Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent
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Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent
Article original Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. ANIE BRAS1 EVENS EMMANUEL1 LILITE OBICSON2 PHILIPPE BRASSEUR3 JEAN W. PAPE4,5 CHRISTIAN P. RACCURT6 1 Laboratoire de qualité de l’eau et de l’environnement, Université Quisqueya, BP 796, Port-au-Prince, Haïti <[email protected]> 2 Centre d’applications en télédétection et en systèmes d’informations géographiques, Université Quisqueya, BP 796, Port-au-Prince Haïti <[email protected]> <[email protected]> 3 Unité de recherche 077, Institut de recherche pour le développement (IRD), Centre de Hann, Dakar Sénégal <[email protected]> 4 Groupe haïtien d’étude du syndrome de Kaposi et des infections opportunistes (Gheskio), Institut national de laboratoire et de recherche, Port-au-Prince, Haïti <[email protected]> 5 Weill Medical College, Cornell University, New York USA <[email protected]> doi: 10.1684/ers.2007.0106 6 Université de Picardie Jules Verne, Centre hospitalier universitaire d’Amiens, Hôpital Sud, Service de parasitologie et mycologie médicales, 80054 Amiens cedex 1 France <[email protected]> Résumé. La cryptosporidiose, cause fréquente de diarrhée en Haïti, est transmise à l’homme par l’intermédiaire de l’eau et des aliments contenant les oocystes de cryptosporidies. Dans la population, les groupes spécifiques ayant un niveau de risque très élevé sont les enfants, les personnes sous-alimentées et les malades contaminés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Une étude récente a démontré la présence d’oocystes (de 4 à 1 274 pour 100 litres d’eau) dans 16 des 18 points d’eau analysés à Port-au-Prince (89 %). L’exposition de la population à une telle concentration peut générer d’importants risques sanitaires pour les enfants et pour les sujets immunodéprimés. L’objectif de ce travail était d’évaluer les risques biologiques liés à la présence de ce parasite dans l’eau destinée à la consommation humaine dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Un modèle exponentiel a été utilisé dans le calcul de la probabilité de développer une infection pour des populations : sujets immunocompétents et immunodéprimés âgés de moins de 5 ans et de 5 ans et plus. Dans les quartiers où l’eau contenait des oocystes de Cryptosporidium, le niveau de risque d’infection calculé s’établit entre 1 et 5 % pour la population immunocompétente ; pour la population immunodéprimée ce niveau de risque calculé varie de 1 à 97 % selon la charge en oocystes des eaux consommées. Cette étude confirme la nécessité d’une surveillance de la qualité microbiologique de l’eau dans la perspective de réduire la morbidité des infections liées à la consommation d’eau contaminée. Mots clés : Cryptosporidium ; eau potable ; évaluation risque ; exposition environnement ; Haïti. Abstract Assessment of the risks of Cryptosporidium oocysts in drinking water in Port-au-Prince (Haiti) Cryptosporidiosis is one of the most frequent causes of diarrhoea in Haiti. Its transmission to humans, and in particular the groups at highest risk – children younger than five, people with HIV infection, and the undernourished – occurs through food and water containing Cryptosporidium oocysts. Recent studies demonstrate that the concentration of oocysts in 100 litres of the drinking water used by the population in Port-au-Prince (Haiti) ranges from 4 to 1,274 oocysts in 16 of the 18 water points sampled (89%). The aim of this study was to evaluate the risks associated with this parasite in the drinking water of the Port-au-Prince metropolitan area. An exponential model was used to mark on the probability of an increasing infection. Four populations were considered: immunocompetent and immunodeficient children younger than five years, and immunocompetent and immunodeficient people five years or older. The risk of infestation in the immunocompetent portion of the population was 1% to 5%, and in the immunodeficient portion, 1% to 97%, according to the Cryptosporidium oocyst concentration. It is necessary to monitor and improve the microbiologic quality of drinking water to reduce the risk of human infections with pathogenic microorganisms related to biological pollution in Haiti. Key words: Cryptosporidium; drinking water; environmental exposure; Haiti; risk assessment. Tirés à part : C.P. Raccurt Article reçu le 15 février 2007, accepté le 26 juin 2007 Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 355 A. Bras, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. L’ eau de boisson est l’un des principaux vecteurs d’agents pathogènes responsables de maladies, particulièrement dans les pays tropicaux [1]. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 80 % des maladies qui affectent la population mondiale lui sont directement associées [2]. C’est pourquoi la surveillance de la qualité de l’eau est devenue une priorité de santé publique dans le monde entier. Pour évaluer le risque microbiologique relatif à l’eau de boisson, les indicateurs bactériens de contamination fécale sont largement utilisés. Cependant, un certain nombre d’épisodes épidémiques liés à la consommation d’eau proviennent également d’agents non bactériens, dont les protozoaires intestinaux, et parmi eux les coccidies [3-6] pour lesquels le suivi de ces indicateurs n’est pas totalement satisfaisant. Les cryptospories, coccidies mondialement répandues, sont éliminées avec les selles sous forme d’oocystes résistants à la désinfection chimique standard par chloration. Ceux-ci présentent un haut pouvoir infectant et peuvent survivre pendant plusieurs mois dans le milieu extérieur à une température de 30 °C [7]. Entre 1980 et 1995, une vingtaine d’épidémies de crypstoridiose intestinale ont été rapportées dans le monde [8]. La plus spectaculaire a été celle survenue à Milwaukee, aux États-Unis en 1993, avec 403 000 personnes contaminées, dont 4 400 hospitalisées et 69 décédées par suite du passage d’oocystes de cryptosporidies dans l’eau de distribution de la ville [9]. La cause de cet événement était due à l’insuffisance des capacités de traitement de l’eau de distribution urbaine du fait de conditions météorologiques exceptionnelles ayant entraîné une contamination massive de la ressource. Les groupes spécifiques les plus vulnérables sont classiquement les enfants en bas âge, les personnes sous-alimentées, les patients immunodéficients, en particulier ceux infectés par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Chez les sujets immunocompétents, les symptômes sont relativement bénins et l’infestation peut rester asymptomatique [10-14]. En revanche, l’infection des sujets immunodéprimés, notamment ceux contaminés par le VIH, provoque une diarrhée chronique d’autant plus sévère que l’immunodépression est forte (CD4 < 150/mm3), entraînant déshydratation et perte de poids responsables d’une mort rapide [15-18]. L’extension en nombre des sujets immunodéprimés soit du fait de l’épidémie de sida dans le monde, soit à un moindre degré à cause de l’utilisation croissante des immunosuppresseurs pour le traitement de maladies chroniques, soit en raison de la généralisation des transplantations d’organe ou de tissus nécessitant une suppression provisoire des défenses immunitaires du receveur, entraîne l’émergence ou la réémergence des protozooses intestinales, dont la cryptosporidiose, notamment dans les pays industrialisés. En zone tropicale et dans des conditions socio-économiques défavorables, la cryptosporidiose de l’enfant s’associe à un risque de diarrhée prolongée, de malnutrition, et éventuellement de retard psychomoteur [19-21]. Elle est l’une des premières causes de morbidité et de mortalité chez les sujets atteints du sida [22]. La prévalence de la cryptosporidiose aux États-Unis et en Europe est de 1 à 3 %. Dans les pays en développement, elle oscille entre 4 et 20 %, et chez les malades atteints du sida, elle peut dépasser 50 % [23]. En Haïti, où la cryptosporidiose intes- 356 tinale est due à au moins trois espèces - Cryptosporidium hominis, C. parvum et C. felis [24] - les cryptosporidies sont responsables de 17 % des diarrhées aiguës chez les enfants de moins de 2 ans [25] et de 30 % des diarrhées chroniques chez les patients contaminés par le VIH avant l’accès aux antirétroviraux [22, 26]. La contamination des eaux de consommation humaine par les oocystes de cryptosporidies constitue donc un problème de santé publique majeur dans les pays en développement, et ces situations demandent à être mieux évaluées. Des études réalisées sur les points d’eau de la région métropolitaine de Port-au-Prince ont montré la présence d’oocystes de Cryptosporidium dans les eaux de surface, dans celles des réservoirs et des puits et dans l’eau distribuée par les systèmes d’adduction publique [27]. Ce travail se propose de faire une estimation quantitative du risque relatif à la consommation d’eau de boisson contaminée par Cryptosporidium sp dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Matériel et méthode Pendant la période de l’étude (2000-2001), 18 points d’eau utilisés par la population pour l’approvisionnement en eau, répartis dans l’agglomération de Port-au-Prince, ont été analysés une seule fois chacun mais à des périodes différentes en prélevant au moins 100 litres. L’eau provenait de 8 réservoirs, de 7 points du réseau de distribution de la ville et de 3 fontaines publiques. Le choix des sites de prélèvement a été fait en fonction des quartiers de résidence des patients VIH+ suivis dans les centres du Groupe haïtien d’étude du syndrome de Kaposi et des infections opportunistes (Gheskio). La démarche générale de l’évaluation du risque sanitaire s’articule en quatre étapes [28] : identification du danger ; étude de la relation dose-réponse ; estimation de l’exposition ; caractérisation du risque. Dans le domaine des risques chimiques, les guides méthodologiques renvoient aux outils disponibles, qu’il s’agisse des modèles ou des bases de données toxicologiques et physico-chimiques. Dans le domaine biologique en revanche, la démarche d’analyse n’est pas aussi avancée [29]. Les données pour évaluer le risque lié à des expositions environnementales font souvent défaut. De plus, le risque biologique présente de nombreuses spécificités qui empêchent une simple transposition de la méthodologie du domaine chimique au domaine biologique. En effet, la transmission d’un agent infectieux impose la coexistence de trois éléments indispensables à la réalisation de cette « chaîne » : i) une source de l’agent pathogène ou opportuniste touchant des sujets fragilisés ; ii) un mode de transmission ; et iii) un sujet réceptif. L’agent infectieux est capable de se multiplier dans l’organisme hôte. Cette caractéristique oblige, au moment de l’application de la démarche générale d’évaluation des risques sanitaires liés à l’exposition aux organismes pathogènes, de prendre en compte certaines particularités spécifiques des êtres vivants (croissance, acquisition de caractères nouveaux, adaptabilité) et de la variabilité inter- et intra-individuelle. Une autre particularité est représentée par l’existence de réservoirs humains, animaux et environnementaux difficilement maîtrisables [30]. Toutefois, la littérature rapporte un certain nombre de cas d’application de la démarche générale de l’évaluation des ris- Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti) ÉMISSION CONSOMMATION Nombre d’oo cystes dans les prélè vements Données de consommation Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Contamination le jour J Quantité d’eau consommée le jour J par l’individu i Données expérimentales EXPOSITION Quantité d’oo cystes viables ingérée Relation dose-réponse EFFET Risque d’in fection pour l’individu i le jour J Figure 1. Illustration de l’évaluation quantitative des risques sanitaires. Figure 1. Flowchart of the quantitative health risk assessment. ques sanitaires liés aux substances chimiques dans le domaine de la caractérisation du risque microbiologique ou infectieux [31]. La différence, sur le plan méthodologique entre l’estimation du risque chimique et celle du risque microbiologique ou infectieux, réside dans l’identification des fonctions dose-réponse, et plus particulièrement dans le choix du modèle de la relation dose-réponse [32]. Dans cette étude, nous avons donc tenu compte des rares données trouvées dans la littérature et des recommandations de l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa) [33] pour calculer le risque d’exposition des habitants de l’agglomération de Port-au-Prince en utilisant le modèle mathématique proposé par Pouillot et al. [34]. Du fait du degré de pathogénicité des cryptosporidies variable en fonction de l’âge (enfant de moins de 5 ans) et de l’état immunitaire du sujet infecté (sujets VIH+), la population de l’agglomération de Port-au-Prince exposée au risque a été divisée en quatre catégories : – sujets immunocompétents âgés de 5 ans et plus, pour lesquels les risques de la contamination entraînent un risque de maladie faible ; – sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus, pour lesquels les risques de la contamination entraînent un risque de maladie fort en relation avec le degré de la dépression immunitaire liée à l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), le risque étant majeur en dessous du seuil de 150 lymphocytes CD4 par mm3 ; – enfants âgés de moins de 5 ans immunocompétents, pour lesquels le risque de la contamination entraîne un risque important de maladie ; – enfants immunodéprimés âgés de moins de 5 ans, pour lesquels le risque de la contamination entraîne un risque majeur de maladie avec un pronostic très défavorable. Le modèle adopté dans le cadre de cette étude pour l’évaluation quantitative des risques microbiologiques liés à la présence d’oocystes de Cryptosporidium dans l’eau de distribution publique et dans l’eau de réservoirs utilisés par la population s’articule autour de quatre modules [33] et est présenté dans la figure 1 : – un module d’émission (ou contamination) : résultats des analyses (nombre d’oocystes trouvés dans 100 litres d’eau filtrés) caractérisant la contamination de l’eau ; – un module d’exposition : prise en compte de la proportion d’oocystes viables, seuls susceptibles d’entraîner une infection ; – un module de consommation aboutissant à la caractérisation de l’ingestion d’eau pour quatre types de populations donnés ; – un module d’effet aboutissant, à l’aide d’une relation doseréponse, à la caractérisation du risque d’infection et, à l’aide d’une relation infection-maladie, à celle du risque de maladie pour la population immunodéprimée. Module « émission » L’évaluation de l’émission a été faite à partir des résultats obtenus par l’analyse de l’eau utilisée par la population dans Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 357 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. A. Bras, et al. 18 sites de l’aire métropolitaine de Port-au-Prince entre 2000 et 2002 [27] et à partir des données démographiques disponibles pour les différentes communes de l’aire métropolitaine. Cent litres d’eau ont été directement filtrés sur chaque site, soit à partir du réseau de distribution de la ville, soit à partir de réservoirs servant à alimenter la population en eau dans les quartiers où il n’existe pas de réseau de distribution, soit à partir de fontaines publiques. Les oocystes ont été obtenus en filtrant l’eau sur des capsules de polyéthersulfone. Les capsules ont été conservées à 4 °C jusqu’au traitement au laboratoire conformément à la norme Afnor 2000. Les filtres ont été élués avec du tampon PBS, pH 7,4 additionné de tween 80. Après centrifugation de l’éluat, les oocystes de Cryptosporidium ont été isolés par séparation immuno-magnétique à l’aide d’un anticorps monoclonal spécifique. La collecte des billes magnétiques a été effectuée dans un champ magnétique. Le complexe oocystes/billes a ensuite été dissocié par HCl 0,1N. Les oocystes isolés ont été marqués par un anticorps monoclonal anti-Cryptosporidium fluorescent permettant la détection et le comptage par examen au microscope en épifluorescence par deux observateurs différents. Module « exposition » En prenant en compte la performance de la méthode d’analyse et la proportion d’oocystes viables, le nombre d’oocystes observés lors de l’analyse ne correspond pas au nombre réel d’oocystes [33]. Dans les conditions d’application de la norme Afnor (NF T 90-455), les résultats d’intercalibration des laboratoires permettent d’estimer le rendement de la méthode à 40 % pour les eaux de distribution, avec un intervalle de confiance 95 % de 12,3 %. Module « consommation » L’étude prend en compte la consommation quotidienne [35] : – enfants de moins de 5 ans : 0,75 L/j ; – enfants âgés de 5 ans et plus et adultes : 2 L/j. Module « effet » - Relation dose-réponse Pour les dangers microbiologiques, les modèles les plus fréquemment utilisés sont les modèles « exponentiel » et « BêtaPoisson ». Selon le principe statistique classique de parcimonie, et en l’absence de données complémentaires sur le processus entraînant ou non l’infection, le modèle exponentiel, plus simple, a été retenu dans le cadre de cette étude. C’est d’ailleurs celui qui est systématiquement utilisé pour les protozoaires, le modèle « Bêta-Poisson » s’appliquant plutôt à certains entérovirus. L’équation suivante a été utilisée pour déterminer la probabilité d’infection : Pr = 1 − exp(−rD) Où : P : probabilité d’infection d’un individu exposé à une dose D d’oocystes ; r : constante correspondant à la probabilité de survie des oocystes ingérés avec l’eau de boisson par l’hôte (= définition de l’infection) ; D : dose ingérée. 358 Les données expérimentales [36, 37] ont été utilisées pour traiter le module dose-réponse. Pour l’estimation quantitative du risque biologique, trois hypothèses pessimistes ont été retenues : i) chaque oocyste présent dans un échantillon a une probabilité constante égale à 40 % d’être observé indépendamment des autres oocystes, quel que soit l’échantillon ; ii) on considère que la probabilité pour un oocyste d’être viable est constante, unique et indépendante des autres oocystes (hypothèse forte) ; iii) on considère que les oocystes viables sont tous potentiellement infectants. Résultats La répartition géographique des points d’eau testés dans l’aire métropolitaine et la concentration moyenne en oocystes dans l’eau pour chaque zone sont montrées dans la figure 2. Le risque d’infection calculé pour un jour donné pour chacun des quatre groupes de population dans les quatre parties de la ville étudiées (centre de Port-au-Prince, Delmas, Pétion-Ville et Carrefour) est donné dans les tableaux 1 à 4. Discussion L’agglomération de Port-au-Prince, capitale d’Haïti fondée en 1743 sur la côte au fond du golfe de la Gonâve, s’étale aujourd’hui dans la partie sud-ouest de la Plaine du Cul-de-Sac, le long de l’étroite bande côtière à l’ouest jusqu’à Mariani, et grimpe sur les piémonts du massif de la Selle au sud. Cette structure urbaine regroupe les municipalités de Port-au-Prince, Carrefour, Delmas – qui englobe Cité Soleil, immense bidonville qui fait régulièrement la une de l’actualité internationale, Delmas proprement dit et Tabarre –, et enfin les zones résidentielles de Pétionville (700-1 000 mètres d’altitude) et de Kenscoff (1 4001 500 mètres d’altitude). La zone urbaine accueille actuellement 2 164 207 habitants selon le dernier recensement [38] contre 715 959 habitants en 1980 [39], soit un triplement de la population en 20 ans. Un quart de la population d’Haïti vit dans l’aire métropolitaine qui connaît une croissance démographique explosive, accompagnée du développement d’un prolétariat urbain et d’une « bidonvillisation » incontrôlée. Aujourd’hui, avec une disponibilité de 23,7 millions de m3 d’eau par an [40], Port-au-Prince ne peut fournir que 11,85 m3/an à chacun de ses 2 164 207 habitants. Les déchets sont dispersés dans les ravines (figure 3), sur les places, dans les marchés publics et s’accumulent dans les canaux de drainage à ciel ouvert (figure 4) et dans le bas de la ville (figures 5 et 6) contribuant à la dégradation de l’environnement. L’agglomération produit environ 3 110 m3 de déchets solides par jour et l’on estimait à 2 000 tonnes la masse des excréments éliminés quotidiennement par la population humaine de Port-auPrince en 1996 [39]. En outre, dans les quartiers populaires, de nombreux animaux domestiques sont présents, notamment des porcs et des chiens que l’on voit régulièrement chercher leur nourriture dans les tas d’immondices qui s’accumulent dans les ravines et dans le bas de la ville (figure 5). Par ailleurs, l’accumu- Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti) UNIVERSITÉ QUIS QUISQUEYA UISQUE UEYA Car efour Carrefour 5.5 Marin Laboratoire de la qualité de l’eau et de l’environnement 1274 - Delmas 6 Concentration des oocytes dans l’eau de boisson à Port-au-Prince Légende Lieu-dit Axes urbains Point de prélèvement Voies d’eau Quantité d’oocystes pour 100 L Zéro oocyste pour 100 L Limite de commune 4.5 Tabar Tabarre abarre Zone d’habitat La Plaine Zone d’équipement Cité Soleil 17.3 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Cité Soleil 1,274 Delmas 6 Delmas La Saline 10 Cx des Bossales ruman 2.8 Blvd H. Truman St Martin Siloe Cite St Georges Bel-Air Fort ort National 38 Delmas 33 Nazon Chemin des Dalles 4 12 Christ-Roi Delmas 75 Bois Verna erna 5 Bizoton Savane ane Salee 6.9 Bolosse Saint-Gerard Saint-Ge 4.6 Fontamara ontamara Fontama Bizoton Fragneau agneau Ville ille Port-au-Prince ort-au-Prince Me cedi Fort ort Mercedi Babiole Musseau 8 Pacot acot Jaquet aquet Delmas 66 Deprez ez Bolosse la foi Dep Ne ette Nerette N 48.6 Pétion ville Échelle : 1/65 000 UTM, WGS84 0 1 Traitement des données : LAQUE Données physiques de base: CNIGS Réalisation cartographique: Obicson LILITE Chavannes Ch annes Peguy eguy ville ille Pétion Ville 2 Kilomètres 9.2 Berthe Boutilier Morne L’Hopital ’Hopital Morne Calvaire Cal arie Calvarie 3.2 Tete ete de l’eau Dupont Figure 2. Représentation graphique de la contamination des points d’eau de consommation étudiés dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince (nombre d’oocystes de Cryptosporidium sp pour 100 litres d’eau filtrée). Figure 2. Graphic representations of the contamination of the water points studied in the Port-au-Prince metropolitan area (number of Cryptosporidium sp per 100 litres of filtered water). lation des déchets organiques dans l’environnement urbain favorise la pullulation murine, réservoir de Cryptosporidium muris, espèce récemment trouvée chez l’homme au Pérou [41]. Or le système de ramassage ne peut éliminer que 30 % des déchets produits et le taux de latrinisation dans les quartiers populaires « bidonvillisés » et surpeuplés est faible. Dans un tel contexte, tous ces déchets dévalent dans les rues en pente au moment des fortes précipitations et se déposent dans les parties basses de la capitale en obstruant les égouts. Il s’ensuit l’inondation des quartiers en bordure de mer et des crues encore plus importantes à chaque averse. Ces inondations périodiques sont dangereuses sur le plan sanitaire à cause des ordures ménagères et des déjections humaines et animales qui contaminent les eaux de ruissellement. Elles s’infiltrent dans le réseau de distribution d’eau potable, dont les canalisations vétustes et mal entretenues se trouvent en surface dans de nombreuses rues. Ces conditions d’insalubrité urbaine expliquent le taux particulièrement élevé de contamination par des oocystes de cryptosporidies des eaux de consommation humaine à Port-au-Prince où, sur 18 sites analysés, 16 étaient contaminés, soit un taux de contamination de 89 % [27]. Dans le cadre de cette étude limitée, seulement deux quartiers résidentiels (Pacot et Delmas 33) présentent un risque estimé nul, la filtration d’au moins 100 litres d’eau de consommation n’ayant pas retrouvé d’oocystes en décembre 2000 dans une fontaine publique (Pacot) et dans le réseau de distribution (Delmas 33). Dans les 16 autres, il varie en fonction de la quantité d’oocystes retrouvée. Il est majeur dans le quartier de Delmas 6, quartier populaire où existent de nombreuses zones « bidonvillisées » et surpeuplées, où l’eau du réservoir examiné était très fortement contaminée. Il est important dans deux zones où l’on s’y attendait moins, à savoir le Chemin des Dalles (eau du réseau de distribution) dans un quartier encore traditionnel de Port-au-Prince moins surpeuplé que beaucoup d’autres, et dans le centre de Pétionville (eau d’un réservoir), zone résidentielle. Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 359 A. Bras, et al. Tableau 1. Risque d’infection pour la population immunocompétente âgée de 5 ans et plus dans les quatre zones de Port-au-Prince étudiées. Table 1. Risk of infection for the immunocompetent population aged 5 years and older in the four study areas of Port-au-Prince. Population ≥ N Rendement N 5 ans oocystes/ 40% oocystes/ immunocompétente 100 L 2 L/jour Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Zone (origine du prélèvement)* Port-au-Prince/centre Bolosse (Rés) Bolosse la Foi (Rés) Rue Saint Martin (Rés) Christ-Roi (RD) Chemin des Dalles (RD) Pacot (FP) Bd Harry Truman (RD) Delmas Delmas 75 (RD) Delmas 66 (Rés) Delmas 33 (RD) Delmas 6 (Rés) Cité Soleil (Rés) Tabarre la Plaine (FP) Carrefour Marin (Rés) Pétionville Pétionville / centre (Rés) Berthe-Péguyville (FP) Tête de l’Eau (RD) Carrefour Bizoton (RD) Risque d’infection à 1 jour donné (%) 607 279 Moyenne du risque à 1 jour dans la zone (%) 1,2 6,9 4 ,6 10 4 38 0 2,8 2,76 1,84 4 1,6 15,2 0 1,12 0,0552 0,0368 0,08 0,032 0,304 0 0,0224 1 1 1 1 2 0 1 12 8 0 1 274 17,3 4,5 5,5 4,8 3,2 0 509,6 6,92 1,8 2,2 0,096 0,064 0 10,192 0,1384 0,036 0,044 1 1 0 5 1 1 1 48,6 9,2 3,2 19,44 3,68 1,28 0,3888 0,0736 0,0256 2 1 1 5 2 0,04 1 580 292 2 240 956 1,3 319 030 1 * Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique. Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain. Tableau 2. Risque d’infection pour la population immunodéprimée âgée de 5 ans et plus dans les quatre zones de Port-auPrince étudiées. Table 2. Risk of infection for the immunocompromised population aged 5 years and older in the four study areas of Port-au-Prince. Zone (origine du prélèvement)* Population ≥ 5 ans immunodéprimée Port-au-Prince/centre Bolosse (Rés) Bolosse la Foi (Rés) Rue Saint Martin (Rés) Christ-Roi (RD) Chemin des Dalles (RD) Pacot (FP) Bd Harry Truman (RD) Delmas Delmas 75 (RD) Delmas 66 (Rés) Delmas 33 (RD) Delmas 6 (Rés) Cité Soleil (Rés) Tabarre la Plaine (FP) Carrefour Marin (Rés) Pétionville Pétionville / centre (Rés) Berthe-Péguyville (FP) Tête de l’Eau (RD) Carrefour Bizoton (RD) N oocystes/ 100 L Rendement 40 % N oocystes/ 2 L/jour Risque d’infection à 1 jour donné (%) 6,9 4,6 10 4 38 0 2,8 2,76 1,84 4 1,6 15,2 0 1,12 0,0552 0,0368 0,08 0,032 0,304 0 0,0224 2 1 3 1 11 0 1 12 8 0 1 274 17,3 4,5 5,5 4,8 3,2 0 509,6 6,92 1,8 2,2 0,096 0,064 0 10,192 0,1384 0,036 0,044 3 2 0 97 5 1 2 48,6 9,2 3,2 19,44 3,68 1,28 0,3888 0,0736 0,0256 13 3 1 5 2 0,04 1 31 962 Moyenne du risque à 1 jour dans la zone (%) 3,2 30 541 18,4 12 681 5,4 16 791 1 * Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique. Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain. 360 Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti) Tableau 3. Risque d’infection pour la population immunocompétente âgée de moins de 5 ans dans les quatre zones de Port-au-Prince étudiées. Table 3. Risk of infection for the immunocompetent population younger than 5 years in the four study areas of Port-au-Prince. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Zone (origine du prélèvement)* Population < 5 ans immunocompétente Port-au-Prince/centre Bolosse (Rés) Bolosse la Foi (Rés) Rue Saint Martin (Rés) Christ-Roi (RD) Chemin des Dalles (RD) Pacot (FP) Bd Harry Truman (RD) Delmas Delmas 75 (RD) Delmas 66 (Rés) Delmas 33 (RD) Delmas 6 (Rés) Cité Soleil (Rés) Tabarre la Plaine (FP) Carrefour Marin (Rés) Pétionville Pétionville / centre (Rés) Berthe-Péguyville (FP) Tête de l’Eau (RD) Carrefour Bizoton (RD) N oocystes/ 100 L Rendement 40 % N oocystes/ 0,75 L /jour Risque d’infection à 1 jour donné (%) 6,9 4,6 10 4 38 0 2,8 2,76 1,84 4 1,6 15,2 0 1,12 0,0207 0,0138 0,03 0,012 0,114 0 0,0084 1 1 1 1 1 0 0 12 8 0 1 274 17,3 4,5 5,5 4,8 3,2 0 509,6 6,92 1,8 2,2 0,036 0,024 0 3,822 0,0519 0,0135 0,0165 1 1 0 2 1 1 1 48,6 9,2 3,2 19,44 3,68 1,28 0,1458 0,0276 0,0096 1 1 1 5 2 0,015 1 62 260 Moyenne du risque à 1 jour dans la zone (%) 0,8 65 377 1,5 27 945 1 36 191 1 * Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique. Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain. Tableau 4. Risque d’infection pour la population immunodéprimée âgée de moins de 5 ans dans les quatre zones de Port-au-Prince étudiées. Table 4. Risk of infection for the immunocompromised population younger than 5 years in the four study areas of Port-au-Prince. Zone (origine du prélèvement)* Population < 5 ans immunodéprimée Port-au-Prince/centre Bolosse (Rés) Bolosse la Foi (Rés) Rue Saint Martin (Rés) Christ-Roi (RD) Chemin des Dalles (RD) Pacot (FP) Bd Harry Truman (RD) Delmas Delmas 75 (RD) Delmas 66 (Rés) Delmas 33 (RD) Delmas 6 (Rés) Cité Soleil (Rés) Tabarre la Plaine (FP) Carrefour Marin (Rés) Pétionville Pétionville / centre (Rés) Berthe-Péguyville (FP) Tête de l’Eau (RD) Carrefour Bizoton (RD) N oocystes/ 100 L Rendement 40 % N oocystes/ 0,75 L /jour Risque d’infection à 1 jour donné (%) 6,9 4,6 10 4 38 0 2,8 2,76 1,84 4 1,6 15,2 0 1,12 0,0207 0,0138 0,03 0,012 0,114 0 0,0084 1 0 1 0 4 0 0 12 8 0 1 274 17,3 4,5 5,5 4,8 3,2 0 509,6 6,92 1,8 2,2 0,036 0,024 0 3,822 0,0519 0,0135 0,0165 1 1 0 74 2 0 1 48,6 9,2 3,2 19,44 3,68 1,28 0,1458 0,0276 0,0096 5 3 0 5 2 0,015 1 3 276 Moyenne du risque à 1 jour dans la zone (%) 1 3 440 13,2 1 470 3 1 904 1 * Rés = réservoir ; RD = réseau de distribution ; FP = fontaine publique. Rés= reservoir; RD = distribution network; FP = public fountain. Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 361 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. A. Bras, et al. Figure 3. Ravine encombrée de détritus dans le quartier de Pacot (photo : C. Raccurt, 2006). Figure 3. Ravine cluttered with rubbish in the neighborhood of Pacot (photo: C. Raccurt, 2006). Figure 5. Tas d’ordures accumulés au bas de la ville dans la zone de Martissant, Carrefour et fréquentés par des porcs (photo : C. Raccurt, 2006). Figure 5. Piles of trash accumulated at the bottom of the city in the area of Martissant and Carrefour and visited by pigs (photo: C. Raccurt, 2006). À Delmas 6, le nombre d’oocystes dénombré au moment de l’enquête, et en conséquence le risque qui en découle, est peut-être le résultat d’une contamination accidentelle du réservoir concerné. Par ailleurs, la zone dispose d’un centre hospitalier sans station d’épuration dont les effluents des activités de soins sont directement rejetés dans le réseau de drainage des eaux pluviales de la ville. De plus, le réseau d’approvisionnement en eau de la zone est vétuste. Les canalisations principales et secondaires traversent en certains points le canal de drainage à ciel ouvert des eaux pluviales, collecteur des eaux usées domes- Figure 4. Canal de drainage encombré de détritus (Bois de Chêne canalisé) à proximité du marché Salomon (photo : C. Raccurt, 2006). Figure 4. Drainage channel cluttered with rubbish (Bois de Chêne canal) near the Salomon market (photo: C. Raccurt, 2006). 362 Figure 6. Ordures accumulées sur le Boulevard Harry Truman au bas de la ville, avec nombreuses marchandes de légumes à proximité (photo : C. Raccurt, 2006). Figure 6. Garbage accumulated on Harry Truman Boulevard at the bottom of the city, with numerous vegetables merchants nearby (photo: C. Raccurt, 2006). Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Évaluation du risque biologique dû à Cryptosporidium sp présent dans l’eau de boisson à Port-au-Prince (Haïti) tiques et industrielles. Dans un tel contexte, il devient impératif pour les autorités sanitaires de mettre en place un système de suivi de la qualité de l’eau de boisson distribuée dans cette zone. Cependant, les prélèvements réalisés au cours de cette étude n’ayant pas tous été effectués au même moment, il n’est pas possible de comparer strictement entre eux les résultats obtenus pour la détermination relative du risque par quartier. En outre, certaines zones fortement peuplées, comme Carrefour, n’ont bénéficié, au cours de cette étude, que d’un seul point de prélèvement (Bizoton), ce qui est notoirement insuffisant pour apprécier la situation réelle du risque pour l’ensemble de la zone. Il faut préciser, à cet égard, que l’étude a été menée dans le cadre de deux missions courtes (14-24 décembre 2000 et 25 août5 septembre 2001). Par ailleurs, la présence d’animaux domestiques, notamment de porcs, est importante dans certaines zones et joue certainement un rôle non négligeable dans le degré de pollution fécale de l’environnement. Or le rôle des animaux n’a pu être analysé de façon précise, faute de données sur la densité animale par quartier ou par zone à Port-au-Prince. Pour les sujets immunocompétents, le risque a été estimé en se basant sur les informations rapportées dans la littérature sur la dose infectante des cryptosporidies [36]. Il n’est pas négligeable pour la population âgée de 5 ans et plus puisqu’il s’établit en moyenne entre 1 et 2 % selon le quartier. Pour les enfants de moins de 5 ans, il est à peu près constant (1 %) dans les différentes zones étudiées. Pour les sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus, les résultats expérimentaux publiés [37] ont servi de cadre théorique pour l’estimation du risque. Pour les sujets des deux populations immunodéprimées, on a considéré que la probabilité de maladie d’un individu infecté est de 1 (hypothèse forte, sécuritaire). Selon cette hypothèse, le risque d’infection est égal au risque de maladie dans cette sous-population et le nombre d’infections est égal au nombre de cas cliniques de cryptosporidiose. Par ailleurs, le nombre de personnes contaminées par le VIH en Haïti est estimé approximativement à 400 000, soit 5 % de la population totale qui est de 8 304 062 habitants [38]. Les autres causes d’immunodépression en Haïti sont rares, et de toutes façons non documentées. En admettant que les 5 % sont uniformément répartis à travers le pays, le risque d’infection calculé varie de 1 % à 97 %, selon le quartier et l’âge, les sujets les plus exposés étant évidemment ceux habitant à Delmas 6 où le risque est de 97 % pour les sujets immunodéprimés âgés de 5 ans et plus et de 74 % pour les enfants immunodéprimés âgés de moins de 5 ans. Dans la population âgée de 5 ans et plus, le nombre moyen de personnes infectées chez les immunocompétents et le nombre moyen de personnes infectées et malades chez les immunodéprimés pour la région métropolitaine de Port-au-Prince seraient donc, respectivement, 23 844 sujets infectés et 7 494 infectés et malades. Seuls ces derniers développeront en effet une cryptosporidiose grave avec un risque mortel majeur. Pour les enfants âgés de moins de 5 ans immunodéprimés, le risque d’infection est égal au risque de maladie. Ainsi, dans la région métropolitaine de Port-au-Prince, 1 916 enfants immunocompétents et 549 enfants immunodéprimés âgés de moins de 5 ans sont susceptibles d’être infectés par le parasite à partir de l’eau consommée. Nous ne possédons aucune donnée d’enquêtes épidémiologiques estimant les taux de morbidité selon les quartiers, à Port-au-Prince, ou selon les groupes d’âges, permettant de valider les estimations de risques présentées dans cette étude. En tout état de cause, la cryptosporidiose, tant chez les enfants que chez les malades du sida, n’est pas rare en Haïti, bien au contraire, et reste grave chez les jeunes enfants, qu’ils soient ou non infectés par le VIH, surtout dans un contexte où la malnutrition est fréquente. Cette étude donne pour la première fois une indication chiffrée des risques de cryptosporidiose liés à la consommation de l’eau à Port-au-Prince en fonction des groupes de population exposés séparés selon l’âge et le statut immunitaire. Conclusion L’espace urbain dégradé crée un milieu épidémiologique spécifique, particulièrement dans les pays du Sud où s’accumulent pauvreté et « tropicalité » ; la circulation des agents pathogènes au sein de la population transite par des intermédiaires, parmi lesquels l’eau joue un rôle majeur. À Port-au-Prince, les oocystes de cryptosporidies sont largement présents aussi bien dans l’eau de consommation distribuée par adduction publique que dans celle conservée dans des réservoirs, témoignant de l’importance de la contamination fécale. L’estimation des risques biologiques liés à la présence de ce protozoaire a été quantifiée entre 1 et 97 % selon le degré de contamination du point d’eau testé et le groupe de population. Ces premiers résultats permettent d’avancer que la qualité de l’eau utilisée pour la consommation humaine dans cet espace urbain représente une condition critique à prendre en compte dans la mise en place de toute politique de santé publique. Dans la perspective de réduire ou d’éliminer les risques d’infection liés à la contamination de l’eau, il faudra à l’avenir élaborer une démarche adéquate pour le contrôle permanent de la qualité microbiologique de l’eau et l’amélioration des conditions de vie et d’hygiène pour les habitants. Cette politique passera avant tout par la mise en œuvre de mesures pour améliorer la salubrité et la fonctionnalité de l’espace urbain, dont la dégradation est la principale cause de la contamination. n Remerciements Cette étude a bénéficié en partie d’un financement de l’Agence nationale de la recherche sur le sida (ANRS) et du ministère de la Recherche dans le cadre du programme VIHPAL (ANRS n° : 2000/157). Environnement, Risques & Santé − Vol. 6, n° 5, septembre-octobre 2007 363 A. Bras, et al. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Références 1. Tessier S. Les maladies de l’enfant liées à l’eau en milieu urbain. 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