L`histoire de la modernité en Chine : l`architecture au contact du
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L`histoire de la modernité en Chine : l`architecture au contact du
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE ÉCOLE DOCTORALE 124 Laboratoire de recherche André Chastel (UMR 8150) THÈSE pour obtenir le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE Discipline : Histoire de l’art Présentée et soutenue par : Xiaoli Wei le : 20 novembre 2015 L’histoire de la modernité en Chine : l’architecture au contact du monde occidental, discours et pratiques (1840-2008) Sous la direction de : Monsieur Jean-Yves Andrieux Professeur d’histoire de l’art contemporain, Université Paris-Sorbonne Membres du jury : Monsieur Bruno Fayolle-Lussac Professeur honoraire d'histoire de l'architecture, ENSAP Bordeaux Madame Dominique Rouillard Professeur d’histoire et théorie de l’architecture, ENSA Paris-Malaquais Madame Françoise Ged Architecte DPLG, HDR, Responsable de l’Observatoire de l’architecture de la Chine contemporaine, Cité de l’architecture et du patrimoine Madame Taline Ter Minassian Professeur d’histoire contemporaine, INALCO 1 Sous le titre de L’histoire de la modernité en Chine : l’architecture au contact du monde occidental, discours et pratiques (1840-2008), cette thèse interroge le processus de transformation du savoir architectural dans la Chine moderne par le biais de l’observation de la relation entre la création architecturale et l’histoire. En tenant compte de l’évolution diachronique de ces deux cultures, cette étude analyse la circulation des savoirs entre le monde occidental et la Chine et les effets discursifs qu’elle a produits dans la création architecturale et artistique chinoises. L’histoire moderne de la Chine provient d’un concept historiographique nouveau pour ce pays qui fut introduit à la fin du XIXe siècle en provenance de l’Occident. Cette nouvelle historiographie chinoise a été conceptualisée par des lettrés chinois, historiens et intellectuels de l’époque, notamment par Liang Qichao (1873-1929), réformiste, qui eut une activité politique importante en cherchant à établir une monarchie constitutionnelle et un régime d’état-nation. Elle n’est plus structurée comme avant selon la substitution des dynasties, mais selon des événements marquants représentatifs de transformations sociales importantes. C’est lors de la chute de la dynastie des Qing et de l’établissement de la République de Chine, que le début de l’histoire moderne est définitivement fixé à 1840, date de la guerre de l’opium. En Chine, la chronologie de l’histoire de l’architecture s’inscrit dans le cadre de l’historiographie moderne. Des enjeux complexes qui impliquent des références idéologiques et qui concernent la méthode historiographique percent au travers des premières études modernes consacrées à l’architecture chinoise traditionnelle. Une analyse des écrits occidentaux et japonais rédigés du XVIIIe au début du XXe siècle et portant sur l’architecture chinoise s’avère un préalable indispensable pour comprendre les fondements de l’histoire de l’architecture chinoise 1. En effet, les historiens et les architectes chinois du début du XXe siècle ont eu connaissance, à leur époque, de la plupart de ces écrits comme le montrent leurs travaux dans lesquels on trouve des réponses à certaines interrogations des auteurs occidentaux (la forme de la toiture et la structure de bois etc…). Ils ont également pu accéder à des sources écrites de la Chine ancienne2 ainsi tirer parti des observations et des analyses d’édifices sur le terrain. Sur ce socle combiné de l’influence occidentale et des sources chinoises, se constituent les premières tentatives 1 Par exemple : William Chambers, Traité des édifices, meubles, habits, machines et ustensiles des Chinois, Paris, Le Rouge, M.DCC.LXXVI. [1776], dans Georges-Louis Le Rouge, Détail de nouveaux jardins à la mode, Paris, Le Rouge, 1776-1788 ; James Fergusson, History of Indian and Eastern Architecture, 3e tome de la collection « History of Architecture », Londres, J.Murray, 1876 ; Ernst Boershmann, Chinesische Architecktur, Berlin, Verlag Ernst Wasmuth, 1926 ; Ito Chuta, L’histoire de l’architecture chinoise, 1e édition chinoise en 1931, trad. par Chen Qingquan, Shanghai, Librairie Shanghai, 1984. [L’ouvrage est traduit par CHEN Qingquan : 伊东忠太, 中国建筑史, 陈清泉 译, [s.l.], 商务印书馆, 1937] (Zhongguo jianshushi, Shangwu yinshuguan) 2 Par exemple : Normes de construction (Yingzao fashi 营造法式, 1103) et Méthodes de construction du ministère des Travaux publics (Qing gongbu gongcheng zuofa 清工部工程做法, 1734) 2 d’élaboration d’une histoire de l’architecture chinoise faite par des Chinois. La posture des historiens chinois va être primordiale, notamment par rapport à celles des occidentaux, car elle va avoir une influence décisive dans le domaine de la création architecturale. À partir des années 1920 et 1930, au retour de leur formation dans les pays occidentaux, les architectes chinois constituent un nouveau groupe appartenant à l’élite chinoise et cherchent, à la fois, une reconnaissance professionnelle et intellectuelle, ce qui amène des débats dans l’architecture moderne sur le style et sur l’éthique. Des essais menés par différents courants architecturaux voient le jour et marquent cette période riche en expériences architecturales. Ainsi, Lü Yanzhi (1894-1929) s’inspire du néo-classicisme pour son Auditorium commémoratif de Sun Yat-sun (1929). Liu Jipiao (1900-1992) propose, de son côté, une architecture artistique inscrite dans le courant qu’il découvre en Occident : les Arts décoratifs. Liang Sicheng (1901-1972) et Lin Huiyin (1904-1955) proposent, quant à eux, une référence savante à l’architecture ancienne. Pendant la même période, apparaît chez les intellectuels chinois la volonté de constituer une histoire de l’architecture chinoise qui soit intégrée à l’histoire de la Chine et qui leur permette de dialoguer avec l’Occident sur un plan d’égalité en tant que représentant d’une nation chinoise unifiée. Les historiens Lin Huiyin et Liang Sicheng élaborent une histoire de l’architecture inscrite dans un système de lecture chronologique du temps. L’architecture de chaque période peut être définie à partir de caractéristiques communes qui résument la période qu’elle représente3. Le 1er octobre 1949, à la Porte de la Paix Céleste, le président Mao Zedong proclame la fondation de la République Populaire de Chine sous l’égide du parti communiste. Dans les années 1950 et 1960, deux mouvements opèrent : d’une part, le régime utilise, dans les projets monumentaux, l’architecture de forme traditionnelle comme moyen de légitimation, et, en même temps, l’architecture se modernise dans les bâtiments publics de grande portée, les logements et les usines. L’exemple de la forme nationale qui, au départ, rejoint l’historicisme soviétique pendant le premier plan quinquennal (1953-1957) et sera ensuite critiquée, témoigne de la situation complexe des débuts de la République Populaire de Chine. Sous l’effet de l’influence soviétique, l’architecture moderne est également critiquée. Pourtant, des constructions faites à partir de moyens modernes combinés à des techniques locales constituent un aspect très spécifique de cette période4. On peut parler d’une « évolution par le détour » qui caractérise un modernisme à la chinoise typique des années 1950 et 1960. 3 Voir LIANG Sicheng, A Pictorial History of Chinese Architecture : A Study of the Development of Its Structural System and the Evolution of Its Types, Cambridge (Mass), Londres, MIT Press, 1984 4 Par exemple : le Parc de la Pagode blanche à Lanzhou, 1958, architecte : Ren Zhenying ; les Résidences de la Porte droite de la paix à Pékin, 1955, architecte : Léon Hoa 3 Une nouvelle étape historique survient à la fin des années 1970 et est symbolisée par la mort de Mao Zedong en 1976, puis, par le rétablissement au pouvoir de Deng Xiaoping lors du troisième plénum du Comité central entre 1978 et 1979. En 1979, la publication connaît un grand essor avec un nombre d’impression d’ouvrages de 1,3 milliard, soit 5,7 fois de plus que l’année de 19675. Non seulement des ouvrages classiques en matière de littérature occidentale sont publiés en série, mais également des travaux voient le jour dans les domaines de l’histoire et de la théorie sur l’esthétique, des arts et de la littérature chinoise 6. Comme dans les domaines de la littérature et des beaux-arts, la diffusion de la connaissance connaît également un essor considérable grâce à la création de revues et à la publication d'écrits classiques. Dans la pratique architecturale, la période des années 1980 et 1990 est représentée par l’école universitaire, c’est-à-dire, l’école issue de l’ensemble des départements d’architecture au sein des universités - soit un enseignement institutionnel - sa tradition et son évolution sur les plans théoriques et pratiques de 1978 à 1998. Représentant de cette école, l’architecte Qi Kang (né en 1931), insiste sur l’importance du dessin dans la conception des projets. La plupart de ses dessins permettent de voir une méthode de travail basée sur l’étude de plan et de façade. Au sein de l’école universitaire, un groupe d’enseignants de l’Université du sud-est lance l’une des premières tentatives de réforme de l’enseignement. Gu Daqing, Zhao Chen, Ding Wowo et Shan Yong proposent un nouveau programme qui se focalise sur l’aspect conceptuel de la discipline, sheji en chinois. Ils proposent un programme centré sur l’entraînement de la pensée analytique et sur la capacité à concevoir des espaces. Mais, la réforme se heurte à un obstacle : l’incompréhension des anciens professeurs. Le groupe quitte finalement l’Université pour établir le département d’architecture à l’Université de Nankin en 2000. Vers la fin des années 1990, le développement urbain en Chine prend un essor spectaculaire. D’après les statistiques de 1990 pour la seule ville de Pékin, la superficie construite en quarante ans représente la superficie initiale de l’ancienne ville multipliée par six7. Pendant cette période, la création des agences privées est accompagnée de l’apparition 5 CHEN Hanbo, « La Publication en progression », Annales des publications chinoises en 1980, Pékin, The Commercial Press, 1980, pp.1-4. [陈翰伯,前进中的中国图书出版工作,中国出版年鉴 1980, 北京, 商务印书馆, 1980, pp.1-4] (Qianjin zhong de Zhongguo tushu chuban gongzuo, dans Zhongguo chuban nianjian 1980, Shangwu yinshuguan) 6 LU Yongfu, « Répondre au besoin, enrichir la publication de la littérature étrangère : rapport de la publication de la littérature étrangère à la Maison d’éditions de la littérature du peuple en 1979 », Annales des publications chinoises en 1980, pp.197-199, op. cit. [卢永福,适应需要,努力增加外国文学品种——人民文学出版社 1979 年出版外国文学著作概况, op. cit. pp.197-199] (Shiying xueyao, nuli zengjia waiguo wenxue pinzhong – Renmin wenxue chubanshe 1979 nian chuban waiguo wenxue zhuzuo gaikuang) 7 YE Rutang, « Le présent et le futur de la profession d’architecte », Architecture Journal, 1993, n°7, pp.5-8. [叶如堂,中国 建筑师职业的现在和未来,建筑学报,1993, n°7, pp.5-8] (Zhongguo jianzhushi zhiye de xianzai he weilai, Jianzhu xuebao) 4 d’une clientèle privée qui défend directement ses propres intérêts quant à la qualité du projet et qui offre une variété de demandes. Cela permet aux architectes des agences privées, plus autonomes, d’avoir la possibilité de diffuser et de réaliser leurs propres idées. Après leur première manifestation à Pékin en 1999 (Exposition des œuvres expérimentales de jeunes architectes chinois (Zhongguo qingnian jianzhushi shiyanxing zuopin zhan), les architectes d’avant-garde sont souvent présentés ensemble dans les expositions nationales et internationales. Sous l’influence de la phénoménologie et de la tectonique, le dessin comme méthode de conception est remis en question. Opposés à la méthode de l’école universitaire, ils sont attentifs à la qualité spatiale et à la matérialité de l’architecture –le bâtiment, c’est-à-dire les matériaux et la technique de construction. Les architectes d’avant-garde analysés dans cette thèse (Wang Shu, né en 1963 ; Dong Yugan, né en 1967 ; l’agence Deshaus ; Zhang Yonghe ; né en 1956) apportent chacun leur propre méthode de conception. Par exemple, l’architecte Zhang Yonghe, imagine le projet du Petit musée d’art contemporain de Quanzhou (Quanzhou xiao dangdai meishuguan) qui, en effet, n’a pas de forme préconçue. Les unités structurales de bois récupérées dans les chantiers de démolition composent la forme finale du nouveau bâtiment. Elle est irrégulière car ces unités n’ont pas toutes la même dimension. Les murs sont construits en matériaux récupérés avec notamment des briques et des pierres. La technique de construction des murs, appelée chuzhuan rushi, est une technique traditionnelle que les locaux utilisent souvent en cas de destruction des maisons par des cyclones. Ses idées principales sont notamment présentées dans son article publié en 1997 dans laquelle il pose les questions suivantes : « Quels sont les caractères de l’architecture qui ne peuvent pas être rendus par le dessin ? Est-il vrai que l’espace architectural ne peut être représenté par le dessin ? »8 Les discours et les pratiques très théoriques des architectes d’avant-garde contribuent à la formation d’un langage architectural propre à ce courant contemporain, langage nourri et partagé par les architectes de terrain (l’agence Urbanus et l’architecte Cui Kai). Les références des architectes chinois d’avant-garde couvrent un nombre considérable d’ouvrages théoriques et d’architectes étrangers. Mais leurs créations n’en demeurent pas moins pourvues d’une originalité qui s’explique par leur capacité à combiner les influences les plus diverses et une sensibilité à l’histoire. Au seuil du XXIe siècle, lorsque la Chine commence à rayonner sur la scène internationale, de l’Asie jusqu’en Occident, les architectes de la nouvelle génération se situent au cœur du renouvellement à la fois à l’égard de la création et de la discipline. 8 ZHANG Yonghe, « Tomber dans l’espace : à la recherche d’une architecture ' non dessinable' », The Architect, no 5, 2003, p. 16. [张永和, 坠入空间——寻找不可画建筑, 建筑师, no 5, 2003, pp. 16-17] (Zhuiru kongjian – xunzhao bu kehua jianzhu, Jianzhushi).