Comique et comédie e siècle: Molière

Transcription

Comique et comédie e siècle: Molière
CHAPITRE 8
• 1668-1669 : Molière revient, plus prudemment, à des comédies qui ridiculisent des bourgeois
(avides d’argent, de reconnaissance sociale, d’un savoir usurpé, en proie à des lubies médicales).
Il fait scandale en épousant la jeune sœur de Madeleine Béjart (qui passe pour être sa fille et le
fait souffrir de jalousie). Sa rivalité avec Lully perturbe la mise en scène de ses derniers divertissements royaux, comédies-ballets jouées pour la cour. Épuisé, il meurt en scène en 1673. Sept ans
après sa mort, la fusion de sa troupe (Hôtel Guénégaud) et de celle de l’Hôtel de Bourgogne
donne lieu à la naissance de la Comédie-Française.
Comique et comédie
au XVIIe siècle: Molière
L’œuvre
OBJECTIFS
On peut donc distinguer plusieurs périodes dans l’œuvre de Molière.
• analyser l’écriture de la comédie classique
• étudier la comédie d’intrigue, la comédie de caractère et la comédie de mœurs
• distinguer comique et comédie
• Les comédies d’intrigue (fondées sur les rebondissements d’une action enlevée, avec des ressorts proches de la farce et de son comique grossier) : Le Dépit amoureux (1656), Les Précieuses
ridicules (1659), Sganarelle ou le cocu imaginaire (1660), L’École des maris (1661), Les Fâcheux
(1661), L’École des femmes (1662), suivi de La Critique de L’École des femmes (1663), Le
Mariage forcé (1664), Le Médecin malgré lui (1666), Les Fourberies de Scapin (1671).
• Les comédies de caractère, plus graves, montrant un personnage complexe, affecté d’un vice
Repères historiques
1610
dangereux et destructeur : Le Tartuffe (1664-1669), Dom Juan (1665), Le Misanthrope (1666).
1643
Règne
de
Louis XIII
Autorité
de Richelieu
1661
Régence
d’Anne
d’Autriche
Fronde matée
par Mazarin
• Les comédies de mœurs, où Molière stigmatise les défauts d’une petite société ridicule,
d’une mode, d’une corporation : Les Précieuses ridicules en 1659, son premier grand succès,
George Dandin en 1668 (la manie du mariage avec la noblesse), L’Avare en 1668 (l’attachement
maniaque à l’argent), Les Femmes savantes en 1672 (la prétention des femmes au savoir).
Certaines de ces comédies de mœurs sont souvent accompagnées de musique et de danse :
Amphitryon en 1668 (sur un thème antique), Le Bourgeois gentilhomme en 1670, Le Malade
imaginaire, sa dernière pièce (sur l’angoisse de la maladie et l’aliénation aux médecins),
en 1673.
1715
Prise de pouvoir
et règne
de Louis XIV
Instauration
d’une autorité absolue
Molière (1622-1673)
Repères biographiques
• 1622. Naissance de Jean-Baptiste Poquelin, à Paris, dans une famille
Quelques mots clés
bourgeoise. Son père est tapissier du roi et voit bien son fils prendre sa
succession. Il le place dans un collège de Jésuites puis l’envoie faire de
sages études de droit à Orléans.
• 1643-1644. Le jeune Poquelin se donne le pseudonyme de Molière,
se prend de passion pour le théâtre, rompt avec sa famille. Avec des
amis et sa maîtresse Madeleine Béjart, il fonde l’Illustre Théâtre. Cette
troupe joue de manière itinérante, en province, des pièces proches de
la farce qui ont une audience limitée.
• 1658-1659. L’arrivée à Paris et l’accueil favorable du roi Louis XIV
portent soudain Molière et sa troupe vers le succès. Avec Les Précieuses ridicules en 1659,
Molière inaugure une grande carrière d’auteur et d’interprète. Directeur de troupe et acteur, il
réussit à concilier l’ancien héritage de la farce et la forme plus noble de la grande comédie (en
cinq actes et en vers).
• 1664. Molière prend des risques en s’attaquant à des sujets plus graves dans sa comédie : l’hypocrisie des hommes et même des religieux (Tartuffe) en 1664. Molière présente aussi un grand
seigneur méchant homme, Dom Juan (1665), un personnage intransigeant et ridicule qui refuse
le mensonge, Le Misanthrope (1666), et obtient enfin la représentation de son Tartuffe qui s’attaque aux faux dévôts (1669).
• Corriger. Molière entend apprendre aux hommes à se corriger en leur montrant leurs défauts
1 6 4 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
et le risque qu’ils courent à se laisser gagner par leur « vice ».
© Hachette-Livre.
• Instruire. La comédie doit non seulement divertir, mais proposer une leçon. Molière entend
par là élever ce genre à la hauteur de la tragédie.
• Naturel. La comédie du théâtre permet de montrer aux gens qu’il ne faut pas jouer la comédie
dans la vie mais rester vraiment soi-même, selon le principe de l’esthétique dite « classique » et
qu’il faut parler le langage des « honnêtes gens ». Molière brocarde ainsi toutes les affectations
des précieux, des faux religieux, des femmes savantes, des cuistres, des médecins.
• Plaire. C’est le critère de la réussite d’une pièce. Les auteurs font appel en dernier ressort au
public, car il sait démêler ce qui est bon et ce qui ne l’est pas, contre l’avis spécialisé et tendancieux de coteries, de spécialistes, de gens de parti pris.
• Rire. C’est l’arme principale de la satire moliéresque, c’est-à-dire la critique par le rire. Molière
l’explique dans sa préface du Tartuffe : « C’est une grande atteinte aux vices que de les exposer à
la risée de tout le monde […]. On veut bien être méchant ; mais on ne veut point être ridicule. »
Bandeau page 164 :
Tartuffe,
© Hachette-Livre.
• Vice. Ce que Molière nomme vice est cette passion unique qui dégrade celui qui en souffre, fait
souffrir son entourage, empêche les gens d’être eux-mêmes et d’être heureux.
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 65
La peinture des mœurs
TEXTE
1
Molière, L’École des femmes (1662)
Représentée en 1662 au Palais-Royal, L’École des femmes traite des mœurs du temps. Molière
aborde les problèmes du mariage bourgeois, de l’éducation des filles et du conflit entre les générations.
Arnolphe, homme mûr obsédé par la crainte du cocuage, croit avoir trouvé un moyen infaillible
de s’assurer de la fidélité de sa future femme. Il a recueilli Agnès, alors qu’elle n’était qu’une
enfant, et il l’a élevée dans l’ignorance. Se préparant à épouser Agnès, Arnolphe expose à son ami
Chrysalde son point de vue sur le mariage.
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ARNOLPHE
Épouser une sotte est pour n’être point sot1.
Je crois, en bon chrétien, votre moitié2 fort sage ;
Mais une femme habile est un mauvais présage
Et je sais ce qu’il coûte à de certaines gens
Pour avoir pris les leurs avec trop de talents.
Moi, j’irais me charger d’une spirituelle3
Qui ne parlerait rien que cercle4 et que ruelle5,
Qui de prose et de vers ferait de doux écrits,
Et que visiteraient marquis et beaux esprits,
Tandis que, sous le nom du mari de Madame,
Je serais comme un saint que pas un ne réclame6 ?
Non, non, je ne veux point d’un esprit qui soit haut ;
Et femme qui compose en sait plus qu’il ne faut.
Je prétends que la mienne, en clartés7 peu sublime,
Même ne sache pas ce que c’est qu’une rime ;
Et s’il faut qu’avec elle on joue au corbillon8
Et qu’on vienne à lui dire à son tour : « Qu’y met-on ? »
Je veux qu’elle réponde : « Une tarte à la crème » ;
En un mot, qu’elle soit d’une ignorance extrême ;
Et c’est assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer.
Molière (1622-1673), L’École des femmes,
acte I, scène 1, v. 82 à 102, 1662.
L’École des femmes, mise en scène d’Éric Vigner à la Comédie-Française en 1999,
avec Bruno Rafaelli (Arnolphe) et Jean-Claude Drouot (Chrysalde), © L. Lot.
Analyse
il d’un éloge ? Appuyez votre réponse sur l’étude du
vocabulaire et de la syntaxe.
Un exposé théorique sur le mariage
1. Quel sens a l’adjectif « sot » au vers 1 ? À quel thème
essentiel de la pièce renvoie-t-il ?
7. Quelle est la caractéristique principale de la femme
idéale selon Arnolphe ? Quel statut accorde-t-il à la
femme ?
2. Quelle est la fonction des vers 1, 3 et 13 ? Ont-ils une
forme personnelle ou impersonnelle ? Quelle est la
valeur du présent dans ces vers ?
Analyse de l’image
3. À quels lexiques* appartiennent les verbes à la première personne des vers 4, 12, 14, 17 ? Quel est le ton
d’Arnolphe ?
Un personnage comique
1. sot : cocu.
3. une spirituelle : femme qui se
consacre exclusivement à des activités intellectuelles. • 4. cercle : assemblée d’hommes
et de femmes où l’on parle de sujets artistiques, d’actualité. • 5. ruelle : partie de la
chambre à coucher, alcôve où l’on tient une conversation mondaine. • 6. réclame :
invoque. • 7. clartés : culture, connaissances. • 8. corbillon : petite corbeille ; jeu de
•
2. votre moitié : votre épouse.
•
société, où l’on doit répondre par un nom rimant en « on », à la question « que met-on
dans mon corbillon » ?
1 6 6 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
8. Comment analysez-vous le geste et la mimique
d’Arnolphe dans cette mise en scène de la ComédieFrançaise ?
Écriture – expression orale
4. En quoi les vers 15 à 19 relèvent-ils de la farce ?
5. Qu’est-ce qui fait d’Arnolphe un personnage
comique ?
Le statut de la femme
9. Quelle portée a l’éloge de l’ignorance, placé dans la
bouche d’un personnage ridicule ? Sous la forme d’un
bref exposé oral ou écrit, proposez une réponse organisée et argumentée, appuyée sur des citations précises.
6. Quel type de femme évoquent les vers 6 à 11 ? S’agitCHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 67
TEXTE
2
Molière, Dom Juan (1665)
40
Représenté en 1665 au Palais-Royal, Dom Juan connaît un grand succès, mais fait scandale. Dom
Juan, noble espagnol, libertin et séducteur, a abandonné son épouse Elvire. À la scène 2 de l’acte
II, Dom Juan fait l’apologie du libertinage amoureux, au grand scandale de son valet Sganarelle.
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DOM JUAN. — Quoi ? tu veux qu’on se lie à1 demeurer au premier objet2 qui nous prend, qu’on
renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur3 d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion,
et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux !
Non, non : la constance n’est bonne que pour des ridicules4 ; toutes les belles ont droit de
nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres
les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout
où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau
être engagé5, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire injustice aux
autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages
et les tributs où la nature nous oblige. Quoi qu’il en soit, je ne puis refuser mon cœur à tout
ce que je vois d’aimable ; et dès qu’un beau visage me le demande, si j’en avais dix mille, je
les donnerais tous. Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et
tout le plaisir de l’amour est dans le changement. On goûte une douceur extrême à réduire,
par cent hommages, le cœur d’une jeune beauté, à voir de jour en jour les petits progrès
qu’on y fait, à combattre par des transports, par des larmes et des soupirs, l’innocente
pudeur d’une âme qui a peine à rendre les armes, à forcer pied à pied toutes les petites résistances qu’elle nous oppose, à vaincre les scrupules dont elle se fait un honneur et la mener
doucement où nous avons envie de la faire venir. Mais lorsqu’on en est maître une fois6, il n’y
a plus rien à dire ni rien à souhaiter ; tout le beau de la passion est fini, et nous nous endormons dans la tranquillité d’un tel amour, si quelque objet nouveau ne vient réveiller nos
désirs, et présenter à notre cœur les charmes attrayants d’une conquête à faire. Enfin il n’est
rien de si doux que de triompher de la résistance d’une belle personne, et j’ai sur ce sujet
l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent
se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes
désirs : je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre7, je souhaiterais qu’il
y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses.
SGANARELLE. — Vertu de ma vie, comme vous débitez8 ! Il semble que vous avez appris cela
par cœur, et vous parlez tout comme un livre.
DOM JUAN. — Qu’as-tu à dire là-dessus ?
SGANARELLE. — Ma foi ! j’ai à dire…, je ne sais que dire ; car vous tournez les choses d’une
manière qu’il semble que vous avez raison ; et cependant il est vrai que vous ne l’avez pas.
J’avais les plus belles pensées du monde, et vos discours m’ont brouillé tout cela, Laissez
faire : une autre fois je mettrai mes raisonnements par écrit, pour disputer9 avec vous.
DOM JUAN. — Tu feras bien.
1. qu’on se lie à : qu’on s’oblige à. • 2. objet : femme aimée.• 3. se piquer d’un faux honneur : prétendre à un faux honneur. • 4. des ridicules : des hommes ridicules.• 5. engagé : lié par un lien amoureux.• 6. lorsqu’on en est maître une fois :
une fois qu’on en est le maître. • 7. Alexandre : Alexandre le Grand, • 8. vertu de ma vie, comme vous débitez ! : mon Dieu,
comme vous récitez ! (sens familier).
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SGANARELLE. — Mais, Monsieur, cela serait-il de la permission que vous m’avez donnée, si je
vous disais que je suis tant soit peu scandalisé de la vie que vous menez ?
DOM JUAN. — Comment ? quelle vie est-ce que je mène ?
S GANARELLE . — Fort bonne. Mais, par exemple, de vous voir tous les mois vous marier
comme vous faites…
DOM JUAN. — Y a-t-il rien de plus agréable ?
SGANARELLE. — Il est vrai, je conçois que cela est fort agréable et fort divertissant, et je m’en
accommoderais assez, moi, s’il n’y avait point de mal, mais, Monsieur, se jouer ainsi d’un
mystère sacré, et…
DOM JUAN. — Va, va, c’est une affaire entre le Ciel et moi, et nous démêlerons bien ensemble,
sans que tu t’en mettes en peine.
SGANARELLE. — Ma foi ! Monsieur, j’ai toujours ouï dire que c’est une méchante raillerie que
de se railler du Ciel, et que les libertins10 ne font jamais une bonne fin.
DOM JUAN. — Holà ! maître sot, vous savez que je vous ai dit que je n’aime pas les faiseurs de
remontrances11.
SGANARELLE. — Je ne parle pas aussi à vous, Dieu m’en garde. Vous savez ce que vous faites,
vous ; et si vous ne croyez rien, vous avez vos raisons ; mais il y a de certains petits impertinents dans le monde, qui sont libertins sans savoir pourquoi, qui font les esprits forts12, parce
qu’ils croient que cela leur sied bien ; et si j’avais un maître comme cela, je lui dirais fort nettement, le regardant en face. « Osez-vous bien ainsi vous jouer du Ciel, et ne tremblez-vous
point de vous moquer comme vous faites des choses les plus saintes ? C’est bien à vous, petit
ver de terre, petit mirmidon13 que vous êtes (je parle au maître que j’ai dit), c’est bien à vous
à vouloir vous mêler de tourner en raillerie ce que tous les hommes révèrent14 ? Pensez-vous
que pour être de qualité15, pour avoir une perruque blonde et bien frisée, des plumes à votre
chapeau, un habit bien doré, et des rubans couleur de feu16 (ce n’est pas à vous que je parle,
c’est à l’autre), pensez-vous, dis-je, que vous en soyez plus habile homme, que tout vous soit
permis, et qu’on n’ose vous dire vos vérités ? Apprenez de moi, qui suis votre valet, que le
Ciel punit tôt ou tard les impies, qu’une méchante vie amène une méchante mort, et que… »
DOM JUAN. — Paix ! 17
Molière (1622-1673), Dom Juan, acte II, scène 2, 1665.
• 9. disputer : débattre. • 10. libertins : hommes irréligieux ou incrédules ; débauchés. • 11. faiseurs de remontrances : donneurs de leçons. • 12. les esprits forts : les incrédules. • 13. mirmidon : petit homme chétif et insignifiant. • 14. révèrent :
respecter grandement. • 15. pour être de qualité : parce que vous êtes un aristocrate. • 16. couleur de feu : de couleur rouge
orangé très vif. • 17. Paix ! : Tais-toi ! Laisse-moi tranquille !
Analyse
La maladresse d’un valet faire-valoir
L’éloquence d’un séducteur
5. La critique que Sganarelle fait à son maître vous paraîtelle courageuse? A-t-on vraiment affaire à un valet insolent et à un contradicteur efficace? Pourquoi?
1. Quels éléments donnent à l’argumentation de Dom
Juan une portée générale dans la première tirade ?
2. Dom Juan s’exprime-t-il souvent à la première personne dans cette tirade ? Quel est l’effet produit ?
3. Quelle thèse est présentée ici ? Est-elle favorable aux
femmes ?
4. Quelle image la dernière comparaison guerrière (l. 26)
donne-t-elle de Dom Juan ? Quel est l’effet sur le public
de cette première apparition sur scène du personnage ?
Écriture – expression orale
6. Le personnage de Dom Juan propose une série de justifications de son libertinage : l’attrait irrésistible pour
toutes les femmes, le goût du changement, la volonté
de conquête. Laquelle de ces trois raisons vous semble,
d’après sa tirade, plus convaincante que les autres ?
Pourquoi ? Vous répondrez en une page environ.
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 69
TEXTE
3
Molière, Le Misanthrope (1666)
Représenté en 1666 au Palais-Royal, Le Misanthrope met en scène Alceste, un personnage trop
sincère, en guerre contre l’hypocrisie sociale incarnée par Célimène, jeune veuve coquette dont il
est amoureux.
À la scène 1 de l’acte I, Alceste expose à son ami Philinte les raisons de sa misanthropie, prenant
pour exemple le procès qui l’oppose à un adversaire malhonnête.
5
1. aversion : haine.
10
2. on voit à plein : on voit
complètement.
3. pied-plat : bourgeois
qui porte des talons plats,
par opposition aux aristocrates
qui portent des talons hauts
et rouges ; homme qui ne
mérite aucune considération.
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4. grimace : dissimulation,
hypocrisie.
5. par la brigue : par
des manœuvres.
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6. on garde des mesures :
conserve de la modération.
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PHILINTE
Vous voulez un grand mal à la nature humaine !
ALCESTE
Oui, j’ai conçu pour elle une effroyable haine.
PHILINTE
Tous les pauvres mortels, sans nulle exception,
Seront enveloppés dans cette aversion1 ?
Encore en est-il bien, dans le siècle où nous sommes…
ALCESTE
Non : elle est générale, et je hais tous les hommes
Les uns, parce qu’ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants,
Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses.
De cette complaisance on voit l’injuste excès
Pour le franc scélérat avec qui j’ai procès :
Au travers de son masque on voit à plein2 le traître
Partout il est connu pour tout ce qu’il peut être ;
Et ses roulements d’yeux et son ton radouci
N’imposent qu’à des gens qui ne sont point d’ici.
On sait que ce pied-plat3, digne qu’on le confonde,
Par de sales emplois s’est poussé dans le monde,
Et que par eux son sort de splendeur revêtu
Fait gronder le mérite et rougir la vertu.
Quelques titres honteux qu’en tous lieux on lui donne,
Son misérable honneur ne voit pour lui personne ;
Nommez-le fourbe, infâme, et scélérat maudit,
Tout le monde en convient, et nul n’y contredit.
Cependant sa grimace4 est partout bienvenue
On l’accueille, on lui rit, partout il s’insinue,
Et s’il est, par la brigue5, un rang à disputer,
Sur le plus honnête homme on le voit l’emporter.
Têtebleu ! ce me sont de mortelles blessures,
De voir qu’avec le vice on garde des mesures6
Et parfois il me prend des mouvements soudains
De fuir dans un désert l’approche des humains.
1 7 0 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
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PHILINTE
Mon Dieu, des mœurs du temps mettons-nous moins en peine,
Et faisons un peu grâce à la nature humaine ;
Ne l’examinons point dans la grande rigueur,
Et voyons ses défauts avec quelque douceur.
Il faut, parmi le monde, une vertu traitable7 ;
À force de sagesse, on peut être blâmable ;
La parfaite raison fuit toute extrémité,
Et veut que l’on soit sage avec sobriété.
Cette grande roideur8 des vertus des vieux âges
Heurte trop notre siècle et les communs usages ;
Elle veut aux mortels trop de perfection
Il faut fléchir au temps9 sans obstination ;
Et c’est une folie à nulle autre seconde10
De vouloir se mêler de corriger le monde.
J’observe, comme vous, cent choses tous les jours,
Qui pourraient mieux aller, prenant un autre cours ;
Mais quoi qu’à chaque pas je puisse voir paraître,
En courroux11, comme vous, on ne me voit point être ;
Je prends tout doucement les hommes comme ils sont,
J’accoutume mon âme à souffrir ce qu’ils font ;
Et je crois qu’à la cour, de même qu’à la ville,
Mon flegme12 est philosophe autant que votre bile13.
Molière (1622-1673), Le Misanthrope, acte I, scène 1, v. 113 à 166, 1666.
7. traitable : maniable. • 8. roideur : raideur. • 9. fléchir au temps : être moins
sévère et accepter les mœurs actuelles. • 10. à nulle autre seconde : sans pareille. •
11. en courroux : en colère. • 12. flegme : calme, patience. • 13. bile : mauvaise
humeur, colère.
•
Le Misanthrope,
mise en scène
de Francis Huster
au théâtre Marigny
en 1992, avec
Francis Huster (Alceste)
et Jacques Spiesser
(Philinte),
© Ph. Coqueux/Specto.
Analyse
et Philinte. Quelle est l’attitude d’Alceste ?
Un réquisitoire contre le genre humain
7. Relevez les hyperboles* dans les propos d’Alceste.
Son indignation est-elle pathétique* ou comique* ?
1. Étudiez la composition de la tirade d’Alceste. Quelles
étapes distinguez-vous ?
2. Quels termes Alceste utilise-t-il pour désigner son
adversaire dans le procès en cours ? À quel domaine lexical appartiennent ces termes ? Sont-ils élogieux ?
3. Quel est le registre* dominant de la tirade d’Alceste ?
Que reproche-t-il aux hommes de son temps ?
Le plaidoyer de Philinte
4. Observez les pronoms personnels dans la tirade de
Philinte. Quelles étapes distingue-t-on ? Quels sont les
vers qui soulignent les articulations importantes ?
5. Observez les adverbes et les adjectifs dans la tirade de
Philinte. Quel argument principal oppose-t-il à Alceste ?
Philinte vous semble-t-il vraiment aimer les hommes ?
Analyse de l’image
8. Comment interprétez-vous la physionomie et l’expression contrastées des deux comédiens jouant le rôle
d’Alceste et de Philinte dans cette mise en scène de
Francis Huster ?
Écriture – expression orale
9. Rousseau a reproché à Molière d’avoir fait d’Alceste,
seul personnage honnête, un personnage ridicule, et de
Philinte, un homme prêt au compromis, un personnage
sympathique – bref d’avoir fait une comédie immorale.
Partagez-vous ce jugement, au vu de cet extrait ?
Pourquoi ? Vous répondrez en une page environ.
Un personnage comique
6. Observez la première partie de l’échange entre Alceste
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 71
La peinture des caractères
TEXTE
4
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Molière, Dom Juan (1665)
À la scène 2 de l’acte III, Dom Juan, athée et matérialiste, essaie de faire blasphémer un pauvre
rencontré sur son chemin.
20
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30
sont quatre et en quatre et quatre sont huit4.
DOM JUAN. — Quelle est ton occupation parmi ces arbres ?
LE PAUVRE. — De prier le Ciel tout le jour pour la prospérité des gens de bien qui me donnent
quelque chose.
DOM JUAN. — Il ne se peut donc pas que tu ne sois bien à ton aise5 ?
LE PAUVRE. — Hélas ! Monsieur, je suis dans la plus grande nécessité6 du monde.
D OM J UAN . — Tu te moques : un homme qui prie le Ciel tout le jour ne peut pas manquer
d’être bien dans ses affaires.
LE PAUVRE. — Je vous assure, Monsieur, que le plus souvent je n’ai pas un morceau de pain à
me mettre sous les dents.
DOM JUAN. — Voilà qui est étrange, et tu es bien mal reconnu de tes soins. Ah ! ah ! je m’en
vais te donner un louis d’or tout à l’heure, pourvu que tu veuilles jurer7.
LE PAUVRE. — Ah ! Monsieur, voudriez-vous que je commisse un tel péché ?
DOM JUAN. — Tu n’as qu’à voir si tu veux gagner un louis d’or ou non. En voici un que je te
donne, si tu jures ; tiens, il faut jurer.
LE PAUVRE. — Monsieur !
DOM JUAN. — À moins de cela, tu ne l’auras pas.
SGANARELLE. — Va, va, jure un peu, il n’y a pas de mal.
DOM JUAN. — Prends, le voilà ; prends, te dis-je, mais jure donc.
LE PAUVRE. — Non, Monsieur, j’aime mieux mourir de faim.
DOM JUAN. — Va, va, je te le donne pour l’amour de l’humanité. Mais que vois-je là ? un homme
attaqué par trois autres ? La partie est trop inégale, et je ne dois pas souffrir cette lâcheté.
Il court au lieu du combat.
Molière (1622-1673), Dom Juan, acte III, scène 2, 1665.
3. bonhomme : brave homme. • 4. il ne croit qu’en deux et deux sont quatre : allusion à la scène précédente où Dom Juan
affirme son rationalisme : « Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit ». • 5. que tu
ne sois bien à ton aise : que tu n’aies de quoi vivre confortablement. • 6. nécessité : pauvreté. • 7. jurer : prononcer des
injures, des paroles outrageantes contre Dieu.
Dom Juan, mise en scène de Philippe Ferran au Vingtième Théâtre en 2003, avec Christophe Laparra (Dom Juan),
David Mallet (Le Pauvre) et Arnaud Dutheil (Sganarelle), © L. Lot.
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DOM JUAN, SGANARELLE, UN PAUVRE
SGANARELLE. — Enseignez-nous un peu le chemin qui mène à la ville.
L E PAUVRE . — Vous n’avez qu’à suivre cette route, Messieurs et détourner1 à main droite
quand vous serez au bout de la forêt. Mais je vous donne avis que vous devez vous tenir sur
vos gardes, et que depuis quelque temps il y a des voleurs ici autour.
DOM JUAN. — Je te suis bien obligé2, mon ami, et je te rends grâce de tout mon cœur.
LE PAUVRE. — Si vous vouliez, Monsieur, me secourir de quelque aumône ?
DOM JUAN. — Ah ! ah ! ton avis est intéressé, à ce que je vois.
LE PAUVRE. — Je suis un pauvre homme, Monsieur, retiré tout seul dans ce bois depuis dix
ans, et je ne manquerai pas de prier le Ciel qu’il vous donne toute sorte de biens.
DOM JUAN. — Eh ! prie-le qu’il te donne un habit, sans te mettre en peine des affaires des autres.
SGANARELLE. — Vous ne connaissez pas Monsieur, bonhomme3 ! il ne croit qu’en deux et deux
1. détourner : tourner.
• 2. je te suis bien obligé : je te remercie.
1 7 2 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
6. A-t-il, selon vous, bien résisté à Dom Juan ? Comment
interprétez-vous cette résistance ?
Analyse
Une scène de provocation
1. Quel effet produit la brièveté des répliques de cette
scène ?
7. Cette « scène du pauvre » fait-elle avancer l’action ou
est-elle seulement une scène de transition ? Justifiez
votre réponse.
2. Comment ces répliques s’enchaînent-elles tout au
long de la scène ? Quels sont les objets successifs de la
négociation ?
Analyse de l’image
3. En quoi consistent les provocations de Dom Juan ?
Comprenez-vous que cette scène ait pu être censurée au
XVIIe siècle ?
8. Quel dépaysement propose cette mise en scène de
Philippe Ferran ? Comment interprétez-vous le choix des
interprètes et des costumes ?
4. Comment comprenez-vous l’attitude finale de Dom
Juan ? son don, son mot « Va, va, je te le donne pour
l’amour de l’humanité », puis sa manière de quitter la
scène ?
Écriture – expression orale
Un personnage incorruptible
5. Le pauvre n’apparaît que dans cette scène. Pourquoi
est-ce néanmoins une figure importante dans la pièce ?
9. Comment définiriez-vous, à partir de cette scène, le
« caractère » de Dom Juan ? Est-ce selon vous, un personnage entièrement négatif ? Pourquoi ? Vous répondrez en un paragraphe rédigé, organisé et argumenté,
appuyé sur des citations précises.
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 73
Le Misanthrope, mise en scène
de Francis Huster au théâtre Marigny en 1992,
avec Jacques Spiesser (Philinte),
Francis Huster (Alceste) et Robert Hirsh (Oronte),
© Ph. Coqueux/Specto.
TEXTE
5
25
Molière, Le Misanthrope (1666)
À la scène 2 de l’acte I, Oronte, rival d’Alceste auprès de Célimène, vient demander à Alceste son
avis sur un sonnet qu’il a écrit. Philinte, l’ami d’Alceste, plus complaisant et moins sincère que
lui, assiste à l’entrevue.
30
5
10
1. pompeux : d’un style élevé
et recherché.
2. Philis : prénom désignant
traditionnellement la femme
aimée dans la littérature précieuse.
3. vous mettre en dépense :
15
vous donner de la peine.
20
ORONTE
Sonnet… C’est un sonnet. L’espoir… C’est une dame
Qui de quelque espérance avait flatté ma flamme.
L’espoir… Ce ne sont point de ces grands vers pompeux1,
Mais de petits vers doux, tendres et langoureux.
À toutes ces interruptions il regarde Alceste.
ALCESTE
Nous verrons bien.
ORONTE
L’espoir… Je ne sais si le style
Pourra vous en paraître assez net et facile,
Et si du choix des mots vous vous contenterez.
ALCESTE
Nous allons voir, Monsieur.
ORONTE
Au reste, vous saurez
Que je n’ai demeuré qu’un quart d’heure à le faire.
ALCESTE
Voyons, Monsieur ; le temps ne fait rien à l’affaire.
ORONTE
L’espoir, il est vrai, nous soulage,
Et nous berce un temps notre ennui ;
Mais, Philis2, le triste avantage,
Lorsque rien ne marche après lui !
PHILINTE
Je suis déjà charmé de ce petit morceau.
ALCESTE, bas.
Quoi ? vous avez le front de trouver cela beau ?
ORONTE
Vous eûtes de la complaisance ;
Mais vous en deviez moins avoir,
Et ne vous pas mettre en dépense3
Pour ne me donner que l’espoir.
1 7 4 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
4. termes galants : mots
élégants.
5. morbleu : juron,
déformation de « Mort
de Dieu ».
6. trépas : mort.
7. distraire : détourner.
35
8. chute : vers qui
termine le poème.
9. ouï : entendu.
10. grand empire :
grande domination.
11. ce faible : cette
faiblesse.
40
12. à décrier un homme :
pour qu’un homme
soit critiqué.
45
50
PHILINTE
Ah ! qu’en termes galants4 ces choses-là sont mises !
ALCESTE, bas.
Morbleu5 ! vil complaisant, vous louez des sottises ?
ORONTE
S’il faut qu’une attente éternelle
Pousse à bout l’ardeur de mon zèle,
Le trépas6 sera mon recours.
Vos soins ne m’en peuvent distraire7 :
Belle Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours.
PHILINTE
La chute8 en est jolie, amoureuse, admirable.
ALCESTE, bas.
La peste de ta chute ! Empoisonneur au diable,
En eusses-tu fait une à te casser le nez !
PHILINTE
Je n’ai jamais ouï9 de vers si bien tournés.
ALCESTE
Morbleu !….
ORONTE
Vous me flattez, et vous croyez peut-être…
PHILINTE
Non, je ne flatte point.
ALCESTE, bas.
Et que fais-tu donc, traître ?
ORONTE, à Alceste.
Mais, pour vous, vous savez quel est notre traité :
Parlez-moi, je vous prie, avec sincérité.
ALCESTE
Monsieur, cette matière est toujours délicate,
Et sur le bel esprit nous aimons qu’on nous flatte.
Mais un jour, à quelqu’un, dont je tairai le nom,
Je disais, en voyant des vers de sa façon,
Qu’il faut qu’un galant homme ait toujours grand empire10
Sur les démangeaisons qui nous prennent d’écrire ;
Qu’il doit tenir la bride aux grands empressements
Qu’on a de faire éclat de tels amusements ;
Et que, par la chaleur de montrer ses ouvrages,
On s’expose à jouer de mauvais personnages.
ORONTE
Est-ce que vous voulez me déclarer par là
Que j’ai tort de vouloir… ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela.
Mais je lui disais, moi, qu’un froid écrit assomme,
Qu’il ne faut que ce faible11 à décrier12 un homme,
Et qu’eût-on, d’autre part, cent belles qualités,
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 75
55
60
13. diantre : exclamation,
déformation du mot
« diable ».
65
14. méchants : mauvais.
70
On regarde les gens par leurs méchants côtés.
ORONTE
Est-ce qu’à mon sonnet vous trouvez à redire ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
ORONTE
Est-ce que j’écris mal ? et leur ressemblerais-je ?
ALCESTE
Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre13 vous pousse à vous faire imprimer ?
Si l’on peut pardonner l’essor d’un mauvais livre,
Ce n’est qu’aux malheureux qui composent pour vivre.
Croyez-moi, résistez à vos tentations,
Dérobez au public ces occupations ;
Et n’allez point quitter, de quoi que l’on vous somme,
Le nom que dans la cour vous avez d’honnête homme,
Pour prendre, de la main d’un avide imprimeur,
Celui de ridicule et misérable auteur.
C’est ce que je tâchai de lui faire comprendre.
ORONTE
Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet… ?
ALCESTE
Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Vous vous êtes réglé sur de méchants14 modèles,
Et vos expressions ne sont point naturelles.
Le Tartuffe, mise en scène d’Édouard Pretet au Nouveau Théâtre Mouffetard en 2003,
avec Philippe Rondest (Tartuffe) et Cerise (Dorine), © Ramon Senera/Agence Bernand.
TEXTE
6
Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669)
Pour représenter Tartuffe en 1660, Molière a dû affronter l’opposition des dévots.
C’est la première apparition de Tartuffe, un hypocrite qui vit en parasite chez Orgon, dont il
convoite la jeune femme, Elmire. Tartuffe feint l’austérité et la piété mais la servante Dorine ne
se laisse pas abuser.
Molière (1622-1673), Le Misanthrope, acte I, scène 2, v. 305 à 378, 1666.
TARTUFFE, LAURENT, DORINE
Analyse
Écriture – expression orale
Un poème diversement commenté
6. Qu’est-ce qu’une « bonne parole » ? Une parole sincère ou une parole qui convient à la situation et à l’interlocuteur* ? À partir de cette scène, vous définirez ces
deux conceptions opposées. Vous répondrez en une
page rédigée, organisée et argumentée.
1. Quel effet produisent la lecture du poème, ses commentaires contradictoires et les apartés* ?
2. Philinte est-il intransigeant ou conciliant ? Et Alceste ?
Justifiez votre réponse.
Une réponse longtemps différée
3. Quel effet produit l’expression répétée : « Je ne dis
pas cela » ? Pourquoi le personnage retarde-t-il ainsi sa
réponse ?
4. Comment expliquez-vous qu’Alceste finisse par laisser
exploser sa réprobation (vers 72) ? La présence de
Philinte joue-t-elle un rôle dans sa réaction ?
5. Que pensez-vous du sonnet* d’Oronte ? Le trouvezvous bon ou mauvais ? Pourquoi ? Correspond-il, selon
vous, aux goûts de Molière ? Pourquoi ?
7. Vous rédigerez des didascalies* complémentaires
(gestes, mimiques) puis vous interpréterez la scène avec
deux de vos camarades.
Lectures complémentaires
Lisez d’autres scènes analogues chez Molière : l’impromptu de Mascarille dans Les Précieuses ridicules
(scène 9), le sonnet de Trissotin dans Les Femmes
savantes.
1 7 6 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
1. haire : chemise de crin
portée sur la peau en guise
de pénitence.
2. discipline : fouet
fait de cordelettes
ou de petites chaînes,
utilisé pour se frapper
par pénitence. La phrase
demande donc qu’on
accentue le châtiment
que le personnage
s’inflige pour se punir
de ses péchés.
3. illumine : éclaire.
4. deniers : sommes
d’argent.
5. forfanterie :
vantardise.
5
TARTUFFE, apercevant Dorine.
Laurent, serrez ma haire1 avec ma discipline2,
Et priez que toujours le Ciel vous illumine3.
Si l’on vient pour me voir, je vais aux prisonniers
Des aumônes que j’ai partager les deniers4.
DORINE
Que d’affectation et de forfanterie5 !
TARTUFFE
Que voulez-vous ?
DORINE
Vous dire…
TARTUFFE. Il tire un mouchoir de sa poche.
Ah ! mon Dieu, je vous prie,
Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.
DORINE
Comment ?
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 77
10
6. convoiter : désirer.
15
7. jusques en : jusqu’en.
8. vous quitter la partie :
vous céder la place.
9. je suis toujours
pour ce que j’en ai dit :
je suis toujours du même avis.
20
25
TARTUFFE
Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Par de pareils objets les âmes sont blessées,
Et cela fait venir de coupables pensées.
DORINE
Vous êtes donc bien tendre à la tentation,
Et la chair sur vos sens fait grande impression ?
Certes, je ne sais pas quelle chaleur vous monte
Mais à convoiter6, moi, je ne suis point si prompte,
Et je vous verrais nu du haut jusques en7 bas,
Que toute votre peau ne me tenterait pas.
TARTUFFE
Mettez dans vos discours un peu de modestie,
Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie8.
DORINE
Non, non, c’est moi qui vais vous laisser en repos,
Et je n’ai seulement qu’à vous dire deux mots
Madame va venir dans cette salle basse,
Et d’un mot d’entretien vous demande la grâce.
TARTUFFE
Hélas ! très volontiers.
DORINE, en soi-même.
Comme il se radoucit !
Ma foi, je suis toujours pour ce que j’en ai dit9.
TARTUFFE
Viendra-t-elle bientôt ?
DORINE
Je l’entends, ce me semble.
Oui, c’est elle en personne, et je vous laisse ensemble.
Molière (1622-1673), Le Tartuffe ou l’Imposteur,
acte III, scène 2, v. 853 à 878, 1669.
Jeux comiques dans la comédie
TEXTE
7
Molière, L’École des femmes (1663)
Obsédé par l’éventualité du cocuage, Arnolphe tient Agnès enfermée dans une petite maison, sous
la garde de deux serviteurs. En dépit de ces précautions, la jeune fille noue une intrigue amoureuse avec Horace, fils d’un ami d’Arnolphe. Ayant découvert l’intrigue, Arnolphe contraint
Agnès à repousser le jeune homme. Amoureux d’Agnès et ignorant tout d’elle, Horace prend
Arnolphe pour confident des progrès de son amour.
5
10
1. grès : pavé (lancé
par Agnès, sur l’ordre
d’Arnolphe).
2. trait : acte.
15
3. ont de l’air : ressemblent à.
Analyse
L’entrée en scène de l’hypocrite
1. Quelle est l’importance de la didascalie* initiale ?
Quel trait du caractère de Tartuffe met-elle en valeur ?
2. Quels termes Tartuffe utilise-t-il pour faire croire à sa
dévotion dans sa première réplique ?
3. L’expression « Couvrez ce sein que je ne saurais voir »
(v. 8) a pris une valeur exemplaire. Laquelle et pourquoi ?
Comment la comprenez-vous aujourd’hui ?
4. D’où vient le comique de l’exclamation de Tartuffe
« Hélas! très volontiers » (v. 23)? L’étymologie d’« hypocrite » est « comédien » en grec. Tartuffe vous apparaît-il
ici comme un bon « comédien » ? Pourquoi ?
Une servante démystificatrice
5. À quoi tient le comique de la réplique de Dorine sur
les tentations de la chair (v. 11-16) ? Pourquoi est-elle
efficace ?
6. Que dévoile aussi Dorine dans les vers 5 et 23-24 ? À
quel registre appartiennent ces apartés ? Quelle relation
la servante établit-elle ainsi avec le public ?
4. un libéral : un homme
généreux.
5. un civil : un homme poli.
6. un brutal : un homme
grossier et mal élevé.
20
7. tranchant : coupant
court.
Analyse de l’image
7. Que montrent, dans cette mise en scène, les gestes et
les mimiques des comédiens ?
8. termes exprès :
en termes clairs.
9. du tour : de la manière
25
d’agir.
Écriture – expression orale
8. Dans sa première apparition, le personnage de
Tartuffe vous paraît-il plutôt risible ou inquiétant ? Vous
répondrez à cette question en une page argumentée, ou
dans un bref exposé, et en vous fondant précisément sur
le texte.
1 7 8 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
ARNOLPHE
Le grès vous a mis en déroute ;
Mais cela ne doit pas vous étonner.
HORACE
Sans doute,
Et j’ai compris d’abord que mon homme était là,
Qui, sans se faire voir, conduisait tout cela.
Mais ce qui m’a surpris, et qui va vous surprendre,
C’est un autre incident que vous allez entendre ;
Un trait2 hardi qu’a fait cette jeune beauté,
Et qu’on n’attendrait point de sa simplicité.
Il le faut avouer, l’amour est un grand maître
Ce qu’on ne fut jamais il nous enseigne à l’être ;
Et souvent de nos mœurs l’absolu changement
Devient, par ses leçons, l’ouvrage d’un moment ;
De la nature, en nous, il force les obstacles,
Et ses effets soudains ont de l’air3 des miracles ;
D’un avare à l’instant il fait un libéral4,
Un vaillant d’un poltron, un civil5 d’un brutal6 ;
Il rend agile à tout l’âme la plus pesante,
Et donne de l’esprit à la plus innocente.
Oui, ce dernier miracle éclate dans Agnès ;
Car, tranchant7 avec moi par ces termes exprès8 :
« Retirez-vous : mon âme aux visites renonce ;
Je sais tous vos discours, et voilà ma réponse »,
Cette pierre ou ce grès dont vous vous étonniez
Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds ;
Et j’admire de voir cette lettre ajustée
Avec le sens des mots et la pierre jetée.
D’une telle action n’êtes-vous pas surpris ?
L’amour sait-il pas l’art d’aiguiser les esprits ?
Et peut-on me nier que ses flammes puissantes
Ne fassent dans un cœur des choses étonnantes ?
Que dites-vous du tour9 et de ce mot d’écrit ?
Euh ! n’admirez-vous point cette adresse d’esprit ?
1
30
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 79
35
Trouvez-vous pas plaisant de voir quel personnage
A joué mon jaloux dans tout ce badinage ?
Dites.
HORACE
Oui, fort plaisant.
ARNOLPHE
Riez-en donc un peu.
TEXTE
Molière, Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669)
À la scène 3 de l’acte III, Tartuffe déclare son amour à Elmire. Orgon en est informé, mais il refuse
de croire à la duplicité de Tartuffe. Elmire décide d’amener Tartuffe à se trahir. À la scène 5 de
l’acte IV, elle feint de céder aux avances de Tartuffe, mais en montrant des scrupules religieux.
Orgon assiste à l’entretien, dissimulé sous une table sur la recommandation d’Elmire.
Arnolphe rit d’un ris forcé.
40
10. gendarmé : prêt
à combattre.
11. mon feu : mon amour
(métaphore* du langage
précieux).
45
12. bizarre : déraisonnable.
13. machine : ruse.
50
55
Cet homme, gendarmé10 d’abord contre mon feu11,
Qui chez lui se retranche, et de grès fait parade,
Comme si j’y voulais entrer par escalade ;
Qui, pour me repousser, dans son bizarre12 effroi,
Anime du dedans tous ses gens contre moi,
Et qu’abuse à ses yeux, par sa machine13 même,
Celle qu’il veut tenir dans l’ignorance extrême !
Pour moi, je vous l’avoue, encor que son retour
En un grand embarras jette ici mon amour,
Je tiens cela plaisant autant qu’on saurait dire,
Je ne puis y songer sans de bon cœur en rire
Et vous n’en riez pas assez, à mon avis.
ARNOLPHE, avec un ris forcé.
Pardonnez-moi, j’en ris tout autant que je puis.
HORACE
Mais il faut qu’en ami je vous montre la lettre.
Tout ce que son cœur sent, sa main a su l’y mettre,
Mais en termes touchants et tous pleins de bonté,
De tendresse innocente et d’ingénuité,
De la manière enfin que la pure nature
Exprime de l’amour la première blessure.
ARNOLPHE, bas.
Voilà, friponne, à quoi l’écriture te sert ;
Et contre mon dessein l’art t’en fut découvert.
Molière (1622-1673), L’École des femmes, acte III, scène 4,
v. 892 à 947, 1663.
Analyse
Le rival confident
1. Un renversement de situation s’opère dans cette
scène. Lequel ?
2. Arnolphe est-il pathétique* ou comique* ?
3. Horace a-t-il conscience de s’adresser à son rival ?
Comment appelle-t-on ce procédé ?
Pouvoir et aveuglement de l’amour
4. Quelles sont les marques du discours* narratif dans la
parole d’Horace ? En quoi le récit de cette histoire
d’amour peut-il être intéressant pour le spectateur ?
8
5
C’est un scélérat qui parle.
10
1. arrêts : décision
d’une autorité.
15
2. jus de réglisse : nom
vulgaire de l’extrait
de la racine de réglisse.
5. Quels termes, quelles phrases manifestent la perte
d’ingénuité d’Agnès ? Pourquoi peut-on aussi parler
d’ingénuité à propos d’Horace ?
20
Expression écrite
6. VERS LA DISSERTATION Quel plaisir éprouve le public à
comprendre la situation mieux que les personnages,
dans une comédie ? Vous fonderez votre réponse sur
cette scène et les effets qu’elle produit, mais aussi sur
d’autres scènes moliéresques de quiproquo, de malentendu, de tromperie comparables.
1 8 0 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
TARTUFFE
Si ce n’est que le Ciel qu’à mes vœux on oppose,
Lever un tel obstacle est à moi peu de chose,
Et cela ne doit pas retenir votre cœur.
ELMIRE
Mais des arrêts1 du Ciel on nous fait tant de peur !
TARTUFFE
Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,
Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.
Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;
Mais on trouve avec lui des accommodements ;
Selon divers besoins, il est une science
D’étendre les liens de notre conscience
Et de rectifier le mal de l’action
Avec la pureté de notre intention.
De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ;
Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.
Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi :
Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.
Vous toussez fort, Madame.
ELMIRE
Oui, je suis au supplice.
TARTUFFE
Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse2 ?
ELMIRE
C’est un rhume obstiné, sans doute ; et je vois bien
Que tous les jus du monde ici ne feront rien.
TARTUFFE
Cela certes est fâcheux.
ELMIRE
Oui, plus qu’on ne peut dire.
TARTUFFE
Enfin votre scrupule est facile à détruire :
Vous êtes assurée ici d’un plein secret,
Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait ;
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 81
25
30
3. scandale : indignation
devant un fait choquant.
35
4. il est pour faire gloire :
il s’en félicite.
40
45
Le scandale du monde3 est ce qui fait l’offense,
Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.
ELMIRE, après avoir encore toussé.
Enfin je vois qu’il faut se résoudre à céder,
Qu’il faut que je consente à vous tout accorder,
Et qu’à moins de cela je ne dois point prétendre
Qu’on puisse être content, et qu’on veuille se rendre.
Sans doute il est fâcheux d’en venir jusque-là,
Et c’est bien malgré moi que je franchis cela ;
Mais puisque l’on s’obstine à m’y vouloir réduire,
Puisqu’on ne veut point croire à tout ce qu’on peut dire
Et qu’on veut des témoins qui soient plus convaincants,
Il faut bien s’y résoudre, et contenter les gens.
Si ce consentement porte en soi quelque offense,
Tant pis pour qui me force à cette violence ;
La faute assurément n’en doit pas être à moi.
TARTUFFE
Oui, Madame, on s’en charge ; et la chose de soi…
ELMIRE
Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,
Si mon mari n’est point dans cette galerie.
TARTUFFE
Qu’est-il besoin pour lui du soin que vous prenez ?
C’est un homme, entre nous, à mener par le nez ;
De tous nos entretiens il est pour faire gloire4,
Et je l’ai mis au point de voir tout sans rien croire.
Analyse de l’image
Lectures complémentaires
9. Comment interprétez-vous le jeu des regards dans
cette mise en scène de Jacques Weber ?
Lisez d’autres scènes célèbres de témoins cachés, dans le
drame de Shakespeare (➜ Hamlet, III, 4, p. 248), dans la
tragédie classique (Britannicus de Racine, II, 6), dans le
théâtre romantique (On ne badine pas avec l’amour de
Musset, III, 3). Quelles sont les ressemblances et les différences entre ces scènes ?
Quel air ont respectivement Tartuffe (Jacques Weber),
Elmire (Zabou) et Orgon (Roland Blanche) ?
Molière (1622-1673), Le Tartuffe ou l’Imposteur,
acte IV, scène 5, v. 1 481 à 1 526, 1669.
Le Tartuffe, mise en scène de Jacques Weber au théâtre Antoine en 1994, avec Roland Blanche (Orgon),
Jacques Weber (Tartuffe) et Zabou (Elmire), © L. Lot.
Analyse
Une entreprise de séduction
1. En quels termes Tartuffe s’adresse-t-il à Elmire ?
Qu’est-ce que le personnage cherche à obtenir ? Quels
arguments utilise-t-il pour cela ?
2. Comment le personnage traite-t-il la religion ?
Observez les vers 9 à12. Quelle est la valeur du présent,
de la formulation impersonnelle ? À quel domaine
appartient le vocabulaire utilisé ?
3. La didascalie* « C’est un scélérat qui parle » est-elle
destinée à aider la mise en scène théâtrale de la pièce ?
Vous paraît-elle indispensable ? Pourquoi Molière l’a-t-il
alors insérée selon vous ?
Un témoin caché
5. Comment le public se représente-t-il la réaction
d’Orgon entendant tous ces propos, et, en particulier, la
dernière réplique de Tartuffe ?
Évaluation
Misanthrope, I, 1, p. 170) ou sur le franc-parler de la
servante Dorine (Tartuffe, III, 2, p. 177).
6. La fonction de la scène est-elle de divertir ? de faire
avancer l’action ?
Les mœurs : amour contrarié et mariage
Comique et comédie chez Molière
1. Dans quelle pièce trouve-t-on le sujet traditionnel de comédie, traité par Molière, l’amour contrarié (amour de jeunes gens contrariés par un
barbon) ? Dans les autres pièces, plus graves, quels
autres sujets voit-on apparaître ? Vous répondrez à
cette question en vous fondant sur des exemples
précis.
4. Quelles scènes de ce chapitre reposent sur un
comique de situation (trio gênant, jeu du trompeur
trompé) ? Référez-vous à quelques exemples précis.
2. Qu’est-ce qui peut rendre l’amoureux méchant
ou ridicule dans les pièces de Molière ? Vous répondrez à cette question en vous fondant sur des
exemples précis de « vices » mis en évidence.
6. Quelles scènes tiennent à un comique de caractère (personnage ridicule ou contradictoire) ?
Expression écrite
7. Imaginez un jeu de scène en accord avec les paroles
prononcées. Vous pouvez vous aider d’une scène de
séduction analogue présentée par Beaumarchais (Le
Mariage de Figaro, I, 8).
8. Quel intérêt y a-t-il à présenter sur scène un personnage lui-même en position de spectateur ? Vous répondrez à cette question en vous fondant sur le texte, en
une page environ.
4. Quels sont, dans la bouche d’Elmire, les propos à
double entente ? Quels sont ceux qui s’adressent aussi à
son mari caché sous la table ?
1 8 2 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
3. Quelles leçons ou « corrections » peut-on tirer du
théâtre de Molière? Vous vous fonderez, par exemple,
sur la modération du personnage de Philinte (Le
5. Quelles scènes provoquent un comique de mots
(expressions ridicules ou impertinentes, répétitions
mécaniques de la même expression) ? Référez-vous
à quelques exemples précis.
7. Bergson définit le personnage comique comme
« celui qui suit son idée ». Quelles scènes illustrent
cette définition d’une mécanique qui ne sait plus
s’arrêter ?
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 83
Prolongements
COMIQUE ET COMÉDIE
Peinture des mœurs et satire
3
Climène, une précieuse, a été choquée par les allusions à la sexualité, le langage parfois trivial
d’Arnolphe, le héros de L’École des femmes. Elle s’insurge aussi contre la tonalité satirique de la comédie.
Représentée au Palais-Royal en 1663, La Critique de L’École des femmes répond aux critiques
formulées contre L’École des femmes par les précieux ou les défenseurs des règles. Ne se contentant pas de répliquer sur des points de détail, Molière expose ses théories sur l’art dramatique
5
Comédie et tragédie
1
Dorante et Uranie ont aimé L’École des femmes. Contre Lysidas, les deux personnages affirment la noblesse de la comédie face à la tragédie, genre traditionnellement considéré comme
supérieur.
5
10
DORANTE. — Assurément, Madame1 ; et quand, pour la difficulté, vous mettriez un plus du côté de la
comédie, peut-être que vous ne vous abuseriez pas. Car enfin, je trouve qu’il est bien plus aisé de se
guinder2 sur de grands sentiments, de braver en vers la Fortune, accuser les Destins, et dire des
injures aux Dieux, que d’entrer comme il faut dans le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur le théâtre les défauts de tout le monde. Lorsque vous peignez des héros, vous faites ce que
vous voulez. Ce sont des portraits à plaisir3, où l’on ne cherche point de ressemblance ; et vous
n’avez qu’à suivre les traits d’une imagination qui se donne l’essor, et qui souvent laisse le vrai pour
attraper le merveilleux4. Mais lorsque vous peignez les hommes, il faut peindre d’après nature. On
veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait, si vous n’y faites reconnaître les gens de
votre siècle. En un mot, dans les pièces sérieuses, il suffit pour n’être point blâmé, de dire des
choses qui soient de bon sens et bien écrites ; mais ce n’est pas assez dans les autres, il y faut plaisanter ; et c’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens.
10
Molière (1622-1673), La Critique de l’École des femmes, scène 6, 1663.
Le jeu des acteurs
4
L’Impromptu de Versailles, comédie dans la comédie, montre Molière au milieu de sa troupe,
dans son emploi de metteur en scène.
5
Molière (1622-1673), La Critique de l’École des femmes, scène 6, 1663.
1. Madame: Uranie. • 2. se guinder: faire paraître une élévation morale excessive. • 3. à plaisir: fait pour se faire plaisir. • 4. le
merveilleux : l’étonnant, l’extraordinaire.
10
La comédie et les règles
2
CLIMÈNE. — Rendez-vous, ou ne vous rendez pas, je sais fort bien que vous ne me persuaderez
point de souffrir les immodesties de cette pièce, non plus que les satires désobligeantes qu’on y
voit contre les femmes.
URANIE. — Pour moi, je me garderai bien de m’en offenser et de prendre rien sur mon compte de
tout ce qui s’y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et ne frappent les personnes que par réflexion. N’allons point nous appliquer nous-mêmes les traits d’une censure générale ; et profitons de la leçon, si nous pouvons, sans faire semblant qu’on parle à nous. Toutes les
peintures ridicules qu’on expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le
monde. Ce sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu’on se voie ; et c’est se taxer hautement d’un défaut que se scandaliser qu’on le reprenne.
MOLIÈRE . — J’avais songé à une comédie où il y aurait eu un poète, que j’aurais représenté moimême, qui serait venu pour offrir une pièce à une troupe de comédiens nouvellement arrivés de la
campagne. « Avez-vous, aurait-il dit, des acteurs et des actrices qui soient capables de bien faire
valoir un ouvrage ? Car ma pièce est une pièce… — Eh ! Monsieur, auraient répondu les comédiens,
nous avons des hommes et des femmes qui ont été trouvés raisonnables partout où nous avons
passé. — Et qui fait les rois parmi vous ? — Voilà un acteur qui s’en démêle parfois. — Qui ? Ce jeune
homme bien fait ? Vous moquez-vous ? Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre, un roi, morbleu ! qui soit entripaillé comme il faut, un roi d’une vaste circonférence, et qui puisse remplir un
trône de la belle manière. La belle chose qu’un roi d’une taille galante ! Voilà déjà un grand défaut ;
mais que je l’entende un peu réciter une douzaine de vers. » Là-dessus le comédien aurait récité, par
exemple, quelques vers du roi de Nicomède1 :
Te le dirai-je, Araspe ? il m’a trop bien servi ;
Augmentant mon pouvoir…
D’après Lysidas, L’École des femmes ne respecterait pas les règles de composition édictées par
Aristote et reprises par Horace. Dorante, porte-parole de Molière, oppose au savoir des théoriciens le bon sens du public, qui juge les pièces selon le plaisir qu’elles donnent.
5
DORANTE. — Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les ignorants et
nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr1 parler, que ces règles de l’art soient les plus
grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que quelques observations aisées, que le bon
sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir que l’on prend à ces sortes de poèmes ; et le même bon
sens qui a fait autrefois ces observations les fait aisément tous les jours sans le secours d’Horace
et d’Aristote. Je voudrais bien savoir si la grande règle de toutes les règles n’est pas de plaire, et si
une pièce de théâtre qui a attrapé son but n’a pas suivi un bon chemin. Veut-on que tout un public
s’abuse sur ces sortes de choses, et que chacun n’y soit pas juge du plaisir qu’il y prend ?
Molière (1622-1673), La Critique de l’École des femmes, scène 6, 1663.
1. ouïr: entendre.
1 8 4 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
15
le plus naturellement qu’il aurait été possible. Et le poète : « Comment ? vous appelez cela réciter ?
C’est se railler ! il faut dire les choses avec emphase. Écoutez-moi.
Imitant Montfleury, excellent acteur de l’Hôtel de Bourgogne.
Te le dirai-je, Araspe ?…, etc.
20
Voyez-vous cette posture ? Remarquez bien cela. Là, appuyer comme il faut le dernier vers. Voilà ce
qui attire l’approbation et fait faire le brouhaha2. — Mais, Monsieur, aurait répondu le comédien, il
me semble qu’un roi qui s’entretient tout seul avec son capitaine des gardes parle un peu plus
humainement, et ne prend guère ce ton de démoniaque. — Vous ne savez ce que c’est. Allez-vous-en
réciter comme vous faites, vous verrez si vous ferez faire aucun ah !
Molière (1622-1673), L’Impromptu de Versailles, scène 1, 1663.
1. Nicomède : tragédie de Corneille (1651). • 2. brouhaha : bruit confus d’approbation.
■ 1. D’après ces extraits, quelle conception Molière se fait-il du théâtre et en particulier de la comédie ?
■ ■ 2. Comment les textes du chapitre illustrent-ils cette conception ?
CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE • 1 85
MÉMENTO
Molière et la comédie classique
1
Les origines de la comédie
• Née en Grèce, la comédie a pour origine une
procession burlesque et populaire en l’honneur
de Dionysos : le cômos (d’où le mot comoedia,
chant du cômos).
• La comédie est d’abord politique et satirique
avec Aristophane (Ve-IVe s. av. J.-C.). Elle se
tourne vers la comédie de caractères avec le
dramaturge grec Ménandre et la nouvelle comédie (ou Néa : IVe s. av. J.-C.), qui fournit ses rôles
et ses situations au théâtre latin, puis, beaucoup
plus tard à la comédie d’intrigue du XVIIe siècle.
2
Définitions
• Dans la Poétique, Aristote (philosophe grec du
IVe
siècle), définit la comédie par opposition à la
tragédie comme « l’imitation des hommes de
qualité morale inférieure, non en toute espèce
de vice, mais dans le domaine du risible, lequel
est une partie du laid ».
• Au XVIIe siècle, la comédie met en scène des personnages de basse ou moyenne condition,
appartenant au peuple ou à la bourgeoisie.
L’action est inventée et l’intrigue, située à
l’époque contemporaine, s’inspire de la vie
quotidienne : les comédies de Molière situent
ainsi le drame au sein des relations familiales, perturbées notamment par un conflit de générations,
ou par l’intrusion d’un imposteur (➜ Tartuffe, p. 177
et p. 181). Le dénouement en est généralement
heureux (souvent un ou plusieurs mariages).
3
L’action et les règles
La « grande » comédie respecte les règles et a
pour ambition d’atteindre une vérité humaine.
Elle obéit aux mêmes principes dramatiques
que la tragédie.
• Le déroulement de l’action est identique à
celui d’une tragédie : exposition, nœud de l’action, dénouement. Comme dans la tragédie, l’exposition doit être entière et courte, claire,
intéressante et vraisemblable, le dénouement
doit être rapide, complet, « nécessaire » (c’est-àdire découler logiquement de ce qui précède).
• L’action est divisée en cinq actes (parfois
trois, selon le modèle de la comédie italienne).
Elle est écrite en vers, en alexandrins, le plus
souvent, mais certaines comédies sont en prose,
Dom Juan de Molière par exemple (➜ Dom Juan,
p. 168 et p. 172).
• Comme la tragédie, la comédie doit respecter
la vraisemblance et les règles qui en découlent :
la règle des trois unités (d’action, de temps et
de lieu) et les bienséances (on tolère cependant
les allusions à la sexualité et la mention de la
nourriture, bannies de la tragédie).
4
Molière et le renouvellement
du genre de la comédie
Comique et comédie
• Le genre de la comédie ne se confond pas
avec le registre comique. Le registre comique
vise à faire rire. Si le registre comique est très
présent au théâtre, on le rencontre dans tous les
genres et tous les discours. En utilisant toutes
les dimensions du registre comique, Molière
renouvelle le genre de la comédie.
La farce
• La farce est, par excellence, au théâtre, le
genre qui fait rire. Elle use de procédés
comiques simples et grossiers : gifles, coups
de bâton, bagarres, gags, gestes et propos obscènes. Le rire provient aussi du dérèglement
du langage : discours incohérent, utilisation
abusive du latin ou du jargon technique. Issu du
1 8 6 • CHAPITRE 8/COMIQUE ET COMÉDIE AU XVII e SIÈCLE : MOLIÈRE
bas latin farsa (farcissure), le mot farce désigne
effectivement le mélange de langages différents
(jargon, mots étrangers, dialectes). Molière utilise ces procédés pour dénoncer un langage
affecté et atteindre le « naturel », dans une langage proche de celui de la vie courante. Il règle
ainsi ses comptes avec « l’esprit », le langage
affecté ou précieux (➜Le Misanthrope, I, 2,
p. 170). La farce permet de se moquer des mots
ridicules mais aussi de construire des situations
comiques.
• La farce emprunte ses thèmes à la vie quotidienne, dont elle propose une vision simplifiée
et schématique. Les personnages sont réduits à
des types (vieillard amoureux comme Arnolphe,
père tyrannique, mari trompé, docteur pédant,
valets balourds) ; les situations sont stéréotypées (mise en œuvre d’une tromperie, généralement sous l’effet du désir amoureux). L’action
est fondée sur un mécanisme élémentaire de
renversement, sur le modèle du trompeur
trompé. L’intrigue de L’École des femmes repose,
par exemple, sur une méprise et un effet de
retournement. Le jeune Horace se méprend sur
Arnolphe (➜ L’École des femmes, p. 179) ; mais
en voulant abuser Horace, Arnolphe sera finalement trompé par Horace et Agnès.
La comédie d’intrigue
Molière commence son oeuvre alors que
triomphe la comédie d’intrigue. Cette dernière
reprend le schéma et les rôles conventionnels de
la comédie latine (des amours juvéniles contrariées par des pères tyranniques, mais protégées
par des valets astucieux). Influencée par la
comédie à l’italienne, la comédie d’intrigue
recourt aux quiproquos, aux méprises, aux
dénouements par reconnaissances opportunes ;
influencée par la comédie espagnole, elle représente des amours passionnées et des conflits
d’honneur. Dans les années 1630, elle donne
naissance à la « grande » comédie, en cinq actes,
en vers, qui respecte les règles et a pour ambition
d’atteindre une « vérité humaine ». Ce type de
comédie, cependant, ne vise pas forcément l’effet comique (ce sont les comédies de Corneille,
notamment).
La comédie de caractère
Molière renouvelle la comédie d’intrigue en
accordant plus de place au réalisme psychologique et social, mais aussi en renouant avec
l’esthétique de la farce, avec le rire : le personnage n’est plus défini par sa seule fonction dramatique. Doté d’un caractère, d’une manie qui
l’oppose aux autres personnages, il devient la
source du conflit théâtral (➜ Le Misanthrope,
p. 170 et p. 174) et un objet de dérision. C’est la
comédie de caractère.
La comédie de moeurs
La comédie tend aussi, avec Molière, à représenter les mœurs contemporaines et les rapports
sociaux : « Vous n’avez rien fait, dit Molière dans
La Critique de l’École des femmes, si vous n’y
faites reconnaître les gens de votre siècle ». Si la
peinture prend souvent une tonalité satirique,
elle refuse la satire personnelle et s’attache à
représenter des types généraux, exemplaires
(précieuses ridicules, petits marquis, bourgeois
parvenus, hypocrites…). C’est la comédie de
mœurs.
Mais la grande originalité de Molière consiste
dans la fusion entre farce et grande comédie :
L’École des femmes, grande comédie en cinq
actes et en vers, respectueuse des règles, traite
d’un sujet de farce et recourt aux procédés de la
farce. Tout en aidant à corriger les vices des
hommes, Molière reste soucieux de faire rire et,
par là-même de plaire au public, qui peut trouver
dans son œuvre à la fois amusement et matière
à réflexion.
MÉMENTO • 1 87
20
Et ne me cache point pour lui fermer la bouche8.
NÉRON
Je vous entends9. Hé bien, gardes !
LA TRAGÉDIE
Exercice
1
L’empereur Néron, amoureux de Junie qu’il a fait enlever, vient de surprendre Britannicus, l’héritier légitime du
trône, aux pieds de la jeune fille.
5
10
15
20
Jean Racine, Britannicus,
acte III, scène 8, v. 1 046-1 069, 1669.
L’affrontement tragique
BRITANNICUS
Rome met-elle au nombre de vos droits
Tout ce qu’a de cruel l’injustice et la force,
Les empoisonnements, le rapt et le divorce ?
NÉRON
Rome ne porte point ses regards curieux
Jusque dans les secrets que je cache à ses yeux.
Imitez son respect.
BRITANNICUS
On sait ce qu’elle en pense.
NÉRON
Elle se tait du moins ; imitez son silence.
BRITANNICUS
Ainsi Néron commence à ne se plus forcer1.
NÉRON
Néron de vos discours commence à se lasser.
BRITANNICUS
Chacun devait bénir le bonheur de son règne2.
NÉRON
Heureux ou malheureux3, il suffit qu’on me craigne.
BRITANNICUS
Je connais mal Junie4, ou de tels sentiments
Ne mériteront pas ses applaudissements.
NÉRON
Du moins, si je ne sais le secret de lui plaire,
Je sais l’art de punir un rival téméraire.
BRITANNICUS
Pour moi, quelque péril qui me puisse accabler,
Sa seule inimitié5 peut me faire trembler.
NÉRON
Souhaitez-la : c’est tout ce que je vous puis dire.
BRITANNICUS
Le bonheur de lui plaire est le seul où6 j’aspire.
NÉRON
Elle vous l’a promis, vous lui plairez toujours.
BRITANNICUS
Je ne sais pas du moins épier ses discours.
Je la laisse expliquer7 sur tout ce qui me touche,
8. pour lui fermer la bouche : à l’acte II, scène IV, Néron a contraint
Junie à désavouer devant Britannicus l’amour qu’elle éprouve pour ce
dernier. Caché, l’empereur a observé et écouté l’entretien. • 9. entends :
comprends.
1. Quelle remarque peut-on faire sur les répliques des
vers 6 à 11 et des vers 18 à 20 ? Comment s’appelle ce
procédé d’écriture ? Justifiez son emploi en fonction de
la situation et de la nature des sentiments exprimés.
1 8 8 • LE THÉÂTRE/ Exercices
Jean Racine, Phèdre, acte IV, scène V, v. 1 193-1 213, 1677.
4. tout mon sexe : toutes les femmes. • 5. audace : Hippolyte ose résister à Vénus. • 6. objet : dans la langue classique, ce terme désigne la
personne qui inspire de l’amour. • 7. souffrir : supporter.
1. Expliquez les termes suivants en tenant compte du
contexte: « feu » (v. 2), « sensible » (v. 11), « ingrat » (v. 13),
« également » (v. 16).
2. À quels indices (ponctuation, construction des phrases,
répétitions…) voit-on le trouble extrême du personnage ? Quel sentiment expriment le conditionnel et
l’exclamation dans le dernier vers ?
2. Sur quelles oppositions se fondent les vers 14 et 15 ?
Que révèlent-elles du personnage de Néron et de sa
conception du pouvoir ?
3. Quel est le rôle du vers 11 dans la tirade ? Quel sentiment traduit-il ? Quels sont les autres indices de ce
sentiment dans la suite de la tirade ?
3. En vous appuyant notamment sur les vers 1, 2, 3, 8,
21, 22 et 23, déterminez avec précision les armes utilisées par Britannicus contre Néron.
4. En quoi les vers 19 et 20 révèlent-ils les excès de la
passion amoureuse ?
4. Dans quelle mesure la réplique finale manifestet-elle l’impuissance de Néron ?
Exercice
2
La fatalité de la passion
Épouse du roi Thésée, porté disparu, Phèdre brûle
d’une flamme coupable pour son beau-fils Hippolyte,
qui repousse cet amour. Au retour de Thésée, Œnone,
confidente de Phèdre, accuse Hippolyte d’avoir attenté à
l’honneur de la reine. Hippolyte se défend en avouant à
son père son amour pour Aricie, mais Thésée, incrédule, voue son fils à la vengeance de Neptune. À Phèdre
qui voulait intercéder en faveur d’Hippolyte, Thésée
révèle l’amour de celui-ci pour Aricie.
5
10
1. se forcer : se contraindre. • 2. le bonheur de son règne : bon empereur au début de son règne, Néron est bien vite devenu un tyran. • 3.
heureux ou malheureux : que ce règne soit heureux ou malheureux. •
4. Ces propos sont échangés en présence de Junie, qui reste silencieuse.
• 5. sa seule inimitié : seule son hostilité. • 6. où : auquel. • 7. expliquer : s’expliquer.
Fût contre tout mon sexe4 également armé :
Une autre cependant a fléchi son audace5 ;
Devant ses yeux cruels une autre a trouvé grâce.
Peut-être a-t-il un cœur facile à s’attendrir ;
Je suis le seul objet6 qu’il ne saurait souffrir7.
Et je me chargerais du soin de le défendre !
15
Il1 sort. Quelle nouvelle a frappé mon oreille !
Quel feu mal étouffé dans mon cœur se réveille !
Quel coup de foudre, ô ciel ! et quel funeste avis2 !
Je volais tout entière au secours de son fils ;
Et, m’arrachant des bras d’Œnone épouvantée,
Je cédais au remords dont j’étais tourmentée.
Qui sait même où m’allait porter ce repentir ?
Peut-être à m’accuser j’aurais pu consentir ;
Peut-être, si la voix ne m’eût été coupée,
L’affreuse vérité me serait échappée.
Hippolyte est sensible, et ne sent rien pour moi !
Aricie a son cœur ! Aricie a sa foi3 !
Ah ! dieux ! Lorsqu’à mes vœux l’ingrat inexorable
S’armait d’un œil si fier, d’un front si redoutable,
Je pensais qu’à l’amour son cœur toujours fermé
1. il : Thésée. • 2. avis : nouvelle. • 3. Aricie a sa foi : Hippolyte a assuré
Aricie de son amour et de sa fidélité.
Exercice
3
Travail d’écriture
ma joie ; tout est fini pour moi, et je n’ai plus que faire
au monde ! Sans toi, il m’est impossible de vivre. C’en
est fait, je n’en puis plus, je me meurs, je suis mort, je
suis enterré ! […] De grâce, si l’on sait des nouvelles de
mon voleur, je supplie que l’on m’en dise. N’est-il point
caché là parmi vous ? Ils me regardent tous et se mettent à rire.
Molière, L’Avare, acte IV, scène VII, 1668.
1. support : soutien.
B. L E C OMTE , seul, en grand manteau brun et chapeau
rabattu. Il tire sa montre en se promenant. Le jour est
moins avancé que je ne croyais. L’heure à laquelle elle
a coutume de se montrer derrière sa jalousie1 est
encore éloignée. N’importe ; il vaut mieux arriver trop
tôt que de manquer à l’instant de la voir. Si quelque
aimable de la Cour pouvait me deviner à cent lieues de
Madrid, arrêté tous les matins sous les fenêtres d’une
femme à qui je n’ai jamais parlé, il me prendrait pour
un Espagnol du temps d’Isabelle. — Pourquoi non ?
Chacun court après le bonheur. Il est pour moi dans le
cœur de Rosine. — Mais quoi ! suivre une femme à
Séville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts
des plaisirs si faciles ? — Et c’est cela même que je fuis.
Je suis las des conquêtes que l’intérêt, la convenance ou
la vanité nous présentent sans cesse. Il est si doux d’être
aimé pour soi-même; et si je pouvais m’assurer sous ce
déguisement… Au diable l’importun !
Beaumarchais, Le Barbier de Séville,
acte I, scène I, 1775.
VERS LA DISSERTATION Selon Aristote, la tragédie doit
susciter pitié et crainte chez le spectateur (➜ Mémento,
p. 162). En quoi les textes des exercices 1 et 2 illustrentils cet objectif ? Vous répondrez à cette question sous la
forme d’un développement d’une page ou deux organisé en paragraphes nourris de citations et d’exemples
précis tirés des deux textes.
LA COMÉDIE
Exercice
4
Monologues de comédie
1. jalousie : treillis de bois ou de métal au travers duquel on peut voir
sans être vu.
1. Quelles sont les marques du monologue dans ces
deux extraits ?
2. À quels indices – marques personnelles, ponctuation –
voit-on que ces monologues imitent le dialogue ? En
particulier, quels sont les destinataires successifs du
personnage dans le texte A ?
3. En quoi chacun de ces deux monologues constitue-t-il
un portrait indirect du personnage qui le prononce ?
4. Relevez et classez les informations contenues dans le
monologue du Comte (texte B). Quelle est la fonction
de ce monologue ?
A. H ARPAGON . (Il crie au voleur dès le jardin, et vient
sans chapeau.) — Au voleur ! au voleur ! à l’assassin ! au
meurtrier ! Justice, juste ciel ! Je suis perdu, je suis
assassiné ! On m’a coupé la gorge, on m’a dérobé mon
argent ! Qui peut-ce être ? Qu’est-il devenu ? où est-il ?
où se cache-t-il ? Que ferai-je pour le trouver ? Où courir ? où ne pas courir ? N’est-il point là, n’est-il point ici ?
Qui est-ce ? Arrête ! (Il se prend lui-même le bras.)
Rends-moi mon argent, coquin ! Ah ! c’est moi. Mon
esprit est troublé, et j’ignore où je suis, qui je suis, et ce
que je fais. Hélas ! mon pauvre argent, mon pauvre
argent, mon cher ami, on m’a privé de toi ! Et, puisque tu
m’es enlevé, j’ai perdu mon support1, ma consolation,
Exercice
5
Comédie et comique,
fonctions de la comédie
A. Matamore, « capitan gascon amoureux d’Isabelle »,
évoque ses exploits guerriers devant son « suivant » Clindor,
qui aime Isabelle et en est aimé.
MATAMORE
Mon armée ? Ah ! poltron ! ah, traître ! pour leur mort
Tu crois donc que ce bras ne soit pas assez fort ?
Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
LE THÉÂTRE/Exercices • 1 8 9
Exercices
Exercices
LE THÉÂTRE :
TRAGIQUE ET TRAGÉDIE, COMIQUE ET COMÉDIE
3. En quoi la tirade relève-t-elle également du registre
comique* ?
Marivaux, La Surprise de l’Amour,
acte II, scène VIII, 1722.
4. VERS L’ÉCRITURE D’INVENTION Écrivez une tirade en
prose dans laquelle un personnage comique, que vous
nommerez à votre gré, se vantera d’exploits imaginaires en usant des mêmes procédés stylistiques que
Matamore.
1. À quels indices voit-on l’irritation de la Comtesse visà-vis de Colombine ainsi que son émotion après le départ
de Lélio ?
2. En quoi les deuxième et sixième répliques (celle de
l’Éveillé, l. 4-5, et celle de Bartholo, l. 11-13) sont-elles
porteuses d’une critique sociale ? Quelles sont les cibles
de cette critique ?
2. Quelles interprétations différentes peut-on donner
des paroles de Lélio reprises par la Comtesse : « Cette
conviction m’est absolument nécessaire » ?
3. Dans quelle mesure la méfiance de Bartholo est-elle
justifiée ? En quoi ce personnage est-il ridicule ?
Pierre Corneille, L’Illusion comique,
acte II, scène II, v. 231-252, 1635.
1. aux trois Parques : dans la mythologie grecque, les trois divinités
– Clotho, Lachésis et Atropos – qui filaient et tranchaient le destin des
hommes. • 2. Mars : dieu romain de la guerre. • 3. veillaque : coquin. •
4. ce penser : cette pensée. • 5. ce petit archer : allusion mythologique.
Divinité de l’amour, Cupidon – Éros chez les Grecs – perçait les cœurs
de ses flèches. • 6. bel œil : beaux yeux (synecdoque du singulier pour le
pluriel).
1. Recherchez dans un dictionnaire l’origine et le sens
du substantif « matamore ». En quoi cette tirade illustret-elle cette définition ?
5. VERS LE COMMENTAIRE Rédigez trois paragraphes
dans lesquels vous analyserez précisément les formes
du comique dans la tirade. Cette étude pourra s’organiser autour des points suivants : décalages comiques,
exagération et déformation du réel, fantaisie verbale.
B. Lélio, qui par dépit amoureux veut rompre tout commerce avec les femmes, est néanmoins obligé de rencontrer pour affaire la Comtesse, à qui les hommes sont
pareillement insupportables. Les deux personnages s’éprennent inconsciemment l’un de l’autre. Seule à avoir pressenti
cet amour naissant, Colombine, suivante de la Comtesse,
révèle alors à Lélio l’inclination de sa maîtresse.
LA COMTESSE, LÉLIO, COLOMBINE
COLOMBINE arrive. — Que me voulez-vous, Madame ?
1 9 0 • LE THÉÂTRE/ Exercices
d’« écloper » tous les domestiques : « Il donne un narcotique à l’Éveillé, un sternutatoire à la Jeunesse ; il saigne
au pied Marceline. »
BARTHOLO. — Comment ! Je vous demande à tous deux
s’il est entré quelqu’un chez Rosine, et vous ne me dites
pas que ce barbier…
L’ÉVEILLÉ, continuant de bâiller. — Est-ce que c’est
quelqu’un donc, Monsieur Figaro ? Ah, ah…
BARTHOLO. — Je parie que le rusé s’entend avec lui.
L’ ÉVEILLÉ , pleurant comme un sot. — Moi… Je m’entends… !
L A J EUNESSE 1 , éternuant. — Eh mais, Monsieur, y at-il… y a-t-il de la justice ?…
BARTHOLO. — De la justice ! C’est bon entre vous autres
misérables, la justice ! Je suis votre maître, moi, pour
avoir toujours raison.
L A J EUNESSE , éternuant. — Mais, pardi, quand une
chose est vraie…
BARTHOLO. — Quand une chose est vraie ! Si je ne veux
pas qu’elle soit vraie, je prétends bien qu’elle ne soit
pas vraie. Il n’y aurait qu’à permettre à tous ces
faquins2-là d’avoir raison, vous verriez bientôt ce que
deviendrait l’autorité.
LA JEUNESSE, éternuant. — J’aime autant recevoir mon
congé. Un service terrible, et toujours un train d’enfer.
L’ ÉVEILLÉ , pleurant. — Un pauvre homme de bien est
traité comme un misérable.
BARTHOLO. — Sors donc, pauvre homme de bien. (Il les
contrefait.) Et t’cho et t’cha ; l’un m’éternue au nez,
l’autre m’y bâille.
Beaumarchais, Le Barbier de Séville,
acte II, scène VII, 1775.
1. La didascalie de début de scène précise : « LA JEUNESSE arrive en vieillard,
avec une canne en béquille. » • 2. faquin : terme d’injure courant aux
XVIIe
et XVIIIe siècles ; il désigne un individu sot et impertinent.
C. Le comte Almaviva est épris de Rosine. Celle-ci est
séquestrée par son tuteur – le médecin Bartholo – qui
désire l’épouser. Almaviva rencontre Figaro, son ancien
valet qui s’est établi comme barbier et possède ses
entrées chez le médecin. En l’absence de Bartholo, Figaro
révèle à Rosine l’amour du comte et pour introduire plus
facilement celui-ci auprès de la jeune fille, décide
Exercice
7
La liste des personnages
A. DANDIN, juge.
LÉANDRE, fils de Dandin.
CHICANNEAU, bourgeois.
ISABELLE, fille de Chicanneau.
LA COMTESSE.
PETIT JEAN, portier.
L’INTIME, secrétaire.
LE SOUFFLEUR.
La scène est dans une ville de Basse-Normandie.
Jean Racine, Les Plaideurs, 1668.
B. THÉSÉE, fils d’Égée, roi d’Athènes.
PHÈDRE, femme de Thésée, fille de Minos et de Pasiphaé.
HIPPOLYTE, fils de Thésée et d’Antiope, reine des Amazones.
ARICIE, princesse de sang royal d’Athènes.
THÉRAMÈNE, gouverneur d’Hippolyte.
ŒNONE, nourrice et confidente de Phèdre.
ISMÈNE, confidente d’Aricie.
PANOPE, femme de la suite de Phèdre.
GARDES.
La scène est à Trézène, ville du Péloponnèse.
Jean Racine, Phèdre, 1677.
1. Quels types d’informations la première de ces listes
apporte-t-elle sur les personnages ?
2. En quoi la comparaison de ces deux listes permet-elle
de préciser les différences existant entre la comédie
(liste A) et la tragédie (liste B) ?
1. Sur quels décalages comiques cette scène repose-t-elle?
3. Expliquez, dans la dernière réplique, « notre amour »
et « il parlera bientôt bon français ».
4. En quoi Colombine et la Comtesse sont-elles des personnages comiques ?
UNIVERS COMIQUE,
UNIVERS TRAGIQUE
Exercice
6
Travail d’écriture
VERS LA DISSERTATION À la lumière des extraits de
l’exercice 5, peut-on dire que le comique n’a d’autre
fonction que le divertissement ? Vous répondrez à cette
question sous la forme d’un plan détaillé en deux ou
trois parties. Chacune d’entre elles devra défendre une
idée directrice précise que vous rédigerez, et sera organisée autour de deux ou trois points que vous illustrerez à l’aide d’exemples et de citations empruntés aux
textes de l’exercice 5.
Exercice
8
Affrontement comique,
affrontement tragique
A.
MARTINE
Tout ce que vous prêchez est, je crois, bel et bon ;
Mais je ne saurais, moi, parler votre jargon.
PHILAMINTE
L’impudente ! Appeler un jargon le langage
Fondé sur la raison et le bel usage !
MARTINE
Quand on se fait entendre1, on parle toujours bien,
Et tous vos biaux dictons2 ne servent pas de rien.
PHILAMINTE
Hé bien, ne voilà pas encore de son style !
« Ne servent pas de rien ! »
BÉLISE
Ô cervelle indocile
Faut-il qu’avec les soins qu’on prend incessamment3
On ne te puisse apprendre à parler congrûment4 !
1. entendre : comprendre. • 2. dictons : propos, discours. • 3. incessamment : sans cesse, constamment. • 4. congrûment: correctement.
LE THÉÂTRE/Exercices • 1 9 1
Exercices
Exercices
2. Cette tirade vous paraît-elle relever du registre lyrique*,
du registre épique* ou du registre pathétique* ? Sur
quels indices fondez-vous votre choix ?
LA COMTESSE. — Ce que je veux ?
COLOMBINE. — Si vous ne voulez rien, je m’en retourne.
L A C OMTESSE . — Parlez ; quels discours avez-vous
tenus à Monsieur sur mon compte ?
C OLOMBINE . — Des discours très sensés, à mon ordinaire.
LA COMTESSE. — Je vous trouve bien hardie d’oser, suivant votre petite cervelle, tirer de folles conjectures de mes sentiments ; et je voudrais bien vous
demander sur quoi vous avez compris que j’aime
Monsieur, à qui vous l’avez dit ?
COLOMBINE. — N’est-ce que cela? Je vous jure que je l’ai
cru comme je l’ai dit, et je l’ai dit pour le bien de la
chose; c’était pour abréger votre chemin à l’un et à
l’autre; car vous y viendrez tous deux ; cela ira là ; et si
la chose arrive, je n’aurai fait aucun mal. À votre égard,
Madame, je vais vous expliquer sur quoi j’ai pensé
que vous aimiez…
LA COMTESSE, lui coupant la parole. — Je vous défends de
parler.
L ÉLIO , d’un air doux et modeste. — Je suis honteux
d’être la cause de cette explication-là, mais vous pouvez être persuadée que celle qu’elle a pu dire ne m’a fait
aucune impression. Non, Madame, vous ne m’aimez
point, et j’en suis convaincu ; et je vous avouerai même,
dans le moment où je suis, que cette conviction m’est
absolument nécessaire : je vous laisse. […]
LA COMTESSE, quand il est parti. — Juste ciel! que vient-il
de me dire ? et d’où vient que je suis émue de ce que je
viens d’entendre ? Cette conviction m’est absolument
nécessaire. Non, cela ne signifie rien, et je n’y veux rien
comprendre.
COLOMBINE, à part. — Oh ! notre amour se fait grand ; il
parlera bientôt bon français.
Défait les escadrons, et gagne les batailles.
Mon courage invaincu contre les empereurs
N’arme que la moitié de ses moindres fureurs ;
D’un seul commandement que je fais aux trois Parques1,
Je dépeuple l’État des plus heureux monarques ;
La foudre est mon canon, les Destins mes soldats :
Je couche d’un revers mille ennemis à bas.
D’un souffle je réduis leurs projets en fumée ;
Et tu m’oses parler cependant d’une armée !
Tu n’auras plus l’honneur de voir un second Mars2 ;
Je vais t’assassiner d’un seul de mes regards,
Veillaque3 : toutefois, je songe à ma maîtresse ;
Ce penser4 m’adoucit : va, ma colère cesse,
Et ce petit archer5 qui dompte tous les Dieux
Vient de chasser la mort qui logeait dans mes yeux.
Regarde, j’ai quitté cette effroyable mine
Qui massacre, détruit, brise, brûle, extermine ;
Et pensant au bel œil6 qui tient ma liberté,
Je ne suis plus qu’amour, que grâce, que beauté.
Molière, Les Femmes savantes,
acte II, scène VI, v. 473-486, 1672.
À PROPOS DU TEXTE B
B. Le bourgeois Orgon s’est entiché de Tartuffe, person-
À PROPOS DU TEXTE A
4. Quelles sont les figures de style les plus marquantes
dans la tirade de Camille ? En quoi le vocabulaire et le
style de cette tirade relèvent-ils du genre tragique ?
nage de « faux dévot » et de parasite. Il décide de lui donner sa fille en mariage et va même jusqu’à lui faire
« donation entière » de ses biens, déshéritant ainsi toute
sa famille. Quand il découvre enfin la scélératesse de son
ami, il est malheureusement trop tard : un huissier
somme Orgon et les siens de quitter la maison, qui
appartient désormais à Tartuffe. Ce dernier, accompagné d’un officier de police, vient assister à l’arrestation
d’Orgon.
1. Relevez les verbes à l’indicatif dans la tirade de
Phèdre et classez-les en fonction des temps auxquels ils
sont conjugués. Quelle est la valeur de chacun des temps
employés ? En vous servant de cette analyse des temps
verbaux, dégagez les étapes essentielles de la tirade.
TARTUFFE, à l’Exempt.
Délivrez-moi, monsieur, de la criaillerie,
Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie.
L’EXEMPT
Oui, c’est trop demeurer sans doute à l’accomplir :
Votre bouche à propos m’invite à le remplir ;
Et pour l’exécuter, suivez-moi tout à l’heure2
Dans la prison qu’on doit vous donner pour demeure.
TARTUFFE
Qui ? moi, monsieur ?
L’EXEMPT
Oui, vous.
TARTUFFE
Pourquoi donc la prison ?
L’EXEMPT
Ce n’est pas vous à qui3 j’en veux rendre raison.
À PROPOS DU TEXTE B
5. Pour quelle raison Camille trouve-t-elle la mort dans
les coulisses et non sur la scène ? Quelle règle de la tragédie classique Corneille respecte-t-il ici ?
5. récidive: répétition fautive.
B. Camille, jeune fille romaine, s’adresse à son frère
À PROPOS DES TEXTES A ET B
Horace, qui vient de tuer en combat singulier, lors de la
guerre qui oppose Rome et Albe, Curiace, le jeune Albain
dont elle est la fiancée.
6. VERS LA DISSERTATION En une page, transposez en
prose, au choix, l’extrait des Femmes savantes sur le
mode tragique ou celui d’Horace sur le mode comique.
CAMILLE
Rome, l’unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d’immoler mon amant !
Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !
Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encor mal assurés !
Et si ce n’est assez de toute l’Italie,
Que l’Orient contre elle à l’Occident s’allie ;
Que cent peuples unis des bouts de l’univers
Passent pour la détruire et les monts et les mers !
Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre1,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers2 en poudre3,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être la cause, et mourir de plaisir !
HORACE, mettant la main à l’épée,
7. VERS LE COMMENTAIRE Comparez ces deux extraits.
Une première partie dégagera les points communs
dans l’expression de la colère (marques de l’émotion,
excès comique, excès tragique). Une seconde partie
montrera les différences dans l’expression et les conséquences des deux affrontements.
et poursuivant sa sœur qui s’enfuit.
C’est trop, ma patience à la raison fait place ;
Va dedans les enfers plaindre ton Curiace.
CAMILLE, blessée derrière le théâtre4.
Ah ! traître !
HORACE, revenant sur le théâtre.
Ainsi reçoive un châtiment soudain
Quiconque ose pleurer un ennemi romain !
Pierre Corneille, Horace, acte IV, scène V, v. 1 301-1 314, 1640.
1. ce foudre : cette nation guerrière (« foudre » est d’un emploi vieilli au
masculin). • 2. tes lauriers : ta gloire (Horace vient de vaincre Curiace). •
3. poudre: poussière. • 4. derrière le théâtre: derrière la scène, dans les
coulisses.
À PROPOS DU TEXTE A
1. Relevez et classez en fonction de critères que vous
déterminerez les fautes de langage commises par
Martine, la servante. En quoi ces fautes trahissent-elles
son origine sociale? De telles fautes seraient-elles admises
dans une tragédie ?
2. Étudiez l’expression de la colère dans les répliques de
Philaminte et Bélise.
3. En quoi Philaminte et Bélise sont-elles risibles elles
aussi?
1 9 2 • LE THÉÂTRE/ Exercices
Exercice
9
Dénouement comique,
dénouement tragique
A. Phèdre avoue à son époux, Thésée, son amour pour
son beau-fils Hippolyte, disculpant ainsi le jeune homme
que son père a conduit à la mort en le vouant à la malédiction de Neptune.
PHÈDRE
Les moments me sont chers1 ; écoutez-moi, Thésée :
C’est moi qui sur ce fils chaste et respectueux
Osai jeter un œil profane, incestueux.
Le ciel mit dans mon sein une flamme funeste :
La détestable Œnone a conduit tout le reste.
Elle a craint qu’Hippolyte, instruit de ma fureur,
Ne découvrît2 un feu qui lui faisait horreur :
La perfide, abusant de ma faiblesse extrême,
S’est hâtée à vos yeux de l’accuser lui-même.
Elle s’en est punie, et, fuyant mon courroux,
A cherché dans les flots un supplice trop doux.
Le fer3 aurait déjà tranché ma destinée ;
Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée :
J’ai voulu, devant vous, exposant4 mes remords,
Par un chemin plus lent descendre chez les morts.
J’ai pris, j’ai fait couler dans mes brûlantes veines
Un poison que Médée5 apporta dans Athènes.
Déjà jusqu’à mon cœur le venin parvenu
Dans ce cœur expirant jette un froid inconnu ;
Déjà je ne vois plus qu’à travers un nuage
Et le ciel et l’époux que ma présence outrage ;
Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté,
Rend au jour qu’ils souillaient toute sa pureté.
PANOPE
Elle expire, Seigneur !
Jean Racine, Phèdre,
(À Orgon.)
Remettez-vous, monsieur, d’une alarme si chaude.
Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude,
Un Prince dont les yeux se font jour4 dans les cœurs,
Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.
D’un fin discernement sa grande âme pourvue
Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès5,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.
Il donne aux gens de bien une gloire immortelle ;
Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,
Et l’amour pour les vrais ne ferme point son cœur
À tout ce que les faux doivent donner d’horreur.
Celui-ci n’était pas pour6 le pouvoir surprendre,
Et de pièges plus fins on le voit se défendre.
D’abord il a percé, par ses vives clartés,
Des replis de son7 cœur toutes les lâchetés.
Venant vous accuser, il8 s’est trahi lui-même,
Et par un juste trait de l’équité suprême9,
S’est découvert au Prince un fourbe renommé,
Dont sous un autre nom il10 était informé ;
Et c’est un long détail d’actions toutes noires
Dont on pourrait former des volumes d’histoires.
Molière, Le Tartuffe,
acte V, scène dernière, v. 1 897-1 926, 1669.
1. chers : précieux. • 2. découvrît : révélât. • 3. le fer : l’épée (métonymie de la matière pour l’objet). • 4. exposant : révélant. • 5. Médée :
1. exempt : officier de police qui procédait aux arrestations. • 2. tout à
l’heure : immédiatement, sur-le-champ. • 3. ce n’est pas vous à qui… :
ce n’est pas à vous que… • 4. se font jour : voient clair. • 5. ne surprend trop d’accès : ne prend par surprise un accès trop facile. • 6.
n’était pas pour : n’était pas capable de. • 7. son cœur : le cœur de
Tartuffe. • 8. il : Tartuffe. • 9. l’équité suprême : la justice de Dieu • 10.
magicienne célèbre pour ses crimes.
il : le Prince.
acte V, scène VII, v. 1 622-1 645, 1677.
2. Expliquez les deux derniers vers.
3. À quels indices reconnaît-on le dénouement du conflit
tragique ?
4. Sur quel revirement inattendu ce passage se fonde-t-il?
À quel procédé traditionnel de la comédie Molière a-til recours ?
5. En vous appuyant sur la situation d’énonciation* et
la répartition des paroles, dites comment se traduit la
mise à l’écart définitive de Tartuffe.
6. Quelles images opposées l’Exempt donne-t-il du Prince
et de Tartuffe ?
À PROPOS DES TEXTES A ET B
7. Quels sont les points communs entre ces deux scènes
de dénouement?
8. Quels sont, à la lumière de ces deux extraits, les principaux traits qui différencient un dénouement de tragédie d’un dénouement de comédie ?
Exercice
10
Bilan et travail d’écriture
Dans la scène VI de La Critique de l’École des femmes
(1663), Molière fait dire à Dorante : « Je trouve qu’il est
bien plus aisé de se guinder1 sur de grands sentiments,
de braver en vers la Fortune, accuser les Destins et dire
des injures aux Dieux, que d’entrer comme il faut dans
le ridicule des hommes, et de rendre agréablement sur
le théâtre les défauts de tout le monde. »
1. se guinder : se hausser avec raideur.
1. VERS LA DISSERTATION Quelles sont selon Dorante
les caractéristiques respectives de la comédie et de la
tragédie ?
2. Cherchez dans les textes des chapitres 7 et 8 (➜ pp.
138-159 et 164-183) et dans les exercices (➜ pp. 188-193)
un ou deux exemples pour illustrer chacune des caractéristiques signalées par Dorante.
3. Résumez la thèse de Dorante.
4. Énoncez de manière précise deux ou trois arguments
à l’appui de cette thèse.
5. ÉCRITURE Rédigez un paragraphe d’une vingtaine de
lignes développant l’un des arguments que vous avez
trouvés (➜ question 4). Vous illustrerez cet argument
en utilisant certains des exemples relevés précédemment (➜ question 2).
LE THÉÂTRE/Exercices • 1 9 3
Exercices
Exercices
De pas mis avec rien tu fais la récidive5,
Et c’est, comme on t’a dit, trop d’une négative.
MARTINE
Mon Dieu ! j’avons pas étugué comme vous,
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous.