Oliver Twist,le film

Transcription

Oliver Twist,le film
Oliver Twist de David Lean, Grande-Bretagne, 1948
L’histoire écrite par Dickens à la fin des années 1830 captive encore aujourd’hui son public et de
façon remarquable David Lean a su conserver cette force du roman dans l’adaptation qu’il en a fait
au cinéma. Parmi les multiples pistes à explorer pour préparer les élèves à la découverte du film on
retiendra : l’actualité du récit, les contraintes de l’adaptation, les contrastes qui structurent l’histoire
et la foisonnante galerie de portraits pittoresques.
1. Actualité du récit
Oliver Twist est un roman publié entre 1837 et 1839 en 24 épisodes sous forme de feuilleton
mensuel. L’auteur Charles Dickens (1812-1870) a toujours manifesté un intérêt pour l’image,
la photo et ce n’est peut-être pas par hasard s’il est l’un des auteurs du XIXème siècle, les
plus représentés dans des peintures, des caricatures et même des photos. La publication du
roman était accompagnée de gravures de George Cruikshank.
En 2012, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance, le BFI a tenu à marquer cette
incroyable inspiration que Dickens a représentée pour le cinéma et la télévision et le
présente même comme un film maker. L’influence de Dickens sur le cinéma muet a
notamment été étudiée par Eisenstein dans son essai, Dickens, Griffith and the Film Today
publié en 1949 et dans lequel il souligne le principe du montage alterné qu’on retrouve à la
fois dans les romans de Dickens et les films de D.W. Griffith. Tous les romans de Dickens
ont été filmés plusieurs fois pendant la période du muet et Oliver Twist l’a été en premier
aux Etats-Unis dans The Death of Nancy Sikes en 1897. Certains cinéastes de l’époque se sont
d’ailleurs spécialisés dans l’adaptation des romans de Dickens (Bentley et A.W. Sandberg).
Charlie Chaplin, qui déclarait relire régulièrement Oliver Twist, représente peut-être l’un des
réalisateurs les plus inspirés par Dickens. L’œuvre de Dickens débordait largement le cadre
de la littérature et c’est une autre des raisons qui explique qu’elle ait autant été portée à
l’écran mais aussi dans des spectacles de lanterne magique ou mis en scène au théâtre ou
dans des comédies musicales.
Quoiqu’il en soit Eisenstein montre combien l’écriture et la structure du (des) roman de
Dickens sont cinématographiques et il le considère comme l’inventeur du montage alterné
qui s’il apparaît courant maintenant, y compris dans la littérature, était très novateur à
l’époque. Eisenstein prend un exemple précis pour illustrer longuement ce point. Dans la
scène où Olivier se propose de rapporter les livres au libraire, Dickens opère dans la
dernière phrase du chapitre XIV un gros plan sur la montre de M. Bronlow (déjà décrite
deux fois auparavant). Pour signaler le temps qui s’écoule, et on sait à ce moment combien
cela a de l’importance, il utilise la lumière comme le ferait un chef opérateur, insistant sur sa
baisse d’intensité « La nuit tomba peu à peu, et l’on pouvait à peine distinguer les aiguilles sur
le cadran. Les deux messieurs restaient pourtant immobiles et silencieux, les yeux fixés sur
la montre. » Puis le chapitre suivant s’ouvre sur une courte scène dans une taverne suivie du
passage où Oliver se fait harponner par Nancy dans la rue. La fin du chapitre XV reprend la
construction alternée désormais familière : « Les becs de gaz étaient partout allumés ; Mme
Badwin attendait avec anxiété à la porte de la maison ; vingt fois la servante avait couru au
bout de la rue pour tâcher d’apercevoir Olivier, et les deux vieux messieurs restaient
obstinément assis dans le cabinet, au milieu de l’obscurité, et les yeux fixés sur la montre. »
Après la modernité de la forme, il faut rappeler que les thèmes abordés jouent aussi un
grand rôle dans cette actualité des récits de Dickens. On y parle des peines de la vie
quotidienne, de justice sociale, avec des personnages dont on partage la peur et le goût de
l’aventure. Si Dickens raconte si bien, c’est que lui-même a vécu une enfance digne de ses
romans. Bien qu’issu de la petite bourgeoisie victorienne, il a quitté à l’âge de 10 ans une
Collège au cinéma • association Gros Plan Quimper 2015 • Céline Soulodre
1
existence assez confortable dans le Kent pour Londres où sa famille connaît une rapide
déchéance financière et sociale conduisant son père en prison pour dettes. A 12 ans Charles
doit quitter l’école pour aller travailler dans une usine de cirage et de teinture. Comme il
l’écrit dans des textes autobiographiques, toute sa vie, il s'est toujours étonné qu'on ait pu si
facilement se débarrasser de lui à cet âge. Oliver, comme les personnages contemporains de
Wajda la saoudienne ou Robbie l’adolescent du Mississipi, est résolument ancré dans son
époque, dans une société qui l’ostracise.
De la même façon que Great Expectations a fait l’objet de transposition à l’époque
contemporaine avec le film américain d'Alfonso Cuarón (1998), avec Gwyneth Paltrow,
Ethan Hawke et Robert de Niro Oliver Twist a été modernisé et déplacé en Afrique du Sud
par le réalisateur Tim Green. Le film Boy called Twist montré à Cannes en 2005 n’a
apparemment pas trouvé de distributeur en France.
Alors comment créer du désir pour ce film, vieux, en NB, sous-titré et tiré d’un roman
encore plus vieux ? Outre tous les éléments qui précèdent, on peut s’appuyer sur l’affiche
une des premières approches que l’on a d’un film (maintenant la bande-annonce joue ce rôle
d’une affiche animée). Sur la première page du document que vous allez remettre aux élèves
et dans le livret d’accompagnement on vous propose d’anticiper à partir de cette affiche. Le
choix de cette affiche est curieux car l’affiche française datant de l’époque de la sortie du film
(1948) était en couleurs. (Les photographies d’exploitations étaient d’ailleurs aussi
colorisées). Elle pose aussi problème dans la typographie années 1970 qui ne correspond pas
ni au roman, ni au film, mais elle a peut-être été retenue pour des raisons de droits car cette
affiche est archivée à La Cinémathèque Française. Il est possible de travailler sur une
anticipation du film à partir d’une affiche, celle-ci ou une autre. On peut aussi, comme pour
n’importe quel film du patrimoine, comparer après la projection plusieurs affiches et
imaginer ce que les distributeurs ont voulu mettre en avant, selon les pays. (les 10 affiches en
annexe, France, Etats-Unis, Italie, Allemagne, Royaume-Uni, Australie, Belgique, Suède,
Espagne, les 2 photos d’exploitation Italie, l’affiche française en couverture du document
élève et les gravures de George Cruikshank illustrations contemporaines du roman)
2. Contraintes de l’adaptation
Si l’écriture d’un auteur comme Dickens s’adapte particulièrement bien à l’écran, le
réalisateur David Lean a un véritable talent pour l’adaptation. Stanley Haynes qui a travaillé
au scénario avec Lean s’est concentré l’essence du roman et le résultat est assez réussi. Il a
déjà réalisé deux ans auparavant Great Expectations et sait combien il est important d’élaguer
l’intrigue pour ne retenir que les scènes incontournables. Il conserve aussi au maximum les
dialogues de Dickens, comme dans la scène des livres. En revanche plusieurs personnages
féminins ont disparu dans le film, Mme Maylie (tante adoptive de Rose), Melle Rose (tante
maternelle d’Oliver). Le cinéma à vocation à montrer contrairement à la littérature qui elle
raconte. Cette évidence qu’il faut sans cesse rappeler, représente un point de départ pour
réfléchir à la façon dont opère un film et à la narration en général.
Parmi les scènes incontournables, (qu’on peut repérer avec les élèves) il y a bien sûr celle où
Oliver redemande du gruau et celle de la première rencontre avec le personnage de Fagin.
Le ton et le genre sont aussi liés, faire de Oliver Twist une comédie musicale implique une
caractérisation un peu particulière des personnages. Dans la version de 1922, Jackie Coogan
interprète Oliver, le jeune acteur est déjà une star grâce au film The Kid tourné l’année
précédente avec Chaplin. Les mimiques du garçon saisies en gros plan et dans cette version
le choix de la musique d’accompagnement donne résolument à la scène un ton burlesque,
qu’on ne retrouve bien sûr pas dans d’autres versions.
On peut aussi penser à d’autres adaptations comme celle en BD de Loïc Dauvillier (travail du
cadre, du découpage)…
Collège au cinéma • association Gros Plan Quimper 2015 • Céline Soulodre
2
3. Une histoire tout en contrastes
L’histoire que raconte le roman de Dickens est structurée par des oppositions et le
personnage d’Oliver ne cesse de se trouver balloté d’un monde à un autre. Là encore le
grand art de Lean a été de trouver comment rendre ces contrastes esthétiquement par la
grammaire cinématographique. Cette caractéristique du film peut donner lieu à une activité
menée après la projection et on proposera aux élèves de relever les contrastes les plus
évidents dans le film : ville/campagne, riches/pauvres, bien/mal, innocence/roublardise…
Comprendre que le cinéma montre, plus qu’il ne raconte, peut passer par cette phase de
réflexion sur les choix de cadre, de montage, la composition de la bande son etc. On peut
tenter d’associer chaque contraste thématique à un contraste esthétique comme dans la
scène de l’arrivée d’Oliver à Londres où le cadre est toujours plein : personnages, animaux,
mais la saturation, le trop plein sont aussi marqués par le son : les paroles, les cris et les
bêlements… Le jeu entre la lumière et l’obscurité remarquable dans la blancheur éclatante
de la maison de M. Brownlow et l’obscurité dans laquelle est plongé le repaire de Fagin ou la
fumée qui assombrit la taverne sont des références plus habituelles.
4. Une galerie de portraits pittoresques
C’est une autre approche de la thématique des contrastes puisque les personnages sont très
typés, on retrouve dans cette galerie de portraits les gentils et les méchants. Pourtant si on
tente de les classer dans ces deux catégories, les gentils et les méchants, on réalise qu’un
certain nombre d’entre eux se situent quelque part entre les deux groupes. Nancy,
évidemment et nous allons y revenir, mais aussi Dodger, qui est prisonnier de sa condition,
ou encore presque étonnamment le fascinant personnage de Fagin. Il est introduit comme s’il
était le diable, devant le feu et brandissant une fourchette, à d’autres moments il est
pathétique pour ne pas dire qu’il inspire la pitié. La version de Roman Polanski (2005) insiste
encore plus sur la complexité du personnage. L’éclairage, on l’a vu, mais aussi la partition
originale composée par Arnold Bax, appuie cette appartenance à un univers ou à un autre.
La musique très présente donne au spectateur des indications sur les risques que court
Oliver, ou pas, selon les séquences.
Plusieurs personnages féminins positifs ont été supprimés dans le scénario. Il en résulte que
Nancy concentre dans son personnage celles qui ont disparu. Certes c’est elle qui enlève
Oliver à sa vie apaisée pour le ramener vers le taudis de Fagin mais bien vite on comprend
qu’elle est aussi une victime de la pauvreté. Oliver devient pour elle un révélateur de sa
propre déchéance et elle décide de se battre contre l’inéluctable. Nancy devient alors dans
cet épisode la protagoniste principale du film et c’est elle que l’on suit dans sa tentative de
sauver Oliver sans dénoncer ni trahir son camps. Elle se sait perdue, même si Sikes ne
découvre pas ce qu’elle fait, et elle dans choisit une sorte de rédemption qui lui sera fatale.
Comme si la nuance n’était pas possible : Oliver encore innocent peut être sauvé alors que
Nancy, Sikes ou Fagin vont vers leur destin.
On pourrait aborder encore de nombreux autres aspects du film et de l’histoire d’Oliver
comme cette crainte permanente de la pendaison, de la société victorienne, de la ville
industrielle…
Collège au cinéma • association Gros Plan Quimper 2015 • Céline Soulodre
3
références
Les adaptations du roman au cinéma :
Oliver Twist, 1909, J. Stuart Blackton, Etats-Unis
Oliver Twist, 1912 Thomas Bentley
Oliver Twist, 1916, James Young Paramount Pictures
Oliver Twist, Frank Lloyd, 1922, avec Lon Chaney, Jackie Coogan
Oliver Twist, 1933, William J. Cowen
Oliver Twist, 1948, David Lean
Oliver !, 1968, Carol Reed
Oliver Twist, Roman Polanski, 2005
le texte du roman en anglais
http://www.online-literature.com/dickens/olivertwist/
texte intégral en ligne
http://www.ebooksgratuits.com/pdf/dickens_oliver_twist.pdf
Trad. de l'anglais sous la direction de P. Lorain par Alfred Girardin
Charles Dickens, Les Aventures d'Olivier Twist, Folio classique (n° 386)
Trad. de l'anglais par Francis Ledoux.
site très riche, proposant des activités autour du roman Dickens, de la société victorienne…
le film de référence ici est celui de Roman Polanski
http://www.filmeducation.org/olivertwist/
analyses filmiques de 2 séquences du film de Lean, synopsis, générique, liens vers les livrets
http://www.transmettrelecinema.com/film/oliver-twist/
site sur le cinéma muet, listant toutes les adaptations des romans de Dickens
http://thebioscope.net/2012/01/11/charles-dickens-filmmaker/
version 1922, avec Lon Chaney
https://www.youtube.com/watch?v=mp9n6NIzNtE
l’essai d’Eisenstein
http://filmadaptation.qwriting.qc.cuny.edu/files/2012/08/Eisenstein-Dickens-Griffith-and-theFilm-Today.pdf
Collège au cinéma • association Gros Plan Quimper 2015 • Céline Soulodre
4