de leurs RRH, avec cependant, sinon une part exclusive, tout au moins une forte prédominance des tâches administratives, quasiment dépourvues de valeur ajoutée. 32 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire L’adoption de cette approche instrumentale d’inspiration universaliste est facilitée par de nombreux cabinets de conseil en GRH qui, avec beaucoup d’intérêt d’ailleurs (Cadin et Al 2002), la propose aux PME dans un discours - on ne peut plus commercial : " il n’ y a pas lieu de réinventer les solutions que d’autres ont su apporter à des problèmes classiques ; il existe des solutions éprouvées qui s’appliquent à toutes les organisations". Après une si longue période de mimétisme tous azimuts, quid des performances économiques et sociales des entreprises en particulier et des pays africains en général ? Elles 33 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire sont on ne peut plus médiocres. En atteste, l’effet miroir obtenu par Tchakam 1 : " D'une manière générale, la perception que les pays développés ont de la performance sociale des pays en développement est assez critique. Un certain nombre de réalités entrepreneuriales sont mises au compte des déterminants sociaux et culturels : des effectifs pléthoriques, des dépenses économiquement injustifiées et parfois somptuaires, un haut degré d'absentéisme, les difficultés à recouvrer des créances, la forte personnalisation des relations professionnelles et des rapports commerciaux, la faible délégation des pouvoirs de décision et la faible décentralisation des responsabilités, 34 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire la modeste professionnalisation des entrepreneurs et leur propension à se disperser en de multiples affaires, etc. figurent parmi les effets les plus fréquemment rencontrés de ces soumissions socioculturelles ". Est-ce là le résultat attendu de l’application des " best practices " ? Cette grande affection pour les bonnes pratiques et les règles universelles ne finira pas d’inquiéter. Le Ministère de l’Economie et des Finances du Sénégal, dans un document intitulé " Préparation de la stratégie de développement du Secteur Prive : Renforcer les capacités du secteur privé ", recommande : " Il est indispensable pour les chefs 35 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire d'entreprises d'opérer un profond changement d'attitude, en prenant conscience de la nécessité d'adapter leurs entreprises et leurs comportements aux règles universelles de management moderne, pour mieux s'insérer dans un environnement national et international marqué par une concurrence de plus en plus âpre". Il y a une parfaite similitude entre cette recommandation et celle de Kessi (1999) qui, avec quelques nuances cependant, demande aux managers africains de relever un certain nombre de défis parmi lesquels : - l’intériorisation sans complexe de la culture industrielle (en s’instruisant et en maîtrisant 36 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire les notions de bonne gouvernance, les outils modernes de gestion), - l’adaptation des techniques managériales aux réalités culturelles des peuples africains (concevoir une culture d’entreprise proche de leurs réalités quotidiennes qui intègre à la fois des valeurs tels que la solidarité, l’esprit de famille, l’hospitalité, etc). Cet effort d’adaptation ne doit cependant pas s’éloigner des principes rationnels et de bonne gouvernance de l’entreprise capitaliste. Il faut changer de discours et envisager d’autres réalités pour la GRH et l’entreprise africaine ! Il ne doit plus s’agir d’adapter des techniques managériales aux réalités 37 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire culturelles africaines, mais plutôt de partir des valeurs propres aux africains pour élaborer des modèles et pratiques de gestion propres au contexte africain. 1.2.2. La GRH dans l’entreprise africaine est forcément contingente Tiraillée entre plusieurs outils, méthodes et procédés dits universels, les uns naissants, les autres désuets, la GRH dans les entreprises africaines est en même temps fortement subjuguée par un environnement qui au demeurant fait sa spécificité. Dans cet environnement, le chef d’entreprise baigne dans une culture où il est pris en otage ; il est coincé dans une sorte de chausse-trappe ou écartelé entre, d’une 38 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire part cette rationalité moderne qui continue à s’imposer et, d’autre part, un ensemble de valeurs traditionnelles qui lui sont propres et qu’il est obligé d’intégrer dans ses pratiques GRH pour atteindre ses objectifs les plus stratégiques (Faye, 2000). Tirant les leçons des échanges du Congrès Mondial 2000 pour préfacer l’ouvrage de Zghal (2000), Peretti fera remarquer l’impossibilité d’identifier des pratiques susceptibles d’être universelles, pour conclure qu’une GRH performante est celle qui est adaptée à un contexte. En effet, il n’existe pas de bonne GRH en soi mais il y a des GRH plus ou moins adaptées 39 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire à différents contextes. La GRH doit s'adapter à l'entreprise. Il est évident qu'une petite structure n'a ni les mêmes besoins, ni les mêmes contraintes qu'une multinationale, encore moins les mêmes objectifs ou les mêmes ressources. Il convient de souligner aussi que le contexte de la PME en Afrique subsaharienne n’est en rien comparable avec celui des pays avancés; le contexte d’une PME naissante est également différent de celui d’une PME en pleine expansion et d’ailleurs, l’on considère que les choix de GRH sont induits durant les premières années de vie de la PME (Mahé de Boislandelle, 1993) alors qu’ils prennent en contexte de forte croissance 40 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire une dimension stratégique de première importance, parfois difficile à prendre en compte par le dirigeant (Verser, 1987). Il convient donc de refuser les approches normatives, les solutions passent partout, la tentation des recettes universelles (Peretti). L’approche classique du management, celle qui croit au " one best way ", qui gère les entreprises de façon identique, que ce soit à l’échelle nationale ou internationale, ne peut pas prospérer dans le contexte des entreprises africaines. D‘ailleurs, en raison de la profusion d’Ecoles de Management locales, celles-là n’ont plus les ressources nécessaires à l’application 41 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire de méthodes de management élaborées, formalisées et exportées comme des produits matériels vers les pays étrangers (Mutabazi et alii,1994). Seule donc une approche contingente de la GRH et non une vision ésotérique d’une GRH coupée de son contexte, saura en réalité "connecter" l’entreprise africaine avec l’efficacité sociale, l’efficacité économique et, partant, la performance. Qu’est-ce que la contingence ? Mon PC est beaucoup plus bavard pour expliquer le vocable "contingent" qu’il traduit par ces synonymes : occasionnel, fortuit, acci dentel, éventuel, incertain, conditionnel… qui renvoient tous à un seul et unique 42 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire entendement : pas de loi universelle. Ce qui veut dire, en d’autres termes, que toute analyse, toute démarche doit être contextualisée, s’effectuer sur la base d’un ici et maintenant. Il faut avoir conscience de sa propre rationalité limitée. Tout n’est pas généralisable. Ainsi, pour la théorie de la contingence, " il n’existe pas une forme organisationnelle unique assurant la performance à toutes les entreprises, mais la structure optimale varie en accord avec certains facteurs (Huault et Charreire, 2002) ". La théorie de la contingence montre comment une entreprise ou une organisation dépend des institutions, 43 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire de sa relation au marché, des objectifs de ses dirigeants, des types de configurations organisationnelles et de leur cohérence (Amblard et alii, 1996). Globalement, la théorie de contingence consiste à expliquer la relation qui existe entre l’organisation et son environnement : les organisations sont obligées, pour perdurer, de prendre en compte les contraintes imposées par leur environnement, c’est à dire les caractéristiques du marché sur lequel elles opèrent, les possibilités technologiques offertes dans leur secteur d’activité, les contraintes liées à leurs différents environnements culturels… (Petit, 2000). En effet, selon Petit, l’entreprise évolue 44 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire dans un champ de contraintes qu’elle doit analyser (fonction de vigilance) et traduire dans ses structures (impératif de recherche d’adéquation, donc de changement), en exploitant toutes les marges que lui offre son expérience, laquelle est liée à son âge, à sa taille, aux fondements de sa culture… C’est ce que traduit autrement le Directeur des Ressources Humaines de la Compagnie Ivoirienne d’Electricité : "gérer une entreprise dans sa forme moderne ne fait pas partie de la tradition en Afrique noire. C’est pourquoi, nous sommes persuadés qu’un manager en Afrique qui n’identifie pas les facteurs corrosifs de la 45 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire culture africaine, qui ne prend pas en compte l’impact de la pression culturelle communautaire et de la pression familiale sur celui qui travaille, qui ne prend pas appui sur les valeurs culturelles africaines, aura pris certainement un mauvais départ pour assurer la pérennité de son entreprise". La préoccupation de ce DRH africain est de plus en plus partagée. En effet, s’agissant de la place et de l’importance des cultures africaines dans le fonctionnement des organisations, Kamdem (2000) signale, parmi les tendances qui émergent dans les travaux des chercheurs, l’existence d’un courant qu’il qualifie de managérial ou 46 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire encore d’entrepreneurial et selon lequel " les traditions africaines sont une variable déterminante du fonctionnement des organisations modernes. Il convient donc de se pencher davantage sur ces traditions pour voir comment elles peuvent se manifester positivement ou négativement dans le management des entreprises et des organisations africaines ". Mais, dans ce domaine il ne suffit pas de dire ce qu’il convient de faire pour qu’immédiatement les effets attendus se produisent ; la pensée magique ou le discours incantatoire ou encore les effets d’annonce sont des modes opératoires qui ne 47 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire peuvent qu’être infructueux. Malheureusement, la référence aux RH a souvent un caractère incantatoire (Henriet et Boneu, 1998) et il revient aux professionnels et praticiens de la GRH de l’en débarrasser, car c’est à eux qu’il appartient de trouver des compromis, d’inventer des modes de régulation, de faciliter les processus d’apprentissages, de développer le sentiment d’appartenance. 2. CHANGER DE PARADIGME POUR UN MANAGEMENT DE TYPE NOUVEAU Comment rompre avec l’incantatoire ? En pensant d’abord différemment, c’est à dire en changeant de "paradigme". Cette notion est bien rendue par les Allemands 48 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire qui changent de "vision du monde" (weltanschauung), mais aussi par les Anglais qui également éprouvent la nécessité de changer de "way of thinking" devant l’obsolescence du concept "one best way ". Trois verbes d’action seront utiles pour rompre avec l’incantatoire : conceptualiser, comprendre, valoriser. Mais il ne s’agit ici que de donner des pistes à explorer. 2.1. Une nouvelle philosophie de gestion s’appuyant sur les valeurs traditionnelles Pour conceptualiser cette philosophie de gestion, il sera indispensable : 2.1.1. De rechercher les valeurs culturelles susceptibles d’avoir un impact positif sur 49 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire le management des organisations et des personnes Il s’agit d’identifier, redynamiser, et diffuser les valeurs positives contenues dans les cultures africaines et susceptibles d’induire les attitudes et comportements voulus pour atteindre les objectifs fixés (recherche de la performance). Ainsi, par exemple, seront explorées toutes les valeurs, connaissances et aptitudes axées sur les approches culturelles africaines dans la résolution des conflits, comme la technique de la palabre et du consensus qui peuvent être recyclés. La technique de la palabre mérite, au demeurant, d’être importée et testée par les sociétés occidentales qui 50 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire l’adapteront à leurs propres réalités ; elles ne manqueront sûrement pas de l’adopter lorsqu’elles se rendront compte de sa capacité à favoriser le fameux dialogue des civilisations dont la tonalité se perd en Occident au profit du choc des civilisations. Des développements seront consacrés ci-dessous à la palabre. Certaines valeurs sont quelques fois emmitouflées dans des adages, proverbes et autres maximes. Par exemple, que penser de cette vérité africaine selon laquelle "l’Homme est le remède de l’Homme" (alors qu’en Occident " l’Homme est un loup pour l’Homme"). 51 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire L’étude du fonctionnement du secteur informel recèle également beaucoup d’enseignements. Le secteur informel représente l’ensemble des activités se développant spontanément en milieu urbain, qui permettent d’absorber une partie de la main d’oeuvre provenant des migrations rurales et qui n’obéissent pas aux règles formelles de l’économie du travail (comptabilité, droit du travail, etc.) en vigueur dans les pays développés (Makunza et Verna) . Ce sont des entreprises " lilliputiennes " qui naissent de l’ingéniosité des populations pour satisfaire au départ des besoins très élémentaires ou de première nécessité. Elles finissent souvent par devenir de 52 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire très bonnes affaires. Un exemple parmi tant d’autres est le groupe sénégalais CCBM (Comptoir Commercial Bara Mboup) du nom de son fondateur, à l’époque petit commerçant de " l’informel " dans le secteur de l’électroménager, qui a su grandir. Aujourd’hui, le Groupe CCBM est un exemple de réussite de la mutation d’une activité du secteur non structuré vers le secteur structuré. "Bien adaptées à leur environnement et à un système de contraintes spécifiques, les entreprises du secteur informel ont des modes de gestion qui sont en harmonie avec les conceptions ambiantes de la vie en société" (D’Iribane, 1993). 53 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire 2.1.2. D’établir les modèles et pratiques managériaux adaptés à la situation réelle des pays africains L’élaboration de modèles et pratiques nécessite l’existence de structures appropriées. Donc, développer d’abord un type d’organisation spécifique, passerelle entre la culture du monde villageois et celle de l’entreprise moderne, qui permettrait aux individus de produire plus efficacement en exprimant leurs qualités propres dans le travail (Kamdem, 2000). Ainsi pourra-t-on formuler des propositions concrètes pour la mise en place de politiques de gestion adaptées au système social et aux spécificités des 54 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire entreprises des pays africains. S’agissant de la concertation, étudier comment fonctionne sur ce point la société rurale coutumière dans laquelle le sens et la pratique de la concertation, notamment par la palabre, constituent des valeurs traditionnelles, même si elles ne se réalisent pas d’une manière pleinement égalitaire et comportent des règles et des hiérarchies à respecter. La concertation fait partie de ces systèmes de valeurs et de croyances très efficaces dans les méthodes traditionnelles de résolution et de gestion des conflits 55 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire 2.1.3. D’adapter cette nouvelle philosophie de gestion aux défis des entreprises africaines d’aujourd’hui et de demain Exemple : Exploitation du rôle social du travail En Afrique traditionnelle, la propriété des terres n’est jamais individuelle ; elle est toujours collective. C’est là une forme manifestation de la solidarité traditionnelle (grande valeur ancestrale) qui est un ensemble complexe et hiérarchisé de droits et d’obligations, à la fois individuels et collectifs à l’intérieur du groupe mais qui, par contre, n’est l’expression ni d’un collectivisme ni d’une égalité totale (Makunza et Verna). 56 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Les systèmes d’exploitation ont connu une évolution historique : le travail collectif, en milieu paysan, se manifeste surtout par des prestations temporaires sur les champs " individuels". L’activité économique est traditionnellement commune et s’exerce dans le but de réaliser la subsistance du groupe dans lequel l’individu se définit d’abord comme le maillon d’une chaîne. Alors que les sociétés occidentales sont régies par l’idée de "plusvalue économique", ici c’est plutôt l’idée de "plus-value sociale" (Makunza et Verna). A l’origine, le travail correspondant au rôle social attribué par le groupe est totalement 57 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire internalisé par l’individu qui ne cherche pas à se distinguer de la collectivité et ne ressent donc pas cette nécessité comme une obligation externe mais bien plutôt comme une obligation qu’il se fixe lui-même avec plaisir, car la bonne exécution de la tâche lui garantit le maintien de tous ses privilèges de membre. Ces valeurs sociales traditionnelles vont être détruites par la colonisation qui voit en la coutume un obstacle à sa domination ; elle va instaurer un système d’individualisation des tâches pour dissocier l’individu de son groupe, en créant des fonctions plus ou moins nobles assorties de récompenses (carottes). Or, quand il ya 58 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire carotte, il y a bâton. On tombe alors dans le modèle de l’entreprise capitaliste ou modèle de l’association Capital / Travail avec une culture et des pratiques de gestion capitaliste. Tout est orienté sur un seul objectif, la maximisation des profits pour les investisseurs et, sur un seul mot d'ordre, la primauté du capital sur la personne. Cette culture et ces pratiques de gestion de l’entreprise sont donc l’antithèse de ce que doivent être en théorie la culture et les pratiques de gestion de la PME africaine, même capitaliste. Dans la mesure où les africains véhiculent et transfèrent spontanément leurs valeurs 59 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire culturelles dominantes, continuer à aligner les pratiques de gestion des entreprises africaines sur des pratiques exclusivement capitalistes, c’est favoriser et entretenir ces types de comportements qui sont à l’origine de la médiocrité actuelle des performances des organisations productives africaines. Il convient de procéder autrement. C’est l’occasion d’ailleurs de noter un paradoxe : aujourd’hui les nouvelles méthodes et pratiques de gestion qui s'imposent rapidement au sein des entreprises les plus performantes s'apparentent énormément à ce que devraient être "par nature", les méthodes de gestion de l’entreprise africaine. 60 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire En effet, pour répondre aux nombreuses conséquences du phénomène de mondialisation, on assiste au développement de concepts nouveaux ainsi qu’à de nouvelles méthodes et pratiques de gestion : entreprise de personnes, entreprise réseau, gestion participative, entreprise apprenante, etc. Même s’il s’agit de continuer à obtenir et à améliorer le profit, il n’en demeure pas moins qu’une plus grande considération de la personne et la préoccupation d’apporter d’autres types de réponses à ses besoins afin que le travail devienne désir, constituent le fondement de ces nouvelles méthodes de gestion. 61 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire Voilà que des valeurs traditionnelles africaines qualifiées souvent de conservatrices et donc rétrogrades, se révèlent parfaitement adaptées aux nouvelles conditions de succès des entreprises et " font aujourd’hui figure de précurseurs, d'avant-garde, d'avantages concurrentiels face aux défis du futur " (Bridault, 1998). 2.2. Comprendre la logique et la culture organisationnelles des sociétés africaines et sortir de la bureaucratie (afro-wéberienne) Les valeurs et pratiques communautaires de gestion (équité, solidarité, primauté de la personne et autonomie) que recèlent nos sociétés africaines doivent être 62 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire étudiées en vue d’une appropriation par nos managers et leurs responsables Ressources Humaines ; ceux-ci seront de ce fait à la fine pointe de nouvelles expertises de gestion sans avoir à plagier la philosophie et les pratiques de gestion des entreprises des pays à valeurs culturelles divergentes. Aussi pourrait-on reproduire, avec une petite dose de créativité et d’ingéniosité, les systèmes d’exploitation des terres par le travail collectif en milieu paysan et conférer à ce travail un nouveau rôle social permettant son internalisation par l’individu. Le but serait de tenter de mettre en place des structures modernes dont les caractéristiques 63 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire répondent parfaitement à la logique et à la culture organisationnelle des sociétés africaines. On évite de ce fait la transposition pure et simple de modèles et pratiques dans un environnement hostile, pour plutôt faire le cheminement inverse, exploiter et moderniser les schémas traditionnels d’organisation de sorte qu’ils puissent générer des comportements organisationnels adéquats. L’option est possible entre plusieurs types de structures permettant d’obtenir les comportements organisationnels adéquats : - Substituer l'entreprise de personnes à l'entreprise de personnel, l'employé sera considéré comme une personne-ressource et non plus comme un 64 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire simple exécutant astreint à la docilité et au silence déférent. Organiser le travail, ce n'est plus mettre de l'ordre, c'est mettre de la vie dans l’entreprise. - Passer de l'entreprise pyramide à l'entreprise réseau, c'est-à-dire penser et réorganiser l'entreprise comme une société de personnes, tissée de réseaux formels et informels. L'organigramme n'y est pas conçu pour maximiser les possibilités de contrôle de l'entreprise par la haute direction mais pour maximiser la qualité et la rapidité du service au client. (Bridault, 1998). Ce nouveau paradigme de gestion amène donc un changement majeur 65 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire dans la culture de gestion d'une entreprise africaine : elle ne sera plus centrée autour de la gestion des processus mais autour de la gestion du service aux clients. A cet égard, il faut signaler la réussite de l’opérateur de télécommunications la SONATEL. Cette entreprise sénégalaise a opéré un changement radical de mentalités et de comportements de ses agents qui ont pu divorcer d’avec la lourde organisation bureaucra tique héritée des PTT français qui caractérisait l’entreprise. Après s’être appropriés les valeurs fortes prescrites par leur Projet d’Entreprise dont le fameux slogan TASC 66 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire (Tous Au Service du Client), ils ont pu développer de réels réflexes en terme de qualité, tant du service que commercial, et rendre ainsi concret ce leitmotiv. Résultats : performance et compétitivité de l’entreprise qui est d’ailleurs la seule entreprise sénégalaise ayant accédé au marché boursier BRVM 1 . 2.3. Valoriser l’esprit de palabre et de concertation Il est vrai que la concertation et la palabre sont dévoreurs de temps en Afrique. La gestion du temps constitue l’un des maillons faibles des systèmes de valeurs culturelles africaines. Dans les modèles occidentaux, le temps, objet de mesure, a un prix 67 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire en rapport direct avec son utilisation pour le travail. En Afrique, c’est encore une réalité non chiffrable (Makunza et Verna). A condition de parvenir à faire prendre conscience de l’importance du facteur temps – ce "mystère de l’économie africaine" (Touré, 1992) – par des formations adéquates, des techniques de gestion participative peuvent être implantées dans l’entreprise africaine au niveau opérationnel. Au delà de l’optimisation du degré de motivation des employés, la culture de la palabre africaine est l’expression de la réhabilitation de la parole dans l’entreprise (Kamdem, 1996). Selon Kamdem, la palabre africaine 68 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire dans l’entreprise ressemble à une sorte d’exorcisme collectif ou de conseil pendant lequel un individu peut intervenir librement et dire ce qu’il pense de la vie de l’entreprise. Pour Ongodo, l’instauration de la palabre africaine dans les organisations aiderait : - à mettre un certain terme au mythe du chef ; - à résoudre les problèmes de communication ; - à associer le salarié à la prise de décision ; - à impliquer les travailleurs dans la réflexion sur les grandes décisions engageant la vie de l’entreprise. 69 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire L’instauration de la palabre africaine est d’autant plus nécessaire que le pouvoir du Directeur africain est exercé sur le mode centralisateur, sans partage, donc avec une grande distance hiérarchique. Le chef délègue peu ses pouvoirs. Il est consulté pour le plus infime détail. Mais la palabre sera essentiellement utilisée avec, comme objectif final, l’amélioration de la productivité et la recherche des meilleures solutions aux problèmes de production. Les acteurs dans cette concertation seront les travailleurs de base, dans un atelier par exemple ou un service quelconque, qui sont souvent les mieux placés pour trouver 70 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire les solutions ingénieuses aux problèmes auxquels est confronté le groupe. Il ne s’agit pas de reproduire les cercles de qualité, mais d’utiliser dans son esprit la palabre africaine pour mettre en place des techniques modernes de gestion ou des structures nouvelles de concertation qui pourraient prendre le nom de Conseils de résolution des problèmes (CRP) – pour ne pas emprunter l’expression Conseil des Sages. Deux types de Conseils de résolution des problèmes peuvent s'insérer dans ce mode de gestion participative : - les Conseils Gestion des Tâches; 71 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire - les Conseils Amélioration de la Qualité; Les deux formes de conseils de résolution de problèmes CONCLUSION C’est connu, les africains ne savent pas réussir les imitations serviles, ni les contrefaçons. En revanche, et cela est également manifeste et donc reconnu, ils sont passés maîtres dans l’art de " refaire du neuf avec du vieux ", pauvreté oblige. D’ailleurs, dans le domaine du management, la plupart des idées avancées aujourd’hui comme " nouvelles " sont généralement des reprises et des approfondissements d’apports antérieurs (Bridault, 1998). Or, ce n’est pas de la matière qui manque, 72 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire car tout est ancien mais pas forcément désuet, dans ce vieux continent. L’Afrique regorge de traditions immémoriales, bases des valeurs culturelles africaines empreintes d’une sagesse que pourrait lui envier le pays de Confucius. Elle doit se mettre à l’oeuvre pour identifier celles à même d’entrer dans le processus d’adaptation du management au contexte local. Il est temps, et c’est une réelle nécessité, que théoriciens et praticiens apportent leurs contributions au développement d’une théorie du management afin d’établir ainsi les modèles et pratiques managériaux adaptés aux 73 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire contextes réels des pays africains. Le cas non échéant, nos managers devront se contenter d’être des suiveurs de modes en management ou de se servir de techniques "gadget " importées des USA. Quelle utilisation l’entreprise africaine, dans son contexte actuel, ferait-elle des concepts à la mode comme "Chaos management" lancé en 1980 par un des auteurs du "Prix de l’Excellence" et "Perspective stratégique", concept européen des années 90 qui conseille la réactivité ? Les entreprises africaines s’interrogeront sur le "comment aller" d’une part, et seront 74 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire réactives, d’autre part, quand elles sauront où aller ? Que peut signifier, toujours pour cette entreprise là, le concept de "Plate-forme stratégique", élaboré en 1991 par le Boston Consulting Group (BCG) : "l’entreprise est constituée d’invariants relatifs" ? Toutefois, l’entreprise africaine ne peut loger à la même enseigne tous les concepts mode. En effet, il arrive qu’il y ait convergence entre les démarches préconisées et ce qui est souhaitable dans le contexte africain. En effet, nous retrouvons des éléments de convergence entre la nouvelle philosophie de management que nous 75 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire préconisons ci-dessus, les prescriptions de " L’Entreprise polycellulaire " d’Hubert Landier (1991) et, dans une moindre mesure, du " Management tridimensionnel " de G. Archier (1991). Pour Landier, l’entreprise intelligente doit : - remettre les certitudes et les schémas de pensée qui lui appartiennent au passé ; - reposer sur des petites équipes tendant à s’auto-organiser, mais dont l’existence est conditionnée par leur contribution à la réalisation des finalités de l’ensemble ; - constituer une organisation en réseaux, à la fois informelle, ouverte, non hiérarchisée 76 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire et fondée sur des rapports interpersonnels de coopération, etc. Ces éléments sont à combiner à ceux du " Management tridimensionnel " de G Archier, et notamment en ce qui concerne l’entreprise de type 3 management participatif, à savoir : - nouvelle culture - projet partagé - communication interne - motivation et mobilisation Mais aussi, avec ceux du "Management tridimensionnel ", qui intègre : - la dimension de l’esprit et de la culture, 77 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire - la dimension de l’adhésion à l’oeuvre commune, - la dimension du comportement dans l’action La combinaison des éléments pertinents de ces deux concepts de management constitue un excellent résumé des pratiques et modèles de gestion proposées cidessus à partir de l’exploitation des valeurs et pratiques communautaires de gestion d’une part et, d’autre part, de l’esprit de la palabre et de la concertation. Est-ce à dire que la boucle est bouclée avec, au départ, la critique des méthodes de gestion transposée en Afrique et qui ne tient pas compte des éléments culturels déterminants, et à l’arrivée, des prescriptifs de démarche managériale 78 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire sur la base de valeurs culturelles africaines fortes qui sont synthétisés par des concepts occidentaux avant-gardistes. BIBLIOGRAPHIE AKTOUF, O., (1989), Le management entre tradition et renouvellement, Gaëtan Morin, Montréal. AMBLARD H., BERNOUX P., HERREROS G. LIVIAN Y.F. (1996) "les nouvelles approches sociologiques des organisations", Editions des Seuil, Paris 79 / 88 Valeurs culturelles et pratiques de GRH en Afrique subsaharienne : au-delà du discours incantatoire ARCHIER, G.,(1991), Les leviers de la réussite, Inter Editions, Paris. 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