La Bolivie sous le gouvernement Morales: position politique
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La Bolivie sous le gouvernement Morales: position politique
La Bolivie sous le gouvernement Morales: position politique de l’OSEO Depuis janvier 2006, la Bolivie est le premier pays d’Amérique latine à s’être donné un président indigène. Son élection est l’expression et le résultat d’une longue lutte menée par des couches opprimées et marginalisées de la population pour la reconnaissance, l’égalité des droits et la participation aux décisions politiques. Evo Morales a été élu à la majorité absolue au premier tour déjà, sans que le congrès n’ait donc à se prononcer lors d’un second tour d’élection. Cet événement unique dans l’histoire récente de la Bolivie souligne la légitimité politique du régime actuel. Depuis son arrivée au pouvoir, Evo Morales a été confirmé à son poste par un référendum organisé en 2008. Début 2009, le gouvernement a par ailleurs remporté haut la main le scrutin populaire sur la nouvelle Constitution nationale, qui a ainsi été adoptée. Le régime du MAS, de même que les réformes structurelles qu’il a lancées, reposent donc sur de solides bases démocratiques. Par ailleurs, il représente également les intérêts de la population indigène, opprimée pendant des siècles, de même que ceux des métis, socialement et politiquement marginalisés. Les changements en Bolivie ne méritent pas seulement d’être salués du point de vue politique et démocratique. Le gouvernement Morales a aussi introduit des mesures économiques, indispensables pour mener une politique progressiste et émancipatrice, conduisant à une redistribution sociale des richesses. L’objectif est de rendre à l’Etat le pouvoir de disposer des ressources naturelles du pays, notamment en redéfinissant la réglementation régissant l’activité des multinationales, et d’appliquer une nouvelle loi sur la propriété foncière, qui modifie les rapports de propriété au profit de la population pauvre du pays. La démocratisation de l’accès au système de santé pour les personnes peu fortunées et le nouveau droit à une rente constituent aussi des progrès appréciables. En politique étrangère, le gouvernement Morales s’est allié avec le Venezuela et Cuba, et a ainsi clairement rejeté l’hégémonie états-unienne sur le sous-continent sud-américain. La participation à l’ALBA et à la Banque du Sud souligne par ailleurs la volonté de promouvoir l’autodétermination du pays et d’échapper à toute mainmise étrangère. Ce positionnement a sensiblement consolidé les marges de manœuvre politique et économique des pays du Sud, d’où de gros progrès à l’échelle mondiale et la perspective de nouvelles orientations en matière de développement, des orientations s’écartant clairement des politiques néolibérales qui n’ont fait, pendant trois décennies, qu’aggraver la pauvreté et l’exclusion en Amérique latine. L’évolution en cours correspond aux aspirations de l’OSEO, qui s’attache, dans sa coopération au développement, à promouvoir la démocratie, la justice sociale mondiale et l’émancipation des couches sociales défavorisées. 1 Reconnaissant le côté positif des changements politiques qui s’opèrent en Bolivie, l’OSEO ne s’en tient pas à une solidarité illimitée et dépourvue de tout sens critique à l’égard du nouveau régime. Une telle position ne correspondrait ni à son appréciation de la situation ni à son identité d’œuvre d’entraide. L’OSEO défend ses principes et ses objectifs, mais jamais des partis ou des gouvernements, quelle que soit leur orientation. Dans nos rapports avec les mouvements sociaux qui sont à l’origine de processus politiques ou qui les sous-tendent, nous restons fidèles à ces principes et à ces objectifs, et nous réservons le droit à la critique. Notre position à l’égard de la nouvelle Bolivie est dès lors à la fois solidaire et critique, donc forcément nuancée. Comme par le passé, notre solidarité s’adresse en priorité aux personnes défavorisées. Et cette priorité constitue d'ailleurs une constante dans les activités que l’OSEO mène en Bolivie depuis le milieu des années 1980. La Bolivie dénote cependant aussi des tendances qui remettent en question une partie des acquis démocratiques et du progrès social. L’appartenance ethnique est parfois à l’origine d’oppositions politiques, tandis que des idées ou des arrière-pensées racistes transparaissent dans le débat, voire dans les projets, politiques. Si la Bolivie entend vraiment devenir une société pluriethnique, plurinationale et interculturelle, la création de subdivisions administratives homogènes sur le plan ethnique (telles qu’elles sont prévues dans la nouvelle Constitution) ne constitue, à notre avis, pas une solution à long terme. Les catégories ethniques ne peuvent en effet pas servir de fondement politique et social, du moins pas dans une démocratie qui accorde les mêmes droits à chacun et à chacune. L’ethnicisation de la politique remet au contraire en cause la coexistence au sein d’une structure étatique pluriethnique. La nouvelle Constitution colombienne est progressiste à bien des égards, en particulier pour ce qui est des droits fondamentaux. En mettant le droit des communautés1 sur un pied d’égalité avec le droit formel, elle risque cependant de freiner l’émancipation de certaines catégories de la population et d’engendrer le non-respect des droits de la femme, de diverses minorités ou de certains individus. Le droit collectif ne doit en effet pas violer les droits fondamentaux de l’individu, qui sont à la base de toute démocratie. A nos yeux, il ne s’agit pas là de contradictions mineures, que l’on peut tolérer dans le cadre d’un vaste projet politique, mais des traits caractéristiques d’un nouveau projet de société. L’OSEO n’a jamais redouté et ne redoutera pas à l’avenir de débattre avec ses partenaires des modes de pensée – qui comprennent par exemple le Caudillismo et des tendances autoritaires, comme celle la dictature de la majorité – profondément ancrées dans les 1 Le droit des communautés, jurisdicción indígena originaria campesina dans la nouvelle Constitution (art. 190 à 192), délègue aux peuples et aux communautés indigènes le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la législation selon leurs propres principes, valeurs culturelles, règles et traditions. 2 mouvements paysans, syndicaux et sociaux. Nous avons au contraire toujours informé ouvertement et clairement à ce sujet et tenu tête dans la discussion. Dans le même temps, nous constatons que les principes et les objectifs de l’OSEO ne coïncident en rien avec les vues racistes et fascisantes de l’oligarchie bolivienne, qui s’oppose à toute forme de redistribution des richesses sociales et lutte contre toute atteinte à ses privilèges. Le climat politique qui règne aujourd’hui en Bolivie est marqué par la polarisation entre le MAS et l’opposition, entre les hauts plateaux à l’ouest et la plaine à l’est, entre les indigènes des Andes et l’oligarchie qui dirige les départements économiquement prospères de Santa Cruz ou de Tarija. Malgré le déséquilibre des forces, la polarisation est palpable et correspond aux positions politiques, à l’appartenance ethnique et aux classes sociales. Dans une telle situation, les débats sur les fondements politiques et sociaux risquent d’être instrumentalisés par les opposants politiques, tandis que les individus pourraient être réduits au rang de jouets d’un courant politique et ne plus être considérés comme des citoyens et des citoyennes responsables. Dans ce contexte, l’OSEO défend clairement le droit des citoyens à se forger leur opinion et à l’exprimer dans un climat ouvert et démocratique, les droits démocratiques fondamentaux, les droits humains, la justice sociale et la démocratie politique. Elle préconise aussi la responsabilité étatique, ainsi que le respect de ceux qui pensent autrement. L’OSEO condamne le racisme, de même que toute forme d’instrumentalisation et de manipulation politiques. Nous sommes conscients que notre position est à la fois solidaire et critique, qu’elle rejette les amalgames et ose la nuance, et que l’OSEO se place ainsi entre deux fronts politiques opposés qui ne cessent de se durcir, tant en Bolivie qu’en Suisse. Il est d’autant plus important d’expliquer clairement ce point de vue nuancé autour de nous. Adopté par la direction de l’OSEO en février 2009 3