La gnose cathare et ses relations avec le symbolisme maçonnique

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La gnose cathare et ses relations avec le symbolisme maçonnique
La gnose cathare et ses relations
avec le symbolisme maçonnique
"La véritable vertu ne consiste pas à vouloir être au plus haut, ou à prétendre y être,
mais à essayer de connaître et d'admettre humblement ce que l'on est
véritablement".
Parole Cathare
Chaque instant d'Amour est une parcelle d'éternité. Tout le reste est sable entre nos
doigts…
Introduction
Les Cathares ont vécu en Languedoc de l’an 1000 à 1300 et ont été considérés
comme de dangereux hérétiques par la hiérarchie catholique. Ils ont fait l’objet d’une
répression d’abord souple, avec la complicité de la noblesse locale rapidement
gagnée à leurs idées, puis féroce jusqu’à leur extinction et l’anéantissement de leurs
traces.
Le catharisme a été non seulement un fait religieux mais aussi une réalité sociale et
politique, qui s’est répandue du Languedoc au nord de l’Italie. Incapable d’enrayer la
progression de l’hérésie par la prédication anti-cathare, le pape Innocent III va
appeler en 1209 les chrétiens du Nord à la croisade contre ceux qu’on appellera plus
tard les Albigeois pour éradiquer cette Eglise par le glaive. Puis, devant l’insuccès de
20 ans de croisade, son successeur Honorius III va instituer des tribunaux
ecclésiastiques spécifiquement créés pour l’occasion, ceux de l’Inquisition.
La victoire sera totale puisque dès le XIVème siècle, l’église cathare n’existe plus en
tant qu’institution. Par contre, la philosophie et les principes du catharisme suscitent
de l’intérêt et continuent à faire l’objet d’études, en particulier dans les milieux
maçonniques. Ainsi, la parcelle de vérité contenue dans la métaphysique cathare a
traversé le temps et rejaillit aujourd’hui avec force, pour nous interroger sur le sens
de la création et de la gnose, mais aussi pour renforcer notre conviction, qu’il est
impossible de cacher la Vérité par la force à celui qui la cherche.
Pour comprendre le catharisme, il faut revenir aux premiers siècles de notre ère.
Après la mort du Christ, les croyances ont beaucoup varié au sein de l’Eglise
chrétienne. De tous les évangiles, écrits parfois longtemps après, seuls quatre ont
été retenus par Rome, les autres dits apocryphes, littéralement tenus secrets, tel
l’épître de Saint Pierre, ont été rejetés faisant de leurs adeptes des hérétiques, c’est
à dire ceux qui ont développé des croyances, en contradiction avec les dogmes de
l’église.
Au cours de conciles, les multiples questions posées par la croyance chrétienne
naissante ont imposé de fréquentes et interminables discussions théologiques pour
fixer le dogme et finalement rejeter en dehors de l’église, c’est à dire ex-communier
les hérétiques, qui se considéraient eux comme les vrais croyants.
Parler des cathares c’est donc parler de leur répression et de leur éradication. De ce
fait, il est devenu difficile de reconstituer leur épopée à partir de documents
authentiques, car beaucoup ont été détruits alors que d’autres, très nombreux, ont
été écrits par leurs ennemis, et donc sujets à caution.
En fait, il n’existe que cinq textes authentiques, 3 rituels et 2 traités de théologie, dont
le livre des deux principes écrit par Jean de Lugio de Bergame vers 1250. Par
ailleurs, les cathares vont se référer à quelques textes apocryphes et à l’Évangile de
Jean.
Enfin, il subsiste les archives de l’Inquisition qui renseignent sur la mentalité de
l’époque. A huit siècles de distance, on peut ainsi constater que lorsque le pouvoir
politique est aveuglé par un dogme discriminatoire, il génère les mêmes horreurs.
Ce déficit de textes originaux cathares a favorisé les interprétations de ceux qui les
ont étudiés. Ce travail s’appuie donc sur la remarquable histoire des cathares de
Michel ROQUEBERT, publié en 1999 aux éditions Perrin, qui représente la synthèse
de trente années de recherche.
Cette planche traitera de la religion cathare et de ses principes. Nous essayerons de
comprendre l'essence du message qu’ils nous ont légué et d’établir chaque fois que
possible des analogies avec le symbolisme maçonnique. Cette manière de procéder
nous permettra de ne jamais perdre de vue la dimension traditionnelle de la gnose
cathare en relation avec l'universalisme des arcanes maçonniques.
J’adopterai donc le plan suivant :
l’évolution des croyances chrétiennes et les errements de l’église,
le contexte géo-politique en Languedoc aux XIIème siècle,
le développement des cathares et leur foi,
la croisade suivie de l’inquisition
les analogies avec le symbolisme maçonnique
conclusions
L’évolution des croyances chrétiennes et les errements de l’église
Au fil des siècles, l’Eglise s'est érigée non seulement en pouvoir spirituel mais aussi
temporel possédant terres, abbayes et droits de taxation dont la dîme (10% des
revenus). Au XIème siècle, des Chrétiens sincères et des prêtres, révoltés contre les
oublis du message d'amour et de désintéressement du Christ, se dressent contre
l'autorité de l'Eglise. D'autres vont plus loin en mettant en cause les fondements de la
doctrine chrétienne.
Parmi ces derniers, si tous ne furent pas Cathares, certains professaient déjà des
grands principes similaires : les PATARINS en Italie, les PUBLICAINS en
Champagne et Nivernais, les POPULICANI en Angleterre ou les VAUDOIS, partisans
de Valdès, à Lyon.
Pas moins de quatre conciles sont tenus au XIème siècle pour éteindre les hérésies
répandues par les cathares durant lesquels on décide de les excommunier ainsi que
ceux qui leur viennent aide. Les bûchers se multiplient.
Au XIIème siècle, le pape Grégoire VII, comprend le danger et cherche à réformer
l’Eglise notamment avec l'aide de grands ordres monastiques tels que Cîteaux, qui
prônent le retour à la règle et à la pauvreté.
Mais, dès le début du XIIe siècle, les idées cathares (du grec katharos : pur)
s'implantent plus largement dans les populations languedociennes qui sont séduites
par une doctrine à leur portée, prêchée dans leur langue, la langue d’oc plutôt qu’en
latin, par un clergé qui partage leurs conditions de vie et qui de surcroît, ne perçoit
pas la dîme ecclésiastique. Ces hérétiques entre eux s'appellent "Bons Chrétiens".
Ce sont leurs adversaires qui les appellent cathares. En fait, cathare serait une injure
et viendrait du latin catus « car, à ce qu’on dit ils baisent le cul d’un chat », ramenant
ces croyants à un statut de vulgaire sorcier.
Contexte géo-politique
Mais avant de s'intéresser à la religion cathare proprement dite, parlons du
Languedoc aux XIIe et XIIIe siècle, aux cours desquels elle s’est développée. C’est à
l’époque un vaste région qui s'étend à travers le Sud de la France, du Nord-est de
l'Espagne à l'extrême Nord-ouest de l'Italie, qui fut de tout temps un lieu de passage
important occupée successivement par les romains puis les Wisigoths, Francs,
arabes et enfin Ibères. La civilisation occitane qui s’y était développée était prospère.
Les Wisigoths se sont installés en narbonnaise qui va devenir le Languedoc, le pays
de la langue d'oc où oui se dit oc. Le mélange des cultures a ouvert les esprits et
contribué à l'instauration d'un esprit languedocien indépendant typique. Toulouse,
principale ville de l'Occitanie, était au XIIème siècle aussi importante que Venise et
Marseille. De plus, le Comte de Toulouse, Raymond VI, du fait de ses différentes
propriétés, était à la fois le vassal du roi de France, du roi d’Angleterre, de l’empereur
germanique et du roi d’Aragon son beau-frère, autant qu’il n’était en fait le vassal de
personne : un roi sans couronne.
Par ailleurs, l’absence de droit d'aînesse a provoqué un appauvrissement de la
noblesse, à l’inverse de l’église dont la richesse va croissante. La société rurale est
donc proche de la petite noblesse et cette communauté des campagnes sera l'une
des forces du Languedoc. La croyance cathare se répand rapidement au XIIème
siècle parmi les paysans, la petite noblesse, les bourgeois commerçants et artisans
et même le clergé, touchant 50% de la population dans les petits villages. A la fin du
siècle, l'idéologie cathare est largement répandue au grand courroux des autorités de
l'Eglise romaine dans un quadrilatère ayant pour sommet Toulouse, Albi,
Carcassonne et Foix.
La tragédie cathare sera le résultat de tous ces éléments, mêlés dans le Languedoc,
tel un mélange explosif dont l'aspect religieux ne sera manifestement qu'un des
éléments.
Mais d’où viennent ces Cathares que le peuple nommait d'une façon générale Bons
Hommes ou Bonnes femmes ou encore Vrai Chrétien ou Ami de Dieu?
Le développement des cathares et leur foi
L'origine doctrinale des cathares s'inspire essentiellement du christianisme primitif et
tout particulièrement de la doctrine professée par Origène qui, au IIème siècle, a
proposé une interprétation de la Bible par la méthode allégorique, refusée par
l’église. Elle s’inspire aussi des théories gnostiques et dualistes orientales,
nombreuses au début du second millénaire.
Ces dernières étaient surtout représentées par le mazdéisme, dont le plus illustre
prophète fut Zoroastre au VIIe siècle avant l’ère chrétienne. Le mazdéisme repose
sur l’incessant combat entre le dieu de la Lumière Ormuzd et celui du mal Ahriman,
ce que nous symbolisons en maçonnerie par le pavé mosaïque. Son livre sacré,
l’Avesta dit que chaque homme doit toujours arbitrer en lui les bonnes et les
mauvaises actions et qu’Ahriman disparaîtra à la fin des temps lorsque plus
personne ne voudra le suivre.
La doctrine cathare puise donc ses fondamentaux à la fois chez Origène mais aussi
dans le manichéisme, religion fondée au IIIème siècle par le prophète persan Mani
ou Manès qui est une gnose dualiste s'inspirant plus tard du mazdéisme.
En 869, le concile de Constantinople nie la présence de l’Esprit en l’homme et
affirme qu’il faut désormais enseigner que l’homme n’est constitué que d’un corps et
d’une âme douée de qualités spirituelles. Cette grave décision est en contradiction
flagrante avec la doctrine d'Origène. En réaction, quelques dissidents
gnostiques décident en Bulgarie de propager la réalité de l’existence de l’Esprit. On
les appelle Bogomile, qui signifie ami de Dieu en bulgare.
Leur croyance impute au diable et non à Dieu la création du monde visible. L’âme qui
est d’essence divine, est emprisonnée dans un corps d’essence diabolique.
Endormie dans la matière qui la retient captive, elle a oublié sa céleste origine. C’est
pour la réveiller que Dieu a envoyé Jésus-Christ sur terre, porteur d’un message
propre à arracher les âmes à leur prison terrestre. Les Bogomiles considèrent
l’eucharistie comme une simple allégorie, rejettent la messe, et les sacrements et
donc, de fait, l’autorité de l’église catholique. C’est intégralement le message du
catharisme.
Le bogomilisme est à l’origine du catharisme, qu’on appellera néo-manichéisme pour
le déconsidérer. Depuis la Bulgarie, il va déferler vers la Roumanie, la Bosnie, la
Grèce et même l’Asie mineure. Après le grand schisme de 1054 entre catholiques et
orthodoxes, on commence à rencontrer en Allemagne, en Lombardie, en Suisse, et
surtout en Languedoc des personnages vêtus de noir cheminant toujours par deux.
Ils participent à la vie du peuple, travaillent et pratiquent une fraternité exemplaire,
partagent les peines et les soucis des petites gens, prêchent des idées nouvelles.
Ils sont très bien reçus par la population et commencent à occuper le terrain spirituel
perdu par le clergé catholique. Leurs pratiques religieuses sont fondamentalement
distinctes de celles des catholiques. Les Parfaits, appelés ainsi parce qu'ils avait reçu
le Consolamentum étaient très exigeants pour eux-mêmes, mais laissaient les
Croyants juges de leur propre chemin. Ils ne portaient aucun jugement sur la qualité
spirituelle des gens qui adhéraient à leurs idées et exigeaient simplement de celui
qui a la foi, d'aspirer à la vertu et d'écouter leurs prédications. Ils ne prélevaient
aucun argent.
Les simples croyants pouvaient mener une vie normale, mais s'engageaient à
recevoir le Consolamentum en péril de mort. Il n’y avait aucun office obligatoire, pas
de distinctions dans la vie religieuse comme dans la vie civile, pas de mariages
obligatoires, ni aucune discrimination entre hommes et femmes.
La foi cathare
Elle est fondée sur le dualisme. Le principe en est que Dieu, dans son infinie bonté,
ne peut être à l’origine du mal. Il faut donc chercher la cause du mal dans un principe
créateur différent de lui, et par essence mauvais. L’idée de base est donc l'existence
de deux principes (dualisme) fondant et gouvernant le monde. D'une part, Dieu,
parfait et bon, qui règne dans les cieux, d'autre part Satan, mauvais et périssable,
mais créature de Dieu et ange déchu qui préside aux destinées terrestres.
Ainsi, deux ordres de réalités s’opposent :
- le monde invisible de réalités spirituelles et éternelles, domaine de Dieu. C'est le
monde de l'Amour et de la Charité.
- et le monde visible, ensemble des réalités matérielles et temporelles, corruptible et
voué à la destruction. C'est dans ce monde que se développe le mal, que les corps
de chair souffrent, se dégradent et meurent. C'est dans ce monde que vit la vanité,
l'orgueil, l'avarice, la cupidité, les malheurs, les maux et les maladies. C'est un
monde illusoire où le mal se développe dans le temps mais aussi dans la matière.
Mais le dualisme n’a de perspective que dans le créationnisme. En effet, si le monde
est incréé, la théologie chrétienne, catholique ou cathare, est sans objet. Pour les
cathares, Adam et Eve n’ont pas été crées par le bon dieu. Leurs corps sont des
prisons dans lesquelles le mauvais créateur a enfermé des âmes qui elles
appartiennent à la bonne création.
Or la position de l’église catholique est que « Dieu est le créateur unique, du ciel et
de la terre, du visible et de l’invisible, des réalités matérielles et spirituelles. Pourtant,
Dieu reste unique chez les cathares, unique créateur de la bonne création, car l’autre
principe n’est pas un vrai dieu. Mais l’église voit le danger car, accepter deux dieux,
c’est accepter le dithéisme qui ouvre la porte au polythéisme et le credo sera changé
pour débuter par « Credo in unum deum». En fait, cette question est la clef de voûte
de tout un système doctrinal, théologique.
Les conséquences de cette croyance sont multiples. L'âme ou l'esprit est l'objet de
toute la considération divine alors que le corps matériel est réprouvé. Gagner son
salut éternel n'est possible qu'en adhérant totalement à Dieu et en délaissant la
condition terrestre. L'ascétisme en est une des suites logiques. Les âmes ne
périssent pas mais se réincarnent successivement dans un corps différent, tant
qu'elles n'ont pas atteint le degré de perfection leur permettant d'atteindre la vie
éternelle.
Logiquement, les cathares considèrent que si la chair est du côté du mal, le Christ
n’a pu en aucun cas naître de la Vierge Marie. Pur esprit, il se serait donc projeté en
elle. De même, il n’a pu vraiment s’incarner en tant qu’homme et n’a donc souffert
sur la croix qu’en apparence. Sa présence dans le pain et le vin ne peut être
qu’allégorique, car il ne peut être présent dans cette pure parcelle de matière qu’est
l’hostie.
La société cathare
Elle comprend les croyants appelés à suivre rigoureusement les préceptes de leur
religion et les parfaits et parfaites qui sont des croyants ayant voué leur existence à
la religion. Le terme parfait vient de l’inquisition pour désigner les hereticus perfectus,
mais ils s’appelaient entre eux Bons hommes, Bonnes dames, bons chrétiens.
On devenait parfait en recevant le consolament, c’est à dire le saint-esprit par
l’imposition des mains, telle que les apôtres l’avait pratiqué sur leurs disciples depuis
les origines du christianisme. C’est le baptême du feu et de l’esprit, par opposition au
baptême de l’eau des catholiques que les cathares ne reconnaissent pas. Au
moment de la mort du consolé, le saint-esprit consolateur quitte le corps pour
ramener son âme au royaume de Dieu. C’est la grande différence avec le
catholicisme, l’âme pré-existe au corps. Elle retourne au paradis qu’elle n’a pas à
gagner.
Le consolament est le début d’une nouvelle vie et impose de rompre avec tout ce qui
dans le monde relève de l’emprise du mauvais principe, tout particulièrement la
luxure, la violence, le mensonge, la méchanceté et le vice. C’est une vie imitée de la
vie apostolique, un passage à l’état religieux, marqué par le port de la robe noire,
l’absence de consommation de chair animale et l’abstinence.
Parce que le consolament est la voie obligée pour obtenir le salut de l’âme, les
croyants doivent le recevoir avant de mourir pour permettre à leur âme de quitter
définitivement son enveloppe terrestre, sinon celle-ci est condamnée à se réincarner
dans l’enveloppe d’un animal ou d’un être humain jusqu’à ce qu’elle se retrouve dans
le corps d’un parfait.
La vie des cathares est centrée sur la religion et obligation leur est faite de vivre du
travail de leurs mains d’où le développement de l’artisanat dans des maisons-ateliers
et la totale intégration de l’église cathare à la vie sociale et économique.
La hiérarchie est calquée sur celle de l’église catholique. Les parfaits sont à la fois
des religieux séculiers voués au salut de leur âme et des religieux réguliers, ayant
charge d’âmes, à la fois des moines et des curés de paroisse, ce qui en fait une
église qu’on dirait aujourd’hui de proximité.
L’église n'exerce aucun pouvoir temporel, ne possède pas de bien foncier ni de
tutelle d'ordre sociale et économique et n’a créé ni couvents ni ordres monastiques.
Le clergé ne prélève aucun argent. Il est composé de gens qui vivent de leur travail,
en communauté, et au cœur même des villages, ce qui est le meilleur garant d’une
totale intégration.
La conversion par le verbe et l'exemple
Aussi, à l'aube du XIIIème siècle, le développement du catharisme dans le
Languedoc au vu et au su de l'ensemble de la société devenait intolérable pour
l'Eglise officielle et ne pouvait laisser indifférent le pouvoir royal. Saint Bernard de
Clairvaux, abbé de Cîteaux est envoyé en mission en 1145 par le pape pour ramener
les cathares au sein de l’église catholique. Effaré de ce qu’il observe, il écrit dans
une lettre au pape, "les basiliques sont sans fidèles…, les prêtres sans honneur …
les hommes vivent dans le péché… on prive les enfants de la vie en Christ en leur
refusant le baptême."
En 1205, Le pape nomme trois cisterciens, dont Arnaud Amaury, à la tête de l’ordre,
qui parcourent le pays en prêchant. La progression de l’hérésie est déjà si grande
qu’ils envisagent de démissionner ensemble. C’est alors qu’ils rencontrent le futur
Saint Dominique, qui a réalisé combien les Revêtus sont populaires, et que leur
succès provenait à la fois de leurs manières de s’intégrer à la population et de leur
humilité sociale. Dominique convainc les légats de persévérer mais en changeant de
stratégie. Il leur conseille de quitter leurs somptueux vêtements et leurs riches
équipages pour aller pieds nus sur les routes prêcher comme des cathares en
quêtant leur pain. Lui aussi va prêcher, mais avec peu de succès car le contraste
choque les esprits entre les prédicateurs cathares vivant en harmonie avec leurs
convictions religieuses et le clergé catholique, qui vit lui dans l’abondance et la
luxure, tout en prêchant l’humilité sociale sans la pratiquer.
La croisade
Après les nombreux rappels à la foi catholique tentés par ses prédécesseurs, le pape
Innocent III, va décréter en 1208 la croisade contre les hérétiques. Il considère que le
saint-siège doit s’ériger lui-même en puissance séculière, et que le pape doit
prétendre au gouvernement du monde en devenant le suzerain des rois et des
empereurs, seul moyen pour imposer et garantir la paix universelle entre les peuples
et entre leurs princes.
Très habilement, il a d’abord décrété en 1199 le principe de dépossession, par lequel
l’église, se considérant comme la magistrature suprême, édicte que tout hérétique
sera privé de ses biens, plaçant le droit canonique au dessus du droit civil. Ceci
permettra en déclarant hérétique un seigneur par l’excommunication, de le
déposséder de ses terres et de les offrir en proie à tout seigneur chrétien qui voudra
bien les prendre en vassalité. L'excommunication avait des conséquences
religieuses mais aussi politiques et matérielles.
La croisade démarre réellement en 1209 après l'assassinat du légat du pape Pierre
de Castelnau, et l’excommunication de Raymond VI, Comte de Toulouse, soupçonné
de l’avoir commandité.
Placée sous l’autorité militaire suprême d’Arnaud Amaury, l’abbé de Cîteaux, homme
de guerre autant qu'homme d'église, elle est conduite par la haute noblesse et assez
rapidement par un modeste seigneur d’Ile de France, Simon de Montfort (Montfort
l’Amaury), à la tête d’une armée nombreuse et bien entraînée. Au départ simple
opération de police de grande envergure contre les hérétiques et les nobles, elle va
changer de visage à la mort au combat du roi d’Aragon en 1213 à la bataille de
Muret, pour finalement aboutir au rattachement du Languedoc à la Couronne de
France en 1271.
Arrêterons ici pour la politique et les faits de guerre, car ce n’est point le propos
principal de cette planche. Mais il était nécessaire de situer l’époque, car la
naissance d’une philosophie ou d’une religion ne peut se dissocier du contexte social
et culturel de la région qui l’a vu naître.
L'inquisition
La question de l’hérésie cathare n’était pas pour autant réglée après 20 années de
croisade. Il fallait donc changer de stratégie. C’est précisément ce que va faire le
pape Grégoire IX en chargeant les prêcheurs de l'ordre nouvellement créé par saint
Dominique de poursuivre et juger les hérétiques. Ainsi naquit l'inquisition en 1234.
Les populations du Midi apprennent vite à connaître ces religieux de bure blanche
avec un long scapulaire noir qui interrogent rudement, et peuvent les envoyer au
bûcher si leur culpabilité est prouvée. Des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants
seront brûlés ou massacrés.
Après le massacre d’inquisiteurs en 1242 par des chevaliers cathares, l’inquisition va
intensifier son ouvrage et ne plus faiblir jusqu’à la disparition du dernier Revêtu en
1321. Auparavant, Montségur, la dernière forteresse cathare tombera en 1244. Les
deux cents hommes et femmes qui y étaient restés refusèrent d'abjurer et furent
brûler. Au total, ce saint office aura meurtri et tué les populations européennes
pendant plus de trois siècles au nom de la préservation de l'unité catholique.
Les analogies avec le symbolisme maçonnique
Dans le dualisme cathare, Dieu est innocenté de la création du Mal, mais au prix de
la reconnaissance qu’en dehors de lui, il existe un autre principe créateur, source de
tout mal. Pour nous, il est plus facile d’imaginer le dualisme car il est partout, dans le
yin et le yang, le bien et le mal, la lumière et les ténèbres, le pavé mosaïque.
Mais, au concile cathare" de Saint Félix en Lauragais, tenu en 1167, les cathares
vont passer du dualisme dit mitigé au dualisme absolu.
Le dualisme mitigé, implique que Dieu a créé Satan et qu’il est donc le principe
unique. Cette doctrine affirme aussi que le mal est nécessaire dans la conquête du
Bien et que son rôle est primordial chez l'homme puisque celui-ci doit effectivement
le conquérir et le dominer afin de le transmuter en Bien (comme dans le pavé
mosaïque), favorisant le processus d'évolution spirituelle qui est la quête sans fin de
la recherche de sa parcelle de charité ou de divinité.
Les notions de résistance, d'inertie, d'enchaînement, de mal être sont à prendre,
dans le contexte du dualisme mitigé, comme autant d'obstacles qu’il faut
nécessairement affronter, mais qui constituent aussi, pour ceux qui cherchent la
lumière, l’occasion d’expériences nouvelles permettant de progresser pour s'élever
vers Dieu. Mais pour ceux qui ne veulent pas combattre les poisons de l'inertie, les
pesanteurs de la vie se transformeront en amertume et contribueront à toujours plus
masquer les chemins qui mènent vers la Lumière.
Le franc-maçon a une démarche tout à fait comparable car, dès son initiation, il est
mis sur un chemin qui lui permet de vaincre et de transmuter les obstacles de la vie.
Son implication en tant qu’initié est engagée dans un serment qui lui garantit de ne
jamais faiblir devant l'adversité. Il va vivre une évolution responsable vers plus de
clairvoyance intérieure dans le calme fraternel de sa loge et avec l'Amour de ses
FF∴.
Les cathares disent que l'homme est corps, âme et Esprit. En se détachant de la
matière, c'est à dire en étant libéré de l'envie matérielle et psychique ainsi que des
contraintes corporelles, il permet à son Esprit (sa parcelle divine) de croître et de
s'unir à Dieu (noce mystique). Nous sommes dans rassembler ce qui est épars, c’est
à dire dans la nécessité de retrouver en nous l’étincelle divine. Par ailleurs, l'emprise
du mal diminue quand l'Esprit s'approche de l'éternité. Il ne faut donc pas donner
d'importance au temps qui est un des outils du Malin.
Mais l'âme peut succomber à la matière, il s'ensuit alors que l'Esprit s'échappe,
n'apparaît plus à la conscience de l’homme et le corps, qui est une prison, enferme à
nouveau l'homme dans le cycle des Renaissances. Si l'âme ne succombe pas au
Mal, autrement si l’homme maîtrise ses passions, son esprit assure la transformation
du corps, puis l'âme se soumet à l'Esprit pour être transformée car l'Esprit a besoin
de l'âme pour s'élever. Corps, âme et Esprit sont indissolublement liés pour
l'accomplissement d'une seule œuvre, l'union avec Dieu (nous parlons de
l’acquisition de la maîtrise et de la sagesse).
Le dualisme radical est bien sûr d'une autre nature puisqu'il affirme qu'il y a deux
principes de création opposés qui s'affrontent dans un combat titanesque et que la
réalité perçue par les hommes est une création satanique. Dans ce cas de figure, les
hommes sont donc l'œuvre de Satan, ils sont donc des damnés qui se reproduisent
pour que le principe du mal triomphe sur celui du Bien.
Pour les cathares, le monde matériel est vain, n'a pas de sens, car pour eux à quoi
bon exister si ce n'est pas pour toujours. Ce monde est donc Néant et ils le
justifiaient en citant cette phrase de Saint Paul: "Sans la charité je ne suis rien". Pour
les catholiques ce propos est compris comme une réflexion morale qui signifie :
"aidez votre prochain" tandis que l’interprétation par les cathares était la suivante
"Sans la charité je ne suis que néant", ce qui veut dire que: si je n'ai pas en moi cette
parcelle divine qu'est la charité, je ne suis qu'un corps de chair corruptible et vain et
j'appartiens au Néant.
Cette merveilleuse profession de foi gnostique leur a permis de vaincre bien des
peurs et des souffrances tout au long de leur tragique destin terrestre.
Le libre choix de la domination de l’esprit sur le corps, du spirituel sur le matériel,
appelé déterminisme, se retrouve dans les traités cathares comme dans nos rituels
maçonniques.
Le philosophe français Maurice Blondel a dit que "sous quelque forme qu’elle s’offre
à la conscience, la pensée de Dieu y est apportée par un déterminisme qui nous
l’impose" En a-t-il toujours été ainsi dans la pensée humaine ?
Pour le matérialiste, la nature existe par elle-même, elle n’a pas de conscience. Il est
en tant qu’être humain pensant le produit du hasard et le témoin d’une histoire
éphémère qui n’a pas de sens. Sa morale est le je-m'en-foutisme pur, où prédomine
le règne des sens, la seule recherche du plaisir et du caprice.
Pour le panthéiste, représenté aujourd’hui par l’animisme africain, la nature se suffit à
elle-même mais elle est une divinité pensante, représentée par toutes sortes de dieu
qu’il faut vénérer et amadouer pour ne pas subir leurs fougues.
Pour le monothéiste transcendant, Dieu est le créateur distinct de sa création.
L’homme est soumit à une loi divine qu’il ne peut pas refuser sous peine de subir son
courroux. L’exemple de ce monothéisme est la religion de l’Ancien testament.
Dans la philosophie du bouddhisme, seul l’Esprit est réalité et le monde matériel
illusion. C’est alors une philosophie de la renonciation aux désirs terrestres pour
atteindre le Nirvana.
Enfin, il y a le Dieu omniscient, omniprésent et omnipotent, caché et endormi dans
notre personnalité, qu’il faut conquérir par une ascèse personnelle. Nous retrouvons
dans ce cas de figure toute la gnose et la grande Tradition ésotérique, encore une
fois du rassembler ce qui est épars.
Chacun de vous mes FF∴ se retrouvera dans l’un ou l’autre des cas cités. Pour
beaucoup la situation n’est pas aussi simple que celle décrite plus haut qui, je le
reconnais, a été simplifiée à l’extrême.
Le dualisme des cathares mitigé puis radical se rapporte à ce Dieu caché qu’il faut
rechercher en nous à l’instar de la proposition qui est faite au récipiendaire lors d'une
initiation maçonnique. Notons que dans la philosophie du REAA, il est nullement
exigé que l’initié ait des prédispositions spécifiques à la transcendance, mais elle
affirme aussi qu’il n'existe aucune limite à la recherche de la Connaissance, ce qui
laisse sous-entendre que tout initié doit savoir choisir entre la voie qui mène vers le
Bien de celle qui enrichit le Mal. Le choix est donc binaire : ou évoluer vers plus de
clarté intérieure ou involuer en s'enchaînant dans la matière.
Le mérite de l'initiation maçonnique est de révéler à la conscience suffisamment
d'espace pour que le libre-arbitre décide, c’est le déterminisme.
C'est une question importante et la phrase de Maurice Blondel a le mérite de situer
dans son essence le déterminisme de la question de Dieu, car prononcer le mot de
Dieu c’est redécouvrir en soi-même la conviction implicite d'une marche vers la
perfection qui débouche naturellement sur une morale de l'Amour vrai, celle de
l'homme qui aime l'autre pour lui-même pour son bien et non pour son seul plaisir à
soi. C'est aussi retrouver de la lucidité intellectuelle pour ne plus choisir une sorte de
morale rigide avec ses jugements, ses reproches et ses perpétuelles condamnations.
De fait, l’idée de rédemption, toujours associée à la notion de faute ou à un péché
existentiel dans les religions chrétiennes, disparaît totalement chez les cathares. La
réincarnation est pour eux un processus évolutif et ascendant. De fait, ils n'avaient
pas peur de la mort et ne reniaient jamais leur foi. Ils ne combattaient pas leurs
ennemis et acceptaient les sentences des tribunaux d'inquisition.Le Consolamentum
faisait du croyant un parfait mais pour l'obtenir le postulant devait accomplir une
longue période d'ascèse, en général deux à trois ans, au sein de communautés qui
lui enseignaient les quatre degrés de la loi d'Amour qui sont:
- La séparation ou la perte du vieil homme. Étape nécessaire pour prendre
conscience d'une façon exotérique du bien fondé de sa démarche (mourir à l'homme
matériel) qui est analogiquement reliée au degré du Soupirant des troubadours
définis dans l'Amour courtois et à notre démarche pour l’initiation des apprentis.
- L'admission ou le Croyant. La plupart des chrétiens cathares en restaient à ce
stade. Ils étaient reconnus par la communauté et bénéficiaient d'une fraternité active.
Cette étape correspond analogiquement au degré de Suppliant du troubadour.
- La révélation ou la Connaissance mystique. C'est à ce stade que l'impétrant
recevait le Consolamentum et qu'il obtenait le titre de Parfait.
-Le retour ou la vie dans la Vérité. Dieu est maintenant dans son coeur car le
mariage mystique est consommé. Le mal est vaincu, seul domine dans la volonté
l'entendement du Bien.
La symbolique en finalité du baptême spirituel est claire, c'est réaliser l'union
spirituelle de l'âme emprisonnée dans le corps avec son Esprit resté au Ciel et si
l'union ne peut être envisagée de suite, elle met l'homme naturellement sur le chemin
de la Connaissance (gnose) et fortifie son choix.
En Maçonnerie nous disons que tout individu est initiable s'il est libre et de bonnes
mœurs. Nous sommes mes FF∴ dans la même logique que celle du dualisme mitigé
car la recherche de la Lumière symbolisant l'Esprit se fait toujours par une prise de
conscience de tout ce qui s'oppose à la conquête de sa parcelle de divinité. Ce n'est
que lorsque la conscience est débarrassée des certitudes et des peurs que le
candidat implicitement accepte une cause première appelée en maçonnerie le
G∴A∴D∴L'U∴ La force et la grandeur de la maçonnerie est de laisser chaque F∴
définir par lui-même la voie qui le mènera à établir les rapports entre le corps, l'âme
et l'Esprit. Ainsi, les voyages vécus durant les diverses initiations du REAA et les
nombreux symboles qui y sont rattachés sont un merveilleux outillage qui permet
enfin à l’initié de savoir qu'il ne sait rien. Guidé par l'amour de ses FF∴ et affranchi
de la peur, il marche alors toujours plus libre vers la Lumière comme le faisaient les
cathares huit siècles plus tôt.
Nous voyons bien que la gnose est l'élément moteur de la quête initiatique
maçonnique, comme elle le fut pour les cathares. Mais comme elle est perçue dans
un temple, elle est associée naturellement au pavé mosaïque qui symbolise la réalité
duale de la vie. A l'instar des cathares, le maçon doit clarifier son comportement
personnel et social, compte tenu de cette dualité.
Dans la réalité, l'homme est confronté à une profonde inertie existentielle, à des
obstacles de toutes natures et à des résistances qui engendrent beaucoup
d'interrogations. Il faut donc des règles à la fois pour les comprendre et les dépasser.
L'une de celles-ci est que tout obstacle est utile s'il est compris dans une dimension
gnostique dont nous rappelons ici le sens : connaître pour croire et non pas croire
pour connaître.
En effet, pour retrouver la lumière, il faut tailler sa pierre. Bien polie, elle contribue à
renforcer l’harmonie de l'édifice communautaire qui la reçoit. C'est lorsque ces deux
facteurs sont utilisés avec intelligence que la frontière qui sépare le blanc du noir est
à nouveau perçue et qu'un acte volontaire libérateur renforce l'intuition et conforte
l'initié du bien fondé de son choix.
Conclusions
En résumé, ici-bas, il n'y a aucune fatalité dans le malheur. Celui-ci n’existe que
parce que le bonheur est son opposé naturel. Il est donc vain d'osciller entre ces
deux pôles car on ne fait qu'entretenir une sorte de mouvement perpétuel. La
libération ne vient que de la conviction intime que le processus gnostique qui nourrit
l'enthousiasme de vivre est évolutif et ascendant.
Le rôle de l’Esprit est donc primordial pour développer la Connaissance. Qu’il
s’appelle Dieu, G∴A∴D∴L'U∴, Premier principe, il ne peut être éludé puisqu’il est
la dynamique constitutive de la gnose. Vivre sa spiritualité dans un processus évolutif
ascendant signifie qu’il ne faut pas rechercher derrière soi ce qui nous meut ici-bas. Il
faut avancer en sagesse et en amour dans la conquête de sa parcelle de divinité en
utilisant l’intelligence au service de l’Esprit. La Connaissance des Cathares résulte
d’expériences intérieures nécessitant une pureté préalable qui exigeait un énorme
effort sur soi-même. Nous sommes en maçonnerie dans la même logique puisque
chaque F∴ doit tailler sa pierre et pratiquer dans le monde profane les vertus
acquises lors de ses diverses initiations. L’effort est tout aussi exigeant que celui des
cathares et comme eux le maçon doit aider ses FF∴ dans le besoin et s’opposer à
tout ce qui contrarie l’avènement d’une force psychique et d’une puissance
spirituelle.
Notre force dans cet engagement est l’exemplarité et la nécessité absolue de rester
fidèle en toutes circonstances à notre serment maçonnique. Le parjure exprimé dans
une quête gnostique est la pire des trahisons puisqu’il rejette l’appel de l’Esprit,
pourtant dûment reconnu et accepté lors de son initiation.
Les cathares ont tous été brûlés car ils n’ont jamais abjuré leurs convictions. Ils
partaient dit-on sur les bûchers en chantant car ils savaient que le corps appartient
au temps, que le temps est l'œuvre du diable et que seule l'Eternité est le domaine
de l'Esprit.
Nous aussi, comme le rappelle notre rituel, nous pouvons être amenés un jour à faire
le sacrifice de notre vie pour rester fidèle à l'idéal que nous avons volontairement
choisi. Que ce terrible choix, s’il se présente jamais à nous, se fasse avec la même
conviction sublime et nous disons que rien ne s'achève ici-bas mais que tout
s'accomplit ailleurs.
Maurice B.A.
J’ai dit.
Ref : Histoire des Cathares Michel Roquebert Editions Perrin, 2002

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