Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent

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Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent
Article original
Évaluation du risque biologique
dû à Cryptosporidium sp
présent dans l’eau de boisson
à Port-au-Prince (Haïti)
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ANIE BRAS1
EVENS EMMANUEL1
LILITE OBICSON2
PHILIPPE BRASSEUR3
JEAN W. PAPE4,5
CHRISTIAN P. RACCURT6
1
Laboratoire de qualité de
l’eau et de l’environnement,
Université Quisqueya,
BP 796,
Port-au-Prince,
Haïti
<[email protected]>
2
Centre d’applications
en télédétection et en
systèmes d’informations
géographiques,
Université Quisqueya,
BP 796,
Port-au-Prince
Haïti
<[email protected]>
<[email protected]>
3
Unité de recherche 077,
Institut de recherche pour le
développement (IRD),
Centre de Hann,
Dakar
Sénégal
<[email protected]>
4
Groupe haïtien d’étude du
syndrome de Kaposi et des
infections opportunistes
(Gheskio),
Institut national de
laboratoire et de recherche,
Port-au-Prince,
Haïti
<[email protected]>
5
Weill Medical College,
Cornell University,
New York
USA
<[email protected]>
doi: 10.1684/ers.2007.0106
6
Université de Picardie
Jules Verne,
Centre hospitalier
universitaire d’Amiens,
Hôpital Sud,
Service de parasitologie et
mycologie médicales,
80054 Amiens cedex 1
France
<[email protected]>
Résumé. La cryptosporidiose, cause fréquente de diarrhée en Haïti, est transmise à l’homme
par l’intermédiaire de l’eau et des aliments contenant les oocystes de cryptosporidies. Dans la
population, les groupes spécifiques ayant un niveau de risque très élevé sont les enfants, les
personnes sous-alimentées et les malades contaminés par le virus de l’immunodéficience
humaine (VIH). Une étude récente a démontré la présence d’oocystes (de 4 à 1 274 pour 100
litres d’eau) dans 16 des 18 points d’eau analysés à Port-au-Prince (89 %). L’exposition de la
population à une telle concentration peut générer d’importants risques sanitaires pour les
enfants et pour les sujets immunodéprimés. L’objectif de ce travail était d’évaluer les risques
biologiques liés à la présence de ce parasite dans l’eau destinée à la consommation humaine
dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Un modèle exponentiel a été utilisé dans le
calcul de la probabilité de développer une infection pour des populations : sujets immunocompétents et immunodéprimés âgés de moins de 5 ans et de 5 ans et plus. Dans les quartiers
où l’eau contenait des oocystes de Cryptosporidium, le niveau de risque d’infection calculé
s’établit entre 1 et 5 % pour la population immunocompétente ; pour la population immunodéprimée ce niveau de risque calculé varie de 1 à 97 % selon la charge en oocystes des eaux
consommées. Cette étude confirme la nécessité d’une surveillance de la qualité microbiologique de l’eau dans la perspective de réduire la morbidité des infections liées à la consommation d’eau contaminée.
Mots clés : Cryptosporidium ; eau potable ; évaluation risque ; exposition environnement ;
Haïti.
Abstract
Assessment of the risks of Cryptosporidium oocysts in drinking water
in Port-au-Prince (Haiti)
Cryptosporidiosis is one of the most frequent causes of diarrhoea in Haiti. Its transmission to
humans, and in particular the groups at highest risk – children younger than five, people with
HIV infection, and the undernourished – occurs through food and water containing Cryptosporidium oocysts. Recent studies demonstrate that the concentration of oocysts in 100 litres of
the drinking water used by the population in Port-au-Prince (Haiti) ranges from 4 to 1,274
oocysts in 16 of the 18 water points sampled (89%). The aim of this study was to evaluate the
risks associated with this parasite in the drinking water of the Port-au-Prince metropolitan area.
An exponential model was used to mark on the probability of an increasing infection. Four
populations were considered: immunocompetent and immunodeficient children younger than
five years, and immunocompetent and immunodeficient people five years or older. The risk of
infestation in the immunocompetent portion of the population was 1% to 5%, and in the
immunodeficient portion, 1% to 97%, according to the Cryptosporidium oocyst concentration. It is necessary to monitor and improve the microbiologic quality of drinking water to
reduce the risk of human infections with pathogenic microorganisms related to biological
pollution in Haiti.
Key words: Cryptosporidium; drinking water; environmental exposure; Haiti; risk
assessment.
Tirés à part :
C.P. Raccurt
Article reçu le 15 février 2007,
accepté le 26 juin 2007
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
355
A. Bras, et al.
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L’
eau de boisson est l’un des principaux vecteurs d’agents
pathogènes responsables de maladies, particulièrement
dans les pays tropicaux [1]. L’Organisation mondiale de la santé
(OMS) estime que 80 % des maladies qui affectent la population
mondiale lui sont directement associées [2]. C’est pourquoi la
surveillance de la qualité de l’eau est devenue une priorité de
santé publique dans le monde entier.
Pour évaluer le risque microbiologique relatif à l’eau de
boisson, les indicateurs bactériens de contamination fécale sont
largement utilisés. Cependant, un certain nombre d’épisodes
épidémiques liés à la consommation d’eau proviennent également d’agents non bactériens, dont les protozoaires intestinaux,
et parmi eux les coccidies [3-6] pour lesquels le suivi de ces
indicateurs n’est pas totalement satisfaisant.
Les cryptospories, coccidies mondialement répandues, sont
éliminées avec les selles sous forme d’oocystes résistants à la
désinfection chimique standard par chloration. Ceux-ci présentent un haut pouvoir infectant et peuvent survivre pendant plusieurs mois dans le milieu extérieur à une température de 30 °C
[7]. Entre 1980 et 1995, une vingtaine d’épidémies de crypstoridiose intestinale ont été rapportées dans le monde [8]. La plus
spectaculaire a été celle survenue à Milwaukee, aux États-Unis
en 1993, avec 403 000 personnes contaminées, dont 4 400 hospitalisées et 69 décédées par suite du passage d’oocystes de
cryptosporidies dans l’eau de distribution de la ville [9]. La cause
de cet événement était due à l’insuffisance des capacités de
traitement de l’eau de distribution urbaine du fait de conditions
météorologiques exceptionnelles ayant entraîné une contamination massive de la ressource.
Les groupes spécifiques les plus vulnérables sont classiquement les enfants en bas âge, les personnes sous-alimentées, les
patients immunodéficients, en particulier ceux infectés par le
virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Chez les sujets
immunocompétents, les symptômes sont relativement bénins et
l’infestation peut rester asymptomatique [10-14]. En revanche,
l’infection des sujets immunodéprimés, notamment ceux contaminés par le VIH, provoque une diarrhée chronique d’autant plus
sévère que l’immunodépression est forte (CD4 < 150/mm3),
entraînant déshydratation et perte de poids responsables d’une
mort rapide [15-18]. L’extension en nombre des sujets immunodéprimés soit du fait de l’épidémie de sida dans le monde, soit à
un moindre degré à cause de l’utilisation croissante des immunosuppresseurs pour le traitement de maladies chroniques, soit
en raison de la généralisation des transplantations d’organe ou de
tissus nécessitant une suppression provisoire des défenses immunitaires du receveur, entraîne l’émergence ou la réémergence des
protozooses intestinales, dont la cryptosporidiose, notamment
dans les pays industrialisés.
En zone tropicale et dans des conditions socio-économiques
défavorables, la cryptosporidiose de l’enfant s’associe à un risque
de diarrhée prolongée, de malnutrition, et éventuellement de
retard psychomoteur [19-21]. Elle est l’une des premières causes
de morbidité et de mortalité chez les sujets atteints du sida [22].
La prévalence de la cryptosporidiose aux États-Unis et en
Europe est de 1 à 3 %. Dans les pays en développement, elle
oscille entre 4 et 20 %, et chez les malades atteints du sida, elle
peut dépasser 50 % [23]. En Haïti, où la cryptosporidiose intes-
356
tinale est due à au moins trois espèces - Cryptosporidium hominis, C. parvum et C. felis [24] - les cryptosporidies sont responsables de 17 % des diarrhées aiguës chez les enfants de moins de
2 ans [25] et de 30 % des diarrhées chroniques chez les patients
contaminés par le VIH avant l’accès aux antirétroviraux [22, 26].
La contamination des eaux de consommation humaine par les
oocystes de cryptosporidies constitue donc un problème de santé
publique majeur dans les pays en développement, et ces situations demandent à être mieux évaluées. Des études réalisées sur
les points d’eau de la région métropolitaine de Port-au-Prince ont
montré la présence d’oocystes de Cryptosporidium dans les eaux
de surface, dans celles des réservoirs et des puits et dans l’eau
distribuée par les systèmes d’adduction publique [27]. Ce travail
se propose de faire une estimation quantitative du risque relatif à
la consommation d’eau de boisson contaminée par Cryptosporidium sp dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince.
Matériel et méthode
Pendant la période de l’étude (2000-2001), 18 points d’eau
utilisés par la population pour l’approvisionnement en eau,
répartis dans l’agglomération de Port-au-Prince, ont été analysés
une seule fois chacun mais à des périodes différentes en prélevant au moins 100 litres. L’eau provenait de 8 réservoirs, de
7 points du réseau de distribution de la ville et de 3 fontaines
publiques. Le choix des sites de prélèvement a été fait en fonction
des quartiers de résidence des patients VIH+ suivis dans les
centres du Groupe haïtien d’étude du syndrome de Kaposi et des
infections opportunistes (Gheskio).
La démarche générale de l’évaluation du risque sanitaire
s’articule en quatre étapes [28] : identification du danger ; étude
de la relation dose-réponse ; estimation de l’exposition ; caractérisation du risque. Dans le domaine des risques chimiques, les
guides méthodologiques renvoient aux outils disponibles, qu’il
s’agisse des modèles ou des bases de données toxicologiques et
physico-chimiques. Dans le domaine biologique en revanche, la
démarche d’analyse n’est pas aussi avancée [29]. Les données
pour évaluer le risque lié à des expositions environnementales
font souvent défaut. De plus, le risque biologique présente de
nombreuses spécificités qui empêchent une simple transposition
de la méthodologie du domaine chimique au domaine biologique. En effet, la transmission d’un agent infectieux impose la
coexistence de trois éléments indispensables à la réalisation de
cette « chaîne » : i) une source de l’agent pathogène ou opportuniste touchant des sujets fragilisés ; ii) un mode de transmission ;
et iii) un sujet réceptif. L’agent infectieux est capable de se
multiplier dans l’organisme hôte. Cette caractéristique oblige, au
moment de l’application de la démarche générale d’évaluation
des risques sanitaires liés à l’exposition aux organismes pathogènes, de prendre en compte certaines particularités spécifiques
des êtres vivants (croissance, acquisition de caractères nouveaux,
adaptabilité) et de la variabilité inter- et intra-individuelle. Une
autre particularité est représentée par l’existence de réservoirs
humains, animaux et environnementaux difficilement maîtrisables [30].
Toutefois, la littérature rapporte un certain nombre de cas
d’application de la démarche générale de l’évaluation des ris-
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti)
ÉMISSION
CONSOMMATION
Nombre d’oo cystes
dans les prélè vements
Données de consommation
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Contamination le jour J
Quantité d’eau consommée
le jour J par l’individu i
Données
expérimentales
EXPOSITION
Quantité d’oo cystes viables ingérée
Relation
dose-réponse
EFFET
Risque d’in fection pour
l’individu i le jour J
Figure 1. Illustration de l’évaluation quantitative des risques sanitaires.
Figure 1. Flowchart of the quantitative health risk assessment.
ques sanitaires liés aux substances chimiques dans le domaine de
la caractérisation du risque microbiologique ou infectieux [31].
La différence, sur le plan méthodologique entre l’estimation du
risque chimique et celle du risque microbiologique ou infectieux, réside dans l’identification des fonctions dose-réponse, et
plus particulièrement dans le choix du modèle de la relation
dose-réponse [32]. Dans cette étude, nous avons donc tenu
compte des rares données trouvées dans la littérature et des
recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des
aliments (Afssa) [33] pour calculer le risque d’exposition des
habitants de l’agglomération de Port-au-Prince en utilisant le
modèle mathématique proposé par Pouillot et al. [34].
Du fait du degré de pathogénicité des cryptosporidies variable en fonction de l’âge (enfant de moins de 5 ans) et de l’état
immunitaire du sujet infecté (sujets VIH+), la population de
l’agglomération de Port-au-Prince exposée au risque a été divisée
en quatre catégories :
– sujets immunocompétents âgés de 5 ans et plus, pour lesquels les risques de la contamination entraînent un risque de
maladie faible ;
– sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus, pour lesquels
les risques de la contamination entraînent un risque de maladie
fort en relation avec le degré de la dépression immunitaire liée à
l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le
risque étant majeur en dessous du seuil de 150 lymphocytes CD4
par mm3 ;
– enfants âgés de moins de 5 ans immunocompétents, pour
lesquels le risque de la contamination entraîne un risque important de maladie ;
– enfants immunodéprimés âgés de moins de 5 ans, pour
lesquels le risque de la contamination entraîne un risque majeur
de maladie avec un pronostic très défavorable.
Le modèle adopté dans le cadre de cette étude pour l’évaluation quantitative des risques microbiologiques liés à la présence
d’oocystes de Cryptosporidium dans l’eau de distribution publique et dans l’eau de réservoirs utilisés par la population s’articule
autour de quatre modules [33] et est présenté dans la figure 1 :
– un module d’émission (ou contamination) : résultats des
analyses (nombre d’oocystes trouvés dans 100 litres d’eau filtrés)
caractérisant la contamination de l’eau ;
– un module d’exposition : prise en compte de la proportion
d’oocystes viables, seuls susceptibles d’entraîner une infection ;
– un module de consommation aboutissant à la caractérisation
de l’ingestion d’eau pour quatre types de populations donnés ;
– un module d’effet aboutissant, à l’aide d’une relation doseréponse, à la caractérisation du risque d’infection et, à l’aide
d’une relation infection-maladie, à celle du risque de maladie
pour la population immunodéprimée.
Module « émission »
L’évaluation de l’émission a été faite à partir des résultats
obtenus par l’analyse de l’eau utilisée par la population dans
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A. Bras, et al.
18 sites de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince entre 2000
et 2002 [27] et à partir des données démographiques disponibles
pour les différentes communes de l’aire métropolitaine. Cent
litres d’eau ont été directement filtrés sur chaque site, soit à partir
du réseau de distribution de la ville, soit à partir de réservoirs
servant à alimenter la population en eau dans les quartiers où il
n’existe pas de réseau de distribution, soit à partir de fontaines
publiques. Les oocystes ont été obtenus en filtrant l’eau sur des
capsules de polyéthersulfone. Les capsules ont été conservées à
4 °C jusqu’au traitement au laboratoire conformément à la
norme Afnor 2000. Les filtres ont été élués avec du tampon PBS,
pH 7,4 additionné de tween 80. Après centrifugation de l’éluat,
les oocystes de Cryptosporidium ont été isolés par séparation
immuno-magnétique à l’aide d’un anticorps monoclonal spécifique. La collecte des billes magnétiques a été effectuée dans un
champ magnétique. Le complexe oocystes/billes a ensuite été
dissocié par HCl 0,1N. Les oocystes isolés ont été marqués par un
anticorps monoclonal anti-Cryptosporidium fluorescent permettant la détection et le comptage par examen au microscope en
épifluorescence par deux observateurs différents.
Module « exposition »
En prenant en compte la performance de la méthode d’analyse et la proportion d’oocystes viables, le nombre d’oocystes
observés lors de l’analyse ne correspond pas au nombre réel
d’oocystes [33]. Dans les conditions d’application de la norme
Afnor (NF T 90-455), les résultats d’intercalibration des laboratoires permettent d’estimer le rendement de la méthode à 40 %
pour les eaux de distribution, avec un intervalle de confiance
95 % de 12,3 %.
Module « consommation »
L’étude prend en compte la consommation quotidienne [35] :
– enfants de moins de 5 ans : 0,75 L/j ;
– enfants âgés de 5 ans et plus et adultes : 2 L/j.
Module « effet » - Relation dose-réponse
Pour les dangers microbiologiques, les modèles les plus
fréquemment utilisés sont les modèles « exponentiel » et « BêtaPoisson ». Selon le principe statistique classique de parcimonie,
et en l’absence de données complémentaires sur le processus
entraînant ou non l’infection, le modèle exponentiel, plus simple, a été retenu dans le cadre de cette étude. C’est d’ailleurs
celui qui est systématiquement utilisé pour les protozoaires, le
modèle « Bêta-Poisson » s’appliquant plutôt à certains entérovirus. L’équation suivante a été utilisée pour déterminer la probabilité d’infection :
Pr = 1 − exp(−rD)
Où :
P : probabilité d’infection d’un individu exposé à une dose D
d’oocystes ;
r : constante correspondant à la probabilité de survie des
oocystes ingérés avec l’eau de boisson par l’hôte (= définition de
l’infection) ;
D : dose ingérée.
358
Les données expérimentales [36, 37] ont été utilisées pour
traiter le module dose-réponse. Pour l’estimation quantitative du
risque biologique, trois hypothèses pessimistes ont été retenues :
i) chaque oocyste présent dans un échantillon a une probabilité
constante égale à 40 % d’être observé indépendamment des
autres oocystes, quel que soit l’échantillon ; ii) on considère que
la probabilité pour un oocyste d’être viable est constante, unique
et indépendante des autres oocystes (hypothèse forte) ; iii) on
considère que les oocystes viables sont tous potentiellement
infectants.
Résultats
La répartition géographique des points d’eau testés dans
l’aire métropolitaine et la concentration moyenne en oocystes
dans l’eau pour chaque zone sont montrées dans la figure 2. Le
risque d’infection calculé pour un jour donné pour chacun des
quatre groupes de population dans les quatre parties de la ville
étudiées (centre de Port-au-Prince, Delmas, Pétion-Ville et Carrefour) est donné dans les tableaux 1 à 4.
Discussion
L’agglomération de Port-au-Prince, capitale d’Haïti fondée
en 1743 sur la côte au fond du golfe de la Gonâve, s’étale
aujourd’hui dans la partie sud-ouest de la Plaine du Cul-de-Sac,
le long de l’étroite bande côtière à l’ouest jusqu’à Mariani, et
grimpe sur les piémonts du massif de la Selle au sud. Cette
structure urbaine regroupe les municipalités de Port-au-Prince,
Carrefour, Delmas – qui englobe Cité Soleil, immense bidonville
qui fait régulièrement la une de l’actualité internationale, Delmas
proprement dit et Tabarre –, et enfin les zones résidentielles de
Pétionville (700-1 000 mètres d’altitude) et de Kenscoff (1 4001 500 mètres d’altitude). La zone urbaine accueille actuellement
2 164 207 habitants selon le dernier recensement [38] contre
715 959 habitants en 1980 [39], soit un triplement de la population en 20 ans. Un quart de la population d’Haïti vit dans l’aire
métropolitaine qui connaît une croissance démographique
explosive, accompagnée du développement d’un prolétariat
urbain et d’une « bidonvillisation » incontrôlée. Aujourd’hui,
avec une disponibilité de 23,7 millions de m3 d’eau par an [40],
Port-au-Prince ne peut fournir que 11,85 m3/an à chacun de ses
2 164 207 habitants.
Les déchets sont dispersés dans les ravines (figure 3), sur les
places, dans les marchés publics et s’accumulent dans les canaux
de drainage à ciel ouvert (figure 4) et dans le bas de la ville
(figures 5 et 6) contribuant à la dégradation de l’environnement.
L’agglomération produit environ 3 110 m3 de déchets solides par
jour et l’on estimait à 2 000 tonnes la masse des excréments
éliminés quotidiennement par la population humaine de Port-auPrince en 1996 [39]. En outre, dans les quartiers populaires, de
nombreux animaux domestiques sont présents, notamment des
porcs et des chiens que l’on voit régulièrement chercher leur
nourriture dans les tas d’immondices qui s’accumulent dans les
ravines et dans le bas de la ville (figure 5). Par ailleurs, l’accumu-
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
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UNIVERSITÉ QUIS
QUISQUEYA
UISQUE
UEYA
Car efour
Carrefour
5.5 Marin
Laboratoire de la qualité de l’eau et de l’environnement
1274 - Delmas 6
Concentration des oocytes dans
l’eau de boisson à Port-au-Prince
Légende
Lieu-dit
Axes urbains
Point de prélèvement
Voies d’eau
Quantité d’oocystes
pour 100 L
Zéro oocyste
pour 100 L
Limite de commune
4.5 Tabar
Tabarre
abarre
Zone d’habitat
La Plaine
Zone d’équipement
Cité Soleil
17.3
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Cité Soleil
1,274 Delmas 6
Delmas
La Saline
10
Cx des
Bossales
ruman 2.8
Blvd H. Truman
St Martin
Siloe
Cite St Georges
Bel-Air
Fort
ort National
38
Delmas 33
Nazon
Chemin
des Dalles
4
12
Christ-Roi
Delmas 75
Bois Verna
erna
5
Bizoton
Savane
ane
Salee
6.9
Bolosse
Saint-Gerard
Saint-Ge
4.6
Fontamara
ontamara
Fontama
Bizoton
Fragneau
agneau Ville
ille
Port-au-Prince
ort-au-Prince
Me cedi
Fort
ort Mercedi
Babiole
Musseau
8
Pacot
acot
Jaquet
aquet
Delmas 66
Deprez
ez
Bolosse la foi Dep
Ne ette
Nerette
N
48.6
Pétion ville
Échelle : 1/65 000
UTM, WGS84
0
1
Traitement des données : LAQUE
Données physiques de base: CNIGS
Réalisation cartographique: Obicson LILITE
Chavannes
Ch annes
Peguy
eguy ville
ille
Pétion Ville
2
Kilomètres
9.2 Berthe
Boutilier
Morne L’Hopital
’Hopital
Morne Calvaire
Cal arie
Calvarie
3.2
Tete
ete de l’eau
Dupont
Figure 2. Représentation graphique de la contamination des points d’eau de consommation étudiés dans la zone métropolitaine de
Port-au-Prince (nombre d’oocystes de Cryptosporidium sp pour 100 litres d’eau filtrée).
Figure 2. Graphic representations of the contamination of the water points studied in the Port-au-Prince metropolitan area (number of
Cryptosporidium sp per 100 litres of filtered water).
lation des déchets organiques dans l’environnement urbain favorise la pullulation murine, réservoir de Cryptosporidium muris,
espèce récemment trouvée chez l’homme au Pérou [41]. Or le
système de ramassage ne peut éliminer que 30 % des déchets
produits et le taux de latrinisation dans les quartiers populaires
« bidonvillisés » et surpeuplés est faible. Dans un tel contexte,
tous ces déchets dévalent dans les rues en pente au moment des
fortes précipitations et se déposent dans les parties basses de la
capitale en obstruant les égouts. Il s’ensuit l’inondation des
quartiers en bordure de mer et des crues encore plus importantes
à chaque averse. Ces inondations périodiques sont dangereuses
sur le plan sanitaire à cause des ordures ménagères et des
déjections humaines et animales qui contaminent les eaux de
ruissellement. Elles s’infiltrent dans le réseau de distribution
d’eau potable, dont les canalisations vétustes et mal entretenues
se trouvent en surface dans de nombreuses rues. Ces conditions
d’insalubrité urbaine expliquent le taux particulièrement élevé
de contamination par des oocystes de cryptosporidies des eaux
de consommation humaine à Port-au-Prince où, sur 18 sites
analysés, 16 étaient contaminés, soit un taux de contamination
de 89 % [27].
Dans le cadre de cette étude limitée, seulement deux quartiers résidentiels (Pacot et Delmas 33) présentent un risque
estimé nul, la filtration d’au moins 100 litres d’eau de consommation n’ayant pas retrouvé d’oocystes en décembre 2000 dans
une fontaine publique (Pacot) et dans le réseau de distribution
(Delmas 33). Dans les 16 autres, il varie en fonction de la
quantité d’oocystes retrouvée. Il est majeur dans le quartier de
Delmas 6, quartier populaire où existent de nombreuses zones
« bidonvillisées » et surpeuplées, où l’eau du réservoir examiné
était très fortement contaminée. Il est important dans deux zones
où l’on s’y attendait moins, à savoir le Chemin des Dalles (eau du
réseau de distribution) dans un quartier encore traditionnel de
Port-au-Prince moins surpeuplé que beaucoup d’autres, et dans
le centre de Pétionville (eau d’un réservoir), zone résidentielle.
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
359
A. Bras, et al.
Tableau 1. Risque d’infection pour la population immunocompétente âgée de 5 ans et plus dans les quatre zones de
Port-au-Prince étudiées.
Table 1. Risk of infection for the immunocompetent population aged 5 years and older in the four study areas of Port-au-Prince.
Population ≥
N
Rendement
N
5 ans
oocystes/
40%
oocystes/
immunocompétente
100 L
2 L/jour
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Zone
(origine
du prélèvement)*
Port-au-Prince/centre
Bolosse (Rés)
Bolosse la Foi (Rés)
Rue Saint Martin (Rés)
Christ-Roi (RD)
Chemin des Dalles (RD)
Pacot (FP)
Bd Harry Truman (RD)
Delmas
Delmas 75 (RD)
Delmas 66 (Rés)
Delmas 33 (RD)
Delmas 6 (Rés)
Cité Soleil (Rés)
Tabarre la Plaine (FP)
Carrefour Marin (Rés)
Pétionville
Pétionville / centre (Rés)
Berthe-Péguyville (FP)
Tête de l’Eau (RD)
Carrefour
Bizoton (RD)
Risque d’infection
à 1 jour donné (%)
607 279
Moyenne du risque
à 1 jour dans la zone (%)
1,2
6,9
4 ,6
10
4
38
0
2,8
2,76
1,84
4
1,6
15,2
0
1,12
0,0552
0,0368
0,08
0,032
0,304
0
0,0224
1
1
1
1
2
0
1
12
8
0
1 274
17,3
4,5
5,5
4,8
3,2
0
509,6
6,92
1,8
2,2
0,096
0,064
0
10,192
0,1384
0,036
0,044
1
1
0
5
1
1
1
48,6
9,2
3,2
19,44
3,68
1,28
0,3888
0,0736
0,0256
2
1
1
5
2
0,04
1
580 292
2
240 956
1,3
319 030
1
* Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique.
Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain.
Tableau 2. Risque d’infection pour la population immunodéprimée âgée de 5 ans et plus dans les quatre zones de Port-auPrince étudiées.
Table 2. Risk of infection for the immunocompromised population aged 5 years and older in the four study areas of Port-au-Prince.
Zone
(origine
du prélèvement)*
Population
≥ 5 ans
immunodéprimée
Port-au-Prince/centre
Bolosse (Rés)
Bolosse la Foi (Rés)
Rue Saint Martin (Rés)
Christ-Roi (RD)
Chemin des Dalles (RD)
Pacot (FP)
Bd Harry Truman (RD)
Delmas
Delmas 75 (RD)
Delmas 66 (Rés)
Delmas 33 (RD)
Delmas 6 (Rés)
Cité Soleil (Rés)
Tabarre la Plaine (FP)
Carrefour Marin (Rés)
Pétionville
Pétionville / centre (Rés)
Berthe-Péguyville (FP)
Tête de l’Eau (RD)
Carrefour
Bizoton (RD)
N
oocystes/
100 L
Rendement
40 %
N
oocystes/
2 L/jour
Risque d’infection
à 1 jour donné (%)
6,9
4,6
10
4
38
0
2,8
2,76
1,84
4
1,6
15,2
0
1,12
0,0552
0,0368
0,08
0,032
0,304
0
0,0224
2
1
3
1
11
0
1
12
8
0
1 274
17,3
4,5
5,5
4,8
3,2
0
509,6
6,92
1,8
2,2
0,096
0,064
0
10,192
0,1384
0,036
0,044
3
2
0
97
5
1
2
48,6
9,2
3,2
19,44
3,68
1,28
0,3888
0,0736
0,0256
13
3
1
5
2
0,04
1
31 962
Moyenne du risque
à 1 jour dans la zone (%)
3,2
30 541
18,4
12 681
5,4
16 791
1
* Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique.
Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain.
360
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti)
Tableau 3. Risque d’infection pour la population immunocompétente âgée de moins de 5 ans dans les quatre zones de
Port-au-Prince étudiées.
Table 3. Risk of infection for the immunocompetent population younger than 5 years in the four study areas of Port-au-Prince.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
Zone
(origine
du prélèvement)*
Population < 5 ans
immunocompétente
Port-au-Prince/centre
Bolosse (Rés)
Bolosse la Foi (Rés)
Rue Saint Martin (Rés)
Christ-Roi (RD)
Chemin des Dalles (RD)
Pacot (FP)
Bd Harry Truman (RD)
Delmas
Delmas 75 (RD)
Delmas 66 (Rés)
Delmas 33 (RD)
Delmas 6 (Rés)
Cité Soleil (Rés)
Tabarre la Plaine (FP)
Carrefour Marin (Rés)
Pétionville
Pétionville / centre (Rés)
Berthe-Péguyville (FP)
Tête de l’Eau (RD)
Carrefour
Bizoton (RD)
N
oocystes/
100 L
Rendement
40 %
N
oocystes/
0,75 L /jour
Risque d’infection
à 1 jour donné (%)
6,9
4,6
10
4
38
0
2,8
2,76
1,84
4
1,6
15,2
0
1,12
0,0207
0,0138
0,03
0,012
0,114
0
0,0084
1
1
1
1
1
0
0
12
8
0
1 274
17,3
4,5
5,5
4,8
3,2
0
509,6
6,92
1,8
2,2
0,036
0,024
0
3,822
0,0519
0,0135
0,0165
1
1
0
2
1
1
1
48,6
9,2
3,2
19,44
3,68
1,28
0,1458
0,0276
0,0096
1
1
1
5
2
0,015
1
62 260
Moyenne du risque
à 1 jour dans la zone (%)
0,8
65 377
1,5
27 945
1
36 191
1
* Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique.
Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain.
Tableau 4. Risque d’infection pour la population immunodéprimée âgée de moins de 5 ans dans les quatre zones de
Port-au-Prince étudiées.
Table 4. Risk of infection for the immunocompromised population younger than 5 years in the four study areas of Port-au-Prince.
Zone
(origine
du prélèvement)*
Population < 5 ans
immunodéprimée
Port-au-Prince/centre
Bolosse (Rés)
Bolosse la Foi (Rés)
Rue Saint Martin (Rés)
Christ-Roi (RD)
Chemin des Dalles (RD)
Pacot (FP)
Bd Harry Truman (RD)
Delmas
Delmas 75 (RD)
Delmas 66 (Rés)
Delmas 33 (RD)
Delmas 6 (Rés)
Cité Soleil (Rés)
Tabarre la Plaine (FP)
Carrefour Marin (Rés)
Pétionville
Pétionville / centre (Rés)
Berthe-Péguyville (FP)
Tête de l’Eau (RD)
Carrefour
Bizoton (RD)
N
oocystes/
100 L
Rendement
40 %
N
oocystes/
0,75 L /jour
Risque d’infection
à 1 jour donné (%)
6,9
4,6
10
4
38
0
2,8
2,76
1,84
4
1,6
15,2
0
1,12
0,0207
0,0138
0,03
0,012
0,114
0
0,0084
1
0
1
0
4
0
0
12
8
0
1 274
17,3
4,5
5,5
4,8
3,2
0
509,6
6,92
1,8
2,2
0,036
0,024
0
3,822
0,0519
0,0135
0,0165
1
1
0
74
2
0
1
48,6
9,2
3,2
19,44
3,68
1,28
0,1458
0,0276
0,0096
5
3
0
5
2
0,015
1
3 276
Moyenne du risque
à 1 jour dans la zone (%)
1
3 440
13,2
1 470
3
1 904
1
* Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique.
Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain.
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361
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A. Bras, et al.
Figure 3. Ravine encombrée de détritus dans le quartier de Pacot
(photo : C. Raccurt, 2006).
Figure 3. Ravine cluttered with rubbish in the neighborhood of
Pacot (photo: C. Raccurt, 2006).
Figure 5. Tas d’ordures accumulés au bas de la ville dans la zone
de Martissant, Carrefour et fréquentés par des porcs (photo :
C. Raccurt, 2006).
Figure 5. Piles of trash accumulated at the bottom of the city in the
area of Martissant and Carrefour and visited by pigs (photo:
C. Raccurt, 2006).
À Delmas 6, le nombre d’oocystes dénombré au moment de
l’enquête, et en conséquence le risque qui en découle, est
peut-être le résultat d’une contamination accidentelle du réservoir concerné. Par ailleurs, la zone dispose d’un centre hospitalier sans station d’épuration dont les effluents des activités de
soins sont directement rejetés dans le réseau de drainage des
eaux pluviales de la ville. De plus, le réseau d’approvisionnement en eau de la zone est vétuste. Les canalisations principales
et secondaires traversent en certains points le canal de drainage à
ciel ouvert des eaux pluviales, collecteur des eaux usées domes-
Figure 4. Canal de drainage encombré de détritus (Bois de Chêne
canalisé) à proximité du marché Salomon (photo : C. Raccurt,
2006).
Figure 4. Drainage channel cluttered with rubbish (Bois de Chêne
canal) near the Salomon market (photo: C. Raccurt, 2006).
362
Figure 6. Ordures accumulées sur le Boulevard Harry Truman au
bas de la ville, avec nombreuses marchandes de légumes à
proximité (photo : C. Raccurt, 2006).
Figure 6. Garbage accumulated on Harry Truman Boulevard at the
bottom of the city, with numerous vegetables merchants nearby
(photo: C. Raccurt, 2006).
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Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti)
tiques et industrielles. Dans un tel contexte, il devient impératif
pour les autorités sanitaires de mettre en place un système de
suivi de la qualité de l’eau de boisson distribuée dans cette zone.
Cependant, les prélèvements réalisés au cours de cette étude
n’ayant pas tous été effectués au même moment, il n’est pas
possible de comparer strictement entre eux les résultats obtenus
pour la détermination relative du risque par quartier. En outre,
certaines zones fortement peuplées, comme Carrefour, n’ont
bénéficié, au cours de cette étude, que d’un seul point de
prélèvement (Bizoton), ce qui est notoirement insuffisant pour
apprécier la situation réelle du risque pour l’ensemble de la zone.
Il faut préciser, à cet égard, que l’étude a été menée dans le cadre
de deux missions courtes (14-24 décembre 2000 et 25 août5 septembre 2001). Par ailleurs, la présence d’animaux domestiques, notamment de porcs, est importante dans certaines zones
et joue certainement un rôle non négligeable dans le degré de
pollution fécale de l’environnement. Or le rôle des animaux n’a
pu être analysé de façon précise, faute de données sur la densité
animale par quartier ou par zone à Port-au-Prince.
Pour les sujets immunocompétents, le risque a été estimé en
se basant sur les informations rapportées dans la littérature sur la
dose infectante des cryptosporidies [36]. Il n’est pas négligeable
pour la population âgée de 5 ans et plus puisqu’il s’établit en
moyenne entre 1 et 2 % selon le quartier. Pour les enfants de
moins de 5 ans, il est à peu près constant (1 %) dans les différentes zones étudiées.
Pour les sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus, les
résultats expérimentaux publiés [37] ont servi de cadre théorique
pour l’estimation du risque. Pour les sujets des deux populations
immunodéprimées, on a considéré que la probabilité de maladie
d’un individu infecté est de 1 (hypothèse forte, sécuritaire). Selon
cette hypothèse, le risque d’infection est égal au risque de maladie dans cette sous-population et le nombre d’infections est égal
au nombre de cas cliniques de cryptosporidiose. Par ailleurs, le
nombre de personnes contaminées par le VIH en Haïti est estimé
approximativement à 400 000, soit 5 % de la population totale
qui est de 8 304 062 habitants [38]. Les autres causes d’immunodépression en Haïti sont rares, et de toutes façons non documentées. En admettant que les 5 % sont uniformément répartis à
travers le pays, le risque d’infection calculé varie de 1 % à 97 %,
selon le quartier et l’âge, les sujets les plus exposés étant évidemment ceux habitant à Delmas 6 où le risque est de 97 % pour les
sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus et de 74 % pour les
enfants immunodéprimés âgés de moins de 5 ans.
Dans la population âgée de 5 ans et plus, le nombre moyen
de personnes infectées chez les immunocompétents et le nombre
moyen de personnes infectées et malades chez les immunodéprimés pour la région métropolitaine de Port-au-Prince
seraient donc, respectivement, 23 844 sujets infectés et
7 494 infectés et malades. Seuls ces derniers développeront en
effet une cryptosporidiose grave avec un risque mortel majeur.
Pour les enfants âgés de moins de 5 ans immunodéprimés, le
risque d’infection est égal au risque de maladie. Ainsi, dans la
région métropolitaine de Port-au-Prince, 1 916 enfants immunocompétents et 549 enfants immunodéprimés âgés de moins de
5 ans sont susceptibles d’être infectés par le parasite à partir de
l’eau consommée. Nous ne possédons aucune donnée d’enquêtes épidémiologiques estimant les taux de morbidité selon les
quartiers, à Port-au-Prince, ou selon les groupes d’âges, permettant de valider les estimations de risques présentées dans cette
étude. En tout état de cause, la cryptosporidiose, tant chez les
enfants que chez les malades du sida, n’est pas rare en Haïti, bien
au contraire, et reste grave chez les jeunes enfants, qu’ils soient
ou non infectés par le VIH, surtout dans un contexte où la
malnutrition est fréquente. Cette étude donne pour la première
fois une indication chiffrée des risques de cryptosporidiose liés à
la consommation de l’eau à Port-au-Prince en fonction des
groupes de population exposés séparés selon l’âge et le statut
immunitaire.
Conclusion
L’espace urbain dégradé crée un milieu épidémiologique
spécifique, particulièrement dans les pays du Sud où s’accumulent pauvreté et « tropicalité » ; la circulation des agents pathogènes au sein de la population transite par des intermédiaires,
parmi lesquels l’eau joue un rôle majeur. À Port-au-Prince, les
oocystes de cryptosporidies sont largement présents aussi bien
dans l’eau de consommation distribuée par adduction publique
que dans celle conservée dans des réservoirs, témoignant de
l’importance de la contamination fécale. L’estimation des risques
biologiques liés à la présence de ce protozoaire a été quantifiée
entre 1 et 97 % selon le degré de contamination du point d’eau
testé et le groupe de population. Ces premiers résultats permettent d’avancer que la qualité de l’eau utilisée pour la consommation humaine dans cet espace urbain représente une condition
critique à prendre en compte dans la mise en place de toute
politique de santé publique. Dans la perspective de réduire ou
d’éliminer les risques d’infection liés à la contamination de l’eau,
il faudra à l’avenir élaborer une démarche adéquate pour le
contrôle permanent de la qualité microbiologique de l’eau et
l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène pour les habitants. Cette politique passera avant tout par la mise en œuvre de
mesures pour améliorer la salubrité et la fonctionnalité de
l’espace urbain, dont la dégradation est la principale cause de la
contamination.
n
Remerciements
Cette étude a bénéficié en partie d’un financement de l’Agence
nationale de la recherche sur le sida (ANRS) et du ministère de la
Recherche dans le cadre du programme VIHPAL (ANRS n° :
2000/157).
Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007
363
A. Bras, et al.
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