Sport intensif à l`adolescence : l`apprentissage de la douleur
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Sport intensif à l`adolescence : l`apprentissage de la douleur
Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur Avant -propos Programme de bourses pour la recherche en sciences sociales Rapport final Chercheur principal: Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université Jean Monnet, Triangle Chercheurs associés : Frédéric Mougeot (Doctorant en sociologie, université Lyon II, CMW), Bérangère Ginhoux (Docteure en sociologie, Université Jean Monnet, CMW), Bertrand Guérineau (psychologue clinicien, AMPD, Nantes). Titre du projet: Organisation: Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Laboratoire TRIANGLE UMR5206 1 Résumé: Cette recherche se propose de renforcer la connaissance des causes et des comportements de dopage. Dans cette optique nous nous sommes focalisés sur l’expérience de la douleur, physique et morale, des jeunes sportifs engagés dans une pratique de sport intensif ou qui sont aux portes du haut niveau. Il s’agit de voir comment la douleur fait l’objet de pratiques de soins dans différentes sphères sociales (famille, club, médecine etc.). Plusieurs acteurs participent à la gestion de la douleur, à sa redéfinition en fonction d’enjeux et d’intérêts différents. Cette gestion de la douleur inclut forcément des choix dans les pratiques de soin (traitement médicamenteux, techniques thérapeutiques etc.), et nous avions fait initialement l’hypothèse que celles mises en oeuvre par l’entourage du jeune sportif pour gérer ou dissimuler la douleur, peuvent dériver vers des pratiques dopantes. Objectifs: Le but de cette recherche est d’apporter des éléments de réflexion sur le processus d’entrée dans le dopage des sportifs adolescents, de réfléchir aux frontières entre se soigner et se doper qui peuvent à cet âge de la vie être floues. Notre but était d’appréhender leur perception de la douleur liée à leur pratique intensive du sport et d’identifier les consommations de médicaments antalgiques, de méthodes et de techniques antidouleur mobilisées par les jeunes sportifs et leur entourage pour les faire disparaître ou éventuellement apprendre à « faire avec » ces douleurs. La structure du rapport final: Le rapport se découpe en deux parties : la première partie restitue les résultats de notre enquête qualitative (par entretiens semi-directifs), la seconde restitue les résultats de notre enquête quantitative réalisée dans deux services hospitaliers de médecine du sport. A ces deux parties sont joints deux articles scientifiques : l’un synthétise la partie qualitative et l’autre, la 2 partie quantitative. Il y a donc, en quelque sorte, pour chaque approche une version longue et une version courte de l’enquête. Les deux articles scientifiques (versions courtes) – dont nous espérons obtenir l’accord de l’AMA pour les proposer à des revues scientifiques - ont l’avantage de mettre en évidence les principaux résultats de notre recherche. Pour autant, chaque partie du rapport (qualitative/quantitative) déploie ses principaux points d’appuis théoriques et méthodologiques et présente de nombreuses données recueillies au cours de l’étude et en propose certaines interprétations. Par ailleurs, chacune de ces deux parties expose des informations qui ne sont pas forcément présentes, dans les articles scientifiques. Certaines informations figurant dans les deux parties du rapport sont à destination exclusive de l’AMA et ne peuvent être rendues publiques. En effet, certaines données empiriques (par exemple relatives à la consommation de médicaments par les sportifs) restent à vérifier. Cependant, nous les avons relayées quand il nous a semblé que l’AMA pouvait les trouver pertinentes. Ces deux parties du rapport peuvent se lire indépendamment l’une de l’autre mais la lecture de l’une éclaire et confirme les résultats de l’autre. Les résultats et les tendances caractérisées sont identiques. Ils nous permettent de conclure le rapport par une série de préconisations et de traduire notre recherche en actions. Évolution de la recherche et mise en oeuvre du projet scientifique: Cette recherche a connu quelques soubresauts au cours de deux années du programme : les terrains envisagés au départ se sont reconfigurés et l’équipe de chercheurs initialement prévue s’est, elle aussi, modifiée. Nous avons systématiquement tenu informé l’AMA de ces évolutions lui faisant ainsi des propositions d’adaptations face aux aléas de la recherche. Nous ne les avons engagés qu’après avoir obtenu l’accord de principe de Léa Cléret. Même si toutes les conditions initiales n’ont été que partiellement réunies, la recherche a pu être pleinement mise en œuvre et ainsi fairet émerger des résultats scientifiques probants. 3 Ces évolutions sont de deux ordres : la première concerne la partie quantitative de l’enquête, la seconde concerne l’équipe de la recherche. Comme indiqué dans le projet, nous avions pour objectif d’administrer à partir des mois de mars et avril 2014 notre questionnaire sur deux sites hospitaliers : celui de Saint-Étienne et celui de Nantes. Cependant, à Nantes, la situation a évolué en raison de l’avenir incertain de l’antenne médicale de prévention du dopage. Le projet s’est appuyé sur différents responsables d’Antennes Médicales de Prévention du Dopage dont l’existence était menacée pour de nombreuses raisons précisées dans le rapport, pour le Sénat, de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage (2013, n°782, p. 103 et suiv.). A Nantes, Mr. B. Guérineau, responsable de l’AMPD (rattachée au service addictologie du CHU de Nantes), chercheur associé au projet ne pouvait pas prétendre administrer le questionnaire – même avec la présence d’un stagiaire - dans le cadre de ses consultations liées à l’AMPD. La file active de l’antenne médicale s’avérait en effet bien trop faible. Notre demande de collaboration avec le service hospitalier de médecine du sport du CHU de Nantes (dirigé par le Dr. Carole Paruit) est restée sans suite. Pour ne pas prendre du retard sur notre programme de recherche, nous avons pris contact avec l'Antenne médicale de Prévention du dopage de Montpellier (dans la même situation que Nantes), sans résultats, avant que nous puissions entrer en contact avec l’antenne médicale de prévention du dopage du Dr Sandra Winter et le service de médecine du sport du CHU de Lyon (du Dr. J-F. Luciani) ont permis, finalement, l’administration des questionnaires à partir du mois de mai 2014. Cependant, la dimension quantitative de l'étude a continué de se compliquer : à partir des mois de mars avril et mai 2014, et suite à la validation du questionnaire par l'AMA, nous étions prêts à commencer la diffusion du questionnaire à Saint-Étienne puis à Lyon. Or, le Docteur R. Oullion (chercheur associé au projet et responsable de l’antenne médicale de prévention du dopage et du service de médecine du sport de Saint-Étienne), n'ayant plus la responsabilité du service, n’était plus en mesure de nous permettre d'accéder à son service pour l’administration du questionnaire. Il nous a donc fallu renégocier notre présence auprès du nouveau chef de service (M. P. Edouard), qui est aussi devenu, plus tard, responsable de l’AMPD. Cette négociation a eu lieu pendant la première phase de consultations et les bilans sanitaires des jeunes sportifs. Nous avons donc dû reporter l’administration du questionnaire 4 au mois de septembre octobre et décembre 2014. Au mois de septembre, pour des raisons qui semblent internes au service de médecine hospitalière, M. Roger Oullion a démissionné de son poste de praticien hospitalier et de ses engagements scientifiques au sein de son laboratoire (LPE UJM). Notre projet a donc perdu un chercheur clé à un moment où nous avions besoin de lui. Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé avec les deux assistants de recherche (Frédéric Mougeot puis Bérangère Ginhoux à la fin du mois de décembre 2014) sur les deux sites pour essayer d'atteindre les objectifs fixés par le projet. De toute évidence, et malgré nos efforts, nos ambitions sur ce versant de l'enquête (600 questionnaires) ont été revues à la baisse (nous avons tout de même atteint 191 jeunes sportifs). Ces éléments n’ont pas mis en péril la pertinence de l'analyse statistique (qui visait moins la représentativité statistique que l'exhaustivité sur les différents sites) mais cela nous a amené à reconsidérer son statut dans l'architecture de l'enquête. Toutefois, force est de constater que ce déficit n’est pas uniquement du aux aléas de la recherche : certes c'est, nous semble t-il, dû à une projection qui a été mal estimée au départ par les responsables de l’étude et à des critères d’inclusion précis particulièrement restreints (cf. partie 2) mais c'est aussi, indéniablement, un des résultats de l'enquête : les services hospitaliers de médecine du sport ont, eux aussi, une faible file active. L’enquête qualitative le montre d’ailleurs : les jeunes sportifs sont surtout suivis par des professionnels du soin orientés et inscrits dans des réseaux de soins informels ou directement en lien avec des centres de médecines sportives privés (kiné, ostéopathe, etc.) Pour compenser cette baisse d’effectif statistique nous avons proposé de prolonger notre étude qualitative et d’enrichir ce versant qui, au départ, devait être exploratoire (n= 20). Au total nous avons réalisés 46 entretiens semi-directifs approfondis. Ces entretiens ont été principalement menés auprès de jeunes adolescents sportifs. Les autres ont été faits avec des parents de jeunes sportifs de haut niveau, d’autres avec des médecins du sport, des praticiens médicaux (kinésithérapeutes, psychologues, etc.), des entraîneurs de jeunes athlètes sur le rapport à la douleur. Ces entretiens ont été analysés au cours de l’année et ils nous ont permis de présenter une étude qualitative. 5 Au final, notre équipe s’est resserrée et nos interlocuteurs ont changé : si nous avons continué d’échanger et de suivre les travaux de Mr Guérineau qui ont abondé notre enquête, nous avons bénéficié de l’aide des Dr. Pascal Edouard et Dr. Sandra Winter (respectivement responsables des AMPD de Saint-Étienne et de Lyon) qui ont contribué avec leur équipe à la bonne marche scientifique de cette enquête au sein de leur service. Résultats : Synthétiques : articles scientifiques (en annexe) Développements : Etude qualitative (partie 1) et étude quantitative (partie 2) rapport final. Reccommandations : Conclusion générale Effet de la recherche sur le développement professionnel : La recherche a permis de renforcer les liens avec les laboratoires de recherche interdisciplinaires (laboratoire de physiologie de l’exercice, faculté de médecine, service hospitalier) et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche pour les membres de l’équipe. La création du Master Sciences sociales et médecine par le responsable scientifique du projet sera l’occasion à l’avenir de développer des travaux d’étudiants avancés liés au sport, à la santé et au dopage. Mélanie Brossier, étudiante en Master 2 Sciences sociales & Médecine, a effectué sur le site CHU de Saint-Étienne un stage conventionné et indemnisé dans le cadre de ce programme pour l’administration du questionnaire. Par ailleurs le projet s’inscrit dans la politique et le développement stratégique de l’établissement (UJM) autour d’un axe santé/société et accompagne la création du pôle santé qui vise à l’échelle régionale à renforcer les liens entre santé, ingénierie et prévention. Il sera ainsi possible de nouer des partenariats avec des structures comme l’Institut fédératif de recherche en sciences et en ingénierie de la santé ou de participer à des projets européens comme Sport et santé avec la Cité du design, « People Olympics » etc.. De nombreux programmes en cours d’élaboration sur le thème sport ingénierie et santé impliquant une 6 multitude de partenaires pourraient être des opportunités professionnelles pour les assistants de recherche (Frédéric Mougeot, Bérangère Ginhoux). Ces derniers auront eu la possibilité de présenter les résultats de cette recherche au cours de l’année 2 dans le cadre de séminaire ou de colloque. Publications: Au terme des deux années, deux articles pour publication scientifiques sont d’ores et déjà proposés à l’AMA pour validation. 1. BUJON T., MOUGEOT F., « Le négoce de la douleur dans la carrière des sportifs de haut niveau » (Les revues scientifiques visées : Déviance et société, Sciences sociales et santé, Drogues santé et société. ; des revues de Sciences humaines et sociales) 2. BUJON T., MOUGEOT F., GINHOUX B. « La consommation d’antalgiques chez les adolescents sportifs » (Les revues scientifiques visées :Science & Sports, Le courrier des addictions, Psychotropes ; revues multidisciplinaires liées au champ médical et destinés aux acteurs du champ de la santé) Un autre article à destination des médecins généralistes est en cours de rédaction pour la revue : Médecine. De la médecine factuelle à nos pratiques. (John Libbey Eurotext www.revuemedecine.com).Nous prévoyons de faire parvenir à différentes revues professionnelles les résultats de notre travail afin d’en assurer une diffusion plus large. Présentations/communications: Cette recherche a fait l’objet de plusieurs communications scientifiques dans le cadre de séminaires, colloques nationaux, congrès internationaux. 7 1. Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur. Présentation d’un projet de recherche ». Séminaire Santé/société, faculté Sciences humaines et sociales, département de sociologie, Master sociologie et anthropologie. 04 avril 2013 2. Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : trajectoires et socialisation de la douleur », Journée d’étude Sport intensif et douleur à l’adolescence : de la sociologie à la psychopathologie. CHU Hôpital Nord, 14 novembre 2013 (cf. rapport intermédiaire pour l’organisation de cette journée multidisciplinaire). Ont communiqués : Pr. Xavier Bigard (physiologie, biologie musculaire), Dr, Olivier Martin (pédiatrie), dr, Pascal Giraux (médecine rééducative), Dr. Claire Condemine-Piron (médecine du sport), M. Laurent Dartigues (sociologue), Mme Gaëlle Sempé (sociologue), Dr. Franck Enjolras (psychiatre, doctorant anthropologie). http://www.reseau-chu.org/les-articles/article/article/lexperience-de-la-douleurcomme-objet-de-recherche/ 3. Thomas Bujon « Produits dopants, médicaments et drogues sociales : ethnographie des régimes dopants des jeunes sportifs », Cultures Chimiques : Enjeux épistémologiques, éthiques et méthodologiques , Emilia Sanabria, Anita Hardon (dir.) Ecole Normale Supérieure de Lyon, première journée du programme ERC Chemical Youth, 17 février 2014. http://aissr.uva.nl/research/externally-funded-projects/content6/recent/chemical-youth.html 4. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Douleur et dopage dans le sport intensif à l’adolescence:de l’expérience vécue de la douleur à l’expertise négociée », Congreso Internacional IV Deporte, dopaje y sociedad, Madrid 26 février 2014 (communication acceptée). Les frais d’inscription au congrès et les frais de déplacement nous sont parus trop élevés pour nous y rendre. Nous avons du y renoncer. 5. Thomas Bujon « La guerre contre le dopage : un simple dérivé de la guerre contre la drogue ? », Congrès Addictologie et travail, Travail santé et usages de substances psychoactives. Etat des connaissances et modèles de prévention, Paris, Montrouge, 7-8 avril 2014 6. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Le dopage des enfants et des adolescents : des pratiques de soin extrêmes ? » Colloque Addictions et société. Quels regards, quels enjeux ?, Genève, 12 novembre 2014. Discutant : Dr. B. Kayser. http://www.addictionsetsociete.ch/presentation.php 7. Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, Bérangère Ginhoux, « Le négoce de la douleur dans la carrières des sportifs de haut niveau » Séminaire, dir. Patrick Mignon Sciences sociales et performance, INSEP, Paris, 04 février 2015. 8 Remerciements : Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à cette étude : pour la réalisation du questionnaire nous avons pu nous appuyer sur les compétences de Nathalie Dejong, assistante de production et d’analyse des données au laboratoire TRIANGLE et CERCRID à l’UJM. Caroline Vaisse qui a assuré avec une grande rapidité et de manière fidèle les propos des entretiens semi-directifs. Mélanie Brossier, étudiante-stagiaire, notamment pour l’administration des premiers questionnaires/tests. Yvan Weitzel pour la réalisation du support graphique. Le Dr Rodolphe Charles, maître de conférence associé à la faculté de médecine de Saint-Étienne pour ses relectures. Patrick Mignon, Laurent Dartigues, pour leurs encouragements. Nos remerciements vont enfin à Léa Cléret, pour sa patience et pour nous avoir toujours soutenus dans nos recherches sur le dopage. Son enthousiasme et son professionnalisme nous a été, tout au long de ce programme, extrêmement précieux. 9 Partie I : L’apprentissage de la douleur dans la carrière des jeunes sportifs de haut niveau : à propos des médicaments, méthodes et techniques antidouleur dans les mondes du sport. Etude qualitative *** 10 Introduction Chaque année, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) publie la liste des substances et des méthodes interdites. A cette liste s’ajoute une autre liste, moins connue du grand public, celle des substances placées sous surveillance. Ces substances sont signalées comme étant consommées par les sportifs de haut niveau : au détour de prélèvements d’échantillons urinaires ou sanguins de sportifs réalisés par les laboratoires antidopage accrédités, en raison d’informations relayées incidemment par le milieu sportif ou médical; d’une augmentation des prescriptions médicales, de vols, ou encore d’informations délibérément transmises et rendues publiques, on sait que ces substances sont utilisées mais leur taux de prévalence dans les milieux du sport, les quantités absorbées, les niveaux de consommation, les effets attendus du produit, les risques qui leur sont associés, restent obscurs. Ils font alors l’objet d’un programme de surveillance : pendant plusieurs années les laboratoires de l’AMA prélèvent, dans des circonstances spécifiées (en et/ou hors compétition), des échantillons dans les urines ou le sang des sportifs pour identifier la présence de ces substances et en mesurer la prévalence d’usage dans le sport. Ces substances pourraient être inscrites dans la liste des interdictions s’il s’avérait que leur consommation constitue une « violation des règles antidopages » fixées par le code mondial antidopage depuis 2002 (Cléret, 2011). Certaines substances, comme par exemple la caféine ou la nicotine (Bujon, 2008), restent ainsi pendant plusieurs années sous monitoring program, certaines finissent par être inscrites dans la liste des produits interdits, mais d’autres en sortent. Les substances qui figurent sur la liste de surveillance sont, jusqu’à nouvel ordre, autorisées par l’AMA et font parties de la « pharmacologie légale » du sportif (Fincoeur, 2010). La dernière liste des substances figurant dans le programme de surveillance, publiée en 2015, nous renseigne sur au moins deux points. Le premier est que cette liste intègre, spécialement depuis 2012, un nombre croissant de produits qui entrent sous la rubrique des narcotiques. Effectivement, certains médicaments opiacés y figurent (hydrocodone, ratio morphine/codéïne, tapendadol, tramadol). Ces substances, généralement employées dans le cadre de traitement de douleurs aiguës ou de douleurs chroniques sévères (généralement cancéreuses), sont parfois utilisées dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés illicites (héroïne, cocaïne) aux titres de substituts ou de compléments. A cette liste, s’ajoutent 11 les glucocorticoïdes qui sont des anti-inflammatoires. Le second point, est que les produits incriminés et/ou surveillés par l’AMA renvoie à une forme de « fuitage pharmaceutique » (Lovell, Aubisson, 2008). Ce phénomène n’est pas nouveau. Les produits dopants sont d’abord et majoritairement des médicaments ou des techniques thérapeutiques détournés de leurs usages premiers. Ils sont alors utilisés pour améliorer les performances et non exclusivement à des fins thérapeutiques. Ce phénomène est bien identifié. En revanche, ce qui l’est moins, ce sont la qualité et la quantité des substances thérapeutiques utilisées par les sportifs ou par leur entourage, les niveaux d’usages et les pratiques à risque des utilisateurs de ces médicaments appartenant aux narcotiques. Les produits surveillés pourraient ainsi se révéler être réellement utilisés à des fins thérapeutiques, pour soulager des souffrances, déplacer le seuil de tolérance de la douleur ou pour la « contrôler » (Lévy, Thoër, 2008) y compris, peut-être, pour atténuer les douleurs produites par l’usage régulier de produits dopants interdits (hormones de croissance etc.). Ces substances sont-elles dopantes ? et, si elles ne l’étaient pas, doivent-elles, comme d’autres produits utilisés par les sportifs – le cannabis par exemple (Mazanov, 2013) dont on sait qu’il est fortement expérimenté par les adolescents et fortement représenté dans les prélèvements issus des tests antidopages - figurer sur la liste des produits interdits par l’AMA en raison des risques sanitaires liés à leurs usages ou parce qu’elles sont contraires à l’esprit sportif (cf. art. 4.3 du code mondial antidopage de l’AMA)? Cette liste des produits agglomérant différentes classes de médicaments (antalgiques, analgésiques ou opiacés) est doublement significative. Tout d’abord, elle est significative en ce qu’elle rend compte d’un renouvellement des modes de consommation des drogues légales ou illégales – en l’occurrence des opiacés - dans le sport. Ensuite, elle est significative en ce qu’elle nous informe sur l’élargissement du champ de la lutte antidopage à des types de substances qui ne sont pas historiquement identifiées comme dopantes comme peuvent l’être les stéroïdes anabolisants, les hormones de croissance, l’EPO, ou différents types de stimulants (amphétamines, etc.) pris explicitement pour améliorer la performance. Les pratiques relatives à la consommation de stéroïdes anabolisants, de stimulants, de compléments alimentaires (protéines, créatine, vitamines, boissons énergisantes, etc.), d’alcool, de tabac ou de cannabis dans le sport parmi les « adolescents » (Arvers, Choquet, 2003, Peretti-Watel, 2011 ; Thoer, Levy, 2008, 2011, Sala et al. 2014) font d’ailleurs l’objet d’une littérature internationale abondante relayée dans les revues Journal of Adolescent 12 Health, Pediatric Clinics of North America, Addictive Behaviors, Pedriatrics, Drogues santé et société, etc. 1 ; tandis que les pratiques liées à la consommation d’antidouleur 2 ou même d’opiacés illégaux dans le sport restent, comparativement, bien pauvres. Cette attention publique croissante aux comportements d’usages et aux pratiques à risques des adolescents dans différents espaces (festifs, sportifs, scolaires etc.) est associée à une conception de l’adolescence généralement définie comme « une période cruciale du point de vue des apprentissages et des expériences de la vie ». A ce titre, c’est à cet âge de la vie que « l’initiation aux drogues licites ou illicites peut, en effet, potentiellement conduire, à terme, à l’amplification des problématiques individuelles (psychologiques, éducatives, sociofamiliales). » (Beck et al., 2010 ; INSERM, 2014). L’adolescence est généralement décrite comme une période de « découverte des usages de produits psychoactifs », comme une « période de vulnérabilité maximale au dopage » (CNRS, 1998). L’adolescence est également perçue comme une période « d’adaptation » qui s’accompagne aussi de troubles relationnels, de signes dépressifs ou anxieux, ou encore de manifestations violentes. Enfin, l’enfant ou l’adolescent apparaît « plus sensible aux influences de l’environnement, particulièrement vulnérable aux questions touchant à l’image du corps et à la construction de l’identité » (Purper-Ouakil, 2002). Ainsi, les enquêtes en population générale portant sur les usages de substances psychoactives se sont progressivement centrées sur la population des adolescents particulièrement exposées aux risques apportant ainsi des éléments chiffrés sur certaines sous-population adolescentes : leurs usages de substances psychoactives sont mis en lien avec certaines de ses composantes sociodémographiques (genre, âge, scolarité, pratique 1 Nous faisons ici davantage référence aux études épidémiologiques internationales ou aux enquêtes produits par les sciences sociales. Nous avons réalisé notre recherche sur plusieurs bases de données (PubMed, Cairn, Ecobost, Springer, JSTOR, Erudit, etc.) à partir de différents mots clés : jeunes sportifs/young athletes, college athletes ; adolescence/youth, risques/risk ; dopage/doping, douleur/pain, blessure/injury. La littérature est principalement produite sur ces sujets par les chercheurs nord-américains et scandinaves puis par des chercheurs notamment français, allemands, néerlandais ou australiens. De manière générale, la littérature produite sur la douleur est d’ordre médicale et diffusée dans de nombreuses revues scientifiques spécialisées en médecine du sport, en physiologie du mouvement ou de l’exercice, ou en traumatologie sportive etc. et dont le but est de produire expertises, diagnostics et traitements médicaux spécifiques. 2 Précision sémantique : lorsque nous employons le terme antidouleur nous faisons référence aux médicaments antalgiques de paliersI, II et III dont les anti-inflammatoires (AINS) ainsi qu’aux traitements antalgiques adjuvants qui peuvent leur être associés. Nous employons aussi cette expression pour évoquer les pratiques thérapeutiques non médicamenteuses à visée antalgique (massages, hypnose, entraînement mental, etc.). Les sportifs et leur entourage, et parfois les médecins qui les encadrent, parlent souvent de médicaments « antidouleur » ou « d’antidouleur » sans distinguer leurs niveaux ou s’ils sont à visée analgésiques ou antalgiques. Pour notre part, nous utiliserons, autant que faire se peut, la notion d’antalgique ou de médicaments antalgiques dont les différents paliers ont été référencés par l’Organisation Mondiale de la Santé. 13 sportive, etc.) ou avec d’autres « conduites associées » (violence, absentéisme scolaire, suicide, etc.). La recherche des facteurs explicatifs (socioéconomiques et scolaires, familiaux, d’environnement ou de personnalité, etc.) jouant un rôle dans la consommation de substances psychoactives s’est complexifiée sur le plan épidémiologique pour les enfants et les adolescents sportifs (Salla, 2014). Ainsi, les consommations des drogues illégales ou légales (alcool, tabac, médicaments) des adolescents engagés dans une pratique intensive ont été très souvent comparées avec celles des jeunes de la population générale. La fameuse courbe en U décrite par l’épidémiologiste Marie Choquet - bien que nuancée (Peretti-Watel, 2002) – a permis indéniablement d’établir un lien entre une consommation significative de substances psychoactives (alcool, tabac, cannabis, médicaments), des comportements déviants (violence, conduites à risques) et la pratique intensive du sport (Peretti-Watel, 2003) : les jeunes pratiquant un sport de manière « intensive » (plus de 8 heures par semaine) ont tendance à consommer plus de drogues et ont plus de conduites à risques (violences) que les jeunes ne pratiquant pas de sport (Arvers, Choquet, 2003). Progressivement, les recherches sur les adolescents se sont élargies : de l’étude des substances interdites consommées dans le sport (stéroïdes), on a fini par aussi s’intéresser – bien que timidement - aux usages et mésusages de médicaments prescrits et autorisés par les sportifs (Alaranta, 2008 ; Lévy, Thoër 2008) pour, enfin, questionner les jeunes de la population générale (non sportifs) sur la consommation de produits dopants comme les stéroïdes anabolisants par exemple (Choquet, 2008). Tout récemment, aux Etats-Unis, et à un bien moindre degré en Europe, le constat d’un fort accroissement du niveau de consommation de médicaments antalgiques et des overdoses médicamenteuses liées à la consommation d’antalgiques (opiacés) ou de substituts aux opiacés ont permis d’engager des recherches à grande échelle pour en mesurer la prévalence d’usage en population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014, Franck et al., 2015). En particulier, depuis que les grandes enquêtes – en l’occurrence celles du National Institut on Drug Abuse- ont identifié cette tendance chez les adolescents (NIDA 2013), de récentes études montrent que les adolescents sportifs - parce que leur risque d’être blessé est bien supérieur aux non pratiquants - ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors prescription et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport (Tricker, 14 1999, Lévy, Thoër, 2008 ; Selanne et al. 2014, Veliz et al. 2013, 2014). Certains sports tels que le football américain ou le hockey sur glace (Cottler et al. 2011, King et al. 2014) sont particulièrement scrutés. En Europe, quelques recherches commencent à appréhender les logiques sous-tendant la consommation d’antidouleur médicalement prescrits (antalgiques ou analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al. 2014), le football (Tscholl et al. 2009), la lutte (Veliz, 2014). Le cyclisme semble lui aussi particulièrement concerné 3. Une enquête avait indiqué qu’aux JO de Sydney les anti-inflammatoires non stéroïdiens étaient les médicaments les plus utilisés par les athlètes après les vitamines (Grémion, Saugy, 2013, Lippi et al. 2006). Toutefois, peu d’entre elles établissent un rapport direct, un « pont » entre ces consommations et d’éventuelles pratiques dopantes (sauf Selanne et al. 2014 4 ) ou d’éventuelles pratiques relevant des mondes de la drogue. Les médicaments consommés par ces sportifs appartenant à la famille des antalagiques et/ou des anti-inflammatoires ont bien souvent été relégués et maintenus aux marges de la lutte antidopage avant d’être intégrés dans les listes. Interpellé au cours d’un colloque organisé à Paris en 2011 5 (CNOSF, 2011) sur l’augmentation de la consommation des anti-douleurs dans certains sports, le Dr. Olivier Rabin, directeur scientifique à l’AMA, faisait le constat suivant : « Vous avez rappelé la position de Michel d’Hooghe 6 soulignant que les antalgiques n’étaient pas interdits par l’AMA. Ils permettent à un athlète d’atteindre le niveau de performance qui est le sien et non d’aller au -delà. Le problème est donc plutôt d’ordre médical. Pour le reste, je me méfie toujours lorsque l’on considère que la liste des substances interdites est une liste fourre tout. Le nombre de substances consommées 3 Par exemple, les révélations de Mickael Burry co-équipier de Lance Armstrong dans son livre Shadows on the Road: Life at the Heart of the Peloton, from US Postal to Team Sky à propos des usages du tramadol dans le peloton cycliste professionnel. Voir aussi « Sky veut interdire le Tramadol », L’équipe avril 2014 ; Clément Guillou « Le Tramadol, antidouleur addictif que le cyclisme aimerait interdire », Rue 89, avril 2014. 4 Une étude (Progler, 2013) à propos du développement de l’usage et du trafic de tramadol dans les tunnels des territoires de Gaza, évoque son usage « dopant » par les travailleurs de nuit. 5 11ème colloque National de Prévention et de Lutte contre le dopage, Paris, les 1 er et 2 avril 2011. Cf en particulier l’intervention du Dr G. Guillaume « Le sport et la douleur » et les débats qui l’on suivi. Le rapport est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://franceolympique.com/files/File/actions/sante/colloques/11eme_colloque_national_010411.pdf 6 Médecin belge, Michel d’Hooghe a présidé entre 1987 et 2001 la Fédération belge de football et entre 2003 et 2009 le F.C. Bruges. Cf. A. Pellaton, « Les dangers des anti-inflammatoires », Le Temps, 18 février 2012. 15 par des athlètes, à tous les niveaux, conduit nécessairement à se poser des questions. La question doit être suscitée par des médecins et par l’encadrement des sportifs afin de privilégier des formes d’encadrement différentes afin de ne pas tomber dans des prescriptions incontrôlées. L’AMA peut être un partenaire dans la conduite et la diffusion de cette réflexion. » Tout en reconnaissant une diversité de pratiques médicamenteuses dans le sport, le Dr Oliver Rabin renvoie la prescription et la consommation de ces produits au champ médical et il trace une frontière assez nette entre les substances consommées à des fins d’amélioration de la performance et celles consommées à des fins thérapeutiques, contrôlées par la médecine. La consommation de médicaments antalgiques fait partie du second espace normatif puisqu’ils ne permettent pas « d’aller au-delà » de ses performances. Mais, a t-on affaire à des mondes distincts, à des types de consommations et de pratiques différenciées et sans rapport l’une avec l’autre ? Quand, en 2011, le Dr. Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle du dopage chez INRS-Institut Armand-Frappier à Laval (Canada), intervient suite à la mort (dont un par overdose) à quelques semaines d’intervalles de trois hockeyeurs canadiens, des « durs à cuir » et de grands consommateurs d’antidouleur 7, c’est bien pour rappeler les enjeux soulevés par la consommation régulière de « narcotiques » dans le sport de haut niveau. Ces substances sont autant consommées pour « masquer » la douleur inhérente au sport de haut niveau que pour « fonctionner avec » : « Ce n'est pas des Advil®, ce n’est pas de l'aspirine, ce n’est même pas de la codéine. On est à un niveau supérieur, au niveau des stupéfiants. C’est lié, disons, à la morphine et à l’héroïne ». Et, Christiane Ayotte d’ajouter : « Quand tu es obligé de fonctionner avec des douleurs importantes que tu masques avec des substances qui ont cette puissance, il est évident que c’est invivable » 8. C’est ainsi à un autre monde que sont rapportés ces types d’usages de médicaments : celui des drogues et de la toxicomanie. Pourtant ces produits n’appartiennent qu’à la marge aux mondes de la drogue. En effet, certains médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont en 7 Derek Boogaard, hockeyeur aux Rangers de New York est mort d’une combinaison d’alcool et d’oxycodone (médicament peu utilisé en Europe), un agoniste opioïde pur généralement prescrit dans le cas de douleurs intenses ou cancéreuses. Pour Wade Belak et Rick Rypien les circonstances de la mort ne sont pas précisées mais elles sont attribuées au rôle ingrat de bagarreur dans les équipes de hockey et à leurs états dépressifs. 8 Source : www.rds.ca, « Antidouleur : un facteur aggravant », septembre 2011. 16 vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine, ibuprofène, etc. de niveau I (antalgiques non opiacés) – et d’autres de niveau II codéinés ou Tramadol ; ou de type III comme les antalgiques opioïdes (morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés médicalement et font l’objet d’une administration et d’une diffusion réglementée à cause des problèmes de santé et des addictions qu’ils risquent de provoquer. Toutefois, ce que suggère le Dr Christiane Ayotte c’est que la frontière entre les mondes du sport et ceux de la drogue est bien plus trouble qu’il n’y paraît. En effet, l’addiction aux substances incriminées n’en serait pas la seule cause mais elle serait aussi liée au « mode de vie » du sportif de haut niveau. C’est ce lien que fait Christiane Ayotte 9 et sur lequel il convient de se pencher : le sport de haut niveau en tant que « mode de vie » pourrait contraindre les sportifs à un usage abusif de substances – les médicaments antalgiques – dans le but de réduire les dommages liés à une pratique intensive du sport. Par le recours à l’automédication, ils soulagent des douleurs avec lesquelles ils doivent composer s’ils souhaitent faire carrière, garder leur place dans le groupe ou tenir leur rang. Comment, dès lors, faut-il percevoir ces types d’usages d’antalgiques dans les mondes du sport ayant leurs propres règles de fonctionnement et leur propre relation aux substances médicamenteuses généralement régulées par la lutte antidopage (liste des substances et des méthodes interdites, AUT, passeport biologique, etc.) ? Quelles significations les sportifs et leur entourage attribuent-ils à la consommation de médicaments et aux douleurs qui en sont à l’origine ? Dans quelles circonstances prennent-ils ces substances pharmacologiques situés à la marge des mondes du dopage et de la drogue ? Développent-ils d’autres techniques, d’autres méthodes pour s’approprier les douleurs ? Comment, finalement, parviennent-ils à faire la distinction entre se soigner, se doper ou se droguer (Ehrenberg, 1999) ? 9 Christiane Ayotte établira un autre rapprochement entre le dopage et la toxicomanie au cours d’une interview télévisée : « Le dopage c’est comme l’héroïne, c’est jour et nuit (…) » et à propos des sportifs qui en fin de carrière constituent une part non négligeable des clients des cliniques de soins, elle note que ce n’est pas seulement une addiction liée « aux substances c’est aussi le rythme de vie, peut-être. » (2013, TVA Sports. interviewée par Réjean Tremblay). Sur les liens entre dopage et toxicomanie, on peut aussi faire référence aux travaux de W. Lowenstein (2000) 17 Méthodes d’enquête Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous mobiliserons des données empiriques récoltées par le biais d’une enquête par entretiens semi-directifs auprès de sportifs – âgés entre 12 à 35 ans - inscrits dans des carrières de haut niveau ou qui pratiquent leur sport de manière intensive. Au total, nous avons recueilli au total 46 entretiens approfondis et évoqué avec chacun d’entre eux leur manière de vivre, de gérer et de traiter les douleurs liées à leur activité sportive ou professionnelle. Une liste récapitulative des personnes interviewées est présentée en annexe de ce rapport ainsi que la grille des thématiques abordées avec les sportifs. Les interviews se sont focalisées sur les douleurs et les blessures rencontrées par les sportifs ainsi que sur leur prise en charge thérapeutique. Les récits recueillis traitent ainsi des parcours de soin et des itinéraires thérapeutiques qui rythment et conditionnent pour partie la carrière des sportifs de haut niveau. Le rapport à la performance a été volontairement abordé de façon secondaire dans les entretiens afin d’encourager les enquêtés à la narration de leurs expériences vécues de la douleur et des significations qu’ils leur attribuent. Cette partie qualitative ne cherche pas à mesurer la consommation de médicaments antalgiques dans les mondes du sport mais à « rendre intelligible la variété des relations observables » entre la pratique intensive d’un sport et les usages de médicaments (Peretti-Watel, 2011), de techniques ou de méthodes antidouleur. Nous n’avons pas fait de distinction a priori entre les sports, le niveau de pratique, l’âge, le genre, le niveau socioculturel, etc. Nous le verrons, l’approche « séquentielle » comprise dans la notion même de « carrière déviante » (Becker, 1985) a l’avantage de transcender ces variables pour saisir de façon idéal-typique ce qu’il y a de commun entre les parcours individuels quel que soit le sport, le niveau, l’âge ou le sexe concerné etc.. Cette approche présente des points communs avec la « théorie ancrée » développée par Anselm Strauss et Barney Glaser au sens où la technique de collecte des données s’est développé en fonction des « analyses provisoires » effectuées tout au long de l’étude (Glaser, Strauss, 2012, 57). Nous le verrons (cf Partie 2) certains éléments d’analyse qualitative ont été confirmés par l’étude statistique. Notre recueil des données par entretien semi-directif s’est déroulé sur les deux années de la recherche en trois phases. Lors de la première phase (a), les tous premiers entretiens étaient réalisés avec des très jeunes sportifs (12) à des fins exploratoires dans le but de préparer 18 l’élaboration du questionnaire (voir partie 2). Dans la seconde phase (b), nous avons prolongé ce recueil de données par la recherche de témoignages d’adolescents pratiquant de manière intensive leur sport ou aux portes du haut niveau et ayant été blessés ou ressentant des douleurs intenses. Autant dire que nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés pour les rencontrer. La dernière phase de recueil des données (c) s’est déroulée lors de la deuxième année de la recherche et les entretiens semi-directifs se sont élargis aux sportifs (adolescents, jeunes adultes puis adultes notamment sportifs professionnels). Dans chaque phase nous avons eu le souci d’intégrer des points de vues de professionnels intervenant directement ou indirectement dans la carrière des sportifs (de l’enfance à l’âge adulte) : entraîneurs (de club amateur ou professionnel), de parents d’enfants et d’adolescents sportifs (de haut niveau) et de praticiens médicaux : médecins du sport (médecins fédéraux, médecins d’équipe, responsables d’antennes de prévention du dopage, médecins – rhumatologues, généralistes, etc.- ayant une capacité en médecine ou biologie du sport, etc.), kinésithérapeutes, psychologues du sport, psychiatre. A ces entretiens semi-directifs, nous avons aussi eu de multiples conversations informelles complémentaires avec différentes personnes qui d’une manière ou d’une autre ont évoqué les l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs (par exemple en marge des entretiens avec les jeunes sportifs nous pouvions prolonger les discussions avec les parents, échanger avec des praticiens médicaux au cours de la passation de questionnaires au sein des services de médecine du sport, etc.). Toutes ces discussions sont venues infirmer ou confirmer les connaissances obtenues au cours de la recherche. Pour les entretiens semi-directifs avec les sportifs mineurs nous avons systématiquement demandé et obtenu l’accord des parents. La grande majorité des entretiens réalisés avec les jeunes sportifs mineurs se sont réalisés en présence des parents, à leur domicile ou au sein de leur club sportif. Les noms des personnes interrogées comme les lieux et certaines situations ont été rendues anonymes. L’anonymat a aussi été respectée pour les cliniques et les sociétés/entreprises privées. Parfois nous avons jugé nécessaire de ne pas qualifier le sport en question – qui peuvent compter peu de pratiquants – préférant utiliser son générique (ex : sport de combat, sport nautique, etc.) 19 Chapitre 1 L’expérience de la douleur dans les mondes du sport C’est un fait : la pratique intensive du sport expose les athlètes au risque de blessure et à d’inéluctables douleurs. Ceux-ci doivent faire face à des douleurs physiques et morales récurrentes (Loland, Skristad, Waddington, 2006). Ils doivent « fonctionner avec » s’ils souhaitent poursuivre leur carrière sportive au niveau professionnel. L’usage de médicaments antalgiques dont les anti-inflammatoires est à mettre en rapport avec ces différents types de douleurs dont les sportifs font l’expérience : celles sui generis, générées dans le cours même de leur activité (la pratique de leur sport principal), ou celles relatives aux charges liées aux programmes d’entraînements. Le recours au médicament antalgique (qu’il soit de niveau I, II ou III) s’analyse au regard de l’intensification de l’effort, des traumatismes 10 ou des violences corporelles liées à la pratique sportive, provoqués ou subis dans un contexte particulièrement concurrentiel du sport de haut niveau et caractérisé par la quête de la performance (Ehrenberg, 1991). L’accroissement du nombre de compétitions et la quête de records contraignent les sportifs à s’entraîner plus longtemps, plus intensément et plus durement (Loland, Skristad, Waddington 2006 ). Ce processus peut affecter, provisoirement ou définitivement, le corps des athlètes et menacer leur santé ou leur bien-être 11. Les problèmes de santé générés par des douleurs chroniques ou par des blessures répétées (courbatures, crampes, élongations, claquages, déchirures, entorses, 10 Par « traumatisme », nous reprenons la définition retenue par l’INSERM Activité physique, contexte et effets sur la santé (2008) soit : « toute blessure ayant suscité un arrêt de plusieurs jours (souvent une semaine) et l’absence de participation à une compétition. » 11 Certains chercheurs et experts estiment que les blessures sportives constituent un problème de santé publique plus inquiétant que le dopage lui-même (Frish et al. 2009). Ce que résume Fabien Ohl (2011) : « les blessures et les traumatismes du corps et des âmes sont normalisés alors que la menace du dopage est proportionnellement hypertrophiée ». 20 fractures etc.) font d’ailleurs partie intégrante de la carrière des sportifs. Les douleurs ou les blessures ne sont pas seulement des événements, des accidents affectant ponctuellement la carrière et pris en charge par un segment particulier de la médecine. Au contraire, on peut affirmer qu’elles constituent des épreuves structurantes dans la carrière des sportifs, des points de passages obligés, des étapes à franchir qu’il faut apprendre à gérer et à bien « négocier » (Strauss, 1992) et ce, dès le plus jeune âge. Les blessures plus que les résultats affectent le déroulement d’une carrière. Dans cette perspective, on peut faire l’hypothèse selon laquelle la réussite ou l’échec d’une carrière sportive amateur, semi-professionnelle ou professionnelle est moins conditionnée par les résultats, ou les performances obtenues, que par le contrôle et la gestion des douleurs et des blessures régulièrement générées par le sport intensif. L’entrée dans le dopage pourrait alors s’appréhender au travers de la compréhension de ce processus d’apprentissage et de gestion de la douleur. C’est à ce titre qu’il est ici proposé d’apparenter la carrière sportive à une « carrière déviante » (Becker, 1985). Généralement, l’engagement dans une carrière déviante se traduit par l’inscription d’une partie de la vie de l’individu – et parfois de sa totalité - dans un milieu organisé en y assumant successivement différentes positions hiérarchiques. Il apprend, à chaque étape, à justifier et à légitimer certaines actions ou pratiques qui peuvent apparaître, aux yeux de la société, comme déviantes, illégitimes ou dangereuses. De cette manière, il motive et rationalise rétrospectivement ses « choix ». Chaque étape constitue une séquence au cours de laquelle se réévalue l’engagement dans la carrière et où se redéfinissent un certains nombres de pratiques et d’usages (de produits). Ces actions, ces pratiques ou certains usages, changent de signification en fonction de ces étapes de la carrière. Dans ce processus, les relations entretenues avec l’entourage sont déterminantes, en particulier lorsque ces relations s’inscrivent dans des mondes sociaux (Becker, 1985) tel que celui du sport de haut niveau avec ses codes et ses valeurs qui leurs sont propres. Chaque étape de la carrière, chaque changement de statut, introduit des changements dans la vie de l’individu qui le conduisent à interpréter de façon différente les éléments de sa vie quotidienne et à réorganiser son « mode de vie ». Ce processus n’est ni irréversible ni inéluctable mais la carrière déviante peut, pour certains, se prolonger jusqu’à l’appartenance à un monde fonctionnant à part, avec son système de normes, clairement distinct des autres mondes sociaux. La notion de carrière a été fort judicieusement utilisée pour décrire les carrières de sportifs dopés au sein d’un système professionnel particulier organisé autour de normes et de valeurs sportives spécifiques « 21 extra-ordinaires » (Brissonneau et al. 2008) : progressivement le sportif entre dans un processus sélectif, modifie ses méthodes d’entraînement, rationalise et médicalise sa pratique jusqu’à justifier et légitimer ce type de pratiques. Il apprend, par exemple, à consommer les produits à l’abri des regards, à éviter les contrôles, à déjouer le système de surveillance qui pourraient l’étiqueter comme déviant. Au fur et à mesure que le sportif entre dans une carrière de haut niveau, il intègre un système de normes et de valeurs cohérent se différenciant de ceux qu’il avait jusqu’alors fréquenté. La notion de carrière déviante peut aussi être mobilisée pour décrire, à un autre niveau, le processus qui conduit les sportifs, engagés dans une pratique intensive du sport, à développer des pratiques de soin et à recourir à toute la « palette des stratégies utilisées pour rendre signifiante [ou insignifiante] une douleur » (Young, 2007). Cette expérience de la douleur et la signification que les sportifs et leur entourage lui attribuent ne peuvent pas être dissociées de la réaction sociale qu’elle suscite et qui tend, en retour, à la re-qualifier (Becker, 1985 ; Roderick 2006). La douleur ressentie et exprimée par les sportifs peut être jugée acceptable pour les uns mais elle peut être jugée inacceptable pour les autres. Elle peut faire l’objet de conflits d’interprétations. « Mon coach pense que c’est bien d’avoir mal. C’est sûr que des fois c’est bien de se faire mal dans le sens où, par exemple, quand on va faire une séance de course il faudra aller chercher au bout de ses limites, courir jusqu’à ne plus en pouvoir. Derrière, on va progresser, on sait que cela va être plus facile pendant le match, on pourra courir plus longtemps. Mais je pense que mon coach évalue mal cette douleur, la douleur physique quand on a pris un coup. On arrive à faire la différence mais lui il ne fait pas vraiment la différence. Il aimerait plus qu’on se "déchire" dans le sens de se faire mal. Du coup, il ne voit pas quand on se fait vraiment mal. » (Lucas, 17 ans, handball) Il faut donc essayer de comprendre les relations qui se tissent autour de l’expérience de la douleur ainsi que les différentes significations attribuées à cette expérience tout au long de la carrière sportive. Toujours subjective, cette expérience fait toutefois l’objet d’interprétations profanes puis d’expertises par une série d’acteurs. Dès l’entrée dans une carrière sportive, ceux-ci investissent la douleur, en évaluent la nature et la fonction, mettent en œuvre des pratiques destinées à l’objectiver, à la surveiller, à en contrôler l’évolution et également à 22 l’éradiquer ou à la dissimuler. Tatiana, âgée de 12 ans, est une jeune joueuse de tennis prometteuse mais dont les douleurs au talon, au genou et au dos se sont accumulées au fil des mois. Son premier grand tournoi international, Rolland Garros, se profile. Elle doit y participer. Son entraîneur de club poursuit alors son programme d’entraînement et tente de l’adapter en fonction des douleurs ressenties par Tatiana mais qu’il tentera d’objectiver en utilisant un outil médical, une échelle de la douleur : « Entraîneur : Tatiana a eu du mal au départ. On a ce système d’échelle de la douleur de 1 à 10, quand on arrivait à 7, 8 on arrêtait mais on a eu du mal. Tatiana : des fois des la fin de l’échauffement c’était 7, 8, et du coup je ne faisais même pas une demi-heure d’entraînement Entraîneur : on jouait selon la douleur de Tatiana, un quart d’heure, vingt minutes. Cela dépendait des séances … Tatiana : je voulais jouer ! » Parmi les recours mobilisés par les athlètes pour faire face à la douleur peuvent figurer les usages occasionnels ou réguliers d’antalgiques, d’anti-inflammatoires et d’autres techniques thérapeutiques, de médecines alternatives, non conventionnelles etc.. Ces pratiques peuvent être appréciées ou désapprouvées, légitimées ou dissimulées : tout dépend de la manière dont on va évaluer la douleur. Dans les mondes du sport, la douleur constitue une « valeur » (Loland, Skristad, Waddington, 2006). Dans son acception scientifique et technique, cette valeur peut se mesurer, s’objectiver. Elle fonctionne comme un indicateur, un « paramètre », à partir duquel s’élaborent une expertise, un processus diagnostique et un traitement thérapeutique. Mais elle est aussi une valeur au sens moral. La douleur dans les mondes du sport fait l’objet d’un jugement normatif : « no pain, no game » (Waddington, 2006). L’expérience de la douleur comme les significations sociales et morales qui lui sont attribuées évoluent tout au long de la carrière des sportifs. La « valeur d’usage » de la douleur se complexifie au fur et à mesure que la carrière se développe au sein d’un système clos et fermé sur lui-même avec ses propres règles et logique de fonctionnement. La dimension du temps est essentielle pour appréhender le rapport à la douleur : certaines carrières peuvent être écourtées ou freinées du fait de blessures répétées ou de douleurs chroniques. Elles peuvent 23 remettre en cause la participation à une compétition préparée parfois depuis plusieurs semaines, mois ou années. Elles peuvent enfin précipiter la sortie d’une carrière jusqu’alors prometteuse. La notion de carrière déviante doit permettre de comprendre comment se développent des usages et des techniques de gestion de la douleur propres à un monde ayant développé ses propres référents normatifs. Cette carrière se décline en trois étapes. 24 Chapitre 2 L’apprentissage de la douleur : taire et « faire avec » la douleur La première étape correspond à l’entrée dans la carrière de haut niveau. Dès l’enfance et l’adolescence, les jeunes sportifs qui accèdent à des filières de haut niveau - et dont le mode de vie est déjà centré vers la performance et le dépassement de soi (horaires scolaires aménagés, plusieurs heures d’entraînements par semaine, un mode de vie familial discipliné organisé autour de la compétition, etc.) - sont conduits à redéfinir leur rapport à la douleur en fonction de la réaction sociale qu’elle suscite. La douleur, intimement liée à l’activité intensive, est alors décrite de manière positive par l’encadrement sportif et par la plupart des sportifs de haut niveau. Souvent légitimée, valorisée voire « glorifiée » (Hughes Coakley, 1991 ; Young, 2007), la douleur est perçue comme une marque de l’effort, du dépassement de soi et de ses limites 12 . Elle est l’expression, incarnée, de la performance sportive, son expression « authentique ». « Toutes les douleurs physiques type courbatures, brûlures, tout ce genre de choses qui sont inhérentes à notre pratique, qui sont difficiles à vivre pour les jeunes - et peut-être même pour tout athlète - le fait de sentir qu’on a les jambes qui tremblent, que les bras nous brûlent, que les poumons sont en feu, que c'est très difficile. Ce type de douleurlà est, au contraire, à rechercher. Il doit tester ses capacités, les rechercher non pas pour se faire mal mais pour s’éprouver voire à dépasser. Cela doit être un des indicateurs pour l’athlète qui va lui dire que oui il est à un niveau de performances suffisant. » (Alain, entraîneur, sport de combat) 12 Comme dans d’autres mondes sociaux (musique, danse, etc. ) où la douleur est aussi omniprésente « l’image romantique de la souffrance a contribué à la croyance que la douleur est nécessaire et inévitable » pour obtenir des résultats, être performant ou devenir un virtuose. Ce « facteur est aussi lié à une culture de la virilité, à l’idéal stoïque de contrôle du corps. » (Alford, Szanto, 1995) Dans les mondes du sport, le rapport entre la manifestation de la douleur et la construction de la masculinité a fait l’objet d’études notamment de la part de Kevin Young. Pour un tour d’horizon de la sociologie de la douleur sportive cf Roderick (2006) 25 « La douleur, cela fait partie de moi. Si tu n’as pas mal c’est que tu ne forces pas assez ou que tu fais mal. Cela permet de connaître sa limite. C’est toujours bien de savoir ses limites » (Julien, 20 ans, Basket-ball) De fait, l’expression d’une douleur incapacitante au cours d’un entraînement ou d’une compétition fait l’objet d’un jugement moral défavorable de la part du groupe. Dire ou taire la douleur apparaît alors comme un élément déterminant du franchissement de cette première étape dans l’apprentissage de la douleur 13. La désapprobation du groupe face à l’expression (non héroïsée) de la douleur est d’ailleurs, avant l’intégration de cette injonction normative, vécue comme une « sanction ». Etre blessé apparaît ainsi aux yeux du sportif et de son entourage comme une « punition », le signe d’un potentiel déclassement. « Mon fils s’est blessé au mois de décembre. Il a repris au mois de mars. C’est bien mais il a recommencé par les coupes européennes. Donc tu es puni, tu repasses par … . Tout le monde aimerait les faire mais c’est une punition. (…) Il y en a un autre qui s’est installé donc il faut y retourner. C’est normal. Cela se tient à rien du tout. Pourquoi celui qui est derrière attendrait qu’il revienne ? Il prend la place. Il est motivé. (…) En fait, on est toujours sur la défensive. C’est permanent donc il faut avoir le mental quand même. La blessure est pénalisante, c’est clair. » (Père de deux jeunes sportifs de haut niveau, 15 et 17 ans, sports de combat) C’est aussi ce que pense cette mère d’une jeune handballeuse revenant de blessure : « Quand elle a repris le hand, l’entraîneur n’a pas voulu la faire jouer : « Non, c’est trop chaud, j’ai peur que tu t’abîmes. » Elle était fâchée. C’est pour cela aussi qu’elles ne se plaignent pas. Etre sur le banc, c’est une insulte. » L’expression de la douleur devient le signe manifeste, pour les pairs ou pour l’entraîneur, d’un désengagement et le témoin d’une faiblesse de volonté. Le sportif doit apprendre à dépasser et à transfigurer la douleur liée à sa pratique intensive du sport. Pour certains, cette douleur devient d’emblée pathologique – incapacitante - mais pour d’autres, il s’agit d’en 13 Dans un de ses articles, Isabelle Baszanger (1989, p.18-20) évoque l’ouvrage de J. Kotarba 1983, Chronic pain : its social dimensions, Beverlly-Hills, Californy, Sage Publication. Dans ce livre Kotarba s’était penché sur la perception par les athlètes professionnels de leurs douleurs chroniques et familières et la manière dont ils expriment et socialisent ce problème (dire ou taire la douleur) dans les mondes du sport.. 26 explorer les « potentialités créatrices » (Molinier, 2006) et de tester les capacités à aller audelà de ses limites. La douleur devient donc « positive » (Howe, 2004). Le sportif doit apprendre à se réapproprier la douleur, à s’y accoutumer s’il souhaite réussir. La douleur « se prépare et s’apprend comme un métier » (Herzlich, 1969, 157). « Je n’ai pas un moral d’acier donc j’ai tendance avec la douleur à m’arrêter assez vite. Justement, cela me renforce donc je commence à plus me donner à fond. Mon moral commence à résister en gros et là je commence à bien… j’ai envie de lâcher et mon père me dit « allez » et je repars. Mon coach, lui, c’est encore pire ! Sur un 200 mètres sur la piste, je vais le faire à fond, je pense que je suis à fond mais lui il va me dire que ce n’est pas bon. Je vais descendre du vélo, il va me remettre sur le vélo et je vais repartir. Je vais aller de plus en plus vite ; si je ralentis, il me dit : « Non, tant que tu ne fais pas mieux, tu ne repart pas » après j’aurais tellement de haine que là je vais envoyer et je vais avoir un bon résultat. » (Sacha, cycliste, 13 ans) La douleur devient rapidement un enjeu entre une pluralité d’acteurs qui « tentent d’en établir la réalité, les règles et les rôles qui s’y rattachent dans des situations sociales diverses » (Baszanger, 1989). Elle fait l’objet d’un commerce tacite, d’une transaction, d’une gestion « négociée » entre les sportifs, l’entraîneur et les parents. Au cours de cette première étape, la réprobation morale de la douleur dans le sport est dans tous les esprits : les jeunes sportifs apprennent à taire leurs douleurs physiques ou morales. Ils apprennent à les dissimuler par le biais d’une gestion profane de la douleur. Dans ce cadre, la prise en charge est d’abord familiale – sous forme d’automédication de médicaments homéopathiques, antalagiques ou d’anti-inflammatoires de type paracétamol (AINS niveau I). Ces médicaments sont pris occasionnellement, à titre curatif mais aussi à titre préventif « avant d’entrer sur le terrain » tout comme les produits de strapping. C’est le cas de cette jeune nageuse de 13 ans qui, avant chaque départ en stage d’entraînement, part avec plusieurs boites de paracétamol dans son sac de sport. « Sarah : Je prends des Doliprane® quand j’ai des courbatures, pas forcément quand je suis mal, fatiguée." 27 Mère de Sarah : En général elle en prend quand elle rentre, quand sa mère lui dit : "Tu n’as pas des courbatures ?". Si elle dit ‘oui’, je lui en donne un ; c'est plutôt après pour réparer et non en préventif. Tu dois en prendre toutes les deux semaines peut-être. C'est moi qui lui donne, elle ne le prend jamais de toute façon. Sarah (se tournant vers sa mère, surprise) : À part en stage où j’en prends ... Mère de Sarah : Oui je lui en mets dans son sac. Si je ne lui pose pas la question, elle n’en prend pas ; je ne lui pose pas la question à tous les entraînements mais quand elle a fait des entraînements compet’ » Les parents sont très souvent les pourvoyeurs de médicaments anti-douleurs donnés à titre prophylactique (Grémion, Saugy, 2013) : « Une fois, sur ces deux entorses, j’en ai pris, j’ai joué tout défoncé d’ailleurs, car je m’étais blessé, pas au basket, en matchant et j’ai joué. Ma mère m’avait donné des médicaments assez puissants quand même, des sortes d’antidouleur je ne sais plus leur nom. Ma mère est infirmière donc elle sait ce qu’il faut. J’ai fait un des meilleurs matches d’ailleurs. Je jouais à moitié en boitant, en plus j’ai joué super longtemps. Je l’ai fait quelquefois de prendre des médicaments comme ça quand tu es obligé de jouer, c’est ma mère qui me donne ces médicaments, elle sait très bien les mélanges qu’il ne faut pas faire, elle me dit ça tu manges en même temps, c’était jamais des trucs de fou, je pense, moi ma mère c’est ma pharmacienne, c’est mon docteur. […] elle savait ce qu’elle me donnait, car c’étaient des médicaments sous la prescription du médecin. » (Tom, 25 ans, baskett-ball) C’est aussi le constat fait par ce médecin du sport : « Quand on arrive plus vers les 14, 15 ans et jusqu’à 18 ans, il y en a déjà qui ont leurs habitudes et on n’arrive plus à imposer notre patte. Il y en a qui ont leurs granules et s’ils ne les ont pas, cela ne va pas. Ils commencent à avoir leurs habitudes. J’en connaissais qui prenait un gramme de doliprane® tout le temps avant les matchs, d’autres qui prennent un peu d’homéopathie. Pour moi, c’est toujours cet aspect un peu magique : chez le gamin, on y arrive avec une parole, un petit coup de machin et chez le plus grand, ils adorent l’elasto. Les trois quarts du temps, cela ne sert à rien. Ils se sentent contenus. Cela mériterait un vrai truc car c’est incroyable comme ils bouffent de l’élasto. Dès qu’ils ont un petit truc, un strapping et vous pouvez être sûr qu’ils font leur match. C’est vraiment incroyable ; ils en bouffent une grande quantité. » (Olivier, médecin du sport, football) 28 Les jeunes sportifs apprennent aussi à « neutraliser » la douleur en les considérant comme « normales ». Certaines douleurs tendent même à disparaître du champ de perception du sportif dès lors qu’elles ne remettent pas en cause l’activité physique ou la performance. Le seuil de tolérance à la douleur est revu à la baisse par l’entourage et par le sportif. Ce dernier en vient à se convaincre – parfois bien malgré lui - qu’ il n’y a aucun danger en apparence à poursuivre l’activité en cours. Le prix à payer d’une réprobation morale (sanction, discrédit, honte, humiliation) peut être trop élevé. « Des fois, même nous on se fait mal, on se dit : « C’est bon j’arrête » ; il y a des fois où on n’a pas trop de mental, par exemple quand on se fait mal à l’entraînement où on dit : « J’arrête ». Là, le coach va le faire exprès comme s’il n’en avait rien à faire, il va dire : « Tu y retournes » exprès car il sait qu’on est largement capable mais on doute de nous à ce moment là et c’est là qu’il entre en jeu. Quand on n’est plus capable de se rebooster, c’est lui qui nous titille un peu ; il fait comme s’il n’en avait rien à faire donc cela nous énerve et on repart. En fin de compte, on se rend compte qu’on pouvait mais c’est juste que sur le moment on n’a pas été très forte mentalement. » (Astrid, 19 ans, handball) La norme est de « ne pas s’écouter » et d’établir des distinctions entre des douleurs latentes jugées insignifiantes, des « petites blessures » que l’on va minimiser ou cacher (Young, 2007) et avec lesquelles il est possible de « jouer ». « On a toutes mal aux épaules et mal au dos. J’ai tout le temps mal au dos. Une fois que c’est chaud, je n’ai plus mal mais je suis tout le temps obligée de m’étirer. Je fais en sorte de ne jamais jouer sans m’être échauffée. Je sais que je vais me flinguer. Ce sont des douleurs que tu apprends à gérer au bout d’un moment. Pour mon genou, j’ai tout le temps mal ; je suis tout le temps en train de m’étirer sinon je reste un peu bloquée des fois. Je pense qu’on a toutes ces douleurs. Au bout d’un moment, ce n’est même plus des douleurs, c’est juste que cela fait partie de nous. Tu sais que tu vas être un peu gênée ; tu ne dis plus que tu as mal, tu dis que cela va te gêner si tu ne t’échauffes pas trop. » (Astrid, 19 ans handball) Et il y a des douleurs qui viennent interrompre, de façon radicale, le cours même de l’activité sportive comme lorsque le sportif s’effondre sur le terrain. C’est le cas de Tatiana, jeune joueuse de tennis : 29 « Cela a commencé par les talons. J’ai des petites douleurs aux talons mais on ne savait pas à ce moment là que ça remontait dans les genoux et dans le dos. Je n’allais même pas à l’entraînement, j’arrêtais les matchs. Je me rappelle d’un jour aux championnats du X en demi-finale dans le troisième set, je n’arrivais plus à marcher. Mon père m’a porté jusqu’à la voiture. (...) C’était la première année où on devait aller à Rolland Garros et je voulais trop y aller. Du coup j’ai continué. Mais là j’avais trop mal donc j’ai été obligé d’arrêter. Je voulais jouer et on ne la fait pas voir la douleur en fait (...) après le match je pleurais, j’ai pleuré toute la soirée. Je menais 6-0, 5-1 et je devais abandonner car je n’arrivais plus à marcher » Pour autant, les jeunes sportifs - comme les parents ou les coachs - peuvent être amenés à réévaluer la normalité de leurs actions en fonction des risques qu’ils estiment avoir pris et lorsqu’ils ont laissé les choses se développer au-delà de ce qu’elles auraient dû être normalement. Ce sont alors les entraîneurs et les parents qui orientent le jeune sportif vers le médecin généraliste et éventuellement vers un médecin du sport. Il s’agit de faire disparaître la douleur, soigner une blessure ou d’en éliminer les symptômes soit en modifiant et en adaptant les conditions d’exercice, soit en proposant l’arrêt - provisoire ou définitif - de la pratique sportive. Pour les jeunes athlètes qui n’ont pas d’objectifs définis ou d’ambition professionnelle et qui vivent la douleur comme « pathologique », cet arrêt est accepté car il est vécu de façon salutaire. La maladie est « libératrice » (Herzlich, 1969) en ce qu’elle permet au sportif de sortir d’une situation inconfortable voire invivable. « J’ai un exemple d’une petite de 12 ans, très douée en gym. Elle est entrée en pôle Espoir 14. Elle vient me voir au cabinet accompagnée de sa maman pour des douleurs articulaires multiples mais en lien avec la pratique de la gym, qui traînaient, qui n’étaient pas entendues par l’entraîneur. Elle me racontait que lorsqu’elle exprimait sa douleur, il lui demandait d’aller au vestiaire et la séance suivante, elle n’avait pas le droit de s’entraîner. C’était la punition. Elle le vivait comme cela en tous cas. Ce n’était pas évident car est-ce que la demande était de prendre en charge la douleur ? Cette petite est-ce qu’elle voulait me dire que ce n’était plus possible ? qu’elle voulait arrêter ? J’ai su après, par hasard, que la maman, quelques jours après cette consultation, avait décidé de la sortir de la section du pôle espoir alors que la petite était motivée visiblement. Il semblerait que cela se soit plutôt bien passée avec 14 Les pôles Espoir accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrits sur la liste des sportifs Espoir. Répartis sur l'ensemble du territoire et mis en place par chaque discipline, ils leur permettent de concilier carrière sportive, suivi d'études et insertion professionnelle. Ils proposent un emploi du temps aménagé et des examens établis en fonction des entraînements et des dates de compétitions. De manière identique, les pôles France accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau des catégories Elite, Senior ou Jeune. (source Onisep.fr) 30 l’adolescente. Parfois, on a ce rôle : on ne sait pas quelles sont les réelles motivations de l’enfant puisqu’il est pris entre l’espoir de ses parents, ses propres envies, etc. Parfois, on a l’impression d’avoir un ado qui a envie de notre part qu’on le maintienne dans cette activité à tout prix. Là, je me suis demandé jusqu’à quel point elle n’était pas venue pour avoir la parole du médecin pour la libérer de ce poids et qu’elle puisse arrêter. Elle a eu une mère qui était prête à écouter, à entendre et qui m’a dit clairement qu’elle ne voulait pas que sa fille subisse des conséquences à long terme, aussi bien physiques que psychologiques. » (Jérôme, médecin du sport) Elodie, une jeune skieuse spécialisée dans le slalom géant met un terme à sa jeune carrière après trois années dans le circuit FIS. Après une « saison blanche » liée à une blessure, elle n’aura jamais assez de « points » pour espérer revenir et être à nouveau encadrée par un staff technique et sportif : « j’avais fait des résultats pas mal mais pas suffisants et les préparateurs physiques ne me suivaient plus. Mes points n’étaient pas assez bons et ils ne pouvaient plus me suivre, les choses devenaient plus compliquées ». Sa saison blanche, elle la doit à une fracture d’une lombaire, qui à 17 ans la conduira à être immobilisée pendant trois mois avec un traitement médicamenteux (des « sortes d’anti-inflammatoires ou des choses comme cela » )), avant d’être prise en charge dans un centre de rééducation pendant un mois, loin de son 15 domicile, et enfin, de commencer un programme de rééducation (kinésithérapie) pendant trois autres mois. Enfin, à la fin de saison, en mars avril, elle « ré-attaque le ski » avec néanmoins une « ceinture lombaire ». Quand elle reprend la compétition, elle ne termine pas ses courses. «Je n’arrivais pas à finir les manches parce que c’était trop long. Cela tapait, ça tapait c’était horrible, cela faisait un peu mal. Je continuais toujours à faire de la kiné mais ..je me souviens qu’à un moment donné les autres s’entraînaient dans les tracés et que moi j’étais simplement libre à côté. » Alors qu’elle espérait « réussir à revenir », les douleurs persistent et elle est progressivement mise à l’écart. A la fin de sa troisième saison Elodie met fin à sa carrière mais paradoxalement, elle aura vécue cette blessure comme un « soulagement » : 15 Tous les adolescents ou jeunes adultes sportifs interrogés ont bien souvent du mal à dire les noms des antalgiques qui leur ont été prescrits ou fournis par leurs parents. Plus ils sont jeunes et plus cela reste difficile de les identifier comme par exemple Laetitia (13 ans, natation) : « Je prends des antidouleur quand j’ai vraiment mal. Ma maman me les donne une fois tous les deux mois. Je ne sais pas trop ce que c’est. Je crois que c’est de l’Efferalgan® ». Ou encore Jules (11 ans, tir à l’arc) : s’il a bien identifié l’Efferalgan® qu’il prend « avant de se coucher, juste quand j’ai mal et quand je tremble beaucoup », il a plus de mal à identifier un autre médicament « qui enlève les douleurs. Je ne sais pas trop comment … c’est mes parents qui me le donne. La boite c’est comme l’Efferalgan® » 31 « Ma deuxième année FIS, lors de la première course, j’ai chuté. Je me suis fracturé une lombaire. C’est arrivé lors de la première course la saison. C’est frustrant. Tout l’été et l’automne à skier sur les glaciers, ce n’était pas le plus marrant tout de même. Quand on arrive, que la saison attaque enfin, et que l’on se blesse dès le début, c’est hyper frustrant. Quand je chute, moi j’ai l’impression que cela allait. Ils m’ont annoncé que j’avais trois mois de corset. Là je me suis rendue compte que la compétition c’était fini. Il y a tout qui s’écroule. C’est dur mais je relativisais assez rapidement. Ce n’est pas la fin du monde de faire une saison blanche en ski. Tout le monde y passe à un moment ou à un autre j’ai l’impression. C’était dur car je n’ai pas pu aller à l’école pendant un mois, je ne pouvais pas m’asseoir. On ne voit pas grand monde. la blessure on peut la sentir parfois comme un soulagement enfin je n’avais pas envie de m’apitoyer dessus. Je me suis dit allez profites-en, tu vas pouvoir souffler un peu. Je pense que je ne suis pas la seule à me le dire. Je ne sais pas si c’était pour ne pas m’apitoyer ou ne pas trop y penser. Au début cela fait du bien aussi, pour penser à autre chose, faire autre chose » Par contre, pour d’autres sportifs, ceux dont la douleur est vécue comme « destructrice », la proposition d’arrêt, même provisoire, est mal vécue car elle signifie la mise entre parenthèse de la carrière sportive. Le malaise du sportif face à l’arrêt est renforcé par le sentiment de culpabilité d’avoir commis un impair face aux fondements normatifs des mondes du sport. Cette première étape – l’entrée dans la carrière - est marquée par la transgression d’une norme : la norme dominante de santé, largement répandue et relayée dans nos sociétés contemporaines par le discours médical (Perretti Watel, Moatti, 2009) fait néanmoins l’objet d’une réglementation pour les sportifs mineurs adaptée en fonction des disciplines sportives 16 . Cette transgression conduit à percevoir la protection de la santé et de l’intégrité physique et psychique du sportif comme secondaire par rapport au maintien de l’engagement dans la carrière sportive, aux exigences de la compétition et de résultats, au dépassement de soi, jugé central par différents acteurs (parents, entraîneur, sportifs). Dans le sport le « pathologique est normal » (Atkinson, Young, 2008). L’apprentissage de la douleur consiste alors en un 16 En France, la protection juridique des mineurs sportifs place la protection de la santé comme une des missions confiée par les pouvoirs publics aux fédérations sportives (Art. L231 1-5 code du sport). Charge aux fédérations de veiller au respect des conventions internationales et aux législations nationales en la matière (prévention du dopage, promotion de la santé, suivi longitudinal des sportifs Espoirs). La santé du sportif mineur est encadrée par les conventions internationales des Nations Unies et les législations nationales en matière de droits (code du sport, code du travail) (Pauto, 2007). Elle est renforcée par la loi de mars 1999 dite Buffet puis 2006. Certains procès en justice plutôt médiatisés sont venus remettre en question cet agencement législatif. (cf « Les parents d’Elodie Lussac assignent la fédération en justice », Libération, 1996 ; « Elodie Lussac gymnaste brisée », Le Point 2007 ; le jugement a été rendu le 1 juillet 1999, TGI Paris) 32 renversement des liens de causalité entre douleur et pratique sportive. En d’autres termes, si le sport fait souffrir, le sport n’est pas pour autant à remettre en cause. 33 Chapitre 3 « Vivre avec et en dépit » de la douleur : le corps et ses manipulations La seconde étape de la carrière s’inscrit dans le prolongement de la première étape mais introduit une discontinuité dans la signification que l’on attribue à la douleur et dans la manière dont celle-ci va être collectivement négociée. En effet, le maintien de l’engagement dans la carrière suppose de s’y plonger sans réserve. Le sportif (et son entourage familial notamment) commencent à entrevoir qu’il doit « vivre avec » et « en dépit » de la douleur (Baszanger 1989 ; Herzlich, 1969). « À la fin de la saison, je sais que ce sont des douleurs qui vont rester. Quand le chirurgien a vu mon genou, mes radios, il m’a dit : "Il y a une belle arthrose sur ton genou." J’ai le ménisque fissuré. "Cela se voit c'est bien sur le ménisque" donc je sais déjà que j’ai de l’arthrose, que j’ai le corps qui a amorti qui va rester comme cela. Je n’y pense pas trop à vrai dire. Passer un mois et demi, deux mois à ne rien faire ou faire le moins possible, cela me requinque et cela reprendra en août où j’aurais de nouveau mal au genou, à l’épaule. Je le sais mais ce n’est pas grave, je n’y pense pas trop. Je vis avec quoi finalement. » (Noah, 25 ans rugby) Jusqu’à présent les réponses et les traitements thérapeutiques apportés à la douleur – jugée passagère et suffisamment familière pour être traitée par l’automédication - n’ont pas eu les effets escomptés : les médicaments antalgiques dont les anti-inflammatoires pris dans la pharmacie familiale ont pu masquer un temps les symptômes mais avec la permanence de la douleur, ou l’aggravation de certains symptômes devenus réguliers, le risque est dorénavant de compromettre l’engagement dans la carrière de haut niveau. Il devient nécessaire « quand cela commence à traîner » d’enclencher un processus diagnostique et d’avoir un suivi médical régulier pour gérer les risques aux quels les sportifs s’exposent. C’est alors l’entraîneur qui va prendre le relais de la famille dans le rôle d’adressage vers un segment du monde médical : la médecine du sport. 34 1. La médecine du sport et la réduction des risques Ainsi le jeune sportif qui entre dans les filières d’accès au haut niveau (section sport étude, CREPS, pôles Espoir, pôle France, INSEP etc.) ou qui possède le statut de sportif de haut niveau passe périodiquement et obligatoirement (code du sport L 231-6 et R 3621-3 code de la santé publique) toute une série d’examens cliniques et des bilans complémentaires (Laure, Ihabbane, 2007) : analyse urinaire, prise de sang, électrocardiogramme, échocardiographie, tests d’efforts, des examens spécialisés (orthopédie, etc.). Parfois ils commencent à recevoir des conseils nutritionnels ou concernant leur mode de vie (sommeil etc.) et peuvent consulter un psychologue. Cette surveillance médicale « à la frontière entre prévention et contrôle » (Humbert, Lozach, 2013 : 112) réalisée dans les plateaux hospitaliers publics se développe à mesure que les programmes d’entraînement s’alourdissent, que le rythme des compétitions s’accélère tout au long de l’année et que les athlètes s’exposent à des risques de blessures ou à des douleurs récurrentes. La médecine du sport joue un rôle prépondérant dans la détection des pathologies. Au cours de l’enfance et de l’adolescence, plusieurs pathologies ou maladies relatives au sport sont régulièrement diagnostiquées et prises en charge : la maladie de Sever, le syndrome d’Osgood, mais aussi des déséquilibres hormonaux, parfois des maladies génétiques, etc. sont présentés comme des pathologies propres à l’adolescence et à la période de la puberté et contribuent à inscrire assez tôt le jeune sportif dans des carrières sportives médicalisées. Mais d’autres douleurs liées à des blessures particulièrement graves peuvent apparaître au cours des carrières – parfois au terme d’un processus diagnostic indécis et peu probant comme l’illustre le verbatim suivant et elles peuvent être diagnostiquées puis prises en charge par un traitement médicamenteux à base d’opiacés de niveau II ou parfois III. « Ils m’ont dit t’inquiète pas, pas de souci, ils ne m’ont même pas donné un doliprane®. Pour eux c’était rien, la kiné me massait le soir mais bon. On a fini le premier stage et je leur ai demandé s’il fallait que j’aille voir mon médecin du sport en rentrant. Ils m’ont dit « non, écoute on se revoit dans une semaine au prochain stage » et on verra à ce moment là si tu as encore mal. Du coup pendant une semaine j’ai rien fait et je suis retourné au deuxième stage et j’avais toujours mal au dos, ils m’ont dit « oh non t’inquiètes pas c’est bon » et je commençai à avoir des douleurs dans la jambe et dans le pied, tout ce qui est fourmillements et compagnie et, du coup, pendant une semaine j’ai joué comme ça, enfin bref, ils ne m’ont pas pris au sérieux. Ils ne m’ont toujours pas donné de Doliprane® donc j’ai joué avec des douleurs dans le dos et dans 35 la jambe. Et quand je suis rentré ils m’ont dit là il faudrait quand même voir le médecin du sport et là j’ai été voir mon médecin du sport : il m’a mis d’abord sous antidouleur et compagnie, sous anti-inflammatoires, et au bout d’une semaine ce n’est pas passé, du coup j’y suis retourné, il m’ a mis sous cortisone une semaine, et là cela n’est toujours pas passé et là il a décidé de faire une IRM et c’est à ce moment là qu’ils ont vu que j’avais une double hernie discale. » (Noémie, 19 ans, hand ball) Au fil du temps, le sportif apprend à gérer et à contrôler les douleurs liées à son activité sportive. Il devient parfois moins réticent à réutiliser seul des produits médicalement prescrits. Certains sportifs disposent ainsi d’un petit stock de médicaments qui leur ont été prescrits et qu’ils apprennent à gérer et à réguler par eux-même 17. « Il m’arrive de prendre des granules d’arnica, des crèmes comme le Ketum®. C’est de moins en moins mais c’est vrai qu’avant j’en avais beaucoup, comme l’arnica en gel. Doliprane® ça m’arrive aussi mais je trouve que cela ne fait pas tant d’effets pour la douleur. J’ai l’impression que cela ne marche que pour le mal de tête. J’ai des trucs qui traînent chez moi comme le Tramadol. J’en avais reçu pour mon genou et ma nuque … mais je n’en prends jamais 18 » (Noah, 25 ans, rugby) 17 Les mésusages de tramadol hors prescription médicale sont régulièrement relatés sur Internet dans les forums de discussion. En voici un extrait parmi bien d’autres : « Bonjour, voilà j'ai 17 ans et je suis bientôt majeur. En novembre dernier, j'ai eu un accident de sport. Suite à ça, le chirurgien m'avait prescrit une boite de tradamol que je n'avais pas touchée. Il y a 2 semaines je retrouve cette boite et du coup je fais quelques recherches et je découvre que le tramadol est parfois détourné pour ses effets secondaires. Donc je décide d'essayer, et avec 4 comprimés je ressens pendant toute la journée une plaisante sensation d'euphorie et une petite somnolence. J'ai vidé une boite de 30 gélules en 1 semaine. Ce truc c'est vraiment le bonheur ! Quand je suis sous l'effet du tramadol je suis heureux pour rien, je ne me soucis même plus de mes problèmes et c'est limite si je prends du plaisir à étudier ! (je suis en terminale S). Mais voilà le problème c'est que je n'ai plus de tramadol et que j'habite encore chez mes parents, du coup je ne sais pas si je dois en parler à ma mère ou si je dois lui faire croire que je ressens des douleurs pour qu'elle me laisse aller chez mon médecin traitant.(il est assez sympas comprendra mon problème). Voilà si vous avez des solutions ça serait sympas merci d'avance! » 18 Nous retrouvons ici ce constat établi par de nombreux chercheurs enquêtant sur le dopage et les attitudes des sportifs vis-à-vis du dopage : globalement ceux-ci expriment un rejet du dopage en déclarant être contre l’usage de produits améliorant la performance (beaucoup d’études montrent que les jeunes athlètes déclarent majoritairement que le dopage est contre l’esprit du sport et dangereux pour la santé). Ils le font en raison de la stigmatisation qui pèse sur le dopage et par souci de donner à l’enquêteur une image positive, de fournir une réponse « socialement désirable » alors même que les réponses sont anonymes (Bloodworth, 2012). Ils sont à chaque fois des adeptes de l’homéopathie, des médecines douces ou naturelles, et ont horreur des médicaments. Ce rejet est aussi justifié par de nombreux sportifs par la peur des contrôles anti-dopages: « Et bien parce que déjà, on ne veut pas être dépendant (aux médicaments), et puis on est dans un milieu où dopage etc., ce n’est pas avec du paracétamol que l’on va se doper mais on nous inculque que la prise de médicaments etc., c’est banni dans ce milieu. Du coup on essaye d’y avoir le moins recours possible, et même les médicaments ça y passe, et on essaye de calmer la douleur autrement, on va dire, par du repos, etc., que par la possibilité de prendre des médicaments. Depuis que l’on est tout petit c’est du bourrage de crâne dans ce milieu, déjà au club on avait des réunions anti-dopage, etc., depuis toute petite, à six ans ma première réunion, c’est vrai qu’ils font un gros gros bourrage de crâne, on en a une fois par an, plus les coachs qui en rajoutent une couche à chaque fois, dès qu’on a la moindre douleur ils vont dire va t’allonger, va t’étirer, va boire, etc., plutôt que va vite prendre un doliprane® ou autre chose quoi. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme). Pourtant Yasmina, quelques minutes après, 36 « Ils sont friands d’anti-inflammatoires, cela se prend comme des bonbons à des moments donc il faut sévir. Parce que l’anti-inflammatoire casse l’inflammation, soulage un peu la douleur. Quand ils ont une gène, ils sont très bons en pharmacologie ! Ils apprennent depuis le temps, ils savent faire, ils savent même répéter le geste du médecin. Ils sont très à l’écoute des informations qu’on leur donne au niveau médical et très à l’écoute de ce qu’on peut leur donner comme traitement. Ils savent que l’antiinflammatoire va casser l’inflammation, soulager aussi la douleur et donc ils en prennent veille de match, jour de match parfois en fonction de certaines douleurs parce qu’ils connaissent leur douleur. Ils peuvent nous dire : « Doc t’inquiète donne-moi un anti-inflammatoire pour cette petit douleur que j’ai au niveau de l’articulation » le sport de haut niveau est délétère pour les articulations au niveau du cartilage ; on a de l’arthrose plus précoce au niveau des chevilles, des genoux, des cervicales car il ne faut pas oublier le jeu de tête dans le foot, les hanches. Donc on peut se retrouver avec un jeune de 30 ans qui a de l’arthrose évoluée au niveau de son genou, de sa cheville qui peut le gêner de temps en temps dans la répétition des matchs. Donc il ne prendra pas d’anti-inflammatoire pendant la semaine et jour de match ou veille de match il préfèrera avoir un petit anti-inflammatoire qui va le soulager ou peut-être l’aider psychologiquement à mieux supporter la charge donc il y a aussi l’effet placebo. » (Henri, médecin équipe professionnelle de football, Ligue 1) C’est aussi le cas de ce jeune champion de sport nautique qui, atteint d’une maladie génétique rare, double lui-même son traitement médicamenteux à base de cortisone en fonction de ses charges d’entraînement : « En fait on prend quasi jamais de compléments alimentaires. J’ai une maladie génétique donc je prends des médicaments tous les jours mais que pour cette raison. Je prends ces médicaments car il faut que je les prenne. Je sais qu’il n’y a aucun effet secondaire. Ce n’est pas un traitement difficile pour le corps. Cela passe par l’estomac et plus tard dans le sang mais c'est tout. Le corps n’a pas du tout de difficultés à l’encaisser. Mes médicaments c'est de la cortisone, c'est plusieurs types de cortisone. Cela n’interfère pas sur l’entraînement … en fait si, il y a une substance que je double parfois en cas de grosse séance parce que le corps a tendance à la surproduire naturellement quand il y a de grosses activités. Donc grosse séance, grosse compète, je double, et quand je suis malade aussi. Je double tout seul. Le médecin que je vois à l’hôpital me dit qu’à partir de telle température je double et à partir de telle admet « tourner au Powered » et évoque la prise de paracétamol : « c’est une douleur qui apparaît, l’acide lactique c’est juste en fin d’exercice donc une fois rentré chez soi il n’y a plus rien à faire à part en cas de courbature, mais ça ce n’est pas après les compétitions, c’est quand il y a une séance de musculation ou autre, la oui on prend un efferalgan ou autre, pour calmer la douleur, mais sinon non, on évite le plus possible de prendre des médicaments justement » Par contre, ils déclarent assez facilement – notamment dans les entretien qualitatifs qu’ils ont été témoin de prise de produits dopants. La déclaration suivante est typique : « Je ne pense pas, j’ai vu non, je ne sais même pas en toute honnêteté. Je pense que oui. Si j’ai vu une fois : les sud-africains qui revenaient et l’avaient dit clairement : « Oui je me suis chargé » et en même temps cela se voyait : il avait des bras comme cela, il courait plus vite que tout le monde. » 37 température, je triple et, en grosse séance, que je n’hésite pas à en prendre plus. La fédération est au courant par rapport au contrôle antidopage, il faut qu’ils aient tous les papiers comme quoi je prends des médicaments etc.. Mais pour le médicament que je double c'est la même molécule qui est produite naturellement par le corps. Du coup ils ne la cherchent pas. Ce sont les médecins qui disent qu’il faut doubler. En fait la cortisone fait un truc sur les testicules et du coup cela produit plus ou moins de testostérone – je ne sais plus – et on peut être amené à être stérile si la prise n’est pas régulière. En cas de grosse fatigue, si on est malade ou gros effort sportif, ils disent de doubler les doses. » (Mathis, 17 ans, sport nautique) Le jeune sportif est ainsi amené à s’insérer progressivement dans un système de surveillance médicale: il consulte les médecins du sport ou des spécialistes de la traumatologie sportive qui prennent le relais des parents et des médecins généralistes dont la pratique professionnelle repose sur des points d’appuis normatifs et moraux distincts de ceux sur lesquels prennent appui les médecins du sport. En effet ces derniers cherchent globalement moins à faire respecter fermement l’éthique médicale basée sur une pratique sportive modérée et mesurée soucieuse de l’équilibre psychique et social du jeune sportif (Queval, 2004) - qu’à accompagner les sportifs sans compromettre la performance, dans une logique de réduction des risques. Les médecins du sport prennent acte du fait que la pratique du sportif de haut niveau et intensive, la recherche de performance, engendre inévitablement et quotidiennement des déséquilibres physiologiques et psychiques, et ceux-ci peuvent engendrer une traumatologie spécifique avec ses répercussions somatiques (fractures, chutes, accidents etc.) et psychiques avec son lot de lésions, de troubles (du spectre anxio-dépressif, alimentaires, biogrexie), de syndromes (de surentraînement, de « réussite par procuration », « neuroinflammatoires cérébral associé à des perturbations neuro-endoctriniennes (cytokines, neuropeptides, interleukine) ») et une « symptomatologie obsessionnelle compulsive » spécifique à la dimension addictive de l’entraînement, etc. (Carrier, 2010, Purper-Ouakil et al. 2002, Salla , Michel, 2012 ; Seznec, 2008) « En dehors des médecins du sport, la culture médicale, d’une manière générale, s’inscrit très nettement en dehors de l’éthique de la performance. Comme en fait la culture médicale revendique la santé en général et non la performance, c’est vrai que la réponse générale des médecins par rapport à des situations où une personne se plaint de son incapacité, de son incompétence, etc. c’est : « Objective le fait que ce n’est pas à ton niveau, que tu ne peux pas le faire et renonce. ». L’éthique médicale ne prend pas en compte les rêves de grandeur, d’idéal, de dépassement de performances. C’est une éthique de la voie moyenne en fait. Cela correspond au bien vivre mais à une idée du 38 bien vivre qui se situe dans la voie moyenne : ni trop, ni trop peu, pas d’excès, de la modération en toute chose. Cette éthique de la voie moyenne qu’est l’éthique médicale en général, il est clair qu’elle rentre en conflit par rapport à l’idéal de performance, d’excellence, de dépassement qui correspond à l’attitude des sportifs de haut niveau, aux rêves des sportifs de haut niveau. Après, il reste les médecins du sport et même parmi les médecins du sport, c’est très honnête de leur part, qui s’inscrivent dans cette voie moyenne c'est-à-dire dans une visée éthique qui n’entre pas forcément dans les visées de la personne mais correspond à l’idée générale et dogmatique de ce qu’est un bien vivre. On est alors dans la modération mais on n’entre simplement pas en dialogue avec l’autre et les attentes de la personne en fait. » (Nathalie, Médecin du sport) L’arrêt généralement préconisé par les médecins de famille ou le repos prescrit sur de longues périodes par certains médecins du sport pour soigner telle ou telle douleur ou blessures traumatisantes – qui pour la grande majorité d’entre elles se résorbent naturellement sans traitement médicamenteux ou sans techniques adjuvantes -, ou encore les évaluations et les prises en charges psychothérapeutiques élaborées par les psychologues cliniciens 19 – et rendues obligatoires (Seznec, 2008) pour « restaurer l’ équilibre psychique » ou pour « contrebalancer cette négligence de l’être » (Carrier, 2010) - ne figurent pas toujours parmi les options possibles. « Je faisais dans les 150 kilos donc j’étais très lourd. Je faisais énormément de cardio, footing. Mes articulations ramassaient pas mal. Je me suis fait une bonne entorse qui a duré pendant cinq mois parce que je m’entraînais encore avec strapp’, etc. pour que cela se maintienne. Cela a été assez difficile à ce moment-là mais je suis monté au championnat de France quand même. J’avais le strapp’, la cheville bien accrochée pour tenir. Je strappais à fond et cela me permettait d’éviter de trop bouger dessus et de trop forcer. Je prenais des anti-inflammatoires, de la pommade. Comme c’était l’année où j’avais envie de faire quelque chose, qu’il y avait les moyens de faire quelque chose, c’est pour cela que je m’étais dit : « Cela va tenir et on va y aller ». J’étais allé voir mon médecin. Je lui avais dit concrètement ce que j’allais faire. Dans tous les cas, qu’il me dise : « Non, tu ne le feras pas », je l’aurais fait quand même. » (Enzo, 21 ans, Judo) 19 En France la loi n°99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage oblige le sportif inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau à réaliser un « bilan psychologique ». La loi Lamour du 16 juin 2006 fixe la « nature et la périodicité » des examens médicaux prévus aux articles L.3621-2 et R.3621-3 du Code la santé publique : deux fois par an pour les sportifs mineurs et une fois par an chez les sportifs majeurs. Ce bilan vise à repérer les difficultés psychologiques de l’athlète et à l’orienter vers une « prise en charge adaptée ». Selon Jean-Christophe Seznec (2008) médecin psychiatre proche de l’UCI et de la fédération française de cyclisme, « les modalités du bilan et son contenu » ne sont pas précisées et « peut être effectués en l’état par n’importe quel médecin, quelles que soient sa spécialité et ses compétences en psychopathologie du sport ». 39 « Pour eux le plus dur ce n’est pas la douleur, c’est le fait de ne plus faire de sport. Le plus dur pour nous est de leur faire arrêter le sport. On a beau leur dire : « Il faut vraiment arrêter pour bien guérir et ne pas se re blesser » vous êtes sûr que pour 90 % ils vont continuer. Ils ne vont pas continuer pareil ; ils vont faire autre chose, moins mais ils vont faire quelque chose. Un sportif de haut niveau ne peut pas s’arrêter 15 jours, c’est impossible et pour nous c’est le plus dur. Il y a des mecs qui traînent des blessures depuis deux ans : « Vous avez fait quoi ? » « J’ai continué » et du coup pour guérir cela au bout de deux ans, c’est vraiment plus dur. Les sportifs préfèreront avoir mal mais faire leur sport et ils vont s’inquiéter quand leurs performances diminuent car ils auront trop mal. Ce n’est pas vraiment la douleur. Le vrai facteur est la diminution de la performance. Ils auraient mal mais ils feraient le même temps, cela ne leur poserait pas plus de soucis que cela. » (Olivier, médecin du sport) « Certains athlètes sont vraiment déterminés et malgré cette douleur ils pratiquent quand même. C'est là où c'est dangereux pour nous : on sait, par exemple, qu’il a une tendinite à un coude qui l’handicape mais il va le faire quand même. Là ce qui est important pour moi en tant qu’entraîneur c'est de le savoir. Je peux comprendre l’athlète, il faut simplement que je puisse adapter ce qu’on lui demande pour que cette douleur ne s’aggrave pas et que ses douleurs ne l’empêchent pas de pratiquer. Une tendinite c'est une tendinite, elle existe ; cela va lui faire mal mais il va vouloir faire quand même. La grande difficulté est de savoir quand est-ce qu’il faut qu’il s’arrête. » (Alain, entraîneur) Il s’agit donc d’accélérer le retour à l’activité en ayant recours à des pratiques de soin adaptées qui prennent en compte les aspirations et les attentes sociales des sportifs. La pratique intensive du sport est alors appréhendée par les médecins du sport comme une conduite « addictive » 20 dont elle partage beaucoup de critères définitionnels (Escriva, 2001) : du besoin irrépressible (d’activité physique), caractérisé par la répétition des efforts et des gestes produisant du plaisir, difficulté à se sevrer (arrêter), des symptômes de manque (irascibilité, douleurs, etc.) et des douleurs qui finissent d’ailleurs, bien souvent, par disparaître dans l’effort physique mais par réapparaître aussitôt à l’arrêt (Leroux, 2002). Les médecins du sport et les autres praticiens médicaux tiennent compte des risques sociaux 20 L’expertise collective du CNRS (rapport de synthèse) mentionne ce point : le « sport pratiqué au quotidien, comme une mécanique répétitive, empêcherait la pensée douloureuse et l’anesthésierait comme peut le faire l’héroïne. Par ailleurs, le dépassement des limites physiques provoque chez le sujet la sécrétion d’endorphines, véritables drogues endogènes. Si le lien sport dopage toxicomanie n’a fait l’objet d’aucune étude spécifique, il existe un ensemble de données scientifiques laissant penser que tous les sportifs ne sont pas égaux vis à vis de ces différents risques » (1998) 40 (l’exclusion du groupe sportif, la perte d’un contrat, la titularisation) et des risques sanitaires pris par les jeunes sportifs et leur entourage afin de ne pas perdre leur patientèle : « Les sportifs sont très exigeants. Ils veulent une solution. S’ils ne l’ont pas ils vont ailleurs, leur corps est leur outil de travail (...) On n’est pas là pour dire : « Arrête ton sport il te fait mal » et de toute façon cela ne marche pas. Si on dit cela, le gars va aller en voir un autre qui lui dira un autre discours.» (Michel, kinésithérapeute). C’est aussi ce que déclare ce médecin d’une équipe de football professionnelle concernant les risques dont il informe une nouvelle recrue lors de sa visite médicale au club : « Récemment j’ai vu une recrue, j’ai été très clair avec lui et il a été surpris : "J’ai décelé chez toi des problèmes dégénératifs sur les articulations. J’accepte que le club t’engage. Tu peux jouer. Sache une chose importante et là c'est ton choix : plus tard tu auras des gros soucis au niveau de ce genou, tu auras peut-être une prothèse de genou. Mon rôle est de te signaler. Je n’ai pas d’interdiction à ce que tu pratiques le sport de haut niveau. C'est ton choix : tu veux continuer, tu continues" "Doc on ne m’a jamais parlé comme cela" "Je te le dis, je t’ai informé. Tu peux continuer à jouer sans aucun problème. Moi je ne mets pas de veto pour qu’on puisse t’engager. Par contre tu as le choix aujourd'hui de te dire : je veux à 40 ans préserver mon genou, j’en ai 27 maintenant et je veux plus tard courir avec mon fils avec ma fille, faire du sport. Sache que peut-être qu’à 40 ans tu auras un genou qui va te gêner et tu seras peut-être opéré » C'est l’information, c'est notre rôle en tant que médecin que d’expliquer aux gens. C'est notre rôle aussi de les mener au plus haut dans leur carrière en les informant éventuellement des risques pour plus tard. Là on voit du court, moyen terme mais on voit le long terme aussi. On s’inquiète du sportif de haut niveau entre 20 et 35 ans quand ils jouent au foot mais ils ont une vie après et ils auront des douleurs aussi après, des douleurs d’arthrose. » (Henri) Ils tentent ainsi de réduire les risques et le font bien souvent dans l’urgence. La question du temps est centrale pour les sportifs et leur entourage (Viaud, Papin, 2012), puisque les carrières sportives sont ancrées dans des « contraintes temporelles récurrentes » (Escriva, 2001), les sportifs demandent à pouvoir participer aux compétitions à venir. Ils doivent être soignés rapidement ou, a minima, pouvoir pallier au caractère incapacitant des douleurs auxquels ils font face, quitte à remettre à plus tard des soins éventuels. 41 « On peut éventuellement proposer des solutions palliatives pour qu’ils puissent quand même pratiquer sans effets délétères, sans aggraver le problème. On va avoir pas mal de choses : immobilisation, strapping, orthèses. Ensuite, on peut faire de la kinésithérapie, utiliser des antalgiques. On va également utiliser des antiinflammatoires en topiques ou en péri osseux avec des antalgiques simples type paracétamol et parfois des anti-inflammatoires stéroïdiens qu’on peut utiliser dans cette tranche d’âge [adolescent] type Ibuprofène par exemple. C’est vrai que dans cette tranche d’âge, on rentre rarement dans des thérapeutiques plus agressives type palier 2 de la douleur, type Codéine, Tramadol. Ce sont des choses qu’on va utiliser dans la traumatologie, sur une fracture au départ, une grosse douleur. Personnellement, je n’ai jamais utilisé cela pour permettre à quelqu'un de faire un sport alors qu’il ne devrait pas. Mais ce sont des choses qui peuvent se faire parfois. À la limite, on va davantage permettre à quelqu'un de faire une compétition sous anti-inflammatoire si on pense que la pathologie sera accessible aux anti-inflammatoires plutôt qu’en montant sur les paliers de la douleur purs et durs. Monter en palier veut dire qu’on a, avec ces produits, des effets neurologiques : on peut avoir des troubles de la vigilance, quelques vertiges, des nausées, des douleurs abdominales donc souvent, on ne va pas souvent rendre service dans le cadre d’une pratique de compétition. Encore une fois, il y en a qui peuvent le faire mais cela va être plutôt avec les anti-inflammatoires qu’on va pouvoir être dans cette attitude en disant : « Tu as mal au poignet, pour ton concours de gym prends un Ibuprofène la veille et le matin et vois ce que cela donne » Cela m’est arrivé de le faire, sans problème. » (Jérôme, médecin du sport) « Ce qui est certain c'est que les blessures, dans une carrière sportive, elles sont vécues comme un frein à l’avancement, une perte de temps : dès l’instant où on est en arrêt c'est de la perte de temps sur l’entraînement par rapport aux autres qui peuvent s’entraîner. C'est vécu comme une punition. Le comportement de base est d’essayer par tous les moyens de réduire ce temps d’immobilisation pour arriver à compenser, à ne pas perdre de temps. Avec un peu plus de recul, je ne parle pas de l’accident, de la fracture liée à une chute mais d’une blessure liée à une rupture d’un faisceau musculaire, d’une tendinite etc., ce n’est jamais vécu comme un signal d’alerte. On ne cherche même pas la cause. On se dit : "Sur une lésion d’un muscle j’ai 6 semaines d’immobilisation comment je vais faire pour réduire le temps d’immobilisation ? et pendant ce temps-là comment je vais faire pour continuer à m’entraîner en immobilisant cette jambe lésée et continuer à travailler ?" Il ne faut pas perdre de temps. Il y a quand même un enjeu de temps sur une carrière. Il y a une deadline quand même. Le temps est certes un rival dans la performance quand ce sont des performances chronométrées mais c'est aussi une donnée importante de la préparation. » (Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel) Certes, la médecine du sport est peut-être une médecine orientée vers le perfectionnement et l’optimisation des performances (Waddington 2005) mais on gagnerait aussi à l’analyser comme une médecine palliative, arrimée au paradigme de la réduction des risques. Elle ne 42 répare pas des dysfonctionnements, elle ne guérit pas, mais elle soulage la souffrance 21. Cette caractéristique fait d’elle un des chaînage du réseau qui entoure les jeunes sportifs. Dans ce contexte, alors que les parents jouaient un rôle central dans la gestion des douleurs et des souffrances, ils jouent désormais un rôle d’auxiliaire et de soutien émotionnel et moral, même s’ils peuvent aussi s’évertuer à essayer de faire taire la douleur notamment en ayant recours à des médecines non conventionnelles ou en apportant de manière supplétive des aides médicamenteuses, notamment quand leur enfant revient quelques jours au domicile après de longues périodes de stages, de phases de compétition à l’étranger, ou suite à des opérations chirurgicales etc.. Quand ils ne suivent pas eux même leur enfants ou adolescents ils sont dépossédés. « Mes fils sont bien suivis à partir de pôle France, c’est notre sentiment. À pôle espoirs, cela ne valait rien en terme médical. On a des listes de médecins, de machins, de ceci, de cela ; ce n’est que du vent. Ce n’est pas péjoratif mais je dis ce que je pense. On nous dit : « Pôle Espoirs » c’est une institution. Dorénavant, votre gamin sera en liste espoir donc il peut bénéficier d’un médecin en permanence, d’un nutritionniste, de ceci, de cela. On se dit que physiquement parlant, ils vont les suivre mais en fait non. Le toubib est malade et je n’ai jamais vu le nutritionniste pour l’un comme pour l’autre. C’est quand même lié à la structure, c’est comme cela. S’ils ont un bobo, on les amène chez le médecin. On a payé des ostéos, etc. On préfère les faire suivre nous. Il y en a un qui ne savait même pas ce qu’il avait donc à un moment donné, cela suffit. En pôle France, c’est un peu différent. C’est interne, c’est quand même un bloc assez fermé de 20, 25 jeunes et pas plus. Il y a 3, 4 entraîneurs en permanence donc c’est un peu mieux suivi au niveau médical. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas l’emmener chez le médecin un week-end s’il a mal là ou là. Sur place, ils s’en inquiètent un peu plus. Après, ils listent les charges d’entraînement en fonction de cela, s’il y a des bobos. Ils regardent quand même les choses. Il faut se méfier car tout le monde veut aller sur le tapis, même blessé. Axel s’est fait sortir en début d’année : il avait un truc aux cervicales ; comme il y avait le Tournoi de X qui arrivait, il n’a pas voulu lâcher et ils l’ont sorti pendant deux mois jusqu’à ce que le toubib accepte. Quand il est parti en Pôle France, on est allé à S. visiter, même à M. ; on est allé voir les gens, les toubibs. J’ai voulu voir tout le monde pour voir si c’était du flan ou pas. À S., j’ai tout visité : les installations, tout ce qui était médical. C’était bien S.. Après quand vous montez au-delà c’est encore autre chose au niveau médical. Quand vous rentrez à l’INSEP, il y a une armada de médecins, etc. Quand vous rentrez en équipe de France, c’est encore autre chose. Axel est en élite depuis cette année et c’est magique là. Il n’a même pas besoin de lever le doigt : il a tout à disposition comme la cryogénie, le toubib, etc. C’est extraordinaire et on est moins inquiet. Là, il est rentré 21 C’est par exemple ce que dit explicitement Gérard Guillaume, rhumatologue, médecin de l’équipe professionnelle de la Française de Jeux (cyclisme) : « Un médecin d’équipe est un médecin concerné par l’accompagnement de l’effort et de ses conséquences mais non par la performance de ses athlètes »(11e colloque de prévention et de lutte contre le dopage, Paris, 2011, Maison du sport français, op.cit). les débats qui suivent son intervention autour de l’anticipation des risques est éloquent. 43 de Turquie et cela fait deux jours qu’il est en soins. Je lui ai dit : « Tu as mal quelque part ? » « Non, j’ai mal à la cheville mais pas grand-chose » Il repart la semaine prochaine. (Parents de deux jeunes sportifs de haut niveau 15 et 17 ans) Les entraîneurs ou les représentants des clubs, forts de leur capital social et de leur propre expérience de la douleur, aiguillent les sportifs vers ces professionnels de soins spécialisés, disqualifiant dans le même temps la médecine conventionnelle ou même parfois les médecins du sport ou kinés présents dans les pôles Espoirs ou France. Parfois il arrive que les athlètes reçoivent la consigne de le pas consulter des médecins généralistes. « On ne passe jamais par un médecin généraliste, non, et déjà dans nos structures sportives ils ne veulent pas qu’on passe par un généraliste parce qu’ils veulent que l’on soit très bien suivis par des spécialistes et qu’on puisse avoir IRM et scanner le plus rapidement possible, parce qu’ils ne veulent pas que l’on attaque l’entraînement si on n’a pas un nom sur ce que l’on a. » (Yasmina, 22 ans athlétisme) « Moi je ne connais même pas le médecin du pôle espoir qui ne vient que le mardi. Il se trouve que je connais un médecin du centre P. (centre de médecine du sport privé) et des fois je lui envoie mes athlètes. Il fait un suivi avec moi par contre. Je le vois régulièrement par exemple et il me dit « untel c’est une disjonction donc il a trois semaines d’arrêt. Au bout de trois semaines, il reprendra doucement. Tu mobilises l’épaule, tu fais ceci tu fais cela, tu fais en sorte que ça ne tire pas trop en technique. Il y a une espèce de suivi. Le médecin de la structure n’est pas très compétent. Les gens ne sont pas spécialement contents. En plus il a tendance a arrêter tout le monde assez facilement. Moi on me demande car ils savent que j’en connais un. Il se trouve qu’il exerce dans ce centre et qu’il s’occupe de judo, de basket féminin, etc. On me dit « tiens tu ne peux pas m’avoir un rendez vous car j’ai toujours mal et je ne fais pas confiance » (Fabien, entraîneur sport de combat, pôle espoir) 2. Les filières du soin Cette seconde étape se caractérise ainsi par une réorganisation et un renouvellement des « réseaux de normes, d’attentes, de privilèges, et de contraintes » (Bazsanger, 1989) autour de la douleur. Le réseau de coopération et de soin du sportif s’élargit et redistribue les modes de prise en charge pharmaco-médicale de la douleur au-delà des filières conventionnelles classiques et des suivis obligatoires en centres hospitaliers publics. D’autres professionnels de 44 santé sont mobilisés. Dès lors, la palette des stratégies destinée à masquer ou à transcender la douleur s’élargit. Les sportifs peuvent être orientés vers des centres de soins privés aux compétences hyper-spécialisées (orthopédiques, tendinites, etc.). Ces espaces sont présentés comme des filières d’excellence médicale et comme des circuits de soin officieux bien que publiquement labellisés par les fédérations sportives, ou les clubs professionnels 22 . Seuls quelques sportifs initiés sollicitent ces praticiens et accèdent à ces réseaux. Ils apprennent ainsi à naviguer et à tisser des liens entre les « micro-mondes » de la médecine du sport, à élaborer un réseau de coopération en dehors des circuits conventionnels : ils sont introduits directement par leur entraîneur ou le dirigeant du club, ils entretiennent une relation basée sur des affinités sélectives avec des professionnels les intégrant à un système de privilèges (contact direct du médecin, rendez-vous en urgence, etc.). Ils entretiennent ainsi, sous un mode clientéliste, des relations de familiarité avec les praticiens médicaux dont la participation au haut niveau les rapproche de la haute performance (Fleuriel, Sallé, 2009) 23 . « Je me suis fait les croisés en fin de saison. On était en 8ème de finale pour les championnats de France. Je me suis blessée juste avant, à l’entraînement. Au début, ils font tout pour que tu évites les examens. Au début, j’ai continué l’entraînement parce qu’au bout d’un moment, je n’avais plus mal, mon genou n’avait pas gonflé. J’ai eu mal sur le coup. Quand on se fait les ligaments, on a mal sur le coup. Après, si on est bien musclé, cela compense et j’arrivais encore à courir. Tout ce qui était dans l’axe déjà, cela ne posait pas de soucis. Après, on a pensé que c’était juste une petite entorse ou quelque chose comme cela donc on a un peu attendu. En même temps, mon coach ne voulait pas se dire que j’avais les croisés ; on n’avait pas envie de se le dire. C’était bientôt les quarts de finale donc il a essayé de me faire rejouer. Mais cela n’allait pas, mon genou partait. Il en a parlé au Président [du club] et j’ai obtenu un IRM dans les deux semaines qui ont suivi. Le Président du club est médecin en plus. Il y a un pôle de santé pas loin du lycée avec les médecins sportifs, des cardiologues. Dès qu’on a eu l’IRM, on a eu le rendez-vous tout de suite. J’ai eu un rendez-vous chez le chirurgien un mois après. Il fait tout pour qu’on obtienne les rendez-vous qu’il faut dans les plus brefs délais. J’avais le choix du chirurgien. Il m’a demandé : « Lequel tu prends ? » et il me donnait son avis. Il se trouve qu’on connaissait le chirurgien car le beau-frère était Directeur de cette clinique, donc on le connaissait bien. Comme il côtoie les gens 22 Par exemple, ce centre de médecine du sport rend compte sur son site Internet aussi bien de l’actualité médicale des sportifs professionnels : « O.B., sorti sur blessure hier soir à la 18ème minute du match Y-Y, a passé ce lundi une IRM qui a confirmé la rupture du ligament croisé antérieur du genou droit. L’international sera opéré jeudi matin à la clinique par le Docteur V-F. La durée de son indisponibilité est fixée à 6 mois. » ; que des succès médicaux obtenus par l’équipe médicale du centre. Ainsi : « Miracle "médical" pour le médaillé olympique P. V. Mardi 18 février, P. V. a signé un exploit en remportant sous la pluie de RK le titre olympique (…) deux mois après une blessure si sérieuse qu'elle devait forcément le priver du rendez-vous. Son médecin explique comment le champion s'est remis si vite... » 23 La plupart des médecins jouent d’ailleurs leur crédibilité sur ce registre en affichant aussi bien leurs titres hospitalo-universitaires que leur fonction de médecin au sein de clubs ou d’équipes prestigieux. 45 du handball, il sait qu’elles veulent vite revenir. Le chirurgien m’a donné une date rapidement, il m’a dit : « On va tout faire, on va te remettre sur pied le plus vite possible » Même le Président qui est un peu absent car il est axé sur l’équipe pro et tout cela, il a tout fait pour que cela aille vite. (…) Ce sont eux qui prennent en charge ; enfin, ils s’arrangent pour les kinés. C’est au centre médical de médecine du sport à X, il y a plein de kinés. Toutes les joueuses de X vont là. Ils nous connaissent. Même avec le pôle espoir on allait chez le kiné quand on n’était pas blessé mais quand on jouait le dimanche, le lundi on ne s’entraînait pas mais on allait chez le kiné avec des séances de piscine et tout. Donc, ils nous connaissaient déjà ; pour les blessures, le coach nous envoyait là-haut. » (Astrid, 19 ans, handball) La blessure devient un signe distinctif du haut niveau. Au début d’une interview, la mère de deux jeunes gymnastes évoque non sans fierté le fait que ses deux filles gymnastes de 17 et 14 ans ont des déplacements de vertèbres lombaires « comme les gymnastes chinoises ! » C’est aussi un signe d’appartenance - « chez nous c’est les croisés [ligaments]» - et, la blessure, initiatique, constitue un élément d’identification au champion qui devient un « semblable » que l’on peut croiser dans son centre médical à défaut de pouvoir le fréquenter à l’entraînement. « Oui je me fais opérer quinze jours après ma blessure. Au centre de X car j’ai vraiment confiance dans les médecins de X (clinique privée de médecine du sport). Le médecin de L. [son ancien club professionnel] était en équipe de France. Il opère beaucoup de gens, des stars notamment, et il fait les croisés. Donc il m’opère. Je me dis que dans six mois je peux rejouer au rugby car il m’a dit six mois pour cicatrisation. Je dis : « 6 mois c'est bon » dans ma tête j’avais 6 mois. Donc rééducation à Y etc. » (Pierre, 27 ans rugbyman professionnel) Ainsi l’accès à ce type de soins hyper-spécialisés s’apparente pour les jeunes sportifs à un processus d’intégration au haut niveau. Parfois, les parcours de soin et de rééducation constituent des groupes d’appartenance - parfois de référence - non plus constitués en fonction de leurs résultats mais de leurs blessures. « Tous les skieurs alpins quand ils se blessent ils vont tous au centre de X. Ils font leur phase de rééducation là-bas et je sais que, quelque fois, il arrivait qu’ils remettent les skis ensemble le même jour, et ceux qui avaient été blessés à peu près en même temps, avec des sortes de groupes de travail pour se remettre sur les skis et puis eux du coup, 46 ceux qui font les croisés, c’était bien parce que au moins ils sont plusieurs. » (Elodie, 24 ans, ski) Accéder à ces réseaux de soins, circuler entre les mondes de la médecine et du sport, constitue une manière de se distinguer de ceux qui, du fait de leur niveau, ne bénéficient pas des mêmes soins. Inversement, les sportifs qui n’accèdent pas à ces réseaux de soins spécialisés et privatisés – parfois mis à l’écart en raison d’une blessure ou de résultats moindres- cherchent par eux mêmes des moyens de gérer leurs douleurs ou leurs blessures en fréquentant par exemple les salles de musculation qui, elles aussi, peuvent aussi proposer programme d’entraînement ou de rééducation, fournir des conseils nutritionnels, pour gérer les douleurs, etc.. Elles sont aussi des lieux de socialisation à la douleur. « Ma salle c’est X près du magasin de sport. Je m’entraîne là-bas, il y tout le monde ; il y a même des gens qui ne font que cela. Il y a des culturistes. On apprend de tout le monde. Il y a de tout. Il y a des sportifs, il y a de tout. Il y a des gens qui sont en préparation. J’y suis allé hier : il y avait des mecs qui sont sûrement des bons du basket. Ils parlaient de partir à l’étranger avec l’équipe nationale. Il y a le mec qui sort de son boulot, qui veut faire son footing et qui va là-bas. (…) Les programmes de musculation que je suivais étaient ceux que je me fixais. J’ai toujours préféré me préparer moi-même. J’avais pris conseil auprès de certaines personnes qui étaient un peu plus fortes que moi. Derrière, YouTube pour des renseignements. Avec Internet, on peut se renseigner sur plein de choses, comment augmenter nos performances. Moi, en fait, j’étais un peu comme une sorte de partenaire pour ceux qui étaient prédestinés à X au pôle France etc. J’ai vu des jeunes qui sont passés, des cadets alors que j’étais junior, qui sont venus, qui ont fait des résultats et quand ils se sont blessés, je leur ai fais des programmes pour se préparer. Pour ceux qui avaient des blessures aux jambes, je leur faisais des préparations physiques pour le haut, pour pallier, ne pas utiliser leurs jambes. C’était des exercices training pour le haut du corps. En même temps, je me suis entraîné avec des gens à la musculation, des gens qui connaissaient, qui en faisaient déjà depuis quelques années. Je me suis entraîné avec eux. On a fait les programmes ensemble. Du coup, j’ai pris les parties qui m’intéressaient le plus. Il y a des programmes différents avec la force, l’explosivité, sur l’intensité, l’effort dans le temps, sur des séries bien plus longues avec des charges moins lourdes. C’est un peu compliqué.» (Enzo, 21 ans, judo) D’ailleurs, les salles de musculation affichent elles aussi ouvertement – au sens propre comme au sens figuré – ses liens avec le sport de haut niveau – on y trouve parfois, comme dans les couloirs de médecine du sport des centres médicaux ou des hôpitaux publics les posters signés des équipes de sportifs ou des champions –. Ces salles de musculation sont fréquentées par les 47 sportifs qui peuvent par des exercices spécifiques continuer d’être en mouvement en travaillant certaines parties du corps qui, elles, peuvent encore bouger. Ces salles sont des lieux d’échanges et d’interactions. « Quand j’ai commencé la muscu aussi, forcément tu fais un peu n’importe quoi et j’étais cassé de partout ; avec mon pote on faisait le tour des machines. Entre 17 et 18 ans, tu ne sais pas trop comment faire. Je savais faire parce que j’en avais fait en sports études quand j’étais à X ; on avait vraiment des préparateurs physiques en senior et tu apprenais un peu sur le truc. Même quand tu vas dans les salles de sport les gens voient que tu galères un peu. Moi j’écoutais les mecs mais ils n’y connaissent rien non plus : ce sont juste des mecs qui font de la gonflette. Comme je disais, j’avais mes séances d’EPS, mes séances d’option sport, mes séances de muscu plus les entraînements, cela faisait quand même beaucoup sans être dans une structure mais c'est moi qui voulais cela. » (Noah, 25 ans rugby) La fréquentation assidue des salles de musculation ou l’application des programmes de rééducation individualisés permettent de maintenir un engagement dans la pratique sportive et de pallier à une mise à l’écart temporaire des terrains d’entraînements des sportifs, ou des compétitions (Humbert, Lozach, 2013, 49). Le passage entre mondes du sport (de haut niveau) et mondes de la médecine (du sport) ne constitue plus une rupture mais un continuum, les salles de musculation se situant à l’interface de ces deux mondes. Elles sont « des lieux d’approvisionnement » en produits et peuvent apparaître comme un « marché clandestin de proximité » (Laure et al. 2005). La porosité entre ces deux mondes facilite la circulation des pratiques thérapeutiques, des programmes d’entraînements comme des produits. « Sur la protéine, je commence à prendre, je vois les résultats que cela donne. Tout le monde dit en général : « C’est pour prendre du muscle, c’est pour le gonfler etc. » C’est faux : ce n’est pas pour le gonfler, c’est un apport protéiné qui fait qu’avec l’alimentation derrière on va avoir le muscle qui va gonfler car on va soulever. Si on mange très protéiné, on va avoir des résultats mais la base de la protéine, c’est surtout pour récupérer, que ton muscle récupère plus rapidement. Maintenant, je peux m’entraîner toute la semaine, tous les jours, je ne vais pas avoir de douleurs, pas de courbatures, rien. Ce n’est que depuis la protéine. Avant, quand je m’entraînais une fois, si le lendemain je revenais et que je faisais le même exercice tu ne re soulevais pas deux fois la barre, c’était fini ; tu as les courbatures, tu risques de te déchirer le muscle, de te blesser. Avec la protéine, derrière on a une sorte de récupération. Les produits sont efficaces aussi malgré tout. (…) Après, il y a plein de choses qui font que 48 cela va servir pour tel muscle ou telle façon de travailler, etc. C’est tout un suivi et là, je pense que c’est important.» (Enzo, 21 ans, judo) « Il y a un temps où je pense que j’étais accroc à la muscu. Si je n’y allais pas, cela me faisait vraiment chier. Moi, c’était dans une moindre mesure mais j’ai des potes qui n’étaient vraiment pas bien s’ils ne faisaient pas de séance de muscu de la semaine. Physiquement, tu ressens le manque, c'est sûr. Je pense que les bodybuilders doivent être accrocs à cela pour se faire mal comme cela, s’astreindre à des régimes, etc. (…) Le moment où je me suis vraiment piqué dans la muscu, c’était quand j’étais à X. Je mangeais 5 fois par jour. On avait des repas diététiques. Le matin, je ne suis pas trop déjeuner donc je faisais souvent de la muscu à jeun, ce n’est pas le top. (…) Je me réveillais vers 10h, 11h. 11h30 muscu. Je revenais à 13h30, 14h, repas. Je remangeais dans l’après-midi. Tout cela parsemé de shakers de protéines. C'est important. Tu ressens le besoin c'est pareil. Tu progresses beaucoup plus en prenant des protéines. Tu remanges une petite collation avant l’entraînement et le soir, je mangeais après l’entraînement. Je ne prenais que trois shakers de protéines mais il y en avait qui prenait 4 fois, d’autres plus – ils prenaient de la créatine, des produits. Moi c’était shaker de protéine et cela suffisait. Il y en a qui prenait de la créatine. Un pote m’avait fait acheter Animal Pak mais il m’a dit : « Fais gaffe tu seras peut-être contrôlé positif » J’ai dit : « Tant pis je teste » des fois tu tentes le tout pour le tout mais j’en connais qui ont pris des trucs bien pires. J’en ai pris un jour. Tu avais un sachet par jour avec 5, 6 gélules ; une si tu n’arrivais pas à dormir, tu devais la prendre en plus. J’ai pris un sachet et puis j’ai revendu cela à un pote ; ce n’était pas pour moi, je n’étais pas prêt à faire ce genre de sacrifices. J’en connais qui ont pris des trucs de chevaux vraiment pour être bien, pour grossir, pour la compétition. Je pense que je n’ai jamais été prêt dans ma tête à ce genre de sacrifices. Je n’étais pas prêt à me bousiller la santé, même si je me la bousille quand même certainement avec les blessures. Je n’étais pas prêt à ce genre de sacrifices. » (Noah, 25 ans rugby) La salle de musculation fait parfois partie des infrastructures des clubs et des pôles espoirs ou france. Les sportifs blessés peuvent être invités à y passer du temps pour rester en contact avec le groupe sportif en activité et pour travailler d’autres parties du corps : « Je prends l’exemple d’un jeune qui s’est fait mal au genou : il peut peut-être travailler le haut du corps ! Maintenant c’est tu es blessé tu as trois semaines d’arrêt et on verra dans trois semaines alors que moi je pense qu’il vaut mieux être sur le tapis. Si tu as mal au genou, tu fais des abdos, les bras, des assouplissements, au moins il garde le contact avec le groupe. Même s’il ne pratique pas, il se met en kimono et il est sur le tapis avec les autres. Des fois ils vont un peu à la muscu mais c’est pareil : la salle est à part du tapis, les portes sont fermées, on ne voit pas trop ce qui s’y passe. On a des étudiants qui les gèrent mais je pense qu’il faut garder un maximum de contact avec les autres (...) On ne s’occupe pas des blessés. Pendant des années et encore maintenant la solution c’est la musculation : « tu as un problème d’ischio49 jambier, tu as un claquage, va faire un peu de travail de haut, un peu les bras ». Le gamin va en salle de muscu. S’il est tout seul il écoute la musique, il attend que le temps passe et il finit. » (Fabien, entraîneur, pôle espoir, sport de combat) 3. « L’influence qui guérit » Cette seconde phase de la carrière se caractérise par l’engagement progressif du sportif dans des micro-mondes de la médecine du sport hyperspécialisés (médecine et biologie du sport, kinésithérapie, médecine manuelle et ostéopathie, rhumatologie, etc.) faisant appel à une rhétorique morale propre au monde du sport ainsi qu’à des schémas d’action prenant appui sur la pratique sportive elle-même : il s’agit moins de rééduquer ou de réparer que de « réathlétiser », de reprogrammer le geste, de remettre en mouvement. Alors que d’un côté, les entraîneurs surveillent et « se font » médecins : « Oui, c’est notre coach sportif qui nous fait nos programmes d’entraînement. Il a fait des études spéciales et du coup, il s’y connaît bien, il nous fait plein de trucs. On a un Google Doc qu’on doit remplir chaque jour : poids, vitesse cardiaque le matin, ce qu’on a fait la journée. Il y a poids, cardio, le résumé de la journée, après c’est vitesse et kilomètres qu’on a fait si on a fait du vélo. Je remplis le Google Doc et après il met un commentaire comme "dors un peu plus car ta fréquence cardiaque est souvent élevée" ou bien "est-ce que tu as fait quelque chose de particulier le matin ?" plein de choses comme cela. C’est rarement des commentaires positifs ! (…) Sinon j’ai des prises de sang tous les six mois. C’est notre coach qui regarde et qui nous dit "là il y a trop de sel." Après je vais chez mon médecin » (Sacha, cyclisme, 13 ans) « En fait dans le club où je suis, il y a le coach de course en ligne qui a fait pas mal d’études. En fait, il me soigne. Il m’a massé énormément. Cela a presque créé un bleu autour du tendon. Il faut boire beaucoup et c’est vrai qu’en deux jours c’est parti. A force de masser, masser, cela active la circulation sanguine et cela irrite les tendons. C’est mon coach qui me dit de le faire quand ce n’est pas très grave » (Mathis, 17 ans, sport nautique) D’ailleurs, certains coachs n’hésitent pas à faire des diagnostics et à aiguiller les sportifs vers des professionnels de la santé basé sur leur propre expérience des blessures ou à rechercher les causes d’une blessure récurrente ailleurs que dans leur sport, quitte parfois à empiéter sur 50 le territoire souverain des médecins comme par exemple cet entraîneur qui demandera aux jeunes sportives blessées la date de leur dernières menstruations : « Il y a une étude qui a été faite la dessus, les ligaments croisés chez les filles qui ont leurs règles. Il y a une étude qui a été faite la dessus et son coach m’a demandé la date de ses dernières règles. Elles étaient deux filles dans l’équipe à s’être fait les croisés en six sept mois. Moi je ne sais pas du tout. Sur Internet ils en parlent un peu comme un facteur de risque. » (mère d’une jeune handballeuse) D’un autre côté, les praticiens médicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.) sont intégrés dans la composition et la gestion des programmes d’entraînements. Ils se substituent progressivement à l’encadrement sportif et deviennent, à leur tour, des « entraîneurs ». Ils s’inscrivent dans les mondes du sport en participant à la rationalisation de la préparation et de l’entraînement des athlètes et en élaborant une médecine « personnalisée » du sportif fondée sur les différences biologiques naturalisées entre sportifs. Parfois les kinésithérapeutes occupent une position cardinale dans les réseaux de soin et les terrains d’entraînements. Alors qu’en temps ordinaire, c’est le médecin qui prescrit les séances de kinésithérapie, dans les mondes du sport c’est parfois le kinésithérapeute qui « fait le tri », établi un diagnostic et adresse éventuellement le sportif blessé au médecin: « J’observe quand je peux prendre du temps dans la salle et j’établis de bonnes relations avec les entraîneurs. Quand ils voient qu’il y a un problème, ils choppent le gars et disent : « Vas voir Michel » Ils me le disent avant pourquoi ils me l’envoient. Après je fais un peu le tri c'est-à-dire que j’envoie derrière au médecin ou pas en fonction de la gravité. » (Michel, Kinésithérapeute, pôle France gymnastique) Cette médecine partage les normes et les valeurs sur lesquelles s’appuie le sport moderne : la logique du mouvement tout en s’appuyant aussi sur une logique d’accompagnement et de « réduction des risques » 24 . 24 La politique de réduction des risques, pragmatique, a renouvelé l’approche sanitaire dans le champ des drogues et des toxicomanies en renversant l’idée selon laquelle la toxicomanie n’est pas une « maladie » mais un « choix ». Cette conception de la réduction des risques repose sur l’idée propre à nos sociétés modernes selon laquelle l’individu est capable de prendre en charge, d’être autonome, responsable de ses actes. Cette conception de l’individu correspond à celle largement diffusée dans les mondes du sport et des mondes de la médecine. 51 « Les garçons sont sur la douleur en permanence : ils savent que s’ils n’ont pas mal au coude, ils auront mal à l’épaule. Ils sont dans la douleur donc ils apprennent à la gérer. On les aide à la gérer. Ils ont mal mais cela ne les empêche pas de faire ou l’envie de faire est supérieure ou la promesse du titre au bout du chemin prend le dessus. On a eu le cas d’un garçon qui, sur la blessure, malgré tout est allé aux jeux olympiques. Il y a eu blessure, rupture au moment de monter l’agrès aux jeux et il l’a fait quand même malgré son tendon cassé. S’ils sont sur le chemin, ils sont prêts à aller au bout ; pour ceux qui sont au début du chemin, il y en a qui abandonnent ce qui est d’ailleurs… Le milieu pour lequel je travaille dans le haut niveau et le très haut niveau je n’ai pas peur des dérives car on est là pour les aider c'est-à-dire que même s’il faut donner un produit interdit avec une autorisation médicale d’utilisation cela sera fait. Ils n’ont pas besoin d’aller chercher des antidouleur par eux-mêmes. Si on essaie de leur apporter le cadre, de les rassurer et leur dire : « On fait le mieux pour toi » ils ne vont pas chercher ailleurs ou ils ont peut-être cherché ailleurs mais ils n’ont pas trouvé mieux donc ils restent là-dedans. Je parle pour la structure (pôle France). Comme je vous disais, ceux qui ne sont pas en structure font n’importe quoi je pense. » (Michel, kinésithérapeute) Les préconisations médicales visent à maintenir le sportif en activité, à le remettre en action, à lui permettre de reprendre le dessus, pour le renforcer dans ses choix et dans ses prises de décision, plutôt que de l’éloigner de l’entraînement par la prescription d’un arrêt de leur activité sportive. « J’avais l’impression qu’il [le kinésithérapeute] allait m’arrêter à chaque instant, qu’il allait me rajouter trois semaines d’arrêt à chaque fois. C’était de la méfiance. Mais j’avais tellement eu mal que je n’avais pas le choix. Les kinés étaient axés là-dessus. Ils savaient ce que c’était alors ils me mettaient un objectif sur le mois, ils me disaient : "Tu fais ci, tu fais ça" et ils n’hésitaient pas à me mettre des soufflantes si jamais je faisais n’importe quoi. Ils n’y allaient pas de main morte, ils me disaient les choses comme elles étaient. Je fais attention quand même. (…) J’ai eu peur. Je n’ai pas réussi à re-sauter en extension. Pourtant ce n’était pas ma jambe d’appui donc je ne sautais Voici un discours type d’un entraîneur interrogé : « Oui, un athlète pour qu’il soit performant il faut qu’il puisse se prendre en charge. Pourquoi ? Pour qu’il puisse analyser ce qu’il a fait par rapport à ce qu’il doit faire, se fixer des objectifs qu’il est capable d’atteindre ou en tous cas légèrement supérieurs à ce qu’il est capable d’atteindre pour qu’il puisse établir une stratégie. Cela se fait en lien avec l’entraîneur. Il ne peut pas tout faire non plus car il doit être encadré, accompagné mais on cherche à ce qu’il vise l’autonomie, qu’il puisse être capable de prendre en compte ce qu’il a fait pour se situer. » Aujourd’hui, quelques experts (Kayser, Mauron, Miah, 2007 ; Kayser, Smith, 2008) militent pour imposer cette vision sanitaire et non moralisante de la réduction des risques dans la politique de lutte antidopage (non moralisante au sens où il s’agit pour les acteurs de santé de ne pas juger les pratiques déviantes afin de mieux les encadrer et d’en réduire les risques sur la santé du consommateur de substances). Ils s’appuient sur des arguments similaires à ceux déployés dans le champ de la toxicomanie pour encadrer les pratiques de dopage : puisqu’il serait impossible d’éradiquer le dopage, il faut apprendre à « vivre avec ». A nos yeux, cette conception–- qui consiste à appréhender le sport comme une addiction dont il serait impossible de se sevrer - semble être d’ores et déjà mise en oeuvre par la médecine du sport et par un grand nombre de praticiens médicaux. 52 pas sur cette jambe pour tirer. J’avais tellement bossé avec le kiné … il ne faisait plus de sentiments. Au bout d’un moment, il m’a dit : « C’est bon, maintenant il faut savoir ce que tu veux, tu te bouges » Il me parlait comme cela donc ça t’oblige un peu ! » (Astrid, 19 ans, handball) Dans cette perspective, sont sollicitées non seulement les parties du corps « à rééduquer » mais aussi les autres segments corporels qui peuvent être mobilisés pour « rééquilibrer » le corps dans son usage sportif. C’est par un travail sur le corps même du sportif, par la manipulation ou par le renforcement musculaire, éventuellement dans l’intensification de la souffrance, que peut se gérer et se voir de nouveau transfigurée la douleur sportive. Les sportifs ou leur entourage accordent une place prépondérante à ces méthodes thérapeutiques basées sur la manipulation (ou certaines techniques supplétives type électro-stimulation) allant parfois jusqu’à disqualifier les traitements médicamenteux qui font disparaître les symptômes douloureux mais ne « soignent pas ». « Cela ne suffit plus ces médicaments. Après derrière, vous faites comment car la liste des dopants est grande comme la table ! Vous ne savez pas qui vous donne quoi, ce que vous pouvez prendre, ne pas prendre, etc. Du coup, l’ostéopathe, c’est magique : il n’y a pas de médicaments. Pour le sportif, on a bien vu le nombre de fois où il (son fils) s’est blessé, où on est allé chez le toubib pour faire une radio, où ils ont dit : « Il faut t’arrêter 3 semaines, anti-inflammatoires matin, midi et soir » C’est pourtant un toubib que l’on connaît bien, qui est plutôt bien. On ne juge pas car on n’est pas médecin. Mais nous on dit : « Non, grosse compète ce week-end » et ce n’est pas possible à entendre. On l’emmène chez l’ostéo qui lui fait son bric à brac et il ressort guéri. Cela fait une semaine d’anti-inflammatoires en moins. Et puis il y a un contact avec l’ostéo, une discussion, il y a quelque chose. Ils en ont maintenant dans les médecines du sport. Il y en a un à l’INSEP, ils en ont un à son club, etc. Ce n’est pas un magicien non plus mais pour l’instant, pour les bobos de tous les jours, c’est très bien. Cela répond à un problème sans médicament donc sans contrainte, sans risque de dopant, de dopage, etc. Il faut vachement se méfier maintenant. » (parents de deux jeunes sportifs de haut niveau) C’est aussi le cas de cette jeune skieuse de haut niveau qui s’est vu prescrire des antiinflammatoires après sa fracture de deux vertèbres lombaires suite à une descente en compétition. 53 « Moi par rapport aux médicaments, j’ai connu des différences mais énormes. Moi je n’aimais pas trop. Je ne vais pas trop utiliser les médicaments à part pour les trucs banals. Quand on arrive au médicament c’est pas très bien. Par contre, il y en a d’autres qui n’arrêtaient pas d’en prendre pour le moindre truc. Oui dans le circuit du ski je me souviens de certains, il y a avait toujours quelque chose qui fait qu’ils avaient besoin de prendre un médicament pour plein de trucs. Je pense que c’est différents selon les gens. Il y en a qui avait tendance pour un moindre truc de travers, ils se gavaient de trucs. Du moins quand on arrive à prendre autant de médicaments c’est qu’il y a quelque chose que ne va pas quoi. Moi j’ai jamais eu envie de dépendre de ça. Moi je commence les médocs et je vois si cela allait bien. Je dis ça parce que après ma fracture j’ai eu d’autres soucis tendinites tout ça et je sais que quand on me disait de prendre des anti-inflammatoires au début je ne voulais même pas.(…) Quand j’ai été obligé d’en prendre donc j’en ai pris mais très vite j’ai essayé d’arrêter car j’avais pas envie d’oublier de soigner l’essentiel et de compenser par des antiinflammatoires. Ça masque mais ça ne soigne pas. » (Elodie, 24 ans, skieuse) « J’ai tout le temps mal. Je prends des médicaments anti-inflammatoires mais juste avant le match car je ne veux pas le faire systématiquement non plus. J’ai plein de collègues qui le font : tous les jours ils prennent un truc : « J’ai mal au dos je prends un médicament » déjà je n’aime pas cela les médicaments, même quand je suis malade. Il faut vraiment que je sois mort de chez mort. » (Pierre, 27 ans, rugbyman professionnel) « J’ai entendu dire que dans les centres de formation, à plus haut niveau, cela se faisait. A mon avis à X, en nationale 2 et au pôle Espoir, je n’ai jamais vu d’antidouleurs sauf vraiment quand quelqu’un est blessé et qu’il a besoin d’un antidouleur mais c’est toujours prescrit pas le médecin qui décide. On ne fait pas d’automédication » (Lucas, 17 ans, handball) Les discours sont ambigus et rappellent ceux relatifs à l’utilisation de substances interdites. La prise de médicaments doit rester occasionnelle – intégrée dans un protocole médical ou éventuellement être dissimulée - car elle met en évidence une incapacité à surmonter ou à transcender par soi-même sa souffrance. Les médicaments, fonctionnant comme des produits masquant. Ils risquent de faire perdre aux sportifs leurs repères familiers : « En gymnastique, il y a des gymnastes qui me disent que même s’ils souffrent, ils ne veulent pas prendre d’anti-inflammatoires avant une compète car ils trouvent qu’ils ne ressentent pas leur corps de la même façon. » (Michel, Kinésithérapeute) 54 La douleur doit être supportée pour les sportifs sans médication. La manipulation physique exercée par les praticiens médicaux ou paramédicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes, sophrologie, médecines non conventionnelles, etc.) s’impose alors comme une évidence et leur accompagnement est légitimé par les sportifs et leur entourage. Quand les médicaments effacent les symptômes, c’est « l’influence qui guérit » (Nathan, 2001). En étant de nouveau « travaillée » (Herzlich, 1969), la douleur peut redevenir « créatrice ». Les kinésithérapeutes, les ostéopathes, la musculation ou des pratiques sportives visant la récupération ou la réparation (la natation en particulier) sont investis comme moyen de « fonctionner avec la douleur » tout comme la consommation de médicaments antalgiques ou de régimes protéinés. Ce choix témoigne de la valorisation d’une « logique du mouvement » déplaçant et élargissant le spectre de la transgression de la norme médicale dominante (s’illustrant dans l’arrêt de l’activité) au fondement de la carrière déviante. Pourtant, ce rejet des médicaments antalgiques n’est pas si évident. Bien que ces praticiens médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) ne soient pas autorisés à en délivrer, certains n’hésitent pas à « conseiller » la prise de médicaments analgésiques ou antalgiques de niveau I, dont les AINS. Cela confirme l’étude de Patrick Laure (2005) sur l’offre et la demande de substances dopantes des adolescents sportifs. Cette étude indique que les kinésithérapeutes « fournissent » aussi des médicaments anti-inflammatoires ou antalgiques aux adolescents sportifs. « Le kiné va aider le sportif à se prendre en charge. Le gars va chercher une solution, une ordonnance, un papier, une piqûre, un médicament. C'est radical le médecin normalement : une radio, un examen. Chez nous il vient plutôt pour parler : « J’ai fait cet examen qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce qu’il y a ? Le médecin veut faire une infiltration, tu penses que c'est bien ou pas ? » Il y a le temps qu’on passe avec eux. Sur ceux que je suis, pour 90 % ils viennent me voir avant d’aller voir le médecin. C'est sûr. (...) Le médicament s’il est symptomatique, il est symptomatique mais quelque fois avant la compète c'est bien de le prendre. Par contre quand on est à distance de la compétition il n’y a aucun intérêt, il faut travailler la cause. J’ai fait toute ma carrière dans cette idée et cela facilite les choses avec les entraîneurs. (...) Quand ils se font mal, c'est parfois moi qui donne des antalgiques de classe 1 et qui les poussent à les prendre, s’ils ne les réclament pas. Un exemple : récemment un garçon s’est fait une fracture au pouce. Je l’ai eu au téléphone et il me dit : « J’ai la radio et j’ai une fracture » « Tu as mal ? » « Oui » « Cela s’est passé hier ? » « Oui » « Tu as pris quelque chose ? » « Non » « Prends du paracétamol cela te soulagera » « Ah oui d’accord » un garçon de 16 ans… après il m’a dit que cela lui avait fait du bien. La 55 gymnastique est un milieu spécial face à la douleur. Sur les patients hors gym que je vois ici, ils m’en parlent moins, j’ai moins de retours quand même. Par contre je vois beaucoup de gymnastes ici qui ne sont pas de haut niveau et ils font n’importe quoi avec les médicaments. Pour les antalgiques classe 1, il n’y a pas besoin d’ordonnance et puis après ils ont tous des médecins compatissants. C'est facile cela, hyper facile. » (Michel, Kinésithérapeute) Parfois, ces praticiens médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) apparaissent comme le dernier recours quand toutes les solutions ont été épuisées. C’est ce que dit Pierre, ce rugbyman professionnel : à la veille d’une finale, alors qu’il n’arrive pas à mettre un terme à ses douleurs risquant de l’empêcher de jouer et de le priver d’une finale, il consulte « ostéopathe sur ostéopathe » jusqu’à ce qu’il trouve une solution : « J’allais voir un ostéopathe du club de X ; quand je revenais voir ma famille, j’allais chez l’ostéo là-bas. J’y vais quand j’ai vraiment… ce n’est pas ma dernière chance mais le truc… pour stopper les douleurs. L’osthéo pour le dos c'est bien. Par exemple pour la finale, j’ai deux côtes cassées et du coup je veux la jouer quand même donc toute la semaine, je suis allé voir deux ostéos, je me suis fait piquer quatre fois. Des antidouleur. Je suis allé voir deux, trois fois l’ostéo, un marabout ! Je voulais trop jouer ce match. J’ai joué le match et je suis sorti en pleurs. Mais c'était une finale, tu joues cela une fois dans ta vie. (...) Mon entraîneur le savait. C’était les côtes cassées, ce ne sont pas les cervicales; les cervicales il m’aurait dit non. Je suis sorti avant la mitemps, je n’en pouvais plus. Je ne sais pas si tu connais une mêlée : tu as 700 kilos qui poussent devant toi, sur toi, et 600 kilos derrière. J’avais aussi pris des antiinflammatoires, ça n’a rien de dopant, tout est légal mais des doses de cheval pour que cela joue et voilà ! Tu joues et tu sors à la mi-temps et tu n’en peux plus, tu es dégoûté. Ce n’est pas grave. Il y avait 30 000 personnes. Je ne regrette pas ! Tu regrettes de la perdre mais… tu t’en fous tu l’as jouée. Tu savais que le mec qui te remplaçait ne faisait pas… je pense que j’étais meilleur blessé que lui qui n’était pas blessé. » Cette seconde étape ne s’accompagne donc pas forcément d’un processus de démédicamentation que l’entrée en scène et la montée en puissance de ces praticiens médicaux dans les réseaux de soins destinées aux sportifs aurait amorcé. Les médicaments antalgiques n’ont pas pour autant disparu de la circulation. Comme l’indique cet ancien coureur cycliste professionnel la consommation des antalgiques est cyclique. Elle a longtemps été intégrée dans une consommation « anarchique » de médicaments ou de produits apparentés (Seznec, 2008). Pour ce sportif, cette utilisation dépend de l’actualité des produits dopants consommés et des résultats de la lutte antidopage. 56 « Les athlètes utilisaient ce qui était intéressant à l’époque comme le "Pot Belge" avec des opiacées, des antalgiques. Finalement, je finis par avoir un regret de ne jamais les avoir essayé pour savoir quels effets cela procurait. Cela semblait être tellement ahurissant. Je ne suis un peu témoin sur ces aspects-là mais pour ces motifs j’ai rompu avec le système parce que c'était l’escalade à l’époque où je l’ai vécu, notamment avec tous les produits hormonaux. Je considère que dans les années 90 il y a eu une rupture sur l’usage des produits dopants. Avant on était sur des antalgiques, on était sur des excitants, des anti-inflammatoires etc. mais dès l’instant où des produits hormonaux sont arrivés comme l’hormone de croissance, l’EPO, pour moi cela a changé la donne. Suite à ces années 90, à un moment donné la fédération internationale du cyclisme est venue réglementer la question de l’EPO à travers le taux de l’hématocrite. Jusque dans les années 98, c'était une vraie découverte et après ils se sont mis à imposer un taux d’hématocrite à 50 %. Il y a un volume de globules rouges qui était limité à 50 %. Ils ont été obligés de diminuer les dosages. Au début des années 2000, par des biais directs, ils sont arrivés à trouver un peu plus l’EPO synthétique exogène utilisé. Il y a pas mal d’athlètes qui étaient obligés, parce qu’ils n’avaient pas les bons moyens de contournement médicaux, d’arrêter ces produits-là et ils se sont rendus compte qu’en fait c'était hyper dur de retourner à l’entraînement en hiver car ils avaient mal. Il y a une vague d’athlètes dans ces années-là qui se sont mis à redécouvrir la douleur alors que quand ils faisaient du vélo ils n’avaient plus mal aux jambes. Quand je vois qu’à l’heure actuelle vous avez des polémiques sur certains produits qui sont des antalgiques, comme le tramadol. On se rend compte que le niveau de consommation des coureurs professionnels sur ce type de produit-là est hallucinant. (…) Je ne sais pas à quel niveau les anti-douleurs sont devenus des substituts. Cela les a épaulés. Mais on ne peut pas généraliser. Je vous parle strictement du cas du cyclisme où il y a eu une déviance absolue. Mais je pense que dans d’autres sports d’endurance, de fond, il y a à peu près le même schéma. Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que parce que la lutte antidopage est venue brider sur certaines choses on s’est rabattu… de toute façon je pense que cela relève plus de la tendance d’optimisation de la performance où on va chercher tous les moyens. Le refuge dans l’antidouleur en est un et c'est vrai pour cette période-là, ces athlètes-là. j’ai plein de collègues qui me disaient : « Je ne peux pas retourner m’entraîner, le vélo cela fait mal aux jambes ». Evidemment la base du cyclisme est que cela fait mal aux jambes ! sauf qu’ils l’avaient perdues. Il y en a plein qui ne pouvaient plus s’entraîner l’hiver parce qu’ils avaient perdu l’habitude d’avoir mal aux jambes. Il y a eu une période un peu de grand n’importe quoi. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel) Au terme de cette seconde étape, la gestion de la douleur devient pour le sportif une obsession intime occupant une grande partie de son activité, de son temps et de son énergie. Certains sportifs, vont chercher des moyens de fonctionner avec la douleur, mettre en oeuvre des stratégies de contrôle de la douleur, à l’intérieur d’un véritable « marché de la douleur » qu’il conviendrait d’examiner plus précisément le négoce : aux traitements médicamenteux 57 (médicaments de différents paliers), compléments alimentaires (boissons de récupération, aliment de réparation, etc.) 25 , « Oui, on complémente. On donne des vitamines bien sûr mais normalement une alimentation équilibrée suffit à apporter les vitamines nécessaires. On peut complémenter parfois en acides aminés parce que dans le muscle, il y a de la casse dans les entraînements, on peut mieux réparer le muscle par les apports d’acides aminés. On en donne très peu. Il y a très peu de complémentaires alimentaires. Parfois, j’en donne, cela fait du bien à la tête. S’il me dit je suis fatigué, prends des vitamines ! » (Henri, Médecin d’équipe, football professionnel) à la cortisone, aux injections de plasma enrichi en plaquettes (PRP) 26 « Là, ils sont en train de sortir de nouvelles infiltrations par des techniques très particulières. Cela se fait très peu en France mais c’est pareil : "Machin m’a dit que cela marchait super bien …" Mais si on ne le fait pas, c’est parce que justement, pour l’instant, on n’a pas montré que cela servait à quelque chose. L’infiltration, on vous fait une prise de sang, on vous prend des plaquettes, on les fait tourner en centrifugeuse et on vous les réinjecte à l’endroit où vous avez mal. C’est censé faire des guérisons. Pour l’instant, il y a beaucoup d’études là-dessus et on n’arrive pas à montrer que cela sert à quelque chose. Ils se font faire cela partout du coup cela se sait de bouche à oreille et les gens sont demandeurs. C’est très rare que cela soit le médecin qui propose cela ; c’est le patient qui va en parler. Le médecin ne le propose pas car pour l’instant, ce n’est pas indiqué mais le patient est au courant et il va 25 Voici un exemple parmi bien d’autres d’un complément alimentaire vendu sur Internet sous une forme galénique destiné à être consommé avant pendant et après l’effort sportif pou éviter les douleurs musculaires : « **Evitez les contractures musculaires ! Favorise l'élimination de l'acide lactique. Contribue à une bonne fonction musculaire. Réduit la fatigue ** est un complément alimentaire à base d’extraits de Plantes, Vitamine B6 et Minéraux, spécialement élaboré pour permettre aux sportifs d'éviter les crampes, grâce aux actifs reconnus pour leurs effets complémentaires : le Ginseng améliore l’endurance physique en favorisant l’élimination de l’acide lactique. L’extrait de Quinquina contribue à la transmission de l’influx nerveux et à la contraction musculaire. Le Magnésium participe à une fonction musculaire normale. La Vitamine B6, le Magnésium et le Ginseng contribuent à réduire la fatigue. ** contient également de l’Arnica (extrait aromatique). ». Un autre exemple d’aliment de réparation : « ** est un produit destiné à être absorbé le soir au coucher afin de participer à la réparation des micro-lésions musculaires causées au cours de l'effort endurant. Cet aliment riche en glucides et en protéines (sources d'acides aminés ramifiés), assure le bon déroulement des processus réparateurs. Il contient également des vitamines, des minéraux et notamment du magnésium afin d'apporter à l'organisme tous les éléments nutritifs dont il a besoin pour pallier les pertes survenues au cours de l'effort. Il convient aussi bien en récupération qu'en cure préventive, lors d'un travail spécifique ou encore au cours d'une période de convalescence (blessure). 26 Sur les effets antalgiques de l’injection de PRP comme alternative aux injections de corticoïdes et sur l’injection de cellules souches cf l’article de Gina Kolata « As Sports Medicine Surges, Hope and Hype Outpace Proven Treatments » The New York Times, 22 septembre 2011 ; Patrick Le Goux « De nouveaux traitements contre les tendinites », Le Figaro, 22 février 2013. 58 demander. (…) Chez les jeunes, ce n’est pas le cas mais quand on arrive à 17, 18 ans oui. Avant, les piqûres, ils n’aiment pas cela donc ils évitent s’ils peuvent. Pour avoir cela, il faut déjà avoir des blessures ; à 12, 13, 14 ans, on ne se blesse pas tant que cela. On peut arriver à pas mal se blesser à 17, 18 ans. » (Olivier, Médecin du sport) s’ajoutent les alternatives thérapeutiques plus ou moins sophistiquées (ostéopathie, acuponcture, mésothérapie, hypnose) ou les outils et techniques proposées par différentes entreprises privées (électrostimulation 27 , ultrasons, implants, produits de rééducation), cryothérapie (cabine de « froid ») etc.) donnant un aperçu de cette palette de solutions proposées aux sportifs pour traiter ou soulager la douleur. Inévitablement, ce marché de la douleur ravive la concurrence entre les « groupes professionnels » : « Quand on est au pôle, on ne parle pas trop argent car la structure soins est financée. En club, il n’y a pas de financement. Si un mec appelle pour dire : « Si vous voulez je viens soigner vos mecs gratuitement » le club dit oui. C’est comme cela que beaucoup d’ostéopathes rentrent dans les clubs. J’avais dit que je n’en parlerai pas mais les ostéopathes de formation purement ostéopathes, ce sont des gens qui font une formation et qui n’ont pas de travail à la sortie. Ils ont des difficultés à avoir du travail donc ils amorcent C'est un truc qui m’horripile ! Ils peuvent donc rentrer dans des clubs qui disent : « Je mets un ostéopathe à la disposition de mes sportifs » c'est formidable ! Le mec va leur trouver plein de problèmes : « Tu as cela, cela, il faut que tu reviennes » Ils ne sont pas tous si mal intentionnés mais c'est quand même quelque chose que j’ai remarqué. » (Michel, Kinésithérapeute) 27 Voici l’argument de vente d’une société : « L'électrostimulation a visée antalgique agit selon deux types de mécanismes : soit par blocage de la transmission de la douleur (programmes de type TENS) ; soit par libération d'une substance naturelle possédant des propriétés anti-douleur (programmes de type endorphinique). En fonction de leur cause, certaines douleurs sont mieux soulagées par un programme de type TENS, alors que d'autres bénéficieront mieux d'un programme de type endorphinique. Certaines situations particulières peuvent présenter des douleurs qui nécessitent l'utilisation simultanée des 2 types de courant, ce que seul, votre kinésithérapeute peut faire au moyen de son *** professionnel. » 59 Chapitre 4 Surinvestir le « mental » pour transfigurer les maux du sport La troisième étape est le point d’aboutissement d’un long processus d’apprentissage et d’appropriation de la douleur. Elle se traduit généralement par une forme d’acceptation de la douleur. Le sportif n’a en effet pas d’autres choix que d’accepter ce contre quoi il a du lutter, durant de longues années. Il fini par être convaincu par ce que l’on a pu lui dire ou répéter depuis son plus jeune âge : c’est le « mental », la motivation à toute épreuve qui, in fine, permet de dépasser les douleurs. « Ce que je constate avec le recul, c'est qu’il y a toujours un truc qui m’avait frappé quand j’étais gamin : les anciens, les entraîneurs ou les personnes qui avaient plus de bouteille que moi – et là je parle d’un âge de 10, 14 ans – disaient clairement : « Si tu as mal c'est dans la tête » Quand on me disait cela, je disais grosso modo : « Tais-toi pauvre con parce que j’ai quand même bien mal aux gens et c'est ce qui m’empêche d’avancer. » Ce qui est assez marrant c'est qu’aujourd'hui j’ai 38 ans, j’ai arrêté il y a 3 ans donc j’ai arrêté à 35 ans. Entre 30 et 35 ans, quelque part cet adage, il prend peutêtre plus de sens par rapport au flux que l’on peut avoir de la douleur. Peut-être à tort je finis par penser qu’il y a une part de la douleur qui se gère dans la tête, beaucoup plus que ce qu’on pourrait le penser quand on est gamin. Je ne sais pas à quoi c'est dû mais il y a juste de petites expériences qui m’ont toujours un peu surpris. (…) Je pense que la force mentale peut arriver à faire faire des choses que celui qui ne l’a pas vécu ne peut pas comprendre. On peut effacer la douleur, on peut arriver à se sublimer. Quand j’entendais cela il y a quelques années, je n’y croyais pas. Il y a des situations où à l’entraînement, le fait d’avoir un objectif et de se préparer pour cet objectif, on arrive à dépasser des souffrances qu’on n’aurait pas pu envisager 10 ans plus tôt. » (Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel) « C’est tout dans la tête, c’est que du mental, se dire que l’on a pas mal, se dire que la ligne d’arrivée est proche et qu’il y a un record à la clé ou une bonne place, et c’est tout dans la tête, il n’y a rien physiquement que l’on puisse faire pour stopper la douleur, c’est dans la tête. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme) 60 Contrairement aux étapes précédentes, le sportif cherche moins à agir sur son corps que sur son « mental » pour transfigurer des douleurs que le corps ne parvient plus à contenir. C’est par un travail spécifique sur la structure et son organisation psychique que le sportif entend sublimer ses douleurs et contrôler le destin de sa souffrance. Ce changement de relation à la douleur survient quand l’espoir fondé dans la médecine du corps hyperspécialisée dans le « faire avec » valorisant le mouvement (kinésithérapeutes, ostéopathes, médecins-préparateurs physiques) ne suffit plus à « vivre avec » la douleur. Les outils palliatifs à la douleur sont toujours recherchés dans les mondes de la médecine mais cette fois-ci les sportifs ont non seulement recours à des spécialistes du corps mais aussi à des spécialistes du soin psychique. Psychologues sportifs, préparateurs mentaux, kinésiologues, les médecines non conventionnelles (hypnoses, sophrologie, etc.) sont mobilisés pour transfigurer la douleur physique et tenter de l’effacer par la « force du mental ». Le psychisme est alors un espace à mettre en mouvement selon les mêmes modalités que le corps : c’est le « mental » qu’il convient de re-mobiliser, de retravailler, de reformater pour surmonter douleurs et souffrances. Cette étape conduit à ne plus envisager de composer avec la douleur en mettant le corps en mouvement mais plutôt à intensifier cette mise en mouvement en l’appliquant au psychisme pour agir non pas sur la douleur elle-même mais sur « ses chaînes de conception » (Strauss, 1992) 28. Dans cette perspective, le sportif doit chercher à appréhender la douleur de manière plus globale. Que ce travail sur la douleur s'engage par le biais d’approches dites « holistiques » (médecine chinoise, kinesthésie, énergies, sophrologie, etc.) ou qu’il le fasse par le biais du psychisme dans un investissement du mental (préparateur mentaux, coaches et psychologues sportifs), le sportif est à la recherche d’une maîtrise de la douleur par l’activation de l’organe (le cerveau, les méridiens) qui serait le maître des émotions, le lieu du contrôle du soi, de la mémoire et de la concentration, celui dans lequel s’élabore et se contrôle la modification des états de conscience. 28 Comme ce médecin sportif, adepte de l’hypnose, qui estime que : « Plus que la douleur, c’est la souffrance, c’est à dire l’interprétation et la représentation que se fait le sportif de sa douleur, qui peut être gérée ». « Tour de France 2013 : comment gérer la douleur physique et mentale par J-J. Menuet », in L’Obs. Le plus, Mars 2013. 61 1. Le rêve sportif a un avenir neuronal Le « mental » se voit doté d’une puissance phénoménale. Son investissement redonne au sportif une capacité d’agir et lui permet de redécouvrir de nouvelles potentialités. Face aux épreuves (peur de l’échec, blessures, douleurs, stress, angoisses, etc.) le sportif espère accéder à cet état appelé le « flow » ou à « la Zone » 29 proche d’un état second ou de transe. S’il ne parvient pas à y accéder seul, des coachs et des préparateurs mentaux ou entreprises privés de mental training se proposent d’offrir aux parents, aux entraîneurs ou aux sportifs des services, des conseils à distance 30 ; des outils et des programmes standardisés visant à surmonter les difficultés et à se transcender, à ne plus « sentir » la douleur, par l’extase 31. Aujourd’hui, l’offre pour atteindre la « zone » et travailler l’espace du mental tend à se développer et à se démocratiser 32. C’est notamment cet investissement du mental qui fait la différence entre les sportifs dressant une frontière entre ceux ou celles qui « subissent » la douleur et ceux ou celles qui agissent sous contrôle. Les sportifs trouvent dans cet espace du mental un « principe d’individuation » (Ehrenberg, 2006), un support pour la constitution d’une « personnalité » celle du champion. Le mental est ce qui le distingue des autres : « ils arrivent tous au même état physique ce qui ne veut pas dire qu’ils vont être performants de la même façon : c’est le mental qui va faire la différence c’est sur. A mon niveau je le voyais déjà, c’est dans la tronche que cela se passait » (Elodie) Mais le travail sur le mental ne vise pas seulement l’amélioration des performances, il engage à une redécouverte des capacités permettant d’atteindre cet objectif. 29 La notion de « la zone » est assez comparable à une autre notion aussi controversée dans le champ de la toxicomanie : celle de « flash » cette sensation fulgurante et intense provoquée par l’absorption ou l’injection d’héroïne. L’analogie avait été faite par le Dr Claude Olivienstein dans « Toxicomanie et dopage », Bulletin de liaison du CNDT, 1992, 271-280. 30 P. Jolly, « Champions sous influence » Le Monde, 8 décembre 2004. Ce que dit Thomas Sammut, préparateur mental du cercle des nageurs de Marseille : « Ce n’est pas une extase mais c’est une sorte de transe. On ne ressent plus la douleur par exemple. » in Renée Greusard, « La zone, le mystérieux état second dont rêvent les sportifs », L’Obs, mars 2012. 31 32 Si ces programmes s’adressent aux sportifs, ils s’adressent aussi aux chefs d’entreprises, aux parents : « Parents can now benefit from the same mental skills taught to athletes. » 62 Ces méthodes de training mental « naturelles, sures et efficaces » font explicitement concurrence aux pratiques de dopage. Ses promoteurs les présentent d’ailleurs comme autant d’alternatives au dopage (« enhancement performance without drugs ») 33 et se positionnent – comme les kinésithérapeutes et les usages de médicaments antalgiques – à l’intersection de la performance et du thérapeutique. En redonnant le sentiment de maîtrise voire de « toute puissance » (maîtriser et gérer totalement ses émotions, exercer un contrôle total de son corps, prendre les bonnes décisions au bon moment etc.), ces méthodes offrent à l’athlète le sentiment que le cerveau, la « zone » cérébrale est l’unité hégémonique de l’action 34. Cet « entraînement du mental » et les conseils de mental training dispensés par des coaches ou professionnels du psychisme, en face-à-face ou à distance sur les pages de sites Internet et d’ouvrages de développement personnel figurent alors en bonne place des méthodes utilisées pour redynamiser le corps du sportif, exercer un contrôle sur ses émotions, modifier ses états de conscience ou pour s’émanciper des contraintes biologiques ou naturelles jusqu’à avoir le sentiment de se « désincorporer ». Se consolide ainsi l’idée que « tout est dans la tête » et que l’imagerie cérébrale utilisée à des fins de performance peut venir matérialiser. « En fin de carrière quand vous avez des objectifs qui sont clairs dans votre tête, vous avez une motivation à toute épreuve, vous êtes capable de départir totalement votre physique de votre mental. Votre mental prend le pas sur votre physique. Quand je dis votre physique ce sont tous les stimuli que votre corps est capable de renvoyer à votre esprit. Quand je le dis comme cela vous avez totalement la possibilité de me prendre pour un fou. Par exemple il y a certains exercices de préparation mentale, sur imagerie mentale, pour des sportifs qui ont des parcours hyper millimétrés : les skieurs alpin, pilote de formule 1 etc. Ils font de l’imagerie avec des électromyogrammes 35 . Ils simulent une descente et l’IMG réagit alors qu’ils sont en statique. L’influx nerveux qui est envoyé aux plaques motrices n’est pas sur le même niveau d’intensité. Par contre sur ses variations, il a la même variation que quand ils sont en activité réelle. Ils sont capables, sans générer la fin de la commande motrice, d’envoyer l’influx en étant 33 The mind is more powerful than most give it credit for, and is certainly more powerful than doping; especially considering that at the end of the day, remaining in control of our thoughts and emotions while performing is the ultimate indicator of our success. http://mentaltraininginc.com/blog/ 34 C’est d’ailleurs le cerveau via ses neurotransmetteurs qui a le pouvoir de secréter ses propres substances, des « opiacés endogènes » (dopamine, endorphine, sérotonine, système endocannabinoïde) susceptibles de d’établir un « système de modulation » de la douleur tout en produisant du plaisir, un sensation de bien-être. Cette idée est aussi bien affirmée dans la littérature médicale (Potvin, Grignon, 2007) que dans les posts de blogs ou dans les forums de sportifs ou de coachs. L’addiction à l’exercice sportif a donc sa source dans l’activité neurobiologique. On retrouve ici renouvelé le débat qui a agité il y a quelques années le milieu de la lutte antidopage autour de l’EPO endogène/exogène. 35 Technique médicale qui permet d’enregistrer l’activité électrique qui accompagne les mouvements musculaires. 63 en imagerie. Il y a des situations aussi où on se désincorpore, on sort de son enveloppe. Je ne vous demande pas de me croire. En fait, on a le sentiment de sortir de son enveloppe et on se voit faire. Il y a ce processus de désincorporation. Finalement d’un côté vous avez des informations, de l’autre vous avez votre pensée. Ce n’est pas beaucoup de temps dans une carrière : bout à bout sur une carrière de 20 ans c'est peutêtre une heure mais vous avez le sentiment qu’en fait vous avez pris la maîtrise de votre corps à un point où on vous dit : « Tu vois le mur en béton ? Tu pars en courant tu le traverses » dans ces états-là je pense que 99 % des gens vont dans le mur, s’éclatent car c'est évidemment le mur qui gagne sauf que vous avez un doute énorme sur le fait que vous soyez plus résistant que le mur. » (Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel) 2. Un processus de dé-fragmentation du corps L’investissement du mental constitue la dernière étape dans l’apprentissage de la gestion de la douleur chez les sportifs. D’ores et déjà pris en charge par une pluralité de segments de la médecine qui se partagent son corps, le sportif peut se trouver en proie à une perte d’identité pouvant s’exprimer au travers d’une « pathologie de l’effacement ». Fragmenté au sein d’un réseau d’acteurs qui le dépasse, il part à la recherche de professionnels d’un type nouveau qui le poussent à amorcer un processus de défragmentation visant à ré-organiser son existence, à redonner un sens à sa douleur et à « se comporter comme des individus » (Ehrenberg, 1992). La gestion de la douleur trouve alors une définition nouvelle. La mise en travail séparée des différents parties du corps n’a pas fourni les résultats escomptés, il convient dès lors de « lever » la douleur – comme on lève un sort par la sorcellerie ou un traumatisme par la neuropharmacologie - par l’investissement du mental ou le recours à des médecines dites « holistiques » ou non conventionnelles. C’est par ce biais que certains sportifs retrouvent chemin faisant une prise sur leurs maux comme sur leur existence : « En ce qui concerne ma pubalgie, j’ai épuisé un peu tous les tests possibles, les scanners, toute la batterie des examens et puis un peu en bout de course j’ai été mis en relation avec un gars pas loin d’ici qui est kiné mais kiné c'est sa devanture. Il est kinéserticien [kinésiologue] ou un truc comme cela, il y a le terme énergétique dedans. Ce mec ce n’est pas du tout ma came, j’y suis allé, il a passé les mains sur le corps comme cela. On commence à discuter, il me pose des questions sur mon passé (…) cela m’interpelle sur la place que j’ai laissé à la douleur pendant toute une carrière, tout un pan de ma carrière. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel) 64 Beaucoup d’athlètes quittent la carrière sportive de haut niveau après le franchissement de cette ultime étape. En investissant le mental, le risque est en effet grand de relier de nouveau le corps et les émotions. Ce faisant, les sportifs peuvent redécouvrir leurs douleurs en tant que porteuses d’une signification primaire. Alors que la douleur avait été « intégrée dans le fonctionnement » et qu’elle n’était qu’un « paramètre » dont il fallait tenter de diminuer les effets néfastes, la douleur peut à nouveau se voir « revêtue d’une souffrance » (Le Breton, 2003). Si le sens de la douleur a été dévié de sa trajectoire par le primat accordé à une logique du mouvement, l’investissement du mental selon ces mêmes modalités nécessite de la part du sportif de trouver les clefs à l’intérieur de lui-même pour affronter les tensions. Face à la redécouverte de la douleur et de la pluralité de ses sens potentiels, les sportifs sont conduits à re-questionner la place de la douleur dans leur vie quotidienne. Certains vivent alors une forme de prise de conscience des choix qu’ils ont effectués, depuis plusieurs années, au nom du sport. 65 Conclusion En faisant entrer certains médicaments antalgiques de palier II et III sur ses listes, l’AMA semble vouloir élargir son champ de vision et questionner les frontières entre pratiques de soin et pratiques de dopage. Les consommations de médicaments « antidouleur » n’apparaissent dans ce cadre ni périphériques par rapport aux pratiques de dopage dans les mondes du sport, ni marginales par rapport aux usages d’opiacés dans les mondes de la drogue. Ils peuvent être considérés comme des « sous -produits » (byproduct) (Veliz, 2014) utilisés en sous-main par les jeunes sportifs contraints de « faire avec » la douleur dans un monde où on leur apprend à se l’approprier, à la taire contrairement au reste de la société où la médicalisation de la douleur s’est progressivement enracinée et vécue comme positive, contrairement à d’autres formes de médicalisation (Conrad, Munoz, 2010). Elles interrogent en outre le rôle de la médecine dans le traitement de la douleur chez les sportifs tant du point de vue des solutions qu’elle tente d’apporter que celui des circuits officiels et officieux et des réseaux de proximité qu’elle mobilise ainsi que des idéologies sur lesquelles elle s’appuie. La « réduction des risques », mise en œuvre par les médecins du sport et les autres praticiens médicaux (kinésithérapeutes etc.) pour soulager les douleurs des sportifs rejoint le principe de réalité du sport intensif en tant que pratique « addictive ». Dans cette perspective, les médicaments ne sont pas les seuls moyens utilisés pour soulager les douleurs par les sportifs et leur entourage. Ils s’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus vaste de produits consommés (protéines, homéopathies, boissons énergisantes, compléments alimentaires, etc.), de méthodes et de techniques thérapeutiques mobilisant une pluralité de professionnels spécialisés dans la manipulation du corps (kinés, ostéopathes, etc.) puis dans la manipulation du psychisme (sophrologue, hypnose, kinésiologue, psychologues, préparateurs mentaux, etc.). Cette analyse permet de mettre en évidence comment la reconceptualisation de l’expérience de la douleur prend la forme d’une carrière déviante en trois étapes. Chacune se réalise dans 66 une opposition aux normes communes de santé (éthique de la modération, arrêt, équilibre personnel de vie, bien-être). A chaque fois, la douleur comme valeur morale appelle les sportifs à trouver les moyens leur permettant de « fonctionner avec ». C’est le « mental » du champion qui est, dès l’entrée dans la carrière investi d’une qualité et se voit doter d’une « valeur sociale » (Ehrenberg, 2006). De la même manière que le corps, le psychisme – lui aussi localisé dans une partie du corps, le cerveau - est alors mis en mouvement en vue d’un dépassement des contraintes biologiques, des inégalités pensées comme naturelles et dont les jeunes sportifs font bien souvent l’épreuve notamment à l’âge de l’adolescence. Le corps et le psychisme sont tour à tour investis par une série de professionnels (kinésithérapeutes, ostéopathes, spécialistes de la traumatologie sportive ; préparateurs mentaux, coaches, psychologues, etc.) dans le but d’augmenter les capacités d’action du sportif sur lui-même, à s’autodéterminer. Mais le mental est aussi un « territoire psychotropique » (Fernandes, 2002) qui peut engager une psycho- ou une neuropharmacologie 36.. Un territoire sur lequel peut s’exercer une « souveraineté ». Cette mise en perspective ouvre alors un espace de questionnements autour d’un processus conjoint de re-médicamentation des sportifs et d’un déplacement des méthodes de gestion de la douleur vers des formes de « dopage mental » (Goffette, 2012). L’émergence des techniques et des méthodes du mental training (fondées sur un ensemble de théories neurobiologiques ou neurolinguistiques et cognitivo- comportementales) se posent comme une alternative au dopage et joue actuellement un rôle tout aussi ambigu que celui des médicaments antalgiques (paliers II et III), notamment dans le fait qu’ils se situent sur la même frontière entre le naturel et de l’artificiel (opiacés « endogènes » versus opiacés « exogènes ») ou encore le thérapeutique et la performance. En observant la manière dont les sportifs négocient leurs douleurs, on s’aperçoit que les rapports entre les mondes de la médecine et ceux du sport sont étroits – quasi endogames - et laissent entrevoir toutes les combinaisons possibles. En inscrivant ces médicaments « antidouleur » sous surveillance, l’AMA pose la question de la régulation collective du « négoce » de la douleur : qui régule quoi ? et comment ? qui marque et protège les frontières entre ces mondes car à la porosité des frontières entre mondes du sport et mondes de la médecine, il conviendrait d’ajouter celles des mondes de la drogue qui fournissent, in fine, un modèle d’interprétation du mode de vie du sportif de haut niveau chez ceux-là mêmes qui, après avoir quitté leur carrière, font rétrospectivement le récit d’une addiction. 36 Comme par exemple les antidépresseurs, la méthadone ou encore la délivrance de Clonazépam (Rivotril®) utilisé pour l’épilepsie mais agissant aussi comme anti-convulsivant sur les douleurs physiques. 67 Partie II Le sport intensif à l’adolescence : perceptions et évolution de la prise en charge de la douleur. Etude quantitative *** 68 Introduction Dans leur rapport remis au président du Sénat, les rapporteurs de la commission d’enquête sur l’efficacité de la lutte antidopage laissaient entendre qu’un certain nombre d’experts auditionnés en séance les avaient alerté sur « l’étendue du dopage chez les générations les plus jeunes » (Sénat, 2013). Ils renvoyaient ainsi aux chiffres établis par Patrick Laure (1997, 2000) un des premiers à avoir identifié la consommation de produits dopants chez les enfants et adolescents sportifs. A partir d’une étude de littérature internationale sur la question, il constatait qu’en moyenne 3 à 5 % des enfants et des adolescents sportifs (8-18 ans) déclaraient consommer des produits dopants interdits, essentiellement des stéroïdes anabolisants, des stimulants et des compléments alimentaires, dans le but d’améliorer leur performance. Toutes ces études, majoritairement épidémiologiques et nord-américaines, insistaient sur la consommation précoce de ces produits bien souvent associées à d’autres types de consommations de drogues (tabac, alcool, cannabis) ou à d’autres produits autorisés tels que les antalgiques ou les glucocorticoïdes. Plus d’une quinzaine d’années plus tard, malgré le développement des travaux épidémiologiques sur les stéroïdes anabolisants, les stimulants, l’hormone de croissance, le cannabis et les compléments alimentaires consommés parmi les adolescents sportifs, une nouvelle revue de la littérature établit, mêmes chiffres à l’appui, un constat similaire : les connaissances sur le dopage des adolescents, en particulier ceux qui sont engagés dans des filières d’accès au haut niveau, restent toujours lacunaires (Salla et al, 2014). On peut s’interroger sur cette difficulté à étudier de près ce phénomène que beaucoup juge sous-estimé et regretter qu’en France peu d’études épidémiologiques soient à ce point sous développées dans les mondes du sport alors même que l’adolescence constitue « une période de risque pour le dopage et les addictions » (Rieu, Queneau, 2010 ; Schirlin et al. 2008). Par ailleurs, ce qui attire l’attention c’est le tropisme par lequel ces enquêtes saisissent le « dopage » des enfants et des adolescents. En effet, toutes ces études tentent de mesurer la consommation de substances dopantes « interdites » (anabolisants, stimulants, hormones de croissance, cannabis etc.) parmi les adolescents qu’ils soient sportifs ou non sportifs, pour ensuite les mettre en relation avec d’autres consommations de substances (drogues légales ou illégales) et/ou avec des troubles du comportement (anxiété, violence, etc.) (Arvers, Choquet, 69 2003, Beck et al. 2002). Ces études laissent ainsi dans l’ombre d’autres consommations notamment celles de médicaments légaux ou celles qui sont exceptionnellement autorisées pour raisons thérapeutiques (A.U.T.) et qui peuvent s’apparenter à un « dopage légal » (Overbye, Wagner, 2013). Parmi ces médicaments légaux et non interdits par l’Agence Mondiale Antidopage, figurent les médicaments anti-inflammatoires et antidouleur dont la consommation au sein de la population sportive et notamment adolescente semble préoccupante sur le plan de la santé publique. Comme nous l’avons vu (cf Partie I), depuis quelques années, dans un contexte de fort accroissement d’overdoses médicamenteuses liées à la consommation d’analgésiques ou de substituts aux opiacés dans la population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014, Franck et al., 2015) le National Institut on Drug Abuse (2013) a pu identifier les usages et mésusages de ces painkillers parmi les adolescents sportifs et impulser quelques recherches sur le sujet (Veliz, 2014). Parce que leur risque d’être blessé est bien supérieur aux nonpratiquants, ceux-ci ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors prescription et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport. Certains sports, tels que le football américain ou le hockey sur glace (Warner et al. 2002, Cottler et al. 2011, King et al. 2014) semblent particulièrement affectés du fait des violences corporelles que s’infligent les joueurs. En Europe, quelques recherches commencent à observer la consommation d’opiacés médicalement prescrits (antalgiques ou analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al. 2014). Le cyclisme et le football (Tscholl et al. 2009) sont eux aussi concernés par les antidouleur. Ces médicaments peuvent être mobilisés à des fins thérapeutiques pour soulager des douleurs, atténuer ou déplacer le seuil de tolérance à la douleur et, éventuellement, la « contrôler ». Les médicaments antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont pour la plupart en vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine, ibuprofène, etc. de niveau I (antalgiques non opiacés). Ces derniers, néanmoins, ne sont pas sans effets délétères sur la santé notamment quand ils sont consommés régulièrement par les sportifs (Laure 2011 ; Grémion, Saugy, 2013). Les autres médicaments de niveau II antalgiques codéinés ou Tramadol, et de niveau III, comme les antalgiques opioïdes (morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés médicalement et font l’objet d’une administration et d’une diffusion réglementée à cause des problèmes de santé et des addictions qu’ils risquent d’engendrer. Ils sont généralement prescrits dans le cas de douleurs aiguës ou cancéreuses ou dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés. 70 Que sait-on aujourd’hui des consommations d’anti-inflammatoires et d’antidouleur chez les adolescents sportifs ? Existe-t-il un rapport entre ces consommations d’anti-inflammatoires et d’anti-douleur et les pratiques de dopage ? En 2011, au cours d’un table ronde consacrée à la question du « dopage chez l’enfant » le professeur Philippe-Jean Parquet évoquait ouvertement la question. Constatant des prescriptions médicamenteuses « de plus en plus fréquentes, diversifiées et précoces », il se demande si la prise de médicaments – il cite, entre autre, les antidouleur ne pourrait pas être considérée comme la « préforme d’une conduite dopante ou d’une conduite addictive ? » Notre enquête quantitative prolonge ce questionnement et propose de documenter ces consommations d’anti-inflammatoires et d’antidouleur au sein d’une population de jeunes engagés dans une pratique intensive de sport ou situés aux portes du haut niveau et de déterminer le rôle et l’influence de l’entourage (parents, entraîneur, médecins) dans la consommation de ces médicaments. Se focaliser sur cette expérience vécue de la douleur à l’adolescence soulève des questions sur les pratiques de soins et sur les modalités de sa prise en charge par une multitude d’acteurs (parents, entraîneur, médecins, praticiens médicaux etc.) que nous avons essayé de saisir dans le cadre de cette enquête quantitative. Nous allons voir que les pratiques de soins sont bien souvent redistribuées dans plusieurs mondes sociaux (famille, médecine sportive, sport) en fonction de l’évolution de la carrière et de l’âge des sportifs. L’adolescence est souvent considérée comme une période de « vulnérabilité » où se produisent de profonds changements : sociaux (le passage du statut de collégien à lycéen notamment), somatiques et psychologiques. L’épidémiologiste Marie Choquet souligne, fort à propos, que si « les jeunes peuvent se caractériser sur le plan social par la situation de leur famille d’origine, pour les lycéens la filière d’enseignement suivi permet un début de caractérisation propre » (Choquet, Lagaric, 2000). L’entrée dans les filières d’élite sportive (CREPS, pôle Espoir, pôle France, INSEP) apparaît ainsi comme un élément décisif à prendre en compte dans la compréhension des comportements de santé des adolescents tant elle influence leur hygiène de vie, leur prise en charge médicale, les soins prodigués au corps tout comme les pratiques addictives. Plus les jeunes intègrent le haut niveau, plus ils pratiquent de manière intensive leur sport, et plus leurs pratiques de soins qui les entourent semblent se « médicaliser » (Brissonneau et al. 2008). Nous avons fait l’hypothèse forte que les pratiques de soins peuvent glisser vers des pratiques 71 pharmacologiques et/ou dopantes. Si l’on considère que soigner est un « processus » qui ne possède pas, « contrairement aux produits, de frontières claires » (Mol, 2009), les pratiques de dopage pourraient être une de ces pratiques de soins. En examinant, au travers de ce questionnaire, le parcours et la construction de l’hygiène de vie des jeunes sportifs, leur rapport à la pratique du sport, aux douleurs, à la médecine ; en étudiant leur mode de vie, nous faisons l’hypothèse que l’on pourrait renouveler l’approche du dopage chez l’enfant et l’adolescent et redéfinir les programmes de prévention autrement qu’en se référant aux normes de performance. Le questionnaire L’enquête porte sur la genèse et le développement des consommations des médicaments antiinflammatoires et antidouleur au sein d’une population composée exclusivement de jeunes sportifs âgés de 11 à 18 ans et dont l’activité sportive les amène à venir consulter, suite à un traumatisme, des médecins du sport ou à venir au moins une fois par an effectuer un bilan sanitaire complet dans un service de médecine du sport. Alors qu’une très grande majorité des études sur les consommations de substances psychoactives sont réalisées en milieu scolaire, cette enquête a été réalisée au sein de deux services hospitaliers de médecine du sport : celui du CHU Edouard Herriot de Lyon et celui du CHU Bellevue de Saint-Étienne auxquels sont rattachés deux Antennes Médicales de Prévention du Dopage (AMPD)37. L’étude n’a pas une visée comparative mais prétend à l’exhaustivité. Il n’y a donc pas eu de procédure d’échantillonnage. Le fait d’interroger deux sites comparables dans leurs missions et leurs statuts mais historiquement et géographiquement différents a permis d’assurer une représentativité quant aux résultats. La part de la population étudiée de la file active des deux services de médecine du sport est relativement faible. Nous nous sommes rendus compte au fil de nos investigations qu’une grande partie des jeunes sportifs consultaient les médecins et praticiens médicaux (kinésithérapeutes, médecins du sport, orthopédistes etc.) des cliniques 37 Concernant le site de Nantes, en raison d'une impossibilité d'accéder au service de médecine du sport du CHU de Nantes (dir. Dr Paruit). Bertrand Guérinaud, chercheur associé au projet et psychologue clinicien, responsable de l’AMPD de Nantes rattaché au service d’addictologie du CHU de Nantes (dir. Pr Prétagut) ne pouvait pas prétendre administrer le questionnaire dans le cadre de ses consultations, même avec l’aide d’un stagiaire. Qui plus est, la file active des consultations liées à l’AMPD s’avérait bien trop faible. Nous avons décidé, après en avoir informé l’AMA (L. Cléret ) et obtenu son accord de recentrer notre étude statistique sur le CHU de Lyon. De fait seuls 2 questionnaires ont été administrés sur le site de Nantes. 72 privées de médecine du sport ou des centres spécialisés dans certaines lésions ou traumatismes sportifs (cf. Partie I). Certains adolescents étaient parfois « détournés » par leurs entraîneurs ou entourage (parents, autres sportifs etc.) des suivis médicaux proposés dans le cadre des filières d’élite (pôle Espoir ou pôle France) et liés aux hôpitaux publics. La période de passation du questionnaire (initialement prévue sur une durée de trois mois) a été revue à la hausse (neuf mois environ entre mars et décembre 2014) afin de récolter un nombre de questionnaires permettant de répondre aux exigences de l’analyse quantitative. Par ailleurs, trois critères d’inclusion ont été retenus : être âgés de 11 à 18 ans, participer à des compétitions sportives, effectuer une consultation médicale ou participer à un bilan médical lié à sa pratique sportive (dans le cadre d’une surveillance médicale réglementaire définie par le Code du sport L. 231-6 ou d’accords passés avec certains clubs sportifs de la région). Ce questionnaire anonymisé a fait l’objet d’une passation en côte à côte auprès de 191 jeunes sportifs. A chaque début de passation du questionnaire, après une brève présentation orale de l’enquête, a été distribuée au responsable légal de l’adolescent une notice d’information (cf. annexe) relative à l’étude présentant ses objectifs et ses obligations conformément aux recommandations de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). A cette notice était joint une lettre de consentement de participation (cf annexe) devant être signée par les parents ou responsables légaux accompagnant leurs enfants et leur garantissant l’anonymat, le droit de retrait et le respect du secret médical. Les responsables des antennes médicales de prévention du dopage les ont ensuite archivé au sein de leur service. Les dossiers médicaux des jeunes sportifs interrogés n’ont pas été consultés. Cette étude a obtenu l’accord du comité éthique du CHU de Saint-Étienne. Le questionnaire et ses documents attenants ont été soumis et validés par le comité éthique de l’AMA. Une étude exploratoire par entretien semi-directif auprès de jeunes sportifs (n = 12) a permis de définir une série d’indicateurs visant à approcher l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs. Le questionnaire est construit autour de plusieurs thématiques (cf annexe): - caractéristiques sociodémographiques de l’individu interrogé - pratique(s) sportive(s) de l’enquêté - Place du sport dans la sphère familiale de l’enquêté - Entraînement de l’adolescent sportif - Scolarité menée par l’enquêté 73 - Habitudes de vie de l’enquêté - Entourage de l’enquêté - relations à la médecine, au sport et à la douleur observées chez l’enquêté - relations entre dopage, sport et douleur chez l’enquêté Dans un contexte où les consommations de produits dopants sont stigmatisées et officiellement « chassées » (Grémion, Saugy, 2013) et dans la mesure où les plus jeunes sportifs répondaient souvent en présence de leurs parents, que ceux-ci (parents ou adolescents) pouvaient être soucieux de fournir une réponse « socialement désirable » (Bloodworth e al. 2012) nous sommes partis du principe que les adolescents sportifs consommaient des médicaments pour faire face à la douleur. Nous avons donc choisi d’orienter le questionnement en ce sens. Aussi, nous ne leur avons pas demandé s’ils prenaient des médicaments contre les douleurs sportives mais nous leur avons demandé quand est-ce qu’ils prenaient le plus ces médicaments contre ces douleurs. Le temps de la passation du questionnaire était de 15 minutes environ. Cette durée ne fut en grande majorité pas une contrainte pour les enquêtés rencontrés dans le cadre de leur attente pour effectuer des bilans médicaux au sein de services de médecine du sport. La saisie des données a été effectuée à l’aide d’une mise en ligne du masque de saisie sous Lime Survey©. La gestion et l’hébergement de la page Internet du questionnaire a été réalisée par nathalie Dejong, assistante de production et d’analyse des données au sein du laboratoire TRIANGLE à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Le traitement des données récoltées a été produit à l’aide du logiciel de traitement de données Modalisa© Le nombre de questionnaires recueillis est de 191 se distribuant comme suit : Tableau des effectifs et % de répondants selon le lieu de passation du questionnaire Lyon Nantes Saint-Étienne Total Effectifs 112 2 77 191 % 58,6% 1,0% 40,3% 100,0% 74 Chapitre 1 La population des jeunes sportifs Les données recueillies permettent une analyse statistique approfondie. Les individus interrogés composent une population cohérente. La représentation des différentes classes d’âge, de sexe, mais aussi de niveau de pratique sportive ou de degré d’ancienneté dans la pratique sportive est satisfaisante. La distribution entre sports collectifs et sports individuels est, elle aussi, bien équilibrée. D’un point de vue général, on constate une corrélation entre l’âge des jeunes sportifs et leur niveau d’ancienneté dans la pratique sportive. Les jeunes pratiquent majoritairement leur sport en club mais le sport à l’UNSS 38 n’est pas non plus délaissé. Un nombre non négligeable de jeunes sportifs sont surclassés ou participent à des compétitions de niveau supérieur à leur niveau d’inscription en club. 1. La structure de la population (âge, sexe, scolarité, ancienneté dans la pratique) Les données recueillies sur les sites étudiés (principalement Lyon et Saint-Étienne) permettent d’observer une population bien dispersée selon les âges et les sexes. La population étudiée est majoritairement masculine : 60,7% des enquêtés sont de sexe masculin mais la population féminine constitue néanmoins 39,3% des répondants. Tableau des effectifs et du % des répondants par sexe Féminin Masculin Total Effectifs 75 116 191 % 39,3% 60,7% 100,0% La pyramide des âges par sexe est plutôt équilibrée : 38 L’Union Nationale du Sport Scolaire (collège et lycée) est une association qui a pour mission d’organiser et de développer la pratique d’activités sportives. Pour approfondir la pratique de certaines disciplines, l’UNSS propose à ses licenciés des sections sportives et elles leur permet aussi de participer à des championnats. 75 Tableau des % de réponses par classe d’âge et par sexe Moins de 13 de 13 à moins de 15 de 15 à moins de 17 17 et plus Total Féminin 10,5 6,8 13,6 8,4 39,3 Masculin 16,2 14,7 21,5 8,4 60,7 Total 26,7 21,5 35,1 16,8 100,0 Les populations féminines et masculines sont assez ressemblantes en termes d’âge, en particulier pour les plus petits et les plus grands. Les garçons sont toutefois deux fois plus nombreux entre 13 et 15 ans et une fois et demi plus nombreux pour les 15-17 ans. En terme de niveau d’étude, la population se répartit entre 48,4 % de la population au collège, 50% au lycée et 1,6% dans le supérieur. Tableau des % de répondants par niveau d’étude Collège Lycée Supérieur Total Effectifs 92 95 3 190 % 48,4% 50,0% 1,6% 100,0% 2. Une scolarité « aménagée » pour la pratique sportive Les jeunes ayant une pratique sportive intensive doivent tenter de lier pratique sportive et scolarité. Le système scolaire français permet, pour un certain nombre de jeunes athlètes, d’aménager l’emploi du temps scolaire en fonction de leur pratique sportive. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire ? Oui Non Total Effectifs 105 86 191 % 55,0% 45,0% 100,0% Ainsi, 55 % des jeunes interrogés bénéficient d’horaires aménagés dans leur établissement scolaire. Ces horaires aménagés sont observables pour les jeunes autant au collège qu’au lycée. 76 Tableau croisé des questions : Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire (Recodage) / 11R1. Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) Tableau : %. Khi2=0,162 ddl=2 p=0,922 (Val. théoriques < 5 = 2) Collège 26,3 22,1 48,4 Oui Non Total Lycée 28,4 21,6 50,0 Supérieur 0,5 1,1 1,6 Total 55,3 44,7 100,0 L’aménagement de l’emploi du temps des jeunes sportifs semble permettre aux enquêtés de mener de front leur double inscription. Les absences des établissements scolaires sont peu nombreuses. Pour preuve, ces élèves ont, en moyenne, été absents de leur établissement 1,75 jours au cours du dernier trimestre pour des raisons « sportives ». Ces absences sont liées à la participation à une compétition, à un entraînement ou à une sélection pour 62,4 % des cas, et à un rendez-vous médical dans 32,3 %. Seuls 4,3 % des absences le sont pour « récupérer. » Les résultats scolaires des enquêtés sont en grande majorité bons ou excellents : Tableau du pourcentage de réponses à la question : Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre : 15 à 20 10 à moins de 15 5 à moins de 10 Total Effectifs 62 115 3 180 % 34,4% 63,9% 1,7% 100,0% 34,4 % des jeunes avaient obtenu, au trimestre précédent l’enquête, une moyenne générale comprise en 15/20 et 20/20, 63,9 % entre 10/20 et 15/20, 1,7 % entre 5/20 et 10/20 et aucun entre 0/20 et 5/20. Ces bons résultats tendent d’ailleurs vers l’excellence si l’on observe la dispersion des moyennes générales des enquêtés en fonction de leur niveau scolaire. Tableau croisé des questions : Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) 77 Khi2=18,9 ddl=4 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5) 15 à 20 10 à moins de 15 5 à moins de 10 Total Collège 45 Lycée 17 Supérieur Total 62 45 67 2 114 2 1 3 86 3 179 90 Les collégiens ont, en tendance, une moyenne générale comprise en 15/20 et 20/20 et les lycéens comprise entre 10/20 et 15/20. En termes de filières d’études, les études générales sont privilégiées (74,1 % des lycéens sont inscrits dans une filière générale). 14,1 % des lycéens sont dans une filière professionnelle et 11,8 % dans une filière technologique. 3. Ancienneté de la pratique sportive La population étudiée témoigne d’une ancienneté élevée dans la pratique sportive. Cette ancienneté importante l’est d’autant plus au vu de l’âge des répondants. Résumé statistique des réponses à la question : Quel est ton âge ? Résumés statistiques Moyenne Ecart-type Minimum Maximum Somme Nombre 7,05 3,31 1 15 1346 191 En effet, les jeunes interrogés pratiquent en moyenne leur sport depuis 7,05 années. L’ancienneté dans la pratique sportive est liée à l’âge : Tableau croisé des questions : Quel âge as-tu / Depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ? 78 Moins de 13 de 13 à moins de 15 de 15 à moins de 17 17 et plus Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 5,2 11,5 9,4 3,7 3,1 8,4 4,2 9,9 7,9 2,6 2,6 6,3 15,7 27,2 31,9 10 et plus Total 0,5 6,3 13,1 5,2 25,1 26,7 21,5 35,1 16,8 100,0 Sur ce tableau croisé, les cases coloriées en vert (clair) mettent en évidence l’attraction entre deux variables, les cases coloriées en bleu (foncé), la répulsion entre deux variables. On observe ici un lien entre l’âge et l’ancienneté dans la pratique sportive. On peut considérer qu’en tendance, les sportifs les plus âgés sont aussi ceux ayant la plus grande ancienneté dans la pratique. On a ainsi une tendance à la poursuite d’une même activité sportive au fil du temps. 4. Les jeunes et leur pratique sportive (sport, niveaux et filières d’excellence) La population enquêtée se répartit de façon équilibrée entre pratique d’un sport collectif et pratique d’un sport individuel. On sait que cette distinction est importante puisque quelques travaux estiment que les sports collectifs sont plus traumatisants (sur le plan somatique) que les sports individuels (Theisen et al. 2013) Pourcentage recodé des répondants à la question : Quel est ton sport principal ? Sport collectif Sport individuel Total Effectifs 87 92 179 % 48,6% 51,4% 100,0% Concernant notre étude 25 sports sont représentés, en particulier la gymnastique (23,3%), le football (17,2%), le basket-ball (10%), l’athlétisme (7,8%), le rugby (7,2%), le handball (6,1%), le volley-ball (5,6%) et le judo (4,4%). Quant aux filières de haut-niveau ou d’accès aux filières de haut-niveau, elles sont bien représentées dans cette enquête puisque 62,9 % des enquêtés font partie de ces filières d’élite 79 sportive Pourcentage de répondants à la question : Fais-tu partie d’un : Section sportive scolaire CRESP Pôle Espoir Pôle France INSEP Autre Total / interrogés Effectifs 42 2 43 29 1 10 202 % 20,8% 1,0% 21,3% 14,4% 0,5% 5,0% 62,9% 20,8% font partie d’une section sportive scolaire, 21,3 % des enquêtés font partie d’un Pôle espoir, et 14,4 % ont intégré un Pôle France. En plus de l’inscription dans ces filières spécifiques, la quasi-totalité des répondants pratiquent leur sport dans un club (95,8 %) et 20,9 % des jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un club. Pourcentage de répondant à la question : Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un club ? Non Oui Total Effectifs 151 40 191 % 79,1% 20,9% 100,0% Par contre, très peu de jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un sponsor : Pourcentage de répondant à la question : Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un sponsor ? Non Oui Total Effectifs 185 6 191 % 96,9% 3,1% 100,0% La population interrogée est non seulement marquée par la pratique du sport en club (95,8 %) mais aussi par une pratique d’activité sportive en milieu scolaire avec 36,6 % des jeunes affirmant être inscrits à l’Union nationale du sport scolaire (UNSS). 80 Pourcentage de réponses à la question : Es-tu inscrit à l’UNSS ? Effectifs 70 121 191 Oui Non Total % 36,6% 63,4% 100,0% La majeure partie des enquêtés n’a fréquenté que peu de clubs : captifs, 82,9 % des jeunes interrogés affirment n’avoir fréquenté qu’un ou deux clubs depuis le début de leur activité sportive. Si la majeure partie des jeunes sportifs vivent chez leurs parents, 25,7 % des enquêtés sont en internat. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tu es en internat ? Effectifs 49 142 191 Oui Non Total % 25,7% 74,3% 100,0% L’intégration de l’internat se fait le plus souvent au lycée. Les collégiens sont ainsi plus nombreux à vivre chez leurs parents que les lycéens. Tableau croisé des questions : Tu es en internat ? (Recodage) / 11R1. Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) Khi2=14,1 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2) Oui Non Total Collège 13 79 92 Lycée 36 59 95 Supérieur 3 3 Total 49 141 190 L’intégration de l’internat témoigne le plus souvent d’une opportunité en termes de carrière sportive professionnelle. En effet, les jeunes en internat sont en tendance davantage inscrits dans une formation sportive d’excellence telle que le Pôle Espoir ou le Pôle France. 81 Tableau croisé des questions : Tu es en internat ? (Recodage) Recodage du Centre de Formation Base Répondants. Khi2=27,9 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5) Section sportive scolaire Eff. Oui 6 Non 36 Total 42 PEM 65% CRESP Eff. 65% Pôle Espoir PEM Pôle France INSEP Eff. PEM Eff. PEM Eff. 30 49% 12 1% 1 2 13 49% 17 -1% 2 43 29 1 Autre PEM Eff. PEM Total Eff. 3 48 7 72 PEM 10 Dans tous les cas, la proximité entre le lieu d’habitation et le club dans lequel est inscrit le jeune sportif est privilégiée. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Combien de temps mets-tu pour te rendre dans ce club ? Moins de 30 minutes De 30 minutes à moins d'une heure Une heure et plus Total Effectifs 139 29 % 76,8% 16,0% 13 181 7,2% 100,0% En effet, 76,8 % des répondants mettent moins de 30 minutes pour se rendre dans leur club. Concernant leur pratique sportive en club, la population se distribue de manière équilibrée entre les niveaux départementaux et régionaux (respectivement 24,7 % et 24,1 % de la population). Presque la moitié des enquêtés est inscrite dans un club leur permettant d’évoluer à un niveau national (43,7 % des enquêtés). Le niveau international reste quant à lui légèrement sous-représenté (7,5 % des enquêtés). Tableau du pourcentage de réponses à la question: Quel est ton niveau en club ? Départemental Régional National International Total Effectifs 43 42 76 13 174 % 24,7% 24,1% 43,7% 7,5% 100,0% 82 Les niveaux nationaux et internationaux sont par ailleurs amplifiés lorsqu’il s’agit de la compétition : 47,8 % des enquêtés participent à des compétitions de niveau national et 20 % à des compétitions de niveau international. Tableau du pourcentage de réponses à la question: Quel est le plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ? Départemental Régional National International Total Effectifs 28 30 86 36 180 % 15,6% 16,7% 47,8% 20,0% 100,0% 5. Le sur-classement Ce tableau présente la répartition des enquêtés selon leur niveau maximum de compétition auquel ils ont participé. L’écart entre le niveau d’inscription en club et le plus haut niveau de compétition auquel les jeunes participent est notamment lié à la possibilité d’avoir recours au sur-classement des jeunes afin qu’ils participent à des compétitions de niveau supérieur ou qu’ils s’inscrivent dans une activité sportive de plus haut niveau que celui auquel ils devraient être en fonction de leur âge et/ou de leur ancienneté. Comme nous le verrons, le surclassement des athlètes constitue un bon indicateur de l’investissement effectué sur l’adolescent pour lequel on escompte une intégration dans les filières de haut niveau. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Es-tu surclassé(e) ? Oui Non Total Effectifs 60 131 191 % 31,4% 68,6% 100,0% Le sur-classement concerne 31,4 % des jeunes sportifs interrogés, en particulier les sportifs de niveau régional et national. 83 6. Une pratique du sport « intensive » La pratique intensive du sport chez les jeunes est souvent mesurée par le nombre d’heures d’entraînement par semaine. On trouve peu de définitions de la notion de sport intensif. Certaines études considèrent qu’à partir de 8 heures d’entraînement par semaine, l’enfant ou l’adolescent s’inscrit dans une pratique intensive du sport. D. Purper-Ouakil et al (2002) notent « qu’en l’état des connaissances actuelles, il n’est pas possible de définir correctement le seuil à partir duquel une pratique sportive devient intensive pour un enfant ou un adolescent. De même il n’y a pas de critères opérationnels permettant de définir le caractère pathologique d’un style d’activité physique, même si le caractère compulsif ou addictif et le retentissement délétère sur l’adaptation psychosociale peuvent être retenus comme des signes d’appel. » (Purper-Ouakil 2002) Il n’est d’ailleurs pas rare d’identifier rétrospectivement la pratique intensive du sport par la survenue d’un syndrome de surentraînement ou par la survenue d’un burn out (Prétagut, Guérineau, 2014). Si le nombre d’heures d’entraînement par semaine constitue un indicateur de premier ordre pour saisir l’intensité de la pratique sportive, il ne permet pas de mesurer le temps effectif que les athlètes consacrent à leur activité sportive. Pour approcher l’emploi du temps sportif des jeunes, il convient en effet de compléter les informations recueillies par le nombre d’heures d’entraînement par semaine à l’aide d’autres indicateurs tels que le nombre de compétitions effectuées au cours d’un mois, la pratique de la musculation (avec ou sans appareils, en club, en salle ou à la maison) et la pratique d’une ou de plusieurs autre(s) activité(s) sportive(s). Il apparaît ainsi que l’entraînement, autour duquel s’organise l’emploi du temps du jeune sportif, ne résume pas le temps effectivement passé à la pratique d’une activité sportive. En moyenne, les jeunes sportifs interrogés s’entraînent 10,99 heures par semaine mais de grandes disparités sont observables (écart-type = 8,45). Combien d’heures d’entraînement as-tu par semaine ? Recodage en classes Heures Moins de 7 de 7 à 13 de 13 à 19 de 19 à 25 de 25 à 31 31 et plus Total Effectifs 74 60 22 4 27 4 191 % 38,7% 31,4% 11,5% 2,1% 14,1% 2,1% 100,0% 84 Minimum=1 Maximum=36 Somme=2099 Moyenne=10,99 Ecart-type=8,45 Classes d'amplitude égale : 6 Si un grand nombre de jeunes s’entraînent moins de 7 heures par semaine (38,7 %), 31,4 % des jeunes athlètes effectuent entre 7 et 13 heures d’entraînement par semaine, 11,5 % entre 19 et 25 heures par semaine et 14,1 % des jeunes sportifs s’entraînent entre 25 et 31 heures par semaine. Cet entraînement s’organise en sessions d’entraînement. En moyenne, les jeunes ont 4,59 sessions d’entraînement par semaine mais, là encore, les disparités sont importantes. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Combien d'entraînements as-tu en moyenne au cours d’une semaine ? Nombre de sessions/semaine Moins de 3 de 3 à 5 de 5 à 7 de 7 à 9 de 9 à 11 11 et plus Total Effectifs 56 47 52 12 19 5 191 % 29,3% 24,6% 27,2% 6,3% 9,9% 2,6% 100,0% Minimum=1 Maximum=12 Somme=877 Moyenne= 4,59 Ecart-type=2,8 Classes d'amplitude égale : 6 L’emploi du temps du jeune sportif est par ailleurs marqué par la participation à des compétitions sportives. Au cours d’un mois, les jeunes athlètes participent en moyenne à 2,76 compétitions. Le nombre de compétitions varie comme suit : Recodage en classes des réponses à la question : A combien de compétitions participes-tu en moyenne au cours d'un mois ? Nombre de compétition(s)/mois 1 2 3 4 5 et plus Total Effectifs 56 31 22 58 14 181 % 30,9% 17,1% 12,2% 32,0% 7,7% 100,0% 32 % des jeunes interrogés effectuent 4 compétitions par mois, 29,3 % entre 2 et 3 compétitions par mois, et 30 % une compétition par mois. Par ailleurs, il faut ajouter aux sessions d’entraînement et aux compétitions la pratique de la musculation qui est 85 particulièrement importante au sein de la population interrogée. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tu pratiques la musculation ? Effectifs 60 65 66 191 Non Oui, avec appareils Oui, sans appareils Total % 31,4% 34,0% 34,6% 100,0% 68,6 % des jeunes sportifs interrogés pratiquent en effet la musculation. Cette pratique se fait pour 34 % des athlètes sur appareils et pour 34,6 % des jeunes sportifs sans appareil. La pratique de la musculation au sein de cette population est donc majoritaire puisque seuls 31,4% des jeunes athlètes ne font pas de musculation. Tableau croisé des questions : Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) Tableau : %. Khi2=22,8 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2) Non Oui Total Collège Lycée 22,6 25,8 48,4 7,4 42,6 50,0 Supérieu r 1,1 0,5 1,6 Total 31,1 68,9 100,0 Tableau croisé des questions : Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=10,5 ddl=3 p=0,015 (Très significatif) Oui Non Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 7,3 19,4 21,5 8,4 7,9 10,5 15,7 27,2 31,9 10 et plus Total 20,4 4,7 25,1 68,6 31,4 100,0 La pratique de la musculation est liée à l’âge des sportifs. En effet, on constate que la pratique de la musculation augmente en fonction de son âge et et de son ancienneté dans la pratique sportive. En moyenne, les jeunes sportifs faisant de la musculation la pratiquent pendant 2,6 heures par semaine. Une fois de plus les disparités entre les individus (écart-type = 1,86) sont importantes. La pratique de la musculation s’effectue le plus souvent au club dans lequel est 86 inscrit le jeune sportif (65,1%) mais elle peut se faire à la maison (27%), dans une salle de musculation (6,6%) ou encore dans les pôles des filières d’accès au sport de haut-niveau (UNSS, pôle Espoir, pôle France), voire chez un kinésithérapeute. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tu pratiques la musculation pour : Augmenter tes capacités physiques Améliorer tes performances Diminuer le risque de blessures ou de douleurs Te rééduquer Ton apparence Total / répondants Effectifs 102 98 71 34 32 131 % 77,9% 74,8% 54,2% 26,0% 24,4% Les sportifs ont recours à la musculation pour plusieurs raisons : pour augmenter leurs capacités physiques (77,9 %), pour améliorer leurs performances (74,8 %) mais aussi pour diminuer le risque de blessures ou de douleurs (54,2 %), se rééduquer (26 %) ainsi que pour leur apparence (24,4 %). Enfin, aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 % s’ajoute la pratique d’une ou de plusieurs autres activités sportives. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Mis à part ton sport principal et éventuellement la musculation, est-ce que tu as une ou plusieurs autres activités sportives ? Oui Non Total Effectifs 62 129 191 % 32,5% 67,5% 100,0% Aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 % de notre population pratique occasionnellement une ou plusieurs autres activités sportives différentes de celle pratiquée officiellement en club. Cette pratique supplétive du sport, au-delà de son aspect ludique, peut être associée à des fins thérapeutiques (comme la natation par exemple) destinée à apaiser des douleurs liées à la pratique sportive principale de l’athlète. 87 7. Synthèse Légèrement plus masculine que féminine, la population des jeunes athlètes engagés dans une pratique sportive intensive voit son emploi du temps (au collège comme au lycée) organisé autour de leur activité sportive. La pratique sportive des enquêtés est marquée par un important nombre d’heures d’entraînement. Elle est aussi rythmée par une participation régulière à des compétitions sportives. De plus la pratique sportive des enquêtés s’accompagne d’autres activités sportives visant à pallier aux douleurs liées à leur sport principal. Les pratiques sportives ont aussi une fonction thérapeutique (cf. partie I). Si l’inscription en club est centrale, elle est souvent complétée d’une inscription à l’UNSS, complétée pour les moins jeunes d’une pratique régulière de la musculation et parfois par la pratique d’une autre activité sportive. 88 Chapitre 2 Des différences observables entre garçons et filles Les jeunes athlètes engagés dans une pratique sportive intensive témoignent, dans leurs réponses, de disparités non négligeables selon le sexe. Qu’il s’agisse du type de sport privilégié ou du mode d’engagement dans une carrière sportive (poursuite d’une même activité sportive au fil du temps, investissement du sportif de la part de l’entraîneur ou des autres mondes sociaux), des disparités sont observables selon le sexe des individus interrogés. 1. Les filles et les sports individuels / les sports collectifs et les garçons On constate une proportion plus importante de garçons engagés dans la pratique de sports collectifs et de filles dans celle de sports individuels. Tableau croisé : pratique d’un sport individuel ou collectif / sexe Tableau : %. Khi2=4,16 ddl=1 p=0,039 (Significatif) Sport collectif Sport individuel Total Féminin 14,0 22,9 36,9 Masculin 34,6 28,5 63,1 Total 48,6 51,4 100,0 Une attraction (bleu /foncé) pour les sports collectifs et une répulsion (vert/clair) pour les sports individuels est repérable au sein de la population masculine ainsi qu’une attraction pour les sports individuels et une répulsion pour les sports collectifs au sein de la population féminine. Les garçons investissent donc en tendance plus aisément les sports collectifs que les filles et les filles s’engagent tendanciellement plus dans les sports individuels que les garçons. 89 2. Des sportifs « jeunes » mais un engagement « ancien » Comme mis en évidence plus haut, bien qu’étant une population composée de jeunes sportifs (âgés de 11 à 18 ans), on observe déjà une ancienneté importante de la pratique du sport chez ces individus : Tableau des effectifs, % et résumé statistique pour la question : Depuis combien d’année pratiques-tu ton sport principal ? Moins de 4 de 4 à moins de 7 de 7 à moins de 10 10 et plus Total Résumés statistiques Moyenne Ecart-type Minimum Maximum Somme Nombre Sans rép Effectifs 30 52 61 48 191 % 15,7% 27,2% 31,9% 25,1% 100,0% 7,05 3,31 1 15 1346 191 11 De la même manière, il convient de rappeler que les jeunes sportifs pratiquent en moyenne leur sport depuis sept ans. L’ancienneté de la pratique sportive est liée à l’âge des individus interrogés. Tableau croisé des questions (recodées) : tu as quel âge ? / depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ? Tableau : %. Khi2=28,5 ddl=9 p=0,001 (Très significatif) Moins de 13 de 13 à moins de 15 de 15 à moins de 17 17 et plus Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 5,2 11,5 9,4 3,7 3,1 8,4 4,2 9,9 7,9 2,6 2,6 6,3 15,7 27,2 31,9 10 et plus Total 0,5 6,3 13,1 5,2 25,1 26,7 21,5 35,1 16,8 100,0 En plus de leur ancienneté dans le sport principal dans lequel ils s’inscrivent, près de 60 % des jeunes sportifs ont pratiqué une autre activité sportive avant de débuter leur activité. 90 Tableau des effectifs et % à la question : Tu pratiquais un autre sport avant de débuter celui-ci ? Oui Non Total Effectifs 112 79 191 % 58,6% 41,4% 100,0% Le lien entre âge et ancienneté est aisément compréhensible. Il signifie que les plus jeunes ont, en tendance, débuté leur pratique sportive depuis moins longtemps que les sportifs plus âgés. Toutefois elle nous informe aussi sur une règle guidant la carrière des jeunes sportifs. Pour ceux-ci, la tendance à poursuivre une même activité sportive est privilégiée. Les plus âgés étant aussi ceux présentant l’ancienneté la plus importante, la corrélation observée entre l’âge et l’ancienneté permet de mettre en évidence que les jeunes sportifs sont, en tendance, découragés à changer d’activité sportive ou à débuter une activité sportive tardive. En observant cette question de l’ancienneté de la pratique sportive, on observe par ailleurs une corrélation entre le sexe et l’ancienneté dans la pratique. Tableau croisé : Ancienneté dans la pratique sportive / sexe Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=3 p=0,005 (Très significatif) Moins de 4 de 4 à moins de 7 de 7 à moins de 10 10 et plus Total Féminin 7,9 15,2 9,4 6,8 39,3 Masculin 7,9 12,0 22,5 18,3 60,7 Total 15,7 27,2 31,9 25,1 100,0 Cette tendance est toutefois moins nette chez les filles que chez les garçons. En tendance, les filles présentent une ancienneté moindre que les garçons. Les filles poursuivent moins souvent que les garçons la même activité sportive au fil du temps. De ce constat d’une corrélation entre le sexe et l’ancienneté de la pratique sportive, deux questionnements émergent. Un premier a trait au mode de sélection des sportifs. On peut émettre l’hypothèse que les garçons sont davantage incités à poursuivre une même activité sportive que les filles. Le second interroge la manière dont se construit socialement une projection dans le cadre d’un possible devenir de sportif professionnel. Pour engager une réflexion sur ces questions, croisons la question du sexe avec d’autres variables présentes dans le questionnaire. Tout d’abord, pour la première hypothèse d’une sélection différente selon les sexes, comparons le niveau des jeunes sportifs interrogés en fonction de leur sexe : 91 Tableau croisé : Quel est ton niveau en club ? / Sexe Tableau : % Colonnes. Khi2=0,336 ddl=3 p=0,952 (Peu significatif) Départemental International National Régional Total Féminin 23,9 7,5 46,3 22,4 100,0 Masculin 25,2 7,5 42,1 25,2 100,0 Total 24,7 7,5 43,7 24,1 100,0 Le niveau en club par sexe ne nous permet pas de mettre en évidence de différence significative entre garçons et filles dans le recrutement des sportifs de haut niveau. Toutefois, le seul niveau en club ne permet pas de mesurer l’investissement porté sur un athlète. La variable sur-classement (mesurant l’inscription à un niveau de pratique et de compétition supérieur au niveau auquel un sportif devrait être inscrit en fonction de son âge ou son ancienneté) peut être croisée avec celle du sexe des enquêtés. Tableau croisé : Es-tu surclassé / Sexe %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif) Non Oui Total Féminin 26,7 12,6 39,3 Masculin 41,9 18,8 60,7 Total 68,6 31,4 100,0 3. Devenir sportif professionnel ? On peut affirmer qu’en tendance, les jeunes athlètes masculins font l’objet d’un investissement supérieur que les jeunes athlètes féminins. Cette proposition doit être complétée par la manière dont les adolescents se projettent dans la carrière sportive selon leur sexe. En effet, on pourrait imaginer que les jeunes filles se projettent moins aisément dans une carrière professionnelle que les jeunes garçons du fait du plus faible degré de professionnalisation du sport féminin. Pour mesurer la manière dont garçons et filles se projettent de manière différenciée dans l’éventualité d’une carrière de professionnel du sport, on peut mobiliser les réponses à la question : « Plus tard, t’imagines-tu sportif professionnel ? » et les croiser avec la variable sexe : Tableau croisé : Plus tard, t’imagines-tu sportif professionnel ? / Sexe 92 Tableau : %. Khi2=10,8 ddl=3 p=0,013 (Très significatif) Oui, tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non pas du tout Total Féminin 3,0 16,1 8,3 8,9 36,3 Masculin 13,7 33,3 10,1 6,5 63,7 Total 16,7 49,4 18,5 15,5 100,0 On constate des réponses très campées selon les sexes. En tendance, les garçons s’imaginent plus sportifs professionnels que les filles. On remarque ainsi un lien entre le sexe des sportifs, l’investissement dont ils font l’objet et leur possibilité de se projeter dans une carrière de sportif professionnel. Tableau croisé : A part toi, qui t'imagine sportif professionnel ? / Sexe Tableau : % Lignes - Base Répondants. Khi2=11,9 ddl=6 p=0,063 (Val. théoriques < 5 = 1) Tes parents, ta famille Ton coach ou ton entraîneur du club Des copains ou des amis du club Des copains ou des amis extérieurs au club D’autres personnes de ton club ou de la fédération Le personnel de ton collège ou de ton lycée Personne Total Féminin 30,0 32,7 40,0 26,7 Masculin 70,0 67,3 60,0 73,3 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 38,5 61,5 100,0 25,0 52,6 75,0 47,4 100,0 100,0 La réponse à la question : « A part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? » est tout aussi intéressante. On observe (notamment en ramenant à 100 les effectifs de chaque ligne) à quel point l’investissement en matière de pratique sportive de la part des représentants des mondes sociaux sur le devenir professionnel des jeunes sportifs est différencié selon le sexe. En effet, les garçons font l’objet d’un investissement bien supérieur à celui des filles (mesuré par la question : « à part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? »). C’est d’ailleurs pour la modalité de réponse « personne » que les filles obtiennent un score supérieur à celui des garçons. 4. Synthèse 93 La pratique d’un sport intensif est en lien avec le sexe des enquêtés. Les jeunes garçons tendent plutôt à investir les sports collectifs. Quant aux jeunes filles, elles pratiquent plus volontiers un sport individuel. En matière de mode d’engagement dans la carrière sportive, les garçons, plus encouragés à la performance, plus souvent surclassés et globalement plus investis par différents mondes sociaux pour intégrer le haut niveau, poursuivent davantage une même pratique sportive et s’imaginent plus volontiers devenir sportifs professionnels. Les filles sont, quant à elles, moins encouragées à la performance, moins souvent surclassées et globalement moins investies par les autres pour intégrer une carrière sportive professionnelle. 94 Chapitre 3 Le sport : une affaire de famille La pratique sportive se joue dans les clubs et au sein des pôles d’excellence des fédérations sportives nationales. Reste que les familles des jeunes engagés dans une pratique sportive intensive vivent au rythme de l’emploi du temps sportif des jeunes athlètes. La famille constitue un point d’ancrage fort au moins chez les plus jeunes. En enquêtant sur la famille des jeunes athlètes, on note la prégnance du sport au sein des foyers, faisant du sport une « affaire de famille » (Kay, 2000). Le sport est pour ces jeunes un objet familier et nombre d’athlètes s’inscrivent dans une lignée de sportifs. L’investissement des parents est central dans la compréhension de la pratique sportive des jeunes interrogés. 1. La situation familiale En matière de structure familiale, les jeunes sportifs vivent au sein de fratries légèrement moins importantes au regard de la population française générale. Résumé statistique pour la question : Combien de frères et sœurs as-tu au total ? Résumés statistiques Moyenne Ecart-type Minimum Maximum Somme Nombre 1,83 1,15 0 8 347 190 En moyenne, les fratries de jeunes sportifs sont de 1,83 quand d’après l’INSEE le taux de fécondité en France est de 1,99 en 2012 (d’ailleurs en légère baisse par rapport aux années précédentes). Les jeunes athlètes sont, par ailleurs, issus de familles majoritairement mariées (69,5%) ou en union libre (10%). 95 Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents sont Autre Célibataires Divorcés En union libre Mariés Pacsés Total Effectifs 7 3 27 19 132 2 190 % 3,7% 1,6% 14,2% 10,0% 69,5% 1,1% 100,0% Les jeunes sportifs interrogés ont majoritairement des parents mariés ou pacsés (70,6 %). 14,2 % des jeunes sportifs ont des parents divorcés, 10 % vivant en union libre, 3,7 % (catégorie « autre » composée de parents « séparés » ou « décédés ») et 1,6 % étant célibataires. Les jeunes sportifs font par ailleurs partie de fratries de 1,83 individu en moyenne. 2. La situation sociale des parents Plus que la structure familiale des jeunes sportifs, c’est la place importance du sport dans les familles qui est pertinente. Tout d’abord, en interrogeant la profession des parents, on observe qu’une part importante des jeunes sportifs est issue de familles de sportifs. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Profession du père (mondes de la médecine et des sports) profession médicale ou paramédicale professionnel des mondes du sport autre Total Effectifs 12 11 164 187 % 6,4% 5,9% 87,7% 100,0% Tableau du pourcentage de réponses à la question Profession de la mère (mondes du sport et de la médecine) Profession médicale ou paramédicale Professionnel des mondes du sport Autre Total Effectifs 60 8 122 190 % 31,6% 4,2% 64,2% 100,0% 96 10,1% des jeunes sportifs ont au moins un de leurs parents exerçant une activité professionnelle dans les mondes du sport (Professeurs d’EPS, entraîneurs, etc.). En effet, des jeunes sportifs ont un père (5,9%) et une mère (4,2 %) exerçant une activité professionnelle dans les mondes du sport. On observe ainsi que, au-delà de l’emploi ou du statut, l’activité professionnelle en lien avec le sport, est une composante non négligeable des familles de jeunes sportifs. Par ailleurs, dans le cadre de notre enquête, il est pertinent d’observer une composante secondaire des familles des athlètes. En effet, 38% des jeunes sportifs ont au moins un de leurs parents exerçant une activité professionnelle dans les mondes de la médecine (médecins, infirmières, aides-soignantes, secrétaires médicales etc.). 6,4 % des pères exercent une activité professionnelle dans cette sphère d’activité et surtout, 31,6% des mères exercent une activité professionnelle dans le monde médical. Les mondes du sport ou de la médecine sont ainsi représentés dans 48,1 % des familles. 3. La situation sportive Au-delà de la pratique professionnelle, la pratique sportive concerne l’ensemble des membres de la famille des jeunes sportifs. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Qui, à part toi, pratique un sport dans ta famille ? (Recodage) Non réponse Parents ou beaux-parents Fratrie Personne Total / réponses Effectifs 20 105 145 21 271 % 38,7% 53,5% 7,7% 100,0% Seuls 7,7% des jeunes sportifs affirment n’avoir aucune autre personne de leur famille qui pratique un sport. 38,7 % des jeunes disent avoir des parents ou des beaux-parents pratiquant le sport et 53,5% un frère ou une sœur pratiquant une activité sportive. Ce qui est remarquable c’est que les membres de la famille pratiquent souvent un sport à haut niveau (36 % des cas). Tableau du pourcentage de réponses à la question : D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut-niveau ? 97 Effectifs 70 121 191 Oui Non Total % 36,6% 63,4% 100,0% On constate par ailleurs un lien significatif entre le fait d’avoir une personne de sa famille pratiquant ou ayant pratiqué un sport à haut niveau et le fait de s’imaginer sportif professionnel. Tableau du pourcentage de réponses à la question : D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut niveau / Plus tard, t’imagines-tu sportif professionnel ? Khi2=8,81 ddl=3 p=0,031 (Significatif) Oui, tout à fait Oui 12 Non 16 Total 28 Plutôt oui 33 50 83 Plutôt non 14 17 31 Non pas du tout 3 23 26 Total 62 106 168 On remarque en particulier que les personnes ne comptant pas de membre de la famille ayant pratiqué un sport à haut niveau ont plus de difficulté à se projeter dans une carrière de sportif professionnel. A contrario, ceux dont au moins un membre de la famille pratique ou a pratiqué un sport à haut-niveau se projettent plus aisément dans un avenir de sportif professionnel. 4. Surinvestissement parental et « conflits de loyauté » L’investissement des parents dans la pratique sportive de leur enfant a déjà fait l’objet de nombreux travaux issus de la psychopathologie ou de la pédiatrie. Certains ont souligné « l’incidence des relations parents-enfants sur le processus de santé des jeunes sportifs ». Le surinvestissement parental expose les jeunes sportifs à des risques et à de fortes répercussions psychopathologiques (Salla, Michel 2012). Effectivement, les parents des jeunes sportifs sont particulièrement impliqués dans la pratique sportive de leurs enfants. Ils suivent très largement leurs compétitions et assistent aux entraînements. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tes parents assistent à tes compétitions? 98 Oui Non Total Effectifs 175 5 180 % 97,2% 2,8% 100,0% Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tes parents assistent à l'entraînement ? Oui Non Total Effectifs 111 80 191 % 58,1% 41,9% 100,0% Seuls 2,8 % des parents n’assistent pas aux compétitions sportives de jeunes sportifs et 58,1% des parents assistent à leurs entraînements. Cette implication est particulièrement remarquable tant la fréquence des entraînements et des compétitions est élevée au sein de cette population. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents s'occupent-ils de ton entraînement ? Oui Non Total Effectifs 99 91 190 % 52,1% 47,9% 100,0% On observe même qu’à la question : « Tes parents s’occupent-ils de ton entraînement ? », 52,1% des jeunes sportifs répondent par l’affirmative. Le sport fait ainsi partie intégrante de la vie quotidienne des familles des jeunes sportifs. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tes parents sont impliqués dans la vie du club ? Oui Non Total Effectifs 99 92 191 % 51,8% 48,2% 100,0% Les parents jouent un rôle (51,8 %) dans la vie du club (trésoriers, accompagnateurs, entraîneurs, etc.). Cette implication des parents dans la vie du sportif peut conduire, au fil de la carrière du sportif, à des conflits de loyauté entre les différentes mondes dans lesquels il s’inscrit et circule. 99 Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ? Oui Non Total Effectifs 65 114 179 % 36,3% 63,7% 100,0% Si ces conflits de loyauté restent minoritaires, ils ne sont néanmoins pas négligeables puisque 36,3 % des jeunes sportifs répondent positivement à la question « Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ? ». Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ? Toujours Souvent Parfois Jamais Total Effectifs 4 8 53 114 179 % 2,2% 4,5% 29,6% 63,7% 100,0% Les conflits de loyauté auxquels doivent faire face les jeunes sportifs font intervenir plus spécifiquement deux figures : celle des parents et celle de l’entraîneur. L’école est exclue des conflits de loyauté autour de la carrière du jeune sportif. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Quels conseils suis-tu la plupart du temps ? Ceux de tes parents ou de ta famille Ceux de ton entraîneur ou de ton coach Ceux de ton établissement scolaire Total Effectifs 80 78 1 159 % 50,3% 49,1% 0,6% 100,0% Dans ces cas de conflits de loyauté, la place de l’entraîneur et celle des parents est d’égale importance. En effet, à la question: « Quels conseils suis-tu la plupart du temps ? », 50,3 % des jeunes sportifs affirment suivre « ceux de [leurs] parents ou de la famille » et 49,1 % « ceux de [leur] entraîneur ou de [leur] coach ». La tendance à résoudre les conflits de loyauté en suivant plutôt les conseils de l’entraîneur ou plutôt ceux des parents ou de la famille sont liés à l’âge des jeunes sportifs. On constate en particulier un inversement de la tendance entre le collège et le lycée. 100 Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) / Quels conseils suis-tu la plupart du temps ? Tableau : %. Khi2=4,42 ddl=4 p=0,352 (Val. théoriques < 5 = 5) Ceux de tes parents ou de ta famille Collège Lycée Supérieur Total 29,7 19,0 1,3 50,0 Ceux de ton entraîneur ou de ton coach 21,5 27,2 0,6 49,4 Ceux de ton Total établissemen t scolaire 0,6 51,9 46,2 1,9 0,6 100,0 Chez les plus jeunes (les collégiens), on peut noter une tendance au suivi des conseils provenant des parents ou de la famille quand, chez les lycéens, cette tendance s’inverse. Au lycée, les jeunes sportifs suivent davantage les conseils de leur entraîneur ou de leur coach à propos de leur carrière sportive. La manière dont les jeunes sportifs font face à d’éventuels conflits de loyauté entre parents et entraîneur, l’implication des parents dans la vie sportive de leurs enfants constituent autant d’indicateurs de la présence de deux figures centrales et d’égale importance dans la vie quotidienne du jeune sportif. Cette acceptation de deux autorités est d’ailleurs intégrée par le jeune athlète qui craint de décevoir ses parents et / ou son entraîneur plus que ses coéquipiers. Tableau du pourcentage de réponses à la question : A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ? Tes parents Ton entraîneur Tes coéquipiers Personne Des personnes de ton club autres que ton entraîneur Total / répondants Effectifs 88 88 63 43 8 179 % 49,2% 49,2% 35,2% 24,0% 4,5% A la question « A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ? », 49,2 % des jeunes sportifs répondent « Tes parents » et 49,2 % également « Ton entraîneur » ! Les coéquipiers viennent après (35,2 %), des personnes du club autres que l’entraîneur enfin (4,5 %). Par ailleurs, seuls 24 % des jeunes sportifs répondent : « Personne » à cette question. 101 5. Synthèse Les jeunes sportifs s’inscrivent d’abord prioritairement dans la sphère familiale. Du fait notamment de leur âge, les parents ont une place centrale dans l’organisation de leur vie quotidienne. Comme nous le verrons plus avant, les parents constituent les référents principaux pour les jeunes sportifs au moins jusqu’à leur entrée au lycée. Pour beaucoup d’adolescents, le sport fait l’objet d’une transmission familiale. Nombre d’enfants sportifs sont, en effet, issus de familles comptant d’autres sportifs (frères, sœurs, père, mère, etc.), parfois ayant pratiqué au plus haut-niveau. Cette familiarité dans la pratique sportive n’est pas sans conséquence puisque plus cette familiarité est importante, plus les jeunes tendent à se projeter dans une carrière de sportif professionnel. L’importance de la famille dans la pratique sportive du jeune se traduit, en outre, par un accompagnement proximal des parents dans la pratique sportive des jeunes. Accompagnateurs de leurs enfants à leurs compétitions ou à leurs entraînements, les parents peuvent aussi prendre part à la vie du club ou promulguer des conseils en matière de pratique sportive et nous le verrons des soins qui leur sont prodigués. Cette proximité entre vie familiale et vie sportive peut toutefois conduire le jeune à devoir faire face à des « conflits de loyauté » entre sa famille et son entraîneur. Ces conflits se résolvent de façon différenciée selon l’âge : les collégiens privilégiant les conseils des parents, les lycéens, ceux de leur entraîneur. 102 Chapitre 4 Le suivi « médical » des jeunes sportifs Les jeunes sportifs font l’objet d’un suivi médical particulier. Liant vie familiale et vie sportive au prix d’éventuels conflits de loyauté, les jeunes athlètes fréquentent au fil de leur carrière sportive un troisième monde, celui de la médecine du sport. Tableau du pourcentage de réponses à la question : La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle : Un médecin du sport Un médecin généraliste Un kinésithérapeute Un ostéopathe Tu n’as pas de suivi médical Autre Total Effectifs 79 42 32 14 4 6 177 % 44,6% 23,7% 18,1% 7,9% 2,3% 3,4% 100 % Seuls 2,3 % des enquêtés ne bénéficient pas de suivi médical. 44,6 % des jeunes athlètes sont principalement suivis par un médecin du sport, 23,7 % par un médecin généraliste. Par ailleurs, et c’est un point important, 26 % des jeunes sportifs sont principalement suivi par un kinésithérapeute (18,1 %) ou par un ostéopathe (7,9 %). Le suivi médical des jeunes sportifs évolue peu selon l’âge. Pour plus de lisibilité, observons comment se distribue le suivi médical entre collège et lycée : Tableau croisé des questions : La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Tu es en quelle classe actuellement? (Recodage) 103 Tableau : % Colonnes. Khi2=5,39 ddl=10 p=0,864 (Val. théoriques < 5 = 10) Un médecin du sport Un médecin généraliste Un kinésithérapeute Un ostéopathe Tu n’as pas de suivi médical Autre Total Collège 39,1 28,7 17,2 6,9 3,4 4,6 100,0 Lycée 51,2 18,6 19,8 8,1 1,2 1,2 100,0 Supérieur 33,3 33,3 33,3 100,0 Total 39 44,9 23,3 18,2 8,0 2,3 3,4 100,0 Dans ce tableau , la répartition du suivi médical des jeunes sportifs en fonction de leur classe, permet de mettre en évidence que le médecin du sport est plus souvent cité par les lycéens que par les collégiens, que le médecin généraliste est fait moins souvent partie des médecins sollicités par les lycéens que par les collégiens et que les kinésithérapeutes et les ostéopathes sont en tendance plus sollicités par les lycéens que par les collégiens. On peut émettre l’hypothèse que les professionnels de santé sollicités par les jeunes athlètes évoluent au fil de leur carrière sportive. La place du médecin généraliste tendrait à diminuer au profit de la médecine du sport et d’acteurs paramédicaux manipulant le corps du sportif. 1. Une évolution du suivi médical sensible selon l’ancienneté dans la pratique sportive A partir d’une analyse de la répartition de la prise en charge médicale selon l’ancienneté de la pratique sportive, quelques constats peuvent être avancés. Tableau croisé des questions : La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : % Lignes. Khi2=24,8 ddl=15 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 12) Moins de 4 Un médecin du sport Un médecin généraliste Un kinésithérapeute Un ostéopathe Tu n’as pas de suivi médical Autre Total 16,5 21,4 6,3 7,1 50,0 15,8 de 4 à moins de 7 22,8 40,5 9,4 35,7 50,0 16,7 26,0 de 7 à moins de 10 34,2 31,0 37,5 28,6 16,7 32,2 10 et plus Total 26,6 7,1 46,9 28,6 50,0 16,7 26,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 39 La variation du taux d’individus suivis par un médecin du sport est lié au croisement de deux variables n’ayant pas recueilli le même taux de réponses. 104 Tout d’abord, on observe un processus de médicalisation concernant l’ensemble de la population interrogée. En effet, le suivi médical (qu’elle que soit la spécialité concernée) est plus intense pour les individus déjà engagés dans la pratique sportive depuis plus de quatre ans. Ensuite, le type de suivi médical évolue non seulement en fonction de l’âge mais aussi selon l’ancienneté de la pratique sportive. En effet, le suivi par un médecin généraliste est en progression entre l’entrée dans la pratique sportive (21,4 %) jusqu’au seuil de sept années de pratique (40,5 %). Au-delà de dix ans d’ancienneté, le suivi par un médecin généraliste se raréfie. Seuls 7,1 % des personnes suivies par un médecin généraliste pratiquent leur sport depuis au moins dix ans. Le suivi par un médecin généraliste est, quant à lui, fréquent chez les individus engagés depuis peu de temps dans leur activité. Le suivi par un médecin du sport est de plus en plus fréquent à partir de quatre années de pratique sportive et fléchit au-delà de dix années d’ancienneté dans la pratique. La prise en charge du suivi médical par un kinésithérapeute est en progression continue au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive avec une augmentation particulièrement importante à partir de sept ans d’ancienneté. L’entrée dans les filières d’élite sportive s’accompagne d’une mise à disposition d’une équipe médicale aux compétences médicales et expertises diagnostiques diverses. Généralement les kinésithérapeutes sont fortement inscrits dans les réseaux de soins et de rééducation. Le suivi par un ostéopathe – suivi officieux et parfois parallèle - intervient plus tôt avec une augmentation de près de 30 points pour une ancienneté de moins de quatre ans et de quatre à moins de sept ans et fléchit légèrement au-delà de sept ans d’ancienneté mais reste stable par la suite. 105 Nombre de consultations par type de professionnel selon le degré d’ancienneté dans la pratique sportive 2. Le déclin de la médecine générale A l’aide de ce graphique, on observe l’évolution du suivi médical principal des jeunes athlètes en fonction de leur ancienneté dans la pratique sportive. On note ainsi que, si la médecine du sport reste, tout au long de la carrière une des ressources principales ressources, la médecine générale décline à partir de sept années de pratique et que le suivi par un kinésithérapeute tend à se substituer au suivi par un médecin généraliste. Pour comprendre avec plus de finesse la mutation du suivi médical des jeunes sportifs au fil de leur ancienneté dans la pratique, il est pertinent d’interroger l’ensemble des consultations médicales des jeunes sportifs. Si le suivi médical nous informait sur la centralité du médecin du sport ainsi que sur la place de plus en plus importante du kinésithérapeute dans la carrière du jeune sportif, les consultations médicales effectuées au cours de l’année écoulée par les jeunes sportifs40 nous permettent d’accéder à la part relative des différents segments médicaux dans la prise en charge médicale du jeune sportif. 40 Saisies par la question multiple suivante : « Au cours des douze des derniers mois, tu as consulté : [un médecin généraliste, un médecin du sport, un kinésithérapeute, un ostéopathe, un psychologue, un psychiatre, un acupuncteur, un homéopathe, tu n’as pas eu de consultation du cours de 12 derniers mois] ». 106 Tableau croisé des questions : Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=24,5 ddl=21 p=0,27 (Val. théoriques < 5 = 13) Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 Un médecin généraliste 3,7 6,7 7,3 Un médecin du sport 4,8 7,1 10,2 Un kinésithérapeute 2,5 5,0 8,3 Un ostéopathe 0,4 3,7 4,0 Un psychologue ou un psychiatre 0,2 1,9 1,9 Un homéopathe 1,0 0,6 Un acupuncteur 0,2 0,6 0,2 Tu n’as pas eu de consultation au 0,2 0,2 cours des 12 derniers mois Total 11,9 26,0 32,8 10 et plus Total 5,2 7,7 7,3 5,2 3,1 0,8 22,9 29,9 23,1 13,3 7,1 2,3 1,0 0,4 29,3 100,0 L’évolution des consultations médicales des jeunes athlètes en fonction de leur ancienneté dans la pratique sportive conduit à un constat renforçant les éléments précédemment évoqués. Au fil de la carrière du sportif, la place du médecin généraliste s’amoindrit. Le médecin du sport, présent tout au long de la carrière sportive, est toutefois sur-représenté en début de carrière. Les kinésithérapeutes ou ostéopathes prennent au contraire une place croissante dans la prise en charge du sportif au fil du temps. Enfin, psychologues et psychiatres sont, quoique de façon plus secondaire, de plus en plus sollicités par les athlètes au fil de leur carrière. Pour davantage de lisibilité, observons le tableau suivant reprenant les éléments du tableau : 107 En regroupant kinésithérapeutes et ostéopathes, on obtient le tableau et le graphique suivants : Tableau croisés des questions : Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=16,7 ddl=9 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 1) Un médecin généraliste Un médecin du sport Un kinésithérapeute et/ou un ostéopathe Un psychologue et/ ou un psychiatre Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 3,8 7,0 7,6 5,0 7,4 10,6 10 et plus Total 5,4 8,0 23,8 31,0 3,0 9,0 12,8 13,0 37,8 0,2 2,0 2,0 3,2 7,4 12,0 25,4 33,0 29,6 100,0 On constate alors que la part relative des consultations d’un kinésithérapeute et/ou d’un ostéopathe est très importante et que ces consultations progressent, en tendance, tout au long de la carrière. 108 En regroupant consultations de kinésithérapie et d’ostéopathie, on observe que l’importance de la médecine du sport dans la carrière du jeune sportif est relative. En effet, si la consultation en médecine du sport est privilégiée en début de carrière et que la consultation de professionnels issus d’autres segments médicaux ou paramédicaux est plutôt faible, à partir de quatre années de pratique sportive, cette importance est moins frappante. En effet, la part des consultations de kinésithérapeutes ou d’ostéopathe dépasse celle des cabinets de médecine du sport. En outre, en tendance, la médecine du sport comme la médecine générale tendent à décliner au-delà de dix années de pratique sportive tandis que les consultations de kinésithérapie et d’ostéopathie, mais aussi de psychologie et de psychiatrie poursuivent leur augmentation pour des raisons qui sont autant juridiques que sociologiques (cf Partie I, chapitre 3 et 4) 3. Synthèse Les jeunes pratiquant une activité sportive intensive s’inscrivent simultanément dans différentes sphères sociales. La famille occupe une place centrale et tend à être la principale source de conseils au fil du temps. L’école semble plutôt secondaire. La population étudiée effectue très majoritairement une scolarité excellente. La place de l’entraîneur tend à grandir ainsi que celle des mondes de la médecine. Au fil de la carrière du sportif, les liens entre famille, école, sport et médecine se reconfigurent. Chez les plus jeunes et en début de carrière, 109 la famille occupe une place primordiale. Elle tend à être plus éloignée au fil de la poursuite de la carrière mais continue de jouer un rôle d’accompagnateur. 110 Chapitre 5 Douleurs et blessures sportives : perceptions et prises en charge plurielles La pratique intensive d’une activité sportive conduit les jeunes à faire de façon régulière si ce n’est continue l’expérience de la douleur. Inhérente à la pratique sportive, la douleur fait l’objet d’un travail à part entière de la part des athlètes. La gestion de la douleur étant un point clé de l’avancement dans la carrière sportive, douleurs et blessures font l’objet d’un traitement différencié par le sportif et son entourage selon les étapes de la carrière dans lesquelles il est engagé. Pour appréhender ce phénomène, il convient d’approcher non seulement la douleur elle-même mais aussi sa caractérisation, sa prise en charge par différents segments professionnels : la prescription des médicaments antidouleur semblent se modifier en fonction de l’évolution de leur carrière sportive. 1. Une vie quotidienne marquée par la douleur Les douleurs font partie de la vie quotidienne des jeunes sportifs. Lorsque l’on interroge les sportifs sur leurs douleurs, ceux-ci énumèrent sans peine les parties de leur corps où ils ont régulièrement mal. Ces zones sont celles qui sont le plus souvent stimulées du fait de leur pratique sportive. Par ailleurs, les jeunes athlètes citent par ailleurs des douleurs symptomatiques de leur pratique telles que des courbatures (49,7 %), des douleurs musculaires (39,7 %) ou des douleurs articulaires (29,1 %). Tableau du pourcentage de réponses à la question : 111 Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? Des courbatures Des douleurs musculaires Des douleurs articulaires Une fracture Une luxation Des maux de tête Total / répondants Effectifs 89 71 52 10 15 4 179 % 49,7% 39,7% 29,1% 5,6% 8,4% 2,2% Ces douleurs font partie intégrante de la vie quotidienne du jeune sportif si bien que lorsqu’il s’agit de qualifier ces douleurs, ceux-ci les considèrent très majoritairement comme normales (72,3 %). Tableau du pourcentage de réponses à la question : Pour toi, ces douleurs étaient : Effectifs 40 88 39 10 177 Tout à fait normales Plutôt normales Plutôt pas normales Tout à fait anormales Total % 22,6% 49,7% 22,0% 5,6% 100,0% La perception de normalité de ces douleurs dans la pratique sportive est équivalente pour les garçons et pour les filles. Pour 22,6 % des jeunes interrogés, ces douleurs sont « tout à fait normales », pour 49,7 % d’entre eux, elles sont « plutôt normales », pour 22 % elles sont « plutôt pas normales » et elles sont « tout à fait anormales » pour 5,6 % des adolescents. La douleur est en outre normalisée au fil du franchissement des différents niveaux de compétition : Pour toi, ces douleurs étaient : / 167R2. Pour toi, ces douleurs étaient : (Recodage) (Recodage) / 43. Quel est le plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ? Tableau : %. Khi2=7,79 ddl=9 p=0,556 (Val. théoriques < 5 = 4) Départemental International Tout à fait normales Plutôt normales Plutôt pas normales Tout à fait anormales Total 3,0 7,8 3,0 2,4 16,3 5,4 9,0 4,8 0,6 19,9 National Régional Total 10,2 27,1 7,8 1,2 46,4 4,2 6,6 5,4 1,2 17,5 22,9 50,6 21,1 5,4 100,0 On constate dans ce tableau que les douleurs sportives se normalisent au fil de la montée en niveau dans la compétition. Les jeunes sportifs de niveau départemental déclarent plus 112 volontiers que les sportifs des niveaux supérieurs (en particulier de niveau national) que leurs douleurs sportives sont anormales. Ces douleurs sportives, minimisées par les athlètes de haut niveau sont pourtant régulières. Tableau du pourcentage de réponses à la question : As-tu des douleurs de ce type ? Toujours Souvent Parfois Jamais Total Effectifs 12 61 95 10 178 % 6,7% 34,3% 53,4% 5,6% 100,0% Si seuls 5,6 % des jeunes sportifs déclarent n’avoir jamais de douleurs liées à leur activité sportive, 6,7 % déclarent en avoir « toujours », 34,3 % « souvent ». La majorité (53,4 %) des jeunes répondent qu’ils ont « parfois » ce type de douleurs. Les douleurs sportives, considérées comme « normales » font ainsi partie de la vie ordinaire des athlètes. 2. Des douleurs caractérisées selon leur type Partie liée à la vie ordinaires des sportifs, les douleurs sont caractérisées différemment selon leur nature. La question « La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité sportive, c’était… » permet d’étudier la distribution de la douleur par type chez les jeunes sportifs. Tableau du pourcentage de réponses à la question : La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité sportive, c’était… Des courbatures Des douleurs musculaires Des douleurs articulaires Une luxation Une fracture Des maux de tête Total / réponses Effectifs 89 71 52 15 10 4 241 % 36,9% 29,5% 21,6% 6,2% 4,1% 1,7% 100,0% Les courbatures constituent la douleur la plus fréquemment citée (36,9 %) suivie des douleurs musculaires (29,5 %) puis des douleurs articulaires (21,6 %). D’autres douleurs, moins fréquemment citées apparaissent par ailleurs : la luxation (6,2 %), la fracture (4 ,1 %) et les 113 maux de tête (1,7 %). Courbatures et douleurs musculaires (parfois difficiles à différencier pour les jeunes sportifs) constituent les douleurs les plus fréquemment cités (68,4 % au total). Ces douleurs ont, pour les jeunes sportifs, un statut différent des douleurs articulaires. Tableau croisé : Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / As-tu des douleurs de ce type ? Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=9 p=0,173 (Val. théoriques < 5 = 8) Des courbatures ou des douleurs musculaires Des douleurs articulaires Une fracture ou une luxation Des maux de tête Total Toujours Souvent Parfois Jamais Total 4,4 21,3 40,0 2,7 68,4 4,0 9,3 3,1 8,9 3,6 1,3 53,8 0,9 0,4 4,0 22,2 7,6 1,8 100,0 8,4 33,8 Si les courbatures et les douleurs musculaires sont plus ponctuelles et vécues comme telles 41, les jeunes sportifs ressentant des douleurs articulaires mettent en avant la fréquence importante de la survenue de ces douleurs. De plus, le statut de la douleur diffère selon le type de douleur ressentie. Tableau croisé : Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / Pour toi, ces douleurs étaient : Tableau : %. Khi2=35,3 ddl=12 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 9) Des courbatures Des douleurs musculaires Des douleurs articulaires Une fracture ou une luxation Des maux de tête Total Tout à Plutôt Plutôt fait normales pas normales normales 14,9 19,8 2,7 4,5 15,3 8,1 1,4 12,6 6,3 1,4 3,2 1,4 0,5 0,9 0,5 22,5 51,8 18,9 Tout à fait anormales Total 0,9 1,8 2,3 1,8 38,3 29,7 22,5 7,7 1,8 100,0 6,8 Les courbatures sont presque exclusivement vécues comme normales : dans 90,6 % des cas, les individus ayant ressenti des courbatures répondent que ces douleurs sont tout à fait ou plutôt normales. Les autres types de douleurs sont perçus différemment. La majorité des jeunes sportifs considèrent les douleurs musculaires comme « tout à fait » ou « plutôt 41 On observe une tendance chez les individus ayant des courbatures ou des douleurs musculaires à affirmer qu’ils ressentent ce type de douleurs « parfois » et une « attraction » pour les individus ressentant des douleurs articulaires à affirmer les ressentir « toujours ». 114 normales » (66,7 %), et on constate par ailleurs une tendance des jeunes sportifs répondre qu’ils considèrent les douleurs musculaires comme « plutôt pas normales » (cette seule modalité de réponse regroupant 27, 3 % des répondants). Les douleurs articulaires, quoique majoritairement perçues comme normales, le sont de façon plus nuancée. Les douleurs articulaires sont perçues de façon très minoritaire comme « tout à fait normales » (6,2 %). Elles sont majoritairement pensées (catégorisées) comme « plutôt normales » (56 %) et on observe une inflexion des répondants à catégoriser ces douleurs comme « plutôt pas normales » (28%). Ces douleurs sont « tout à fait anormales » pour 10,2 % des jeunes. Les douleurs articulaires sont plus souvent pensées comme anormales (tout à fait ou plutôt pour 38,2 % des répondants). Les fractures ou les luxations sont pensées comme normales pour 59,7 % des jeunes et anormales pour 41,6 %. En analysant la manière dont les jeunes sportifs catégorisent les douleurs liées à leur pratique sportive, on observe une tendance à la normalisation de la douleur (Selanne, 2014). De façon générale, les douleurs ressenties par les jeunes athlètes sont pensées comme normales (tout à fait ou plutôt normales) à 72,3 %. Ces douleurs sont pensées comme anormales pour 25,7 % des répondants. La perception de la douleur dans le sport témoigne néanmoins de différences selon le type de douleurs. Si les courbatures sont des douleurs normales pour les jeunes sportifs, les douleurs musculaires, articulaires ainsi que les luxations ou les fractures, bien que restant majoritairement pensées comme normales font l’objet d’une catégorisation plus nuancée. 3. La fréquence des douleurs sportives La survenue des douleurs liées à la pratique sportive chez les jeunes sportifs est plus importante en début de saison puisque 34,9 % des répondants disent ressentir ces douleurs « en début de saison ». Reste que 31,1 % des répondants affirment ressentir ces douleurs « tout le temps » et que 30,2 % des répondants les ressentent soit en milieu de saison (10,4 %) soit en fin de saison (19.8 %). La douleur dans le sport chez les jeunes est ainsi présente tout au long de la saison bien qu’elle soit plus présente en début de saison. Tableau du pourcentage de réponses à la question : 115 Généralement, tu as ces douleurs En début de saison En milieu de saison En fin de saison Tout le temps Jamais Total / réponses Effectifs 74 22 42 66 8 212 % 34,9% 10,4% 19,8% 31,1% 3,8% 100,0% Si la douleur se présente de manière diffuse au cours d’une saison sportive, les jeunes athlètes affirment de façon plus marquée le moment de survenue de ces douleurs en fonction de leur emploi du temps sportif. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Ces douleurs surviennent… Avant les entraînements Après les entraînements Avant les compétitions Après les compétitions Tout le temps Total / réponses Effectifs 21 122 12 70 19 244 % 8,6% 50,0% 4,9% 28,7% 7,8% 100,0% Les douleurs sportives surviennent presque exclusivement après des efforts intenses (78,7 % des cas), majoritairement après les entraînements (50 %) et après les compétitions (28,7%). Seuls 7,8 % des jeunes sportifs ressentent ces douleurs à n’importe quel moment, 8,6 % avant les entraînements et 4,9 % avant les compétitions. 4. L’expérience de la blessure Au-delà des douleurs inhérentes à la pratique sportive, la carrière des jeunes athlètes est rythmée par l’anticipation, la survenue et la gestion - à plus ou moins court et moyen terme de la blessure. Les blessures concernent la majeure partie de la population des jeunes sportifs. 85,6% des sportifs de 11 à 18 ans ont déjà subi au moins une blessure. Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé ? 116 Effectifs 25 41 33 30 45 174 0 1 2 3 4 et plus Total % 14,4% 23,6% 19,0% 17,2% 25,9% 100,0% Tableau du pourcentage de réponses à la question : Es-tu souvent blessé(e) ? Effectifs 44 147 191 Oui Non Total % 23,0% 77,0% 100,0% D’un point de vue subjectif, la plupart des sportifs considèrent ne pas être souvent blessés (77%). Toutefois, au cours des trois dernières années, ces athlètes ont, en moyenne eu 2,97 blessures. La perception de la fréquence des blessures par les jeunes sportifs est liée à la fréquence objective des blessures. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Es-tu souvent blessé(e) ? / Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé(e) / Tableau : %. Khi2=35,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 1) Khi2=37,5 ddl=4 p=0,001 (Très significatif) 0 Oui Non Total 1 1 24 25 2 3 38 41 3 5 28 33 9 21 30 4 et plus 25 20 45 Total 43 131 174 Dans ce tableau croisant le nombre de blessures au cours des trois dernières années et le sentiment d’être ou non « souvent blessé », on note en effet que les jeunes présentant le plus grand nombre de blessures au cours des trois dernières années sont ceux qui se pensent euxmêmes le plus souvent blessés. Ceux qui ont le plus faible nombre de blessures se sentent le moins fréquemment souvent blessés. Le lien entre nombre de blessures objectives et sentiment subjectif d’être plus ou moins souvent blessé nous informe surtout sur le niveau d’acceptation de la blessure au sein de cette population. C’est notamment au-delà de quatre blessures au cours des trois dernières années que les individus tendent à davantage se sentir souvent blessé. A l’opposé, les individus présentant jusqu’à deux blessures au cours des trois 117 dernières années ne se sentent, en tendance, pas souvent blessés. Les blessures liées à l’activité sportives ne constituent donc pas une gêne au-dessus de trois à quatre blessures au cours des trois dernières années. En deçà de trois blessures sur cette période, les jeunes tendent à se sentir blessés peu souvent. Au-delà de quatre, ils considèrent être souvent blessés. Ces blessures font par ailleurs l’objet d’échanges entre le jeune athlète et les différentes mondes sociaux dans lesquels il est inséré. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures ? Tes Parents Ton coach Un médecin du sport ou un médecin spécialisé Un médecin généraliste Un pharmacien Des amis Total / répondants Effectifs 100 95 79 % 59,5% 56,5% 47,0% 44 12 13 168 26,2% 7,1% 7,7% En interrogeant les jeunes sportifs sur les conseils qu’ils trouvent pour gérer leurs blessures, on voit se dessiner les mondes sociaux dans lesquels se négocie la prise en charge des blessures. Parmi les fournisseurs de conseils dans la gestion des blessures, les parents (59,5 %) et les entraîneurs (56,5 %) sont autant fréquemment cités. Les médecins du sport ou les médecins spécialisés le sont légèrement moins (47 %) mais beaucoup plus que les médecins généralistes (26,2 %) ou les pharmaciens (7,1 %) et les amis (7,7 %). Les différents représentants des différents mondes sociaux mobilisées pour trouver des conseils dans la gestion des blessures évoluent en fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive comme le met en évidence le tableau suivant : Tableau croisé : Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? 118 Tableau : % Colonnes. Khi2=18,4 ddl=15 p=0,244 (Val. théoriques < 5 = 8) Tes Parents Ton coach Un médecin généraliste Un médecin du sport ou un médecin spécialisé Un pharmacien Des amis Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 34,8 29,2 28,3 21,7 23,6 30,2 21,7 20,2 7,5 10 et plus Total 27,5 31,4 7,8 29,2 27,7 12,8 13,0 19,1 27,4 26,5 23,0 6,5 2,2 100,0 3,4 4,5 100,0 3,8 2,8 100,0 2,0 4,9 100,0 3,5 3,8 100,0 En ramenant à 100 chaque niveau d’ancienneté dans la pratique, on repère comment évolue l’importance des mondes sociaux auprès desquels les jeunes trouvent conseil dans la gestion de leurs blessures sportives. On note alors que les conseils de la part des parents sont de moins en moins fréquemment cités au fur et à mesure que l’ancienneté dans la pratique augmente. La place du coach gagne en importance ainsi que celle du médecin du sport ou du médecin spécialisé (bien qu’elle décline très légèrement au-delà de dix années d’ancienneté). En ne prenant que les mondes les plus représentatifs, on obtient une évolution sur le graphique suivant : 20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 218R1. Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures Tes parents (100) Ton coach (95) Un médecin généraliste Un médecin du sport (7 Moins de 4 (42) de 4 à moins de 7 (82) de 7 à moins de 10 (99) 10 et plus (95) Les parents, principale source de conseils pour les jeunes sportifs lors de l’entrée au début de la pratique sportive se retrouvent placés au second plan après l’entraîneur au-delà de sept années de pratique sportive. La place de la médecine du sport est en progression jusqu’à dix 119 années d’ancienneté pour se situer légèrement en-dessous des parents et de l’entraîneur. La médecine générale est très faiblement citée. 5. Soigner ses blessures sans s’arrêter Lorsque la blessure survient, l’arrêt de la pratique sportive reste majoritairement prescrit (68,3%). Tableau du pourcentage de réponses à la question : Lors de ta dernière blessure, est-ce que tu as été obligé d’arrêter ton activité Oui Non Total Effectifs 123 57 180 % 68,3% 31,7% 100,0% Le médicament est, de prime abord, peu prescrit dans la gestion des blessures (24,6 %). Le repos est privilégié dans 76,6 % des cas, la rééducation dans 40,9 % des cas, l’utilisation de protections et de strapping dans 40,4 % des cas. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Quelle méthode as-tu mobilisé au cours de ta dernière blessure ? Le repos La rééducation L’utilisation de protections ou de strapping Un traitement médicamenteux Total / répondants Effectifs 131 70 69 42 171 % 76,6% 40,9% 40,4% 24,6% Très peu de jeunes athlètes ont déjà subi une intervention chirurgicale liée à une blessure sportive : Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tu as subi une ou plusieurs interventions chirurgicales suite à une blessure sportive ? Oui Non Total Effectifs 21 170 191 % 11,0% 89,0% 100,0% Les blessures ne nécessitent donc rarement une prise en charge chirurgicale chez les jeunes sportifs. Toutefois, si la chirurgie ou le médicament semblent être peu mobilisés, le repos et 120 l’arrêt font partie des prescriptions mais ne sont pas nécessairement appliqués par les jeunes athlètes. En effet, 70,1 % des jeunes ayant dû arrêter leur activité sportive se rendent au club pendant leur arrêt. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils participent totalement aux entraînements. Cependant, ils peuvent même blessés mobiliser ou « travailler » des parties « valides » de leur corps. Tableau du pourcentage de réponses à la question : Est-ce que tu allais au club pendant ton arrêt ? Oui Non Total Effectifs 94 40 134 % 70,1% 29,9% 70,2% Ainsi on ne sera pas surpris que plus d’un athlète sur deux a déjà pratiqué son activité sportive lorsqu’il était blessé ou qu’il portait un strapping (51,3 %). 121 Chapitre 6 La consommation de médicaments anti-inflammatoires et antidouleur Si les jeunes sportifs considèrent majoritairement leurs douleurs comme étant normales, la majorité d’entre eux mobilisent la pharmacopée pour les gérer. C’est notamment par les questions « Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs » et « Ce mois-ci, tu en as pris… » que l’on a mesuré le taux de consommation de médicaments des jeunes sportifs pour lutter contre la douleur. 1. L’utilisation de médicaments Tableau du pourcentage de réponses à la question : Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs En début de saison En milieu de saison En fin de saison Tout le temps Jamais Total / réponses Effectifs 26 27 13 21 105 192 % 13,5% 14,1% 6,8% 10,9% 54,7% 100,0% Cumul 13,5% 27,6% 34,4% 45,3% 100,0% 0,0% Cette première question qui bénéficie d’un taux de non-réponse inférieur à la question plus factuelle « Ce mois-ci, tu en as pris… » permet d’obtenir un taux non négligeable de jeunes déclarant utiliser des médicaments pour lutter contre les douleurs sportives. En effet, 45,3 % des jeunes sportifs disent consommer des médicaments contre ces douleurs. En recodant les réponses en fonction de la déclaration de consommation de médicament contre les douleurs liées à la pratique sportive, on obtient le tableau suivant : Tableau du pourcentage de réponses à la question : Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs ? 122 Non réponse Oui Non Total / réponses Effectifs 17 87 105 192 % 45,3% 54,7% 100,0% Interrogés : 202 / Répondants : 185 / Réponses : 192 Pourcentages calculés sur la base des réponses De façon générale, 45,3 % des jeunes sportifs de 11 à 18 ans déclarent consommer des médicaments pour lutter contre les douleurs sportives. Par ailleurs, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives était saisie par la question : « Ce mois-ci, tu en as pris » : 189. Ce mois-ci, tu en as pris : Une fois par semaine Deux fois par semaine Trois fois par semaine Une fois dans le mois Jamais Total Effectifs 7 8 7 16 35 73 % 9,6% 11,0% 9,6% 21,9% 47,9% 100,0% Bien que cette question ait fait l’objet d’un nombre plus important de non-réponses car située en aval d’une série de questions sur l’utilisation de médicaments contre les douleurs sportives, 52,1 % des répondants (% cumulé des modalités de réponses proposées) affirment avoir pris des médicaments dans le but de diminuer leurs douleurs sportives au cours du mois précédent l’enquête. Leur consommation se disperse comme suit : 189. Ce mois-ci, tu en as pris : Une fois par semaine Deux fois par semaine Trois fois par semaine Une fois dans le mois Jamais Total Effectifs 7 8 7 16 35 73 % 9,6% 11,0% 9,6% 21,9% 47,9% 100,0% Cumul 9,6% 20,5% 30,1% 52,1% 100,0% 0,0% Nous proposons, pour continuer l’analyse, d’utiliser cette variable factuelle. En regroupant les différentes modalités de réponses, on obtient le tableau suivant : 123 189. Ce mois-ci, tu en as pris : Effectifs 38 35 73 Oui Non Total % 52,1% 47,9% 100,0% En croisant cette nouvelle variable avec la variable sexe, on constate que, bien que la carrière se présente de manière différente selon le sexe, la gestion de la douleur par le recours au médicament (comme la perception de la douleur) n’est pas différente selon le sexe de l’enquêté. Il n’y a donc pas de différence significative entre les garçons et les filles en ce qui concerne la prise de médicament dans le but de pallier aux douleurs liées à la pratique sportive. La consommation de médicaments par les jeunes sportifs est cependant liée au fait d’être engagé dans un sport collectif ou un sport individuel. Tableau croisé : Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif) Oui Non Total Sport collectif 23,6 20,8 44,4 Sport individuel 29,2 26,4 55,6 Total 52,8 47,2 100,0 Tableau croisé : Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif Tableau : % Colonnes. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif) Oui Non Total Sport collectif 53,1 46,9 100,0 Sport individuel 52,5 47,5 100,0 Total 52,8 47,2 100,0 En croisant le type de sport et la consommation de médicaments, on observe que la consommation de médicaments est, en tendance, plus importante chez les jeunes athlètes engagés dans un sport collectif que dans un sport individuel. 124 Les médicaments consommés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur activité sportive sont majoritairement des antalgiques et des anti-inflammatoires de niveau I. Les différents types de substances utilisées par les jeunes sportifs sont les suivantes : Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives Effectifs Homéopathie Vitamines Complément alimentaire Antalgique niveau 1 Anti inflammatoire non stéroïdien (AINS) Anti inflammatoire niveau II Antalgique adjuvant Anesthésique local niveau III Antalgique pallier III Antibiotique Total / répondants 74 % 20,3% 4,1% 5,4% 71,6% 44,6% 2,7% 4,1% 1,4% 1,4% 1,4% 15 3 4 53 33 2 3 1 1 1 Les médicaments visant à pallier aux douleurs liées à la pratique sportive que les jeunes utilisent sont principalement des médicaments de niveau I, de l’homéopathie ou des compléments alimentaires. On peut synthétiser le type de substances utilisées par niveaux comme suit : Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives Compléments (vitamines, compléments alimentaires et homéopathie) Niveau I (antalgiques et AINS) Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens) Niveau III (antalgique, anesthésique) Adjuvants Antibiotique Total / réponses Effectifs 22 % 19,0% 86 2 2 3 1 116 74,1% 1,7% 1,7% 2,6% 0,9% 100,0% Interrogés : 202 / Répondants : 74 / Réponses : 116 Pourcentages calculés sur la base des réponses Les médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires de niveau I représentent 74,1 % des médicaments cités par les jeunes sportifs. Les compléments alimentaires ou l’homéopathie représentent 19 % des consommations. Bien qu’elles soient très marginales, on note également la consommation d’anti-inflammatoires et d’antalgiques stéroïdiens de niveau II (1,7 %) ainsi que 1,7 % d’antalgiques de niveau III ainsi que d’adjuvants (2,6%). 125 L’utilisation de médicament n’est pas spécifique à une période dans la saison sportive, cette consommation s’effectue le plus souvent après les entraînements ou les compétitions, lorsque la douleur est perçue comme la plus significative. Tableau des effectifs et % à la question : Et, plus précisément Avant les entraînements Après les entraînements Avant les compétitions Après les compétitions Tout le temps Total / réponses Effectifs 7 39 12 36 13 107 % 6,5% 36,4% 11,2% 33,6% 12,1% 100,0% Les consommateurs de médicaments contre les douleurs sportives ne mobilisent ces substances que rarement dans une visée préventive mais légèrement plus lorsqu’il s’agit de prévenir ou d’empêcher la survenue de douleurs lors des compétitions (6,5 % avant les entraînements ; 11,2 % avant les compétitions). La majeure partie des consommateurs de médicaments déclarent les prendre après les entraînements (36,4 %) ou après les compétitions (33,6 %). 12,1% des jeunes mobilisant ces médicaments déclarent consommer des médicaments « tout le temps ». Reste qu’une partie d’entre eux choisit cette modalité de réponse pour affirmer qu’ils prennent des médicaments quelle que soit la période sportive (entraînement ou compétition). 203R6. recodage médicaments final / 184R1. Et, plus précisément Tableau : % Lignes. Khi2=1,54 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 23) Compléments (vitamines, compléments alimentaires, homéopathie) Niveau I (antalgiques et AINS) Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens) Niveau III (anesthésique et antalgique) Adjuvants Antibiotique Total [Avant les entraînements] Et, plus précisément : Oui [Après les entraînements] Et, plus précisément : Oui [Avant les compétitions] Et, plus précisément : Oui [Après les compétitions] Et, plus précisément : Oui [Tout le temps] Et, plus précisément : Oui Total 6,9 41,4 6,9 34,5 10,3 100,0 6,2 35,1 12,4 35,1 11,3 100,0 33,3 33,3 100,0 33,3 25,0 25,0 25,0 75,0 6,5 37,0 25,0 100,0 25,0 10,9 34,1 100,0 11,6 100,0 100,0 100,0 La consommation d’antidouleur, visant le plus souvent à traiter la douleur et non à prévenir son éventuelle survenue, va par ailleurs de pair avec la mobilisation de techniques ou de rituel à visée préventive pour les sportifs. 126 2. Les prescripteurs La consommation de médicaments pour lutter contre les douleurs sportives des jeunes athlètes sont à questionner. L’origine des conseils en matière d’utilisation de médicaments constitue un enjeu central pour comprendre les mécanismes de régulation de l’usage des médicaments au sein de cette population. Tableau effectifs et % à la question : Qui te conseille sur ces médicaments ? Tes Parents Ton coach ou ton entraîneur du club Un coach ou entraîneur extérieur au club Un médecin généraliste Un médecin du sport ou un médecin spécialisé Un pharmacien Des amis autres que ceux du club Total / réponses Effectifs 65 21 3 % 47,8% 15,4% 2,2% 17 24 12,5% 17,6% 5 1 136 3,7% 0,7% 100,0% Les médicaments utilisés par les jeunes sportifs sont très majoritairement conseillés par les parents (dans 47,8 % des cas). Ils peuvent toutefois être conseillés par les entraîneurs (dans 17,6 % des cas) ou par un médecin (30,1 % des cas) qu’il soit médecin du sport (17,6 % des cas) ou médecin généraliste (12,5 % des cas), voire par un pharmacien (3,7 %). Les sphères privilégiées par les jeunes sportifs concernant la mobilisation de médicaments évoluent selon l’âge des athlètes. Tableau croisé : Conseils médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) Tableau : %. Khi2=8,28 ddl=8 p=0,407 (Val. théoriques < 5 = 11) Parents Entraîneur (interne ou externe au club) Médecin généraliste ou médecin du sport Pharmacien Amis Total Collège 30,6 Lycée 31,3 Supérieur 0,7 Total 62,7 2,2 2,2 7,5 23,1 30,6 2,2 1,5 0,7 59,0 3,7 0,7 100,0 40,3 0,7 127 On constate en particulier que les conseils concernant les médicaments proviennent principalement de la famille chez les plus jeunes. Au collège, les parents sont les principaux promoteurs de l’utilisation du médicament contre les douleurs sportives. Plus tard, chez les lycéens, les médecins (du sport ou généralistes) deviennent une nouvelle ressource dans la prescription de médicaments antidouleur. Ces mondes de la médecine tendent à se substituer au cercle parental au fil de l’avancée en âge des jeunes athlètes. Ce processus témoigne d’une médicalisation de la douleur. Autrement dit, on passe d’un traitement profane ou familial de la douleur à un traitement médical de la douleur. En amont de cette médicalisation, s’observe une pharmacologisation de la douleur se traduisant par un usage du médicament chez les jeunes qui n’est pas nécessairement lié à un diagnostic et à une prescription médicale. Si on regarde plus précisément la manière dont les mondes sociaux (famille, entourage sportif et médecins du sport) interviennent selon l’âge du sportif dans le conseil en matière de médicaments, on peut repérer une transformation dans la négociation de la douleur. Tableau croisé : Conseils médicaments / 10R1. Classes sur Tu as quel âge ? Tableau : %. Khi2=20,4 ddl=15 p=0,158 (Val. théoriques < 5 = 14) Tes Parents Ton coach ou ton entraîneur du club Un coach ou entraîneur extérieur au club Un médecin généraliste ou un médecin du sport Un pharmacien Des amis autres que ceux du club Total Moins de de 13 à de 15 à 13 moins de moins de 15 17 11,8 13,2 14,0 17 et plus Total 8,8 47,8 2,9 5,9 6,6 15,4 0,7 1,5 2,9 2,2 15,4 9,6 30,1 0,7 1,5 0,7 15,4 20,6 0,7 0,7 38,2 3,7 0,7 100,0 2,2 25,7 La place des parents dans le conseil en matière de médicament est dépendante de l’âge du jeune sportif. En effet, on constate un affaiblissement régulier de la place des conseils des parents en matière de prise de médicaments suivant l’avancée en âge. Chez les moins de 13 ans, les parents sont les principaux référents en matière de médicaments contre les douleurs sportives. Cette tendance s’affaiblit entre 13 et 15 ans pour, à partir de 15 ans, s’inverser. Entre 15 et 17 ans, médecin généraliste et du sport occupent le devant de la scène du conseil en matière de consommation de médicaments. Enfin, à partir de 17 ans, les jeunes sportifs 128 accordent davantage de crédit à leur coach ou à leur entraîneur du club concernant leur prise de médicaments. 3. La prise de médicaments diffère en fonction de l’âge et de l’ancienneté La consommation de médicaments antidouleur est plus fréquente chez les plus jeunes que parmi les athlètes plus âgés. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée car la montée en âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments. Tableau croisé : Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / Classes sur Tu as quel âge ? Tableau : %. Khi2=12,5 ddl=3 p=0,006 (Très significatif) Moins de de 13 à de 15 à 13 moins de moins de 15 17 Oui 19,2 12,3 9,6 Non 4,1 12,3 24,7 Total 23,3 24,7 34,2 17 et plus Total 11,0 6,8 17,8 52,1 47,9 100,0 Dans ce tableau, on observe la manière dont la déclaration de la consommation de médicaments évolue avec l’âge. Plutôt importante chez les moins de 13 ans (19,2 %), elle baisse régulièrement pour atteindre 9,6 % chez les 15 à moins de 17 ans et augmente très légèrement pour atteindre 11 % chez les plus de 17 ans. Plusieurs hypothèses peuvent être émises face à cette énigme. La première, déjà évoquée, consiste davantage en un changement dans la déclaration de la consommation que dans un changement dans la consommation. La seconde consiste à envisager, à la faveur de la transformation de l’origine des conseils en matière de gestion de la douleur par les médicaments, une mutation plus générale dans la manière de gérer la douleur selon les âges et selon l’ancienneté dans la pratique sportive. La première hypothèse, souvent évoquée dans la littérature scientifique sur le dopage ou l’utilisation de médicaments au sein de la population sportive est difficilement vérifiable. La seconde hypothèse peut se tester à partir d’autres variables de notre questionnaire. Tout 129 d’abord, on peut observer que la consommation de médicaments est en tendance moins importante chez les jeunes pratiquant la musculation que chez ceux qui ne la pratiquent pas. Tableau croisé : Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / 74R1. Est-ce que tu pratiques la musculation ? (Recodage) Tableau : %. Khi2=3,18 ddl=1 p=0,071 (Assez significatif) Non 21,9 9,6 31,5 Oui Non Total Oui 30,1 38,4 68,5 Total 52,1 47,9 100,0 Cette consommation de médicaments plus importante chez ceux qui ne pratiquent pas la musculation peut se comprendre au regard de la carrière du jeune sportif. En effet, au fil de sa carrière, le jeune sportif fait l’apprentissage de la douleur et de sa gestion par une série de pratiques de prévention des douleurs sportives. Par ailleurs, le type de médicaments consommés évolue avec l’âge : Tableau croisé : Recodage médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) Tableau : %. Khi2=2,58 ddl=10 p=0,989 (Val. théoriques < 5 = 14) Collège Lycée 12,9 7,5 36,6 33,3 Compléments (vitamines, compléments alimentaires et homéopathie) Niveau I (antalgiques et AINS) Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens) Niveau III (antalgique, anesthésique) Adjuvants Antibiotique Total 1,1 50,5 Supérieur Total 20,4 1,1 71,0 2,2 2,2 2,2 2,2 2,2 1,1 48,4 3,2 1,1 100,0 1,1 On observe que la consommation de médicaments de niveau I, de compléments alimentaires et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes (au collège). La consommation de médicaments de niveaux II et III (bien qu’exceptionnelle) est, quant à elle, presque exclusivement réservée aux lycéens. Au-delà de l’âge, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives évolue en fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive. 130 Tableau croisé : Ce mois-ci, tu en as pris : / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=2,25 ddl=3 p=0,525 (Val. théoriques < 5 = 1) Moins de 4 Oui Non Total 8,2 5,5 13,7 de 4 à moins de 7 11,0 13,7 24,7 de 7 à moins de 10 21,9 13,7 35,6 10 et plus 11,0 15,1 26,0 Total 52,1 47,9 100,0 La consommation de médicaments contre les douleurs sportives est, en tendance, plus importante lorsque les jeunes débutent leur pratique sportive. Elle tend à diminuer entre quatre et sept années d’ancienneté, à être la plus importante entre sept et dix ans de pratiques sportives pour s’atténuer au-delà de dix années de pratiques professionnelle. 20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 189R1. Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) 21,9% 15,1% 13,7% 13,7% Oui (38) 11,0% 11,0% Non (35) 8,2% 5,5% Moins de 4 (10) de 4 à moins de 7 (18) de 7 à moins de 10 (26) 10 et plus (19) Le type de médicaments conseillés évolue lui aussi selon l’ancienneté dans la pratique sportive. 131 20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 203R5. Recodage médicaments (Recodage) 26,32% 25,0 Compléments 18,8 17,89% 15,79% Niveau I Niveau II 12,5 Niveau III 10,53% Adjuvants Antibiotique 6,3 2,11% 1,05% 0,0 Moins de 4 (14) 6,32% 6,32% 6,32% 1,05% 2,11% 1,05% 1,05% de 4 à moins de 7 (22) de 7 à moins de 10 (34) 10 et plus (25) En tendance, la consommation d’AINS (antidouleur non stéroïdiens) est en augmentation tout au long de la carrière du sportif et ne chute qu’au-delà de dix années de pratique. La consommation de compléments alimentaires augmente en début de pratique puis reste relativement stable à partir de quatre années de pratiques sportives. La consommation d’autres types de médicaments reste plutôt stable et faible. 4. Des consommations différenciées selon le mode d’adressage Si la prise de médicaments évolue en fonction de l’ancienneté dans la pratique, c’est davantage l’adressage vers un traitement médicamenteux qui se transforme au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive. 132 Tableau croisé : Conseils médicaments / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=6,06 ddl=9 p=0,735 (Val. théoriques < 5 = 5) Parents Entraîneur Médecin du sport Médecin généraliste Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 7,7 13,8 16,2 3,8 3,1 6,2 2,3 5,4 3,1 3,1 2,3 5,4 16,9 24,6 30,8 10 et plus Total 12,3 5,4 7,7 2,3 27,7 50,0 18,5 18,5 13,1 100,0 Globalement, les parents sont les premiers à donner des conseils concernant les médicaments utilisés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur activité sportive (50 %), suivis de l’entraîneur (18,5 %) ou du médecin du sport (18,5 %) puis du médecin généraliste (13,1 %). Selon l’ancienneté dans la pratique sportive, on observe deux principales mutations dans l’émission des conseils en matière de médicaments mobilisés par les jeunes pour diminuer leurs douleurs sportives. Une première intervient à partir de quatre années de pratique et renforce la place de l’entraîneur dans le conseil en matière de médicaments. Entre quatre et sept années d’ancienneté dans la pratique sportive, les jeunes sollicitent davantage 133 l’entraîneur que les médecins (qu’il s’agisse de la médecine générale ou de la médecine du sport) pour trouver des conseils en matière de médicaments contre les douleurs liées à l’activité sportive. Entre 7 et 10 années de pratique sportive, la médecine du sport ainsi que la médecine générale sont, après les parents, prioritairement mobilisés. Au-delà de dix années de pratique, la médecine du sport tend à se substituer à la médecine générale pour devenir le second fournisseur de conseils en matière de médicaments contre les douleurs sportives (après les parents et avant l’entraîneur). Selon la source du conseil en matière de médicament contre les douleurs sportives, les produits utilisés peuvent se différencier. Tableau croisé : Recodage médicaments / Conseils médicaments Tableau : %. Khi2=2,45 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 22) Compléments (vitamines, compléments alimentaires et homéopathie) Niveau I (antalgiques et AINS) Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens) Niveau III (antalgique, anesthésique) Adjuvants Antibiotique Total Entraîneur 11,7 3,4 2,8 4,8 35,2 11,0 9,7 10,3 0,7 0,7 0,7 0,7 2,8 0,7 0,7 1,4 0,7 0,7 15,2 0,7 2,8 1,4 100,0 1,4 0,7 49,7 Médecin Médecin généraliste du sport Pharmacien Parents 15,2 17,2 Total 22,8 2,8 2,8 69,0 Les compléments alimentaires et l’homéopathie sont majoritairement conseillés par les parents. L’entraîneur conseille lui aussi, l’utilisation de compléments alimentaires. La médecine du sport encourage parfois à l’utilisation de produits homéopathiques. Concernant les antalgiques de niveau I ou les AINS, si les parents restent les premiers à conseiller ce type de traitement, les seconds sont les entraîneurs ; viennent seulement ensuite les médecins du sport et le médecin généraliste. Pour les médicaments de niveau II, parents et médecins sont au centre de la négociation. De même, concernant la préparation des compétitions, les conseils des différentes sphères sociales entourant le jeune sportif peuvent être multiples. Tableau croisé : Pour te préparer ou pendant les compétitions, du prends / Qui te le conseille ? 134 Tableau : % Colonnes. Khi2=13,9 ddl=36 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 40) Des repas spécialement préparés (viande, poisson, pâtes...) Des préparations à base de fruits Des boissons énergétiques et énergisantes Des vitamines Des compléments alimentaires Des antidouleurs Tu ne prends rien Total Tes Parents Ton entraîneur Un médecin généraliste Un médecin nutritionniste ou spécialisé pharmacien Amis Personne ne te le conseille Total 44,5 40,0 50,0 38,5 66,7 44,4 40,0 43,8 16,1 10,0 10,9 15,0 23,1 33,3 15,0 15,9 15,4 11,1 30,0 13,0 14,6 4,4 9,5 10,0 20,0 5,0 33,3 7,7 15,4 11,1 10,0 5,0 12,0 7,2 8,2 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 16,7 Un 33,3 100,0 100,0 On observe notamment que, pour se préparer ou pendant une compétition, les parents conseillent majoritairement « des repas spécialement préparés », « des préparations à base de fruits » ou « des vitamines ». Si les entraîneurs conseillent aussi la mobilisation de « repas spécialement préparés », ils conseillent aussi de façon non négligeable l’utilisation de « compléments alimentaires », voire de « boissons énergétiques et énergisantes ». Le médecin généraliste conseille volontiers le « repas spécialement préparé » et les « vitamines », dans une moindre mesure les « antidouleur ». Les amis conseillent quant à eux les « repas spécialement préparés », les « préparations à base de fruits », les « boissons énergétiques et énergisantes » et, dans une moindre mesure les « compléments alimentaires ». Par ailleurs, la majeure partie des personnes consommant des « boissons énergétiques » disent ne se les être fait conseiller par personne. 5. Synthèse Les douleurs sportives font l’objet d’un apprentissage de méthodes ou de savoir-faire visant à les gérer. Cette socialisation à la douleur se fait à la frontière entre différents mondes sociaux. La famille est d’abord « activée ». Elle-même familière de la pratique sportive, elle oriente plutôt vers une gestion profane de la douleur. Les médicaments antidouleur de type I ainsi que les AINS sont d’abord fournis par les parents des jeunes sportifs. Dans un second temps, la socialisation à la douleur du jeune sportif est principalement prise en charge par l’entraîneur. La gestion profane de la douleur (celle promue par la famille) est affaiblie puis délaissée au profit d’un travail sur la douleur à la frontière des mondes du sport et de la médecine. L’entraîneur pourra se faire prescripteur de compléments alimentaires, de préparations 135 vitaminées et sera surtout à l’origine de l’adressage vers une médecine spécialisée propre aux mondes du sport. La consommation de médicaments antidouleur connaît alors une progression ralentie et l’activation de nouvelles ressources est repérée. Médecins du sport, kinésithérapeutes et ostéopathes constituent un nouvel espace d’apprentissage dans la gestion (anticipation, prévention, réparation, rééducation, gestion) de la douleur. Dans un troisième temps, la gestion de la douleur se prolonge entre sphère médicale et sphère familiale avec un fléchissement de la consommation de médicaments antidouleur. On constate enfin dans cette troisième phase une augmentation plus sensible du nombre de consultations de psychologie et de psychiatrie. 136 Chapitre 7 Entre la douleur et le dopage : existe-t-il un lien ? Les jeunes rencontrés n’ont que très rarement fait l’objet d’un contrôle antidopage. Seuls 6,3% d’entre eux ont fait l’objet de test. Tableau: Est-ce que tu as déjà fait l’objet d’un contrôle antidopage ? Effectifs 12 179 191 Oui Non Total % 6,3% 93,7% 100,0% Tableau croisé : Est-ce que tu as déjà fait l'objet d'un contrôle antidopage ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=2,53 ddl=3 p=0,472 (Val. théoriques < 5 = 4) Oui Non Total Moins de 4 de 4 à moins de 7 16,1 16,1 1,1 25,0 26,1 de 7 à moins de 10 2,8 29,4 32,2 10 et plus Total 2,8 22,8 25,6 6,7 93,3 100,0 Sont, en tendance, concernés par les tests antidopage les jeunes ayant une ancienneté importante dans leur pratique sportive. Les jeunes pratiquant le sport depuis sept ans et plus représentant la grande majorité des sportifs ayant fait l’objet d’un contrôle antidopage. 1. La liste des produits interdits : une double vigilance La faible représentation des personnes ayant personnellement fait l’objet d’un contrôle n’induit pas pour autant un manque de vigilance quant à la question du dopage, en particulier en matière de consommation de médicaments. La majeure partie des enquêtés déclarent 137 vérifier si les médicaments contre la douleur qu’ils utilisent sont autorisés dans le cadre de la législation antidopage : Tableau: Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ? Effectifs 64 25 12 82 183 Toujours Souvent Parfois Jamais Total % 35,0% 13,7% 6,6% 44,8% 100,0% Cumul 35,0% 48,6% 55,2% 100,0% 0,0% Ainsi, 55% des jeunes déclarent vérifier si les médicaments qu’ils utilisent sont interdits. Reste 44,8% des athlètes de 11 à 18 ans qui disent ne jamais vérifier ces informations. Tableau croisé : Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ? / Qui d'autre que toi vérifie ces informations ? Tableau : % - Base Répondants. Khi2=56,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2) Oui Non Total Parents Entraîneur Médecin Pharmacien 49,2 18,0 67,2 6,6 2,7 9,3 13,1 8,7 21,9 7,1 0,5 7,7 Autre personne du club 0,5 0,5 Personne Total 2,2 19,1 21,3 55,2 44,8 Parmi les jeunes qui ne vérifient pas eux-mêmes si les médicaments qu’ils prennent sont interdits dans le cadre de la législation antidopage, 19,1 % déclarent que personne ne vérifie ces informations pour eux. Seuls 18 % voient ces informations vérifiées par leurs parents et 8,7 % par leur médecin. Pour ceux qui vérifient eux-mêmes si les médicaments qu’ils utilisent sont interdits, la vigilance du sportif est doublée de celle de ses parents qui vérifient, pour 49,2 % d’entre eux si ces médicaments sont autorisés. L’attention quant à la liste des substances interdites dans le cadre de la lutte antidopage est majoritairement le fait des sportifs eux-mêmes. Elle est toutefois doublée de la vigilance de l’environnement familial pour ceux qui sont déjà attentifs à cette question. 138 2. Une représentation du dopage fermement associée à la performance Les représentations du dopage, malgré l’importance de la gestion de la douleur dans le quotidien des jeunes sportifs apparaissent pour partie déconnectées de la question de la douleur. A l’issue d’un questionnaire résolument tourné vers la liaison entre douleur et usage de médicaments, seuls moins de la moitié des jeunes (48,4 %) déclarent « comprendre que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ». Tableau croisé : Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? Effectifs 89 95 184 Oui Non Total % 48,4% 51,6% 100,0% A cette question dont les jeunes pouvaient percevoir l’attente d’une réponse positive qui serait légitime du fait de la thématique générale du questionnaire, près de 30 % des répondants choisissent pourtant la modalité la plus franchement opposée à l’idée d’un lien entre douleur et dopage. Tableau: Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? Oui, tout à fait Plutôt oui Plutôt non Non pas du tout Total Effectifs 24 65 41 54 184 % 13,0% 35,3% 22,3% 29,3% 100,0% De manière générale les jeunes sportifs ne comprennent pas que l’on puisse en venir à se « doper » pour diminuer la douleur. Au contraire, l’incompréhension du dopage comme fruit d’une recherche de diminution de la douleur est la règle au sein de cette population. On constate même que les sportifs qui s’entraînement le plus souvent sont paradoxalement ceux qui récusent le plus l’idée de dopage comme étant lié à la gestion de la douleur : Tableau croisé : 139 Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? /Classes sur Combien d’heures t’entraînes-tu par semaine ? (nbre h. / sem.) Tableau : %. Khi2=6,48 ddl=1 p=0,011 (Très significatif) Moins de 10 10 heures et heures plus 31,2 17,3 22,5 28,9 53,8 46,2 Oui Non Total Total 48,6 51,4 100,0 Ainsi plus les jeunes sportifs s’entraînement de manière intensive et moins le dopage est catégorisé comme lié à la douleur. Au contraire ceux qui s’entraînement moins de 10 heures par semaine déclarent plus facilement comprendre que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur. Une règle de condamnation du dopage tend à s’imposer au fil du temps et de l’intensification de la pratique sportive. En effet, les jeunes pratiquant leur activité sportive depuis moins de sept ans déclarent plus aisément comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur. Au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive, cette posture s’efface au profit d’une déconnexion du dopage et de son possible lien avec la gestion de la douleur. Tableau croisé : Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? Tableau : %. Khi2=8,91 ddl=3 p=0,03 (Significatif) Oui Non Total Moins de de 4 à de 7 à 4 moins de moins de 7 10 6,9 17,3 15,0 8,7 8,7 17,9 15,6 26,0 32,9 10 et plus Total 9,2 16,2 25,4 48,6 51,4 100,0 La faible considération de la possibilité d’en venir à se doper pour diminuer la douleur est pour partie liée à la reconceptualisation de l’expérience de la douleur, progressivement intériorisée et par sa « normalisation » : Tableau croisé : 140 Pour toi, ces douleurs étaient : / Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif) Oui 35,1 14,0 49,1 Normales Anormales Total Non 36,8 14,0 50,9 Total 71,9 28,1 100,0 Les sportifs considérant leurs douleurs sportives comme « anormales » sont légèrement moins nombreux (1,7 points d’écart) que ceux qui considèrent leurs douleurs comme « normales » à déclarer comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur. La normalisation de la douleur, qui progresse de manière concomitante avec l’ancienneté dans la pratique sportive tend à créer les conditions d’un rejet du dopage qui serait lié directement ou indirectement à la douleur. Cette norme de condamnation du dopage s’accompagne d’une représentation du dopage entendu comme quête effrénée de la performance, qui, quant à elle, est partagée par l’ensemble des sportifs quelle que soit leur ancienneté dans la pratique sportive. Tableau: A ton avis, qu'est-ce qui pousse au dopage ? La performance L'argent La douleur Total / répondants Effectifs 151 77 76 187 % 80,7% 41,2% 40,6% Interrogés : 202 / Répondants : 187 / Réponses : 304 Pourcentages calculés sur la base des répondants Le dopage est, pour les jeunes athlètes, prioritairement liée à la recherche de la performance (80,7%). L’argent (41,2%) et la douleur (40,6%) sont selon eux des causes secondaires du dopage des sportifs de haut niveau. 141 4. Synthèse La représentation du dopage chez les jeunes sportifs est pour partie déconnectée de pratiques témoignant d’une gestion pharmacologisée et médicalisée des douleurs sportives. Il est pourtant difficile de dresser une frontière étanche entre des pratiques thérapeutiques de gestion de la douleur et des pratiques de dopage. Cette frontière fait l’objet d’un apprentissage au fil de l’ancienneté des sportifs. Le rejet des pratiques de dopage croît en fonction de l’élévation dans la hiérarchie des niveaux des jeunes sportifs. Par ailleurs, l’association commune du dopage à une quête de performance nuit à une interprétation des traitements médicamenteux sous le prisme des pratiques dopantes. 142 Conclusion L’étude quantitative a permis d’objectiver un certain nombre de constats effectués au cours de l’enquête qualitative. Elle illustre, à son tour, de quelle manière les carrières des jeunes sportifs évoluent et reconfigurent les pratiques et les réseaux de soins mis en œuvre pour lutter contre les douleurs sportives. Initialement prise en charge par les parents, la douleur fait l’objet d’une gestion profane avant que les entraîneurs et médecins du sport prennent la main et s’imposent comme des interlocuteurs privilégiés des jeunes sportifs. Enfin, les données recueillies montrent que lorsque les sportifs atteignent et se maintiennent au plus haut niveau ceux-ci déclarent être suivis par d’autres praticiens médicaux comme les ostéopathes ou les kinésithérapeutes. Dans ce contexte, la consommation d’antalgiques dont les AINS reste difficile à mesurer même si nous avons pu en saisir la tendance et en décrire les modes d’approvisionnement. A partir de là deux remarques peuvent être formulées. En premier lieu, force est de constater que la déclaration de consommation de médicaments contre les douleurs sportives est plus fréquente chez les plus jeunes (moins de 13 ans) que parmi les athlètes plus âgés (de 15 à 17 ans). On peut faire l’hypothèse qu’elle baisse en fonction de la mutation de prise en charge médicale plus orientée vers la manipulation du corps (ostéopathes, kinésithérapeutes). Celle-ci pourrait être interprétée comme une alternative à la prise de médicaments42. Or, nous l’avons vu (partie 1), les kinésithérapeutes sont particulièrement sollicités par les sportifs et ils peuvent « conseiller » la prise de médicament. Cette hypothèse (la normalisation ou l’appropriation de la douleur dès le plus jeune âge entraînant un processus de dé-médicamentation) doit être nuancée car la montée en âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments généralement liée au dopage. De plus, on observe que la consommation de médicaments de niveau I, de compléments alimentaires et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes (au collège). Cette baisse sensible de la consommation des AINS à l’adolescence (lycée) est à 42 Notons cependant que nous n’avons pas inclues les professions des kinésithérapeutes dans les catégories susceptibles de conseiller la prise de médicaments. 143 mettre en question dans un contexte où les charges d’entraînements, l’intensification de l’effort et le processus de sélection débute majoritairement à partir du lycée (sport-étude) et que, par ailleurs, de nombreuses études ont mis en évidence la consommation d’antalgiques dont les AINS chez les adultes sportifs de haut niveau (Lippi et al. 2006 ; Tscholl et al., 2009). En second lieu, un des objectifs de notre enquête quantitative était d’identifier et d’authentifier des consommations dont plusieurs études et médias indiquent la présence au sein des groupes sportifs professionnels. La consommation des médicaments, crèmes et gels anti-inflammatoires non stéroïdiens qu’ils ont déclaré prendre (Nifluril®, Voltarène®, Dafalgan®, flectorgel®, Antadys® etc.) et, à bien moindre degré, les médicaments antalgiques de niveau II et III (Codoliprane®, Morphine) et les traitements adjuvants antalgiques (Osmogel®, Lumirelax®, Spasfon®, Solupred®,etc.), constituent une part non négligeable de la pharmacopée des enfants et adolescents qui pratiquent de manière intensive un sport. Même s’ils consomment ces médicaments à des fins thérapeutiques, pour soigner ou soulager des douleurs parfois intenables, la question de leur régulation devient centrale sur le plan de la santé publique. Parmi les adolescents confrontés à des douleurs dont ils peinent à se débarrasser, soucieux d’obtenir des résultats ou de rester dans la course, la réutilisation audelà de la prescription et hors prescription de ces médicaments de paliers I- II ou III a déjà été observée (Feucht, Patel 2010 ; Selanne 2014, Veliz, 2014). Se focaliser sur ces médicaments légaux, non interdits par l’AMA permet d’élargir le large spectre des produits consommés par les enfants et des adolescents sportifs (des antidouleur aux médicaments homéopathiques, boissons énergisantes, compléments alimentaires « boissons de récupération » ou « aliments de réparation » etc.). Ceux-ci sont bien souvent situés à la marge de consommations jugées interdites et peu étudiés de manière autonome, comme un objet de recherche à part entière. Inclure dans les études épidémiologiques et sociologiques, ainsi que dans les questionnaires régulièrement administrés dans les différents services de médecine du sport, des items concernant ces médicaments donnerait une idée plus large des « régimes dopants » des jeunes sportifs. Enfin, bien qu’ils soient très peu contrôlés (seuls 6,3% ont fait l’objet d’un contrôle anti-dopage essentiellement ceux qui pratiquent le sport depuis plus de dix ans) les adolescents construisent une frontière entre les médicaments pris à des fins thérapeutiques (pour soulager une douleur) et ceux qui pourraient renvoyer au dopage (« interdits » parce qu’ils améliorent la performance). Les adolescents sont particulièrement vigilants quant à l’usage de ces médicaments eu égard au dopage (49,2% d’entre eux vérifient avec leurs 144 parents si les médicaments pris contre les douleurs sont sur la liste des produits interdits). Ils le sont peut-être moins par rapport aux effets délétères qu’une (poly)consommation régulière ou de longue durée de ces médicaments depuis l’enfance risque d’occasionner pour leur santé. 145 Conclusion générale / reccommandations Cette recherche a choisi de prendre le contre-pied des représentations classiques en matière de recherche des connaissances et des causes des comportements de dopage. Il est ici présupposé que, dès le plus jeune âge, l’expérience chronique de la douleur dans les mondes du sport engage les enfants et les adolescents sportifs à avoir recours à des pratiques pharmacologiques différenciées de celles des non-sportifs. Ces pratiques ne recouvrent que partiellement celles contre lesquelles lutte la « communauté antidopage ». Cette « pharmacologie légale » utilisée à des fins thérapeutiques par les sportifs a tendance a être occultée par l’attention portée aux pratiques dopantes interdites et souvent médiatisées (stéroïdes, transfusion sanguine, dopage génétique etc.). Or, nous l’avons vu, les médicaments antalgiques, bien que consommés de manière latente par les sportifs, voient leur consommation se développer au fil de la carrière du sportif. Cette utilisation est liée aux fondements normatifs de la carrière sportive, ceux là même conduisant les jeunes athlètes à refuser le repos médicalement prescrit suite à une blessure et qui risquerait de menacer son idéal de performance. La douleur dans les mondes du sport fait l’objet de pratiques de soins variées – du médicament antalgique (de différents paliers) aux méthodes du mental training – qui sont dissimulées et restent des pratiques informelles. C’est un marché à l’intérieur duquel différents acteurs (parents, entraîneurs, etc.), groupes professionnels, organisations, sociétés privées, « entrepreneurs de l’équilibre personnel » (Ehrenberg, 2006), praticiens médicaux et paramédicaux se font concurrence pour offrir aux sportifs des solutions à leur problème de douleur récurrent et pour répondre à leur demande. Marché « parallèle », certes, mais qui a tendance à s’entrecroiser avec celui des produits dopants – protéines, compléments alimentaires, stéroïdes etc. – et avec celui des drogues dans lequel les médicaments antalgiques et les opiacés circulent. Les traitements antalgiques adjuvants sont aussi présents (antispasmodiques, myorelaxants, anti-convulsivants etc.). Plusieurs consommations 146 coexistent et débordent, soit sur le thérapeutique (quand le complément alimentaire est pris par le jeune sportif pour ne plus avoir de douleur), soit sur la performance (quand le médicament analgésique permet au sportif d’assurer la performance, même blessé ; ou qu’il lui permet de ne pas aggraver son cas). Cette porosité des mondes est à surveiller et devrait faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics. Les médicaments antalgiques consommés sont, en effet, à appréhender à partir du point de vue des logiques, des significations et des relations qui s’établissent entre ces mondes (Lovell, Aubisson, 2008). Sur le plan scientifique, nos reccomandations sont de trois ordres : 1) Renforcer les études épidémiologiques et sociologiques sur les consommations d médicaments antalgiques : Cette enquête exploratoire nécessiterait d’être prolongée par des enquêtes épidémiologiques ou sociologiques de plus grandes envergures afin de confirmer ou infirmer les tendances repérées dans la présente étude auprès d’une population et d’un terrain restreints. Ces consommations restent encore sous-estimées et contrairement à d’autres études sur les stéroïdes anabolisants, par exemple, elles sont trop peu nombreuses. A ce titre, l’AMA pourrait encourager ses partenaires (fédérations sportives, ministère de la santé et des sports, agence nationale de lutte contre le dopage, société de médecine du sport, etc.) à se mobiliser pour intégrer dans les études épidémiologiques ou questionnaires réalisées à l’intérieur des services de médecine du sport des hôpitaux publics, des cliniques privées liées au sport de haut niveau, des centres de rééducation, des indicateurs relatifs à la consommation de médicaments antidouleur (de paliers I, II et III) consommés à titre d’analgésiques ou d’antalgiques. Des enquêtes ethnographiques sur les itinéraires de soins des sportifs professionnels dans les circuits des centres de médecine du sport privés (kinésithérapie, centre de rééducation, cliniques médicales privées) seraient par ailleurs à mener. 147 2) Renforcer la connaissance sur le dopage mental et sur l’addiction au sport : Nous avons mentionné la consommation de médicaments antalgiques parmi les sportifs pour lutter contre les douleurs mais nous avons aussi fait mention de la manière dont le « mental » était investi pour surmonter les douleurs. Nous avons ainsi mis en évidence comment de nombreux programmes de mental training (basés sur la neurobiologie ou des méthodes cognitivo-comportementales) se développaient actuellement. S’ouvre ainsi une extension du domaine de la lutte antidopage. A la consommation de médicaments doivent s’ajouter les méthodes et les procédés utilisés par les parents, les coachs et les sportifs, pour transcender les douleurs, et améliorer leurs performances physiques, sportives et cognitives (atteindre la « zone »). Certains programmes se présentent comme des alternatives « saines et naturelles » au dopage (lequel est lié dans la représentation des sportifs à la prise de médicaments ou de substances interdites mais pas aux procédés ou aux méthodes). Des études devraient être envisagées sur ce secteur d’activité ne serait-ce que pour identifier les dérives potentielles. Très tôt les jeunes sportifs apprennent à dépasser la douleur par la force du mental. C’est le « mental » qu’il faut mobiliser et sur lequel il faut agir pour dépasser ses limites tout au long de sa carrière. Le « cerveau » apparaît alors comme l’organe de contrôle du corps, le lieu de l’action, celui de la « toute puissance ». C’est en ayant une action méthodique sur le cerveau et sur ses mécanismes qu’il est alors possible de modifier ses états de conscience, de contrôler ses émotions, d’améliorer sa concentration, de modifier sa performance ou sa perception de la douleur. C’est la possibilité d’être « autre » par la seule force du mental. Cependant, nous pensons que ce phénomène peut s’accompagner d’une augmentation de l’utilisation de substances psycho-pharmacologiques qui risquent d’être consommées par les sportifs dans le but de produire et de contrôler les opiacés produits de manière « endogènes » par le cerveau au cours de l’activité sportive (dopamine, endorphine, etc.). Nous pouvons avancer que l’AMA risque, à l’avenir, de voir se renouveler un débat qui s’était constitué il y a quelques années autour des hormones (entre l’EPO endogène/exogène) mais, cette fois-ci, au niveau des opiacés. La question du dopage mental nous semble être, à ce titre, une piste de recherche à explorer. Avec le développement des neurosciences et de l’addictologie, le sport est de plus en plus apparenté à une addiction. Emmerge alors la figure du sportif addict appelant une prise en charge psychopharmacologique paradoxalement composée de médicaments morphiniques, de méthadone etc.. 148 3) Renforcer les partenariats avec des observatoires français et européens des drogues et des toxicomanies : De manière générale, les mondes du sport restent hermétiques aux études épidémiologiques ou aux enquêtes quantitatives ou qualitatives relatives aux consommations de substances psychoactives des jeunes sportifs. Nous invitons l’AMA a développer un partenariat avec des organismes de recherche comme l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) ou l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) à l’échelle européenne afin d’élargir ses connaissances vis-à-vis de ce type de consommations de médicaments antalgiques (de niveau I, II et III et des traitements adjuvants). L’OFDT (France) et l’OEDT représentent des groupements d’intérêt public qui ont pour objet d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels et le grand public sur les questions relatives aux drogues et aux addictions. Ils fournissent des dispositifs permanents d’observation et d’enquêtes, des informations provenant de sources différentes et scientifiquement validées sur les substances licites comme illicites. Certains espaces de consommation sont depuis longtemps observés (festif, urbains, scolaires). Nous pensons que l’espace sportif pourrait y être intégré. Sur le plan de la prévention, nos préconisations sont de trois ordres : 1) Informer les jeunes sportifs sur les médicaments antalgiques – y compris les AINS - : Un travail de prévention des risques sanitaires liés à la consommation de médicaments antalgiques est à réaliser auprès de la population des jeunes sportifs. Peu d’entre eux connaissent les médicaments qui leur sont prescrits ou administrés pour soulager leurs douleurs. Leur apprendre à identifier ce type de médicaments antalgiques autorisés et justifiés sur le plan thérapeutique permettrait de mieux les préparer à interroger les autres produits qui pourraient, à l’avenir, leur être proposés. Si on prend au sérieux le fait que la douleur est 149 omniprésente et qu’elle peut trouver une solution médicamenteuse, la connaissance de ces médicaments, de leurs dangers potentiels sur la santé, s’avère indispensable, en particulier dans un contexte où l’automédication est courante (dans la sphère familiale) et où la réduction des risques semble être le cadre de référence adopté par un grand nombre de praticiens médicaux encadrant les jeunes sportifs. De plus, il conviendrait d’avoir une vigilance sur le fait que les opiacés prescrits (faibles ou forts : niveaux II ou III), peuvent être réutilisés hors prescription et en dehors de tout contrôle médical en cas de résurgence de douleurs chroniques ou identifiées comme identifiques. Certains sportifs finissent, nous l’avons vu, par se constituer un stock de médicaments et par développer une « expertise profane » concernant les usages de ces médicaments. Une remarque liée à la réutilisation de ce type de médicaments antalgiques (et pas seulement la morphine) pourrait être intégrée dans des brochures de l’AMA telles que : « Les dangers du dopage parlons-en », destinées aux adolescents de 14 à 18 ans (à ce titre nous pensons qu’il faudrait abaisser à 12 ans l’âge de diffusion de cette brochure qui est une des rares à évoquer la douleur). Par ailleurs, l’AMA pourrait intégrer assez facilement sur son site (Q&R, Réseaux sociaux, etc.) des informations médicales de base relatives aux médicaments antalgiques et à leurs effets secondaires. Le fait que ces médicaments ne soient pas interdits ne signifie pas qu’ils soient sans effets sur la santé. Ces informations doivent être diffusées aussi bien aux parents qu’aux adolescents. Enfin, nous avons mentionné qu’une grande partie des adolescents vérifient par eux-même la présence des médicaments antalgiques sur la liste des produits interdits. Nous avons montré que cette vigilance était doublée de celle des parents. Inversement, il est remarquable de noter que les adolescents ne vérifiant pas ces informations sont issus de famille peut sensibilisées à ces questions. Il y aurait ici matière à réflexion pour la constitution d’un outil de sensibilisation destiné aussi bien aux parents qu’aux enfants sportifs. 2) Un outil de sensibilisation : La consommation de médicaments antalgiques est à mettre en lien avec la signification que le jeune sportif attribue à sa douleur ou à celle que d’autres acteurs (parents, entraîneur, etc.) lui attribuent. Nous proposons à l’AMA la création d’un support visuel qui pourrait être utilisé à des fins d’éducation et de sensibilisation. Ce support – format 14.5 x 10 cm – (cf. Annexe « carte de la douleur ») représente un schéma corporel (face/dos ; garçon/fille). Dans la mesure 150 où les jeunes sportifs développent une aptitude à la désignation de parties douloureuses de leur corps, ce support numérisé et diffusé à l’aide d’une tablette tactile pourrait permettre aux jeunes sportifs, avec l’aide d’un crayon tactile de pointer les zones du corps où ils ressentent une ou plusieurs douleur(s) persistante/chronique (avant, pendant et après la compétition par exemple). Ce support pourrait être complété par d’autres informations supplémentaires. Nous y avons par exemple associé une échelle de la douleur : il pourrait permettre de signifier à l’adolescent – ou à son entourage - un seuil d’alerte indiquant la nécessité de prendre soin de lui-même ou de respecter son corps avec des messages de prévention concernant les médicaments antalgiques de différents paliers ou les risques liés à l’usage des compléments alimentaires (« aliment de réparation », « de rééducation », protéines, etc.). Ce schéma corporel pourrait être l’occasion de représenter autrement la réalité du problème. Il pourrait, par la suite, faire l’objet d’une exploitation numérique et statistique (en croisant les points douloureux identifiés avec les variables type âge, sport, genre, etc.). L’enjeu de ce support reste principalement la mise en évidence de la place prépondérante qu’occupe la douleur dans la pratique sportive ainsi que la faible place de sa mise en mot au sein des mondes du sport. 3) Les masseurs-kinésithérapeutes : acteurs de la prévention du dopage ? : La prescription des médicaments antalgiques a été décrite. Elle évolue au fil des années et de l’ancienneté dans la pratique sportive. Alors que les parents tentent de gérer de manière profane les douleurs des jeunes sportifs, lorsque les douleurs persistent et que la pharmacopée familiale ne suffisent plus à soulager, les entraîneurs et les praticiens médicaux médicalisent la douleur du sportif sans pour autant remettre en cause la pratique intensive du sport. Les médecins de famille ou généralistes sont écartés de la prise en charge médicale, accusés d’« arrêter » trop souvent les sportifs et de ne pas prendre en considération leurs attentes sociales. La transgression de la norme commune de santé est clairement partagée par un grand nombre de praticiens médicaux qui interviennent dans les itinéraires des jeunes sportifs. Parmi ces acteurs, nous avons indiqué que les kinésithérapeutes participent à la redéfinition des programmes d’entraînement et personnalisent les itinéraires de soins. Ils sont particulièrement plébiscités par les jeunes sportifs. L’espace de détente et de parole qu’ils offrent aux adolescents sportifs est décisif. Pour nombre d’entre eux, les « kinés » et « ostéos » possèdent une aura dont ne bénéficient pas les médecins du sport rattachés au club ou à leur structure 151 fédérale. A ce titre, ils pourraient être mobilisés comme des acteurs de prévention de première ligne en matière de dopage et concernant les consommations de médicaments antalgiques. Ceci, à condition qu’ils respectent les normes et l’éthique médicale en vigueur, qu’ils ne prescrivent ou ne conseillent pas les médicaments en question ou qu’ils ne pratiquent pas d’injections (glucocorticoïdes, PRP etc.). Il y aurait à ce propos, un rappel à la loi à faire de la part des autorités sanitaires (Minsitère de la santé, de la ville de la jeunesse et des sports, les ONAD) auprès de ces groupes professionnels ou des clubs et structures fédératives qui les emploient. L’AMA pourrait veiller à ce que dans la formation de ces professionnels du soin soit renforcée en matière de connaissances du dopage et de lutte antidopage. 152 Références ADOLESCENCE, 2014, Sport et subjectivation, 32,2, 192 p. ALARANTA A., H.HELENIUS I., 2008, Use of Prescription drugs in Athletes, Sports Med. 38, 6, 449-459 ALFORD R., SZANTO A., 1995, Orphée blessé. L’expérience de la douleur dans le monde professionnel du piano, Actes de la recherche en sciences sociales, 110,1, 56-63. ARVERS P, M CHOQUET, 2003, Pratiques sportives et consommation d'alcool, tabac, cannabis et autres drogues illicites, Annales de Médecine Interne, 154, 25-34 ATKINSON M., YOUNG K., 2008, Deviance and social control in sport. Human Kinetics. 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...................................................................... 137 Conclusion ................................................................................................................................... 143 Conclusion générale / reccommandations ........................................................................................... 146 Références ........................................................................................................................................... 153 162