Sport intensif à l`adolescence : l`apprentissage de la douleur

Transcription

Sport intensif à l`adolescence : l`apprentissage de la douleur
Sport intensif à l’adolescence :
l’apprentissage de la douleur
Avant -propos
Programme de bourses pour la recherche en sciences sociales
Rapport final
Chercheur principal:
Thomas Bujon, Maitre de conférences en sociologie, Université
Jean Monnet, Triangle
Chercheurs associés : Frédéric Mougeot (Doctorant en sociologie, université Lyon II,
CMW), Bérangère Ginhoux (Docteure en sociologie, Université Jean Monnet, CMW),
Bertrand Guérineau (psychologue clinicien, AMPD, Nantes).
Titre du projet:
Organisation:
Sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage de la douleur
Université Jean Monnet de Saint-Étienne.
Laboratoire TRIANGLE UMR5206
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Résumé:
Cette recherche se propose de renforcer la connaissance des causes et des comportements de
dopage. Dans cette optique nous nous sommes focalisés sur l’expérience de la douleur,
physique et morale, des jeunes sportifs engagés dans une pratique de sport intensif ou qui sont
aux portes du haut niveau. Il s’agit de voir comment la douleur fait l’objet de pratiques de
soins dans différentes sphères sociales (famille, club, médecine etc.). Plusieurs acteurs
participent à la gestion de la douleur, à sa redéfinition en fonction d’enjeux et d’intérêts
différents. Cette gestion de la douleur inclut forcément des choix dans les pratiques de soin
(traitement médicamenteux, techniques thérapeutiques etc.), et nous avions fait initialement
l’hypothèse que celles mises en oeuvre par l’entourage du jeune sportif pour gérer ou
dissimuler la douleur, peuvent dériver vers des pratiques dopantes.
Objectifs:
Le but de cette recherche est d’apporter des éléments de réflexion sur le processus d’entrée
dans le dopage des sportifs adolescents, de réfléchir aux frontières entre se soigner et se doper
qui peuvent à cet âge de la vie être floues. Notre but était d’appréhender leur perception de la
douleur liée à leur pratique intensive du sport et d’identifier les consommations de
médicaments antalgiques, de méthodes et de techniques antidouleur mobilisées par les jeunes
sportifs et leur entourage pour les faire disparaître ou éventuellement apprendre à « faire avec
» ces douleurs.
La structure du rapport final:
Le rapport se découpe en deux parties : la première partie restitue les résultats de notre
enquête qualitative (par entretiens semi-directifs), la seconde restitue les résultats de notre
enquête quantitative réalisée dans deux services hospitaliers de médecine du sport. A ces deux
parties sont joints deux articles scientifiques : l’un synthétise la partie qualitative et l’autre, la
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partie quantitative. Il y a donc, en quelque sorte, pour chaque approche une version longue et
une version courte de l’enquête. Les deux articles scientifiques (versions courtes) – dont nous
espérons obtenir l’accord de l’AMA pour les proposer à des revues scientifiques - ont
l’avantage de mettre en évidence les principaux résultats de notre recherche. Pour autant,
chaque partie du rapport (qualitative/quantitative) déploie ses principaux points d’appuis
théoriques et méthodologiques et présente de nombreuses données recueillies au cours de
l’étude et en propose certaines interprétations. Par ailleurs, chacune de ces deux parties
expose des informations qui ne sont pas forcément présentes, dans les articles scientifiques.
Certaines informations figurant dans les deux parties du rapport sont à destination exclusive
de l’AMA et ne peuvent être rendues publiques. En effet, certaines données empiriques (par
exemple relatives à la consommation de médicaments par les sportifs) restent à vérifier.
Cependant, nous les avons relayées quand il nous a semblé que l’AMA pouvait les trouver
pertinentes.
Ces deux parties du rapport peuvent se lire indépendamment l’une de l’autre mais la lecture
de l’une éclaire et confirme les résultats de l’autre. Les résultats et les tendances caractérisées
sont identiques. Ils nous permettent de conclure le rapport par une série de préconisations et
de traduire notre recherche en actions.
Évolution de la recherche et mise en oeuvre du projet scientifique:
Cette recherche a connu quelques soubresauts au cours de deux années du programme : les
terrains envisagés au départ se sont reconfigurés et l’équipe de chercheurs initialement prévue
s’est, elle aussi, modifiée. Nous avons systématiquement tenu informé l’AMA de ces
évolutions lui faisant ainsi des propositions d’adaptations face aux aléas de la recherche. Nous
ne les avons engagés qu’après avoir obtenu l’accord de principe de Léa Cléret. Même si
toutes les conditions initiales n’ont été que partiellement réunies, la recherche a pu être
pleinement mise en œuvre et ainsi fairet émerger des résultats scientifiques probants.
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Ces évolutions sont de deux ordres : la première concerne la partie quantitative de l’enquête,
la seconde concerne l’équipe de la recherche.
Comme indiqué dans le projet, nous avions pour objectif d’administrer à partir des mois de
mars et avril 2014 notre questionnaire sur deux sites hospitaliers : celui de Saint-Étienne et
celui de Nantes. Cependant, à Nantes, la situation a évolué en raison de l’avenir incertain de
l’antenne médicale de prévention du dopage. Le projet s’est appuyé sur différents
responsables d’Antennes Médicales de Prévention du Dopage dont l’existence était menacée
pour de nombreuses raisons précisées dans le rapport, pour le Sénat, de la commission
d’enquête sur l’efficacité de la lutte contre le dopage (2013, n°782, p. 103 et suiv.). A Nantes,
Mr. B. Guérineau, responsable de l’AMPD (rattachée au service addictologie du CHU de
Nantes), chercheur associé au projet ne pouvait pas prétendre administrer le questionnaire –
même avec la présence d’un stagiaire - dans le cadre de ses consultations liées à l’AMPD. La
file active de l’antenne médicale s’avérait en effet bien trop faible. Notre demande de
collaboration avec le service hospitalier de médecine du sport du CHU de Nantes (dirigé par
le Dr. Carole Paruit) est restée sans suite. Pour ne pas prendre du retard sur notre programme
de recherche, nous avons pris contact avec l'Antenne médicale de Prévention du dopage de
Montpellier (dans la même situation que Nantes), sans résultats, avant que nous puissions
entrer en contact avec l’antenne médicale de prévention du dopage du Dr Sandra Winter et le
service de médecine du sport du CHU de Lyon (du Dr. J-F. Luciani) ont permis, finalement,
l’administration des questionnaires à partir du mois de mai 2014.
Cependant, la dimension quantitative de l'étude a continué de se compliquer : à partir des
mois de mars avril et mai 2014, et suite à la validation du questionnaire par l'AMA, nous
étions prêts à commencer la diffusion du questionnaire à Saint-Étienne puis à Lyon. Or, le
Docteur R. Oullion (chercheur associé au projet et responsable de l’antenne médicale de
prévention du dopage et du service de médecine du sport de Saint-Étienne), n'ayant plus la
responsabilité du service, n’était plus en mesure de nous permettre d'accéder à son service
pour l’administration du questionnaire. Il nous a donc fallu renégocier notre présence auprès
du nouveau chef de service (M. P. Edouard), qui est aussi devenu, plus tard, responsable de
l’AMPD. Cette négociation a eu lieu pendant la première phase de consultations et les bilans
sanitaires des jeunes sportifs. Nous avons donc dû reporter l’administration du questionnaire
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au mois de septembre octobre et décembre 2014. Au mois de septembre, pour des raisons qui
semblent internes au service de médecine hospitalière, M. Roger Oullion a démissionné de
son poste de praticien hospitalier et de ses engagements scientifiques au sein de son
laboratoire (LPE UJM). Notre projet a donc perdu un chercheur clé à un moment où nous
avions besoin de lui.
Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé avec les deux assistants de recherche (Frédéric
Mougeot puis Bérangère Ginhoux à la fin du mois de décembre 2014) sur les deux sites pour
essayer d'atteindre les objectifs fixés par le projet. De toute évidence, et malgré nos efforts,
nos ambitions sur ce versant de l'enquête (600 questionnaires) ont été revues à la baisse (nous
avons tout de même atteint 191 jeunes sportifs). Ces éléments n’ont pas mis en péril la
pertinence de l'analyse statistique (qui visait moins la représentativité statistique que
l'exhaustivité sur les différents sites) mais cela nous a amené à reconsidérer son statut dans
l'architecture de l'enquête. Toutefois, force est de constater que ce déficit n’est pas
uniquement du aux aléas de la recherche : certes c'est, nous semble t-il, dû à une projection
qui a été mal estimée au départ par les responsables de l’étude et à des critères d’inclusion
précis particulièrement restreints (cf. partie 2) mais c'est aussi, indéniablement, un des
résultats de l'enquête : les services hospitaliers de médecine du sport ont, eux aussi, une faible
file active. L’enquête qualitative le montre d’ailleurs : les jeunes sportifs sont surtout suivis
par des professionnels du soin orientés et inscrits dans des réseaux de soins informels ou
directement en lien avec des centres de médecines sportives privés (kiné, ostéopathe, etc.)
Pour compenser cette baisse d’effectif statistique nous avons proposé de prolonger notre étude
qualitative et d’enrichir ce versant qui, au départ, devait être exploratoire (n= 20). Au total
nous avons réalisés 46 entretiens semi-directifs approfondis. Ces entretiens ont été
principalement menés auprès de jeunes adolescents sportifs. Les autres ont été faits avec des
parents de jeunes sportifs de haut niveau, d’autres avec des médecins du sport, des praticiens
médicaux (kinésithérapeutes, psychologues, etc.), des entraîneurs de jeunes athlètes sur le
rapport à la douleur. Ces entretiens ont été analysés au cours de l’année et ils nous ont permis
de présenter une étude qualitative.
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Au final, notre équipe s’est resserrée et nos interlocuteurs ont changé : si nous avons continué
d’échanger et de suivre les travaux de Mr Guérineau qui ont abondé notre enquête, nous
avons bénéficié de l’aide des Dr. Pascal Edouard et Dr. Sandra Winter (respectivement
responsables des AMPD de Saint-Étienne et de Lyon) qui ont contribué avec leur équipe à la
bonne marche scientifique de cette enquête au sein de leur service.
Résultats :

Synthétiques : articles scientifiques (en annexe)

Développements : Etude qualitative (partie 1) et étude quantitative (partie 2) rapport
final.

Reccommandations : Conclusion générale
Effet de la recherche sur le développement professionnel :
La recherche a permis de renforcer les liens avec les laboratoires de recherche
interdisciplinaires (laboratoire de physiologie de l’exercice, faculté de médecine, service
hospitalier) et d’ouvrir de nouvelles perspectives de recherche pour les membres de l’équipe.
La création du Master Sciences sociales et médecine par le responsable scientifique du projet
sera l’occasion à l’avenir de développer des travaux d’étudiants avancés liés au sport, à la
santé et au dopage. Mélanie Brossier, étudiante en Master 2 Sciences sociales & Médecine, a
effectué sur le site CHU de Saint-Étienne un stage conventionné et indemnisé dans le cadre
de ce programme pour l’administration du questionnaire.
Par ailleurs le projet s’inscrit dans la politique et le développement stratégique de
l’établissement (UJM) autour d’un axe santé/société et accompagne la création du pôle santé
qui vise à l’échelle régionale à renforcer les liens entre santé, ingénierie et prévention. Il sera
ainsi possible de nouer des partenariats avec des structures comme l’Institut fédératif de
recherche en sciences et en ingénierie de la santé ou de participer à des projets européens
comme Sport et santé avec la Cité du design, « People Olympics » etc.. De nombreux
programmes en cours d’élaboration sur le thème sport ingénierie et santé impliquant une
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multitude de partenaires pourraient être des opportunités professionnelles pour les assistants
de recherche (Frédéric Mougeot, Bérangère Ginhoux). Ces derniers auront eu la possibilité de
présenter les résultats de cette recherche au cours de l’année 2 dans le cadre de séminaire ou
de colloque.
Publications:
Au terme des deux années, deux articles pour publication scientifiques sont d’ores et déjà
proposés à l’AMA pour validation.
1.
BUJON T., MOUGEOT F., « Le négoce de la douleur dans la carrière des
sportifs de haut niveau » (Les revues scientifiques visées : Déviance et société,
Sciences sociales et santé, Drogues santé et société. ; des revues de Sciences humaines
et sociales)
2.
BUJON T., MOUGEOT F., GINHOUX B. « La consommation d’antalgiques
chez les adolescents sportifs » (Les revues scientifiques visées :Science & Sports, Le
courrier des addictions, Psychotropes ; revues multidisciplinaires liées au champ
médical et destinés aux acteurs du champ de la santé)
Un autre article à destination des médecins généralistes est en cours de rédaction pour la revue
: Médecine. De la médecine factuelle à nos pratiques. (John Libbey Eurotext www.revuemedecine.com).Nous prévoyons de faire parvenir à différentes revues professionnelles les
résultats de notre travail afin d’en assurer une diffusion plus large.
Présentations/communications:
Cette recherche a fait l’objet de plusieurs communications scientifiques dans le cadre de
séminaires, colloques nationaux, congrès internationaux.
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1.
Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : l’apprentissage
de la douleur. Présentation d’un projet de recherche ». Séminaire Santé/société, faculté
Sciences humaines et sociales, département de sociologie, Master sociologie et anthropologie.
04 avril 2013
2.
Thomas Bujon, Frédéric Mougeot, « Le sport intensif à l’adolescence : trajectoires et
socialisation de la douleur », Journée d’étude Sport intensif et douleur à l’adolescence : de la
sociologie à la psychopathologie. CHU Hôpital Nord, 14 novembre 2013 (cf. rapport
intermédiaire pour l’organisation de cette journée multidisciplinaire). Ont communiqués : Pr.
Xavier Bigard (physiologie, biologie musculaire), Dr, Olivier Martin (pédiatrie), dr, Pascal
Giraux (médecine rééducative), Dr. Claire Condemine-Piron (médecine du sport), M. Laurent
Dartigues (sociologue), Mme Gaëlle Sempé (sociologue), Dr. Franck Enjolras (psychiatre,
doctorant anthropologie).
http://www.reseau-chu.org/les-articles/article/article/lexperience-de-la-douleurcomme-objet-de-recherche/
3.
Thomas Bujon « Produits dopants, médicaments et drogues sociales : ethnographie des
régimes dopants des jeunes sportifs », Cultures Chimiques : Enjeux épistémologiques,
éthiques et méthodologiques , Emilia Sanabria, Anita Hardon (dir.) Ecole Normale Supérieure
de Lyon, première journée du programme ERC Chemical Youth, 17 février 2014.
http://aissr.uva.nl/research/externally-funded-projects/content6/recent/chemical-youth.html
4.
Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Douleur et dopage dans le sport intensif à
l’adolescence:de l’expérience vécue de la douleur à l’expertise négociée », Congreso
Internacional IV Deporte, dopaje y sociedad, Madrid 26 février 2014 (communication
acceptée). Les frais d’inscription au congrès et les frais de déplacement nous sont parus trop
élevés pour nous y rendre. Nous avons du y renoncer.
5.
Thomas Bujon « La guerre contre le dopage : un simple dérivé de la guerre contre la
drogue ? », Congrès Addictologie et travail, Travail santé et usages de substances
psychoactives. Etat des connaissances et modèles de prévention, Paris, Montrouge, 7-8 avril
2014
6.
Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, « Le dopage des enfants et des adolescents : des
pratiques de soin extrêmes ? » Colloque Addictions et société. Quels regards, quels enjeux ?,
Genève, 12 novembre 2014. Discutant : Dr. B. Kayser.
http://www.addictionsetsociete.ch/presentation.php
7.
Thomas Bujon, Fréderic Mougeot, Bérangère Ginhoux, « Le négoce de la douleur
dans la carrières des sportifs de haut niveau » Séminaire, dir. Patrick Mignon Sciences
sociales et performance, INSEP, Paris, 04 février 2015.
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Remerciements :
Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à cette étude : pour la réalisation du
questionnaire nous avons pu nous appuyer sur les compétences de Nathalie Dejong, assistante
de production et d’analyse des données au laboratoire TRIANGLE et CERCRID à l’UJM.
Caroline Vaisse qui a assuré avec une grande rapidité et de manière fidèle les propos des
entretiens
semi-directifs.
Mélanie
Brossier,
étudiante-stagiaire,
notamment
pour
l’administration des premiers questionnaires/tests. Yvan Weitzel pour la réalisation du support
graphique. Le Dr Rodolphe Charles, maître de conférence associé à la faculté de médecine de
Saint-Étienne pour ses relectures. Patrick Mignon, Laurent Dartigues, pour leurs
encouragements. Nos remerciements vont enfin à Léa Cléret, pour sa patience et pour nous
avoir toujours soutenus dans nos recherches sur le dopage. Son enthousiasme et son
professionnalisme nous a été, tout au long de ce programme, extrêmement précieux.
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Partie I :
L’apprentissage de la douleur dans la carrière des jeunes sportifs
de haut niveau : à propos des médicaments, méthodes et
techniques antidouleur dans les mondes du sport.
Etude qualitative
***
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Introduction
Chaque année, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) publie la liste des substances et des
méthodes interdites. A cette liste s’ajoute une autre liste, moins connue du grand public, celle
des substances placées sous surveillance. Ces substances sont signalées comme étant
consommées par les sportifs de haut niveau : au détour de prélèvements d’échantillons
urinaires ou sanguins de sportifs réalisés par les laboratoires antidopage accrédités, en raison
d’informations relayées incidemment par le milieu sportif ou médical; d’une augmentation
des prescriptions médicales, de vols, ou encore d’informations délibérément transmises et
rendues publiques, on sait que ces substances sont utilisées mais leur taux de prévalence dans
les milieux du sport, les quantités absorbées, les niveaux de consommation, les effets attendus
du produit, les risques qui leur sont associés, restent obscurs. Ils font alors l’objet d’un
programme de surveillance : pendant plusieurs années les laboratoires de l’AMA prélèvent,
dans des circonstances spécifiées (en et/ou hors compétition), des échantillons dans les urines
ou le sang des sportifs pour identifier la présence de ces substances et en mesurer la
prévalence d’usage dans le sport. Ces substances pourraient être inscrites dans la liste des
interdictions s’il s’avérait que leur consommation constitue une « violation des règles
antidopages » fixées par le code mondial antidopage depuis 2002 (Cléret, 2011). Certaines
substances, comme par exemple la caféine ou la nicotine (Bujon, 2008), restent ainsi pendant
plusieurs années sous monitoring program, certaines finissent par être inscrites dans la liste
des produits interdits, mais d’autres en sortent. Les substances qui figurent sur la liste de
surveillance sont, jusqu’à nouvel ordre, autorisées par l’AMA et font parties de la «
pharmacologie légale » du sportif (Fincoeur, 2010).
La dernière liste des substances figurant dans le programme de surveillance, publiée en 2015,
nous renseigne sur au moins deux points. Le premier est que cette liste intègre, spécialement
depuis 2012, un nombre croissant de produits qui entrent sous la rubrique des narcotiques.
Effectivement,
certains
médicaments
opiacés
y
figurent
(hydrocodone,
ratio
morphine/codéïne, tapendadol, tramadol). Ces substances, généralement employées dans le
cadre de traitement de douleurs aiguës ou de douleurs chroniques sévères (généralement
cancéreuses), sont parfois utilisées dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés
illicites (héroïne, cocaïne) aux titres de substituts ou de compléments. A cette liste, s’ajoutent
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les glucocorticoïdes qui sont des anti-inflammatoires. Le second point, est que les produits
incriminés et/ou surveillés par l’AMA renvoie à une forme de « fuitage pharmaceutique »
(Lovell, Aubisson, 2008). Ce phénomène n’est pas nouveau. Les produits dopants sont
d’abord et majoritairement des médicaments ou des techniques thérapeutiques détournés de
leurs usages premiers. Ils sont alors utilisés pour améliorer les performances et non
exclusivement à des fins thérapeutiques. Ce phénomène est bien identifié. En revanche, ce qui
l’est moins, ce sont la qualité et la quantité des substances thérapeutiques utilisées par les
sportifs ou par leur entourage, les niveaux d’usages et les pratiques à risque des utilisateurs de
ces médicaments appartenant aux narcotiques. Les produits surveillés pourraient ainsi se
révéler être réellement utilisés à des fins thérapeutiques, pour soulager des souffrances,
déplacer le seuil de tolérance de la douleur ou pour la « contrôler » (Lévy, Thoër, 2008) y
compris, peut-être, pour atténuer les douleurs produites par l’usage régulier de produits
dopants interdits (hormones de croissance etc.). Ces substances sont-elles dopantes ? et, si
elles ne l’étaient pas, doivent-elles, comme d’autres produits utilisés par les sportifs – le
cannabis par exemple (Mazanov, 2013) dont on sait qu’il est fortement expérimenté par les
adolescents et fortement représenté dans les prélèvements issus des tests antidopages - figurer
sur la liste des produits interdits par l’AMA en raison des risques sanitaires liés à leurs usages
ou parce qu’elles sont contraires à l’esprit sportif (cf. art. 4.3 du code mondial antidopage de
l’AMA)?
Cette liste des produits agglomérant différentes classes de médicaments (antalgiques,
analgésiques ou opiacés) est doublement significative. Tout d’abord, elle est significative en
ce qu’elle rend compte d’un renouvellement des modes de consommation des drogues légales
ou illégales – en l’occurrence des opiacés - dans le sport. Ensuite, elle est significative en ce
qu’elle nous informe sur l’élargissement du champ de la lutte antidopage à des types de
substances qui ne sont pas historiquement identifiées comme dopantes comme peuvent l’être
les stéroïdes anabolisants, les hormones de croissance, l’EPO, ou différents types de
stimulants (amphétamines, etc.) pris explicitement pour améliorer la performance. Les
pratiques relatives à la consommation de stéroïdes anabolisants, de stimulants, de
compléments alimentaires (protéines, créatine, vitamines, boissons énergisantes, etc.),
d’alcool, de tabac ou de cannabis dans le sport parmi les « adolescents » (Arvers, Choquet,
2003, Peretti-Watel, 2011 ; Thoer, Levy, 2008, 2011, Sala et al. 2014) font d’ailleurs l’objet
d’une littérature internationale abondante relayée dans les revues Journal of Adolescent
12
Health, Pediatric Clinics of North America, Addictive Behaviors, Pedriatrics, Drogues santé
et société, etc. 1 ; tandis que les pratiques liées à la consommation d’antidouleur 2 ou même
d’opiacés illégaux dans le sport restent, comparativement, bien pauvres.
Cette attention publique croissante aux comportements d’usages et aux pratiques à risques des
adolescents dans différents espaces (festifs, sportifs, scolaires etc.) est associée à une
conception de l’adolescence généralement définie comme « une période cruciale du point de
vue des apprentissages et des expériences de la vie ». A ce titre, c’est à cet âge de la vie que «
l’initiation aux drogues licites ou illicites peut, en effet, potentiellement conduire, à terme, à
l’amplification
des
problématiques
individuelles
(psychologiques,
éducatives,
sociofamiliales). » (Beck et al., 2010 ; INSERM, 2014). L’adolescence est généralement
décrite comme une période de « découverte des usages de produits psychoactifs », comme
une « période de vulnérabilité maximale au dopage » (CNRS, 1998). L’adolescence est
également perçue comme une période « d’adaptation » qui s’accompagne aussi de troubles
relationnels, de signes dépressifs ou anxieux, ou encore de manifestations violentes. Enfin,
l’enfant ou l’adolescent apparaît « plus sensible aux influences de l’environnement,
particulièrement vulnérable aux questions touchant à l’image du corps et à la construction de
l’identité » (Purper-Ouakil, 2002). Ainsi, les enquêtes en population générale portant sur les
usages de substances psychoactives se sont progressivement centrées sur la population des
adolescents particulièrement exposées aux risques apportant ainsi des éléments chiffrés sur
certaines sous-population adolescentes : leurs usages de substances psychoactives sont mis en
lien avec certaines de ses composantes sociodémographiques (genre, âge, scolarité, pratique
1
Nous faisons ici davantage référence aux études épidémiologiques internationales ou aux enquêtes produits par
les sciences sociales. Nous avons réalisé notre recherche sur plusieurs bases de données (PubMed, Cairn,
Ecobost, Springer, JSTOR, Erudit, etc.) à partir de différents mots clés : jeunes sportifs/young athletes, college
athletes ; adolescence/youth, risques/risk ; dopage/doping, douleur/pain, blessure/injury. La littérature est
principalement produite sur ces sujets par les chercheurs nord-américains et scandinaves puis par des chercheurs
notamment français, allemands, néerlandais ou australiens. De manière générale, la littérature produite sur la
douleur est d’ordre médicale et diffusée dans de nombreuses revues scientifiques spécialisées en médecine du
sport, en physiologie du mouvement ou de l’exercice, ou en traumatologie sportive etc. et dont le but est de
produire expertises, diagnostics et traitements médicaux spécifiques.
2
Précision sémantique : lorsque nous employons le terme antidouleur nous faisons référence aux médicaments
antalgiques de paliersI, II et III dont les anti-inflammatoires (AINS) ainsi qu’aux traitements antalgiques
adjuvants qui peuvent leur être associés. Nous employons aussi cette expression pour évoquer les pratiques
thérapeutiques non médicamenteuses à visée antalgique (massages, hypnose, entraînement mental, etc.). Les
sportifs et leur entourage, et parfois les médecins qui les encadrent, parlent souvent de médicaments
« antidouleur » ou « d’antidouleur » sans distinguer leurs niveaux ou s’ils sont à visée analgésiques ou
antalgiques. Pour notre part, nous utiliserons, autant que faire se peut, la notion d’antalgique ou de médicaments
antalgiques dont les différents paliers ont été référencés par l’Organisation Mondiale de la Santé.
13
sportive, etc.) ou avec d’autres « conduites associées » (violence, absentéisme scolaire,
suicide, etc.). La recherche des facteurs explicatifs (socioéconomiques et scolaires, familiaux,
d’environnement ou de personnalité, etc.) jouant un rôle dans la consommation de substances
psychoactives s’est complexifiée sur le plan épidémiologique pour les enfants et les
adolescents sportifs (Salla, 2014).
Ainsi, les consommations des drogues illégales ou légales (alcool, tabac, médicaments) des
adolescents engagés dans une pratique intensive ont été très souvent comparées avec celles
des jeunes de la population générale. La fameuse courbe en U décrite par l’épidémiologiste
Marie Choquet - bien que nuancée (Peretti-Watel, 2002) – a permis indéniablement d’établir
un lien entre une consommation significative de substances psychoactives (alcool, tabac,
cannabis, médicaments), des comportements déviants (violence, conduites à risques) et la
pratique intensive du sport (Peretti-Watel, 2003) : les jeunes pratiquant un sport de manière «
intensive » (plus de 8 heures par semaine) ont tendance à consommer plus de drogues et ont
plus de conduites à risques (violences) que les jeunes ne pratiquant pas de sport (Arvers,
Choquet, 2003). Progressivement, les recherches sur les adolescents se sont élargies : de
l’étude des substances interdites consommées dans le sport (stéroïdes), on a fini par aussi
s’intéresser – bien que timidement - aux usages et mésusages de médicaments prescrits et
autorisés par les sportifs (Alaranta, 2008 ; Lévy, Thoër 2008) pour, enfin, questionner les
jeunes de la population générale (non sportifs) sur la consommation de produits dopants
comme les stéroïdes anabolisants par exemple (Choquet, 2008).
Tout récemment, aux Etats-Unis, et à un bien moindre degré en Europe, le constat d’un fort
accroissement du niveau de consommation de médicaments antalgiques et des overdoses
médicamenteuses liées à la consommation d’antalgiques (opiacés) ou de substituts aux
opiacés ont permis d’engager des recherches à grande échelle pour en mesurer la prévalence
d’usage en population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014, Franck et al., 2015).
En particulier, depuis que les grandes enquêtes – en l’occurrence celles du National Institut on
Drug Abuse- ont identifié cette tendance chez les adolescents (NIDA 2013), de récentes
études montrent que les adolescents sportifs - parce que leur risque d’être blessé est bien
supérieur aux non pratiquants - ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors
prescription et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport (Tricker,
14
1999, Lévy, Thoër, 2008 ; Selanne et al. 2014, Veliz et al. 2013, 2014). Certains sports tels
que le football américain ou le hockey sur glace (Cottler et al. 2011, King et al. 2014) sont
particulièrement scrutés. En Europe, quelques recherches commencent à appréhender les
logiques sous-tendant la consommation d’antidouleur médicalement prescrits (antalgiques ou
analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al. 2014), le football (Tscholl et al. 2009),
la lutte (Veliz, 2014). Le cyclisme semble lui aussi particulièrement concerné 3. Une enquête
avait indiqué qu’aux JO de Sydney les anti-inflammatoires non stéroïdiens étaient les
médicaments les plus utilisés par les athlètes après les vitamines (Grémion, Saugy, 2013,
Lippi et al. 2006). Toutefois, peu d’entre elles établissent un rapport direct, un « pont » entre
ces consommations et d’éventuelles pratiques dopantes (sauf Selanne et al. 2014 4 ) ou
d’éventuelles pratiques relevant des mondes de la drogue.
Les médicaments consommés par ces sportifs appartenant à la famille des antalagiques et/ou
des anti-inflammatoires ont bien souvent été relégués et maintenus aux marges de la lutte
antidopage avant d’être intégrés dans les listes. Interpellé au cours d’un colloque organisé à
Paris en 2011 5 (CNOSF, 2011) sur l’augmentation de la consommation des anti-douleurs
dans certains sports, le Dr. Olivier Rabin, directeur scientifique à l’AMA, faisait le constat
suivant :
« Vous avez rappelé la position de Michel d’Hooghe 6 soulignant que les antalgiques
n’étaient pas interdits par l’AMA. Ils permettent à un athlète d’atteindre le niveau de
performance qui est le sien et non d’aller au -delà. Le problème est donc plutôt d’ordre
médical. Pour le reste, je me méfie toujours lorsque l’on considère que la liste des
substances interdites est une liste fourre tout. Le nombre de substances consommées
3
Par exemple, les révélations de Mickael Burry co-équipier de Lance Armstrong dans son livre Shadows on the
Road: Life at the Heart of the Peloton, from US Postal to Team Sky à propos des usages du tramadol dans le
peloton cycliste professionnel. Voir aussi « Sky veut interdire le Tramadol », L’équipe avril 2014 ; Clément
Guillou « Le Tramadol, antidouleur addictif que le cyclisme aimerait interdire », Rue 89, avril 2014.
4
Une étude (Progler, 2013) à propos du développement de l’usage et du trafic de tramadol dans les tunnels des
territoires de Gaza, évoque son usage « dopant » par les travailleurs de nuit.
5
11ème colloque National de Prévention et de Lutte contre le dopage, Paris, les 1 er et 2 avril 2011. Cf en
particulier l’intervention du Dr G. Guillaume « Le sport et la douleur » et les débats qui l’on suivi. Le rapport est
disponible en ligne à l’adresse suivante :
http://franceolympique.com/files/File/actions/sante/colloques/11eme_colloque_national_010411.pdf
6
Médecin belge, Michel d’Hooghe a présidé entre 1987 et 2001 la Fédération belge de football et entre 2003 et
2009 le F.C. Bruges. Cf. A. Pellaton, « Les dangers des anti-inflammatoires », Le Temps, 18 février 2012.
15
par des athlètes, à tous les niveaux, conduit nécessairement à se poser des questions.
La question doit être suscitée par des médecins et par l’encadrement des sportifs afin
de privilégier des formes d’encadrement différentes afin de ne pas tomber dans des
prescriptions incontrôlées. L’AMA peut être un partenaire dans la conduite et la
diffusion de cette réflexion. »
Tout en reconnaissant une diversité de pratiques médicamenteuses dans le sport, le Dr Oliver
Rabin renvoie la prescription et la consommation de ces produits au champ médical et il trace
une frontière assez nette entre les substances consommées à des fins d’amélioration de la
performance et celles consommées à des fins thérapeutiques, contrôlées par la médecine. La
consommation de médicaments antalgiques fait partie du second espace normatif puisqu’ils ne
permettent pas « d’aller au-delà » de ses performances. Mais, a t-on affaire à des mondes
distincts, à des types de consommations et de pratiques différenciées et sans rapport l’une
avec l’autre ?
Quand, en 2011, le Dr. Christiane Ayotte, directrice du laboratoire de contrôle du dopage chez
INRS-Institut Armand-Frappier à Laval (Canada), intervient suite à la mort (dont un par
overdose) à quelques semaines d’intervalles de trois hockeyeurs canadiens, des « durs à cuir »
et de grands consommateurs d’antidouleur 7, c’est bien pour rappeler les enjeux soulevés par
la consommation régulière de « narcotiques » dans le sport de haut niveau. Ces substances
sont autant consommées pour « masquer » la douleur inhérente au sport de haut niveau que
pour « fonctionner avec » : « Ce n'est pas des Advil®, ce n’est pas de l'aspirine, ce n’est
même pas de la codéine. On est à un niveau supérieur, au niveau des stupéfiants. C’est lié,
disons, à la morphine et à l’héroïne ». Et, Christiane Ayotte d’ajouter : « Quand tu es obligé
de fonctionner avec des douleurs importantes que tu masques avec des substances qui ont
cette puissance, il est évident que c’est invivable » 8. C’est ainsi à un autre monde que sont
rapportés ces types d’usages de médicaments : celui des drogues et de la toxicomanie.
Pourtant ces produits n’appartiennent qu’à la marge aux mondes de la drogue. En effet,
certains médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont en
7
Derek Boogaard, hockeyeur aux Rangers de New York est mort d’une combinaison d’alcool et d’oxycodone
(médicament peu utilisé en Europe), un agoniste opioïde pur généralement prescrit dans le cas de douleurs
intenses ou cancéreuses. Pour Wade Belak et Rick Rypien les circonstances de la mort ne sont pas précisées mais
elles sont attribuées au rôle ingrat de bagarreur dans les équipes de hockey et à leurs états dépressifs.
8
Source : www.rds.ca, « Antidouleur : un facteur aggravant », septembre 2011.
16
vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine, ibuprofène, etc. de niveau
I (antalgiques non opiacés) – et d’autres de niveau II codéinés ou Tramadol ; ou de type III
comme les antalgiques opioïdes (morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés
médicalement et font l’objet d’une administration et d’une diffusion réglementée à cause des
problèmes de santé et des addictions qu’ils risquent de provoquer. Toutefois, ce que suggère
le Dr Christiane Ayotte c’est que la frontière entre les mondes du sport et ceux de la drogue
est bien plus trouble qu’il n’y paraît. En effet, l’addiction aux substances incriminées n’en
serait pas la seule cause mais elle serait aussi liée au « mode de vie » du sportif de haut
niveau. C’est ce lien que fait Christiane Ayotte 9 et sur lequel il convient de se pencher : le
sport de haut niveau en tant que « mode de vie » pourrait contraindre les sportifs à un usage
abusif de substances – les médicaments antalgiques – dans le but de réduire les dommages liés
à une pratique intensive du sport. Par le recours à l’automédication, ils soulagent des douleurs
avec lesquelles ils doivent composer s’ils souhaitent faire carrière, garder leur place dans le
groupe ou tenir leur rang.
Comment, dès lors, faut-il percevoir ces types d’usages d’antalgiques dans les mondes du
sport ayant leurs propres règles de fonctionnement et leur propre relation aux substances
médicamenteuses généralement régulées par la lutte antidopage (liste des substances et des
méthodes interdites, AUT, passeport biologique, etc.) ? Quelles significations les sportifs et
leur entourage attribuent-ils à la consommation de médicaments et aux douleurs qui en sont à
l’origine ? Dans quelles circonstances prennent-ils ces substances pharmacologiques situés à
la marge des mondes du dopage et de la drogue ? Développent-ils d’autres techniques,
d’autres méthodes pour s’approprier les douleurs ? Comment, finalement, parviennent-ils à
faire la distinction entre se soigner, se doper ou se droguer (Ehrenberg, 1999) ?
9
Christiane Ayotte établira un autre rapprochement entre le dopage et la toxicomanie au cours d’une interview
télévisée : « Le dopage c’est comme l’héroïne, c’est jour et nuit (…) » et à propos des sportifs qui en fin de
carrière constituent une part non négligeable des clients des cliniques de soins, elle note que ce n’est pas
seulement une addiction liée « aux substances c’est aussi le rythme de vie, peut-être. » (2013, TVA Sports.
interviewée par Réjean Tremblay). Sur les liens entre dopage et toxicomanie, on peut aussi faire référence aux
travaux de W. Lowenstein (2000)
17
Méthodes d’enquête
Pour apporter des éléments de réponse à ces questions, nous mobiliserons des données
empiriques récoltées par le biais d’une enquête par entretiens semi-directifs auprès de sportifs
– âgés entre 12 à 35 ans - inscrits dans des carrières de haut niveau ou qui pratiquent leur
sport de manière intensive. Au total, nous avons recueilli au total 46 entretiens approfondis et
évoqué avec chacun d’entre eux leur manière de vivre, de gérer et de traiter les douleurs liées
à leur activité sportive ou professionnelle. Une liste récapitulative des personnes interviewées
est présentée en annexe de ce rapport ainsi que la grille des thématiques abordées avec les
sportifs. Les interviews se sont focalisées sur les douleurs et les blessures rencontrées par les
sportifs ainsi que sur leur prise en charge thérapeutique. Les récits recueillis traitent ainsi des
parcours de soin et des itinéraires thérapeutiques qui rythment et conditionnent pour partie la
carrière des sportifs de haut niveau. Le rapport à la performance a été volontairement abordé
de façon secondaire dans les entretiens afin d’encourager les enquêtés à la narration de leurs
expériences vécues de la douleur et des significations qu’ils leur attribuent. Cette partie
qualitative ne cherche pas à mesurer la consommation de médicaments antalgiques dans les
mondes du sport mais à « rendre intelligible la variété des relations observables » entre la
pratique intensive d’un sport et les usages de médicaments (Peretti-Watel, 2011), de
techniques ou de méthodes antidouleur. Nous n’avons pas fait de distinction a priori entre les
sports, le niveau de pratique, l’âge, le genre, le niveau socioculturel, etc. Nous le verrons,
l’approche « séquentielle » comprise dans la notion même de « carrière déviante » (Becker,
1985) a l’avantage de transcender ces variables pour saisir de façon idéal-typique ce qu’il y a
de commun entre les parcours individuels quel que soit le sport, le niveau, l’âge ou le sexe
concerné etc.. Cette approche présente des points communs avec la « théorie ancrée »
développée par Anselm Strauss et Barney Glaser au sens où la technique de collecte des
données s’est développé en fonction des « analyses provisoires » effectuées tout au long de
l’étude (Glaser, Strauss, 2012, 57). Nous le verrons (cf Partie 2) certains éléments d’analyse
qualitative ont été confirmés par l’étude statistique.
Notre recueil des données par entretien semi-directif s’est déroulé sur les deux années de la
recherche en trois phases. Lors de la première phase (a), les tous premiers entretiens étaient
réalisés avec des très jeunes sportifs (12) à des fins exploratoires dans le but de préparer
18
l’élaboration du questionnaire (voir partie 2). Dans la seconde phase (b), nous avons prolongé
ce recueil de données par la recherche de témoignages d’adolescents pratiquant de manière
intensive leur sport ou aux portes du haut niveau et ayant été blessés ou ressentant des
douleurs intenses. Autant dire que nous n’avons pas eu beaucoup de difficultés pour les
rencontrer. La dernière phase de recueil des données (c) s’est déroulée lors de la deuxième
année de la recherche et les entretiens semi-directifs se sont élargis aux sportifs (adolescents,
jeunes adultes puis adultes notamment sportifs professionnels). Dans chaque phase nous
avons eu le souci d’intégrer des points de vues de professionnels intervenant directement ou
indirectement dans la carrière des sportifs (de l’enfance à l’âge adulte) : entraîneurs (de club
amateur ou professionnel), de parents d’enfants et d’adolescents sportifs (de haut niveau) et
de praticiens médicaux : médecins du sport (médecins fédéraux, médecins d’équipe,
responsables d’antennes de prévention du dopage, médecins – rhumatologues, généralistes,
etc.- ayant une capacité en médecine ou biologie du sport, etc.), kinésithérapeutes,
psychologues du sport, psychiatre. A ces entretiens semi-directifs, nous avons aussi eu de
multiples conversations informelles complémentaires avec différentes personnes qui d’une
manière ou d’une autre ont évoqué les l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs (par
exemple en marge des entretiens avec les jeunes sportifs nous pouvions prolonger les
discussions avec les parents, échanger avec des praticiens médicaux au cours de la passation
de questionnaires au sein des services de médecine du sport, etc.). Toutes ces discussions sont
venues infirmer ou confirmer les connaissances obtenues au cours de la recherche. Pour les
entretiens semi-directifs avec les sportifs mineurs nous avons systématiquement demandé et
obtenu l’accord des parents. La grande majorité des entretiens réalisés avec les jeunes sportifs
mineurs se sont réalisés en présence des parents, à leur domicile ou au sein de leur club
sportif.
Les noms des personnes interrogées comme les lieux et certaines situations ont été rendues
anonymes. L’anonymat a aussi été respectée pour les cliniques et les sociétés/entreprises
privées. Parfois nous avons jugé nécessaire de ne pas qualifier le sport en question – qui
peuvent compter peu de pratiquants – préférant utiliser son générique (ex : sport de combat,
sport nautique, etc.)
19
Chapitre 1
L’expérience de la douleur dans les mondes du sport
C’est un fait : la pratique intensive du sport expose les athlètes au risque de blessure et à
d’inéluctables douleurs. Ceux-ci doivent faire face à des douleurs physiques et morales
récurrentes (Loland, Skristad, Waddington, 2006). Ils doivent « fonctionner avec » s’ils
souhaitent poursuivre leur carrière sportive au niveau professionnel. L’usage de médicaments
antalgiques dont les anti-inflammatoires est à mettre en rapport avec ces différents types de
douleurs dont les sportifs font l’expérience : celles sui generis, générées dans le cours même
de leur activité (la pratique de leur sport principal), ou celles relatives aux charges liées aux
programmes d’entraînements.
Le recours au médicament antalgique (qu’il soit de niveau I, II ou III) s’analyse au regard de
l’intensification de l’effort, des traumatismes 10 ou des violences corporelles liées à la pratique
sportive, provoqués ou subis dans un contexte particulièrement concurrentiel du sport de haut
niveau et caractérisé par la quête de la performance (Ehrenberg, 1991). L’accroissement du
nombre de compétitions et la quête de records contraignent les sportifs à s’entraîner plus
longtemps, plus intensément et plus durement (Loland, Skristad, Waddington 2006 ). Ce
processus peut affecter, provisoirement ou définitivement, le corps des athlètes et menacer
leur santé ou leur bien-être 11. Les problèmes de santé générés par des douleurs chroniques ou
par des blessures répétées (courbatures, crampes, élongations, claquages, déchirures, entorses,
10
Par « traumatisme », nous reprenons la définition retenue par l’INSERM Activité physique, contexte et effets
sur la santé (2008) soit : « toute blessure ayant suscité un arrêt de plusieurs jours (souvent une semaine) et
l’absence de participation à une compétition. »
11
Certains chercheurs et experts estiment que les blessures sportives constituent un problème de santé publique
plus inquiétant que le dopage lui-même (Frish et al. 2009). Ce que résume Fabien Ohl (2011) : « les blessures et
les traumatismes du corps et des âmes sont normalisés alors que la menace du dopage est proportionnellement
hypertrophiée ».
20
fractures etc.) font d’ailleurs partie intégrante de la carrière des sportifs. Les douleurs ou les
blessures ne sont pas seulement des événements, des accidents affectant ponctuellement la
carrière et pris en charge par un segment particulier de la médecine. Au contraire, on peut
affirmer qu’elles constituent des épreuves structurantes dans la carrière des sportifs, des points
de passages obligés, des étapes à franchir qu’il faut apprendre à gérer et à bien « négocier »
(Strauss, 1992) et ce, dès le plus jeune âge. Les blessures plus que les résultats affectent le
déroulement d’une carrière. Dans cette perspective, on peut faire l’hypothèse selon laquelle la
réussite ou l’échec d’une carrière sportive amateur, semi-professionnelle ou professionnelle
est moins conditionnée par les résultats, ou les performances obtenues, que par le contrôle et
la gestion des douleurs et des blessures régulièrement générées par le sport intensif. L’entrée
dans le dopage pourrait alors s’appréhender au travers de la compréhension de ce processus
d’apprentissage et de gestion de la douleur. C’est à ce titre qu’il est ici proposé d’apparenter la
carrière sportive à une « carrière déviante » (Becker, 1985).
Généralement, l’engagement dans une carrière déviante se traduit par l’inscription d’une
partie de la vie de l’individu – et parfois de sa totalité - dans un milieu organisé en y assumant
successivement différentes positions hiérarchiques. Il apprend, à chaque étape, à justifier et à
légitimer certaines actions ou pratiques qui peuvent apparaître, aux yeux de la société, comme
déviantes, illégitimes ou dangereuses. De cette manière, il motive et rationalise
rétrospectivement ses « choix ». Chaque étape constitue une séquence au cours de laquelle se
réévalue l’engagement dans la carrière et où se redéfinissent un certains nombres de pratiques
et d’usages (de produits). Ces actions, ces pratiques ou certains usages, changent de
signification en fonction de ces étapes de la carrière. Dans ce processus, les relations
entretenues avec l’entourage sont déterminantes, en particulier lorsque ces relations
s’inscrivent dans des mondes sociaux (Becker, 1985) tel que celui du sport de haut niveau
avec ses codes et ses valeurs qui leurs sont propres. Chaque étape de la carrière, chaque
changement de statut, introduit des changements dans la vie de l’individu qui le conduisent à
interpréter de façon différente les éléments de sa vie quotidienne et à réorganiser son « mode
de vie ». Ce processus n’est ni irréversible ni inéluctable mais la carrière déviante peut, pour
certains, se prolonger jusqu’à l’appartenance à un monde fonctionnant à part, avec son
système de normes, clairement distinct des autres mondes sociaux. La notion de carrière a été
fort judicieusement utilisée pour décrire les carrières de sportifs dopés au sein d’un système
professionnel particulier organisé autour de normes et de valeurs sportives spécifiques «
21
extra-ordinaires » (Brissonneau et al. 2008) : progressivement le sportif entre dans un
processus sélectif, modifie ses méthodes d’entraînement, rationalise et médicalise sa pratique
jusqu’à justifier et légitimer ce type de pratiques. Il apprend, par exemple, à consommer les
produits à l’abri des regards, à éviter les contrôles, à déjouer le système de surveillance qui
pourraient l’étiqueter comme déviant. Au fur et à mesure que le sportif entre dans une carrière
de haut niveau, il intègre un système de normes et de valeurs cohérent se différenciant de ceux
qu’il avait jusqu’alors fréquenté.
La notion de carrière déviante peut aussi être mobilisée pour décrire, à un autre niveau, le
processus qui conduit les sportifs, engagés dans une pratique intensive du sport, à développer
des pratiques de soin et à recourir à toute la « palette des stratégies utilisées pour rendre
signifiante [ou insignifiante] une douleur » (Young, 2007). Cette expérience de la douleur et
la signification que les sportifs et leur entourage lui attribuent ne peuvent pas être dissociées
de la réaction sociale qu’elle suscite et qui tend, en retour, à la re-qualifier (Becker, 1985 ;
Roderick 2006). La douleur ressentie et exprimée par les sportifs peut être jugée acceptable
pour les uns mais elle peut être jugée inacceptable pour les autres. Elle peut faire l’objet de
conflits d’interprétations.
« Mon coach pense que c’est bien d’avoir mal. C’est sûr que des fois c’est bien de se
faire mal dans le sens où, par exemple, quand on va faire une séance de course il
faudra aller chercher au bout de ses limites, courir jusqu’à ne plus en pouvoir.
Derrière, on va progresser, on sait que cela va être plus facile pendant le match, on
pourra courir plus longtemps. Mais je pense que mon coach évalue mal cette douleur,
la douleur physique quand on a pris un coup. On arrive à faire la différence mais lui il
ne fait pas vraiment la différence. Il aimerait plus qu’on se "déchire" dans le sens de se
faire mal. Du coup, il ne voit pas quand on se fait vraiment mal. » (Lucas, 17 ans,
handball)
Il faut donc essayer de comprendre les relations qui se tissent autour de l’expérience de la
douleur ainsi que les différentes significations attribuées à cette expérience tout au long de la
carrière sportive. Toujours subjective, cette expérience fait toutefois l’objet d’interprétations
profanes puis d’expertises par une série d’acteurs. Dès l’entrée dans une carrière sportive,
ceux-ci investissent la douleur, en évaluent la nature et la fonction, mettent en œuvre des
pratiques destinées à l’objectiver, à la surveiller, à en contrôler l’évolution et également à
22
l’éradiquer ou à la dissimuler. Tatiana, âgée de 12 ans, est une jeune joueuse de tennis
prometteuse mais dont les douleurs au talon, au genou et au dos se sont accumulées au fil des
mois. Son premier grand tournoi international, Rolland Garros, se profile. Elle doit y
participer. Son entraîneur de club poursuit alors son programme d’entraînement et tente de
l’adapter en fonction des douleurs ressenties par Tatiana mais qu’il tentera d’objectiver en
utilisant un outil médical, une échelle de la douleur :
« Entraîneur : Tatiana a eu du mal au départ. On a ce système d’échelle de la douleur
de 1 à 10, quand on arrivait à 7, 8 on arrêtait mais on a eu du mal.
Tatiana : des fois des la fin de l’échauffement c’était 7, 8, et du coup je ne faisais
même pas une demi-heure d’entraînement
Entraîneur : on jouait selon la douleur de Tatiana, un quart d’heure, vingt minutes.
Cela dépendait des séances …
Tatiana : je voulais jouer ! »
Parmi les recours mobilisés par les athlètes pour faire face à la douleur peuvent figurer les
usages occasionnels ou réguliers d’antalgiques, d’anti-inflammatoires et d’autres techniques
thérapeutiques, de médecines alternatives, non conventionnelles etc.. Ces pratiques peuvent
être appréciées ou désapprouvées, légitimées ou dissimulées : tout dépend de la manière dont
on va évaluer la douleur. Dans les mondes du sport, la douleur constitue une « valeur »
(Loland, Skristad, Waddington, 2006). Dans son acception scientifique et technique, cette
valeur peut se mesurer, s’objectiver. Elle fonctionne comme un indicateur, un « paramètre », à
partir duquel s’élaborent une expertise, un processus diagnostique et un traitement
thérapeutique. Mais elle est aussi une valeur au sens moral. La douleur dans les mondes du
sport fait l’objet d’un jugement normatif : « no pain, no game » (Waddington, 2006).
L’expérience de la douleur comme les significations sociales et morales qui lui sont attribuées
évoluent tout au long de la carrière des sportifs. La « valeur d’usage » de la douleur se
complexifie au fur et à mesure que la carrière se développe au sein d’un système clos et fermé
sur lui-même avec ses propres règles et logique de fonctionnement. La dimension du temps
est essentielle pour appréhender le rapport à la douleur : certaines carrières peuvent être
écourtées ou freinées du fait de blessures répétées ou de douleurs chroniques. Elles peuvent
23
remettre en cause la participation à une compétition préparée parfois depuis plusieurs
semaines, mois ou années. Elles peuvent enfin précipiter la sortie d’une carrière jusqu’alors
prometteuse. La notion de carrière déviante doit permettre de comprendre comment se
développent des usages et des techniques de gestion de la douleur propres à un monde ayant
développé ses propres référents normatifs. Cette carrière se décline en trois étapes.
24
Chapitre 2
L’apprentissage de la douleur : taire et « faire avec » la douleur
La première étape correspond à l’entrée dans la carrière de haut niveau. Dès l’enfance et
l’adolescence, les jeunes sportifs qui accèdent à des filières de haut niveau - et dont le mode
de vie est déjà centré vers la performance et le dépassement de soi (horaires scolaires
aménagés, plusieurs heures d’entraînements par semaine, un mode de vie familial discipliné
organisé autour de la compétition, etc.) - sont conduits à redéfinir leur rapport à la douleur en
fonction de la réaction sociale qu’elle suscite. La douleur, intimement liée à l’activité
intensive, est alors décrite de manière positive par l’encadrement sportif et par la plupart des
sportifs de haut niveau. Souvent légitimée, valorisée voire « glorifiée » (Hughes Coakley,
1991 ; Young, 2007), la douleur est perçue comme une marque de l’effort, du dépassement de
soi et de ses limites
12
. Elle est l’expression, incarnée, de la performance sportive, son
expression « authentique ».
« Toutes les douleurs physiques type courbatures, brûlures, tout ce genre de choses qui
sont inhérentes à notre pratique, qui sont difficiles à vivre pour les jeunes - et peut-être
même pour tout athlète - le fait de sentir qu’on a les jambes qui tremblent, que les bras
nous brûlent, que les poumons sont en feu, que c'est très difficile. Ce type de douleurlà est, au contraire, à rechercher. Il doit tester ses capacités, les rechercher non pas
pour se faire mal mais pour s’éprouver voire à dépasser. Cela doit être un des
indicateurs pour l’athlète qui va lui dire que oui il est à un niveau de performances
suffisant. » (Alain, entraîneur, sport de combat)
12
Comme dans d’autres mondes sociaux (musique, danse, etc. ) où la douleur est aussi omniprésente « l’image
romantique de la souffrance a contribué à la croyance que la douleur est nécessaire et inévitable » pour obtenir
des résultats, être performant ou devenir un virtuose. Ce « facteur est aussi lié à une culture de la virilité, à l’idéal
stoïque de contrôle du corps. » (Alford, Szanto, 1995) Dans les mondes du sport, le rapport entre la
manifestation de la douleur et la construction de la masculinité a fait l’objet d’études notamment de la part de
Kevin Young. Pour un tour d’horizon de la sociologie de la douleur sportive cf Roderick (2006)
25
« La douleur, cela fait partie de moi. Si tu n’as pas mal c’est que tu ne forces pas assez
ou que tu fais mal. Cela permet de connaître sa limite. C’est toujours bien de savoir ses
limites » (Julien, 20 ans, Basket-ball)
De fait, l’expression d’une douleur incapacitante au cours d’un entraînement ou d’une
compétition fait l’objet d’un jugement moral défavorable de la part du groupe. Dire ou taire la
douleur apparaît alors comme un élément déterminant du franchissement de cette première
étape dans l’apprentissage de la douleur 13. La désapprobation du groupe face à l’expression
(non héroïsée) de la douleur est d’ailleurs, avant l’intégration de cette injonction normative,
vécue comme une « sanction ». Etre blessé apparaît ainsi aux yeux du sportif et de son
entourage comme une « punition », le signe d’un potentiel déclassement.
« Mon fils s’est blessé au mois de décembre. Il a repris au mois de mars. C’est bien
mais il a recommencé par les coupes européennes. Donc tu es puni, tu repasses par … .
Tout le monde aimerait les faire mais c’est une punition. (…) Il y en a un autre qui
s’est installé donc il faut y retourner. C’est normal. Cela se tient à rien du tout.
Pourquoi celui qui est derrière attendrait qu’il revienne ? Il prend la place. Il est
motivé. (…) En fait, on est toujours sur la défensive. C’est permanent donc il faut
avoir le mental quand même. La blessure est pénalisante, c’est clair. » (Père de deux
jeunes sportifs de haut niveau, 15 et 17 ans, sports de combat)
C’est aussi ce que pense cette mère d’une jeune handballeuse revenant de blessure :
« Quand elle a repris le hand, l’entraîneur n’a pas voulu la faire jouer : « Non, c’est
trop chaud, j’ai peur que tu t’abîmes. » Elle était fâchée. C’est pour cela aussi qu’elles
ne se plaignent pas. Etre sur le banc, c’est une insulte. »
L’expression de la douleur devient le signe manifeste, pour les pairs ou pour l’entraîneur,
d’un désengagement et le témoin d’une faiblesse de volonté. Le sportif doit apprendre à
dépasser et à transfigurer la douleur liée à sa pratique intensive du sport. Pour certains, cette
douleur devient d’emblée pathologique – incapacitante - mais pour d’autres, il s’agit d’en
13
Dans un de ses articles, Isabelle Baszanger (1989, p.18-20) évoque l’ouvrage de J. Kotarba 1983, Chronic
pain : its social dimensions, Beverlly-Hills, Californy, Sage Publication. Dans ce livre Kotarba s’était penché sur
la perception par les athlètes professionnels de leurs douleurs chroniques et familières et la manière dont ils
expriment et socialisent ce problème (dire ou taire la douleur) dans les mondes du sport..
26
explorer les « potentialités créatrices » (Molinier, 2006) et de tester les capacités à aller audelà de ses limites. La douleur devient donc « positive » (Howe, 2004). Le sportif doit
apprendre à se réapproprier la douleur, à s’y accoutumer s’il souhaite réussir. La douleur « se
prépare et s’apprend comme un métier » (Herzlich, 1969, 157).
« Je n’ai pas un moral d’acier donc j’ai tendance avec la douleur à m’arrêter assez vite.
Justement, cela me renforce donc je commence à plus me donner à fond. Mon moral
commence à résister en gros et là je commence à bien… j’ai envie de lâcher et mon
père me dit « allez » et je repars. Mon coach, lui, c’est encore pire ! Sur un 200 mètres
sur la piste, je vais le faire à fond, je pense que je suis à fond mais lui il va me dire que
ce n’est pas bon. Je vais descendre du vélo, il va me remettre sur le vélo et je vais
repartir. Je vais aller de plus en plus vite ; si je ralentis, il me dit : « Non, tant que tu ne
fais pas mieux, tu ne repart pas » après j’aurais tellement de haine que là je vais
envoyer et je vais avoir un bon résultat. » (Sacha, cycliste, 13 ans)
La douleur devient rapidement un enjeu entre une pluralité d’acteurs qui « tentent d’en établir
la réalité, les règles et les rôles qui s’y rattachent dans des situations sociales diverses »
(Baszanger, 1989). Elle fait l’objet d’un commerce tacite, d’une transaction, d’une gestion «
négociée » entre les sportifs, l’entraîneur et les parents.
Au cours de cette première étape, la réprobation morale de la douleur dans le sport est dans
tous les esprits : les jeunes sportifs apprennent à taire leurs douleurs physiques ou morales. Ils
apprennent à les dissimuler par le biais d’une gestion profane de la douleur. Dans ce cadre, la
prise en charge est d’abord familiale – sous forme d’automédication de médicaments
homéopathiques, antalagiques ou d’anti-inflammatoires de type paracétamol (AINS niveau I).
Ces médicaments sont pris occasionnellement, à titre curatif mais aussi à titre préventif «
avant d’entrer sur le terrain » tout comme les produits de strapping. C’est le cas de cette jeune
nageuse de 13 ans qui, avant chaque départ en stage d’entraînement, part avec plusieurs boites
de paracétamol dans son sac de sport.
« Sarah : Je prends des Doliprane® quand j’ai des courbatures, pas forcément quand je
suis mal, fatiguée."
27
Mère de Sarah : En général elle en prend quand elle rentre, quand sa mère lui dit : "Tu
n’as pas des courbatures ?". Si elle dit ‘oui’, je lui en donne un ; c'est plutôt après pour
réparer et non en préventif. Tu dois en prendre toutes les deux semaines peut-être.
C'est moi qui lui donne, elle ne le prend jamais de toute façon.
Sarah (se tournant vers sa mère, surprise) : À part en stage où j’en prends ...
Mère de Sarah : Oui je lui en mets dans son sac. Si je ne lui pose pas la question, elle
n’en prend pas ; je ne lui pose pas la question à tous les entraînements mais quand elle
a fait des entraînements compet’ »
Les parents sont très souvent les pourvoyeurs de médicaments anti-douleurs donnés à titre
prophylactique (Grémion, Saugy, 2013) :
« Une fois, sur ces deux entorses, j’en ai pris, j’ai joué tout défoncé d’ailleurs, car je
m’étais blessé, pas au basket, en matchant et j’ai joué. Ma mère m’avait donné des
médicaments assez puissants quand même, des sortes d’antidouleur je ne sais plus leur
nom. Ma mère est infirmière donc elle sait ce qu’il faut. J’ai fait un des meilleurs
matches d’ailleurs. Je jouais à moitié en boitant, en plus j’ai joué super longtemps. Je
l’ai fait quelquefois de prendre des médicaments comme ça quand tu es obligé de
jouer, c’est ma mère qui me donne ces médicaments, elle sait très bien les mélanges
qu’il ne faut pas faire, elle me dit ça tu manges en même temps, c’était jamais des
trucs de fou, je pense, moi ma mère c’est ma pharmacienne, c’est mon docteur. […]
elle savait ce qu’elle me donnait, car c’étaient des médicaments sous la prescription du
médecin. » (Tom, 25 ans, baskett-ball)
C’est aussi le constat fait par ce médecin du sport :
« Quand on arrive plus vers les 14, 15 ans et jusqu’à 18 ans, il y en a déjà qui ont leurs
habitudes et on n’arrive plus à imposer notre patte. Il y en a qui ont leurs granules et
s’ils ne les ont pas, cela ne va pas. Ils commencent à avoir leurs habitudes. J’en
connaissais qui prenait un gramme de doliprane® tout le temps avant les matchs,
d’autres qui prennent un peu d’homéopathie. Pour moi, c’est toujours cet aspect un
peu magique : chez le gamin, on y arrive avec une parole, un petit coup de machin et
chez le plus grand, ils adorent l’elasto. Les trois quarts du temps, cela ne sert à rien. Ils
se sentent contenus. Cela mériterait un vrai truc car c’est incroyable comme ils
bouffent de l’élasto. Dès qu’ils ont un petit truc, un strapping et vous pouvez être sûr
qu’ils font leur match. C’est vraiment incroyable ; ils en bouffent une grande quantité.
» (Olivier, médecin du sport, football)
28
Les jeunes sportifs apprennent aussi à « neutraliser » la douleur en les considérant comme «
normales ». Certaines douleurs tendent même à disparaître du champ de perception du sportif
dès lors qu’elles ne remettent pas en cause l’activité physique ou la performance. Le seuil de
tolérance à la douleur est revu à la baisse par l’entourage et par le sportif. Ce dernier en vient
à se convaincre – parfois bien malgré lui - qu’ il n’y a aucun danger en apparence à
poursuivre l’activité en cours. Le prix à payer d’une réprobation morale (sanction, discrédit,
honte, humiliation) peut être trop élevé.
« Des fois, même nous on se fait mal, on se dit : « C’est bon j’arrête » ; il y a des fois
où on n’a pas trop de mental, par exemple quand on se fait mal à l’entraînement où on
dit : « J’arrête ». Là, le coach va le faire exprès comme s’il n’en avait rien à faire, il va
dire : « Tu y retournes » exprès car il sait qu’on est largement capable mais on doute
de nous à ce moment là et c’est là qu’il entre en jeu. Quand on n’est plus capable de se
rebooster, c’est lui qui nous titille un peu ; il fait comme s’il n’en avait rien à faire
donc cela nous énerve et on repart. En fin de compte, on se rend compte qu’on pouvait
mais c’est juste que sur le moment on n’a pas été très forte mentalement. » (Astrid, 19
ans, handball)
La norme est de « ne pas s’écouter » et d’établir des distinctions entre des douleurs latentes
jugées insignifiantes, des « petites blessures » que l’on va minimiser ou cacher (Young, 2007)
et avec lesquelles il est possible de « jouer ».
« On a toutes mal aux épaules et mal au dos. J’ai tout le temps mal au dos. Une fois
que c’est chaud, je n’ai plus mal mais je suis tout le temps obligée de m’étirer. Je fais
en sorte de ne jamais jouer sans m’être échauffée. Je sais que je vais me flinguer. Ce
sont des douleurs que tu apprends à gérer au bout d’un moment. Pour mon genou, j’ai
tout le temps mal ; je suis tout le temps en train de m’étirer sinon je reste un peu
bloquée des fois. Je pense qu’on a toutes ces douleurs. Au bout d’un moment, ce n’est
même plus des douleurs, c’est juste que cela fait partie de nous. Tu sais que tu vas être
un peu gênée ; tu ne dis plus que tu as mal, tu dis que cela va te gêner si tu ne
t’échauffes pas trop. » (Astrid, 19 ans handball)
Et il y a des douleurs qui viennent interrompre, de façon radicale, le cours même de l’activité
sportive comme lorsque le sportif s’effondre sur le terrain. C’est le cas de Tatiana, jeune
joueuse de tennis :
29
« Cela a commencé par les talons. J’ai des petites douleurs aux talons mais on ne
savait pas à ce moment là que ça remontait dans les genoux et dans le dos. Je n’allais
même pas à l’entraînement, j’arrêtais les matchs. Je me rappelle d’un jour aux
championnats du X en demi-finale dans le troisième set, je n’arrivais plus à marcher.
Mon père m’a porté jusqu’à la voiture. (...) C’était la première année où on devait aller
à Rolland Garros et je voulais trop y aller. Du coup j’ai continué. Mais là j’avais trop
mal donc j’ai été obligé d’arrêter. Je voulais jouer et on ne la fait pas voir la douleur en
fait (...) après le match je pleurais, j’ai pleuré toute la soirée. Je menais 6-0, 5-1 et je
devais abandonner car je n’arrivais plus à marcher »
Pour autant, les jeunes sportifs - comme les parents ou les coachs - peuvent être amenés à
réévaluer la normalité de leurs actions en fonction des risques qu’ils estiment avoir pris et
lorsqu’ils ont laissé les choses se développer au-delà de ce qu’elles auraient dû être
normalement. Ce sont alors les entraîneurs et les parents qui orientent le jeune sportif vers le
médecin généraliste et éventuellement vers un médecin du sport. Il s’agit de faire disparaître
la douleur, soigner une blessure ou d’en éliminer les symptômes soit en modifiant et en
adaptant les conditions d’exercice, soit en proposant l’arrêt - provisoire ou définitif - de la
pratique sportive. Pour les jeunes athlètes qui n’ont pas d’objectifs définis ou d’ambition
professionnelle et qui vivent la douleur comme « pathologique », cet arrêt est accepté car il est
vécu de façon salutaire. La maladie est « libératrice » (Herzlich, 1969) en ce qu’elle permet au
sportif de sortir d’une situation inconfortable voire invivable.
« J’ai un exemple d’une petite de 12 ans, très douée en gym. Elle est entrée en pôle
Espoir 14. Elle vient me voir au cabinet accompagnée de sa maman pour des douleurs
articulaires multiples mais en lien avec la pratique de la gym, qui traînaient, qui
n’étaient pas entendues par l’entraîneur. Elle me racontait que lorsqu’elle exprimait sa
douleur, il lui demandait d’aller au vestiaire et la séance suivante, elle n’avait pas le
droit de s’entraîner. C’était la punition. Elle le vivait comme cela en tous cas. Ce
n’était pas évident car est-ce que la demande était de prendre en charge la douleur ?
Cette petite est-ce qu’elle voulait me dire que ce n’était plus possible ? qu’elle voulait
arrêter ? J’ai su après, par hasard, que la maman, quelques jours après cette
consultation, avait décidé de la sortir de la section du pôle espoir alors que la petite
était motivée visiblement. Il semblerait que cela se soit plutôt bien passée avec
14
Les pôles Espoir accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrits sur la liste des sportifs Espoir. Répartis
sur l'ensemble du territoire et mis en place par chaque discipline, ils leur permettent de concilier carrière
sportive, suivi d'études et insertion professionnelle. Ils proposent un emploi du temps aménagé et des examens
établis en fonction des entraînements et des dates de compétitions. De manière identique, les pôles France
accueillent de jeunes sportifs de haut niveau inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau des catégories Elite,
Senior ou Jeune. (source Onisep.fr)
30
l’adolescente. Parfois, on a ce rôle : on ne sait pas quelles sont les réelles motivations
de l’enfant puisqu’il est pris entre l’espoir de ses parents, ses propres envies, etc.
Parfois, on a l’impression d’avoir un ado qui a envie de notre part qu’on le maintienne
dans cette activité à tout prix. Là, je me suis demandé jusqu’à quel point elle n’était
pas venue pour avoir la parole du médecin pour la libérer de ce poids et qu’elle puisse
arrêter. Elle a eu une mère qui était prête à écouter, à entendre et qui m’a dit
clairement qu’elle ne voulait pas que sa fille subisse des conséquences à long terme,
aussi bien physiques que psychologiques. » (Jérôme, médecin du sport)
Elodie, une jeune skieuse spécialisée dans le slalom géant met un terme à sa jeune carrière
après trois années dans le circuit FIS. Après une « saison blanche » liée à une blessure, elle
n’aura jamais assez de « points » pour espérer revenir et être à nouveau encadrée par un staff
technique et sportif : « j’avais fait des résultats pas mal mais pas suffisants et les préparateurs
physiques ne me suivaient plus. Mes points n’étaient pas assez bons et ils ne pouvaient plus
me suivre, les choses devenaient plus compliquées ». Sa saison blanche, elle la doit à une
fracture d’une lombaire, qui à 17 ans la conduira à être immobilisée pendant trois mois avec
un traitement médicamenteux (des « sortes d’anti-inflammatoires ou des choses comme cela »
)), avant d’être prise en charge dans un centre de rééducation pendant un mois, loin de son
15
domicile, et enfin, de commencer un programme de rééducation (kinésithérapie) pendant trois
autres mois. Enfin, à la fin de saison, en mars avril, elle « ré-attaque le ski » avec néanmoins
une « ceinture lombaire ». Quand elle reprend la compétition, elle ne termine pas ses courses.
«Je n’arrivais pas à finir les manches parce que c’était trop long. Cela tapait, ça tapait
c’était horrible, cela faisait un peu mal. Je continuais toujours à faire de la kiné mais
..je me souviens qu’à un moment donné les autres s’entraînaient dans les tracés et que
moi j’étais simplement libre à côté. »
Alors qu’elle espérait « réussir à revenir », les douleurs persistent et elle est progressivement
mise à l’écart. A la fin de sa troisième saison Elodie met fin à sa carrière mais
paradoxalement, elle aura vécue cette blessure comme un « soulagement » :
15
Tous les adolescents ou jeunes adultes sportifs interrogés ont bien souvent du mal à dire les noms des
antalgiques qui leur ont été prescrits ou fournis par leurs parents. Plus ils sont jeunes et plus cela reste difficile de
les identifier comme par exemple Laetitia (13 ans, natation) : « Je prends des antidouleur quand j’ai vraiment
mal. Ma maman me les donne une fois tous les deux mois. Je ne sais pas trop ce que c’est. Je crois que c’est de
l’Efferalgan® ». Ou encore Jules (11 ans, tir à l’arc) : s’il a bien identifié l’Efferalgan® qu’il prend « avant de se
coucher, juste quand j’ai mal et quand je tremble beaucoup », il a plus de mal à identifier un autre médicament
« qui enlève les douleurs. Je ne sais pas trop comment … c’est mes parents qui me le donne. La boite c’est
comme l’Efferalgan® »
31
« Ma deuxième année FIS, lors de la première course, j’ai chuté. Je me suis fracturé
une lombaire. C’est arrivé lors de la première course la saison. C’est frustrant. Tout
l’été et l’automne à skier sur les glaciers, ce n’était pas le plus marrant tout de même.
Quand on arrive, que la saison attaque enfin, et que l’on se blesse dès le début, c’est
hyper frustrant. Quand je chute, moi j’ai l’impression que cela allait. Ils m’ont
annoncé que j’avais trois mois de corset. Là je me suis rendue compte que la
compétition c’était fini. Il y a tout qui s’écroule. C’est dur mais je relativisais assez
rapidement. Ce n’est pas la fin du monde de faire une saison blanche en ski. Tout le
monde y passe à un moment ou à un autre j’ai l’impression. C’était dur car je n’ai pas
pu aller à l’école pendant un mois, je ne pouvais pas m’asseoir. On ne voit pas grand
monde. la blessure on peut la sentir parfois comme un soulagement enfin je n’avais
pas envie de m’apitoyer dessus. Je me suis dit allez profites-en, tu vas pouvoir souffler
un peu. Je pense que je ne suis pas la seule à me le dire. Je ne sais pas si c’était pour ne
pas m’apitoyer ou ne pas trop y penser. Au début cela fait du bien aussi, pour penser à
autre chose, faire autre chose »
Par contre, pour d’autres sportifs, ceux dont la douleur est vécue comme « destructrice », la
proposition d’arrêt, même provisoire, est mal vécue car elle signifie la mise entre parenthèse
de la carrière sportive. Le malaise du sportif face à l’arrêt est renforcé par le sentiment de
culpabilité d’avoir commis un impair face aux fondements normatifs des mondes du sport.
Cette première étape – l’entrée dans la carrière - est marquée par la transgression d’une
norme : la norme dominante de santé, largement répandue et relayée dans nos sociétés
contemporaines par le discours médical (Perretti Watel, Moatti, 2009) fait néanmoins l’objet
d’une réglementation pour les sportifs mineurs adaptée en fonction des disciplines sportives
16
. Cette transgression conduit à percevoir la protection de la santé et de l’intégrité physique et
psychique du sportif comme secondaire par rapport au maintien de l’engagement dans la
carrière sportive, aux exigences de la compétition et de résultats, au dépassement de soi, jugé
central par différents acteurs (parents, entraîneur, sportifs). Dans le sport le « pathologique est
normal » (Atkinson, Young, 2008). L’apprentissage de la douleur consiste alors en un
16
En France, la protection juridique des mineurs sportifs place la protection de la santé comme une des missions
confiée par les pouvoirs publics aux fédérations sportives (Art. L231 1-5 code du sport). Charge aux fédérations
de veiller au respect des conventions internationales et aux législations nationales en la matière (prévention du
dopage, promotion de la santé, suivi longitudinal des sportifs Espoirs). La santé du sportif mineur est encadrée
par les conventions internationales des Nations Unies et les législations nationales en matière de droits (code du
sport, code du travail) (Pauto, 2007). Elle est renforcée par la loi de mars 1999 dite Buffet puis 2006. Certains
procès en justice plutôt médiatisés sont venus remettre en question cet agencement législatif. (cf « Les parents
d’Elodie Lussac assignent la fédération en justice », Libération, 1996 ; « Elodie Lussac gymnaste brisée », Le
Point 2007 ; le jugement a été rendu le 1 juillet 1999, TGI Paris)
32
renversement des liens de causalité entre douleur et pratique sportive. En d’autres termes, si le
sport fait souffrir, le sport n’est pas pour autant à remettre en cause.
33
Chapitre 3
« Vivre avec et en dépit » de la douleur : le corps et ses manipulations
La seconde étape de la carrière s’inscrit dans le prolongement de la première étape mais
introduit une discontinuité dans la signification que l’on attribue à la douleur et dans la
manière dont celle-ci va être collectivement négociée. En effet, le maintien de l’engagement
dans la carrière suppose de s’y plonger sans réserve. Le sportif (et son entourage familial
notamment) commencent à entrevoir qu’il doit « vivre avec » et « en dépit » de la douleur
(Baszanger 1989 ; Herzlich, 1969).
« À la fin de la saison, je sais que ce sont des douleurs qui vont rester. Quand le
chirurgien a vu mon genou, mes radios, il m’a dit : "Il y a une belle arthrose sur ton
genou." J’ai le ménisque fissuré. "Cela se voit c'est bien sur le ménisque" donc je sais
déjà que j’ai de l’arthrose, que j’ai le corps qui a amorti qui va rester comme cela. Je
n’y pense pas trop à vrai dire. Passer un mois et demi, deux mois à ne rien faire ou
faire le moins possible, cela me requinque et cela reprendra en août où j’aurais de
nouveau mal au genou, à l’épaule. Je le sais mais ce n’est pas grave, je n’y pense pas
trop. Je vis avec quoi finalement. » (Noah, 25 ans rugby)
Jusqu’à présent les réponses et les traitements thérapeutiques apportés à la douleur – jugée
passagère et suffisamment familière pour être traitée par l’automédication - n’ont pas eu les
effets escomptés : les médicaments antalgiques dont les anti-inflammatoires pris dans la
pharmacie familiale ont pu masquer un temps les symptômes mais avec la permanence de la
douleur, ou l’aggravation de certains symptômes devenus réguliers, le risque est dorénavant
de compromettre l’engagement dans la carrière de haut niveau. Il devient nécessaire « quand
cela commence à traîner » d’enclencher un processus diagnostique et d’avoir un suivi médical
régulier pour gérer les risques aux quels les sportifs s’exposent. C’est alors l’entraîneur qui va
prendre le relais de la famille dans le rôle d’adressage vers un segment du monde médical : la
médecine du sport.
34
1. La médecine du sport et la réduction des risques
Ainsi le jeune sportif qui entre dans les filières d’accès au haut niveau (section sport étude,
CREPS, pôles Espoir, pôle France, INSEP etc.) ou qui possède le statut de sportif de haut
niveau passe périodiquement et obligatoirement (code du sport L 231-6 et R 3621-3 code de
la santé publique) toute une série d’examens cliniques et des bilans complémentaires (Laure,
Ihabbane, 2007) : analyse urinaire, prise de sang, électrocardiogramme, échocardiographie,
tests d’efforts, des examens spécialisés (orthopédie, etc.). Parfois ils commencent à recevoir
des conseils nutritionnels ou concernant leur mode de vie (sommeil etc.) et peuvent consulter
un psychologue. Cette surveillance médicale « à la frontière entre prévention et contrôle »
(Humbert, Lozach, 2013 : 112) réalisée dans les plateaux hospitaliers publics se développe à
mesure que les programmes d’entraînement s’alourdissent, que le rythme des compétitions
s’accélère tout au long de l’année et que les athlètes s’exposent à des risques de blessures ou à
des douleurs récurrentes. La médecine du sport joue un rôle prépondérant dans la détection
des pathologies. Au cours de l’enfance et de l’adolescence, plusieurs pathologies ou maladies
relatives au sport sont régulièrement diagnostiquées et prises en charge : la maladie de Sever,
le syndrome d’Osgood, mais aussi des déséquilibres hormonaux, parfois des maladies
génétiques, etc. sont présentés comme des pathologies propres à l’adolescence et à la période
de la puberté et contribuent à inscrire assez tôt le jeune sportif dans des carrières sportives
médicalisées. Mais d’autres douleurs liées à des blessures particulièrement graves peuvent
apparaître au cours des carrières – parfois au terme d’un processus diagnostic indécis et peu
probant comme l’illustre le verbatim suivant et elles peuvent être diagnostiquées puis prises
en charge par un traitement médicamenteux à base d’opiacés de niveau II ou parfois III.
« Ils m’ont dit t’inquiète pas, pas de souci, ils ne m’ont même pas donné un
doliprane®. Pour eux c’était rien, la kiné me massait le soir mais bon. On a fini le
premier stage et je leur ai demandé s’il fallait que j’aille voir mon médecin du sport en
rentrant. Ils m’ont dit « non, écoute on se revoit dans une semaine au prochain stage »
et on verra à ce moment là si tu as encore mal. Du coup pendant une semaine j’ai rien
fait et je suis retourné au deuxième stage et j’avais toujours mal au dos, ils m’ont dit «
oh non t’inquiètes pas c’est bon » et je commençai à avoir des douleurs dans la jambe
et dans le pied, tout ce qui est fourmillements et compagnie et, du coup, pendant une
semaine j’ai joué comme ça, enfin bref, ils ne m’ont pas pris au sérieux. Ils ne m’ont
toujours pas donné de Doliprane® donc j’ai joué avec des douleurs dans le dos et dans
35
la jambe. Et quand je suis rentré ils m’ont dit là il faudrait quand même voir le
médecin du sport et là j’ai été voir mon médecin du sport : il m’a mis d’abord sous
antidouleur et compagnie, sous anti-inflammatoires, et au bout d’une semaine ce n’est
pas passé, du coup j’y suis retourné, il m’ a mis sous cortisone une semaine, et là cela
n’est toujours pas passé et là il a décidé de faire une IRM et c’est à ce moment là qu’ils
ont vu que j’avais une double hernie discale. » (Noémie, 19 ans, hand ball)
Au fil du temps, le sportif apprend à gérer et à contrôler les douleurs liées à son activité
sportive. Il devient parfois moins réticent à réutiliser seul des produits médicalement prescrits.
Certains sportifs disposent ainsi d’un petit stock de médicaments qui leur ont été prescrits et
qu’ils apprennent à gérer et à réguler par eux-même 17.
« Il m’arrive de prendre des granules d’arnica, des crèmes comme le Ketum®. C’est
de moins en moins mais c’est vrai qu’avant j’en avais beaucoup, comme l’arnica en
gel. Doliprane® ça m’arrive aussi mais je trouve que cela ne fait pas tant d’effets pour
la douleur. J’ai l’impression que cela ne marche que pour le mal de tête. J’ai des trucs
qui traînent chez moi comme le Tramadol. J’en avais reçu pour mon genou et ma
nuque … mais je n’en prends jamais 18 » (Noah, 25 ans, rugby)
17
Les mésusages de tramadol hors prescription médicale sont régulièrement relatés sur Internet dans les forums
de discussion. En voici un extrait parmi bien d’autres : « Bonjour, voilà j'ai 17 ans et je suis bientôt majeur. En
novembre dernier, j'ai eu un accident de sport. Suite à ça, le chirurgien m'avait prescrit une boite de tradamol
que je n'avais pas touchée. Il y a 2 semaines je retrouve cette boite et du coup je fais quelques recherches et je
découvre que le tramadol est parfois détourné pour ses effets secondaires. Donc je décide d'essayer, et avec 4
comprimés je ressens pendant toute la journée une plaisante sensation d'euphorie et une petite somnolence. J'ai
vidé une boite de 30 gélules en 1 semaine. Ce truc c'est vraiment le bonheur ! Quand je suis sous l'effet du
tramadol je suis heureux pour rien, je ne me soucis même plus de mes problèmes et c'est limite si je prends du
plaisir à étudier ! (je suis en terminale S). Mais voilà le problème c'est que je n'ai plus de tramadol et que
j'habite encore chez mes parents, du coup je ne sais pas si je dois en parler à ma mère ou si je dois lui faire
croire que je ressens des douleurs pour qu'elle me laisse aller chez mon médecin traitant.(il est assez sympas
comprendra mon problème). Voilà si vous avez des solutions ça serait sympas merci d'avance! »
18
Nous retrouvons ici ce constat établi par de nombreux chercheurs enquêtant sur le dopage et les attitudes des
sportifs vis-à-vis du dopage : globalement ceux-ci expriment un rejet du dopage en déclarant être contre l’usage
de produits améliorant la performance (beaucoup d’études montrent que les jeunes athlètes déclarent
majoritairement que le dopage est contre l’esprit du sport et dangereux pour la santé). Ils le font en raison de la
stigmatisation qui pèse sur le dopage et par souci de donner à l’enquêteur une image positive, de fournir une
réponse « socialement désirable » alors même que les réponses sont anonymes (Bloodworth, 2012). Ils sont à
chaque fois des adeptes de l’homéopathie, des médecines douces ou naturelles, et ont horreur des médicaments.
Ce rejet est aussi justifié par de nombreux sportifs par la peur des contrôles anti-dopages: « Et bien parce que
déjà, on ne veut pas être dépendant (aux médicaments), et puis on est dans un milieu où dopage etc., ce n’est pas
avec du paracétamol que l’on va se doper mais on nous inculque que la prise de médicaments etc., c’est banni
dans ce milieu. Du coup on essaye d’y avoir le moins recours possible, et même les médicaments ça y passe, et
on essaye de calmer la douleur autrement, on va dire, par du repos, etc., que par la possibilité de prendre des
médicaments. Depuis que l’on est tout petit c’est du bourrage de crâne dans ce milieu, déjà au club on avait des
réunions anti-dopage, etc., depuis toute petite, à six ans ma première réunion, c’est vrai qu’ils font un gros gros
bourrage de crâne, on en a une fois par an, plus les coachs qui en rajoutent une couche à chaque fois, dès qu’on
a la moindre douleur ils vont dire va t’allonger, va t’étirer, va boire, etc., plutôt que va vite prendre un
doliprane® ou autre chose quoi. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme). Pourtant Yasmina, quelques minutes après,
36
« Ils sont friands d’anti-inflammatoires, cela se prend comme des bonbons à des
moments donc il faut sévir. Parce que l’anti-inflammatoire casse l’inflammation,
soulage un peu la douleur. Quand ils ont une gène, ils sont très bons en pharmacologie
! Ils apprennent depuis le temps, ils savent faire, ils savent même répéter le geste du
médecin. Ils sont très à l’écoute des informations qu’on leur donne au niveau médical
et très à l’écoute de ce qu’on peut leur donner comme traitement. Ils savent que l’antiinflammatoire va casser l’inflammation, soulager aussi la douleur et donc ils en
prennent veille de match, jour de match parfois en fonction de certaines douleurs parce
qu’ils connaissent leur douleur. Ils peuvent nous dire : « Doc t’inquiète donne-moi un
anti-inflammatoire pour cette petit douleur que j’ai au niveau de l’articulation » le
sport de haut niveau est délétère pour les articulations au niveau du cartilage ; on a de
l’arthrose plus précoce au niveau des chevilles, des genoux, des cervicales car il ne
faut pas oublier le jeu de tête dans le foot, les hanches. Donc on peut se retrouver avec
un jeune de 30 ans qui a de l’arthrose évoluée au niveau de son genou, de sa cheville
qui peut le gêner de temps en temps dans la répétition des matchs. Donc il ne prendra
pas d’anti-inflammatoire pendant la semaine et jour de match ou veille de match il
préfèrera avoir un petit anti-inflammatoire qui va le soulager ou peut-être l’aider
psychologiquement à mieux supporter la charge donc il y a aussi l’effet placebo. »
(Henri, médecin équipe professionnelle de football, Ligue 1)
C’est aussi le cas de ce jeune champion de sport nautique qui, atteint d’une maladie génétique
rare, double lui-même son traitement médicamenteux à base de cortisone en fonction de ses
charges d’entraînement :
« En fait on prend quasi jamais de compléments alimentaires. J’ai une maladie
génétique donc je prends des médicaments tous les jours mais que pour cette raison. Je
prends ces médicaments car il faut que je les prenne. Je sais qu’il n’y a aucun effet
secondaire. Ce n’est pas un traitement difficile pour le corps. Cela passe par l’estomac
et plus tard dans le sang mais c'est tout. Le corps n’a pas du tout de difficultés à
l’encaisser. Mes médicaments c'est de la cortisone, c'est plusieurs types de cortisone.
Cela n’interfère pas sur l’entraînement … en fait si, il y a une substance que je double
parfois en cas de grosse séance parce que le corps a tendance à la surproduire
naturellement quand il y a de grosses activités. Donc grosse séance, grosse compète, je
double, et quand je suis malade aussi. Je double tout seul. Le médecin que je vois à
l’hôpital me dit qu’à partir de telle température je double et à partir de telle
admet « tourner au Powered » et évoque la prise de paracétamol : « c’est une douleur qui apparaît, l’acide
lactique c’est juste en fin d’exercice donc une fois rentré chez soi il n’y a plus rien à faire à part en cas de
courbature, mais ça ce n’est pas après les compétitions, c’est quand il y a une séance de musculation ou autre,
la oui on prend un efferalgan ou autre, pour calmer la douleur, mais sinon non, on évite le plus possible de
prendre des médicaments justement » Par contre, ils déclarent assez facilement – notamment dans les entretien
qualitatifs qu’ils ont été témoin de prise de produits dopants. La déclaration suivante est typique : « Je ne pense
pas, j’ai vu non, je ne sais même pas en toute honnêteté. Je pense que oui. Si j’ai vu une fois : les sud-africains
qui revenaient et l’avaient dit clairement : « Oui je me suis chargé » et en même temps cela se voyait : il avait
des bras comme cela, il courait plus vite que tout le monde. »
37
température, je triple et, en grosse séance, que je n’hésite pas à en prendre plus. La
fédération est au courant par rapport au contrôle antidopage, il faut qu’ils aient tous les
papiers comme quoi je prends des médicaments etc.. Mais pour le médicament que je
double c'est la même molécule qui est produite naturellement par le corps. Du coup ils
ne la cherchent pas. Ce sont les médecins qui disent qu’il faut doubler. En fait la
cortisone fait un truc sur les testicules et du coup cela produit plus ou moins de
testostérone – je ne sais plus – et on peut être amené à être stérile si la prise n’est pas
régulière. En cas de grosse fatigue, si on est malade ou gros effort sportif, ils disent de
doubler les doses. » (Mathis, 17 ans, sport nautique)
Le jeune sportif est ainsi amené à s’insérer progressivement dans un système de surveillance
médicale: il consulte les médecins du sport ou des spécialistes de la traumatologie sportive qui
prennent le relais des parents et des médecins généralistes dont la pratique professionnelle
repose sur des points d’appuis normatifs et moraux distincts de ceux sur lesquels prennent
appui les médecins du sport. En effet ces derniers cherchent globalement moins à faire
respecter fermement l’éthique médicale basée sur une pratique sportive modérée et mesurée soucieuse de l’équilibre psychique et social du jeune sportif (Queval, 2004) - qu’à
accompagner les sportifs sans compromettre la performance, dans une logique de réduction
des risques. Les médecins du sport prennent acte du fait que la pratique du sportif de haut
niveau et intensive, la recherche de performance, engendre inévitablement et quotidiennement
des déséquilibres physiologiques et psychiques, et ceux-ci peuvent engendrer une
traumatologie spécifique avec ses répercussions somatiques (fractures, chutes, accidents etc.)
et psychiques avec son lot de lésions, de troubles (du spectre anxio-dépressif, alimentaires,
biogrexie), de syndromes (de surentraînement, de « réussite par procuration », « neuroinflammatoires cérébral associé à des perturbations neuro-endoctriniennes (cytokines,
neuropeptides, interleukine) ») et une « symptomatologie obsessionnelle compulsive »
spécifique à la dimension addictive de l’entraînement, etc. (Carrier, 2010, Purper-Ouakil et al.
2002, Salla , Michel, 2012 ; Seznec, 2008)
« En dehors des médecins du sport, la culture médicale, d’une manière générale,
s’inscrit très nettement en dehors de l’éthique de la performance. Comme en fait la
culture médicale revendique la santé en général et non la performance, c’est vrai que la
réponse générale des médecins par rapport à des situations où une personne se plaint
de son incapacité, de son incompétence, etc. c’est : « Objective le fait que ce n’est pas
à ton niveau, que tu ne peux pas le faire et renonce. ». L’éthique médicale ne prend pas
en compte les rêves de grandeur, d’idéal, de dépassement de performances. C’est une
éthique de la voie moyenne en fait. Cela correspond au bien vivre mais à une idée du
38
bien vivre qui se situe dans la voie moyenne : ni trop, ni trop peu, pas d’excès, de la
modération en toute chose. Cette éthique de la voie moyenne qu’est l’éthique médicale
en général, il est clair qu’elle rentre en conflit par rapport à l’idéal de performance,
d’excellence, de dépassement qui correspond à l’attitude des sportifs de haut niveau,
aux rêves des sportifs de haut niveau. Après, il reste les médecins du sport et même
parmi les médecins du sport, c’est très honnête de leur part, qui s’inscrivent dans cette
voie moyenne c'est-à-dire dans une visée éthique qui n’entre pas forcément dans les
visées de la personne mais correspond à l’idée générale et dogmatique de ce qu’est un
bien vivre. On est alors dans la modération mais on n’entre simplement pas en
dialogue avec l’autre et les attentes de la personne en fait. » (Nathalie, Médecin du
sport)
L’arrêt généralement préconisé par les médecins de famille ou le repos prescrit sur de longues
périodes par certains médecins du sport pour soigner telle ou telle douleur ou blessures
traumatisantes – qui pour la grande majorité d’entre elles se résorbent naturellement sans
traitement médicamenteux ou sans techniques adjuvantes -, ou encore les évaluations et les
prises en charges psychothérapeutiques élaborées par les psychologues cliniciens
19
– et
rendues obligatoires (Seznec, 2008) pour « restaurer l’ équilibre psychique » ou pour «
contrebalancer cette négligence de l’être » (Carrier, 2010) - ne figurent pas toujours parmi les
options possibles.
« Je faisais dans les 150 kilos donc j’étais très lourd. Je faisais énormément de cardio,
footing. Mes articulations ramassaient pas mal. Je me suis fait une bonne entorse qui a
duré pendant cinq mois parce que je m’entraînais encore avec strapp’, etc. pour que
cela se maintienne. Cela a été assez difficile à ce moment-là mais je suis monté au
championnat de France quand même. J’avais le strapp’, la cheville bien accrochée
pour tenir. Je strappais à fond et cela me permettait d’éviter de trop bouger dessus et
de trop forcer. Je prenais des anti-inflammatoires, de la pommade. Comme c’était
l’année où j’avais envie de faire quelque chose, qu’il y avait les moyens de faire
quelque chose, c’est pour cela que je m’étais dit : « Cela va tenir et on va y aller ».
J’étais allé voir mon médecin. Je lui avais dit concrètement ce que j’allais faire. Dans
tous les cas, qu’il me dise : « Non, tu ne le feras pas », je l’aurais fait quand même. »
(Enzo, 21 ans, Judo)
19
En France la loi n°99-223 du 23 mars 1999 relative à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le
dopage oblige le sportif inscrit sur la liste des sportifs de haut niveau à réaliser un « bilan psychologique ». La loi
Lamour du 16 juin 2006 fixe la « nature et la périodicité » des examens médicaux prévus aux articles L.3621-2 et
R.3621-3 du Code la santé publique : deux fois par an pour les sportifs mineurs et une fois par an chez les
sportifs majeurs. Ce bilan vise à repérer les difficultés psychologiques de l’athlète et à l’orienter vers une « prise
en charge adaptée ». Selon Jean-Christophe Seznec (2008) médecin psychiatre proche de l’UCI et de la
fédération française de cyclisme, « les modalités du bilan et son contenu » ne sont pas précisées et « peut être
effectués en l’état par n’importe quel médecin, quelles que soient sa spécialité et ses compétences en
psychopathologie du sport ».
39
« Pour eux le plus dur ce n’est pas la douleur, c’est le fait de ne plus faire de sport. Le
plus dur pour nous est de leur faire arrêter le sport. On a beau leur dire : « Il faut
vraiment arrêter pour bien guérir et ne pas se re blesser » vous êtes sûr que pour 90 %
ils vont continuer. Ils ne vont pas continuer pareil ; ils vont faire autre chose, moins
mais ils vont faire quelque chose. Un sportif de haut niveau ne peut pas s’arrêter 15
jours, c’est impossible et pour nous c’est le plus dur. Il y a des mecs qui traînent des
blessures depuis deux ans : « Vous avez fait quoi ? » « J’ai continué » et du coup pour
guérir cela au bout de deux ans, c’est vraiment plus dur. Les sportifs préfèreront avoir
mal mais faire leur sport et ils vont s’inquiéter quand leurs performances diminuent
car ils auront trop mal. Ce n’est pas vraiment la douleur. Le vrai facteur est la
diminution de la performance. Ils auraient mal mais ils feraient le même temps, cela ne
leur poserait pas plus de soucis que cela. » (Olivier, médecin du sport)
« Certains athlètes sont vraiment déterminés et malgré cette douleur ils pratiquent
quand même. C'est là où c'est dangereux pour nous : on sait, par exemple, qu’il a une
tendinite à un coude qui l’handicape mais il va le faire quand même. Là ce qui est
important pour moi en tant qu’entraîneur c'est de le savoir. Je peux comprendre
l’athlète, il faut simplement que je puisse adapter ce qu’on lui demande pour que cette
douleur ne s’aggrave pas et que ses douleurs ne l’empêchent pas de pratiquer. Une
tendinite c'est une tendinite, elle existe ; cela va lui faire mal mais il va vouloir faire
quand même. La grande difficulté est de savoir quand est-ce qu’il faut qu’il s’arrête. »
(Alain, entraîneur)
Il s’agit donc d’accélérer le retour à l’activité en ayant recours à des pratiques de soin
adaptées qui prennent en compte les aspirations et les attentes sociales des sportifs. La
pratique intensive du sport est alors appréhendée par les médecins du sport comme une
conduite « addictive » 20 dont elle partage beaucoup de critères définitionnels (Escriva, 2001)
: du besoin irrépressible (d’activité physique), caractérisé par la répétition des efforts et des
gestes produisant du plaisir, difficulté à se sevrer (arrêter), des symptômes de manque
(irascibilité, douleurs, etc.) et des douleurs qui finissent d’ailleurs, bien souvent, par
disparaître dans l’effort physique mais par réapparaître aussitôt à l’arrêt (Leroux, 2002). Les
médecins du sport et les autres praticiens médicaux tiennent compte des risques sociaux
20
L’expertise collective du CNRS (rapport de synthèse) mentionne ce point : le « sport pratiqué au quotidien,
comme une mécanique répétitive, empêcherait la pensée douloureuse et l’anesthésierait comme peut le faire
l’héroïne. Par ailleurs, le dépassement des limites physiques provoque chez le sujet la sécrétion d’endorphines,
véritables drogues endogènes. Si le lien sport dopage toxicomanie n’a fait l’objet d’aucune étude spécifique, il
existe un ensemble de données scientifiques laissant penser que tous les sportifs ne sont pas égaux vis à vis de
ces différents risques » (1998)
40
(l’exclusion du groupe sportif, la perte d’un contrat, la titularisation) et des risques sanitaires
pris par les jeunes sportifs et leur entourage afin de ne pas perdre leur patientèle :
« Les sportifs sont très exigeants. Ils veulent une solution. S’ils ne l’ont pas ils vont
ailleurs, leur corps est leur outil de travail (...) On n’est pas là pour dire : « Arrête ton
sport il te fait mal » et de toute façon cela ne marche pas. Si on dit cela, le gars va aller
en voir un autre qui lui dira un autre discours.» (Michel, kinésithérapeute).
C’est aussi ce que déclare ce médecin d’une équipe de football professionnelle concernant les
risques dont il informe une nouvelle recrue lors de sa visite médicale au club :
« Récemment j’ai vu une recrue, j’ai été très clair avec lui et il a été surpris : "J’ai
décelé chez toi des problèmes dégénératifs sur les articulations. J’accepte que le club
t’engage. Tu peux jouer. Sache une chose importante et là c'est ton choix : plus tard tu
auras des gros soucis au niveau de ce genou, tu auras peut-être une prothèse de genou.
Mon rôle est de te signaler. Je n’ai pas d’interdiction à ce que tu pratiques le sport de
haut niveau. C'est ton choix : tu veux continuer, tu continues" "Doc on ne m’a jamais
parlé comme cela" "Je te le dis, je t’ai informé. Tu peux continuer à jouer sans aucun
problème. Moi je ne mets pas de veto pour qu’on puisse t’engager. Par contre tu as le
choix aujourd'hui de te dire : je veux à 40 ans préserver mon genou, j’en ai 27
maintenant et je veux plus tard courir avec mon fils avec ma fille, faire du sport. Sache
que peut-être qu’à 40 ans tu auras un genou qui va te gêner et tu seras peut-être opéré
» C'est l’information, c'est notre rôle en tant que médecin que d’expliquer aux gens.
C'est notre rôle aussi de les mener au plus haut dans leur carrière en les informant
éventuellement des risques pour plus tard. Là on voit du court, moyen terme mais on
voit le long terme aussi. On s’inquiète du sportif de haut niveau entre 20 et 35 ans
quand ils jouent au foot mais ils ont une vie après et ils auront des douleurs aussi
après, des douleurs d’arthrose. » (Henri)
Ils tentent ainsi de réduire les risques et le font bien souvent dans l’urgence. La question du
temps est centrale pour les sportifs et leur entourage (Viaud, Papin, 2012), puisque les
carrières sportives sont ancrées dans des « contraintes temporelles récurrentes » (Escriva,
2001), les sportifs demandent à pouvoir participer aux compétitions à venir. Ils doivent être
soignés rapidement ou, a minima, pouvoir pallier au caractère incapacitant des douleurs
auxquels ils font face, quitte à remettre à plus tard des soins éventuels.
41
« On peut éventuellement proposer des solutions palliatives pour qu’ils puissent quand
même pratiquer sans effets délétères, sans aggraver le problème. On va avoir pas mal
de choses : immobilisation, strapping, orthèses. Ensuite, on peut faire de la
kinésithérapie, utiliser des antalgiques. On va également utiliser des antiinflammatoires en topiques ou en péri osseux avec des antalgiques simples type
paracétamol et parfois des anti-inflammatoires stéroïdiens qu’on peut utiliser dans
cette tranche d’âge [adolescent] type Ibuprofène par exemple. C’est vrai que dans cette
tranche d’âge, on rentre rarement dans des thérapeutiques plus agressives type palier 2
de la douleur, type Codéine, Tramadol. Ce sont des choses qu’on va utiliser dans la
traumatologie, sur une fracture au départ, une grosse douleur. Personnellement, je n’ai
jamais utilisé cela pour permettre à quelqu'un de faire un sport alors qu’il ne devrait
pas. Mais ce sont des choses qui peuvent se faire parfois. À la limite, on va davantage
permettre à quelqu'un de faire une compétition sous anti-inflammatoire si on pense que
la pathologie sera accessible aux anti-inflammatoires plutôt qu’en montant sur les
paliers de la douleur purs et durs. Monter en palier veut dire qu’on a, avec ces
produits, des effets neurologiques : on peut avoir des troubles de la vigilance, quelques
vertiges, des nausées, des douleurs abdominales donc souvent, on ne va pas souvent
rendre service dans le cadre d’une pratique de compétition. Encore une fois, il y en a
qui peuvent le faire mais cela va être plutôt avec les anti-inflammatoires qu’on va
pouvoir être dans cette attitude en disant : « Tu as mal au poignet, pour ton concours
de gym prends un Ibuprofène la veille et le matin et vois ce que cela donne » Cela
m’est arrivé de le faire, sans problème. » (Jérôme, médecin du sport)
« Ce qui est certain c'est que les blessures, dans une carrière sportive, elles sont vécues
comme un frein à l’avancement, une perte de temps : dès l’instant où on est en arrêt
c'est de la perte de temps sur l’entraînement par rapport aux autres qui peuvent
s’entraîner. C'est vécu comme une punition. Le comportement de base est d’essayer
par tous les moyens de réduire ce temps d’immobilisation pour arriver à compenser, à
ne pas perdre de temps. Avec un peu plus de recul, je ne parle pas de l’accident, de la
fracture liée à une chute mais d’une blessure liée à une rupture d’un faisceau
musculaire, d’une tendinite etc., ce n’est jamais vécu comme un signal d’alerte. On ne
cherche même pas la cause. On se dit : "Sur une lésion d’un muscle j’ai 6 semaines
d’immobilisation comment je vais faire pour réduire le temps d’immobilisation ? et
pendant ce temps-là comment je vais faire pour continuer à m’entraîner en
immobilisant cette jambe lésée et continuer à travailler ?" Il ne faut pas perdre de
temps. Il y a quand même un enjeu de temps sur une carrière. Il y a une deadline
quand même. Le temps est certes un rival dans la performance quand ce sont des
performances chronométrées mais c'est aussi une donnée importante de la préparation.
» (Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel)
Certes, la médecine du sport est peut-être une médecine orientée vers le perfectionnement et
l’optimisation des performances (Waddington 2005) mais on gagnerait aussi à l’analyser
comme une médecine palliative, arrimée au paradigme de la réduction des risques. Elle ne
42
répare pas des dysfonctionnements, elle ne guérit pas, mais elle soulage la souffrance 21. Cette
caractéristique fait d’elle un des chaînage du réseau qui entoure les jeunes sportifs. Dans ce
contexte, alors que les parents jouaient un rôle central dans la gestion des douleurs et des
souffrances, ils jouent désormais un rôle d’auxiliaire et de soutien émotionnel et moral, même
s’ils peuvent aussi s’évertuer à essayer de faire taire la douleur notamment en ayant recours à
des médecines non conventionnelles ou en apportant de manière supplétive des aides
médicamenteuses, notamment quand leur enfant revient quelques jours au domicile après de
longues périodes de stages, de phases de compétition à l’étranger, ou suite à des opérations
chirurgicales etc.. Quand ils ne suivent pas eux même leur enfants ou adolescents ils sont
dépossédés.
« Mes fils sont bien suivis à partir de pôle France, c’est notre sentiment. À pôle
espoirs, cela ne valait rien en terme médical. On a des listes de médecins, de machins,
de ceci, de cela ; ce n’est que du vent. Ce n’est pas péjoratif mais je dis ce que je
pense. On nous dit : « Pôle Espoirs » c’est une institution. Dorénavant, votre gamin
sera en liste espoir donc il peut bénéficier d’un médecin en permanence, d’un
nutritionniste, de ceci, de cela. On se dit que physiquement parlant, ils vont les suivre
mais en fait non. Le toubib est malade et je n’ai jamais vu le nutritionniste pour l’un
comme pour l’autre. C’est quand même lié à la structure, c’est comme cela. S’ils ont
un bobo, on les amène chez le médecin. On a payé des ostéos, etc. On préfère les faire
suivre nous. Il y en a un qui ne savait même pas ce qu’il avait donc à un moment
donné, cela suffit. En pôle France, c’est un peu différent. C’est interne, c’est quand
même un bloc assez fermé de 20, 25 jeunes et pas plus. Il y a 3, 4 entraîneurs en
permanence donc c’est un peu mieux suivi au niveau médical. Cela ne veut pas dire
qu’il ne faut pas l’emmener chez le médecin un week-end s’il a mal là ou là. Sur place,
ils s’en inquiètent un peu plus. Après, ils listent les charges d’entraînement en fonction
de cela, s’il y a des bobos. Ils regardent quand même les choses. Il faut se méfier car
tout le monde veut aller sur le tapis, même blessé. Axel s’est fait sortir en début
d’année : il avait un truc aux cervicales ; comme il y avait le Tournoi de X qui arrivait,
il n’a pas voulu lâcher et ils l’ont sorti pendant deux mois jusqu’à ce que le toubib
accepte. Quand il est parti en Pôle France, on est allé à S. visiter, même à M. ; on est
allé voir les gens, les toubibs. J’ai voulu voir tout le monde pour voir si c’était du flan
ou pas. À S., j’ai tout visité : les installations, tout ce qui était médical. C’était bien S..
Après quand vous montez au-delà c’est encore autre chose au niveau médical. Quand
vous rentrez à l’INSEP, il y a une armada de médecins, etc. Quand vous rentrez en
équipe de France, c’est encore autre chose. Axel est en élite depuis cette année et c’est
magique là. Il n’a même pas besoin de lever le doigt : il a tout à disposition comme la
cryogénie, le toubib, etc. C’est extraordinaire et on est moins inquiet. Là, il est rentré
21
C’est par exemple ce que dit explicitement Gérard Guillaume, rhumatologue, médecin de l’équipe
professionnelle de la Française de Jeux (cyclisme) : « Un médecin d’équipe est un médecin concerné par
l’accompagnement de l’effort et de ses conséquences mais non par la performance de ses athlètes »(11e colloque
de prévention et de lutte contre le dopage, Paris, 2011, Maison du sport français, op.cit). les débats qui suivent
son intervention autour de l’anticipation des risques est éloquent.
43
de Turquie et cela fait deux jours qu’il est en soins. Je lui ai dit : « Tu as mal quelque
part ? » « Non, j’ai mal à la cheville mais pas grand-chose » Il repart la semaine
prochaine. (Parents de deux jeunes sportifs de haut niveau 15 et 17 ans)
Les entraîneurs ou les représentants des clubs, forts de leur capital social et de leur propre
expérience de la douleur, aiguillent les sportifs vers ces professionnels de soins spécialisés,
disqualifiant dans le même temps la médecine conventionnelle ou même parfois les médecins
du sport ou kinés présents dans les pôles Espoirs ou France. Parfois il arrive que les athlètes
reçoivent la consigne de le pas consulter des médecins généralistes.
« On ne passe jamais par un médecin généraliste, non, et déjà dans nos structures
sportives ils ne veulent pas qu’on passe par un généraliste parce qu’ils veulent que l’on
soit très bien suivis par des spécialistes et qu’on puisse avoir IRM et scanner le plus
rapidement possible, parce qu’ils ne veulent pas que l’on attaque l’entraînement si on
n’a pas un nom sur ce que l’on a. » (Yasmina, 22 ans athlétisme)
« Moi je ne connais même pas le médecin du pôle espoir qui ne vient que le mardi. Il
se trouve que je connais un médecin du centre P. (centre de médecine du sport privé)
et des fois je lui envoie mes athlètes. Il fait un suivi avec moi par contre. Je le vois
régulièrement par exemple et il me dit « untel c’est une disjonction donc il a trois
semaines d’arrêt. Au bout de trois semaines, il reprendra doucement. Tu mobilises
l’épaule, tu fais ceci tu fais cela, tu fais en sorte que ça ne tire pas trop en technique. Il
y a une espèce de suivi. Le médecin de la structure n’est pas très compétent. Les gens
ne sont pas spécialement contents. En plus il a tendance a arrêter tout le monde assez
facilement. Moi on me demande car ils savent que j’en connais un. Il se trouve qu’il
exerce dans ce centre et qu’il s’occupe de judo, de basket féminin, etc. On me dit «
tiens tu ne peux pas m’avoir un rendez vous car j’ai toujours mal et je ne fais pas
confiance » (Fabien, entraîneur sport de combat, pôle espoir)
2. Les filières du soin
Cette seconde étape se caractérise ainsi par une réorganisation et un renouvellement des «
réseaux de normes, d’attentes, de privilèges, et de contraintes » (Bazsanger, 1989) autour de
la douleur. Le réseau de coopération et de soin du sportif s’élargit et redistribue les modes de
prise en charge pharmaco-médicale de la douleur au-delà des filières conventionnelles
classiques et des suivis obligatoires en centres hospitaliers publics. D’autres professionnels de
44
santé sont mobilisés. Dès lors, la palette des stratégies destinée à masquer ou à transcender la
douleur s’élargit. Les sportifs peuvent être orientés vers des centres de soins privés aux
compétences hyper-spécialisées (orthopédiques, tendinites, etc.). Ces espaces sont présentés
comme des filières d’excellence médicale et comme des circuits de soin officieux bien que
publiquement labellisés par les fédérations sportives, ou les clubs professionnels 22 . Seuls
quelques sportifs initiés sollicitent ces praticiens et accèdent à ces réseaux. Ils apprennent
ainsi à naviguer et à tisser des liens entre les « micro-mondes » de la médecine du sport, à
élaborer un réseau de coopération en dehors des circuits conventionnels : ils sont introduits
directement par leur entraîneur ou le dirigeant du club, ils entretiennent une relation basée sur
des affinités sélectives avec des professionnels les intégrant à un système de privilèges
(contact direct du médecin, rendez-vous en urgence, etc.). Ils entretiennent ainsi, sous un
mode clientéliste, des relations de familiarité avec les praticiens médicaux dont la
participation au haut niveau les rapproche de la haute performance (Fleuriel, Sallé, 2009) 23 .
« Je me suis fait les croisés en fin de saison. On était en 8ème de finale pour les
championnats de France. Je me suis blessée juste avant, à l’entraînement. Au début, ils
font tout pour que tu évites les examens. Au début, j’ai continué l’entraînement parce
qu’au bout d’un moment, je n’avais plus mal, mon genou n’avait pas gonflé. J’ai eu
mal sur le coup. Quand on se fait les ligaments, on a mal sur le coup. Après, si on est
bien musclé, cela compense et j’arrivais encore à courir. Tout ce qui était dans l’axe
déjà, cela ne posait pas de soucis. Après, on a pensé que c’était juste une petite entorse
ou quelque chose comme cela donc on a un peu attendu. En même temps, mon coach
ne voulait pas se dire que j’avais les croisés ; on n’avait pas envie de se le dire. C’était
bientôt les quarts de finale donc il a essayé de me faire rejouer. Mais cela n’allait pas,
mon genou partait. Il en a parlé au Président [du club] et j’ai obtenu un IRM dans les
deux semaines qui ont suivi. Le Président du club est médecin en plus. Il y a un pôle
de santé pas loin du lycée avec les médecins sportifs, des cardiologues. Dès qu’on a eu
l’IRM, on a eu le rendez-vous tout de suite. J’ai eu un rendez-vous chez le chirurgien
un mois après. Il fait tout pour qu’on obtienne les rendez-vous qu’il faut dans les plus
brefs délais. J’avais le choix du chirurgien. Il m’a demandé : « Lequel tu prends ? » et
il me donnait son avis. Il se trouve qu’on connaissait le chirurgien car le beau-frère
était Directeur de cette clinique, donc on le connaissait bien. Comme il côtoie les gens
22
Par exemple, ce centre de médecine du sport rend compte sur son site Internet aussi bien de l’actualité
médicale des sportifs professionnels : « O.B., sorti sur blessure hier soir à la 18ème minute du match Y-Y, a
passé ce lundi une IRM qui a confirmé la rupture du ligament croisé antérieur du genou droit. L’international
sera opéré jeudi matin à la clinique par le Docteur V-F. La durée de son indisponibilité est fixée à 6 mois. » ;
que des succès médicaux obtenus par l’équipe médicale du centre. Ainsi : « Miracle "médical" pour le médaillé
olympique P. V. Mardi 18 février, P. V. a signé un exploit en remportant sous la pluie de RK le titre olympique
(…) deux mois après une blessure si sérieuse qu'elle devait forcément le priver du rendez-vous. Son médecin
explique comment le champion s'est remis si vite... »
23
La plupart des médecins jouent d’ailleurs leur crédibilité sur ce registre en affichant aussi bien leurs titres
hospitalo-universitaires que leur fonction de médecin au sein de clubs ou d’équipes prestigieux.
45
du handball, il sait qu’elles veulent vite revenir. Le chirurgien m’a donné une date
rapidement, il m’a dit : « On va tout faire, on va te remettre sur pied le plus vite
possible » Même le Président qui est un peu absent car il est axé sur l’équipe pro et
tout cela, il a tout fait pour que cela aille vite. (…) Ce sont eux qui prennent en charge
; enfin, ils s’arrangent pour les kinés. C’est au centre médical de médecine du sport à
X, il y a plein de kinés. Toutes les joueuses de X vont là. Ils nous connaissent. Même
avec le pôle espoir on allait chez le kiné quand on n’était pas blessé mais quand on
jouait le dimanche, le lundi on ne s’entraînait pas mais on allait chez le kiné avec des
séances de piscine et tout. Donc, ils nous connaissaient déjà ; pour les blessures, le
coach nous envoyait là-haut. » (Astrid, 19 ans, handball)
La blessure devient un signe distinctif du haut niveau. Au début d’une interview, la mère de
deux jeunes gymnastes évoque non sans fierté le fait que ses deux filles gymnastes de 17 et 14
ans ont des déplacements de vertèbres lombaires « comme les gymnastes chinoises ! » C’est
aussi un signe d’appartenance - « chez nous c’est les croisés [ligaments]» - et, la blessure,
initiatique, constitue un élément d’identification au champion qui devient un « semblable »
que l’on peut croiser dans son centre médical à défaut de pouvoir le fréquenter à
l’entraînement.
« Oui je me fais opérer quinze jours après ma blessure. Au centre de X car j’ai
vraiment confiance dans les médecins de X (clinique privée de médecine du sport). Le
médecin de L. [son ancien club professionnel] était en équipe de France. Il opère
beaucoup de gens, des stars notamment, et il fait les croisés. Donc il m’opère. Je me
dis que dans six mois je peux rejouer au rugby car il m’a dit six mois pour
cicatrisation. Je dis : « 6 mois c'est bon » dans ma tête j’avais 6 mois. Donc
rééducation à Y etc. » (Pierre, 27 ans rugbyman professionnel)
Ainsi l’accès à ce type de soins hyper-spécialisés s’apparente pour les jeunes sportifs à un
processus d’intégration au haut niveau. Parfois, les parcours de soin et de rééducation
constituent des groupes d’appartenance - parfois de référence - non plus constitués en fonction
de leurs résultats mais de leurs blessures.
« Tous les skieurs alpins quand ils se blessent ils vont tous au centre de X. Ils font leur
phase de rééducation là-bas et je sais que, quelque fois, il arrivait qu’ils remettent les
skis ensemble le même jour, et ceux qui avaient été blessés à peu près en même temps,
avec des sortes de groupes de travail pour se remettre sur les skis et puis eux du coup,
46
ceux qui font les croisés, c’était bien parce que au moins ils sont plusieurs. » (Elodie,
24 ans, ski)
Accéder à ces réseaux de soins, circuler entre les mondes de la médecine et du sport, constitue
une manière de se distinguer de ceux qui, du fait de leur niveau, ne bénéficient pas des mêmes
soins. Inversement, les sportifs qui n’accèdent pas à ces réseaux de soins spécialisés et
privatisés – parfois mis à l’écart en raison d’une blessure ou de résultats moindres- cherchent
par eux mêmes des moyens de gérer leurs douleurs ou leurs blessures en fréquentant par
exemple les salles de musculation qui, elles aussi, peuvent aussi proposer programme
d’entraînement ou de rééducation, fournir des conseils nutritionnels, pour gérer les douleurs,
etc.. Elles sont aussi des lieux de socialisation à la douleur.
« Ma salle c’est X près du magasin de sport. Je m’entraîne là-bas, il y tout le monde ;
il y a même des gens qui ne font que cela. Il y a des culturistes. On apprend de tout le
monde. Il y a de tout. Il y a des sportifs, il y a de tout. Il y a des gens qui sont en
préparation. J’y suis allé hier : il y avait des mecs qui sont sûrement des bons du
basket. Ils parlaient de partir à l’étranger avec l’équipe nationale. Il y a le mec qui sort
de son boulot, qui veut faire son footing et qui va là-bas. (…) Les programmes de
musculation que je suivais étaient ceux que je me fixais. J’ai toujours préféré me
préparer moi-même. J’avais pris conseil auprès de certaines personnes qui étaient un
peu plus fortes que moi. Derrière, YouTube pour des renseignements. Avec Internet,
on peut se renseigner sur plein de choses, comment augmenter nos performances. Moi,
en fait, j’étais un peu comme une sorte de partenaire pour ceux qui étaient prédestinés
à X au pôle France etc. J’ai vu des jeunes qui sont passés, des cadets alors que j’étais
junior, qui sont venus, qui ont fait des résultats et quand ils se sont blessés, je leur ai
fais des programmes pour se préparer. Pour ceux qui avaient des blessures aux jambes,
je leur faisais des préparations physiques pour le haut, pour pallier, ne pas utiliser leurs
jambes. C’était des exercices training pour le haut du corps. En même temps, je me
suis entraîné avec des gens à la musculation, des gens qui connaissaient, qui en
faisaient déjà depuis quelques années. Je me suis entraîné avec eux. On a fait les
programmes ensemble. Du coup, j’ai pris les parties qui m’intéressaient le plus. Il y a
des programmes différents avec la force, l’explosivité, sur l’intensité, l’effort dans le
temps, sur des séries bien plus longues avec des charges moins lourdes. C’est un peu
compliqué.» (Enzo, 21 ans, judo)
D’ailleurs, les salles de musculation affichent elles aussi ouvertement – au sens propre comme
au sens figuré – ses liens avec le sport de haut niveau – on y trouve parfois, comme dans les
couloirs de médecine du sport des centres médicaux ou des hôpitaux publics les posters signés
des équipes de sportifs ou des champions –. Ces salles de musculation sont fréquentées par les
47
sportifs qui peuvent par des exercices spécifiques continuer d’être en mouvement en
travaillant certaines parties du corps qui, elles, peuvent encore bouger. Ces salles sont des
lieux d’échanges et d’interactions.
« Quand j’ai commencé la muscu aussi, forcément tu fais un peu n’importe quoi et
j’étais cassé de partout ; avec mon pote on faisait le tour des machines. Entre 17 et 18
ans, tu ne sais pas trop comment faire. Je savais faire parce que j’en avais fait en sports
études quand j’étais à X ; on avait vraiment des préparateurs physiques en senior et tu
apprenais un peu sur le truc. Même quand tu vas dans les salles de sport les gens
voient que tu galères un peu. Moi j’écoutais les mecs mais ils n’y connaissent rien non
plus : ce sont juste des mecs qui font de la gonflette. Comme je disais, j’avais mes
séances d’EPS, mes séances d’option sport, mes séances de muscu plus les
entraînements, cela faisait quand même beaucoup sans être dans une structure mais
c'est moi qui voulais cela. » (Noah, 25 ans rugby)
La fréquentation assidue des salles de musculation ou l’application des programmes de
rééducation individualisés permettent de maintenir un engagement dans la pratique sportive et
de pallier à une mise à l’écart temporaire des terrains d’entraînements des sportifs, ou des
compétitions (Humbert, Lozach, 2013, 49). Le passage entre mondes du sport (de haut
niveau) et mondes de la médecine (du sport) ne constitue plus une rupture mais un continuum,
les salles de musculation se situant à l’interface de ces deux mondes. Elles sont « des lieux
d’approvisionnement » en produits et peuvent apparaître comme un « marché clandestin de
proximité » (Laure et al. 2005). La porosité entre ces deux mondes facilite la circulation des
pratiques thérapeutiques, des programmes d’entraînements comme des produits.
« Sur la protéine, je commence à prendre, je vois les résultats que cela donne. Tout le
monde dit en général : « C’est pour prendre du muscle, c’est pour le gonfler etc. »
C’est faux : ce n’est pas pour le gonfler, c’est un apport protéiné qui fait qu’avec
l’alimentation derrière on va avoir le muscle qui va gonfler car on va soulever. Si on
mange très protéiné, on va avoir des résultats mais la base de la protéine, c’est surtout
pour récupérer, que ton muscle récupère plus rapidement. Maintenant, je peux
m’entraîner toute la semaine, tous les jours, je ne vais pas avoir de douleurs, pas de
courbatures, rien. Ce n’est que depuis la protéine. Avant, quand je m’entraînais une
fois, si le lendemain je revenais et que je faisais le même exercice tu ne re soulevais
pas deux fois la barre, c’était fini ; tu as les courbatures, tu risques de te déchirer le
muscle, de te blesser. Avec la protéine, derrière on a une sorte de récupération. Les
produits sont efficaces aussi malgré tout. (…) Après, il y a plein de choses qui font que
48
cela va servir pour tel muscle ou telle façon de travailler, etc. C’est tout un suivi et là,
je pense que c’est important.» (Enzo, 21 ans, judo)
« Il y a un temps où je pense que j’étais accroc à la muscu. Si je n’y allais pas, cela me
faisait vraiment chier. Moi, c’était dans une moindre mesure mais j’ai des potes qui
n’étaient vraiment pas bien s’ils ne faisaient pas de séance de muscu de la semaine.
Physiquement, tu ressens le manque, c'est sûr. Je pense que les bodybuilders doivent
être accrocs à cela pour se faire mal comme cela, s’astreindre à des régimes, etc. (…)
Le moment où je me suis vraiment piqué dans la muscu, c’était quand j’étais à X. Je
mangeais 5 fois par jour. On avait des repas diététiques. Le matin, je ne suis pas trop
déjeuner donc je faisais souvent de la muscu à jeun, ce n’est pas le top. (…) Je me
réveillais vers 10h, 11h. 11h30 muscu. Je revenais à 13h30, 14h, repas. Je remangeais
dans l’après-midi. Tout cela parsemé de shakers de protéines. C'est important. Tu
ressens le besoin c'est pareil. Tu progresses beaucoup plus en prenant des protéines.
Tu remanges une petite collation avant l’entraînement et le soir, je mangeais après
l’entraînement. Je ne prenais que trois shakers de protéines mais il y en avait qui
prenait 4 fois, d’autres plus – ils prenaient de la créatine, des produits. Moi c’était
shaker de protéine et cela suffisait. Il y en a qui prenait de la créatine. Un pote m’avait
fait acheter Animal Pak mais il m’a dit : « Fais gaffe tu seras peut-être contrôlé positif
» J’ai dit : « Tant pis je teste » des fois tu tentes le tout pour le tout mais j’en connais
qui ont pris des trucs bien pires. J’en ai pris un jour. Tu avais un sachet par jour avec
5, 6 gélules ; une si tu n’arrivais pas à dormir, tu devais la prendre en plus. J’ai pris un
sachet et puis j’ai revendu cela à un pote ; ce n’était pas pour moi, je n’étais pas prêt à
faire ce genre de sacrifices. J’en connais qui ont pris des trucs de chevaux vraiment
pour être bien, pour grossir, pour la compétition. Je pense que je n’ai jamais été prêt
dans ma tête à ce genre de sacrifices. Je n’étais pas prêt à me bousiller la santé, même
si je me la bousille quand même certainement avec les blessures. Je n’étais pas prêt à
ce genre de sacrifices. » (Noah, 25 ans rugby)
La salle de musculation fait parfois partie des infrastructures des clubs et des pôles espoirs ou
france. Les sportifs blessés peuvent être invités à y passer du temps pour rester en contact
avec le groupe sportif en activité et pour travailler d’autres parties du corps :
« Je prends l’exemple d’un jeune qui s’est fait mal au genou : il peut peut-être
travailler le haut du corps ! Maintenant c’est tu es blessé tu as trois semaines d’arrêt et
on verra dans trois semaines alors que moi je pense qu’il vaut mieux être sur le tapis.
Si tu as mal au genou, tu fais des abdos, les bras, des assouplissements, au moins il
garde le contact avec le groupe. Même s’il ne pratique pas, il se met en kimono et il est
sur le tapis avec les autres. Des fois ils vont un peu à la muscu mais c’est pareil : la
salle est à part du tapis, les portes sont fermées, on ne voit pas trop ce qui s’y passe.
On a des étudiants qui les gèrent mais je pense qu’il faut garder un maximum de
contact avec les autres (...) On ne s’occupe pas des blessés. Pendant des années et
encore maintenant la solution c’est la musculation : « tu as un problème d’ischio49
jambier, tu as un claquage, va faire un peu de travail de haut, un peu les bras ». Le
gamin va en salle de muscu. S’il est tout seul il écoute la musique, il attend que le
temps passe et il finit. » (Fabien, entraîneur, pôle espoir, sport de combat)
3. « L’influence qui guérit »
Cette seconde phase de la carrière se caractérise par l’engagement progressif du sportif dans
des micro-mondes de la médecine du sport hyperspécialisés (médecine et biologie du sport,
kinésithérapie, médecine manuelle et ostéopathie, rhumatologie, etc.) faisant appel à une
rhétorique morale propre au monde du sport ainsi qu’à des schémas d’action prenant appui sur
la pratique sportive elle-même : il s’agit moins de rééduquer ou de réparer que de « réathlétiser », de reprogrammer le geste, de remettre en mouvement. Alors que d’un côté, les
entraîneurs surveillent et « se font » médecins :
« Oui, c’est notre coach sportif qui nous fait nos programmes d’entraînement. Il a fait
des études spéciales et du coup, il s’y connaît bien, il nous fait plein de trucs. On a un
Google Doc qu’on doit remplir chaque jour : poids, vitesse cardiaque le matin, ce
qu’on a fait la journée. Il y a poids, cardio, le résumé de la journée, après c’est vitesse
et kilomètres qu’on a fait si on a fait du vélo. Je remplis le Google Doc et après il met
un commentaire comme "dors un peu plus car ta fréquence cardiaque est souvent
élevée" ou bien "est-ce que tu as fait quelque chose de particulier le matin ?" plein de
choses comme cela. C’est rarement des commentaires positifs ! (…) Sinon j’ai des
prises de sang tous les six mois. C’est notre coach qui regarde et qui nous dit "là il y a
trop de sel." Après je vais chez mon médecin » (Sacha, cyclisme, 13 ans)
« En fait dans le club où je suis, il y a le coach de course en ligne qui a fait pas mal
d’études. En fait, il me soigne. Il m’a massé énormément. Cela a presque créé un bleu
autour du tendon. Il faut boire beaucoup et c’est vrai qu’en deux jours c’est parti. A
force de masser, masser, cela active la circulation sanguine et cela irrite les tendons.
C’est mon coach qui me dit de le faire quand ce n’est pas très grave » (Mathis, 17 ans,
sport nautique)
D’ailleurs, certains coachs n’hésitent pas à faire des diagnostics et à aiguiller les sportifs vers
des professionnels de la santé basé sur leur propre expérience des blessures ou à rechercher
les causes d’une blessure récurrente ailleurs que dans leur sport, quitte parfois à empiéter sur
50
le territoire souverain des médecins comme par exemple cet entraîneur qui demandera aux
jeunes sportives blessées la date de leur dernières menstruations :
« Il y a une étude qui a été faite la dessus, les ligaments croisés chez les filles qui ont
leurs règles. Il y a une étude qui a été faite la dessus et son coach m’a demandé la date
de ses dernières règles. Elles étaient deux filles dans l’équipe à s’être fait les croisés en
six sept mois. Moi je ne sais pas du tout. Sur Internet ils en parlent un peu comme un
facteur de risque. » (mère d’une jeune handballeuse)
D’un autre côté, les praticiens médicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes, etc.) sont intégrés
dans la composition et la gestion des programmes d’entraînements. Ils se substituent
progressivement à l’encadrement sportif et deviennent, à leur tour, des « entraîneurs ». Ils
s’inscrivent dans les mondes du sport en participant à la rationalisation de la préparation et de
l’entraînement des athlètes et en élaborant une médecine « personnalisée » du sportif fondée
sur les différences biologiques naturalisées entre sportifs. Parfois les kinésithérapeutes
occupent une position cardinale dans les réseaux de soin et les terrains d’entraînements. Alors
qu’en temps ordinaire, c’est le médecin qui prescrit les séances de kinésithérapie, dans les
mondes du sport c’est parfois le kinésithérapeute qui « fait le tri », établi un diagnostic et
adresse éventuellement le sportif blessé au médecin:
« J’observe quand je peux prendre du temps dans la salle et j’établis de bonnes
relations avec les entraîneurs. Quand ils voient qu’il y a un problème, ils choppent le
gars et disent : « Vas voir Michel » Ils me le disent avant pourquoi ils me l’envoient.
Après je fais un peu le tri c'est-à-dire que j’envoie derrière au médecin ou pas en
fonction de la gravité. » (Michel, Kinésithérapeute, pôle France gymnastique)
Cette médecine partage les normes et les valeurs sur lesquelles s’appuie le sport moderne : la
logique du mouvement tout en s’appuyant aussi sur une logique d’accompagnement et de «
réduction des risques » 24 .
24
La politique de réduction des risques, pragmatique, a renouvelé l’approche sanitaire dans le champ des
drogues et des toxicomanies en renversant l’idée selon laquelle la toxicomanie n’est pas une « maladie » mais un
« choix ». Cette conception de la réduction des risques repose sur l’idée propre à nos sociétés modernes selon
laquelle l’individu est capable de prendre en charge, d’être autonome, responsable de ses actes. Cette conception
de l’individu correspond à celle largement diffusée dans les mondes du sport et des mondes de la médecine.
51
« Les garçons sont sur la douleur en permanence : ils savent que s’ils n’ont pas mal au
coude, ils auront mal à l’épaule. Ils sont dans la douleur donc ils apprennent à la gérer.
On les aide à la gérer. Ils ont mal mais cela ne les empêche pas de faire ou l’envie de
faire est supérieure ou la promesse du titre au bout du chemin prend le dessus. On a eu
le cas d’un garçon qui, sur la blessure, malgré tout est allé aux jeux olympiques. Il y a
eu blessure, rupture au moment de monter l’agrès aux jeux et il l’a fait quand même
malgré son tendon cassé. S’ils sont sur le chemin, ils sont prêts à aller au bout ; pour
ceux qui sont au début du chemin, il y en a qui abandonnent ce qui est d’ailleurs… Le
milieu pour lequel je travaille dans le haut niveau et le très haut niveau je n’ai pas peur
des dérives car on est là pour les aider c'est-à-dire que même s’il faut donner un
produit interdit avec une autorisation médicale d’utilisation cela sera fait. Ils n’ont pas
besoin d’aller chercher des antidouleur par eux-mêmes. Si on essaie de leur apporter le
cadre, de les rassurer et leur dire : « On fait le mieux pour toi » ils ne vont pas chercher
ailleurs ou ils ont peut-être cherché ailleurs mais ils n’ont pas trouvé mieux donc ils
restent là-dedans. Je parle pour la structure (pôle France). Comme je vous disais, ceux
qui ne sont pas en structure font n’importe quoi je pense. » (Michel, kinésithérapeute)
Les préconisations médicales visent à maintenir le sportif en activité, à le remettre en action, à
lui permettre de reprendre le dessus, pour le renforcer dans ses choix et dans ses prises de
décision, plutôt que de l’éloigner de l’entraînement par la prescription d’un arrêt de leur
activité sportive.
« J’avais l’impression qu’il [le kinésithérapeute] allait m’arrêter à chaque instant, qu’il
allait me rajouter trois semaines d’arrêt à chaque fois. C’était de la méfiance. Mais
j’avais tellement eu mal que je n’avais pas le choix. Les kinés étaient axés là-dessus.
Ils savaient ce que c’était alors ils me mettaient un objectif sur le mois, ils me disaient
: "Tu fais ci, tu fais ça" et ils n’hésitaient pas à me mettre des soufflantes si jamais je
faisais n’importe quoi. Ils n’y allaient pas de main morte, ils me disaient les choses
comme elles étaient. Je fais attention quand même. (…) J’ai eu peur. Je n’ai pas réussi
à re-sauter en extension. Pourtant ce n’était pas ma jambe d’appui donc je ne sautais
Voici un discours type d’un entraîneur interrogé : « Oui, un athlète pour qu’il soit performant il faut qu’il puisse
se prendre en charge. Pourquoi ? Pour qu’il puisse analyser ce qu’il a fait par rapport à ce qu’il doit faire, se
fixer des objectifs qu’il est capable d’atteindre ou en tous cas légèrement supérieurs à ce qu’il est capable
d’atteindre pour qu’il puisse établir une stratégie. Cela se fait en lien avec l’entraîneur. Il ne peut pas tout faire
non plus car il doit être encadré, accompagné mais on cherche à ce qu’il vise l’autonomie, qu’il puisse être
capable de prendre en compte ce qu’il a fait pour se situer. » Aujourd’hui, quelques experts (Kayser, Mauron,
Miah, 2007 ; Kayser, Smith, 2008) militent pour imposer cette vision sanitaire et non moralisante de la réduction
des risques dans la politique de lutte antidopage (non moralisante au sens où il s’agit pour les acteurs de santé de
ne pas juger les pratiques déviantes afin de mieux les encadrer et d’en réduire les risques sur la santé du
consommateur de substances). Ils s’appuient sur des arguments similaires à ceux déployés dans le champ de la
toxicomanie pour encadrer les pratiques de dopage : puisqu’il serait impossible d’éradiquer le dopage, il faut
apprendre à « vivre avec ». A nos yeux, cette conception–- qui consiste à appréhender le sport comme une
addiction dont il serait impossible de se sevrer - semble être d’ores et déjà mise en oeuvre par la médecine du
sport et par un grand nombre de praticiens médicaux.
52
pas sur cette jambe pour tirer. J’avais tellement bossé avec le kiné … il ne faisait plus
de sentiments. Au bout d’un moment, il m’a dit : « C’est bon, maintenant il faut savoir
ce que tu veux, tu te bouges » Il me parlait comme cela donc ça t’oblige un peu ! »
(Astrid, 19 ans, handball)
Dans cette perspective, sont sollicitées non seulement les parties du corps « à rééduquer »
mais aussi les autres segments corporels qui peuvent être mobilisés pour « rééquilibrer » le
corps dans son usage sportif. C’est par un travail sur le corps même du sportif, par la
manipulation ou par le renforcement musculaire, éventuellement dans l’intensification de la
souffrance, que peut se gérer et se voir de nouveau transfigurée la douleur sportive. Les
sportifs ou leur entourage accordent une place prépondérante à ces méthodes thérapeutiques
basées sur la manipulation (ou certaines techniques supplétives type électro-stimulation)
allant parfois jusqu’à disqualifier les traitements médicamenteux qui font disparaître les
symptômes douloureux mais ne « soignent pas ».
« Cela ne suffit plus ces médicaments. Après derrière, vous faites comment car la liste
des dopants est grande comme la table ! Vous ne savez pas qui vous donne quoi, ce
que vous pouvez prendre, ne pas prendre, etc. Du coup, l’ostéopathe, c’est magique : il
n’y a pas de médicaments. Pour le sportif, on a bien vu le nombre de fois où il (son
fils) s’est blessé, où on est allé chez le toubib pour faire une radio, où ils ont dit : « Il
faut t’arrêter 3 semaines, anti-inflammatoires matin, midi et soir » C’est pourtant un
toubib que l’on connaît bien, qui est plutôt bien. On ne juge pas car on n’est pas
médecin. Mais nous on dit : « Non, grosse compète ce week-end » et ce n’est pas
possible à entendre. On l’emmène chez l’ostéo qui lui fait son bric à brac et il ressort
guéri. Cela fait une semaine d’anti-inflammatoires en moins. Et puis il y a un contact
avec l’ostéo, une discussion, il y a quelque chose. Ils en ont maintenant dans les
médecines du sport. Il y en a un à l’INSEP, ils en ont un à son club, etc. Ce n’est pas
un magicien non plus mais pour l’instant, pour les bobos de tous les jours, c’est très
bien. Cela répond à un problème sans médicament donc sans contrainte, sans risque de
dopant, de dopage, etc. Il faut vachement se méfier maintenant. » (parents de deux
jeunes sportifs de haut niveau)
C’est aussi le cas de cette jeune skieuse de haut niveau qui s’est vu prescrire des antiinflammatoires après sa fracture de deux vertèbres lombaires suite à une descente en
compétition.
53
« Moi par rapport aux médicaments, j’ai connu des différences mais énormes. Moi je
n’aimais pas trop. Je ne vais pas trop utiliser les médicaments à part pour les trucs
banals. Quand on arrive au médicament c’est pas très bien. Par contre, il y en a
d’autres qui n’arrêtaient pas d’en prendre pour le moindre truc. Oui dans le circuit du
ski je me souviens de certains, il y a avait toujours quelque chose qui fait qu’ils
avaient besoin de prendre un médicament pour plein de trucs. Je pense que c’est
différents selon les gens. Il y en a qui avait tendance pour un moindre truc de travers,
ils se gavaient de trucs. Du moins quand on arrive à prendre autant de médicaments
c’est qu’il y a quelque chose que ne va pas quoi. Moi j’ai jamais eu envie de dépendre
de ça. Moi je commence les médocs et je vois si cela allait bien. Je dis ça parce que
après ma fracture j’ai eu d’autres soucis tendinites tout ça et je sais que quand on me
disait de prendre des anti-inflammatoires au début je ne voulais même pas.(…) Quand
j’ai été obligé d’en prendre donc j’en ai pris mais très vite j’ai essayé d’arrêter car
j’avais pas envie d’oublier de soigner l’essentiel et de compenser par des antiinflammatoires. Ça masque mais ça ne soigne pas. » (Elodie, 24 ans, skieuse)
« J’ai tout le temps mal. Je prends des médicaments anti-inflammatoires mais juste
avant le match car je ne veux pas le faire systématiquement non plus. J’ai plein de
collègues qui le font : tous les jours ils prennent un truc : « J’ai mal au dos je prends
un médicament » déjà je n’aime pas cela les médicaments, même quand je suis
malade. Il faut vraiment que je sois mort de chez mort. » (Pierre, 27 ans, rugbyman
professionnel)
« J’ai entendu dire que dans les centres de formation, à plus haut niveau, cela se
faisait. A mon avis à X, en nationale 2 et au pôle Espoir, je n’ai jamais vu d’antidouleurs sauf vraiment quand quelqu’un est blessé et qu’il a besoin d’un antidouleur
mais c’est toujours prescrit pas le médecin qui décide. On ne fait pas d’automédication
» (Lucas, 17 ans, handball)
Les discours sont ambigus et rappellent ceux relatifs à l’utilisation de substances interdites. La
prise de médicaments doit rester occasionnelle – intégrée dans un protocole médical ou
éventuellement être dissimulée - car elle met en évidence une incapacité à surmonter ou à
transcender par soi-même sa souffrance. Les médicaments, fonctionnant comme des produits
masquant. Ils risquent de faire perdre aux sportifs leurs repères familiers :
« En gymnastique, il y a des gymnastes qui me disent que même s’ils souffrent, ils ne
veulent pas prendre d’anti-inflammatoires avant une compète car ils trouvent qu’ils ne
ressentent pas leur corps de la même façon. » (Michel, Kinésithérapeute)
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La douleur doit être supportée pour les sportifs sans médication. La manipulation physique
exercée par les praticiens médicaux ou paramédicaux (kinésithérapeutes, ostéopathes,
sophrologie, médecines non conventionnelles, etc.) s’impose alors comme une évidence et
leur accompagnement est légitimé par les sportifs et leur entourage. Quand les médicaments
effacent les symptômes, c’est « l’influence qui guérit » (Nathan, 2001). En étant de nouveau «
travaillée » (Herzlich, 1969), la douleur peut redevenir « créatrice ». Les kinésithérapeutes, les
ostéopathes, la musculation ou des pratiques sportives visant la récupération ou la réparation
(la natation en particulier) sont investis comme moyen de « fonctionner avec la douleur » tout
comme la consommation de médicaments antalgiques ou de régimes protéinés. Ce choix
témoigne de la valorisation d’une « logique du mouvement » déplaçant et élargissant le
spectre de la transgression de la norme médicale dominante (s’illustrant dans l’arrêt de
l’activité) au fondement de la carrière déviante.
Pourtant, ce rejet des médicaments antalgiques n’est pas si évident. Bien que ces praticiens
médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) ne soient pas autorisés à en délivrer, certains
n’hésitent pas à « conseiller » la prise de médicaments analgésiques ou antalgiques de niveau
I, dont les AINS. Cela confirme l’étude de Patrick Laure (2005) sur l’offre et la demande de
substances dopantes des adolescents sportifs. Cette étude indique que les kinésithérapeutes «
fournissent » aussi des médicaments anti-inflammatoires ou antalgiques aux adolescents
sportifs.
« Le kiné va aider le sportif à se prendre en charge. Le gars va chercher une solution,
une ordonnance, un papier, une piqûre, un médicament. C'est radical le médecin
normalement : une radio, un examen. Chez nous il vient plutôt pour parler : « J’ai fait
cet examen qu’est-ce que tu penses ? Qu’est-ce qu’il y a ? Le médecin veut faire une
infiltration, tu penses que c'est bien ou pas ? » Il y a le temps qu’on passe avec eux.
Sur ceux que je suis, pour 90 % ils viennent me voir avant d’aller voir le médecin.
C'est sûr. (...) Le médicament s’il est symptomatique, il est symptomatique mais
quelque fois avant la compète c'est bien de le prendre. Par contre quand on est à
distance de la compétition il n’y a aucun intérêt, il faut travailler la cause. J’ai fait
toute ma carrière dans cette idée et cela facilite les choses avec les entraîneurs. (...)
Quand ils se font mal, c'est parfois moi qui donne des antalgiques de classe 1 et qui les
poussent à les prendre, s’ils ne les réclament pas. Un exemple : récemment un garçon
s’est fait une fracture au pouce. Je l’ai eu au téléphone et il me dit : « J’ai la radio et
j’ai une fracture » « Tu as mal ? » « Oui » « Cela s’est passé hier ? » « Oui » « Tu as
pris quelque chose ? » « Non » « Prends du paracétamol cela te soulagera » « Ah oui
d’accord » un garçon de 16 ans… après il m’a dit que cela lui avait fait du bien. La
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gymnastique est un milieu spécial face à la douleur. Sur les patients hors gym que je
vois ici, ils m’en parlent moins, j’ai moins de retours quand même. Par contre je vois
beaucoup de gymnastes ici qui ne sont pas de haut niveau et ils font n’importe quoi
avec les médicaments. Pour les antalgiques classe 1, il n’y a pas besoin d’ordonnance
et puis après ils ont tous des médecins compatissants. C'est facile cela, hyper facile. »
(Michel, Kinésithérapeute)
Parfois, ces praticiens médicaux (ostéopathes, kinésithérapeutes etc.) apparaissent comme le
dernier recours quand toutes les solutions ont été épuisées. C’est ce que dit Pierre, ce
rugbyman professionnel : à la veille d’une finale, alors qu’il n’arrive pas à mettre un terme à
ses douleurs risquant de l’empêcher de jouer et de le priver d’une finale, il consulte
« ostéopathe sur ostéopathe » jusqu’à ce qu’il trouve une solution :
« J’allais voir un ostéopathe du club de X ; quand je revenais voir ma famille, j’allais
chez l’ostéo là-bas. J’y vais quand j’ai vraiment… ce n’est pas ma dernière chance
mais le truc… pour stopper les douleurs. L’osthéo pour le dos c'est bien. Par exemple
pour la finale, j’ai deux côtes cassées et du coup je veux la jouer quand même donc
toute la semaine, je suis allé voir deux ostéos, je me suis fait piquer quatre fois. Des
antidouleur. Je suis allé voir deux, trois fois l’ostéo, un marabout ! Je voulais trop
jouer ce match. J’ai joué le match et je suis sorti en pleurs. Mais c'était une finale, tu
joues cela une fois dans ta vie. (...) Mon entraîneur le savait. C’était les côtes cassées,
ce ne sont pas les cervicales; les cervicales il m’aurait dit non. Je suis sorti avant la mitemps, je n’en pouvais plus. Je ne sais pas si tu connais une mêlée : tu as 700 kilos qui
poussent devant toi, sur toi, et 600 kilos derrière. J’avais aussi pris des antiinflammatoires, ça n’a rien de dopant, tout est légal mais des doses de cheval pour que
cela joue et voilà ! Tu joues et tu sors à la mi-temps et tu n’en peux plus, tu es dégoûté.
Ce n’est pas grave. Il y avait 30 000 personnes. Je ne regrette pas ! Tu regrettes de la
perdre mais… tu t’en fous tu l’as jouée. Tu savais que le mec qui te remplaçait ne
faisait pas… je pense que j’étais meilleur blessé que lui qui n’était pas blessé. »
Cette seconde étape ne s’accompagne donc pas forcément d’un processus de démédicamentation que l’entrée en scène et la montée en puissance de ces praticiens médicaux
dans les réseaux de soins destinées aux sportifs aurait amorcé. Les médicaments antalgiques
n’ont pas pour autant disparu de la circulation. Comme l’indique cet ancien coureur cycliste
professionnel la consommation des antalgiques est cyclique. Elle a longtemps été intégrée
dans une consommation « anarchique » de médicaments ou de produits apparentés (Seznec,
2008). Pour ce sportif, cette utilisation dépend de l’actualité des produits dopants consommés
et des résultats de la lutte antidopage.
56
« Les athlètes utilisaient ce qui était intéressant à l’époque comme le "Pot Belge" avec
des opiacées, des antalgiques. Finalement, je finis par avoir un regret de ne jamais les
avoir essayé pour savoir quels effets cela procurait. Cela semblait être tellement
ahurissant. Je ne suis un peu témoin sur ces aspects-là mais pour ces motifs j’ai rompu
avec le système parce que c'était l’escalade à l’époque où je l’ai vécu, notamment avec
tous les produits hormonaux. Je considère que dans les années 90 il y a eu une rupture
sur l’usage des produits dopants. Avant on était sur des antalgiques, on était sur des
excitants, des anti-inflammatoires etc. mais dès l’instant où des produits hormonaux
sont arrivés comme l’hormone de croissance, l’EPO, pour moi cela a changé la donne.
Suite à ces années 90, à un moment donné la fédération internationale du cyclisme est
venue réglementer la question de l’EPO à travers le taux de l’hématocrite. Jusque dans
les années 98, c'était une vraie découverte et après ils se sont mis à imposer un taux
d’hématocrite à 50 %. Il y a un volume de globules rouges qui était limité à 50 %. Ils
ont été obligés de diminuer les dosages. Au début des années 2000, par des biais
directs, ils sont arrivés à trouver un peu plus l’EPO synthétique exogène utilisé. Il y a
pas mal d’athlètes qui étaient obligés, parce qu’ils n’avaient pas les bons moyens de
contournement médicaux, d’arrêter ces produits-là et ils se sont rendus compte qu’en
fait c'était hyper dur de retourner à l’entraînement en hiver car ils avaient mal. Il y a
une vague d’athlètes dans ces années-là qui se sont mis à redécouvrir la douleur alors
que quand ils faisaient du vélo ils n’avaient plus mal aux jambes. Quand je vois qu’à
l’heure actuelle vous avez des polémiques sur certains produits qui sont des
antalgiques, comme le tramadol. On se rend compte que le niveau de consommation
des coureurs professionnels sur ce type de produit-là est hallucinant. (…) Je ne sais
pas à quel niveau les anti-douleurs sont devenus des substituts. Cela les a épaulés.
Mais on ne peut pas généraliser. Je vous parle strictement du cas du cyclisme où il y a
eu une déviance absolue. Mais je pense que dans d’autres sports d’endurance, de fond,
il y a à peu près le même schéma. Je ne suis pas sûr que l’on puisse dire que parce que
la lutte antidopage est venue brider sur certaines choses on s’est rabattu… de toute
façon je pense que cela relève plus de la tendance d’optimisation de la performance où
on va chercher tous les moyens. Le refuge dans l’antidouleur en est un et c'est vrai
pour cette période-là, ces athlètes-là. j’ai plein de collègues qui me disaient : « Je ne
peux pas retourner m’entraîner, le vélo cela fait mal aux jambes ». Evidemment la
base du cyclisme est que cela fait mal aux jambes ! sauf qu’ils l’avaient perdues. Il y
en a plein qui ne pouvaient plus s’entraîner l’hiver parce qu’ils avaient perdu
l’habitude d’avoir mal aux jambes. Il y a eu une période un peu de grand n’importe
quoi. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel)
Au terme de cette seconde étape, la gestion de la douleur devient pour le sportif une obsession
intime occupant une grande partie de son activité, de son temps et de son énergie. Certains
sportifs, vont chercher des moyens de fonctionner avec la douleur, mettre en oeuvre des
stratégies de contrôle de la douleur, à l’intérieur d’un véritable « marché de la douleur » qu’il
conviendrait d’examiner plus précisément le négoce : aux traitements médicamenteux
57
(médicaments de différents paliers), compléments alimentaires (boissons de récupération,
aliment de réparation, etc.) 25 ,
« Oui, on complémente. On donne des vitamines bien sûr mais normalement une
alimentation équilibrée suffit à apporter les vitamines nécessaires. On peut
complémenter parfois en acides aminés parce que dans le muscle, il y a de la casse
dans les entraînements, on peut mieux réparer le muscle par les apports d’acides
aminés. On en donne très peu. Il y a très peu de complémentaires alimentaires. Parfois,
j’en donne, cela fait du bien à la tête. S’il me dit je suis fatigué, prends des vitamines
! » (Henri, Médecin d’équipe, football professionnel)
à la cortisone, aux injections de plasma enrichi en plaquettes (PRP) 26
« Là, ils sont en train de sortir de nouvelles infiltrations par des techniques très
particulières. Cela se fait très peu en France mais c’est pareil : "Machin m’a dit que
cela marchait super bien …" Mais si on ne le fait pas, c’est parce que justement, pour
l’instant, on n’a pas montré que cela servait à quelque chose. L’infiltration, on vous
fait une prise de sang, on vous prend des plaquettes, on les fait tourner en
centrifugeuse et on vous les réinjecte à l’endroit où vous avez mal. C’est censé faire
des guérisons. Pour l’instant, il y a beaucoup d’études là-dessus et on n’arrive pas à
montrer que cela sert à quelque chose. Ils se font faire cela partout du coup cela se sait
de bouche à oreille et les gens sont demandeurs. C’est très rare que cela soit le
médecin qui propose cela ; c’est le patient qui va en parler. Le médecin ne le propose
pas car pour l’instant, ce n’est pas indiqué mais le patient est au courant et il va
25
Voici un exemple parmi bien d’autres d’un complément alimentaire vendu sur Internet sous une forme
galénique destiné à être consommé avant pendant et après l’effort sportif pou éviter les douleurs musculaires :
« **Evitez les contractures musculaires ! Favorise l'élimination de l'acide lactique. Contribue à une bonne
fonction musculaire. Réduit la fatigue ** est un complément alimentaire à base d’extraits de Plantes, Vitamine
B6 et Minéraux, spécialement élaboré pour permettre aux sportifs d'éviter les crampes, grâce aux actifs reconnus
pour leurs effets complémentaires : le Ginseng améliore l’endurance physique en favorisant l’élimination de
l’acide lactique. L’extrait de Quinquina contribue à la transmission de l’influx nerveux et à la contraction
musculaire. Le Magnésium participe à une fonction musculaire normale. La Vitamine B6, le Magnésium et le
Ginseng contribuent à réduire la fatigue. ** contient également de l’Arnica (extrait aromatique). ». Un autre
exemple d’aliment de réparation : « ** est un produit destiné à être absorbé le soir au coucher afin de participer
à la réparation des micro-lésions musculaires causées au cours de l'effort endurant. Cet aliment riche en glucides
et en protéines (sources d'acides aminés ramifiés), assure le bon déroulement des processus réparateurs. Il
contient également des vitamines, des minéraux et notamment du magnésium afin d'apporter à l'organisme tous
les éléments nutritifs dont il a besoin pour pallier les pertes survenues au cours de l'effort. Il convient aussi bien
en récupération qu'en cure préventive, lors d'un travail spécifique ou encore au cours d'une période de
convalescence (blessure).
26
Sur les effets antalgiques de l’injection de PRP comme alternative aux injections de corticoïdes et sur
l’injection de cellules souches cf l’article de Gina Kolata « As Sports Medicine Surges, Hope and Hype Outpace
Proven Treatments » The New York Times, 22 septembre 2011 ; Patrick Le Goux « De nouveaux traitements
contre les tendinites », Le Figaro, 22 février 2013.
58
demander. (…) Chez les jeunes, ce n’est pas le cas mais quand on arrive à 17, 18 ans
oui. Avant, les piqûres, ils n’aiment pas cela donc ils évitent s’ils peuvent. Pour avoir
cela, il faut déjà avoir des blessures ; à 12, 13, 14 ans, on ne se blesse pas tant que
cela. On peut arriver à pas mal se blesser à 17, 18 ans. » (Olivier, Médecin du sport)
s’ajoutent les alternatives thérapeutiques plus ou moins sophistiquées (ostéopathie,
acuponcture, mésothérapie, hypnose) ou les outils et techniques proposées par différentes
entreprises privées (électrostimulation 27 , ultrasons, implants, produits de rééducation),
cryothérapie (cabine de « froid ») etc.) donnant un aperçu de cette palette de solutions
proposées aux sportifs pour traiter ou soulager la douleur. Inévitablement, ce marché de la
douleur ravive la concurrence entre les « groupes professionnels » :
« Quand on est au pôle, on ne parle pas trop argent car la structure soins est financée.
En club, il n’y a pas de financement. Si un mec appelle pour dire : « Si vous voulez je
viens soigner vos mecs gratuitement » le club dit oui. C’est comme cela que beaucoup
d’ostéopathes rentrent dans les clubs. J’avais dit que je n’en parlerai pas mais les
ostéopathes de formation purement ostéopathes, ce sont des gens qui font une
formation et qui n’ont pas de travail à la sortie. Ils ont des difficultés à avoir du travail
donc ils amorcent C'est un truc qui m’horripile ! Ils peuvent donc rentrer dans des
clubs qui disent : « Je mets un ostéopathe à la disposition de mes sportifs » c'est
formidable ! Le mec va leur trouver plein de problèmes : « Tu as cela, cela, il faut que
tu reviennes » Ils ne sont pas tous si mal intentionnés mais c'est quand même quelque
chose que j’ai remarqué. » (Michel, Kinésithérapeute)
27
Voici l’argument de vente d’une société : « L'électrostimulation a visée antalgique agit selon deux types de
mécanismes : soit par blocage de la transmission de la douleur (programmes de type TENS) ; soit par libération
d'une substance naturelle possédant des propriétés anti-douleur (programmes de type endorphinique). En
fonction de leur cause, certaines douleurs sont mieux soulagées par un programme de type TENS, alors que
d'autres bénéficieront mieux d'un programme de type endorphinique. Certaines situations particulières peuvent
présenter des douleurs qui nécessitent l'utilisation simultanée des 2 types de courant, ce que seul, votre
kinésithérapeute peut faire au moyen de son *** professionnel. »
59
Chapitre 4
Surinvestir le « mental » pour transfigurer les maux du sport
La troisième étape est le point d’aboutissement d’un long processus d’apprentissage et
d’appropriation de la douleur. Elle se traduit généralement par une forme d’acceptation de la
douleur. Le sportif n’a en effet pas d’autres choix que d’accepter ce contre quoi il a du lutter,
durant de longues années. Il fini par être convaincu par ce que l’on a pu lui dire ou répéter
depuis son plus jeune âge : c’est le « mental », la motivation à toute épreuve qui, in fine,
permet de dépasser les douleurs.
« Ce que je constate avec le recul, c'est qu’il y a toujours un truc qui m’avait frappé
quand j’étais gamin : les anciens, les entraîneurs ou les personnes qui avaient plus de
bouteille que moi – et là je parle d’un âge de 10, 14 ans – disaient clairement : « Si tu
as mal c'est dans la tête » Quand on me disait cela, je disais grosso modo : « Tais-toi
pauvre con parce que j’ai quand même bien mal aux gens et c'est ce qui m’empêche
d’avancer. » Ce qui est assez marrant c'est qu’aujourd'hui j’ai 38 ans, j’ai arrêté il y a 3
ans donc j’ai arrêté à 35 ans. Entre 30 et 35 ans, quelque part cet adage, il prend peutêtre plus de sens par rapport au flux que l’on peut avoir de la douleur. Peut-être à tort
je finis par penser qu’il y a une part de la douleur qui se gère dans la tête, beaucoup
plus que ce qu’on pourrait le penser quand on est gamin. Je ne sais pas à quoi c'est dû
mais il y a juste de petites expériences qui m’ont toujours un peu surpris. (…) Je pense
que la force mentale peut arriver à faire faire des choses que celui qui ne l’a pas vécu
ne peut pas comprendre. On peut effacer la douleur, on peut arriver à se sublimer.
Quand j’entendais cela il y a quelques années, je n’y croyais pas. Il y a des situations
où à l’entraînement, le fait d’avoir un objectif et de se préparer pour cet objectif, on
arrive à dépasser des souffrances qu’on n’aurait pas pu envisager 10 ans plus tôt. »
(Franck, 35 ans, ancien cycliste professionnel)
« C’est tout dans la tête, c’est que du mental, se dire que l’on a pas mal, se dire que la
ligne d’arrivée est proche et qu’il y a un record à la clé ou une bonne place, et c’est
tout dans la tête, il n’y a rien physiquement que l’on puisse faire pour stopper la
douleur, c’est dans la tête. » (Yasmina, 22 ans, athlétisme)
60
Contrairement aux étapes précédentes, le sportif cherche moins à agir sur son corps que sur
son « mental » pour transfigurer des douleurs que le corps ne parvient plus à contenir. C’est
par un travail spécifique sur la structure et son organisation psychique que le sportif entend
sublimer ses douleurs et contrôler le destin de sa souffrance. Ce changement de relation à la
douleur survient quand l’espoir fondé dans la médecine du corps hyperspécialisée dans le «
faire avec » valorisant le mouvement (kinésithérapeutes, ostéopathes, médecins-préparateurs
physiques) ne suffit plus à « vivre avec » la douleur. Les outils palliatifs à la douleur sont
toujours recherchés dans les mondes de la médecine mais cette fois-ci les sportifs ont non
seulement recours à des spécialistes du corps mais aussi à des spécialistes du soin psychique.
Psychologues
sportifs,
préparateurs
mentaux,
kinésiologues,
les
médecines
non
conventionnelles (hypnoses, sophrologie, etc.) sont mobilisés pour transfigurer la douleur
physique et tenter de l’effacer par la « force du mental ». Le psychisme est alors un espace à
mettre en mouvement selon les mêmes modalités que le corps : c’est le « mental » qu’il
convient de re-mobiliser, de retravailler, de reformater pour surmonter douleurs et
souffrances. Cette étape conduit à ne plus envisager de composer avec la douleur en mettant
le corps en mouvement mais plutôt à intensifier cette mise en mouvement en l’appliquant au
psychisme pour agir non pas sur la douleur elle-même mais sur « ses chaînes de conception »
(Strauss, 1992) 28.
Dans cette perspective, le sportif doit chercher à appréhender la douleur de manière plus
globale. Que ce travail sur la douleur s'engage par le biais d’approches dites « holistiques »
(médecine chinoise, kinesthésie, énergies, sophrologie, etc.) ou qu’il le fasse par le biais du
psychisme dans un investissement du mental (préparateur mentaux, coaches et psychologues
sportifs), le sportif est à la recherche d’une maîtrise de la douleur par l’activation de l’organe
(le cerveau, les méridiens) qui serait le maître des émotions, le lieu du contrôle du soi, de la
mémoire et de la concentration, celui dans lequel s’élabore et se contrôle la modification des
états de conscience.
28
Comme ce médecin sportif, adepte de l’hypnose, qui estime que : « Plus que la douleur, c’est la souffrance,
c’est à dire l’interprétation et la représentation que se fait le sportif de sa douleur, qui peut être gérée ». « Tour de
France 2013 : comment gérer la douleur physique et mentale par J-J. Menuet », in L’Obs. Le plus, Mars 2013.
61
1. Le rêve sportif a un avenir neuronal
Le « mental » se voit doté d’une puissance phénoménale. Son investissement redonne au
sportif une capacité d’agir et lui permet de redécouvrir de nouvelles potentialités. Face aux
épreuves (peur de l’échec, blessures, douleurs, stress, angoisses, etc.) le sportif espère accéder
à cet état appelé le « flow » ou à « la Zone » 29 proche d’un état second ou de transe. S’il ne
parvient pas à y accéder seul, des coachs et des préparateurs mentaux ou entreprises privés de
mental training se proposent d’offrir aux parents, aux entraîneurs ou aux sportifs des services,
des conseils à distance 30 ; des outils et des programmes standardisés visant à surmonter les
difficultés et à se transcender, à ne plus « sentir » la douleur, par l’extase 31. Aujourd’hui,
l’offre pour atteindre la « zone » et travailler l’espace du mental tend à se développer et à se
démocratiser 32. C’est notamment cet investissement du mental qui fait la différence entre les
sportifs dressant une frontière entre ceux ou celles qui « subissent » la douleur et ceux ou
celles qui agissent sous contrôle. Les sportifs trouvent dans cet espace du mental un « principe
d’individuation » (Ehrenberg, 2006), un support pour la constitution d’une « personnalité »
celle du champion. Le mental est ce qui le distingue des autres : « ils arrivent tous au même
état physique ce qui ne veut pas dire qu’ils vont être performants de la même façon : c’est le
mental qui va faire la différence c’est sur. A mon niveau je le voyais déjà, c’est dans la
tronche que cela se passait » (Elodie) Mais le travail sur le mental ne vise pas seulement
l’amélioration des performances, il engage à une redécouverte des capacités permettant
d’atteindre cet objectif.
29
La notion de « la zone » est assez comparable à une autre notion aussi controversée dans le champ de la
toxicomanie : celle de « flash » cette sensation fulgurante et intense provoquée par l’absorption ou l’injection
d’héroïne. L’analogie avait été faite par le Dr Claude Olivienstein dans « Toxicomanie et dopage », Bulletin de
liaison du CNDT, 1992, 271-280.
30
P. Jolly, « Champions sous influence » Le Monde, 8 décembre 2004.
Ce que dit Thomas Sammut, préparateur mental du cercle des nageurs de Marseille : « Ce n’est pas une extase
mais c’est une sorte de transe. On ne ressent plus la douleur par exemple. » in Renée Greusard, « La zone, le
mystérieux état second dont rêvent les sportifs », L’Obs, mars 2012.
31
32
Si ces programmes s’adressent aux sportifs, ils s’adressent aussi aux chefs d’entreprises, aux parents :
« Parents can now benefit from the same mental skills taught to athletes. »
62
Ces méthodes de training mental « naturelles, sures et efficaces » font explicitement
concurrence aux pratiques de dopage. Ses promoteurs les présentent d’ailleurs comme autant
d’alternatives au dopage (« enhancement performance without drugs ») 33 et se positionnent –
comme les kinésithérapeutes et les usages de médicaments antalgiques – à l’intersection de la
performance et du thérapeutique. En redonnant le sentiment de maîtrise voire de « toute
puissance » (maîtriser et gérer totalement ses émotions, exercer un contrôle total de son corps,
prendre les bonnes décisions au bon moment etc.), ces méthodes offrent à l’athlète le
sentiment que le cerveau, la « zone » cérébrale est l’unité hégémonique de l’action 34. Cet «
entraînement du mental » et les conseils de mental training dispensés par des coaches ou
professionnels du psychisme, en face-à-face ou à distance sur les pages de sites Internet et
d’ouvrages de développement personnel figurent alors en bonne place des méthodes utilisées
pour redynamiser le corps du sportif, exercer un contrôle sur ses émotions, modifier ses états
de conscience ou pour s’émanciper des contraintes biologiques ou naturelles jusqu’à avoir le
sentiment de se « désincorporer ». Se consolide ainsi l’idée que « tout est dans la tête » et que
l’imagerie cérébrale utilisée à des fins de performance peut venir matérialiser.
« En fin de carrière quand vous avez des objectifs qui sont clairs dans votre tête, vous
avez une motivation à toute épreuve, vous êtes capable de départir totalement votre
physique de votre mental. Votre mental prend le pas sur votre physique. Quand je dis
votre physique ce sont tous les stimuli que votre corps est capable de renvoyer à votre
esprit. Quand je le dis comme cela vous avez totalement la possibilité de me prendre
pour un fou. Par exemple il y a certains exercices de préparation mentale, sur imagerie
mentale, pour des sportifs qui ont des parcours hyper millimétrés : les skieurs alpin,
pilote de formule 1 etc. Ils font de l’imagerie avec des électromyogrammes 35 . Ils
simulent une descente et l’IMG réagit alors qu’ils sont en statique. L’influx nerveux
qui est envoyé aux plaques motrices n’est pas sur le même niveau d’intensité. Par
contre sur ses variations, il a la même variation que quand ils sont en activité réelle. Ils
sont capables, sans générer la fin de la commande motrice, d’envoyer l’influx en étant
33
The mind is more powerful than most give it credit for, and is certainly more powerful than doping; especially
considering that at the end of the day, remaining in control of our thoughts and emotions while performing is the
ultimate indicator of our success. http://mentaltraininginc.com/blog/
34
C’est d’ailleurs le cerveau via ses neurotransmetteurs qui a le pouvoir de secréter ses propres substances, des
« opiacés endogènes » (dopamine, endorphine, sérotonine, système endocannabinoïde) susceptibles de d’établir
un « système de modulation » de la douleur tout en produisant du plaisir, un sensation de bien-être. Cette idée est
aussi bien affirmée dans la littérature médicale (Potvin, Grignon, 2007) que dans les posts de blogs ou dans les
forums de sportifs ou de coachs. L’addiction à l’exercice sportif a donc sa source dans l’activité
neurobiologique. On retrouve ici renouvelé le débat qui a agité il y a quelques années le milieu de la lutte
antidopage autour de l’EPO endogène/exogène.
35
Technique médicale qui permet d’enregistrer l’activité électrique qui accompagne les mouvements
musculaires.
63
en imagerie. Il y a des situations aussi où on se désincorpore, on sort de son
enveloppe. Je ne vous demande pas de me croire. En fait, on a le sentiment de sortir de
son enveloppe et on se voit faire. Il y a ce processus de désincorporation. Finalement
d’un côté vous avez des informations, de l’autre vous avez votre pensée. Ce n’est pas
beaucoup de temps dans une carrière : bout à bout sur une carrière de 20 ans c'est peutêtre une heure mais vous avez le sentiment qu’en fait vous avez pris la maîtrise de
votre corps à un point où on vous dit : « Tu vois le mur en béton ? Tu pars en courant
tu le traverses » dans ces états-là je pense que 99 % des gens vont dans le mur,
s’éclatent car c'est évidemment le mur qui gagne sauf que vous avez un doute énorme
sur le fait que vous soyez plus résistant que le mur. » (Franck, 35 ans, ancien cycliste
professionnel)
2. Un processus de dé-fragmentation du corps
L’investissement du mental constitue la dernière étape dans l’apprentissage de la gestion de la
douleur chez les sportifs. D’ores et déjà pris en charge par une pluralité de segments de la
médecine qui se partagent son corps, le sportif peut se trouver en proie à une perte d’identité
pouvant s’exprimer au travers d’une « pathologie de l’effacement ». Fragmenté au sein d’un
réseau d’acteurs qui le dépasse, il part à la recherche de professionnels d’un type nouveau qui
le poussent à amorcer un processus de défragmentation visant à ré-organiser son existence, à
redonner un sens à sa douleur et à « se comporter comme des individus » (Ehrenberg, 1992).
La gestion de la douleur trouve alors une définition nouvelle. La mise en travail séparée des
différents parties du corps n’a pas fourni les résultats escomptés, il convient dès lors de «
lever » la douleur – comme on lève un sort par la sorcellerie ou un traumatisme par la
neuropharmacologie - par l’investissement du mental ou le recours à des médecines dites «
holistiques » ou non conventionnelles. C’est par ce biais que certains sportifs retrouvent
chemin faisant une prise sur leurs maux comme sur leur existence :
« En ce qui concerne ma pubalgie, j’ai épuisé un peu tous les tests possibles, les
scanners, toute la batterie des examens et puis un peu en bout de course j’ai été mis en
relation avec un gars pas loin d’ici qui est kiné mais kiné c'est sa devanture. Il est
kinéserticien [kinésiologue] ou un truc comme cela, il y a le terme énergétique dedans.
Ce mec ce n’est pas du tout ma came, j’y suis allé, il a passé les mains sur le corps
comme cela. On commence à discuter, il me pose des questions sur mon passé (…)
cela m’interpelle sur la place que j’ai laissé à la douleur pendant toute une carrière,
tout un pan de ma carrière. » (Franck, 35 ans ancien cycliste professionnel)
64
Beaucoup d’athlètes quittent la carrière sportive de haut niveau après le franchissement de
cette ultime étape. En investissant le mental, le risque est en effet grand de relier de nouveau
le corps et les émotions. Ce faisant, les sportifs peuvent redécouvrir leurs douleurs en tant que
porteuses d’une signification primaire. Alors que la douleur avait été « intégrée dans le
fonctionnement » et qu’elle n’était qu’un « paramètre » dont il fallait tenter de diminuer les
effets néfastes, la douleur peut à nouveau se voir « revêtue d’une souffrance » (Le Breton,
2003).
Si le sens de la douleur a été dévié de sa trajectoire par le primat accordé à une logique du
mouvement, l’investissement du mental selon ces mêmes modalités nécessite de la part du
sportif de trouver les clefs à l’intérieur de lui-même pour affronter les tensions. Face à la
redécouverte de la douleur et de la pluralité de ses sens potentiels, les sportifs sont conduits à
re-questionner la place de la douleur dans leur vie quotidienne. Certains vivent alors une
forme de prise de conscience des choix qu’ils ont effectués, depuis plusieurs années, au nom
du sport.
65
Conclusion
En faisant entrer certains médicaments antalgiques de palier II et III sur ses listes, l’AMA
semble vouloir élargir son champ de vision et questionner les frontières entre pratiques de
soin et pratiques de dopage. Les consommations de médicaments « antidouleur »
n’apparaissent dans ce cadre ni périphériques par rapport aux pratiques de dopage dans les
mondes du sport, ni marginales par rapport aux usages d’opiacés dans les mondes de la
drogue. Ils peuvent être considérés comme des « sous -produits » (byproduct) (Veliz, 2014)
utilisés en sous-main par les jeunes sportifs contraints de « faire avec » la douleur dans un
monde où on leur apprend à se l’approprier, à la taire contrairement au reste de la société où la
médicalisation de la douleur s’est progressivement enracinée et vécue comme positive,
contrairement à d’autres formes de médicalisation (Conrad, Munoz, 2010). Elles interrogent
en outre le rôle de la médecine dans le traitement de la douleur chez les sportifs tant du point
de vue des solutions qu’elle tente d’apporter que celui des circuits officiels et officieux et des
réseaux de proximité qu’elle mobilise ainsi que des idéologies sur lesquelles elle s’appuie. La
« réduction des risques », mise en œuvre par les médecins du sport et les autres praticiens
médicaux (kinésithérapeutes etc.) pour soulager les douleurs des sportifs rejoint le principe de
réalité du sport intensif en tant que pratique « addictive ». Dans cette perspective, les
médicaments ne sont pas les seuls moyens utilisés pour soulager les douleurs par les sportifs
et leur entourage. Ils s’inscrivent dans un ensemble beaucoup plus vaste de produits
consommés (protéines, homéopathies, boissons énergisantes, compléments alimentaires, etc.),
de méthodes et de techniques thérapeutiques mobilisant une pluralité de professionnels
spécialisés dans la manipulation du corps (kinés, ostéopathes, etc.) puis dans la manipulation
du psychisme (sophrologue, hypnose, kinésiologue, psychologues, préparateurs mentaux,
etc.).
Cette analyse permet de mettre en évidence comment la reconceptualisation de l’expérience
de la douleur prend la forme d’une carrière déviante en trois étapes. Chacune se réalise dans
66
une opposition aux normes communes de santé (éthique de la modération, arrêt, équilibre
personnel de vie, bien-être). A chaque fois, la douleur comme valeur morale appelle les
sportifs à trouver les moyens leur permettant de « fonctionner avec ». C’est le « mental » du
champion qui est, dès l’entrée dans la carrière investi d’une qualité et se voit doter d’une «
valeur sociale » (Ehrenberg, 2006). De la même manière que le corps, le psychisme – lui aussi
localisé dans une partie du corps, le cerveau - est alors mis en mouvement en vue d’un
dépassement des contraintes biologiques, des inégalités pensées comme naturelles et dont les
jeunes sportifs font bien souvent l’épreuve notamment à l’âge de l’adolescence. Le corps et le
psychisme sont tour à tour investis par une série de professionnels (kinésithérapeutes,
ostéopathes, spécialistes de la traumatologie sportive ; préparateurs mentaux, coaches,
psychologues, etc.) dans le but d’augmenter les capacités d’action du sportif sur lui-même, à
s’autodéterminer. Mais le mental est aussi un « territoire psychotropique » (Fernandes, 2002)
qui peut engager une psycho- ou une neuropharmacologie 36.. Un territoire sur lequel peut
s’exercer une « souveraineté ». Cette mise en perspective ouvre alors un espace de
questionnements autour d’un processus conjoint de re-médicamentation des sportifs et d’un
déplacement des méthodes de gestion de la douleur vers des formes de « dopage mental »
(Goffette, 2012). L’émergence des techniques et des méthodes du mental training (fondées sur
un
ensemble
de
théories
neurobiologiques
ou
neurolinguistiques
et
cognitivo-
comportementales) se posent comme une alternative au dopage et joue actuellement un rôle
tout aussi ambigu que celui des médicaments antalgiques (paliers II et III), notamment dans le
fait qu’ils se situent sur la même frontière entre le naturel et de l’artificiel (opiacés «
endogènes » versus opiacés « exogènes ») ou encore le thérapeutique et la performance. En
observant la manière dont les sportifs négocient leurs douleurs, on s’aperçoit que les rapports
entre les mondes de la médecine et ceux du sport sont étroits – quasi endogames - et laissent
entrevoir toutes les combinaisons possibles. En inscrivant ces médicaments « antidouleur »
sous surveillance, l’AMA pose la question de la régulation collective du « négoce » de la
douleur : qui régule quoi ? et comment ? qui marque et protège les frontières entre ces mondes
car à la porosité des frontières entre mondes du sport et mondes de la médecine, il
conviendrait d’ajouter celles des mondes de la drogue qui fournissent, in fine, un modèle
d’interprétation du mode de vie du sportif de haut niveau chez ceux-là mêmes qui, après avoir
quitté leur carrière, font rétrospectivement le récit d’une addiction.
36
Comme par exemple les antidépresseurs, la méthadone ou encore la délivrance de Clonazépam (Rivotril®)
utilisé pour l’épilepsie mais agissant aussi comme anti-convulsivant sur les douleurs physiques.
67
Partie II
Le sport intensif à l’adolescence : perceptions et évolution de la
prise en charge de la douleur.
Etude quantitative
***
68
Introduction
Dans leur rapport remis au président du Sénat, les rapporteurs de la commission d’enquête sur
l’efficacité de la lutte antidopage laissaient entendre qu’un certain nombre d’experts
auditionnés en séance les avaient alerté sur « l’étendue du dopage chez les générations les
plus jeunes » (Sénat, 2013). Ils renvoyaient ainsi aux chiffres établis par Patrick Laure (1997,
2000) un des premiers à avoir identifié la consommation de produits dopants chez les enfants
et adolescents sportifs. A partir d’une étude de littérature internationale sur la question, il
constatait qu’en moyenne 3 à 5 % des enfants et des adolescents sportifs (8-18 ans)
déclaraient consommer des produits dopants interdits, essentiellement des stéroïdes
anabolisants, des stimulants et des compléments alimentaires, dans le but d’améliorer leur
performance. Toutes ces études, majoritairement épidémiologiques et nord-américaines,
insistaient sur la consommation précoce de ces produits bien souvent associées à d’autres
types de consommations de drogues (tabac, alcool, cannabis) ou à d’autres produits autorisés
tels que les antalgiques ou les glucocorticoïdes. Plus d’une quinzaine d’années plus tard,
malgré le développement des travaux épidémiologiques sur les stéroïdes anabolisants, les
stimulants, l’hormone de croissance, le cannabis et les compléments alimentaires consommés
parmi les adolescents sportifs, une nouvelle revue de la littérature établit, mêmes chiffres à
l’appui, un constat similaire : les connaissances sur le dopage des adolescents, en particulier
ceux qui sont engagés dans des filières d’accès au haut niveau, restent toujours lacunaires
(Salla et al, 2014).
On peut s’interroger sur cette difficulté à étudier de près ce phénomène que beaucoup juge
sous-estimé et regretter qu’en France peu d’études épidémiologiques soient à ce point sous
développées dans les mondes du sport alors même que l’adolescence constitue « une période
de risque pour le dopage et les addictions » (Rieu, Queneau, 2010 ; Schirlin et al. 2008). Par
ailleurs, ce qui attire l’attention c’est le tropisme par lequel ces enquêtes saisissent le
« dopage » des enfants et des adolescents. En effet, toutes ces études tentent de mesurer la
consommation de substances dopantes « interdites » (anabolisants, stimulants, hormones de
croissance, cannabis etc.) parmi les adolescents qu’ils soient sportifs ou non sportifs, pour
ensuite les mettre en relation avec d’autres consommations de substances (drogues légales ou
illégales) et/ou avec des troubles du comportement (anxiété, violence, etc.) (Arvers, Choquet,
69
2003, Beck et al. 2002). Ces études laissent ainsi dans l’ombre d’autres consommations
notamment celles de médicaments légaux ou celles qui sont exceptionnellement autorisées
pour raisons thérapeutiques (A.U.T.) et qui peuvent s’apparenter à un « dopage légal »
(Overbye, Wagner, 2013). Parmi ces médicaments légaux et non interdits par l’Agence
Mondiale Antidopage, figurent les médicaments anti-inflammatoires et antidouleur dont la
consommation au sein de la population sportive et notamment adolescente semble
préoccupante sur le plan de la santé publique.
Comme nous l’avons vu (cf Partie I), depuis quelques années, dans un contexte de fort
accroissement d’overdoses médicamenteuses liées à la consommation d’analgésiques ou de
substituts aux opiacés dans la population générale (Dowling et al. 2005, Bonar et al. 2014,
Franck et al., 2015) le National Institut on Drug Abuse (2013) a pu identifier les usages et
mésusages de ces painkillers parmi les adolescents sportifs et impulser quelques recherches
sur le sujet (Veliz, 2014). Parce que leur risque d’être blessé est bien supérieur aux nonpratiquants, ceux-ci ont plus de chances d’utiliser ces médicaments opiacés (hors prescription
et de manière abusive) que les adolescents qui ne font pas de sport. Certains sports, tels que le
football américain ou le hockey sur glace (Warner et al. 2002, Cottler et al. 2011, King et al.
2014) semblent particulièrement affectés du fait des violences corporelles que s’infligent les
joueurs. En Europe, quelques recherches commencent à observer la consommation d’opiacés
médicalement prescrits (antalgiques ou analgésiques) dans le hockey sur glace (Selanne et al.
2014). Le cyclisme et le football (Tscholl et al. 2009) sont eux aussi concernés par les
antidouleur. Ces médicaments peuvent être mobilisés à des fins thérapeutiques pour soulager
des douleurs, atténuer ou déplacer le seuil de tolérance à la douleur et, éventuellement, la
« contrôler ». Les médicaments antalgiques et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
sont pour la plupart en vente libre sans prescription médicale – type paracétamol, aspirine,
ibuprofène, etc. de niveau I (antalgiques non opiacés). Ces derniers, néanmoins, ne sont pas
sans effets délétères sur la santé notamment quand ils sont consommés régulièrement par les
sportifs (Laure 2011 ; Grémion, Saugy, 2013). Les autres médicaments de niveau II
antalgiques codéinés ou Tramadol, et de niveau III, comme les antalgiques opioïdes
(morphine, oxycodone, buprénorphine) sont contrôlés médicalement et font l’objet d’une
administration et d’une diffusion réglementée à cause des problèmes de santé et des
addictions qu’ils risquent d’engendrer. Ils sont généralement prescrits dans le cas de douleurs
aiguës ou cancéreuses ou dans le cadre de traitement des addictions aux opiacés.
70
Que sait-on aujourd’hui des consommations d’anti-inflammatoires et d’antidouleur chez les
adolescents sportifs ? Existe-t-il un rapport entre ces consommations d’anti-inflammatoires et
d’anti-douleur et les pratiques de dopage ? En 2011, au cours d’un table ronde consacrée à la
question du « dopage chez l’enfant » le professeur Philippe-Jean Parquet évoquait
ouvertement la question. Constatant des prescriptions médicamenteuses « de plus en plus
fréquentes, diversifiées et précoces », il se demande si la prise de médicaments – il cite, entre
autre, les antidouleur ne pourrait pas être considérée comme la « préforme d’une conduite
dopante ou d’une conduite addictive ? » Notre enquête quantitative prolonge ce
questionnement et propose de documenter ces consommations d’anti-inflammatoires et
d’antidouleur au sein d’une population de jeunes engagés dans une pratique intensive de sport
ou situés aux portes du haut niveau et de déterminer le rôle et l’influence de l’entourage
(parents, entraîneur, médecins) dans la consommation de ces médicaments.
Se focaliser sur cette expérience vécue de la douleur à l’adolescence soulève des questions sur
les pratiques de soins et sur les modalités de sa prise en charge par une multitude d’acteurs
(parents, entraîneur, médecins, praticiens médicaux etc.) que nous avons essayé de saisir dans
le cadre de cette enquête quantitative. Nous allons voir que les pratiques de soins sont bien
souvent redistribuées dans plusieurs mondes sociaux (famille, médecine sportive, sport) en
fonction de l’évolution de la carrière et de l’âge des sportifs. L’adolescence est souvent
considérée comme une période de « vulnérabilité » où se produisent de profonds
changements : sociaux (le passage du statut de collégien à lycéen notamment), somatiques et
psychologiques. L’épidémiologiste Marie Choquet souligne, fort à propos, que si « les jeunes
peuvent se caractériser sur le plan social par la situation de leur famille d’origine, pour les
lycéens la filière d’enseignement suivi permet un début de caractérisation propre » (Choquet,
Lagaric, 2000). L’entrée dans les filières d’élite sportive (CREPS, pôle Espoir, pôle France,
INSEP) apparaît ainsi comme un élément décisif à prendre en compte dans la compréhension
des comportements de santé des adolescents tant elle influence leur hygiène de vie, leur prise
en charge médicale, les soins prodigués au corps tout comme les pratiques addictives. Plus les
jeunes intègrent le haut niveau, plus ils pratiquent de manière intensive leur sport, et plus leurs
pratiques de soins qui les entourent semblent se « médicaliser » (Brissonneau et al. 2008).
Nous avons fait l’hypothèse forte que les pratiques de soins peuvent glisser vers des pratiques
71
pharmacologiques et/ou dopantes. Si l’on considère que soigner est un « processus » qui ne
possède pas, « contrairement aux produits, de frontières claires » (Mol, 2009), les pratiques de
dopage pourraient être une de ces pratiques de soins. En examinant, au travers de ce
questionnaire, le parcours et la construction de l’hygiène de vie des jeunes sportifs, leur
rapport à la pratique du sport, aux douleurs, à la médecine ; en étudiant leur mode de vie, nous
faisons l’hypothèse que l’on pourrait renouveler l’approche du dopage chez l’enfant et
l’adolescent et redéfinir les programmes de prévention autrement qu’en se référant aux
normes de performance.
Le questionnaire
L’enquête porte sur la genèse et le développement des consommations des médicaments antiinflammatoires et antidouleur au sein d’une population composée exclusivement de jeunes
sportifs âgés de 11 à 18 ans et dont l’activité sportive les amène à venir consulter, suite à un
traumatisme, des médecins du sport ou à venir au moins une fois par an effectuer un bilan
sanitaire complet dans un service de médecine du sport. Alors qu’une très grande majorité des
études sur les consommations de substances psychoactives sont réalisées en milieu scolaire,
cette enquête a été réalisée au sein de deux services hospitaliers de médecine du sport : celui
du CHU Edouard Herriot de Lyon et celui du CHU Bellevue de Saint-Étienne auxquels sont
rattachés deux Antennes Médicales de Prévention du Dopage (AMPD)37. L’étude n’a pas une
visée comparative mais prétend à l’exhaustivité. Il n’y a donc pas eu de procédure
d’échantillonnage. Le fait d’interroger deux sites comparables dans leurs missions et leurs
statuts mais historiquement et géographiquement différents a permis d’assurer une
représentativité quant aux résultats. La part de la population étudiée de la file active des deux
services de médecine du sport est relativement faible. Nous nous sommes rendus compte au
fil de nos investigations qu’une grande partie des jeunes sportifs consultaient les médecins et
praticiens médicaux (kinésithérapeutes, médecins du sport, orthopédistes etc.) des cliniques
37
Concernant le site de Nantes, en raison d'une impossibilité d'accéder au service de médecine du sport du CHU
de Nantes (dir. Dr Paruit). Bertrand Guérinaud, chercheur associé au projet et psychologue clinicien, responsable
de l’AMPD de Nantes rattaché au service d’addictologie du CHU de Nantes (dir. Pr Prétagut) ne pouvait pas
prétendre administrer le questionnaire dans le cadre de ses consultations, même avec l’aide d’un stagiaire. Qui
plus est, la file active des consultations liées à l’AMPD s’avérait bien trop faible. Nous avons décidé, après en
avoir informé l’AMA (L. Cléret ) et obtenu son accord de recentrer notre étude statistique sur le CHU de Lyon.
De fait seuls 2 questionnaires ont été administrés sur le site de Nantes.
72
privées de médecine du sport ou
des centres spécialisés dans certaines lésions ou
traumatismes sportifs (cf. Partie I). Certains adolescents étaient parfois « détournés » par leurs
entraîneurs ou entourage (parents, autres sportifs etc.) des suivis médicaux proposés dans le
cadre des filières d’élite (pôle Espoir ou pôle France) et liés aux hôpitaux publics.
La période de passation du questionnaire (initialement prévue sur une durée de trois mois) a
été revue à la hausse (neuf mois environ entre mars et décembre 2014) afin de récolter un
nombre de questionnaires permettant de répondre aux exigences de l’analyse quantitative. Par
ailleurs, trois critères d’inclusion ont été retenus : être âgés de 11 à 18 ans, participer à des
compétitions sportives, effectuer une consultation médicale ou participer à un bilan médical
lié à sa pratique sportive (dans le cadre d’une surveillance médicale réglementaire définie par
le Code du sport L. 231-6 ou d’accords passés avec certains clubs sportifs de la région).
Ce questionnaire anonymisé a fait l’objet d’une passation en côte à côte auprès de 191 jeunes
sportifs. A chaque début de passation du questionnaire, après une brève présentation orale de
l’enquête, a été distribuée au responsable légal de l’adolescent une notice d’information (cf.
annexe) relative à l’étude présentant ses objectifs et ses obligations conformément aux
recommandations de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés). A
cette notice était joint une lettre de consentement de participation (cf annexe) devant être
signée par les parents ou responsables légaux accompagnant leurs enfants et leur garantissant
l’anonymat, le droit de retrait et le respect du secret médical. Les responsables des antennes
médicales de prévention du dopage les ont ensuite archivé au sein de leur service. Les
dossiers médicaux des jeunes sportifs interrogés n’ont pas été consultés. Cette étude a obtenu
l’accord du comité éthique du CHU de Saint-Étienne. Le questionnaire et ses documents
attenants ont été soumis et validés par le comité éthique de l’AMA. Une étude exploratoire
par entretien semi-directif auprès de jeunes sportifs (n = 12) a permis de définir une série
d’indicateurs visant à approcher l’expérience de la douleur chez les jeunes sportifs. Le
questionnaire est construit autour de plusieurs thématiques (cf annexe):
-
caractéristiques sociodémographiques de l’individu interrogé
-
pratique(s) sportive(s) de l’enquêté
-
Place du sport dans la sphère familiale de l’enquêté
-
Entraînement de l’adolescent sportif
-
Scolarité menée par l’enquêté
73
-
Habitudes de vie de l’enquêté
-
Entourage de l’enquêté
-
relations à la médecine, au sport et à la douleur observées chez l’enquêté
-
relations entre dopage, sport et douleur chez l’enquêté
Dans un contexte où les consommations de produits dopants sont stigmatisées et
officiellement « chassées » (Grémion, Saugy, 2013) et dans la mesure où les plus jeunes
sportifs répondaient souvent en présence de leurs parents, que ceux-ci (parents ou
adolescents) pouvaient être soucieux de fournir une réponse « socialement désirable »
(Bloodworth e al. 2012) nous sommes partis du principe que les adolescents sportifs
consommaient des médicaments pour faire face à la douleur. Nous avons donc choisi
d’orienter le questionnement en ce sens. Aussi, nous ne leur avons pas demandé s’ils
prenaient des médicaments contre les douleurs sportives mais nous leur avons demandé quand
est-ce qu’ils prenaient le plus ces médicaments contre ces douleurs.
Le temps de la passation du questionnaire était de 15 minutes environ. Cette durée ne fut en
grande majorité pas une contrainte pour les enquêtés rencontrés dans le cadre de leur attente
pour effectuer des bilans médicaux au sein de services de médecine du sport. La saisie des
données a été effectuée à l’aide d’une mise en ligne du masque de saisie sous Lime Survey©.
La gestion et l’hébergement de la page Internet du questionnaire a été réalisée par nathalie
Dejong, assistante de production et d’analyse des données au sein du laboratoire TRIANGLE
à l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne. Le traitement des données récoltées a été produit
à l’aide du logiciel de traitement de données Modalisa©
Le nombre de questionnaires recueillis est de 191 se distribuant comme suit :
Tableau des effectifs et % de répondants selon le lieu de passation du questionnaire
Lyon
Nantes
Saint-Étienne
Total
Effectifs
112
2
77
191
%
58,6%
1,0%
40,3%
100,0%
74
Chapitre 1
La population des jeunes sportifs
Les données recueillies permettent une analyse statistique approfondie. Les individus
interrogés composent une population cohérente. La représentation des différentes classes
d’âge, de sexe, mais aussi de niveau de pratique sportive ou de degré d’ancienneté dans la
pratique sportive est satisfaisante. La distribution entre sports collectifs et sports individuels
est, elle aussi, bien équilibrée. D’un point de vue général, on constate une corrélation entre
l’âge des jeunes sportifs et leur niveau d’ancienneté dans la pratique sportive. Les jeunes
pratiquent majoritairement leur sport en club mais le sport à l’UNSS 38 n’est pas non plus
délaissé. Un nombre non négligeable de jeunes sportifs sont surclassés ou participent à des
compétitions de niveau supérieur à leur niveau d’inscription en club.
1. La structure de la population (âge, sexe, scolarité, ancienneté dans la pratique)
Les données recueillies sur les sites étudiés (principalement Lyon et Saint-Étienne) permettent
d’observer une population bien dispersée selon les âges et les sexes. La population étudiée est
majoritairement masculine : 60,7% des enquêtés sont de sexe masculin mais la population
féminine constitue néanmoins 39,3% des répondants.
Tableau des effectifs et du % des répondants par sexe
Féminin
Masculin
Total
Effectifs
75
116
191
%
39,3%
60,7%
100,0%
La pyramide des âges par sexe est plutôt équilibrée :
38
L’Union Nationale du Sport Scolaire (collège et lycée) est une association qui a pour mission d’organiser et de
développer la pratique d’activités sportives. Pour approfondir la pratique de certaines disciplines, l’UNSS
propose à ses licenciés des sections sportives et elles leur permet aussi de participer à des championnats.
75
Tableau des % de réponses par classe d’âge et par sexe
Moins de 13
de 13 à moins de 15
de 15 à moins de 17
17 et plus
Total
Féminin
10,5
6,8
13,6
8,4
39,3
Masculin
16,2
14,7
21,5
8,4
60,7
Total
26,7
21,5
35,1
16,8
100,0
Les populations féminines et masculines sont assez ressemblantes en termes d’âge, en
particulier pour les plus petits et les plus grands. Les garçons sont toutefois deux fois plus
nombreux entre 13 et 15 ans et une fois et demi plus nombreux pour les 15-17 ans. En terme
de niveau d’étude, la population se répartit entre 48,4 % de la population au collège, 50% au
lycée et 1,6% dans le supérieur.
Tableau des % de répondants par niveau d’étude
Collège
Lycée
Supérieur
Total
Effectifs
92
95
3
190
%
48,4%
50,0%
1,6%
100,0%
2. Une scolarité « aménagée » pour la pratique sportive
Les jeunes ayant une pratique sportive intensive doivent tenter de lier pratique sportive et
scolarité. Le système scolaire français permet, pour un certain nombre de jeunes athlètes,
d’aménager l’emploi du temps scolaire en fonction de leur pratique sportive.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire ?
Oui
Non
Total
Effectifs
105
86
191
%
55,0%
45,0%
100,0%
Ainsi, 55 % des jeunes interrogés bénéficient d’horaires aménagés dans leur établissement
scolaire. Ces horaires aménagés sont observables pour les jeunes autant au collège qu’au
lycée.
76
Tableau croisé des questions :
Est-ce que tu as des horaires aménagés dans ton établissement scolaire (Recodage) / 11R1. Tu es en
quelle classe actuellement ? (Recodage)
Tableau : %. Khi2=0,162 ddl=2 p=0,922 (Val. théoriques < 5 = 2)
Collège
26,3
22,1
48,4
Oui
Non
Total
Lycée
28,4
21,6
50,0
Supérieur
0,5
1,1
1,6
Total
55,3
44,7
100,0
L’aménagement de l’emploi du temps des jeunes sportifs semble permettre aux enquêtés de
mener de front leur double inscription.
Les absences des établissements scolaires sont peu nombreuses. Pour preuve, ces élèves ont,
en moyenne, été absents de leur établissement 1,75 jours au cours du dernier trimestre pour
des raisons « sportives ». Ces absences sont liées à la participation à une compétition, à un
entraînement ou à une sélection pour 62,4 % des cas, et à un rendez-vous médical dans 32,3
%. Seuls 4,3 % des absences le sont pour « récupérer. »
Les résultats scolaires des enquêtés sont en grande majorité bons ou excellents :
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre :
15 à 20
10 à moins de 15
5 à moins de 10
Total
Effectifs
62
115
3
180
%
34,4%
63,9%
1,7%
100,0%
34,4 % des jeunes avaient obtenu, au trimestre précédent l’enquête, une moyenne générale
comprise en 15/20 et 20/20, 63,9 % entre 10/20 et 15/20, 1,7 % entre 5/20 et 10/20 et aucun
entre 0/20 et 5/20. Ces bons résultats tendent d’ailleurs vers l’excellence si l’on observe la
dispersion des moyennes générales des enquêtés en fonction de leur niveau scolaire.
Tableau croisé des questions :
Au dernier trimestre, ta moyenne générale était comprise entre / Tu es en quelle classe actuellement ?
(Recodage)
77
Khi2=18,9 ddl=4 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5)
15 à 20
10 à moins de
15
5 à moins de
10
Total
Collège
45
Lycée
17
Supérieur
Total
62
45
67
2
114
2
1
3
86
3
179
90
Les collégiens ont, en tendance, une moyenne générale comprise en 15/20 et 20/20 et les
lycéens comprise entre 10/20 et 15/20. En termes de filières d’études, les études générales
sont privilégiées (74,1 % des lycéens sont inscrits dans une filière générale). 14,1 % des
lycéens sont dans une filière professionnelle et 11,8 % dans une filière technologique.
3. Ancienneté de la pratique sportive
La population étudiée témoigne d’une ancienneté élevée dans la pratique sportive. Cette
ancienneté importante l’est d’autant plus au vu de l’âge des répondants.
Résumé statistique des réponses à la question :
Quel est ton âge ?
Résumés statistiques
Moyenne
Ecart-type
Minimum
Maximum
Somme
Nombre
7,05
3,31
1
15
1346
191
En effet, les jeunes interrogés pratiquent en moyenne leur sport depuis 7,05 années.
L’ancienneté dans la pratique sportive est liée à l’âge :
Tableau croisé des questions :
Quel âge as-tu / Depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ?
78
Moins de 13
de 13 à moins de 15
de 15 à moins de 17
17 et plus
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
5,2
11,5
9,4
3,7
3,1
8,4
4,2
9,9
7,9
2,6
2,6
6,3
15,7
27,2
31,9
10 et
plus
Total
0,5
6,3
13,1
5,2
25,1
26,7
21,5
35,1
16,8
100,0
Sur ce tableau croisé, les cases coloriées en vert (clair) mettent en évidence l’attraction entre
deux variables, les cases coloriées en bleu (foncé), la répulsion entre deux variables. On
observe ici un lien entre l’âge et l’ancienneté dans la pratique sportive. On peut considérer
qu’en tendance, les sportifs les plus âgés sont aussi ceux ayant la plus grande ancienneté dans
la pratique. On a ainsi une tendance à la poursuite d’une même activité sportive au fil du
temps.
4. Les jeunes et leur pratique sportive (sport, niveaux et filières d’excellence)
La population enquêtée se répartit de façon équilibrée entre pratique d’un sport collectif et
pratique d’un sport individuel. On sait que cette distinction est importante puisque quelques
travaux estiment que les sports collectifs sont plus traumatisants (sur le plan somatique) que
les sports individuels (Theisen et al. 2013)
Pourcentage recodé des répondants à la question :
Quel est ton sport principal ?
Sport collectif
Sport individuel
Total
Effectifs
87
92
179
%
48,6%
51,4%
100,0%
Concernant notre étude 25 sports sont représentés, en particulier la gymnastique (23,3%), le
football (17,2%), le basket-ball (10%), l’athlétisme (7,8%), le rugby (7,2%), le handball
(6,1%), le volley-ball (5,6%) et le judo (4,4%).
Quant aux filières de haut-niveau ou d’accès aux filières de haut-niveau, elles sont bien
représentées dans cette enquête puisque 62,9 % des enquêtés font partie de ces filières d’élite
79
sportive
Pourcentage de répondants à la question :
Fais-tu partie d’un :
Section sportive scolaire
CRESP
Pôle Espoir
Pôle France
INSEP
Autre
Total / interrogés
Effectifs
42
2
43
29
1
10
202
%
20,8%
1,0%
21,3%
14,4%
0,5%
5,0%
62,9%
20,8% font partie d’une section sportive scolaire, 21,3 % des enquêtés font partie d’un Pôle
espoir, et 14,4 % ont intégré un Pôle France. En plus de l’inscription dans ces filières
spécifiques, la quasi-totalité des répondants pratiquent leur sport dans un club (95,8 %) et 20,9
% des jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un club.
Pourcentage de répondant à la question :
Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un club ?
Non
Oui
Total
Effectifs
151
40
191
%
79,1%
20,9%
100,0%
Par contre, très peu de jeunes sportifs ont déjà été en contrat avec un sponsor :
Pourcentage de répondant à la question :
Est-ce que tu as déjà été en contrat avec un sponsor ?
Non
Oui
Total
Effectifs
185
6
191
%
96,9%
3,1%
100,0%
La population interrogée est non seulement marquée par la pratique du sport en club (95,8 %)
mais aussi par une pratique d’activité sportive en milieu scolaire avec 36,6 % des jeunes
affirmant être inscrits à l’Union nationale du sport scolaire (UNSS).
80
Pourcentage de réponses à la question :
Es-tu inscrit à l’UNSS ?
Effectifs
70
121
191
Oui
Non
Total
%
36,6%
63,4%
100,0%
La majeure partie des enquêtés n’a fréquenté que peu de clubs : captifs, 82,9 % des jeunes
interrogés affirment n’avoir fréquenté qu’un ou deux clubs depuis le début de leur activité
sportive.
Si la majeure partie des jeunes sportifs vivent chez leurs parents, 25,7 % des enquêtés sont en
internat.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tu es en internat ?
Effectifs
49
142
191
Oui
Non
Total
%
25,7%
74,3%
100,0%
L’intégration de l’internat se fait le plus souvent au lycée. Les collégiens sont ainsi plus
nombreux à vivre chez leurs parents que les lycéens.
Tableau croisé des questions :
Tu es en internat ? (Recodage) / 11R1. Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)
Khi2=14,1 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)
Oui
Non
Total
Collège
13
79
92
Lycée
36
59
95
Supérieur
3
3
Total
49
141
190
L’intégration de l’internat témoigne le plus souvent d’une opportunité en termes de carrière
sportive professionnelle. En effet, les jeunes en internat sont en tendance davantage inscrits
dans une formation sportive d’excellence telle que le Pôle Espoir ou le Pôle France.
81
Tableau croisé des questions :
Tu es en internat ? (Recodage) Recodage du Centre de Formation
Base Répondants. Khi2=27,9 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 5)
Section
sportive
scolaire
Eff.
Oui
6
Non
36
Total
42
PEM
65%
CRESP
Eff.
65%
Pôle
Espoir
PEM
Pôle
France
INSEP
Eff.
PEM
Eff.
PEM
Eff.
30
49%
12
1%
1
2
13
49%
17
-1%
2
43
29
1
Autre
PEM
Eff.
PEM
Total
Eff.
3
48
7
72
PEM
10
Dans tous les cas, la proximité entre le lieu d’habitation et le club dans lequel est inscrit le
jeune sportif est privilégiée.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Combien de temps mets-tu pour te rendre dans ce club ?
Moins de 30 minutes
De 30 minutes à moins d'une
heure
Une heure et plus
Total
Effectifs
139
29
%
76,8%
16,0%
13
181
7,2%
100,0%
En effet, 76,8 % des répondants mettent moins de 30 minutes pour se rendre dans leur club.
Concernant leur pratique sportive en club, la population se distribue de manière équilibrée
entre les niveaux départementaux et régionaux (respectivement 24,7 % et 24,1 % de la
population). Presque la moitié des enquêtés est inscrite dans un club leur permettant d’évoluer
à un niveau national (43,7 % des enquêtés). Le niveau international reste quant à lui
légèrement sous-représenté (7,5 % des enquêtés).
Tableau du pourcentage de réponses à la question:
Quel est ton niveau en club ?
Départemental
Régional
National
International
Total
Effectifs
43
42
76
13
174
%
24,7%
24,1%
43,7%
7,5%
100,0%
82
Les niveaux nationaux et internationaux sont par ailleurs amplifiés lorsqu’il s’agit de la
compétition : 47,8 % des enquêtés participent à des compétitions de niveau national et 20 % à
des compétitions de niveau international.
Tableau du pourcentage de réponses à la question:
Quel est le plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ?
Départemental
Régional
National
International
Total
Effectifs
28
30
86
36
180
%
15,6%
16,7%
47,8%
20,0%
100,0%
5. Le sur-classement
Ce tableau présente la répartition des enquêtés selon leur niveau maximum de compétition
auquel ils ont participé. L’écart entre le niveau d’inscription en club et le plus haut niveau de
compétition auquel les jeunes participent est notamment lié à la possibilité d’avoir recours au
sur-classement des jeunes afin qu’ils participent à des compétitions de niveau supérieur ou
qu’ils s’inscrivent dans une activité sportive de plus haut niveau que celui auquel ils devraient
être en fonction de leur âge et/ou de leur ancienneté. Comme nous le verrons, le surclassement des athlètes constitue un bon indicateur de l’investissement effectué sur
l’adolescent pour lequel on escompte une intégration dans les filières de haut niveau.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Es-tu surclassé(e) ?
Oui
Non
Total
Effectifs
60
131
191
%
31,4%
68,6%
100,0%
Le sur-classement concerne 31,4 % des jeunes sportifs interrogés, en particulier les sportifs de
niveau régional et national.
83
6. Une pratique du sport « intensive »
La pratique intensive du sport chez les jeunes est souvent mesurée par le nombre d’heures
d’entraînement par semaine. On trouve peu de définitions de la notion de sport intensif.
Certaines études considèrent qu’à partir de 8 heures d’entraînement par semaine, l’enfant ou
l’adolescent s’inscrit dans une pratique intensive du sport. D. Purper-Ouakil et al (2002)
notent « qu’en l’état des connaissances actuelles, il n’est pas possible de définir correctement
le seuil à partir duquel une pratique sportive devient intensive pour un enfant ou un
adolescent. De même il n’y a pas de critères opérationnels permettant de définir le caractère
pathologique d’un style d’activité physique, même si le caractère compulsif ou addictif et le
retentissement délétère sur l’adaptation psychosociale peuvent être retenus comme des signes
d’appel. » (Purper-Ouakil 2002) Il n’est d’ailleurs pas rare d’identifier rétrospectivement la
pratique intensive du sport par la survenue d’un syndrome de surentraînement ou par la
survenue d’un burn out (Prétagut, Guérineau, 2014). Si le nombre d’heures d’entraînement
par semaine constitue un indicateur de premier ordre pour saisir l’intensité de la pratique
sportive, il ne permet pas de mesurer le temps effectif que les athlètes consacrent à leur
activité sportive. Pour approcher l’emploi du temps sportif des jeunes, il convient en effet de
compléter les informations recueillies par le nombre d’heures d’entraînement par semaine à
l’aide d’autres indicateurs tels que le nombre de compétitions effectuées au cours d’un mois,
la pratique de la musculation (avec ou sans appareils, en club, en salle ou à la maison) et la
pratique d’une ou de plusieurs autre(s) activité(s) sportive(s). Il apparaît ainsi que
l’entraînement, autour duquel s’organise l’emploi du temps du jeune sportif, ne résume pas le
temps effectivement passé à la pratique d’une activité sportive.
En moyenne, les jeunes sportifs interrogés s’entraînent 10,99 heures par semaine mais de
grandes disparités sont observables (écart-type = 8,45).
Combien d’heures d’entraînement as-tu par semaine ? Recodage en classes
Heures
Moins de 7
de 7 à 13
de 13 à 19
de 19 à 25
de 25 à 31
31 et plus
Total
Effectifs
74
60
22
4
27
4
191
%
38,7%
31,4%
11,5%
2,1%
14,1%
2,1%
100,0%
84
Minimum=1 Maximum=36 Somme=2099 Moyenne=10,99 Ecart-type=8,45
Classes d'amplitude égale : 6
Si un grand nombre de jeunes s’entraînent moins de 7 heures par semaine (38,7 %), 31,4 %
des jeunes athlètes effectuent entre 7 et 13 heures d’entraînement par semaine, 11,5 % entre
19 et 25 heures par semaine et 14,1 % des jeunes sportifs s’entraînent entre 25 et 31 heures
par semaine. Cet entraînement s’organise en sessions d’entraînement. En moyenne, les jeunes
ont 4,59 sessions d’entraînement par semaine mais, là encore, les disparités sont importantes.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Combien d'entraînements as-tu en moyenne au cours d’une semaine ?
Nombre de sessions/semaine
Moins de 3
de 3 à 5
de 5 à 7
de 7 à 9
de 9 à 11
11 et plus
Total
Effectifs
56
47
52
12
19
5
191
%
29,3%
24,6%
27,2%
6,3%
9,9%
2,6%
100,0%
Minimum=1 Maximum=12 Somme=877 Moyenne= 4,59 Ecart-type=2,8
Classes d'amplitude égale : 6
L’emploi du temps du jeune sportif est par ailleurs marqué par la participation à des
compétitions sportives. Au cours d’un mois, les jeunes athlètes participent en moyenne à 2,76
compétitions. Le nombre de compétitions varie comme suit :
Recodage en classes des réponses à la question :
A combien de compétitions participes-tu en moyenne au cours d'un mois ?
Nombre de compétition(s)/mois
1
2
3
4
5 et plus
Total
Effectifs
56
31
22
58
14
181
%
30,9%
17,1%
12,2%
32,0%
7,7%
100,0%
32 % des jeunes interrogés effectuent 4 compétitions par mois, 29,3 % entre 2 et 3
compétitions par mois, et 30 % une compétition par mois. Par ailleurs, il faut ajouter aux
sessions d’entraînement et aux compétitions la pratique de la musculation qui est
85
particulièrement importante au sein de la population interrogée.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tu pratiques la musculation ?
Effectifs
60
65
66
191
Non
Oui, avec appareils
Oui, sans appareils
Total
%
31,4%
34,0%
34,6%
100,0%
68,6 % des jeunes sportifs interrogés pratiquent en effet la musculation. Cette pratique se fait
pour 34 % des athlètes sur appareils et pour 34,6 % des jeunes sportifs sans appareil. La
pratique de la musculation au sein de cette population est donc majoritaire puisque seuls
31,4% des jeunes athlètes ne font pas de musculation.
Tableau croisé des questions :
Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)
Tableau : %. Khi2=22,8 ddl=2 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)
Non
Oui
Total
Collège
Lycée
22,6
25,8
48,4
7,4
42,6
50,0
Supérieu
r
1,1
0,5
1,6
Total
31,1
68,9
100,0
Tableau croisé des questions :
Est-ce que tu pratiques la musculation ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=10,5 ddl=3 p=0,015 (Très significatif)
Oui
Non
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
7,3
19,4
21,5
8,4
7,9
10,5
15,7
27,2
31,9
10 et
plus
Total
20,4
4,7
25,1
68,6
31,4
100,0
La pratique de la musculation est liée à l’âge des sportifs. En effet, on constate que la pratique
de la musculation augmente en fonction de son âge et et de son ancienneté dans la pratique
sportive. En moyenne, les jeunes sportifs faisant de la musculation la pratiquent pendant 2,6
heures par semaine. Une fois de plus les disparités entre les individus (écart-type = 1,86) sont
importantes. La pratique de la musculation s’effectue le plus souvent au club dans lequel est
86
inscrit le jeune sportif (65,1%) mais elle peut se faire à la maison (27%), dans une salle de
musculation (6,6%) ou encore dans les pôles des filières d’accès au sport de haut-niveau
(UNSS, pôle Espoir, pôle France), voire chez un kinésithérapeute.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tu pratiques la musculation pour :
Augmenter tes capacités physiques
Améliorer tes performances
Diminuer le risque de blessures ou de douleurs
Te rééduquer
Ton apparence
Total / répondants
Effectifs
102
98
71
34
32
131
%
77,9%
74,8%
54,2%
26,0%
24,4%
Les sportifs ont recours à la musculation pour plusieurs raisons : pour augmenter leurs
capacités physiques (77,9 %), pour améliorer leurs performances (74,8 %) mais aussi pour
diminuer le risque de blessures ou de douleurs (54,2 %), se rééduquer (26 %) ainsi que pour
leur apparence (24,4 %).
Enfin, aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 %
s’ajoute la pratique d’une ou de plusieurs autres activités sportives.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Mis à part ton sport principal et éventuellement la musculation, est-ce que tu as une ou plusieurs autres
activités sportives ?
Oui
Non
Total
Effectifs
62
129
191
%
32,5%
67,5%
100,0%
Aux entraînements, aux compétitions ainsi qu’à la pratique de la musculation, 32,5 % de notre
population pratique occasionnellement une ou plusieurs autres activités sportives différentes
de celle pratiquée officiellement en club. Cette pratique supplétive du sport, au-delà de son
aspect ludique, peut être associée à des fins thérapeutiques (comme la natation par exemple)
destinée à apaiser des douleurs liées à la pratique sportive principale de l’athlète.
87
7. Synthèse
Légèrement plus masculine que féminine, la population des jeunes athlètes engagés dans une
pratique sportive intensive voit son emploi du temps (au collège comme au lycée) organisé
autour de leur activité sportive. La pratique sportive des enquêtés est marquée par un
important nombre d’heures d’entraînement. Elle est aussi rythmée par une participation
régulière à des compétitions sportives. De plus la pratique sportive des enquêtés
s’accompagne d’autres activités sportives visant à pallier aux douleurs liées à leur sport
principal. Les pratiques sportives ont aussi une fonction thérapeutique (cf. partie I). Si
l’inscription en club est centrale, elle est souvent complétée d’une inscription à l’UNSS,
complétée pour les moins jeunes d’une pratique régulière de la musculation et parfois par la
pratique d’une autre activité sportive.
88
Chapitre 2
Des différences observables entre garçons et filles
Les jeunes athlètes engagés dans une pratique sportive intensive témoignent, dans leurs
réponses, de disparités non négligeables selon le sexe. Qu’il s’agisse du type de sport
privilégié ou du mode d’engagement dans une carrière sportive (poursuite d’une même
activité sportive au fil du temps, investissement du sportif de la part de l’entraîneur ou des
autres mondes sociaux), des disparités sont observables selon le sexe des individus interrogés.
1. Les filles et les sports individuels / les sports collectifs et les garçons
On constate une proportion plus importante de garçons engagés dans la pratique de sports
collectifs et de filles dans celle de sports individuels.
Tableau croisé : pratique d’un sport individuel ou collectif / sexe
Tableau : %. Khi2=4,16 ddl=1 p=0,039 (Significatif)
Sport collectif
Sport individuel
Total
Féminin
14,0
22,9
36,9
Masculin
34,6
28,5
63,1
Total
48,6
51,4
100,0
Une attraction (bleu /foncé) pour les sports collectifs et une répulsion (vert/clair) pour les
sports individuels est repérable au sein de la population masculine ainsi qu’une attraction pour
les sports individuels et une répulsion pour les sports collectifs au sein de la population
féminine. Les garçons investissent donc en tendance plus aisément les sports collectifs que les
filles et les filles s’engagent tendanciellement plus dans les sports individuels que les garçons.
89
2. Des sportifs « jeunes » mais un engagement « ancien »
Comme mis en évidence plus haut, bien qu’étant une population composée de jeunes sportifs
(âgés de 11 à 18 ans), on observe déjà une ancienneté importante de la pratique du sport chez
ces individus :
Tableau des effectifs, % et résumé statistique pour la question :
Depuis combien d’année pratiques-tu ton sport principal ?
Moins de 4
de 4 à moins de 7
de 7 à moins de 10
10 et plus
Total
Résumés statistiques
Moyenne
Ecart-type
Minimum
Maximum
Somme
Nombre
Sans rép
Effectifs
30
52
61
48
191
%
15,7%
27,2%
31,9%
25,1%
100,0%
7,05
3,31
1
15
1346
191
11
De la même manière, il convient de rappeler que les jeunes sportifs pratiquent en moyenne
leur sport depuis sept ans. L’ancienneté de la pratique sportive est liée à l’âge des individus
interrogés.
Tableau croisé des questions (recodées) :
tu as quel âge ? / depuis combien d’années pratiques-tu ton sport principal ?
Tableau : %. Khi2=28,5 ddl=9 p=0,001 (Très significatif)
Moins de 13
de 13 à moins de 15
de 15 à moins de 17
17 et plus
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
5,2
11,5
9,4
3,7
3,1
8,4
4,2
9,9
7,9
2,6
2,6
6,3
15,7
27,2
31,9
10 et
plus
Total
0,5
6,3
13,1
5,2
25,1
26,7
21,5
35,1
16,8
100,0
En plus de leur ancienneté dans le sport principal dans lequel ils s’inscrivent, près de 60 %
des jeunes sportifs ont pratiqué une autre activité sportive avant de débuter leur activité.
90
Tableau des effectifs et % à la question :
Tu pratiquais un autre sport avant de débuter celui-ci ?
Oui
Non
Total
Effectifs
112
79
191
%
58,6%
41,4%
100,0%
Le lien entre âge et ancienneté est aisément compréhensible. Il signifie que les plus jeunes
ont, en tendance, débuté leur pratique sportive depuis moins longtemps que les sportifs plus
âgés. Toutefois elle nous informe aussi sur une règle guidant la carrière des jeunes sportifs.
Pour ceux-ci, la tendance à poursuivre une même activité sportive est privilégiée. Les plus
âgés étant aussi ceux présentant l’ancienneté la plus importante, la corrélation observée entre
l’âge et l’ancienneté permet de mettre en évidence que les jeunes sportifs sont, en tendance,
découragés à changer d’activité sportive ou à débuter une activité sportive tardive. En
observant cette question de l’ancienneté de la pratique sportive, on observe par ailleurs une
corrélation entre le sexe et l’ancienneté dans la pratique.
Tableau croisé : Ancienneté dans la pratique sportive / sexe
Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=3 p=0,005 (Très significatif)
Moins de 4
de 4 à moins de 7
de 7 à moins de 10
10 et plus
Total
Féminin
7,9
15,2
9,4
6,8
39,3
Masculin
7,9
12,0
22,5
18,3
60,7
Total
15,7
27,2
31,9
25,1
100,0
Cette tendance est toutefois moins nette chez les filles que chez les garçons. En tendance, les
filles présentent une ancienneté moindre que les garçons. Les filles poursuivent moins souvent
que les garçons la même activité sportive au fil du temps. De ce constat d’une corrélation
entre le sexe et l’ancienneté de la pratique sportive, deux questionnements émergent. Un
premier a trait au mode de sélection des sportifs. On peut émettre l’hypothèse que les garçons
sont davantage incités à poursuivre une même activité sportive que les filles. Le second
interroge la manière dont se construit socialement une projection dans le cadre d’un possible
devenir de sportif professionnel. Pour engager une réflexion sur ces questions, croisons la
question du sexe avec d’autres variables présentes dans le questionnaire. Tout d’abord, pour la
première hypothèse d’une sélection différente selon les sexes, comparons le niveau des jeunes
sportifs interrogés en fonction de leur sexe :
91
Tableau croisé : Quel est ton niveau en club ? / Sexe
Tableau : % Colonnes. Khi2=0,336 ddl=3 p=0,952 (Peu significatif)
Départemental
International
National
Régional
Total
Féminin
23,9
7,5
46,3
22,4
100,0
Masculin
25,2
7,5
42,1
25,2
100,0
Total
24,7
7,5
43,7
24,1
100,0
Le niveau en club par sexe ne nous permet pas de mettre en évidence de différence
significative entre garçons et filles dans le recrutement des sportifs de haut niveau. Toutefois,
le seul niveau en club ne permet pas de mesurer l’investissement porté sur un athlète. La
variable sur-classement (mesurant l’inscription à un niveau de pratique et de compétition
supérieur au niveau auquel un sportif devrait être inscrit en fonction de son âge ou son
ancienneté) peut être croisée avec celle du sexe des enquêtés.
Tableau croisé : Es-tu surclassé / Sexe
%. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)
Non
Oui
Total
Féminin
26,7
12,6
39,3
Masculin
41,9
18,8
60,7
Total
68,6
31,4
100,0
3. Devenir sportif professionnel ?
On peut affirmer qu’en tendance, les jeunes athlètes masculins font l’objet d’un
investissement supérieur que les jeunes athlètes féminins. Cette proposition doit être
complétée par la manière dont les adolescents se projettent dans la carrière sportive selon leur
sexe. En effet, on pourrait imaginer que les jeunes filles se projettent moins aisément dans une
carrière professionnelle que les jeunes garçons du fait du plus faible degré de
professionnalisation du sport féminin. Pour mesurer la manière dont garçons et filles se
projettent de manière différenciée dans l’éventualité d’une carrière de professionnel du sport,
on peut mobiliser les réponses à la question : « Plus tard, t’imagines-tu sportif
professionnel ? » et les croiser avec la variable sexe :
Tableau croisé : Plus tard, t’imagines-tu sportif professionnel ? / Sexe
92
Tableau : %. Khi2=10,8 ddl=3 p=0,013 (Très significatif)
Oui, tout à fait
Plutôt oui
Plutôt non
Non pas du tout
Total
Féminin
3,0
16,1
8,3
8,9
36,3
Masculin
13,7
33,3
10,1
6,5
63,7
Total
16,7
49,4
18,5
15,5
100,0
On constate des réponses très campées selon les sexes. En tendance, les garçons s’imaginent
plus sportifs professionnels que les filles. On remarque ainsi un lien entre le sexe des sportifs,
l’investissement dont ils font l’objet et leur possibilité de se projeter dans une carrière de
sportif professionnel.
Tableau croisé : A part toi, qui t'imagine sportif professionnel ? / Sexe
Tableau : % Lignes - Base Répondants. Khi2=11,9 ddl=6 p=0,063 (Val. théoriques < 5 = 1)
Tes parents, ta famille
Ton coach ou ton entraîneur du club
Des copains ou des amis du club
Des copains ou des amis extérieurs au club
D’autres personnes de ton club ou de la
fédération
Le personnel de ton collège ou de ton lycée
Personne
Total
Féminin
30,0
32,7
40,0
26,7
Masculin
70,0
67,3
60,0
73,3
Total
100,0
100,0
100,0
100,0
38,5
61,5
100,0
25,0
52,6
75,0
47,4
100,0
100,0
La réponse à la question : « A part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? » est tout aussi
intéressante. On observe (notamment en ramenant à 100 les effectifs de chaque ligne) à quel
point l’investissement en matière de pratique sportive de la part des représentants des mondes
sociaux sur le devenir professionnel des jeunes sportifs est différencié selon le sexe. En effet,
les garçons font l’objet d’un investissement bien supérieur à celui des filles (mesuré par la
question : « à part toi, qui t’imagine sportif professionnel ? »). C’est d’ailleurs pour la
modalité de réponse « personne » que les filles obtiennent un score supérieur à celui des
garçons.
4. Synthèse
93
La pratique d’un sport intensif est en lien avec le sexe des enquêtés. Les jeunes garçons
tendent plutôt à investir les sports collectifs. Quant aux jeunes filles, elles pratiquent plus
volontiers un sport individuel. En matière de mode d’engagement dans la carrière sportive, les
garçons, plus encouragés à la performance, plus souvent surclassés et globalement plus
investis par différents mondes sociaux pour intégrer le haut niveau, poursuivent davantage
une même pratique sportive et s’imaginent plus volontiers devenir sportifs professionnels. Les
filles sont, quant à elles, moins encouragées à la performance, moins souvent surclassées et
globalement moins investies par les autres pour intégrer une carrière sportive professionnelle.
94
Chapitre 3
Le sport : une affaire de famille
La pratique sportive se joue dans les clubs et au sein des pôles d’excellence des fédérations
sportives nationales. Reste que les familles des jeunes engagés dans une pratique sportive
intensive vivent au rythme de l’emploi du temps sportif des jeunes athlètes. La famille
constitue un point d’ancrage fort au moins chez les plus jeunes. En enquêtant sur la famille
des jeunes athlètes, on note la prégnance du sport au sein des foyers, faisant du sport une
« affaire de famille » (Kay, 2000). Le sport est pour ces jeunes un objet familier et nombre
d’athlètes s’inscrivent dans une lignée de sportifs. L’investissement des parents est central
dans la compréhension de la pratique sportive des jeunes interrogés.
1. La situation familiale
En matière de structure familiale, les jeunes sportifs vivent au sein de fratries légèrement
moins importantes au regard de la population française générale.
Résumé statistique pour la question :
Combien de frères et sœurs as-tu au total ?
Résumés statistiques
Moyenne
Ecart-type
Minimum
Maximum
Somme
Nombre
1,83
1,15
0
8
347
190
En moyenne, les fratries de jeunes sportifs sont de 1,83 quand d’après l’INSEE le taux de
fécondité en France est de 1,99 en 2012 (d’ailleurs en légère baisse par rapport aux années
précédentes). Les jeunes athlètes sont, par ailleurs, issus de familles majoritairement mariées
(69,5%) ou en union libre (10%).
95
Tableau du pourcentage de réponses à la question : Tes parents sont
Autre
Célibataires
Divorcés
En union libre
Mariés
Pacsés
Total
Effectifs
7
3
27
19
132
2
190
%
3,7%
1,6%
14,2%
10,0%
69,5%
1,1%
100,0%
Les jeunes sportifs interrogés ont majoritairement des parents mariés ou pacsés (70,6 %). 14,2
% des jeunes sportifs ont des parents divorcés, 10 % vivant en union libre, 3,7 % (catégorie
« autre » composée de parents « séparés » ou « décédés ») et 1,6 % étant célibataires. Les
jeunes sportifs font par ailleurs partie de fratries de 1,83 individu en moyenne.
2. La situation sociale des parents
Plus que la structure familiale des jeunes sportifs, c’est la place importance du sport dans les
familles qui est pertinente. Tout d’abord, en interrogeant la profession des parents, on observe
qu’une part importante des jeunes sportifs est issue de familles de sportifs.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Profession du père (mondes de la médecine et des sports)
profession médicale ou paramédicale
professionnel des mondes du sport
autre
Total
Effectifs
12
11
164
187
%
6,4%
5,9%
87,7%
100,0%
Tableau du pourcentage de réponses à la question
Profession de la mère (mondes du sport et de la médecine)
Profession médicale ou paramédicale
Professionnel des mondes du sport
Autre
Total
Effectifs
60
8
122
190
%
31,6%
4,2%
64,2%
100,0%
96
10,1% des jeunes sportifs ont au moins un de leurs parents exerçant une activité
professionnelle dans les mondes du sport (Professeurs d’EPS, entraîneurs, etc.). En effet, des
jeunes sportifs ont un père (5,9%) et une mère (4,2 %) exerçant une activité professionnelle
dans les mondes du sport. On observe ainsi que, au-delà de l’emploi ou du statut, l’activité
professionnelle en lien avec le sport, est une composante non négligeable des familles de
jeunes sportifs. Par ailleurs, dans le cadre de notre enquête, il est pertinent d’observer une
composante secondaire des familles des athlètes. En effet, 38% des jeunes sportifs ont au
moins un de leurs parents exerçant une activité professionnelle dans les mondes de la
médecine (médecins, infirmières, aides-soignantes, secrétaires médicales etc.). 6,4 % des
pères exercent une activité professionnelle dans cette sphère d’activité et surtout, 31,6% des
mères exercent une activité professionnelle dans le monde médical. Les mondes du sport ou
de la médecine sont ainsi représentés dans 48,1 % des familles.
3. La situation sportive
Au-delà de la pratique professionnelle, la pratique sportive concerne l’ensemble des membres
de la famille des jeunes sportifs.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Qui, à part toi, pratique un sport dans ta famille ? (Recodage)
Non réponse
Parents ou beaux-parents
Fratrie
Personne
Total / réponses
Effectifs
20
105
145
21
271
%
38,7%
53,5%
7,7%
100,0%
Seuls 7,7% des jeunes sportifs affirment n’avoir aucune autre personne de leur famille qui
pratique un sport. 38,7 % des jeunes disent avoir des parents ou des beaux-parents pratiquant
le sport et 53,5% un frère ou une sœur pratiquant une activité sportive. Ce qui est remarquable
c’est que les membres de la famille pratiquent souvent un sport à haut niveau (36 % des cas).
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut-niveau ?
97
Effectifs
70
121
191
Oui
Non
Total
%
36,6%
63,4%
100,0%
On constate par ailleurs un lien significatif entre le fait d’avoir une personne de sa famille
pratiquant ou ayant pratiqué un sport à haut niveau et le fait de s’imaginer sportif
professionnel.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
D'autres membres de ta famille pratiquent-ils ou ont-ils pratiqué un sport à haut niveau / Plus tard,
t’imagines-tu sportif professionnel ?
Khi2=8,81 ddl=3 p=0,031 (Significatif)
Oui, tout
à fait
Oui
12
Non
16
Total
28
Plutôt
oui
33
50
83
Plutôt
non
14
17
31
Non pas
du tout
3
23
26
Total
62
106
168
On remarque en particulier que les personnes ne comptant pas de membre de la famille ayant
pratiqué un sport à haut niveau ont plus de difficulté à se projeter dans une carrière de sportif
professionnel. A contrario, ceux dont au moins un membre de la famille pratique ou a
pratiqué un sport à haut-niveau se projettent plus aisément dans un avenir de sportif
professionnel.
4. Surinvestissement parental et « conflits de loyauté »
L’investissement des parents dans la pratique sportive de leur enfant a déjà fait l’objet de
nombreux travaux issus de la psychopathologie ou de la pédiatrie. Certains ont souligné
« l’incidence des relations parents-enfants sur le processus de santé des jeunes sportifs ». Le
surinvestissement parental expose les jeunes sportifs à des risques et à de fortes répercussions
psychopathologiques (Salla, Michel 2012). Effectivement, les parents des jeunes sportifs sont
particulièrement impliqués dans la pratique sportive de leurs enfants. Ils suivent très
largement leurs compétitions et assistent aux entraînements.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tes parents assistent à tes compétitions?
98
Oui
Non
Total
Effectifs
175
5
180
%
97,2%
2,8%
100,0%
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tes parents assistent à l'entraînement ?
Oui
Non
Total
Effectifs
111
80
191
%
58,1%
41,9%
100,0%
Seuls 2,8 % des parents n’assistent pas aux compétitions sportives de jeunes sportifs et 58,1%
des parents assistent à leurs entraînements. Cette implication est particulièrement remarquable
tant la fréquence des entraînements et des compétitions est élevée au sein de cette population.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tes parents s'occupent-ils de ton entraînement ?
Oui
Non
Total
Effectifs
99
91
190
%
52,1%
47,9%
100,0%
On observe même qu’à la question : « Tes parents s’occupent-ils de ton entraînement ? »,
52,1% des jeunes sportifs répondent par l’affirmative. Le sport fait ainsi partie intégrante de la
vie quotidienne des familles des jeunes sportifs.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tes parents sont impliqués dans la vie du club ?
Oui
Non
Total
Effectifs
99
92
191
%
51,8%
48,2%
100,0%
Les parents jouent un rôle (51,8 %) dans la vie du club (trésoriers, accompagnateurs,
entraîneurs, etc.). Cette implication des parents dans la vie du sportif peut conduire, au fil de
la carrière du sportif, à des conflits de loyauté entre les différentes mondes dans lesquels il
s’inscrit et circule.
99
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ?
Oui
Non
Total
Effectifs
65
114
179
%
36,3%
63,7%
100,0%
Si ces conflits de loyauté restent minoritaires, ils ne sont néanmoins pas négligeables puisque
36,3 % des jeunes sportifs répondent positivement à la question « Tes parents, ton entraîneur
ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ? ».
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tes parents, ton entraîneur ou tes enseignants te donnent-ils des conseils opposés pour ta carrière ?
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
Total
Effectifs
4
8
53
114
179
%
2,2%
4,5%
29,6%
63,7%
100,0%
Les conflits de loyauté auxquels doivent faire face les jeunes sportifs font intervenir plus
spécifiquement deux figures : celle des parents et celle de l’entraîneur. L’école est exclue des
conflits de loyauté autour de la carrière du jeune sportif.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Quels conseils suis-tu la plupart du temps ?
Ceux de tes parents ou de ta famille
Ceux de ton entraîneur ou de ton coach
Ceux de ton établissement scolaire
Total
Effectifs
80
78
1
159
%
50,3%
49,1%
0,6%
100,0%
Dans ces cas de conflits de loyauté, la place de l’entraîneur et celle des parents est d’égale
importance. En effet, à la question: « Quels conseils suis-tu la plupart du temps ? », 50,3 %
des jeunes sportifs affirment suivre « ceux de [leurs] parents ou de la famille » et 49,1 %
« ceux de [leur] entraîneur ou de [leur] coach ». La tendance à résoudre les conflits de loyauté
en suivant plutôt les conseils de l’entraîneur ou plutôt ceux des parents ou de la famille sont
liés à l’âge des jeunes sportifs. On constate en particulier un inversement de la tendance entre
le collège et le lycée.
100
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage) / Quels conseils suis-tu la plupart du temps ?
Tableau : %. Khi2=4,42 ddl=4 p=0,352 (Val. théoriques < 5 = 5)
Ceux de tes parents
ou de ta famille
Collège
Lycée
Supérieur
Total
29,7
19,0
1,3
50,0
Ceux de ton
entraîneur ou
de ton coach
21,5
27,2
0,6
49,4
Ceux de ton Total
établissemen
t scolaire
0,6
51,9
46,2
1,9
0,6
100,0
Chez les plus jeunes (les collégiens), on peut noter une tendance au suivi des conseils
provenant des parents ou de la famille quand, chez les lycéens, cette tendance s’inverse. Au
lycée, les jeunes sportifs suivent davantage les conseils de leur entraîneur ou de leur coach à
propos de leur carrière sportive. La manière dont les jeunes sportifs font face à d’éventuels
conflits de loyauté entre parents et entraîneur, l’implication des parents dans la vie sportive de
leurs enfants constituent autant d’indicateurs de la présence de deux figures centrales et
d’égale importance dans la vie quotidienne du jeune sportif. Cette acceptation de deux
autorités est d’ailleurs intégrée par le jeune athlète qui craint de décevoir ses parents et / ou
son entraîneur plus que ses coéquipiers.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ?
Tes parents
Ton entraîneur
Tes coéquipiers
Personne
Des personnes de ton club autres que ton entraîneur
Total / répondants
Effectifs
88
88
63
43
8
179
%
49,2%
49,2%
35,2%
24,0%
4,5%
A la question « A part toi, qui crains-tu de décevoir après une défaite ? », 49,2 % des jeunes
sportifs répondent « Tes parents » et 49,2 % également « Ton entraîneur » ! Les coéquipiers
viennent après (35,2 %), des personnes du club autres que l’entraîneur enfin (4,5 %). Par
ailleurs, seuls 24 % des jeunes sportifs répondent : « Personne » à cette question.
101
5. Synthèse
Les jeunes sportifs s’inscrivent d’abord prioritairement dans la sphère familiale. Du fait
notamment de leur âge, les parents ont une place centrale dans l’organisation de leur vie
quotidienne. Comme nous le verrons plus avant, les parents constituent les référents
principaux pour les jeunes sportifs au moins jusqu’à leur entrée au lycée. Pour beaucoup
d’adolescents, le sport fait l’objet d’une transmission familiale. Nombre d’enfants sportifs
sont, en effet, issus de familles comptant d’autres sportifs (frères, sœurs, père, mère, etc.),
parfois ayant pratiqué au plus haut-niveau. Cette familiarité dans la pratique sportive n’est pas
sans conséquence puisque plus cette familiarité est importante, plus les jeunes tendent à se
projeter dans une carrière de sportif professionnel. L’importance de la famille dans la pratique
sportive du jeune se traduit, en outre, par un accompagnement proximal des parents dans la
pratique sportive des jeunes. Accompagnateurs de leurs enfants à leurs compétitions ou à
leurs entraînements, les parents peuvent aussi prendre part à la vie du club ou promulguer des
conseils en matière de pratique sportive et nous le verrons des soins qui leur sont prodigués.
Cette proximité entre vie familiale et vie sportive peut toutefois conduire le jeune à devoir
faire face à des « conflits de loyauté » entre sa famille et son entraîneur. Ces conflits se
résolvent de façon différenciée selon l’âge : les collégiens privilégiant les conseils des
parents, les lycéens, ceux de leur entraîneur.
102
Chapitre 4
Le suivi « médical » des jeunes sportifs
Les jeunes sportifs font l’objet d’un suivi médical particulier. Liant vie familiale et vie
sportive au prix d’éventuels conflits de loyauté, les jeunes athlètes fréquentent au fil de leur
carrière sportive un troisième monde, celui de la médecine du sport.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle :
Un médecin du sport
Un médecin généraliste
Un kinésithérapeute
Un ostéopathe
Tu n’as pas de suivi médical
Autre
Total
Effectifs
79
42
32
14
4
6
177
%
44,6%
23,7%
18,1%
7,9%
2,3%
3,4%
100 %
Seuls 2,3 % des enquêtés ne bénéficient pas de suivi médical. 44,6 % des jeunes athlètes sont
principalement suivis par un médecin du sport, 23,7 % par un médecin généraliste. Par
ailleurs, et c’est un point important, 26 % des jeunes sportifs sont principalement suivi par un
kinésithérapeute (18,1 %) ou par un ostéopathe (7,9 %). Le suivi médical des jeunes sportifs
évolue peu selon l’âge. Pour plus de lisibilité, observons comment se distribue le suivi
médical entre collège et lycée :
Tableau croisé des questions :
La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Tu es en quelle classe actuellement?
(Recodage)
103
Tableau : % Colonnes. Khi2=5,39 ddl=10 p=0,864 (Val. théoriques < 5 = 10)
Un médecin du sport
Un médecin généraliste
Un kinésithérapeute
Un ostéopathe
Tu n’as pas de suivi médical
Autre
Total
Collège
39,1
28,7
17,2
6,9
3,4
4,6
100,0
Lycée
51,2
18,6
19,8
8,1
1,2
1,2
100,0
Supérieur
33,3
33,3
33,3
100,0
Total
39
44,9
23,3
18,2
8,0
2,3
3,4
100,0
Dans ce tableau , la répartition du suivi médical des jeunes sportifs en fonction de leur classe,
permet de mettre en évidence que le médecin du sport est plus souvent cité par les lycéens que
par les collégiens, que le médecin généraliste est fait moins souvent partie des médecins
sollicités par les lycéens que par les collégiens et que les kinésithérapeutes et les ostéopathes
sont en tendance plus sollicités par les lycéens que par les collégiens. On peut émettre
l’hypothèse que les professionnels de santé sollicités par les jeunes athlètes évoluent au fil de
leur carrière sportive. La place du médecin généraliste tendrait à diminuer au profit de la
médecine du sport et d’acteurs paramédicaux manipulant le corps du sportif.
1. Une évolution du suivi médical sensible selon l’ancienneté dans la pratique sportive
A partir d’une analyse de la répartition de la prise en charge médicale selon l’ancienneté de la
pratique sportive, quelques constats peuvent être avancés.
Tableau croisé des questions :
La personne qui te suit généralement au niveau médical est-elle / Classes sur Depuis combien
d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : % Lignes. Khi2=24,8 ddl=15 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 12)
Moins de 4
Un médecin du sport
Un médecin généraliste
Un kinésithérapeute
Un ostéopathe
Tu n’as pas de suivi médical
Autre
Total
16,5
21,4
6,3
7,1
50,0
15,8
de 4 à
moins de
7
22,8
40,5
9,4
35,7
50,0
16,7
26,0
de 7 à
moins de
10
34,2
31,0
37,5
28,6
16,7
32,2
10 et
plus
Total
26,6
7,1
46,9
28,6
50,0
16,7
26,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
39
La variation du taux d’individus suivis par un médecin du sport est lié au croisement de deux variables n’ayant
pas recueilli le même taux de réponses.
104
Tout d’abord, on observe un processus de médicalisation concernant l’ensemble de la
population interrogée. En effet, le suivi médical (qu’elle que soit la spécialité concernée) est
plus intense pour les individus déjà engagés dans la pratique sportive depuis plus de quatre
ans. Ensuite, le type de suivi médical évolue non seulement en fonction de l’âge mais aussi
selon l’ancienneté de la pratique sportive. En effet, le suivi par un médecin généraliste est en
progression entre l’entrée dans la pratique sportive (21,4 %) jusqu’au seuil de sept années de
pratique (40,5 %). Au-delà de dix ans d’ancienneté, le suivi par un médecin généraliste se
raréfie. Seuls 7,1 % des personnes suivies par un médecin généraliste pratiquent leur sport
depuis au moins dix ans. Le suivi par un médecin généraliste est, quant à lui, fréquent chez les
individus engagés depuis peu de temps dans leur activité. Le suivi par un médecin du sport est
de plus en plus fréquent à partir de quatre années de pratique sportive et fléchit au-delà de dix
années d’ancienneté dans la pratique. La prise en charge du suivi médical par un
kinésithérapeute est en progression continue au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive
avec une augmentation particulièrement importante à partir de sept ans d’ancienneté. L’entrée
dans les filières d’élite sportive s’accompagne d’une mise à disposition d’une équipe médicale
aux compétences médicales et expertises diagnostiques diverses. Généralement les
kinésithérapeutes sont fortement inscrits dans les réseaux de soins et de rééducation. Le suivi
par un ostéopathe – suivi officieux et parfois parallèle - intervient plus tôt avec une
augmentation de près de 30 points pour une ancienneté de moins de quatre ans et de quatre à
moins de sept ans et fléchit légèrement au-delà de sept ans d’ancienneté mais reste stable par
la suite.
105
Nombre de consultations par type de professionnel selon le degré d’ancienneté dans la pratique sportive
2. Le déclin de la médecine générale
A l’aide de ce graphique, on observe l’évolution du suivi médical principal des jeunes athlètes
en fonction de leur ancienneté dans la pratique sportive. On note ainsi que, si la médecine du
sport reste, tout au long de la carrière une des ressources principales ressources, la médecine
générale décline à partir de sept années de pratique et que le suivi par un kinésithérapeute tend
à se substituer au suivi par un médecin généraliste.
Pour comprendre avec plus de finesse la mutation du suivi médical des jeunes sportifs au fil
de leur ancienneté dans la pratique, il est pertinent d’interroger l’ensemble des consultations
médicales des jeunes sportifs. Si le suivi médical nous informait sur la centralité du médecin
du sport ainsi que sur la place de plus en plus importante du kinésithérapeute dans la carrière
du jeune sportif, les consultations médicales effectuées au cours de l’année écoulée par les
jeunes sportifs40 nous permettent d’accéder à la part relative des différents segments médicaux
dans la prise en charge médicale du jeune sportif.
40
Saisies par la question multiple suivante : « Au cours des douze des derniers mois, tu as consulté : [un médecin
généraliste, un médecin du sport, un kinésithérapeute, un ostéopathe, un psychologue, un psychiatre, un
acupuncteur, un homéopathe, tu n’as pas eu de consultation du cours de 12 derniers mois] ».
106
Tableau croisé des questions :
Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce
sport ?
Tableau : %. Khi2=24,5 ddl=21 p=0,27 (Val. théoriques < 5 = 13)
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
Un médecin généraliste
3,7
6,7
7,3
Un médecin du sport
4,8
7,1
10,2
Un kinésithérapeute
2,5
5,0
8,3
Un ostéopathe
0,4
3,7
4,0
Un psychologue ou un psychiatre
0,2
1,9
1,9
Un homéopathe
1,0
0,6
Un acupuncteur
0,2
0,6
0,2
Tu n’as pas eu de consultation au
0,2
0,2
cours des 12 derniers mois
Total
11,9
26,0
32,8
10 et
plus
Total
5,2
7,7
7,3
5,2
3,1
0,8
22,9
29,9
23,1
13,3
7,1
2,3
1,0
0,4
29,3
100,0
L’évolution des consultations médicales des jeunes athlètes en fonction de leur ancienneté
dans la pratique sportive conduit à un constat renforçant les éléments précédemment évoqués.
Au fil de la carrière du sportif, la place du médecin généraliste s’amoindrit. Le médecin du
sport, présent tout au long de la carrière sportive, est toutefois sur-représenté en début de
carrière. Les kinésithérapeutes ou ostéopathes prennent au contraire une place croissante dans
la prise en charge du sportif au fil du temps. Enfin, psychologues et psychiatres sont, quoique
de façon plus secondaire, de plus en plus sollicités par les athlètes au fil de leur carrière. Pour
davantage de lisibilité, observons le tableau suivant reprenant les éléments du tableau :
107
En regroupant kinésithérapeutes et ostéopathes, on obtient le tableau et le graphique suivants :
Tableau croisés des questions :
Au cours des 12 derniers mois, tu as consulté / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=16,7 ddl=9 p=0,053 (Val. théoriques < 5 = 1)
Un médecin généraliste
Un médecin du sport
Un kinésithérapeute et/ou un
ostéopathe
Un psychologue et/ ou un
psychiatre
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
3,8
7,0
7,6
5,0
7,4
10,6
10 et
plus
Total
5,4
8,0
23,8
31,0
3,0
9,0
12,8
13,0
37,8
0,2
2,0
2,0
3,2
7,4
12,0
25,4
33,0
29,6
100,0
On constate alors que la part relative des consultations d’un kinésithérapeute et/ou d’un
ostéopathe est très importante et que ces consultations progressent, en tendance, tout au long
de la carrière.
108
En regroupant consultations de kinésithérapie et d’ostéopathie, on observe que l’importance
de la médecine du sport dans la carrière du jeune sportif est relative. En effet, si la
consultation en médecine du sport est privilégiée en début de carrière et que la consultation de
professionnels issus d’autres segments médicaux ou paramédicaux est plutôt faible, à partir de
quatre années de pratique sportive, cette importance est moins frappante. En effet, la part des
consultations de kinésithérapeutes ou d’ostéopathe dépasse celle des cabinets de médecine du
sport. En outre, en tendance, la médecine du sport comme la médecine générale tendent à
décliner au-delà de dix années de pratique sportive tandis que les consultations de
kinésithérapie et d’ostéopathie, mais aussi de psychologie et de psychiatrie poursuivent leur
augmentation pour des raisons qui sont autant juridiques que sociologiques (cf Partie I,
chapitre 3 et 4)
3. Synthèse
Les jeunes pratiquant une activité sportive intensive s’inscrivent simultanément dans
différentes sphères sociales. La famille occupe une place centrale et tend à être la principale
source de conseils au fil du temps. L’école semble plutôt secondaire. La population étudiée
effectue très majoritairement une scolarité excellente. La place de l’entraîneur tend à grandir
ainsi que celle des mondes de la médecine. Au fil de la carrière du sportif, les liens entre
famille, école, sport et médecine se reconfigurent. Chez les plus jeunes et en début de carrière,
109
la famille occupe une place primordiale. Elle tend à être plus éloignée au fil de la poursuite de
la carrière mais continue de jouer un rôle d’accompagnateur.
110
Chapitre 5
Douleurs et blessures sportives : perceptions et prises en charge plurielles
La pratique intensive d’une activité sportive conduit les jeunes à faire de façon régulière si ce
n’est continue l’expérience de la douleur. Inhérente à la pratique sportive, la douleur fait
l’objet d’un travail à part entière de la part des athlètes. La gestion de la douleur étant un point
clé de l’avancement dans la carrière sportive, douleurs et blessures font l’objet d’un traitement
différencié par le sportif et son entourage selon les étapes de la carrière dans lesquelles il est
engagé. Pour appréhender ce phénomène, il convient d’approcher non seulement la douleur
elle-même mais aussi sa caractérisation, sa prise en charge par différents segments
professionnels : la prescription des médicaments antidouleur semblent se modifier en fonction
de l’évolution de leur carrière sportive.
1. Une vie quotidienne marquée par la douleur
Les douleurs font partie de la vie quotidienne des jeunes sportifs. Lorsque l’on interroge les
sportifs sur leurs douleurs, ceux-ci énumèrent sans peine les parties de leur corps où ils ont
régulièrement mal. Ces zones sont celles qui sont le plus souvent stimulées du fait de leur
pratique sportive. Par ailleurs, les jeunes athlètes citent par ailleurs des douleurs
symptomatiques de leur pratique telles que des courbatures (49,7 %), des douleurs
musculaires (39,7 %) ou des douleurs articulaires (29,1 %).
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
111
Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ?
Des courbatures
Des douleurs musculaires
Des douleurs articulaires
Une fracture
Une luxation
Des maux de tête
Total / répondants
Effectifs
89
71
52
10
15
4
179
%
49,7%
39,7%
29,1%
5,6%
8,4%
2,2%
Ces douleurs font partie intégrante de la vie quotidienne du jeune sportif si bien que lorsqu’il
s’agit de qualifier ces douleurs, ceux-ci les considèrent très majoritairement comme normales
(72,3 %).
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Pour toi, ces douleurs étaient :
Effectifs
40
88
39
10
177
Tout à fait normales
Plutôt normales
Plutôt pas normales
Tout à fait anormales
Total
%
22,6%
49,7%
22,0%
5,6%
100,0%
La perception de normalité de ces douleurs dans la pratique sportive est équivalente pour les
garçons et pour les filles. Pour 22,6 % des jeunes interrogés, ces douleurs sont « tout à fait
normales », pour 49,7 % d’entre eux, elles sont « plutôt normales », pour 22 % elles sont
« plutôt pas normales » et elles sont « tout à fait anormales » pour 5,6 % des adolescents. La
douleur est en outre normalisée au fil du franchissement des différents niveaux de
compétition :
Pour toi, ces douleurs étaient : / 167R2. Pour toi, ces douleurs étaient : (Recodage) (Recodage) / 43. Quel est le
plus haut niveau de compétition auquel tu as participé ?
Tableau : %. Khi2=7,79 ddl=9 p=0,556 (Val. théoriques < 5 = 4)
Départemental International
Tout à fait normales
Plutôt normales
Plutôt pas normales
Tout à fait anormales
Total
3,0
7,8
3,0
2,4
16,3
5,4
9,0
4,8
0,6
19,9
National
Régional
Total
10,2
27,1
7,8
1,2
46,4
4,2
6,6
5,4
1,2
17,5
22,9
50,6
21,1
5,4
100,0
On constate dans ce tableau que les douleurs sportives se normalisent au fil de la montée en
niveau dans la compétition. Les jeunes sportifs de niveau départemental déclarent plus
112
volontiers que les sportifs des niveaux supérieurs (en particulier de niveau national) que leurs
douleurs sportives sont anormales. Ces douleurs sportives, minimisées par les athlètes de haut
niveau sont pourtant régulières.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
As-tu des douleurs de ce type ?
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
Total
Effectifs
12
61
95
10
178
%
6,7%
34,3%
53,4%
5,6%
100,0%
Si seuls 5,6 % des jeunes sportifs déclarent n’avoir jamais de douleurs liées à leur activité
sportive, 6,7 % déclarent en avoir « toujours », 34,3 % « souvent ». La majorité (53,4 %) des
jeunes répondent qu’ils ont « parfois » ce type de douleurs. Les douleurs sportives,
considérées comme « normales » font ainsi partie de la vie ordinaire des athlètes.
2. Des douleurs caractérisées selon leur type
Partie liée à la vie ordinaires des sportifs, les douleurs sont caractérisées différemment selon
leur nature. La question « La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité
sportive, c’était… » permet d’étudier la distribution de la douleur par type chez les jeunes
sportifs.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
La dernière fois que tu as ressenti de la douleur liée à ton activité sportive, c’était…
Des courbatures
Des douleurs musculaires
Des douleurs articulaires
Une luxation
Une fracture
Des maux de tête
Total / réponses
Effectifs
89
71
52
15
10
4
241
%
36,9%
29,5%
21,6%
6,2%
4,1%
1,7%
100,0%
Les courbatures constituent la douleur la plus fréquemment citée (36,9 %) suivie des douleurs
musculaires (29,5 %) puis des douleurs articulaires (21,6 %). D’autres douleurs, moins
fréquemment citées apparaissent par ailleurs : la luxation (6,2 %), la fracture (4 ,1 %) et les
113
maux de tête (1,7 %). Courbatures et douleurs musculaires (parfois difficiles à différencier
pour les jeunes sportifs) constituent les douleurs les plus fréquemment cités (68,4 % au total).
Ces douleurs ont, pour les jeunes sportifs, un statut différent des douleurs articulaires.
Tableau croisé :
Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / As-tu des douleurs de ce type ?
Tableau : %. Khi2=12,8 ddl=9 p=0,173 (Val. théoriques < 5 = 8)
Des courbatures ou des douleurs
musculaires
Des douleurs articulaires
Une fracture ou une luxation
Des maux de tête
Total
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
Total
4,4
21,3
40,0
2,7
68,4
4,0
9,3
3,1
8,9
3,6
1,3
53,8
0,9
0,4
4,0
22,2
7,6
1,8
100,0
8,4
33,8
Si les courbatures et les douleurs musculaires sont plus ponctuelles et vécues comme telles 41,
les jeunes sportifs ressentant des douleurs articulaires mettent en avant la fréquence
importante de la survenue de ces douleurs. De plus, le statut de la douleur diffère selon le type
de douleur ressentie.
Tableau croisé :
Où as-tu le plus régulièrement mal à cause de ton sport ? / Pour toi, ces douleurs étaient :
Tableau : %. Khi2=35,3 ddl=12 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 9)
Des courbatures
Des douleurs musculaires
Des douleurs articulaires
Une fracture ou une luxation
Des maux de tête
Total
Tout à
Plutôt
Plutôt
fait
normales
pas
normales
normales
14,9
19,8
2,7
4,5
15,3
8,1
1,4
12,6
6,3
1,4
3,2
1,4
0,5
0,9
0,5
22,5
51,8
18,9
Tout à fait
anormales
Total
0,9
1,8
2,3
1,8
38,3
29,7
22,5
7,7
1,8
100,0
6,8
Les courbatures sont presque exclusivement vécues comme normales : dans 90,6 % des cas,
les individus ayant ressenti des courbatures répondent que ces douleurs sont tout à fait ou
plutôt normales. Les autres types de douleurs sont perçus différemment. La majorité des
jeunes sportifs considèrent les douleurs musculaires comme « tout à fait » ou « plutôt
41
On observe une tendance chez les individus ayant des courbatures ou des douleurs musculaires à affirmer
qu’ils ressentent ce type de douleurs « parfois » et une « attraction » pour les individus ressentant des douleurs
articulaires à affirmer les ressentir « toujours ».
114
normales » (66,7 %), et on constate par ailleurs une tendance des jeunes sportifs répondre
qu’ils considèrent les douleurs musculaires comme « plutôt pas normales » (cette seule
modalité de réponse regroupant 27, 3 % des répondants). Les douleurs articulaires, quoique
majoritairement perçues comme normales, le sont de façon plus nuancée. Les douleurs
articulaires sont perçues de façon très minoritaire comme « tout à fait normales » (6,2 %).
Elles sont majoritairement pensées (catégorisées) comme « plutôt normales » (56 %) et on
observe une inflexion des répondants à catégoriser ces douleurs comme « plutôt pas
normales » (28%). Ces douleurs sont « tout à fait anormales » pour 10,2 % des jeunes. Les
douleurs articulaires sont plus souvent pensées comme anormales (tout à fait ou plutôt pour
38,2 % des répondants). Les fractures ou les luxations sont pensées comme normales pour
59,7 % des jeunes et anormales pour 41,6 %.
En analysant la manière dont les jeunes sportifs catégorisent les douleurs liées à leur pratique
sportive, on observe une tendance à la normalisation de la douleur (Selanne, 2014). De façon
générale, les douleurs ressenties par les jeunes athlètes sont pensées comme normales (tout à
fait ou plutôt normales) à 72,3 %. Ces douleurs sont pensées comme anormales pour 25,7 %
des répondants. La perception de la douleur dans le sport témoigne néanmoins de différences
selon le type de douleurs. Si les courbatures sont des douleurs normales pour les jeunes
sportifs, les douleurs musculaires, articulaires ainsi que les luxations ou les fractures, bien que
restant majoritairement pensées comme normales font l’objet d’une catégorisation plus
nuancée.
3. La fréquence des douleurs sportives
La survenue des douleurs liées à la pratique sportive chez les jeunes sportifs est plus
importante en début de saison puisque 34,9 % des répondants disent ressentir ces douleurs
« en début de saison ». Reste que 31,1 % des répondants affirment ressentir ces douleurs
« tout le temps » et que 30,2 % des répondants les ressentent soit en milieu de saison (10,4 %)
soit en fin de saison (19.8 %). La douleur dans le sport chez les jeunes est ainsi présente tout
au long de la saison bien qu’elle soit plus présente en début de saison.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
115
Généralement, tu as ces douleurs
En début de saison
En milieu de saison
En fin de saison
Tout le temps
Jamais
Total / réponses
Effectifs
74
22
42
66
8
212
%
34,9%
10,4%
19,8%
31,1%
3,8%
100,0%
Si la douleur se présente de manière diffuse au cours d’une saison sportive, les jeunes athlètes
affirment de façon plus marquée le moment de survenue de ces douleurs en fonction de leur
emploi du temps sportif.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Ces douleurs surviennent…
Avant les entraînements
Après les entraînements
Avant les compétitions
Après les compétitions
Tout le temps
Total / réponses
Effectifs
21
122
12
70
19
244
%
8,6%
50,0%
4,9%
28,7%
7,8%
100,0%
Les douleurs sportives surviennent presque exclusivement après des efforts intenses (78,7 %
des cas), majoritairement après les entraînements (50 %) et après les compétitions (28,7%).
Seuls 7,8 % des jeunes sportifs ressentent ces douleurs à n’importe quel moment, 8,6 % avant
les entraînements et 4,9 % avant les compétitions.
4. L’expérience de la blessure
Au-delà des douleurs inhérentes à la pratique sportive, la carrière des jeunes athlètes est
rythmée par l’anticipation, la survenue et la gestion - à plus ou moins court et moyen terme de la blessure. Les blessures concernent la majeure partie de la population des jeunes sportifs.
85,6% des sportifs de 11 à 18 ans ont déjà subi au moins une blessure.
Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé ?
116
Effectifs
25
41
33
30
45
174
0
1
2
3
4 et plus
Total
%
14,4%
23,6%
19,0%
17,2%
25,9%
100,0%
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Es-tu souvent blessé(e) ?
Effectifs
44
147
191
Oui
Non
Total
%
23,0%
77,0%
100,0%
D’un point de vue subjectif, la plupart des sportifs considèrent ne pas être souvent blessés
(77%). Toutefois, au cours des trois dernières années, ces athlètes ont, en moyenne eu 2,97
blessures. La perception de la fréquence des blessures par les jeunes sportifs est liée à la
fréquence objective des blessures.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Es-tu souvent blessé(e) ? / Au cours des trois dernières années, combien de fois as-tu été blessé(e) /
Tableau : %. Khi2=35,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 1)
Khi2=37,5 ddl=4 p=0,001 (Très significatif)
0
Oui
Non
Total
1
1
24
25
2
3
38
41
3
5
28
33
9
21
30
4 et plus
25
20
45
Total
43
131
174
Dans ce tableau croisant le nombre de blessures au cours des trois dernières années et le
sentiment d’être ou non « souvent blessé », on note en effet que les jeunes présentant le plus
grand nombre de blessures au cours des trois dernières années sont ceux qui se pensent euxmêmes le plus souvent blessés. Ceux qui ont le plus faible nombre de blessures se sentent le
moins fréquemment souvent blessés. Le lien entre nombre de blessures objectives et
sentiment subjectif d’être plus ou moins souvent blessé nous informe surtout sur le niveau
d’acceptation de la blessure au sein de cette population. C’est notamment au-delà de quatre
blessures au cours des trois dernières années que les individus tendent à davantage se sentir
souvent blessé. A l’opposé, les individus présentant jusqu’à deux blessures au cours des trois
117
dernières années ne se sentent, en tendance, pas souvent blessés. Les blessures liées à
l’activité sportives ne constituent donc pas une gêne au-dessus de trois à quatre blessures au
cours des trois dernières années. En deçà de trois blessures sur cette période, les jeunes
tendent à se sentir blessés peu souvent. Au-delà de quatre, ils considèrent être souvent blessés.
Ces blessures font par ailleurs l’objet d’échanges entre le jeune athlète et les différentes
mondes sociaux dans lesquels il est inséré.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures ?
Tes Parents
Ton coach
Un médecin du sport ou un médecin
spécialisé
Un médecin généraliste
Un pharmacien
Des amis
Total / répondants
Effectifs
100
95
79
%
59,5%
56,5%
47,0%
44
12
13
168
26,2%
7,1%
7,7%
En interrogeant les jeunes sportifs sur les conseils qu’ils trouvent pour gérer leurs blessures,
on voit se dessiner les mondes sociaux dans lesquels se négocie la prise en charge des
blessures. Parmi les fournisseurs de conseils dans la gestion des blessures, les parents (59,5
%) et les entraîneurs (56,5 %) sont autant fréquemment cités. Les médecins du sport ou les
médecins spécialisés le sont légèrement moins (47 %) mais beaucoup plus que les médecins
généralistes (26,2 %) ou les pharmaciens (7,1 %) et les amis (7,7 %). Les différents
représentants des différents mondes sociaux mobilisées pour trouver des conseils dans la
gestion des blessures évoluent en fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive comme le
met en évidence le tableau suivant :
Tableau croisé :
Auprès de qui trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures / Classes sur Depuis combien d'années
pratiques-tu ce sport ?
118
Tableau : % Colonnes. Khi2=18,4 ddl=15 p=0,244 (Val. théoriques < 5 = 8)
Tes Parents
Ton coach
Un médecin généraliste
Un médecin du sport ou un médecin
spécialisé
Un pharmacien
Des amis
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
34,8
29,2
28,3
21,7
23,6
30,2
21,7
20,2
7,5
10 et
plus
Total
27,5
31,4
7,8
29,2
27,7
12,8
13,0
19,1
27,4
26,5
23,0
6,5
2,2
100,0
3,4
4,5
100,0
3,8
2,8
100,0
2,0
4,9
100,0
3,5
3,8
100,0
En ramenant à 100 chaque niveau d’ancienneté dans la pratique, on repère comment évolue
l’importance des mondes sociaux auprès desquels les jeunes trouvent conseil dans la gestion
de leurs blessures sportives. On note alors que les conseils de la part des parents sont de
moins en moins fréquemment cités au fur et à mesure que l’ancienneté dans la pratique
augmente. La place du coach gagne en importance ainsi que celle du médecin du sport ou du
médecin spécialisé (bien qu’elle décline très légèrement au-delà de dix années d’ancienneté).
En ne prenant que les mondes les plus représentatifs, on obtient une évolution sur le
graphique suivant :
20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 218R1. Auprès de qui
trouves-tu des conseils pour gérer ces blessures
Tes parents (100)
Ton coach (95)
Un médecin généraliste
Un médecin du sport (7
Moins de 4 (42)
de 4 à moins de 7
(82)
de 7 à moins de 10
(99)
10 et plus (95)
Les parents, principale source de conseils pour les jeunes sportifs lors de l’entrée au début de
la pratique sportive se retrouvent placés au second plan après l’entraîneur au-delà de sept
années de pratique sportive. La place de la médecine du sport est en progression jusqu’à dix
119
années d’ancienneté pour se situer légèrement en-dessous des parents et de l’entraîneur. La
médecine générale est très faiblement citée.
5. Soigner ses blessures sans s’arrêter
Lorsque la blessure survient, l’arrêt de la pratique sportive reste majoritairement prescrit
(68,3%).
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Lors de ta dernière blessure, est-ce que tu as été obligé d’arrêter ton activité
Oui
Non
Total
Effectifs
123
57
180
%
68,3%
31,7%
100,0%
Le médicament est, de prime abord, peu prescrit dans la gestion des blessures (24,6 %). Le
repos est privilégié dans 76,6 % des cas, la rééducation dans 40,9 % des cas, l’utilisation de
protections et de strapping dans 40,4 % des cas.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Quelle méthode as-tu mobilisé au cours de ta dernière blessure ?
Le repos
La rééducation
L’utilisation de protections ou de strapping
Un traitement médicamenteux
Total / répondants
Effectifs
131
70
69
42
171
%
76,6%
40,9%
40,4%
24,6%
Très peu de jeunes athlètes ont déjà subi une intervention chirurgicale liée à une blessure
sportive :
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tu as subi une ou plusieurs interventions chirurgicales suite à une blessure sportive ?
Oui
Non
Total
Effectifs
21
170
191
%
11,0%
89,0%
100,0%
Les blessures ne nécessitent donc rarement une prise en charge chirurgicale chez les jeunes
sportifs. Toutefois, si la chirurgie ou le médicament semblent être peu mobilisés, le repos et
120
l’arrêt font partie des prescriptions mais ne sont pas nécessairement appliqués par les jeunes
athlètes. En effet, 70,1 % des jeunes ayant dû arrêter leur activité sportive se rendent au club
pendant leur arrêt. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils participent totalement aux
entraînements. Cependant, ils peuvent même blessés mobiliser ou « travailler » des parties
« valides » de leur corps.
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Est-ce que tu allais au club pendant ton arrêt ?
Oui
Non
Total
Effectifs
94
40
134
%
70,1%
29,9%
70,2%
Ainsi on ne sera pas surpris que plus d’un athlète sur deux a déjà pratiqué son activité sportive
lorsqu’il était blessé ou qu’il portait un strapping (51,3 %).
121
Chapitre 6
La consommation de médicaments anti-inflammatoires et antidouleur
Si les jeunes sportifs considèrent majoritairement leurs douleurs comme étant normales, la
majorité d’entre eux mobilisent la pharmacopée pour les gérer. C’est notamment par les
questions « Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs » et « Ce mois-ci, tu
en as pris… » que l’on a mesuré le taux de consommation de médicaments des jeunes sportifs
pour lutter contre la douleur.
1. L’utilisation de médicaments
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs
En début de saison
En milieu de saison
En fin de saison
Tout le temps
Jamais
Total / réponses
Effectifs
26
27
13
21
105
192
%
13,5%
14,1%
6,8%
10,9%
54,7%
100,0%
Cumul
13,5%
27,6%
34,4%
45,3%
100,0%
0,0%
Cette première question qui bénéficie d’un taux de non-réponse inférieur à la question plus
factuelle « Ce mois-ci, tu en as pris… » permet d’obtenir un taux non négligeable de jeunes
déclarant utiliser des médicaments pour lutter contre les douleurs sportives. En effet, 45,3 %
des jeunes sportifs disent consommer des médicaments contre ces douleurs. En recodant les
réponses en fonction de la déclaration de consommation de médicament contre les douleurs
liées à la pratique sportive, on obtient le tableau suivant :
Tableau du pourcentage de réponses à la question :
Quand prends-tu le plus de médicaments contre ces douleurs ?
122
Non réponse
Oui
Non
Total / réponses
Effectifs
17
87
105
192
%
45,3%
54,7%
100,0%
Interrogés : 202 / Répondants : 185 / Réponses : 192
Pourcentages calculés sur la base des réponses
De façon générale, 45,3 % des jeunes sportifs de 11 à 18 ans déclarent consommer des
médicaments pour lutter contre les douleurs sportives.
Par ailleurs, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives était saisie par la
question : « Ce mois-ci, tu en as pris » :
189. Ce mois-ci, tu en as pris :
Une fois par semaine
Deux fois par semaine
Trois fois par semaine
Une fois dans le mois
Jamais
Total
Effectifs
7
8
7
16
35
73
%
9,6%
11,0%
9,6%
21,9%
47,9%
100,0%
Bien que cette question ait fait l’objet d’un nombre plus important de non-réponses car située
en aval d’une série de questions sur l’utilisation de médicaments contre les douleurs sportives,
52,1 % des répondants (% cumulé des modalités de réponses proposées) affirment avoir pris
des médicaments dans le but de diminuer leurs douleurs sportives au cours du mois précédent
l’enquête. Leur consommation se disperse comme suit :
189. Ce mois-ci, tu en as pris :
Une fois par semaine
Deux fois par semaine
Trois fois par semaine
Une fois dans le mois
Jamais
Total
Effectifs
7
8
7
16
35
73
%
9,6%
11,0%
9,6%
21,9%
47,9%
100,0%
Cumul
9,6%
20,5%
30,1%
52,1%
100,0%
0,0%
Nous proposons, pour continuer l’analyse, d’utiliser cette variable factuelle. En regroupant les
différentes modalités de réponses, on obtient le tableau suivant :
123
189. Ce mois-ci, tu en as pris :
Effectifs
38
35
73
Oui
Non
Total
%
52,1%
47,9%
100,0%
En croisant cette nouvelle variable avec la variable sexe, on constate que, bien que la carrière
se présente de manière différente selon le sexe, la gestion de la douleur par le recours au
médicament (comme la perception de la douleur) n’est pas différente selon le sexe de
l’enquêté. Il n’y a donc pas de différence significative entre les garçons et les filles en ce qui
concerne la prise de médicament dans le but de pallier aux douleurs liées à la pratique
sportive.
La consommation de médicaments par les jeunes sportifs est cependant liée au fait d’être
engagé dans un sport collectif ou un sport individuel.
Tableau croisé :
Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif
Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)
Oui
Non
Total
Sport
collectif
23,6
20,8
44,4
Sport
individuel
29,2
26,4
55,6
Total
52,8
47,2
100,0
Tableau croisé :
Ce mois-ci, tu en as pris : / Sport individuel ou collectif
Tableau : % Colonnes. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)
Oui
Non
Total
Sport
collectif
53,1
46,9
100,0
Sport
individuel
52,5
47,5
100,0
Total
52,8
47,2
100,0
En croisant le type de sport et la consommation de médicaments, on observe que la
consommation de médicaments est, en tendance, plus importante chez les jeunes athlètes
engagés dans un sport collectif que dans un sport individuel.
124
Les médicaments consommés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur
activité sportive sont majoritairement des antalgiques et des anti-inflammatoires de niveau I.
Les différents types de substances utilisées par les jeunes sportifs sont les suivantes :
Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives
Effectifs
Homéopathie
Vitamines
Complément alimentaire
Antalgique niveau 1
Anti inflammatoire non stéroïdien (AINS)
Anti inflammatoire niveau II
Antalgique adjuvant
Anesthésique local niveau III
Antalgique pallier III
Antibiotique
Total / répondants
74
%
20,3%
4,1%
5,4%
71,6%
44,6%
2,7%
4,1%
1,4%
1,4%
1,4%
15
3
4
53
33
2
3
1
1
1
Les médicaments visant à pallier aux douleurs liées à la pratique sportive que les jeunes
utilisent sont principalement des médicaments de niveau I, de l’homéopathie ou des
compléments alimentaires. On peut synthétiser le type de substances utilisées par niveaux
comme suit :
Tableau recodé des médicaments utilisés par les sportifs pour lutter contre les douleurs sportives
Compléments (vitamines, compléments alimentaires et
homéopathie)
Niveau I (antalgiques et AINS)
Niveau II (anti-inflammatoires stéroïdiens)
Niveau III (antalgique, anesthésique)
Adjuvants
Antibiotique
Total / réponses
Effectifs
22
%
19,0%
86
2
2
3
1
116
74,1%
1,7%
1,7%
2,6%
0,9%
100,0%
Interrogés : 202 / Répondants : 74 / Réponses : 116
Pourcentages calculés sur la base des réponses
Les médicaments antalgiques ou anti-inflammatoires de niveau I représentent 74,1 % des
médicaments cités par les jeunes sportifs. Les compléments alimentaires ou l’homéopathie
représentent 19 % des consommations. Bien qu’elles soient très marginales, on note
également la consommation d’anti-inflammatoires et d’antalgiques stéroïdiens de niveau II
(1,7 %) ainsi que 1,7 % d’antalgiques de niveau III ainsi que d’adjuvants (2,6%).
125
L’utilisation de médicament n’est pas spécifique à une période dans la saison sportive, cette
consommation s’effectue le plus souvent après les entraînements ou les compétitions, lorsque
la douleur est perçue comme la plus significative.
Tableau des effectifs et % à la question : Et, plus précisément
Avant les entraînements
Après les entraînements
Avant les compétitions
Après les compétitions
Tout le temps
Total / réponses
Effectifs
7
39
12
36
13
107
%
6,5%
36,4%
11,2%
33,6%
12,1%
100,0%
Les consommateurs de médicaments contre les douleurs sportives ne mobilisent ces
substances que rarement dans une visée préventive mais légèrement plus lorsqu’il s’agit de
prévenir ou d’empêcher la survenue de douleurs lors des compétitions (6,5 % avant les
entraînements ; 11,2 % avant les compétitions). La majeure partie des consommateurs de
médicaments déclarent les prendre après les entraînements (36,4 %) ou après les compétitions
(33,6 %). 12,1% des jeunes mobilisant ces médicaments déclarent consommer des
médicaments « tout le temps ». Reste qu’une partie d’entre eux choisit cette modalité de
réponse pour affirmer qu’ils prennent des médicaments quelle que soit la période sportive
(entraînement ou compétition).
203R6. recodage médicaments final / 184R1. Et, plus précisément
Tableau : % Lignes. Khi2=1,54 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 23)
Compléments (vitamines,
compléments alimentaires,
homéopathie)
Niveau I (antalgiques et AINS)
Niveau II (anti-inflammatoires
stéroïdiens)
Niveau III (anesthésique et
antalgique)
Adjuvants
Antibiotique
Total
[Avant les
entraînements]
Et, plus
précisément :
Oui
[Après les
entraînements]
Et, plus
précisément :
Oui
[Avant les
compétitions]
Et, plus
précisément :
Oui
[Après les
compétitions]
Et, plus
précisément :
Oui
[Tout le
temps]
Et, plus
précisément :
Oui
Total
6,9
41,4
6,9
34,5
10,3
100,0
6,2
35,1
12,4
35,1
11,3
100,0
33,3
33,3
100,0
33,3
25,0
25,0
25,0
75,0
6,5
37,0
25,0
100,0
25,0
10,9
34,1
100,0
11,6
100,0
100,0
100,0
La consommation d’antidouleur, visant le plus souvent à traiter la douleur et non à prévenir
son éventuelle survenue, va par ailleurs de pair avec la mobilisation de techniques ou de rituel
à visée préventive pour les sportifs.
126
2. Les prescripteurs
La consommation de médicaments pour lutter contre les douleurs sportives des jeunes athlètes
sont à questionner. L’origine des conseils en matière d’utilisation de médicaments constitue
un enjeu central pour comprendre les mécanismes de régulation de l’usage des médicaments
au sein de cette population.
Tableau effectifs et % à la question :
Qui te conseille sur ces médicaments ?
Tes Parents
Ton coach ou ton entraîneur du club
Un coach ou entraîneur extérieur au
club
Un médecin généraliste
Un médecin du sport ou un médecin
spécialisé
Un pharmacien
Des amis autres que ceux du club
Total / réponses
Effectifs
65
21
3
%
47,8%
15,4%
2,2%
17
24
12,5%
17,6%
5
1
136
3,7%
0,7%
100,0%
Les médicaments utilisés par les jeunes sportifs sont très majoritairement conseillés par les
parents (dans 47,8 % des cas). Ils peuvent toutefois être conseillés par les entraîneurs (dans
17,6 % des cas) ou par un médecin (30,1 % des cas) qu’il soit médecin du sport (17,6 % des
cas) ou médecin généraliste (12,5 % des cas), voire par un pharmacien (3,7 %). Les sphères
privilégiées par les jeunes sportifs concernant la mobilisation de médicaments évoluent selon
l’âge des athlètes.
Tableau croisé : Conseils médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)
Tableau : %. Khi2=8,28 ddl=8 p=0,407 (Val. théoriques < 5 = 11)
Parents
Entraîneur (interne ou externe au
club)
Médecin généraliste ou médecin
du sport
Pharmacien
Amis
Total
Collège
30,6
Lycée
31,3
Supérieur
0,7
Total
62,7
2,2
2,2
7,5
23,1
30,6
2,2
1,5
0,7
59,0
3,7
0,7
100,0
40,3
0,7
127
On constate en particulier que les conseils concernant les médicaments proviennent
principalement de la famille chez les plus jeunes. Au collège, les parents sont les principaux
promoteurs de l’utilisation du médicament contre les douleurs sportives. Plus tard, chez les
lycéens, les médecins (du sport ou généralistes) deviennent une nouvelle ressource dans la
prescription de médicaments antidouleur. Ces mondes de la médecine tendent à se substituer
au cercle parental au fil de l’avancée en âge des jeunes athlètes. Ce processus témoigne d’une
médicalisation de la douleur. Autrement dit, on passe d’un traitement profane ou familial de la
douleur à un traitement médical de la douleur. En amont de cette médicalisation, s’observe
une pharmacologisation de la douleur se traduisant par un usage du médicament chez les
jeunes qui n’est pas nécessairement lié à un diagnostic et à une prescription médicale.
Si on regarde plus précisément la manière dont les mondes sociaux (famille, entourage sportif
et médecins du sport) interviennent selon l’âge du sportif dans le conseil en matière de
médicaments, on peut repérer une transformation dans la négociation de la douleur.
Tableau croisé : Conseils médicaments / 10R1. Classes sur Tu as quel âge ?
Tableau : %. Khi2=20,4 ddl=15 p=0,158 (Val. théoriques < 5 = 14)
Tes Parents
Ton coach ou ton entraîneur du
club
Un coach ou entraîneur extérieur au
club
Un médecin généraliste ou un
médecin du sport
Un pharmacien
Des amis autres que ceux du club
Total
Moins de de 13 à
de 15 à
13
moins de moins de
15
17
11,8
13,2
14,0
17 et
plus
Total
8,8
47,8
2,9
5,9
6,6
15,4
0,7
1,5
2,9
2,2
15,4
9,6
30,1
0,7
1,5
0,7
15,4
20,6
0,7
0,7
38,2
3,7
0,7
100,0
2,2
25,7
La place des parents dans le conseil en matière de médicament est dépendante de l’âge du
jeune sportif. En effet, on constate un affaiblissement régulier de la place des conseils des
parents en matière de prise de médicaments suivant l’avancée en âge. Chez les moins de 13
ans, les parents sont les principaux référents en matière de médicaments contre les douleurs
sportives. Cette tendance s’affaiblit entre 13 et 15 ans pour, à partir de 15 ans, s’inverser.
Entre 15 et 17 ans, médecin généraliste et du sport occupent le devant de la scène du conseil
en matière de consommation de médicaments. Enfin, à partir de 17 ans, les jeunes sportifs
128
accordent davantage de crédit à leur coach ou à leur entraîneur du club concernant leur prise
de médicaments.
3. La prise de médicaments diffère en fonction de l’âge et de l’ancienneté
La consommation de médicaments antidouleur est plus fréquente chez les plus jeunes que
parmi les athlètes plus âgés. Toutefois, cette affirmation doit être nuancée car la montée en
âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les
mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments.
Tableau croisé :
Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / Classes sur Tu as quel âge ?
Tableau : %. Khi2=12,5 ddl=3 p=0,006 (Très significatif)
Moins de de 13 à
de 15 à
13
moins de moins de
15
17
Oui
19,2
12,3
9,6
Non
4,1
12,3
24,7
Total
23,3
24,7
34,2
17 et
plus
Total
11,0
6,8
17,8
52,1
47,9
100,0
Dans ce tableau, on observe la manière dont la déclaration de la consommation de
médicaments évolue avec l’âge. Plutôt importante chez les moins de 13 ans (19,2 %), elle
baisse régulièrement pour atteindre 9,6 % chez les 15 à moins de 17 ans et augmente très
légèrement pour atteindre 11 % chez les plus de 17 ans.
Plusieurs hypothèses peuvent être émises face à cette énigme. La première, déjà évoquée,
consiste davantage en un changement dans la déclaration de la consommation que dans un
changement dans la consommation. La seconde consiste à envisager, à la faveur de la
transformation de l’origine des conseils en matière de gestion de la douleur par les
médicaments, une mutation plus générale dans la manière de gérer la douleur selon les âges et
selon l’ancienneté dans la pratique sportive.
La première hypothèse, souvent évoquée dans la littérature scientifique sur le dopage ou
l’utilisation de médicaments au sein de la population sportive est difficilement vérifiable. La
seconde hypothèse peut se tester à partir d’autres variables de notre questionnaire. Tout
129
d’abord, on peut observer que la consommation de médicaments est en tendance moins
importante chez les jeunes pratiquant la musculation que chez ceux qui ne la pratiquent pas.
Tableau croisé :
Ce mois-ci, tu en as pris : (Recodage) / 74R1. Est-ce que tu pratiques la musculation ? (Recodage)
Tableau : %. Khi2=3,18 ddl=1 p=0,071 (Assez significatif)
Non
21,9
9,6
31,5
Oui
Non
Total
Oui
30,1
38,4
68,5
Total
52,1
47,9
100,0
Cette consommation de médicaments plus importante chez ceux qui ne pratiquent pas la
musculation peut se comprendre au regard de la carrière du jeune sportif. En effet, au fil de sa
carrière, le jeune sportif fait l’apprentissage de la douleur et de sa gestion par une série de
pratiques de prévention des douleurs sportives.
Par ailleurs, le type de médicaments consommés évolue avec l’âge :
Tableau croisé :
Recodage médicaments / Tu es en quelle classe actuellement ? (Recodage)
Tableau : %. Khi2=2,58 ddl=10 p=0,989 (Val. théoriques < 5 = 14)
Collège
Lycée
12,9
7,5
36,6
33,3
Compléments (vitamines,
compléments alimentaires et
homéopathie)
Niveau I (antalgiques et AINS)
Niveau II (anti-inflammatoires
stéroïdiens)
Niveau III (antalgique,
anesthésique)
Adjuvants
Antibiotique
Total
1,1
50,5
Supérieur
Total
20,4
1,1
71,0
2,2
2,2
2,2
2,2
2,2
1,1
48,4
3,2
1,1
100,0
1,1
On observe que la consommation de médicaments de niveau I, de compléments alimentaires
et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes (au collège). La
consommation de médicaments de niveaux II et III (bien qu’exceptionnelle) est, quant à elle,
presque exclusivement réservée aux lycéens.
Au-delà de l’âge, la consommation de médicaments contre les douleurs sportives évolue en
fonction de l’ancienneté dans la pratique sportive.
130
Tableau croisé :
Ce mois-ci, tu en as pris : / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=2,25 ddl=3 p=0,525 (Val. théoriques < 5 = 1)
Moins de 4
Oui
Non
Total
8,2
5,5
13,7
de 4 à moins de
7
11,0
13,7
24,7
de 7 à moins de
10
21,9
13,7
35,6
10 et
plus
11,0
15,1
26,0
Total
52,1
47,9
100,0
La consommation de médicaments contre les douleurs sportives est, en tendance, plus
importante lorsque les jeunes débutent leur pratique sportive. Elle tend à diminuer entre
quatre et sept années d’ancienneté, à être la plus importante entre sept et dix ans de pratiques
sportives pour s’atténuer au-delà de dix années de pratiques professionnelle.
20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 189R1. Ce mois-ci, tu en as
pris : (Recodage)
21,9%
15,1%
13,7%
13,7%
Oui (38)
11,0%
11,0%
Non (35)
8,2%
5,5%
Moins de 4 (10)
de 4 à moins de 7
(18)
de 7 à moins de 10
(26)
10 et plus (19)
Le type de médicaments conseillés évolue lui aussi selon l’ancienneté dans la pratique
sportive.
131
20R1. Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ? / 203R5. Recodage
médicaments (Recodage)
26,32%
25,0
Compléments
18,8
17,89%
15,79%
Niveau I
Niveau II
12,5
Niveau III
10,53%
Adjuvants
Antibiotique
6,3
2,11%
1,05%
0,0
Moins de 4 (14)
6,32%
6,32%
6,32%
1,05%
2,11%
1,05%
1,05%
de 4 à moins de 7
(22)
de 7 à moins de 10
(34)
10 et plus (25)
En tendance, la consommation d’AINS (antidouleur non stéroïdiens) est en augmentation tout
au long de la carrière du sportif et ne chute qu’au-delà de dix années de pratique. La
consommation de compléments alimentaires augmente en début de pratique puis reste
relativement stable à partir de quatre années de pratiques sportives. La consommation d’autres
types de médicaments reste plutôt stable et faible.
4. Des consommations différenciées selon le mode d’adressage
Si la prise de médicaments évolue en fonction de l’ancienneté dans la pratique, c’est
davantage l’adressage vers un traitement médicamenteux qui se transforme au fil de
l’ancienneté dans la pratique sportive.
132
Tableau croisé :
Conseils médicaments / Classes sur Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=6,06 ddl=9 p=0,735 (Val. théoriques < 5 = 5)
Parents
Entraîneur
Médecin du sport
Médecin généraliste
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
7,7
13,8
16,2
3,8
3,1
6,2
2,3
5,4
3,1
3,1
2,3
5,4
16,9
24,6
30,8
10 et
plus
Total
12,3
5,4
7,7
2,3
27,7
50,0
18,5
18,5
13,1
100,0
Globalement, les parents sont les premiers à donner des conseils concernant les médicaments
utilisés par les jeunes sportifs pour diminuer les douleurs liées à leur activité sportive (50 %),
suivis de l’entraîneur (18,5 %) ou du médecin du sport (18,5 %) puis du médecin généraliste
(13,1 %).
Selon l’ancienneté dans la pratique sportive, on observe deux principales mutations dans
l’émission des conseils en matière de médicaments mobilisés par les jeunes pour diminuer
leurs douleurs sportives. Une première intervient à partir de quatre années de pratique et
renforce la place de l’entraîneur dans le conseil en matière de médicaments. Entre quatre et
sept années d’ancienneté dans la pratique sportive, les jeunes sollicitent davantage
133
l’entraîneur que les médecins (qu’il s’agisse de la médecine générale ou de la médecine du
sport) pour trouver des conseils en matière de médicaments contre les douleurs liées à
l’activité sportive. Entre 7 et 10 années de pratique sportive, la médecine du sport ainsi que la
médecine générale sont, après les parents, prioritairement mobilisés. Au-delà de dix années de
pratique, la médecine du sport tend à se substituer à la médecine générale pour devenir le
second fournisseur de conseils en matière de médicaments contre les douleurs sportives (après
les parents et avant l’entraîneur).
Selon la source du conseil en matière de médicament contre les douleurs sportives, les
produits utilisés peuvent se différencier.
Tableau croisé :
Recodage médicaments / Conseils médicaments
Tableau : %. Khi2=2,45 ddl=20 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 22)
Compléments (vitamines,
compléments alimentaires et
homéopathie)
Niveau I (antalgiques et AINS)
Niveau II (anti-inflammatoires
stéroïdiens)
Niveau III (antalgique,
anesthésique)
Adjuvants
Antibiotique
Total
Entraîneur
11,7
3,4
2,8
4,8
35,2
11,0
9,7
10,3
0,7
0,7
0,7
0,7
2,8
0,7
0,7
1,4
0,7
0,7
15,2
0,7
2,8
1,4
100,0
1,4
0,7
49,7
Médecin Médecin
généraliste du sport
Pharmacien
Parents
15,2
17,2
Total
22,8
2,8
2,8
69,0
Les compléments alimentaires et l’homéopathie sont majoritairement conseillés par les
parents. L’entraîneur conseille lui aussi, l’utilisation de compléments alimentaires. La
médecine du sport encourage parfois à l’utilisation de produits homéopathiques. Concernant
les antalgiques de niveau I ou les AINS, si les parents restent les premiers à conseiller ce type
de traitement, les seconds sont les entraîneurs ; viennent seulement ensuite les médecins du
sport et le médecin généraliste. Pour les médicaments de niveau II, parents et médecins sont
au centre de la négociation. De même, concernant la préparation des compétitions, les
conseils des différentes sphères sociales entourant le jeune sportif peuvent être multiples.
Tableau croisé :
Pour te préparer ou pendant les compétitions, du prends / Qui te le conseille ?
134
Tableau : % Colonnes. Khi2=13,9 ddl=36 p=0,999 (Val. théoriques < 5 = 40)
Des repas spécialement préparés
(viande, poisson, pâtes...)
Des préparations à base de fruits
Des boissons énergétiques et
énergisantes
Des vitamines
Des compléments alimentaires
Des antidouleurs
Tu ne prends rien
Total
Tes
Parents
Ton
entraîneur
Un
médecin
généraliste
Un médecin
nutritionniste
ou spécialisé
pharmacien
Amis
Personne
ne te le
conseille
Total
44,5
40,0
50,0
38,5
66,7
44,4
40,0
43,8
16,1
10,0
10,9
15,0
23,1
33,3
15,0
15,9
15,4
11,1
30,0
13,0
14,6
4,4
9,5
10,0
20,0
5,0
33,3
7,7
15,4
11,1
10,0
5,0
12,0
7,2
8,2
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
100,0
16,7
Un
33,3
100,0
100,0
On observe notamment que, pour se préparer ou pendant une compétition, les parents
conseillent majoritairement « des repas spécialement préparés », « des préparations à base de
fruits » ou « des vitamines ». Si les entraîneurs conseillent aussi la mobilisation de « repas
spécialement préparés », ils conseillent aussi de façon non négligeable l’utilisation de
« compléments alimentaires », voire de « boissons énergétiques et énergisantes ». Le médecin
généraliste conseille volontiers le « repas spécialement préparé » et les « vitamines », dans
une moindre mesure les « antidouleur ». Les amis conseillent quant à eux les « repas
spécialement préparés », les « préparations à base de fruits », les « boissons énergétiques et
énergisantes » et, dans une moindre mesure les « compléments alimentaires ». Par ailleurs, la
majeure partie des personnes consommant des « boissons énergétiques » disent ne se les être
fait conseiller par personne.
5. Synthèse
Les douleurs sportives font l’objet d’un apprentissage de méthodes ou de savoir-faire visant à
les gérer. Cette socialisation à la douleur se fait à la frontière entre différents mondes sociaux.
La famille est d’abord « activée ». Elle-même familière de la pratique sportive, elle oriente
plutôt vers une gestion profane de la douleur. Les médicaments antidouleur de type I ainsi que
les AINS sont d’abord fournis par les parents des jeunes sportifs. Dans un second temps, la
socialisation à la douleur du jeune sportif est principalement prise en charge par l’entraîneur.
La gestion profane de la douleur (celle promue par la famille) est affaiblie puis délaissée au
profit d’un travail sur la douleur à la frontière des mondes du sport et de la médecine.
L’entraîneur pourra se faire prescripteur de compléments alimentaires, de préparations
135
vitaminées et sera surtout à l’origine de l’adressage vers une médecine spécialisée propre aux
mondes du sport. La consommation de médicaments antidouleur connaît alors une
progression ralentie et l’activation de nouvelles ressources est repérée. Médecins du sport,
kinésithérapeutes et ostéopathes constituent un nouvel espace d’apprentissage dans la gestion
(anticipation, prévention, réparation, rééducation, gestion) de la douleur. Dans un troisième
temps, la gestion de la douleur se prolonge entre sphère médicale et sphère familiale avec un
fléchissement de la consommation de médicaments antidouleur. On constate enfin dans cette
troisième phase une augmentation plus sensible du nombre de consultations de psychologie et
de psychiatrie.
136
Chapitre 7
Entre la douleur et le dopage : existe-t-il un lien ?
Les jeunes rencontrés n’ont que très rarement fait l’objet d’un contrôle antidopage. Seuls
6,3% d’entre eux ont fait l’objet de test.
Tableau:
Est-ce que tu as déjà fait l’objet d’un contrôle antidopage ?
Effectifs
12
179
191
Oui
Non
Total
%
6,3%
93,7%
100,0%
Tableau croisé :
Est-ce que tu as déjà fait l'objet d'un contrôle antidopage ? / Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=2,53 ddl=3 p=0,472 (Val. théoriques < 5 = 4)
Oui
Non
Total
Moins de 4
de 4 à moins de 7
16,1
16,1
1,1
25,0
26,1
de 7 à moins
de 10
2,8
29,4
32,2
10 et plus
Total
2,8
22,8
25,6
6,7
93,3
100,0
Sont, en tendance, concernés par les tests antidopage les jeunes ayant une ancienneté
importante dans leur pratique sportive. Les jeunes pratiquant le sport depuis sept ans et plus
représentant la grande majorité des sportifs ayant fait l’objet d’un contrôle antidopage.
1. La liste des produits interdits : une double vigilance
La faible représentation des personnes ayant personnellement fait l’objet d’un contrôle
n’induit pas pour autant un manque de vigilance quant à la question du dopage, en particulier
en matière de consommation de médicaments. La majeure partie des enquêtés déclarent
137
vérifier si les médicaments contre la douleur qu’ils utilisent sont autorisés dans le cadre de la
législation antidopage :
Tableau:
Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ?
Effectifs
64
25
12
82
183
Toujours
Souvent
Parfois
Jamais
Total
%
35,0%
13,7%
6,6%
44,8%
100,0%
Cumul
35,0%
48,6%
55,2%
100,0%
0,0%
Ainsi, 55% des jeunes déclarent vérifier si les médicaments qu’ils utilisent sont interdits.
Reste 44,8% des athlètes de 11 à 18 ans qui disent ne jamais vérifier ces informations.
Tableau croisé :
Quand tu prends des médicaments pour te soigner, vérifies-tu s’ils sont interdits ? / Qui d'autre que toi vérifie
ces informations ?
Tableau : % - Base Répondants. Khi2=56,7 ddl=5 p=0,001 (Val. théoriques < 5 = 2)
Oui
Non
Total
Parents
Entraîneur
Médecin
Pharmacien
49,2
18,0
67,2
6,6
2,7
9,3
13,1
8,7
21,9
7,1
0,5
7,7
Autre
personne
du club
0,5
0,5
Personne
Total
2,2
19,1
21,3
55,2
44,8
Parmi les jeunes qui ne vérifient pas eux-mêmes si les médicaments qu’ils prennent sont
interdits dans le cadre de la législation antidopage, 19,1 % déclarent que personne ne vérifie
ces informations pour eux. Seuls 18 % voient ces informations vérifiées par leurs parents et
8,7 % par leur médecin. Pour ceux qui vérifient eux-mêmes si les médicaments qu’ils utilisent
sont interdits, la vigilance du sportif est doublée de celle de ses parents qui vérifient, pour
49,2 % d’entre eux si ces médicaments sont autorisés. L’attention quant à la liste des
substances interdites dans le cadre de la lutte antidopage est majoritairement le fait des
sportifs eux-mêmes. Elle est toutefois doublée de la vigilance de l’environnement familial
pour ceux qui sont déjà attentifs à cette question.
138
2. Une représentation du dopage fermement associée à la performance
Les représentations du dopage, malgré l’importance de la gestion de la douleur dans le
quotidien des jeunes sportifs apparaissent pour partie déconnectées de la question de la
douleur. A l’issue d’un questionnaire résolument tourné vers la liaison entre douleur et usage
de médicaments, seuls moins de la moitié des jeunes (48,4 %) déclarent « comprendre que des
sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ».
Tableau croisé :
Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ?
Effectifs
89
95
184
Oui
Non
Total
%
48,4%
51,6%
100,0%
A cette question dont les jeunes pouvaient percevoir l’attente d’une réponse positive qui serait
légitime du fait de la thématique générale du questionnaire, près de 30 % des répondants
choisissent pourtant la modalité la plus franchement opposée à l’idée d’un lien entre douleur
et dopage.
Tableau:
Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ?
Oui, tout à fait
Plutôt oui
Plutôt non
Non pas du tout
Total
Effectifs
24
65
41
54
184
%
13,0%
35,3%
22,3%
29,3%
100,0%
De manière générale les jeunes sportifs ne comprennent pas que l’on puisse en venir à se
« doper » pour diminuer la douleur. Au contraire, l’incompréhension du dopage comme fruit
d’une recherche de diminution de la douleur est la règle au sein de cette population. On
constate même que les sportifs qui s’entraînement le plus souvent sont paradoxalement ceux
qui récusent le plus l’idée de dopage comme étant lié à la gestion de la douleur :
Tableau croisé :
139
Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? /Classes sur
Combien d’heures t’entraînes-tu par semaine ? (nbre h. / sem.)
Tableau : %. Khi2=6,48 ddl=1 p=0,011 (Très significatif)
Moins de
10
10
heures et
heures
plus
31,2
17,3
22,5
28,9
53,8
46,2
Oui
Non
Total
Total
48,6
51,4
100,0
Ainsi plus les jeunes sportifs s’entraînement de manière intensive et moins le dopage est
catégorisé comme lié à la douleur. Au contraire ceux qui s’entraînement moins de 10 heures
par semaine déclarent plus facilement comprendre que des sportifs de haut niveau en viennent
à se doper pour diminuer la douleur.
Une règle de condamnation du dopage tend à s’imposer au fil du temps et de l’intensification
de la pratique sportive. En effet, les jeunes pratiquant leur activité sportive depuis moins de
sept ans déclarent plus aisément comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se
doper pour diminuer la douleur. Au fil de l’ancienneté dans la pratique sportive, cette posture
s’efface au profit d’une déconnexion du dopage et de son possible lien avec la gestion de la
douleur.
Tableau croisé :
Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour diminuer la douleur ? / Classes sur
Depuis combien d'années pratiques-tu ce sport ?
Tableau : %. Khi2=8,91 ddl=3 p=0,03 (Significatif)
Oui
Non
Total
Moins de
de 4 à
de 7 à
4
moins de moins de
7
10
6,9
17,3
15,0
8,7
8,7
17,9
15,6
26,0
32,9
10 et
plus
Total
9,2
16,2
25,4
48,6
51,4
100,0
La faible considération de la possibilité d’en venir à se doper pour diminuer la douleur est
pour partie liée à la reconceptualisation de l’expérience de la douleur, progressivement
intériorisée et par sa « normalisation » :
Tableau croisé :
140
Pour toi, ces douleurs étaient : / Comprends-tu que des sportifs de haut niveau en viennent à se doper pour
diminuer la douleur ?
Tableau : %. Khi2=0 ddl=1 p=0,999 (Très significatif)
Oui
35,1
14,0
49,1
Normales
Anormales
Total
Non
36,8
14,0
50,9
Total
71,9
28,1
100,0
Les sportifs considérant leurs douleurs sportives comme « anormales » sont légèrement moins
nombreux (1,7 points d’écart) que ceux qui considèrent leurs douleurs comme « normales » à
déclarer comprendre que des sportifs de haut-niveau en viennent à se doper pour diminuer la
douleur. La normalisation de la douleur, qui progresse de manière concomitante avec
l’ancienneté dans la pratique sportive tend à créer les conditions d’un rejet du dopage qui
serait lié directement ou indirectement à la douleur. Cette norme de condamnation du dopage
s’accompagne d’une représentation du dopage entendu comme quête effrénée de la
performance, qui, quant à elle, est partagée par l’ensemble des sportifs quelle que soit leur
ancienneté dans la pratique sportive.
Tableau:
A ton avis, qu'est-ce qui pousse au dopage ?
La performance
L'argent
La douleur
Total / répondants
Effectifs
151
77
76
187
%
80,7%
41,2%
40,6%
Interrogés : 202 / Répondants : 187 / Réponses : 304
Pourcentages calculés sur la base des répondants
Le dopage est, pour les jeunes athlètes, prioritairement liée à la recherche de la performance
(80,7%). L’argent (41,2%) et la douleur (40,6%) sont selon eux des causes secondaires du
dopage des sportifs de haut niveau.
141
4. Synthèse
La représentation du dopage chez les jeunes sportifs est pour partie déconnectée de pratiques
témoignant d’une gestion pharmacologisée et médicalisée des douleurs sportives. Il est
pourtant difficile de dresser une frontière étanche entre des pratiques thérapeutiques de
gestion de la douleur et des pratiques de dopage. Cette frontière fait l’objet d’un apprentissage
au fil de l’ancienneté des sportifs. Le rejet des pratiques de dopage croît en fonction de
l’élévation dans la hiérarchie des niveaux des jeunes sportifs. Par ailleurs, l’association
commune du dopage à une quête de performance nuit à une interprétation des traitements
médicamenteux sous le prisme des pratiques dopantes.
142
Conclusion
L’étude quantitative a permis d’objectiver un certain nombre de constats effectués au cours de
l’enquête qualitative. Elle illustre, à son tour, de quelle manière les carrières des jeunes
sportifs évoluent et reconfigurent les pratiques et les réseaux de soins mis en œuvre pour lutter
contre les douleurs sportives. Initialement prise en charge par les parents, la douleur fait
l’objet d’une gestion profane avant que les entraîneurs et médecins du sport prennent la main
et s’imposent comme des interlocuteurs privilégiés des jeunes sportifs. Enfin, les données
recueillies montrent que lorsque les sportifs atteignent et se maintiennent au plus haut niveau
ceux-ci déclarent être suivis par d’autres praticiens médicaux comme les ostéopathes ou les
kinésithérapeutes. Dans ce contexte, la consommation d’antalgiques dont les AINS reste
difficile à mesurer même si nous avons pu en saisir la tendance et en décrire les modes
d’approvisionnement. A partir de là deux remarques peuvent être formulées.
En premier lieu, force est de constater que la déclaration de consommation de médicaments
contre les douleurs sportives est plus fréquente chez les plus jeunes (moins de 13 ans) que
parmi les athlètes plus âgés (de 15 à 17 ans). On peut faire l’hypothèse qu’elle baisse en
fonction de la mutation de prise en charge médicale plus orientée vers la manipulation du
corps (ostéopathes, kinésithérapeutes). Celle-ci pourrait être interprétée comme une
alternative à la prise de médicaments42. Or, nous l’avons vu (partie 1), les kinésithérapeutes
sont particulièrement sollicités par les sportifs et ils peuvent « conseiller » la prise de
médicament. Cette hypothèse (la normalisation ou l’appropriation de la douleur dès le plus
jeune âge entraînant un processus de dé-médicamentation) doit être nuancée car la montée en
âge est aussi souvent liée à l’ancienneté et à l’apprentissage d’une règle tacite dans les
mondes du sport : la discrétion concernant l’utilisation de médicaments généralement liée au
dopage. De plus, on observe que la consommation de médicaments de niveau I, de
compléments alimentaires et d’homéopathie est davantage représentée chez les plus jeunes
(au collège). Cette baisse sensible de la consommation des AINS à l’adolescence (lycée) est à
42
Notons cependant que nous n’avons pas inclues les professions des kinésithérapeutes dans les catégories
susceptibles de conseiller la prise de médicaments.
143
mettre en question dans un contexte où les charges d’entraînements, l’intensification de
l’effort et le processus de sélection débute majoritairement à partir du lycée (sport-étude) et
que, par ailleurs, de nombreuses études ont mis en évidence la consommation d’antalgiques
dont les AINS chez les adultes sportifs de haut niveau (Lippi et al. 2006 ; Tscholl et al.,
2009).
En second lieu, un des objectifs de notre enquête quantitative était d’identifier et
d’authentifier des consommations dont plusieurs études et médias indiquent la présence au
sein des groupes sportifs professionnels. La consommation des médicaments, crèmes et gels
anti-inflammatoires non stéroïdiens qu’ils ont déclaré prendre (Nifluril®, Voltarène®,
Dafalgan®, flectorgel®, Antadys® etc.) et, à bien moindre degré, les médicaments
antalgiques de niveau II et III (Codoliprane®, Morphine) et les traitements adjuvants
antalgiques (Osmogel®, Lumirelax®, Spasfon®, Solupred®,etc.), constituent une part non
négligeable de la pharmacopée des enfants et adolescents qui pratiquent de manière intensive
un sport. Même s’ils consomment ces médicaments à des fins thérapeutiques, pour soigner ou
soulager des douleurs parfois intenables, la question de leur régulation devient centrale sur le
plan de la santé publique. Parmi les adolescents confrontés à des douleurs dont ils peinent à se
débarrasser, soucieux d’obtenir des résultats ou de rester dans la course, la réutilisation audelà de la prescription et hors prescription de ces médicaments de paliers I- II ou III a déjà été
observée (Feucht, Patel 2010 ; Selanne 2014, Veliz, 2014). Se focaliser sur ces médicaments
légaux, non interdits par l’AMA permet d’élargir le large spectre des produits consommés par
les enfants et des adolescents sportifs (des antidouleur aux médicaments homéopathiques,
boissons énergisantes, compléments alimentaires « boissons de récupération » ou « aliments
de réparation » etc.). Ceux-ci sont bien souvent situés à la marge de consommations jugées
interdites et peu étudiés de manière autonome, comme un objet de recherche à part entière.
Inclure dans les études épidémiologiques et sociologiques, ainsi que dans les questionnaires
régulièrement administrés dans les différents services de médecine du sport, des items
concernant ces médicaments donnerait une idée plus large des « régimes dopants » des jeunes
sportifs. Enfin, bien qu’ils soient très peu contrôlés (seuls 6,3% ont fait l’objet d’un contrôle
anti-dopage essentiellement ceux qui pratiquent le sport depuis plus de dix ans) les
adolescents construisent une frontière entre les médicaments pris à des fins thérapeutiques
(pour soulager une douleur) et ceux qui pourraient renvoyer au dopage (« interdits » parce
qu’ils améliorent la performance). Les adolescents sont particulièrement vigilants quant à
l’usage de ces médicaments eu égard au dopage (49,2% d’entre eux vérifient avec leurs
144
parents si les médicaments pris contre les douleurs sont sur la liste des produits interdits). Ils
le sont peut-être moins par rapport aux effets délétères qu’une (poly)consommation régulière
ou de longue durée de ces médicaments depuis l’enfance risque d’occasionner pour leur santé.
145
Conclusion générale / reccommandations
Cette recherche a choisi de prendre le contre-pied des représentations classiques en matière de
recherche des connaissances et des causes des comportements de dopage. Il est ici présupposé
que, dès le plus jeune âge, l’expérience chronique de la douleur dans les mondes du sport
engage les enfants et les adolescents sportifs à avoir recours à des pratiques pharmacologiques
différenciées de celles des non-sportifs. Ces pratiques ne recouvrent que partiellement celles
contre lesquelles lutte la « communauté antidopage ». Cette « pharmacologie légale » utilisée
à des fins thérapeutiques par les sportifs a tendance a être occultée par l’attention portée aux
pratiques dopantes interdites et souvent médiatisées (stéroïdes, transfusion sanguine, dopage
génétique etc.). Or, nous l’avons vu, les médicaments antalgiques, bien que consommés de
manière latente par les sportifs, voient leur consommation se développer au fil de la carrière
du sportif. Cette utilisation est liée aux fondements normatifs de la carrière sportive, ceux là
même conduisant les jeunes athlètes à refuser le repos médicalement prescrit suite à une
blessure et qui risquerait de menacer son idéal de performance.
La douleur dans les mondes du sport fait l’objet de pratiques de soins variées – du
médicament antalgique (de différents paliers) aux méthodes du mental training – qui sont
dissimulées et restent des pratiques informelles. C’est un marché à l’intérieur duquel
différents acteurs (parents, entraîneurs, etc.), groupes professionnels, organisations, sociétés
privées, « entrepreneurs de l’équilibre personnel » (Ehrenberg, 2006), praticiens médicaux et
paramédicaux se font concurrence pour offrir aux sportifs des solutions à leur problème de
douleur récurrent et pour répondre à leur demande. Marché « parallèle », certes, mais qui a
tendance à s’entrecroiser avec celui des produits dopants – protéines, compléments
alimentaires, stéroïdes etc. – et avec celui des drogues dans lequel les médicaments
antalgiques et les opiacés circulent. Les traitements antalgiques adjuvants sont aussi présents
(antispasmodiques,
myorelaxants,
anti-convulsivants
etc.).
Plusieurs
consommations
146
coexistent et débordent, soit sur le thérapeutique (quand le complément alimentaire est pris
par le jeune sportif pour ne plus avoir de douleur), soit sur la performance (quand le
médicament analgésique permet au sportif d’assurer la performance, même blessé ; ou qu’il
lui permet de ne pas aggraver son cas). Cette porosité des mondes est à surveiller et devrait
faire l’objet d’une régulation par les pouvoirs publics. Les médicaments antalgiques
consommés sont, en effet, à appréhender à partir du point de vue des logiques, des
significations et des relations qui s’établissent entre ces mondes (Lovell, Aubisson, 2008).
Sur le plan scientifique, nos reccomandations sont de trois ordres :
1) Renforcer les études épidémiologiques et sociologiques sur les consommations d
médicaments antalgiques :
Cette enquête exploratoire nécessiterait d’être prolongée par des enquêtes épidémiologiques
ou sociologiques de plus grandes envergures afin de confirmer ou infirmer les tendances
repérées dans la présente étude auprès d’une population et d’un terrain restreints. Ces
consommations restent encore sous-estimées et contrairement à d’autres études sur les
stéroïdes anabolisants, par exemple, elles sont trop peu nombreuses. A ce titre, l’AMA
pourrait encourager ses partenaires (fédérations sportives, ministère de la santé et des sports,
agence nationale de lutte contre le dopage, société de médecine du sport, etc.) à se mobiliser
pour intégrer dans les études épidémiologiques ou questionnaires réalisées à l’intérieur des
services de médecine du sport des hôpitaux publics, des cliniques privées liées au sport de
haut niveau, des centres de rééducation, des indicateurs relatifs à la consommation de
médicaments antidouleur (de paliers I, II et III) consommés à titre d’analgésiques ou
d’antalgiques. Des enquêtes ethnographiques sur les itinéraires de soins des sportifs
professionnels dans les circuits des centres de médecine du sport privés (kinésithérapie, centre
de rééducation, cliniques médicales privées) seraient par ailleurs à mener.
147
2) Renforcer la connaissance sur le dopage mental et sur l’addiction au sport :
Nous avons mentionné la consommation de médicaments antalgiques parmi les sportifs pour
lutter contre les douleurs mais nous avons aussi fait mention de la manière dont le « mental »
était investi pour surmonter les douleurs. Nous avons ainsi mis en évidence comment de
nombreux programmes de mental training (basés sur la neurobiologie ou des méthodes
cognitivo-comportementales) se développaient actuellement. S’ouvre ainsi une extension du
domaine de la lutte antidopage. A la consommation de médicaments doivent s’ajouter les
méthodes et les procédés utilisés par les parents, les coachs et les sportifs, pour transcender les
douleurs, et améliorer leurs performances physiques, sportives et cognitives (atteindre la «
zone »). Certains programmes se présentent comme des alternatives « saines et naturelles » au
dopage (lequel est lié dans la représentation des sportifs à la prise de médicaments ou de
substances interdites mais pas aux procédés ou aux méthodes). Des études devraient être
envisagées sur ce secteur d’activité ne serait-ce que pour identifier les dérives potentielles.
Très tôt les jeunes sportifs apprennent à dépasser la douleur par la force du mental. C’est le «
mental » qu’il faut mobiliser et sur lequel il faut agir pour dépasser ses limites tout au long de
sa carrière. Le « cerveau » apparaît alors comme l’organe de contrôle du corps, le lieu de
l’action, celui de la « toute puissance ». C’est en ayant une action méthodique sur le cerveau
et sur ses mécanismes qu’il est alors possible de modifier ses états de conscience, de contrôler
ses émotions, d’améliorer sa concentration, de modifier sa performance ou sa perception de la
douleur. C’est la possibilité d’être « autre » par la seule force du mental. Cependant, nous
pensons que ce phénomène peut s’accompagner d’une augmentation de l’utilisation de
substances psycho-pharmacologiques qui risquent d’être consommées par les sportifs dans le
but de produire et de contrôler les opiacés produits de manière « endogènes » par le cerveau
au cours de l’activité sportive (dopamine, endorphine, etc.). Nous pouvons avancer que
l’AMA risque, à l’avenir, de voir se renouveler un débat qui s’était constitué il y a quelques
années autour des hormones (entre l’EPO endogène/exogène) mais, cette fois-ci, au niveau
des opiacés. La question du dopage mental nous semble être, à ce titre, une piste de recherche
à explorer. Avec le développement des neurosciences et de l’addictologie, le sport est de plus
en plus apparenté à une addiction. Emmerge alors la figure du sportif addict appelant une
prise en charge psychopharmacologique paradoxalement composée de médicaments
morphiniques, de méthadone etc..
148
3) Renforcer les partenariats avec des observatoires français et européens des drogues et
des toxicomanies :
De manière générale, les mondes du sport restent hermétiques aux études épidémiologiques
ou aux enquêtes quantitatives ou qualitatives relatives aux consommations de substances
psychoactives des jeunes sportifs. Nous invitons l’AMA a développer un partenariat avec des
organismes de recherche comme l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies
(OFDT) ou l’Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies (OEDT) à l’échelle
européenne afin d’élargir ses connaissances vis-à-vis de ce type de consommations de
médicaments antalgiques (de niveau I, II et III et des traitements adjuvants). L’OFDT
(France) et l’OEDT représentent des groupements d’intérêt public qui ont pour objet
d’éclairer les pouvoirs publics, les professionnels et le grand public sur les questions relatives
aux drogues et aux addictions. Ils fournissent des dispositifs permanents d’observation et
d’enquêtes, des informations provenant de sources différentes et scientifiquement validées sur
les substances licites comme illicites. Certains espaces de consommation sont depuis
longtemps observés (festif, urbains, scolaires). Nous pensons que l’espace sportif pourrait y
être intégré.
Sur le plan de la prévention, nos préconisations sont de trois ordres :
1) Informer les jeunes sportifs sur les médicaments antalgiques – y compris les AINS - :
Un travail de prévention des risques sanitaires liés à la consommation de médicaments
antalgiques est à réaliser auprès de la population des jeunes sportifs. Peu d’entre eux
connaissent les médicaments qui leur sont prescrits ou administrés pour soulager leurs
douleurs. Leur apprendre à identifier ce type de médicaments antalgiques autorisés et justifiés
sur le plan thérapeutique permettrait de mieux les préparer à interroger les autres produits qui
pourraient, à l’avenir, leur être proposés. Si on prend au sérieux le fait que la douleur est
149
omniprésente et qu’elle peut trouver une solution médicamenteuse, la connaissance de ces
médicaments, de leurs dangers potentiels sur la santé, s’avère indispensable, en particulier
dans un contexte où l’automédication est courante (dans la sphère familiale) et où la réduction
des risques semble être le cadre de référence adopté par un grand nombre de praticiens
médicaux encadrant les jeunes sportifs. De plus, il conviendrait d’avoir une vigilance sur le
fait que les opiacés prescrits (faibles ou forts : niveaux II ou III), peuvent être réutilisés hors
prescription et en dehors de tout contrôle médical en cas de résurgence de douleurs
chroniques ou identifiées comme identifiques. Certains sportifs finissent, nous l’avons vu, par
se constituer un stock de médicaments et par développer une « expertise profane » concernant
les usages de ces médicaments. Une remarque liée à la réutilisation de ce type de
médicaments antalgiques (et pas seulement la morphine) pourrait être intégrée dans des
brochures de l’AMA telles que : « Les dangers du dopage parlons-en », destinées aux
adolescents de 14 à 18 ans (à ce titre nous pensons qu’il faudrait abaisser à 12 ans l’âge de
diffusion de cette brochure qui est une des rares à évoquer la douleur). Par ailleurs, l’AMA
pourrait intégrer assez facilement sur son site (Q&R, Réseaux sociaux, etc.) des informations
médicales de base relatives aux médicaments antalgiques et à leurs effets secondaires. Le fait
que ces médicaments ne soient pas interdits ne signifie pas qu’ils soient sans effets sur la
santé. Ces informations doivent être diffusées aussi bien aux parents qu’aux adolescents.
Enfin, nous avons mentionné qu’une grande partie des adolescents vérifient par eux-même la
présence des médicaments antalgiques sur la liste des produits interdits. Nous avons montré
que cette vigilance était doublée de celle des parents. Inversement, il est remarquable de noter
que les adolescents ne vérifiant pas ces informations sont issus de famille peut sensibilisées à
ces questions. Il y aurait ici matière à réflexion pour la constitution d’un outil de
sensibilisation destiné aussi bien aux parents qu’aux enfants sportifs.
2) Un outil de sensibilisation :
La consommation de médicaments antalgiques est à mettre en lien avec la signification que le
jeune sportif attribue à sa douleur ou à celle que d’autres acteurs (parents, entraîneur, etc.) lui
attribuent. Nous proposons à l’AMA la création d’un support visuel qui pourrait être utilisé à
des fins d’éducation et de sensibilisation. Ce support – format 14.5 x 10 cm – (cf. Annexe «
carte de la douleur ») représente un schéma corporel (face/dos ; garçon/fille). Dans la mesure
150
où les jeunes sportifs développent une aptitude à la désignation de parties douloureuses de
leur corps, ce support numérisé et diffusé à l’aide d’une tablette tactile pourrait permettre aux
jeunes sportifs, avec l’aide d’un crayon tactile de pointer les zones du corps où ils ressentent
une ou plusieurs douleur(s) persistante/chronique (avant, pendant et après la compétition par
exemple). Ce support pourrait être complété par d’autres informations supplémentaires. Nous
y avons par exemple associé une échelle de la douleur : il pourrait permettre de signifier à
l’adolescent – ou à son entourage - un seuil d’alerte indiquant la nécessité de prendre soin de
lui-même ou de respecter son corps avec des messages de prévention concernant les
médicaments antalgiques de différents paliers ou les risques liés à l’usage des compléments
alimentaires (« aliment de réparation », « de rééducation », protéines, etc.). Ce schéma
corporel pourrait être l’occasion de représenter autrement la réalité du problème. Il pourrait,
par la suite, faire l’objet d’une exploitation numérique et statistique (en croisant les points
douloureux identifiés avec les variables type âge, sport, genre, etc.). L’enjeu de ce support
reste principalement la mise en évidence de la place prépondérante qu’occupe la douleur dans
la pratique sportive ainsi que la faible place de sa mise en mot au sein des mondes du sport.
3) Les masseurs-kinésithérapeutes : acteurs de la prévention du dopage ? :
La prescription des médicaments antalgiques a été décrite. Elle évolue au fil des années et de
l’ancienneté dans la pratique sportive. Alors que les parents tentent de gérer de manière
profane les douleurs des jeunes sportifs, lorsque les douleurs persistent et que la pharmacopée
familiale ne suffisent plus à soulager, les entraîneurs et les praticiens médicaux médicalisent
la douleur du sportif sans pour autant remettre en cause la pratique intensive du sport. Les
médecins de famille ou généralistes sont écartés de la prise en charge médicale, accusés d’«
arrêter » trop souvent les sportifs et de ne pas prendre en considération leurs attentes sociales.
La transgression de la norme commune de santé est clairement partagée par un grand nombre
de praticiens médicaux qui interviennent dans les itinéraires des jeunes sportifs. Parmi ces
acteurs, nous avons indiqué que les kinésithérapeutes participent à la redéfinition des
programmes d’entraînement et personnalisent les itinéraires de soins. Ils sont particulièrement
plébiscités par les jeunes sportifs. L’espace de détente et de parole qu’ils offrent aux
adolescents sportifs est décisif. Pour nombre d’entre eux, les « kinés » et « ostéos » possèdent
une aura dont ne bénéficient pas les médecins du sport rattachés au club ou à leur structure
151
fédérale. A ce titre, ils pourraient être mobilisés comme des acteurs de prévention de première
ligne en matière de dopage et concernant les consommations de médicaments antalgiques.
Ceci, à condition qu’ils respectent les normes et l’éthique médicale en vigueur, qu’ils ne
prescrivent ou ne conseillent pas les médicaments en question ou qu’ils ne pratiquent pas
d’injections (glucocorticoïdes, PRP etc.). Il y aurait à ce propos, un rappel à la loi à faire de la
part des autorités sanitaires (Minsitère de la santé, de la ville de la jeunesse et des sports, les
ONAD) auprès de ces groupes professionnels ou des clubs et structures fédératives qui les
emploient. L’AMA pourrait veiller à ce que dans la formation de ces professionnels du soin
soit renforcée en matière de connaissances du dopage et de lutte antidopage.
152
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160
Table des matières
Avant -propos .......................................................................................................................................... 1
Partie I : ................................................................................................................................................. 10
L’apprentissage de la douleur dans la carrière des jeunes sportifs de haut niveau : à propos des
médicaments, méthodes et techniques antidouleur dans les mondes du sport. ..................................... 10
Etude qualitative .................................................................................................................................... 10
Introduction ................................................................................................................................... 11
Chapitre 1 ...................................................................................................................................... 20
L’expérience de la douleur dans les mondes du sport ................................................................... 20
Chapitre 2 ...................................................................................................................................... 25
L’apprentissage de la douleur : taire et « faire avec » la douleur .................................................. 25
Chapitre 3 ...................................................................................................................................... 34
« Vivre avec et en dépit » de la douleur : le corps et ses manipulations ....................................... 34
Chapitre 4 ...................................................................................................................................... 60
Surinvestir le « mental » pour transfigurer les maux du sport ....................................................... 60
Conclusion ..................................................................................................................................... 66
Partie II .................................................................................................................................................. 68
Le sport intensif à l’adolescence : perceptions et évolution de la prise en charge de la douleur. ......... 68
Etude quantitative .................................................................................................................................. 68
Introduction ................................................................................................................................... 69
Chapitre 1 ...................................................................................................................................... 75
La population des jeunes sportifs .................................................................................................. 75
Chapitre 2 ...................................................................................................................................... 89
Des différences observables entre garçons et filles ....................................................................... 89
Chapitre 3 ...................................................................................................................................... 95
Le sport : une affaire de famille .................................................................................................... 95
Chapitre 4 .................................................................................................................................... 103
Le suivi « médical » des jeunes sportifs ...................................................................................... 103
Chapitre 5 .................................................................................................................................... 111
Douleurs et blessures sportives : perceptions et prises en charge plurielles................................ 111
Chapitre 6 .................................................................................................................................... 122
La consommation de médicaments anti-inflammatoires et antidouleur ...................................... 122
161
Chapitre 7 .................................................................................................................................... 137
Entre la douleur et le dopage : existe-t-il un lien ? ...................................................................... 137
Conclusion ................................................................................................................................... 143
Conclusion générale / reccommandations ........................................................................................... 146
Références ........................................................................................................................................... 153
162

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