LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
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LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE Logiques Juridiques Collection dirigée par Gérard Marcou Le droit n'est pas seulement un savoir, il est d'abord un ensemble de rapports et pratiques que l'on rencontre dans presque toutes les formes de sociétés. C'est pourquoi il a toujours donné lieu à la fois à une littérature de juristes professionnels, produisant le savoir juridique, et à une littérature sur le droit, produite par des philosophes, des sociologues ou des économistes notamment. Parce que le domaine du droit s'étend sans cesse et rend de plus en plus souvent nécessaire le recours au savoir juridique spécialisé, même dans des matières où il n'avait jadis qu'une importance secondaire, les ouvrages juridiques à caractère professionnel ou pédagogique dominent l'édition, et ils tendent à réduire la recherche en droit à sa seule dimension positive. A l'inverse de cette tendance, la collection Logiques juridiques des Éditions L'Harmattan est ouverte à toutes les approches du droit. Tout en publiant aussi des ouvrages à vocation professionnelle ou pédagogique, elle se fixe avant tout pour but de contribuer à la publication et à la diffusion des recherches en droit, ainsi qu'au dialogue scientifique sur le droit. Comme son nom l'indique, elle se veut plurielle. Dernières parutions Sacha NESTOROVIC, L’assistance électorale multilatérale. Promouvoir la paix pour la démocratie, 2012. Nora SEDDIKI-EL HOUDAIGUI, Arbitrage commercial international au Maghreb. Droit et pratiques, 2012. Marc FRANGI, Le Président de la République, 2012. Pablo Andrés ARELLANO ORTIZ, Universalisme et individualisme dans le régime des retraites, L’exemple du Chili, 2012. Jean-Barthélémy MARIS, La structuration du marché européen de l’armement, 2012. Boris BARRAUD, Repenser la pyramide des normes à l’ère des réseaux, Pour une conception pragmatique du droit, 2012. Romain RAMBAUD, Le droit des sondages électoraux, 2012. Étienne MULLER, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, 2011. Bin LI, Entre droit humain et droit du commerce, La protection de la propriété en Chine, Tome 2, 2011. Bin LI, Légitimité, légalité et effectivité, La protection de la propriété en Chine, Tome 1, 2011. Remus TITIRIGA, La comparaison, technique essentielle du juge européen, 2011. Marc FRANGI LE PRÉSIDENT DE LA REPUBLIQUE '0(-10+0& *-0-,+0& .%,/)-+0 Du même auteur Constitution et droit privé, les droits individuels et les droits économiques, Collection Droit public positif, Economica et Presses Universitaires dAix-Marseille, 1992 (préface de L. Favoreu). Droit des relations internationales, Collection Lexique, Dalloz, 1995 (en collaboration avec P. Schulz, préface de J.P. Lassale). Droit des associations, Collection Droit fondamental, Presses Universitaires de France, 1996 (en collaboration avec A.S. Mescheriakoff et M. Kdhir). Guerres et associations, Presses Universitaires de Lyon, 2003 (en collaboration, sous la direction de B. Benoit et M. Frangi). Géopolitique de la culture, Espaces d’identité, projection, coopération, LHarmattan, 2007 (en collaboration avec J.M. Delaunoy, B. Lamizet, C. Manigand, J.C. Pochard, F. Roche et R. Weber). Attaché territorial, Collection Spécial concours, Dalloz Sirey, 5eme édition 2012 à paraître (en collaboration avec E. Ambacher, F. Bouvrain, M. Boyer, H. Duranton et D. Miranda). © L'Harmattan, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-97008-3 EAN : 9782296970083 « La vie de la plupart des hommes est un chemin mort. Mais d’autres savent, dès l’enfance, qu’ils vont vers une mer inconnue. Déjà l’amertume du vent les étonne, déjà la soif du sel est sur leurs lèvres, jusqu’à ce que, la dernière dune franchie, cette passion infinie les soufflettent de sable et d’écume. Il leur reste de s’y abîmer ou de revenir sur leurs pas. » François Mauriac (Les chemins de la mer, Paris, Grasset, 1939) C’est une habitude bien française que de confier un mandat aux gens et de leur contester le droit d’en user. » Michel Audiard (Le Président, 1961, daprès le roman de Georges Simenon) Remerciements Je remercie ma famille pour son soutien durant cette entreprise. Lidée du présent ouvrage est née dans le prolongement du séminaire « Il Présidente della Répubblica in Francia » que jai animé durant plusieurs années dans le cadre du module « Diritto e politica », organisé à lUniversité de Bologne (Italie) par le professeur Stefano Cavazza, auquel jexprime toute mon amicale reconnaissance, ainsi quà mes collègues de léquipe de droit constitutionnel de lInstitut dEtudes Politiques de Lyon, en particulier Charles Lagier et Gilles Thévenon. Enfin, quil me soit permis de rappeler les mémoires de Jean-Paul Travard et de Gilles Colomb, au souvenir desquels le présent ouvrage est dédié. Lyon, 27 octobre 2011, Marc Frangi Sommaire Introduction..............................................................................................11 PREMIERE PARTIE LE MANDAT PRESIDENTIEL ENTRE RESPONSABILITE DEVANT LE PEUPLE ET IRRESPONSABILITE DEVANT LE PARLEMENT ..................................................................21 Chapitre I Election du Président de la République....................................................23 Chapitre II La durée du mandat..................................................................................33 Chapitre III Le statut du président de la République ...................................................41 Chapitre IV La question de lirresponsabilité présidentielle........................................51 DEUXIEME PARTIE DE LA PRESIDENCE ARBITRALE A LHYPERPRESIDENCE ........65 Chapitre I Rôle darbitre et garant pour des situations exceptionnelles ....................67 Chapitre II Les pouvoirs propres (sans contreseing) ..................................................77 Chapitre III Les relations du Président de la République avec le Premier ministre et le Gouvernement ..................................................................................91 TROISIEME PARTIE DE LA PRESIDENCE IMPERIALE A LA PRESIDENCE GLOBALISEE .......................................................................................125 Chapitre I Les Affaires étrangères ..........................................................................127 Chapitre II Les attributions du Président de la République en matière de Défense et de Sécurité..........................................................................................147 Conclusion .............................................................................................163 Annexes..................................................................................................171 Bibliographie..........................................................................................199 Index ......................................................................................................207 Table des matières..................................................................................211 10 Introduction A) Evolution de la fonction présidentielle de 1848 à 1958 1) En France, la présidence de la République a été instituée pour la première fois seulement en 1848 par la II° République alors que dans les différentes constitutions adoptées pendant la Iere République lexécutif était collégial (sauf durant le règne de Napoléon, larticle 1er de la Constitution du 28 floréal An XII disposant alors que « le Gouvernement de la République est confié à un Empereur qui prend le titre d’Empereur des Français »). Sous la II° République le chef de lEtat disposait de réelles compétences mais dans le cadre dun régime de séparation stricte des pouvoirs. Cette situation amena une véritable concurrence entre eux et, finalement, le coup de force du 2 décembre 1851 par la dissolution de lAssemblée, interdite par le texte constitutionnel mais organisée par le chef de lEtat comme un premier pas vers le rétablissement de la dignité impériale et de lhérédité. Les constituants de 1875 et de 1946 ont voulu éviter la possibilité dun Gouvernement personnel du chef de lEtat, notamment à la suite de lexpérience mitigée conduite par Adolphe Thiers, Président du pouvoir exécutif entre 1871 et 1873, comme le risque dun nouveau coup dEtat. Il sagissait par ailleurs de limiter la possibilité dun cumul de légitimité élective et de légitimité personnelle ou historique chez le Président de la République. Pour cela, la III° et la IV° République ont mis en place un régime parlementaire moniste dans lequel le chef de lEtat ne disposait que de compétences liées soumises à un contreseing ministériel1. 1 Cette fonction présidentielle, essentiellement représentative et honorifique nen navait pas moins un certain prestige en tant que plus haute magistrature du pays : ainsi, Georges Clémenceau, pourtant très ironique sur le mandat présidentiel (on lui prête la formule : « il y a deux organes inutiles : la prostate et la présidence de la République ») fut candidat malheureux à la présidence de la République en Au demeurant, les expériences malheureuses dinstitution dun pouvoir exécutif fort dans le cadre de régimes autoritaires, césaristes (Ier et II° Empire) ou corporatistes (Régime de Vichy), incita les constituants, en 1875 comme en 1946, à se méfier de toute velléité de renforcement du rôle du chef de lEtat et à subordonner strictement le pouvoir exécutif responsable devant les chambres à un contrôle parlementaire. Lutilisation intempestive sous les III° et IV° République de la responsabilité ministérielle sans mise en uvre du droit de dissolution provoqua une instabilité gouvernementale qui contribua à affaiblir le rôle du pouvoir exécutif et lautorité de lEtat. B) Les conceptions de Charles de Gaulle 2) Dans le discours de Bayeux, prononcé le 17 juin 1946, le général de Gaulle avait esquissé une conception du rôle de lEtat qui préfigurait les choix opérés durant lété 1958 : « C’est donc au chef de l’Etat, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le Président de l’Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l’Etat la charge d’accorder l’intérêt général quant au choix des hommes avec l’orientation qui se dégage du Parlement. A lui la mission de nommer les Ministres et, d’abord, bien entendu, le Premier, qui devra diriger la politique et le travail du Gouvernement. Au chef de l’Etat la fonction de promulguer les lois et de prendre les décrets, car c’est envers l’Etat tout entier que ceux-ci et celles-là engagent les citoyens. A lui la tâche de présider les Conseils du Gouvernement et d’y exercer cette influence de la continuité dont une nation ne se passe pas. A lui l’attribution de 1920, mais fut battu par Paul Deschanel. Raymond Poincaré, Président de la République entre 1913 et 1920, respecta strictement la tradition républicaine et limita son rôle à une fonction représentative, notamment durant la Guerre de 1914, mais fut, de part et dautre de ce mandat, à diverses reprises, Président du Conseil et le véritable chef de lexécutif. Sur lévolution du rôle du chef de lEtat en France, voir M. Morabito et D. Bourmaud : Histoire constitutionnelle et politique de la France (1789-1958), Montchrestien 4° édition, 1996. Une bibliographie particulière à la fin de chaque partie ainsi quune bibliographie générale en fin de volume sont par ailleurs consultables. 12 servir d’arbitre au-dessus des contingences politiques, soit normalement par le Conseil, soit, dans les moments de grave confusion, en invitant le pays à faire connaître par des élections sa décision souveraine. A lui, s’il devait arriver que la patrie fut en péril, le devoir d’être le garant de l’indépendance nationale et des traités conclus par la France 2». La V° République, tout en partageant le pouvoir exécutif entre chef de lEtat et chef du Gouvernement a institué une véritable primauté du Président de la République. Cela alimenta les craintes des adversaires de la nouvelle Constitution de voir apparaître une forme de Gouvernement personnel du chef de lEtat, débat auquel fait encore écho de nos jours la dénonciation par certains dune « hyperprésidence ». Le texte de la Constitution du 4 octobre 1958 institue, comme cela était imposé au constituant par la loi du 3 juin 1958, un régime parlementaire. Rappelons quil sagit dun régime représentatif de séparation souple des pouvoirs qui garantit léquilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif par la possibilité de mise en action de moyens daction réciproques (dissolution du législatif ou renversement du Gouvernement par le vote dune motion de censure). Dans un régime parlementaire, lexécutif est bicéphale : il comprend donc un chef dEtat et un chef de Gouvernement assisté dun cabinet. Dans le régime parlementaire moniste, qui est désormais le plus répandu, le chef dEtat a un rôle symbolique et ne dispose que de compétences liées (Allemagne, Autriche, Espagne, Irlande, Italie ), le véritable titulaire du pouvoir exécutif étant le chef de Gouvernement responsable devant lorgane législatif. Dans un régime parlementaire dualiste le chef dEtat, bien que politiquement irresponsable devant le Parlement détient des pouvoirs propres sous réserve quils soient contresignés, cest-àdire endossés par le Premier ministre et le Gouvernement, responsables devant lorgane législatif mais aussi devant le chef de lEtat. Nous verrons que depuis 1958, en partie par le texte, en partie par la pratique constitutionnels, la V° République se rattache à ce 2 B. Perreau : 50 ans de vie politique française, le débat sur la fin de la V° République, Documents, Librio, 2007, p 13. 13 dernier modèle. En effet, malgré le phénomène de présidentialisation de la V° République, la Constitution a bien institué un régime parlementaire, certes assez éloigné de ce qui existe dans dautres Etats, notamment en Europe, mais qui demeure fondamentalement différent de ce qui existe dans un régime présidentiel de type américain. Maurice Duverger qualifia jadis la V° République de régime semi-présidentiel afin de souligner ces particularismes cependant quOlivier Duhamel la appelé régime présidentialiste lorsquil ny a pas de cohabitation3. Les pouvoirs du Président français ne peuvent pas être comparés à ceux dun chef dEtat dans le cadre dun régime présidentiel (c'est-à-dire avec une séparation stricte des pouvoirs). Dans ce dernier, le Président exerce la plénitude du pouvoir exécutif au niveau national. Dans les régimes présidentiels de type fédéral (par exemple : Etats-Unis, Argentine, Brésil, Mexique ) le Président est bien chef de lexécutif national mais doit respecter la répartition des compétences contenues dans la Constitution et attribuant exclusivement certains domaines dactions politiques aux élus des Gouvernements fédérés. Le Président de la République française étant à la tête dun Etat unitaire, certes décentralisé4, est en mesure dintervenir dans un nombre notablement plus important de dossiers car pratiquement aucun domaine ne peut échapper par sa nature à la compétence des instances nationales5. 3 M. Duverger : Le système politique français, PUF, 19° édition, 1986 et O. Duhamel : Histoire constitutionnelle de la France, Seuil, Points, 1995 ainsi que Le quinquennat, 2° édition, Presses de Science-Po, 2000, ainsi que J.J. Chevallier, G. Carcassonne et O. Duhamel : La V° République (Histoire des institutions et des régimes politiques en France ), Armand Colin, 2001, notamment p 107 et suivantes et 233 et P. Jan : Le Président de la République au cur du pouvoir, La Documentation française, 2011. Sur lhistoire constitutionnelle, voir également G. Thévenon : La Cinquième République, vie politique française, Collection Comprendre la société, LEssentiel, Chronique sociale, 2012, notamment p 148, 171, 189 et 225. 4 Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible ( ). Son organisation est décentralisée ». 5 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958 : « ( ) Dans les conditions fixées par la loi, les collectivités territoriales s’administrent librement ( ) ». Dans un système unitaire le législateur est nécessairement le Parlement national, qui peut donc, dans les limites de la Constitution et sous le contrôle du Conseil 14 C) Un Président de la République au centre du jeu politique depuis 1958 3) Célébré comme étant, selon une formule fameuse de Michel Debré6, « la clef de voûte des institutions », parfois taxé d « hyperprésident », le Président de la République joue de fait, dans le régime de la V° République tel quil est pratiqué dans une compréhension très suggestive des textes et lorsquil ny a pas de cohabitation, le triple rôle de chef de lEtat, de lexécutif et de la majorité parlementaire, alors que seul le premier lui est formellement attribué par les textes. Il dispose, on le verra, dun pouvoir darbitrage lui permettant de veiller au respect de la Constitution et à la continuité de lEtat (article 5), nomme le Premier ministre et, sur la proposition de ce dernier, les autres membres du Gouvernement (article 8), préside le Conseil des Ministres (article 9), promulgue les lois (article 10), signe les ordonnances (article 38) et dispose dun pouvoir réglementaire résiduel ainsi que du pouvoir de nommer certains hauts fonctionnaires (article 13). Il est le garant de lindépendance de la magistrature (article 64), peut dissoudre lAssemblée nationale (article 12), organiser un référendum à condition dêtre saisi dune demande préalable (articles 11 et 89), adresser un message aux Chambres (article 18) et mettre en uvre un pouvoir de légalité de crise lui conférant, en cas de menace grave et immédiate et sous certaines conditions de mise en uvre, des pouvoirs exceptionnels (article 16). Il nomme trois membres (dont le Président) du Conseil constitutionnel (article 56) et peut saisir cet organe soit pour faire examiner le texte dun traité non encore ratifié par le Parlement (article 54), soit le texte dune loi votée mais non encore promulguée (article 61). Ses actes sont normalement contresignés par le Premier ministre et les Ministres chargés de leur exécution sauf ceux prévus par les articles 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61. Depuis 2000, il est élu pour cinq ans au suffrage universel direct (articles 6 et 7). Bien que le Premier ministre soit en principe le chef du Gouvernement, cest constitutionnel, modifier les attributions des collectivités territoriales par le vote de lois de réforme territoriale. 6 Discours du 27 août 1958 devant le Conseil dEtat, texte reproduit in B. Perreau : op.cit., p 30. 15 pourtant le Président de la République qui, lorsquil ny a pas de cohabitation, détermine les grandes orientations issues du programme sur lequel il a été élu, que le Premier ministre (notamment par le pouvoir dinitiative des lois et lexercice du pouvoir réglementaire général) et le Gouvernement (qui détermine et conduit la politique de la Nation) mettent formellement en uvre. Enfin, il apparaît que la majorité législative, toujours en dehors dune cohabitation, ayant été élue depuis 2002 dans la foulée des élections présidentielles, fait du programme du Président celui de la législature, ce qui conduit le chef de lEtat a devenir ipso facto le chef de la majorité (ce qui nest pas sans poser problème, on le verra, pour la mise en uvre de son pouvoir darbitrage). Depuis 2008, le mandat du Président de la République est immédiatement renouvelable au plus une fois (soit deux mandats consécutifs). D) Une fonction présidentielle affectée par les mutations du rôle de l’Etat dans un cadre mondialisé 4) Parler du Président de la République française sous la V° République cest aussi, indirectement, sinterroger sur les mutations récentes de la conception même dEtat, dans le cadre des bouleversements auxquels sont confrontés lEtat nation comme lEtat providence. Le général de Gaulle a tenté dajuster lexercice du pouvoir dEtat à lensemble des réalités politiques, sociales, économiques et culturelles de la nation7. Le triptyque fondamental de lEtat gaullien, et donc de la V° République, a pu être défini ainsi : « L’Etat en tant qu’expression et/ou instrument de la continuité nationale ; l’Etat en tant qu’émancipateur de la volonté nationale ; l’Etat en tant que moyen de rayonnement de la nation dans le monde 8», permettant dassurer que la France nest pas seule mais reste maîtresse de son destin9. 7 M. Tauriac : Vivre avec de Gaulle, Plon 2008, Réedition Pockett 2010, p 311 et suivantes. 8 E. Branca, intervention lors du colloque organisé par lInstitut Charles de Gaulle, La philosophie politique du Général, Revue Espoir, n° 41, décembre 1982, cité par M. Tauriac, op cit, p 311. 9 M. Tauriac, Idem, p 312. 16 En 1958, en pleine crise coloniale et au milieu des Trente glorieuses, après les expériences malheureuses des III° et IV° République et en sinspirant du contreprojet constitutionnel proposé par Charles de Gaulle à Bayeux en 1946, le constituant eut lambition de réaliser une révision si profonde des institutions et pratiques de la Constitution du 27 octobre 1946 que lon passa finalement à une nouvelle République. Avec la V° République il sagissait, dans le cadre dun Etat économiquement et socialement interventionniste10 respectant les principes du préambule de 1946, de restaurer à la fois la primauté du chef de lEtat et lautorité de lEtat, celle-ci ne pouvant aller sans celle-là. La loi du 3 juin 1958, qui autorisait le Gouvernement du général de Gaulle, à préparer lévolution institutionnelle de la France, imposait de respecter les principes dun régime parlementaire et lon a pu penser quil sagissait en pratique de passer dun régime parlementaire moniste à un régime parlementaire dualiste. Le Président de la République est le chef de lEtat, mais, contrairement aux deux régimes précédents, il devient le véritable chef de lexécutif, assisté dun Premier ministre et dun Gouvernement, car selon la célèbre formule de Charles de Gaulle11, « on ne saurait accepter qu’une dyarchie existât au sommet ». Cinquante ans après la promulgation de la Constitution du 4 octobre 1958, le contexte a considérablement évolué. Tout dabord, le texte de la Constitution a été affecté par diverses pratiques, qui ont contribué à renforcer singulièrement les compétences du chef de lEtat, au détriment du Gouvernement dans le cadre du fait majoritaire, c'est-à-dire la domination exercée par une même majorité au niveau de lexécutif et du législatif, ce qui transcende la séparation des pouvoirs. Certes, le fait majoritaire nexiste pas seulement en France. Il est toutefois amplifié dans notre pays par la primauté du chef de lEtat qui, lorsquil ny a pas de cohabitation est aussi de facto, on la dit, chef de la majorité parlementaire et le véritable responsable de la politique gouvernementale dans le cadre de la présidentialisation de la V° 10 Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République ( ) sociale ». 11 Discours du 31 janvier 1964. 17 République. Par ailleurs, le maintien, en dépit des décentralisation opérées dans notre pays en 1982 et 2003, dun caractère unitaire prononcé de lEtat contribue à renforcer le fait majoritaire dans la mesure où, si les collectivités territoriales sadministrent librement par des conseils élus (article 72), elles sont soumises au respect du principe de légalité (idem), c'est-à-dire à la mise en uvre des lois votées par la majorité dans le cadre dune politique voulue, sauf en cas de cohabitation, par le Président de la République. Ensuite, la question de lévolution de lempire colonial, qui avait été centrale durant les débats de lété 1958 et inspira certains des mécanismes constitutionnels au travers de la notion de Communauté française, a été rapidement tranchée par laccession à lindépendance des divers états africains associés à la France. Cela a contribué, nous le verrons, à transformer la fonction arbitrale du chef de lEtat. Par ailleurs, même si le traité de Rome instituant le Marché commun avait été signé en 1957 (mais était entré en vigueur le 1er janvier 1959, soit peu après la Constitution du 4 octobre 1958), il a fallu attendre 1992 et diverses révisions ultérieures pour que figurent dans la Constitution les conséquences juridiques de la construction européenne, qui transforment radicalement les conditions dexercice de la souveraineté et de la direction des affaires publiques dans lensemble des états membres. Enfin, lEtat providence des Trente glorieuses, qui puisait sa légitimité dans le préambule de 1946, sest progressivement transformé, dans le cadre de la construction européenne et de la globalisation, en un Etat limitant ses interventions dans le domaine économique, voire social, aux seules exceptions autorisées par les nombreuses conventions internationales quil a signées12. Ainsi, on est passé en cinquante ans dun Président de la République responsable politiquement devant le peuple, exerçant principalement une fonction arbitrale dans un cadre impérial (la Communauté française précitée), à un Président prescripteur 12 Lensemble des normes juridiques comprend environ 8000 lois et 110000 décrets (chiffres cités le 30 mai 2006 par le site Vie publique de la Direction de lInformation légale et administrative). Il y aurait par ailleurs environ 6000 traités internationaux applicables. 18 agissant dans un cadre globalisé. Ces trois points seront abordés successivement. Bibliographie P. Ardant et B. Mathieu : Institutions politiques et droit constitutionnel, 21° édition, LGDJ, 2009 D. Chagnollaud : Droit constitutionnel contemporain, Dalloz, tome 3 (La V° République), 2008 B. Chantebout, Droit constitutionnel, 25° édition, Sirey, 2008 D. Chagnollaud et J.L. Quermonne : La V° République, Flammarion (Champs), 2000 (2 tomes) J.J. Chevallier, G. Carcassonne et O. Duhamel : La V° République, histoire des institutions et des régimes politiques de la France, Armand Colin, 2007 R. Debbasch : Droit constitutionnel, 7° édition, Litec, 2008 M. Duverger : Le système politique français, PUF, 19° édition, 1986. O. Duhamel : Histoire constitutionnelle de la France, Seuil, Points, 1995 L. Favoreu, P. Gaïa, R. Ghevontian, J.L. Mestre, O. Pfersmann, A. Roux et G. Scoffoni : Droit constitutionnel, 11° édition, Dalloz, 2008 C. de Gaulle : Mémoires d’espoir, tome 1 (Le renouveau, 1958-1962) et tome 2 (L’effort, 1962- ), Plon, 1970 et 1971 J. Gicquel et J.E. Gicquel : Droit constitutionnel et institutions politiques, 23 ° édition, Montchrestien, 2009 F. Hamon et M. Troper : Institutions politiques et droit constitutionnel, LGDJ, 31° édition, 2009 P. Jan : Le Président de la République au cur du pouvoir, La Documentation française, 2011. A.-M. Le Pourhiet : Droit constitutionnel, 2° édition, Economica, 2008 P. Pactet et F. Melin-Soucramanien : Droit constitutionnel, 28° édition, Sirey, 2009 B. Perreau : 50 ans de vie politique française, le débat sur la fin de la V° République, Documents, Librio, 2007. Y. Poncellet : La V° République (1958-1981), Armand Colin, 2000 D. Rousseau et A. Viala : Droit constitutionnel, Montchrestien, 2009 19 G. Thévenon : La Cinquième République, vie politique française, Collection Comprendre la société, LEssentiel, Chronique sociale, 2012, notamment p 148, 171, 189 et 225 D. Turpin : Droit constitutionnel, PUF, 2009 20