LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

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LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
LE PRÉSIDENT
DE LA RÉPUBLIQUE
Logiques Juridiques
Collection dirigée par Gérard Marcou
Le droit n'est pas seulement un savoir, il est d'abord un ensemble de
rapports et pratiques que l'on rencontre dans presque toutes les formes de
sociétés. C'est pourquoi il a toujours donné lieu à la fois à une littérature de
juristes professionnels, produisant le savoir juridique, et à une littérature sur
le droit, produite par des philosophes, des sociologues ou des économistes
notamment.
Parce que le domaine du droit s'étend sans cesse et rend de plus en plus
souvent nécessaire le recours au savoir juridique spécialisé, même dans des
matières où il n'avait jadis qu'une importance secondaire, les ouvrages
juridiques à caractère professionnel ou pédagogique dominent l'édition, et
ils tendent à réduire la recherche en droit à sa seule dimension positive. A
l'inverse de cette tendance, la collection Logiques juridiques des Éditions
L'Harmattan est ouverte à toutes les approches du droit. Tout en publiant
aussi des ouvrages à vocation professionnelle ou pédagogique, elle se fixe
avant tout pour but de contribuer à la publication et à la diffusion des
recherches en droit, ainsi qu'au dialogue scientifique sur le droit. Comme
son nom l'indique, elle se veut plurielle.
Dernières parutions
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Promouvoir la paix pour la démocratie, 2012.
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Marc FRANGI, Le Président de la République, 2012.
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dans le régime des retraites, L’exemple du Chili, 2012.
Jean-Barthélémy MARIS, La structuration du marché européen de
l’armement, 2012.
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réseaux, Pour une conception pragmatique du droit, 2012.
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public-privé, 2011.
Bin LI, Entre droit humain et droit du commerce, La protection de la
propriété en Chine, Tome 2, 2011.
Bin LI, Légitimité, légalité et effectivité, La protection de la propriété
en Chine, Tome 1, 2011.
Remus TITIRIGA, La comparaison, technique essentielle du juge
européen, 2011.
Marc FRANGI
LE PRÉSIDENT
DE LA REPUBLIQUE
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Du même auteur
Constitution et droit privé, les droits individuels et les droits
économiques, Collection Droit public positif, Economica et Presses
Universitaires d’Aix-Marseille, 1992 (préface de L. Favoreu).
Droit des relations internationales, Collection Lexique, Dalloz,
1995 (en collaboration avec P. Schulz, préface de J.P. Lassale).
Droit des associations, Collection Droit fondamental, Presses
Universitaires de France, 1996 (en collaboration avec A.S.
Mescheriakoff et M. Kdhir).
Guerres et associations, Presses Universitaires de Lyon, 2003 (en
collaboration, sous la direction de B. Benoit et M. Frangi).
Géopolitique de la culture, Espaces d’identité, projection,
coopération, L’Harmattan, 2007 (en collaboration avec J.M.
Delaunoy, B. Lamizet, C. Manigand, J.C. Pochard, F. Roche et R.
Weber).
Attaché territorial, Collection Spécial concours, Dalloz Sirey,
5eme édition 2012 à paraître (en collaboration avec E. Ambacher,
F. Bouvrain, M. Boyer, H. Duranton et D. Miranda).
© L'Harmattan, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
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ISBN : 978-2-296-97008-3
EAN : 9782296970083
« La vie de la plupart des hommes est un chemin mort. Mais
d’autres savent, dès l’enfance, qu’ils vont vers une mer
inconnue. Déjà l’amertume du vent les étonne, déjà la soif du
sel est sur leurs lèvres, jusqu’à ce que, la dernière dune
franchie, cette passion infinie les soufflettent de sable et
d’écume. Il leur reste de s’y abîmer ou de revenir sur leurs
pas. »
François Mauriac
(Les chemins de la mer, Paris, Grasset, 1939)
“C’est une habitude bien française que de confier un mandat
aux gens et de leur contester le droit d’en user. »
Michel Audiard
(Le Président, 1961, d’après le roman de Georges Simenon)
Remerciements
Je remercie ma famille pour son soutien durant cette entreprise.
L’idée du présent ouvrage est née dans le prolongement du
séminaire « Il Présidente della Répubblica in Francia » que j’ai
animé durant plusieurs années dans le cadre du module « Diritto e
politica », organisé à l’Université de Bologne (Italie) par le
professeur Stefano Cavazza, auquel j’exprime toute mon amicale
reconnaissance, ainsi qu’à mes collègues de l’équipe de droit
constitutionnel de l’Institut d’Etudes Politiques de Lyon, en
particulier Charles Lagier et Gilles Thévenon.
Enfin, qu’il me soit permis de rappeler les mémoires de Jean-Paul
Travard et de Gilles Colomb, au souvenir desquels le présent
ouvrage est dédié.
Lyon, 27 octobre 2011,
Marc Frangi
Sommaire
Introduction..............................................................................................11
PREMIERE PARTIE
LE MANDAT PRESIDENTIEL ENTRE RESPONSABILITE
DEVANT LE PEUPLE ET IRRESPONSABILITE
DEVANT LE PARLEMENT ..................................................................21
Chapitre I
Election du Président de la République....................................................23
Chapitre II
La durée du mandat..................................................................................33
Chapitre III
Le statut du président de la République ...................................................41
Chapitre IV
La question de l’irresponsabilité présidentielle........................................51
DEUXIEME PARTIE
DE LA PRESIDENCE ARBITRALE A L’HYPERPRESIDENCE ........65
Chapitre I
Rôle d’arbitre et garant pour des situations exceptionnelles ....................67
Chapitre II
Les pouvoirs propres (sans contreseing) ..................................................77
Chapitre III
Les relations du Président de la République avec le Premier ministre
et le Gouvernement ..................................................................................91
TROISIEME PARTIE
DE LA PRESIDENCE IMPERIALE A LA PRESIDENCE
GLOBALISEE .......................................................................................125
Chapitre I
Les Affaires étrangères ..........................................................................127
Chapitre II
Les attributions du Président de la République en matière de Défense
et de Sécurité..........................................................................................147
Conclusion .............................................................................................163
Annexes..................................................................................................171
Bibliographie..........................................................................................199
Index ......................................................................................................207
Table des matières..................................................................................211
10
Introduction
A) Evolution de la fonction présidentielle de 1848 à 1958
1) En France, la présidence de la République a été instituée
pour la première fois seulement en 1848 par la II° République alors
que dans les différentes constitutions adoptées pendant la Iere
République l’exécutif était collégial (sauf durant le règne de
Napoléon, l’article 1er de la Constitution du 28 floréal An XII
disposant alors que « le Gouvernement de la République est confié
à un Empereur qui prend le titre d’Empereur des Français »). Sous
la II° République le chef de l’Etat disposait de réelles compétences
mais dans le cadre d’un régime de séparation stricte des pouvoirs.
Cette situation amena une véritable concurrence entre eux et,
finalement, le coup de force du 2 décembre 1851 par la dissolution
de l’Assemblée, interdite par le texte constitutionnel mais
organisée par le chef de l’Etat comme un premier pas vers le
rétablissement de la dignité impériale et de l’hérédité.
Les constituants de 1875 et de 1946 ont voulu éviter la
possibilité d’un Gouvernement personnel du chef de l’Etat,
notamment à la suite de l’expérience mitigée conduite par Adolphe
Thiers, Président du pouvoir exécutif entre 1871 et 1873, comme le
risque d’un nouveau coup d’Etat. Il s’agissait par ailleurs de limiter
la possibilité d’un cumul de légitimité élective et de légitimité
personnelle ou historique chez le Président de la République. Pour
cela, la III° et la IV° République ont mis en place un régime
parlementaire moniste dans lequel le chef de l’Etat ne disposait que
de compétences liées soumises à un contreseing ministériel1.
1
Cette fonction présidentielle, essentiellement représentative et honorifique n’en
n’avait pas moins un certain prestige en tant que plus haute magistrature du pays :
ainsi, Georges Clémenceau, pourtant très ironique sur le mandat présidentiel (on
lui prête la formule : « il y a deux organes inutiles : la prostate et la présidence de
la République ») fut candidat malheureux à la présidence de la République en
Au demeurant, les expériences malheureuses d’institution d’un
pouvoir exécutif fort dans le cadre de régimes autoritaires,
césaristes (Ier et II° Empire) ou corporatistes (Régime de Vichy),
incita les constituants, en 1875 comme en 1946, à se méfier de
toute velléité de renforcement du rôle du chef de l’Etat et à
subordonner strictement le pouvoir exécutif responsable devant les
chambres à un contrôle parlementaire.
L’utilisation intempestive sous les III° et IV° République de la
responsabilité ministérielle sans mise en œuvre du droit de
dissolution provoqua une instabilité gouvernementale qui contribua
à affaiblir le rôle du pouvoir exécutif et l’autorité de l’Etat.
B) Les conceptions de Charles de Gaulle
2) Dans le discours de Bayeux, prononcé le 17 juin 1946, le
général de Gaulle avait esquissé une conception du rôle de l’Etat
qui préfigurait les choix opérés durant l’été 1958 : « C’est donc au
chef de l’Etat, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui
englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de
manière à faire de lui le Président de l’Union française en même
temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir
exécutif. Au chef de l’Etat la charge d’accorder l’intérêt général
quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du
Parlement. A lui la mission de nommer les Ministres et, d’abord,
bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail
du Gouvernement. Au chef de l’Etat la fonction de promulguer les
lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’Etat tout entier que
ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. A lui la tâche de présider
les Conseils du Gouvernement et d’y exercer cette influence de la
continuité dont une nation ne se passe pas. A lui l’attribution de
1920, mais fut battu par Paul Deschanel. Raymond Poincaré, Président de la
République entre 1913 et 1920, respecta strictement la tradition républicaine et
limita son rôle à une fonction représentative, notamment durant la Guerre de
1914, mais fut, de part et d’autre de ce mandat, à diverses reprises, Président du
Conseil et le véritable chef de l’exécutif. Sur l’évolution du rôle du chef de l’Etat
en France, voir M. Morabito et D. Bourmaud : Histoire constitutionnelle et
politique de la France (1789-1958), Montchrestien 4° édition, 1996. Une
bibliographie particulière à la fin de chaque partie ainsi qu’une bibliographie
générale en fin de volume sont par ailleurs consultables.
12
servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit
normalement par le Conseil, soit, dans les moments de grave
confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa
décision souveraine. A lui, s’il devait arriver que la patrie fut en
péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des
traités conclus par la France 2».
La V° République, tout en partageant le pouvoir exécutif entre
chef de l’Etat et chef du Gouvernement a institué une véritable
primauté du Président de la République. Cela alimenta les craintes
des adversaires de la nouvelle Constitution de voir apparaître une
forme de Gouvernement personnel du chef de l’Etat, débat auquel
fait encore écho de nos jours la dénonciation par certains d’une
« hyperprésidence ». Le texte de la Constitution du 4 octobre 1958
institue, comme cela était imposé au constituant par la loi du 3 juin
1958, un régime parlementaire. Rappelons qu’il s’agit d’un régime
représentatif de séparation souple des pouvoirs qui garantit
l’équilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif par la possibilité
de mise en action de moyens d’action réciproques (dissolution du
législatif ou renversement du Gouvernement par le vote d’une
motion de censure).
Dans un régime parlementaire, l’exécutif est bicéphale : il
comprend donc un chef d’Etat et un chef de Gouvernement assisté
d’un cabinet.
Dans le régime parlementaire moniste, qui est désormais le plus
répandu, le chef d’Etat a un rôle symbolique et ne dispose que de
compétences liées (Allemagne, Autriche, Espagne, Irlande,
Italie ), le véritable titulaire du pouvoir exécutif étant le chef de
Gouvernement responsable devant l’organe législatif.
Dans un régime parlementaire dualiste le chef d’Etat, bien que
politiquement irresponsable devant le Parlement détient des
pouvoirs propres sous réserve qu’ils soient contresignés, c’est-àdire endossés par le Premier ministre et le Gouvernement,
responsables devant l’organe législatif mais aussi devant le chef de
l’Etat.
Nous verrons que depuis 1958, en partie par le texte, en partie
par la pratique constitutionnels, la V° République se rattache à ce
2
B. Perreau : 50 ans de vie politique française, le débat sur la fin de la V°
République, Documents, Librio, 2007, p 13.
13
dernier modèle. En effet, malgré le phénomène de présidentialisation de la V° République, la Constitution a bien institué un
régime parlementaire, certes assez éloigné de ce qui existe dans
d’autres Etats, notamment en Europe, mais qui demeure
fondamentalement différent de ce qui existe dans un régime
présidentiel de type américain. Maurice Duverger qualifia jadis la
V° République de régime semi-présidentiel afin de souligner ces
particularismes cependant qu’Olivier Duhamel l’a appelé régime
présidentialiste lorsqu’il n’y a pas de cohabitation3.
Les pouvoirs du Président français ne peuvent pas être
comparés à ceux d’un chef d’Etat dans le cadre d‘un régime
présidentiel (c'est-à-dire avec une séparation stricte des pouvoirs).
Dans ce dernier, le Président exerce la plénitude du pouvoir
exécutif au niveau national. Dans les régimes présidentiels de type
fédéral (par exemple : Etats-Unis, Argentine, Brésil, Mexique ) le
Président est bien chef de l’exécutif national mais doit respecter la
répartition des compétences contenues dans la Constitution et
attribuant exclusivement certains domaines d’actions politiques
aux élus des Gouvernements fédérés. Le Président de la
République française étant à la tête d’un Etat unitaire, certes
décentralisé4, est en mesure d’intervenir dans un nombre
notablement plus important de dossiers car pratiquement aucun
domaine ne peut échapper par sa nature à la compétence des
instances nationales5.
3
M. Duverger : Le système politique français, PUF, 19° édition, 1986 et O.
Duhamel : Histoire constitutionnelle de la France, Seuil, Points, 1995 ainsi que
Le quinquennat, 2° édition, Presses de Science-Po, 2000, ainsi que J.J. Chevallier,
G. Carcassonne et O. Duhamel : La V° République (Histoire des institutions et des
régimes politiques en France ), Armand Colin, 2001, notamment p 107 et
suivantes et 233 et P. Jan : Le Président de la République au cœur du pouvoir, La
Documentation française, 2011. Sur l’histoire constitutionnelle, voir également G.
Thévenon : La Cinquième République, vie politique française, Collection
Comprendre la société, L’Essentiel, Chronique sociale, 2012, notamment p 148,
171, 189 et 225.
4
Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une
République indivisible ( ). Son organisation est décentralisée ».
5
Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « ( ) Dans les conditions
fixées par la loi, les collectivités territoriales s’administrent librement ( ) ».
Dans un système unitaire le législateur est nécessairement le Parlement national,
qui peut donc, dans les limites de la Constitution et sous le contrôle du Conseil
14
C) Un Président de la République au centre du jeu politique depuis 1958
3) Célébré comme étant, selon une formule fameuse de Michel
Debré6, « la clef de voûte des institutions », parfois taxé d’
« hyperprésident », le Président de la République joue de fait, dans
le régime de la V° République tel qu’il est pratiqué dans une
compréhension très suggestive des textes et lorsqu’il n’y a pas de
cohabitation, le triple rôle de chef de l’Etat, de l’exécutif et de la
majorité parlementaire, alors que seul le premier lui est
formellement attribué par les textes.
Il dispose, on le verra, d’un pouvoir d’arbitrage lui permettant
de veiller au respect de la Constitution et à la continuité de l’Etat
(article 5), nomme le Premier ministre et, sur la proposition de ce
dernier, les autres membres du Gouvernement (article 8), préside le
Conseil des Ministres (article 9), promulgue les lois (article 10),
signe les ordonnances (article 38) et dispose d’un pouvoir
réglementaire résiduel ainsi que du pouvoir de nommer certains
hauts fonctionnaires (article 13). Il est le garant de l’indépendance
de la magistrature (article 64), peut dissoudre l’Assemblée
nationale (article 12), organiser un référendum à condition d’être
saisi d’une demande préalable (articles 11 et 89), adresser un
message aux Chambres (article 18) et mettre en œuvre un pouvoir
de légalité de crise lui conférant, en cas de menace grave et
immédiate et sous certaines conditions de mise en œuvre, des
pouvoirs exceptionnels (article 16). Il nomme trois membres (dont
le Président) du Conseil constitutionnel (article 56) et peut saisir
cet organe soit pour faire examiner le texte d’un traité non encore
ratifié par le Parlement (article 54), soit le texte d’une loi votée
mais non encore promulguée (article 61).
Ses actes sont normalement contresignés par le Premier
ministre et les Ministres chargés de leur exécution sauf ceux prévus
par les articles 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61. Depuis 2000, il est élu
pour cinq ans au suffrage universel direct (articles 6 et 7). Bien que
le Premier ministre soit en principe le chef du Gouvernement, c’est
constitutionnel, modifier les attributions des collectivités territoriales par le vote
de lois de réforme territoriale.
6
Discours du 27 août 1958 devant le Conseil d’Etat, texte reproduit in B.
Perreau : op.cit., p 30.
15
pourtant le Président de la République qui, lorsqu’il n’y a pas de
cohabitation, détermine les grandes orientations issues du
programme sur lequel il a été élu, que le Premier ministre
(notamment par le pouvoir d’initiative des lois et l’exercice du
pouvoir réglementaire général) et le Gouvernement (qui détermine
et conduit la politique de la Nation) mettent formellement en
œuvre.
Enfin, il apparaît que la majorité législative, toujours en dehors
d’une cohabitation, ayant été élue depuis 2002 dans la foulée des
élections présidentielles, fait du programme du Président celui de
la législature, ce qui conduit le chef de l’Etat a devenir ipso facto le
chef de la majorité (ce qui n’est pas sans poser problème, on le
verra, pour la mise en œuvre de son pouvoir d’arbitrage).
Depuis 2008, le mandat du Président de la République est
immédiatement renouvelable au plus une fois (soit deux mandats
consécutifs).
D) Une fonction présidentielle affectée par les mutations
du rôle de l’Etat dans un cadre mondialisé
4) Parler du Président de la République française sous la V°
République c’est aussi, indirectement, s’interroger sur les
mutations récentes de la conception même d’Etat, dans le cadre des
bouleversements auxquels sont confrontés l’Etat nation comme
l’Etat providence. Le général de Gaulle a tenté d’ajuster l’exercice
du pouvoir d’Etat à l’ensemble des réalités politiques, sociales,
économiques et culturelles de la nation7. Le triptyque fondamental
de l’Etat gaullien, et donc de la V° République, a pu être défini
ainsi : « L’Etat en tant qu’expression et/ou instrument de la
continuité nationale ; l’Etat en tant qu’émancipateur de la volonté
nationale ; l’Etat en tant que moyen de rayonnement de la nation
dans le monde 8», permettant d’assurer que la France n’est pas
seule mais reste maîtresse de son destin9.
7
M. Tauriac : Vivre avec de Gaulle, Plon 2008, Réedition Pockett 2010, p 311 et
suivantes.
8
E. Branca, intervention lors du colloque organisé par l’Institut Charles de
Gaulle, La philosophie politique du Général, Revue Espoir, n° 41, décembre
1982, cité par M. Tauriac, op cit, p 311.
9
M. Tauriac, Idem, p 312.
16
En 1958, en pleine crise coloniale et au milieu des Trente
glorieuses, après les expériences malheureuses des III° et IV°
République et en s’inspirant du contreprojet constitutionnel
proposé par Charles de Gaulle à Bayeux en 1946, le constituant eut
l’ambition de réaliser une révision si profonde des institutions et
pratiques de la Constitution du 27 octobre 1946 que l’on passa
finalement à une nouvelle République.
Avec la V° République il s’agissait, dans le cadre d’un Etat
économiquement et socialement interventionniste10 respectant les
principes du préambule de 1946, de restaurer à la fois la primauté
du chef de l’Etat et l’autorité de l’Etat, celle-ci ne pouvant aller
sans celle-là. La loi du 3 juin 1958, qui autorisait le Gouvernement
du général de Gaulle, à préparer l’évolution institutionnelle de la
France, imposait de respecter les principes d’un régime
parlementaire et l’on a pu penser qu’il s’agissait en pratique de
passer d’un régime parlementaire moniste à un régime
parlementaire dualiste.
Le Président de la République est le chef de l’Etat, mais,
contrairement aux deux régimes précédents, il devient le véritable
chef de l’exécutif, assisté d’un Premier ministre et d’un
Gouvernement, car selon la célèbre formule de Charles de Gaulle11,
« on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet ».
Cinquante ans après la promulgation de la Constitution du 4
octobre 1958, le contexte a considérablement évolué.
Tout d’abord, le texte de la Constitution a été affecté par
diverses pratiques, qui ont contribué à renforcer singulièrement les
compétences du chef de l’Etat, au détriment du Gouvernement
dans le cadre du fait majoritaire, c'est-à-dire la domination exercée
par une même majorité au niveau de l’exécutif et du législatif, ce
qui transcende la séparation des pouvoirs. Certes, le fait majoritaire
n’existe pas seulement en France. Il est toutefois amplifié dans
notre pays par la primauté du chef de l’Etat qui, lorsqu’il n’y a pas
de cohabitation est aussi de facto, on l’a dit, chef de la majorité
parlementaire et le véritable responsable de la politique
gouvernementale dans le cadre de la présidentialisation de la V°
10
Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une
République ( ) sociale ».
11
Discours du 31 janvier 1964.
17
République. Par ailleurs, le maintien, en dépit des décentralisation
opérées dans notre pays en 1982 et 2003, d’un caractère unitaire
prononcé de l’Etat contribue à renforcer le fait majoritaire dans la
mesure où, si les collectivités territoriales s’administrent librement
par des conseils élus (article 72), elles sont soumises au respect du
principe de légalité (idem), c'est-à-dire à la mise en œuvre des lois
votées par la majorité dans le cadre d’une politique voulue, sauf en
cas de cohabitation, par le Président de la République.
Ensuite, la question de l’évolution de l’empire colonial, qui
avait été centrale durant les débats de l’été 1958 et inspira certains
des mécanismes constitutionnels au travers de la notion de
Communauté française, a été rapidement tranchée par l’accession à
l’indépendance des divers états africains associés à la France. Cela
a contribué, nous le verrons, à transformer la fonction arbitrale du
chef de l’Etat.
Par ailleurs, même si le traité de Rome instituant le Marché
commun avait été signé en 1957 (mais était entré en vigueur le 1er
janvier 1959, soit peu après la Constitution du 4 octobre 1958), il a
fallu attendre 1992 et diverses révisions ultérieures pour que
figurent dans la Constitution les conséquences juridiques de la
construction européenne, qui transforment radicalement les
conditions d’exercice de la souveraineté et de la direction des
affaires publiques dans l’ensemble des états membres.
Enfin, l’Etat providence des Trente glorieuses, qui puisait sa
légitimité dans le préambule de 1946, s’est progressivement
transformé, dans le cadre de la construction européenne et de la
globalisation, en un Etat limitant ses interventions dans le domaine
économique, voire social, aux seules exceptions autorisées par les
nombreuses conventions internationales qu’il a signées12.
Ainsi, on est passé en cinquante ans d’un Président de la
République responsable politiquement devant le peuple, exerçant
principalement une fonction arbitrale dans un cadre impérial (la
Communauté française précitée), à un Président prescripteur
12
L’ensemble des normes juridiques comprend environ 8000 lois et 110000
décrets (chiffres cités le 30 mai 2006 par le site Vie publique de la Direction de
l’Information légale et administrative). Il y aurait par ailleurs environ 6000 traités
internationaux applicables.
18
agissant dans un cadre globalisé. Ces trois points seront abordés
successivement.
Bibliographie
P. Ardant et B. Mathieu : Institutions politiques et droit constitutionnel,
21° édition, LGDJ, 2009
D. Chagnollaud : Droit constitutionnel contemporain, Dalloz, tome 3 (La
V° République), 2008
B. Chantebout, Droit constitutionnel, 25° édition, Sirey, 2008
D. Chagnollaud et J.L. Quermonne : La V° République, Flammarion
(Champs), 2000 (2 tomes)
J.J. Chevallier, G. Carcassonne et O. Duhamel : La V° République,
histoire des institutions et des régimes politiques de la France, Armand
Colin, 2007
R. Debbasch : Droit constitutionnel, 7° édition, Litec, 2008
M. Duverger : Le système politique français, PUF, 19° édition, 1986.
O. Duhamel : Histoire constitutionnelle de la France, Seuil, Points, 1995
L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J.L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux
et G. Scoffoni : Droit constitutionnel, 11° édition, Dalloz, 2008
C. de Gaulle : Mémoires d’espoir, tome 1 (Le renouveau, 1958-1962) et
tome 2 (L’effort, 1962- ), Plon, 1970 et 1971
J. Gicquel et J.E. Gicquel : Droit constitutionnel et institutions politiques,
23 ° édition, Montchrestien, 2009
F. Hamon et M. Troper : Institutions politiques et droit constitutionnel,
LGDJ, 31° édition, 2009
P. Jan : Le Président de la République au cœur du pouvoir, La
Documentation française, 2011.
A.-M. Le Pourhiet : Droit constitutionnel, 2° édition, Economica, 2008
P. Pactet et F. Melin-Soucramanien : Droit constitutionnel, 28° édition,
Sirey, 2009
B. Perreau : 50 ans de vie politique française, le débat sur la fin de la V°
République, Documents, Librio, 2007.
Y. Poncellet : La V° République (1958-1981), Armand Colin, 2000
D. Rousseau et A. Viala : Droit constitutionnel, Montchrestien, 2009
19
G. Thévenon : La Cinquième République, vie politique française,
Collection Comprendre la société, L’Essentiel, Chronique sociale, 2012,
notamment p 148, 171, 189 et 225
D. Turpin : Droit constitutionnel, PUF, 2009
20