La responsabilité de l`agent d`exécution en droit public et en droit privé
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La responsabilité de l`agent d`exécution en droit public et en droit privé
Université Lyon II Institut d’Études Politiques de Lyon La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Vers un alignement des régimes de responsabilité du préposé et de l’agent public ? MAYER Benoît Réalisé sous la direction de M. D.-A. Camous Soutenance le jeudi 5 juin 2008 Jury composé de MM. D.-A. Camous et F. Osman Table des matières Remerciements . . Listes des abréviations . . Introduction . . Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution . . Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent public . . 1/ La responsabilité de principe de l’administration . . 2/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’une faute personnelle . . Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité du préposé avant l’arrêt Costedoat . . 1/ L’obligation à la dette du commettant . . 2/ La responsabilité problématique du préposé . . Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution . . Titre 1 : Une transformation de la responsabilité du préposé inspirée du droit administratif .. 1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité du préposé . . 2/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité du préposé . . Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité des agents d’exécution . . 1/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civile . . 2/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civile . . Conclusion . . Bibliographie . . Principaux arrêts mentionnés . . Tribunal des Conflits . . Conseil d’État . . Cour de cassation . . Thèses et ouvrages . . Résumé . . 4 5 7 12 12 12 18 25 26 31 38 38 38 46 53 53 58 66 68 68 68 68 68 69 75 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Remerciements Je tiens à remercier M. David-André Camous, maître de conférences en droit public à l’Institut d’Études politiques de Lyon, pour l’attention qu’il a portée à mon travail et pour ses précieux conseils. Je tiens également à remercier M. Filali Osman, maître de conférences en droit privé à l’Institut d’Études politiques de Lyon, pour avoir accepté de co-présider la soutenance de mon mémoire, dont il m’avait proposé le sujet. Ma gratitude va par ailleurs aux bibliothécaires de l’Institut d’Études politiques de Lyon et de l’université Lyon III, sans l’assistance desquels je n’aurais pas pu mener à bien ce projet. Last but not least, j’adresse mes remerciements à Veronika et à mes amis pour leur soutien constant, et en particulier à Adelin pour ses relectures pointilleuses. 4 MAYER Benoît_2007 Listes des abréviations Listes des abréviations AJDA : Actualité juridique du droit administratif BICC : Bulletin d’information de la Cour de cassation Bull. Civ. : Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation CA : Cour d’appel CAA : Cour administrative d’appel Cah. CC : Cahiers du Conseil constitutionnel Cass. : Cour de cassation. Civ. : Chambre civile Com. : Chambre commerciale ; Crim. : Chambre criminelle ; Soc. : Chambre sociale Ass. plén. : Assemblée plénière CE : Conseil d’État. Ass. : Assemblée du contentieux Sect. : Section Chr. : Chronique Comm. : Commentaire D. : Recueil Dalloz Defrénois :: Répertoire du notariat DP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (antérieur à 1941) EDCE : Études et documents du Conseil d’État GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative GAJC : Grands arrêts de la jurisprudence civile JCP A : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),édition« Administration et collectivités territoriales » JCP E : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition Entreprise » JCP G : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition générale » LPA : Les Petites Affiches Obs. : Observations RA : Revue administrative RCA : Responsabilité civile et assurances MAYER Benoît_2007 5 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé RDP : Revue du droit public et de la science politique Rec. CE : Recueil des arrêts du Conseil d’État (ou Recueil Lebon) RFDA : Revue française de droit administratif RFDC : Revue française de droit constitutionnel RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires RRJ : Revue de recherche juridique et de droit prospectif RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil S. : Sirey TC : Tribunal des conflits 6 MAYER Benoît_2007 Introduction Introduction « Nous sommes tous comptables de nos actes. (…) La responsabilité fait partie des valeurs que j’ai voulu porter dans la campagne électorale. Je veux rouvrir le 1 débat de la responsabilité, et prendre les miennes. » « La plus importante condition du mal que se font les hommes entre eux – ou plutôt de l’atrocité de ce mal, car ce mal est nécessaire – est l’idée invincible et absurde de la responsabilité. » P. Valéry, Cahiers, tome 1, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1973, p. 451 Dans le discours dominant actuel, la responsabilité est plus qu’une technique juridique : elle est l’une des vertus morales du citoyen. Il appartient à chacun d’assumer sa responsabilité : le chef d’entreprise comme le bénéficiaire d’aides sociales, le parent comme le magistrat. L’idée d’une autonomie de la volonté, héritée des philosophes des Lumières, fonde la responsabilité individuelle : qui est libre de son action doit en contrepartie répondre de ses choix. La responsabilité est le corollaire de la liberté, et c’est sans doute la raison pour laquelle elle occupe une place centrale dans le fonctionnement des sociétés libérales. Pourtant, cette emphase actuelle autour de la notion de responsabilité ne reflète pas une nouvelle invention, mais, bien au contraire, le sentiment, juste, que la responsabilité s’effrite. Un siècle après Freud et la découverte du subconscient, cent cinquante ans après Marx et la théorie de l’exploitation du prolétariat, l’homme est-il encore libre ? La liberté, fondement anthropologique de la responsabilité, fut encore battue en brèche par Sartre qui affirma que l’homme, « jeté dans l’existence », était « condamné à être libre » et ne pouvait échapper au « devoir de se réaliser soi-même ». Si, selon la formule, « l’enfer, c’est les autres », c’est avant tout parce qu’ils regardent, jugent et demandent des comptes. Dostoïevski a su magnifiquement décrire la fragilité de l’individu, coupable mais victime de son propre crime. La sociologie contemporaine met en évidence la détermination sociale de 2 la personnalité, définissant l’action humaine comme le résultat d’une « interaction sociale » 3 et l’individu comme une pure « référence à ceux qui l’entourent » . Le droit positif ne peut pas rester étanche à cet effritement de la responsabilité. Il faut à cet égard dissocier responsabilité pénale et responsabilité civile, c’est-à-dire la responsabilité qui a pour but exclusif de punir et celle qui a pour but, exclusif ou non, d’indemniser la victime. En matière de droit pénal, le Code de 1810 a institué le principe de 4 la personnalisation des peines permettant au juge de tenir compte de la personnalité du 1 Discours du Président de la République, le 25 octobre 2007 au Palais de l’Elysée, à l’occasion de la restitution des conclusions du Grenelle de l’environnement. La vidéo du discours et sa retranscription sont consultables sur les archives du site de l’Elysée : http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=grenelle_de_l_environnement_prononce.pdf . 2 3 4 G. H. Mead, L’esprit, le soi et la société, version originale parue en 1934, traduction française : PUF, 1963, p.163 C. Taylor, Sources of the Self, The Making of Modern Identity, Cambridge University Press, 1989, p.33 Cf. article 123-24 du Nouveau Code pénal. MAYER Benoît_2007 7 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 5 coupable . Dans ce domaine, la peine est fixée depuis longtemps d’après une appréciation in concreto de la faute de l’individu, en fonction notamment de son environnement, de son discernement, etc. Le droit pénal s’est donc adapté par lui-même à l’évolution du regard de la société sur le coupable. Au contraire, la responsabilité civile pourrait aujourd’hui être à l’aube d’une remise en cause générée par l’abandon de l’autonomie de la volonté. L’idée de la rationalité de l’homme est remise en cause et il est corollairement admis que nul ne prévoit réellement les conséquences de ses actes – en tout cas pas les conséquences immenses qui peuvent être causées par la moindre des fautes d’inattention. Il en découle en particulier une défiance vis-à-vis de la responsabilité délictuelle, remettant en cause les principes mêmes édifiés par le Code civil de 1804. Au centre de cet édifice, se situe l’article 1382 et le principe selon lequel toute faute justifie la condamnation de son auteur à la réparation du dommage causé à autrui. La faute, découlant de la volonté, permet ainsi de pourvoir à l’indemnisation des victimes. Ce mécanisme peut cependant paraître incompatible avec l’idée contemporaine de justice, puisque, la hauteur de la condamnation ne dépend pas de la gravité de la faute de l’individu, évaluée subjectivement, mais, au contraire, d’un élément extérieur à l’individu et indépendant de lui : le préjudice causé par son acte. En outre, la prise en compte croissante de la nécessité d’indemniser les victimes pousse les juges à rechercher la faute toujours plus loin et presque à caricaturer la responsabilité délictuelle. Il semble que ce paradigme de la responsabilité fondée sur la faute soit en porte-à-faux avec une société prônant à la fois le pardon du fautif et l’indemnisation de la victime. L’étude 6 des points d’effritement permet alors, peut-être, d’anticiper un renversement de paradigme marqué par l’effondrement de la responsabilité pour faute. Ainsi, dans certains domaines, l’injustice de la responsabilité pour faute peut sembler encore plus inacceptable. Tel est, en particulier, le cas de la responsabilité délictuelle de l’agent d’exécution, c’est-à-dire la personne qui agit, à un moment donné et dans certaines limites, pour le compte d’une autre personne qu’elle ne représente pas. Si l’individu est libre et rationnel, alors il est pleinement responsable et doit payer pour sa faute, quant bien même il aurait agi pour autrui, car il aurait tout de même pu, et dû, éviter cette faute. Mais, au contraire, dès que la faute devient pardonnable, ne faut-il pas tenter au moins d’atténuer, voire de supprimer, la condamnation du « fautif » ? Dans le cas de l’agent d’exécution, l’iniquité d’une responsabilité fondée sur la faute devient flagrante. En effet, l’agent d’exécution ne tire pas directement bénéfice de son activité, et celui qui en tire le bénéfice est souvent beaucoup plus riche que lui. De plus, l’organisation même de l’activité peut forcer l’agent d’exécution à prendre des risques pour produire plus : l’employeur bénéficiera alors du surplus de production sans avoir à en assumer le risque. 7 Enfin, l’industrialisation de la société et le développement des risques en général multiplient les conséquences possibles d’une faute, au-delà même des postes dits « à responsabilité » : une simple erreur de manipulation d’un ouvrier pourrait ainsi être à l’origine de l’explosion 8 survenue à l’usine AZF . Dans le domaine de la responsabilité de l’agent d’exécution, le 5 L’établissement récent de « peines plancher » en cas de récidive réduit incontestablement ce pouvoir d’appréciation par le juge de la responsabilité pénale individuelle. 6 7 8 Cf. T. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1999 (première édition en anglais 1962) U. Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, 2003 (première édition allemande : 1986). Voir par exemple Le Monde, édition du 13 juin 2002, « Onze personnes placées en garde à vue dans l’enquête sur l’explosion de l’usine AZF de Toulouse ». 8 MAYER Benoît_2007 Introduction paradigme de la responsabilité pour faute ne suffit visiblement pas : un autre régime de responsabilité doit être mis en œuvre. Droit public et droit privé ont parallèlement fait face à la nécessaire adaptation de la responsabilité de l’agent d’exécution. La responsabilité administrative du fait de la faute de service, puis la responsabilité du commettant du fait de son préposé, ont consacré une certaine déresponsabilisation de l’agent d’exécution. Le juge administratif puis le juge judiciaire sont allés au-delà d’une simple garantie d’une personne par une autre, visant à protéger les droits de la victime en lui offrant une sûreté. Ils ont en effet consacré l’irresponsabilité de l’auteur d’une faute lorsque cette dernière s’inscrit dans la mission qu’il exerçait, faisant une entorse au principe de responsabilité personnelle. Le présent mémoire s’efforce de présenter la construction parallèle et convergente de ces deux régimes d’irresponsabilité de l’agent d’exécution – préposé et agent public. Les deux ordres juridictionnels français ont en effet consacré une responsabilité pour autrui, c’est-à-dire un schéma triangulaire où la victime possèdera, selon les cas, un recours contre l’agent d’exécution ou contre le commettant. Par facilité terminologique, le « commettant » au sens large pourra désigner ici la personne pour le compte de laquelle l’agent d’exécution agit : l’administration en droit public, le commettant stricto sensu en droit privé. « L’administration » dont il s’agit, personne publique responsable selon les règles spéciales du droit public, est soit une collectivité territoriale – ce qui regroupe l’État, les régions, les départements, les communes et les collectivités territoriales à statut particulier –, soit un établissement public. Mais « l’administration » responsable de l’agent public peut 9 également être un organisme de droit privé dans certains cas exceptionnels . Au contraire, l’établissement public qui met en œuvre un service public industriel et commercial échappe au domaine de la responsabilité administrative. Tableau 1 : Agents d'exécution et commettants en droit public et en droit privé commettant (lato sensu) agent d’exécution droit public administration agent public droit privé commettant (stricto sensu) préposé Le présent travail s’inscrit dans une approche de droit comparé interne : il s’agit de comparer les solutions adoptées en droit civil et en droit administratif face à la même question de la responsabilité de l’agent d’exécution. En effet, dans de nombreux domaines, les juges des deux cours de cassation semblent soucieux, par objectif d’équité, de faire converger les différents régimes de responsabilité qu’ils consacrent. Tel est notamment le 10 cas dans un autre régime de responsabilité du fait d’autrui, depuis que le Conseil d’État a consacré la responsabilité administrative sans faute du fait de la garde des personnes qui s’inspire largement de la règle consacrée par le Code civil en son article 1384, alinéa 1. Le postulat de départ est que la situation du préposé est analogue à celle de l’agent public, ce qui permet la comparaison des deux situations. Dans les deux cas, en effet, l’agent d’exécution agit pour le compte d’un commettant lato sensu et, potentiellement, sous les 9 Il faut que la personne privée, dans la gestion déléguée d’un service public, ait mis en œuvre des prérogatives de puissance e public. Cf. J. Rivero, J. Waline, Droit administratif, Dalloz, 21 édition, 2006, n°269 p.211. Cela a été confirmé par un arrêt récent : CE, 21 décembre 2007, Mme Lipietz et autres (à propos de la responsabilité de la SNCF pour sa participation, sous l’Occupation, au transport de personnes déportées). 10 CE, Section, 11 février 2005, GIE Axa Courtage, conclusions C. Devys, RFDA 2005.3.595, conclusions C. Devys, note P. Bon ; RFDA 2007.4.780, étude J.-C. Barbato. MAYER Benoît_2007 9 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé instructions de celui-ci. L’agent d’exécution est en quelque sorte un membre du commettant, ou, du moins, c’est à ce dernier que l’activité profite directement. La rémunération de l’agent d’exécution – éventuelle dans le cas du préposé – ne dépend pas directement de son activité. Pourtant, à ces situations juridiques similaires ont longtemps répondu des régimes de responsabilité diamétralement opposés. D’une part, depuis l’arrêt Pelletier du Tribunal des 11 Conflits , le Conseil d’État consacrait la responsabilité de l’administration et l’immunité de l’agent public dans le cadre du régime de la « faute de service ». D’autre part, la Cour de cassation ne déduisait de l’article 1384, alinéa 5 qu’une simple garantie du commettant semblable à un cautionnement : il n’excluait pas la responsabilité personnelle de droit commun du préposé, ni le recours du commettant condamné contre son préposé. L’arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25 février 2000, confirmé par plusieurs arrêts postérieurs, a fondamentalement modifié cette jurisprudence en disposant que, dans une certaine mesure, la responsabilité du commettant exclut celle du préposé. Ainsi, la victime ne peut plus poursuivre le préposé, et le commettant condamné ne dispose plus de recours contre lui. Le présent mémoire tente alors de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation réalise-t-elle une convergence de la situation des agents d’exécution en droit privé et en droit public ? Plus largement, il s’agit de déterminer les tenants et les aboutissants d’un rapprochement de deux régimes de responsabilité du fait de l’agent d’exécution. Le champ d’investigation est large et cette modeste recherche doit se limiter à la règle générale, mettant l’exception à l’écart. Ne sont, par conséquent, pas envisagés, en droit public, les régimes dérogatoires étendant l’immunité de l’agent public : la loi du 7 février 1933 substituant la responsabilité de l’État à celle des magistrats judiciaires condamnés à la suite d’une procédure de prise à parti, la loi du 5 avril 1937 étendant l’immunité conférée aux instituteurs publics, etc. De même, en droit privé, il est fait abstraction en particulier du régime propre de responsabilité de la personne morale pour le fait de ses dirigeants sociaux. Dans ce domaine, une jurisprudence a d’ailleurs affirmé que « la qualité de mandataire attribuée à certains organes dirigeants d’une société n’est pas nécessairement exclusive de celle de 12 préposé » : le dirigeant peut donc, au moins dans certaines circonstances, être assimilé au préposé. A défaut, la responsabilité des dirigeants de sociétés obéit à des dispositions 13 légales particulières dont l’interprétation a connu une évolution parallèle à celle de la 14 responsabilité des préposés . Par ailleurs, la responsabilité dont il est ici question, est de nature extracontractuelle. Or, le droit civil distingue la responsabilité extracontractuelle du commettant de la responsabilité contractuelle de celui qui a eu recours à autrui pour réaliser 15 son obligation . L’exclusion de ces deux régimes de responsabilité empêche sans doute 11 12 13 14 TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1er supplément 117, conclusions David ; D.1874.III.5, concl. David ; GAJA n°2 ère Civ 1 , 27 mai 1986, Bull. civ. I n°154. Il s’agit de la loi du 24 juillet 1966, reprise dans le Nouveau Code de commerce aux articles L.225-251s. e Cf. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9 édition, 2005, n°846 p.819 ; J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-Sébastien, Lamy, Sociétés commerciales, édition 2004. Le dirigeant n’est responsable qu’en cas de faute qui lui soit « imputable personnellement ». 15 10 e G. Viney, P. Jourdain, Les Conditions de la responsabilité, L.G.D.J., 3 édition, 2006, n°816 p.1037 MAYER Benoît_2007 Introduction de prendre l’exacte mesure de l’ensemble des influences qui ont pesé sur le juge judiciaire lors de son revirement, mais elle semble nécessaire à la cohérence de ce mémoire. La responsabilité de l’agent d’exécution vis-à-vis de son commettant (lato sensu) est exclue du champ d’étude. Pour autant, il sera nécessairement fait référence, au fil du développement, à la responsabilité contractuelle du salarié à l’égard de son employeur et à la responsabilité disciplinaire de l’agent public. Le présent mémoire s’articule en deux parties chronologiques. La première partie décrit la construction parallèle des deux régimes de responsabilité de l’agent d’exécution, c’està-dire la responsabilité limitée de l’agent public d’une part et la situation incertaine du préposé avant l’arrêt du 25 février 2000 d’autre part. La deuxième partie met en lumière le bouleversement opéré par l’arrêt Costedoat : elle souligne le rapprochement opéré par le juge judiciaire vers le régime de la responsabilité de l’agent public. Elle tente également de dégager la signification de la solution commune aux deux branches du droit. MAYER Benoît_2007 11 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution L’immunité complète de l’agent public qui agit dans l’exercice de ses fonctions (1) contraste fortement avec la responsabilité systématique du préposé en droit privé antérieurement à l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 (2). Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent public Si la doctrine et la jurisprudence administratives ont distingué faute de service et faute personnelle, c’est originalement pour que seule la première engage la responsabilité de l’administration (1). Pour autant, les faits montrent que l’auteur de la faute personnelle n’est qu’exceptionnellement inquiété (2). 1/ La responsabilité de principe de l’administration La responsabilité autonome de l’administration (1) se limite aux hypothèses de fautes dites « de service » et imputables à ce titre à l’administration (2). 1.1 L’invention d’une responsabilité administrative autonome L’idée que l’administration publique ne doit pas répondre aux règles de droit commun de la responsabilité délictuelle ne s’est pas imposée sans difficulté. Les doctrines administrative e et judiciaire se sont opposées tout au long du XIX siècle, aussi bien quant à la compétence juridictionnelle que sur les règles à appliquer. Le juge judiciaire se déclarait compétent et mettait en œuvre la règle de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, affirmant ainsi l’insertion de l’État dans le champ des règles de droit civil concernant la responsabilité des commettants 16 pour le fait de leurs préposés . A l’opposé, le Conseil d’État se voulait compétent pour tout recours tendant à affirmer la responsabilité de l’État. La doctrine administrative se basait d’une part sur la théorie de 17 l’État débiteur, d’autre part sur la séparation des pouvoirs. La théorie de « l’État débiteur » affirmait qu’il revenait « à l’autorité administrative (…) de statuer sur les demandes qui 18 tendent à constituer l’État débiteur » , ce qui conduisait à soutenir que seul le juge 16 Civ., req. 1er avril 1845, D.P.45.1.261, cité par le Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco. 17 re François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.128-129 18 12 CE 6 décembre 1855, Rotschild, Rec. CE 707 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution administratif pouvait statuer sur une requête tendant à créer une créance à la charge de l’État. L’invocation de la séparation des pouvoirs allait dans le même sens. Elle impliquait que seul le juge administratif était compétent pour juger de l’administration. Après tout, l’article 13 de la loi des 16 et 24 août 1790 ne portait-il pas interdiction aux juges judiciaires de « troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs » ? Quant au fond du droit, le juge administratif concluait à l’irresponsabilité de l’État. E. Laferrière affirmait, dans ce sens, que « le propre de la souveraineté est de s’imposer à 19 tous, sans qu’on puisse réclamer d’elle aucune compensation » . Ainsi, « les victimes de 20 mesures législatives ou réglementaires n’ont (…) aucun droit à réclamer » , même face à des actes irréguliers ou à des fautes caractérisées, sauf à invoquer un texte législatif 21 spécial . Ainsi, selon la doctrine administrative, le juge administratif était compétent ; il devait appliquer un droit propre ; et il devait conclure à l’irresponsabilité de l’État. Cette doctrine laissait pourtant la place à deux exceptions. Premièrement, la distinction pouvait être faite 22 (et elle le fut en 1850 ) entre l’acte accompli dans l’exercice des fonctions administratives et le fait personnel extérieur et insusceptible d’être rattaché aux fonctions : dans le second cas, les tribunaux judiciaires recouvrent leurs compétences. Une deuxième exception, plus fondamentale, concernait la possibilité d’une responsabilité de l’État dans les domaines qui n’engagent pas la souveraineté, c’est-à-dire 23 les actes de gestion de « l’État personne civile » , opposés aux actes d’autorité de l’État souverain. Ainsi, une responsabilité de plein droit de l’administration fut progressivement 24 admise, celle-ci n’étant « ni générale, ni absolue » et « se [modifiant] suivant la nature et 25 les nécessités de chaque service . Le conflit persistant entre les deux ordres juridictionnels fut finalement tranché par le 26 Tribunal des Conflits lors de l’arrêt Blanco rendu en 1873. « Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’État pour les dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ; Que cette responsabilité n’est ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés… » 19 e E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t.2, Berger-Levrault, 2 éd., 1896, p.13 et 183s. e Cité par R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien, 15 édition, 2001, n°1399, page 1227. 20 re F. Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.149 21 22 23 24 par exemple : CE 13 janvier 1865, Payerne, S 1865.2.20 re TC, 20 mai 1850, Manoury, cité par François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.150 Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco. L’expression, rendue célèbre par l’arrêt Blanco du Tribunal des Conflits, apparaît pour la première fois dans CE 8 août 1844, Dupart. Cité par F. Burdeau, op. cit. 25 26 CE 6 décembre 1855, Rotschild, précité TC 8 février 1873, Blanco, Rec. CE 1er supplément 61, Ccl David ; GAJA n°1 MAYER Benoît_2007 13 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Sur le plan de la compétence comme sur la question du droit applicable, l’arrêt Blanco donne raison à la doctrine administrative : l’autorité administrative « est seule compétente » pour connaître des litiges concernant la responsabilité de l’État, et celle-ci « ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ». Et le juge de confirmer que la responsabilité de l’État « n’est ni générale, ni absolue » et « a ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits privés ». L’arrêt Blanco fonde ainsi la responsabilité de la puissance publique, entendue non 27 seulement comme la responsabilité que peuvent encourir les personnes publiques , mais surtout comme « un régime de responsabilité qui doit être différent de celui de la 28 responsabilité selon le droit privé » . Et l’un ne peut aller sans l’autre : dans l’esprit du juge de 1873, « la condition mise à l’abandon du principe d’irresponsabilité, c’est la soustraction de la responsabilité administrative aux principes du Code civil qui entraîneraient trop loin la 29 responsabilité de la puissance publique » . Pourtant, si le principe d’autonomie de la responsabilité administrative affirme que le juge administratif n’est pas lié par le droit civil, il n’interdit pas au juge administratif de s’inspirer des solutions trouvées par le juge judiciaire. Comme le souligne R. Chapus, « en droit administratif comme en droit privé, la question est de savoir à quelles conditions et selon quelles modalités un dommage doit être réparé. Il est presque inévitable que les réponses données à cette question se rejoignent à de nombreux égards et que 30 des influences s’exercent entre les deux ordres juridictionnels. » Après une période de méfiance durant laquelle la responsabilité de l’État n’était admise que dans des circonstances rares, les « règles spéciales » de la responsabilité des personnes publiques ont constitué un régime de responsabilité beaucoup plus large que les différents régimes 31 de responsabilité des personnes morales ou physiques en droit privé . La responsabilité de l’administration, progressivement élargie – abandon progressif de la faute lourde, développement des cas de présomption de faute, voire même responsabilité sans faute –, s’arrête toutefois, en droit, là où commence la responsabilité de l’agent public. 1.2 Les limites de la responsabilité de l’administration : faute de service contre faute personnelle Si la responsabilité de l’administration se limite à la faute de service et exclut la faute personnelle, c’est d’abord afin de ne pas porter atteinte au principe de la séparation des autorités judiciaires et administratives (1), et seulement ensuite pour protéger l’agent public de la responsabilité de certaines fautes (2). 1.2.1 La responsabilité de l’administration comme garantie de la séparation des autorités judiciaires et administratives 27 Il s’agit non seulement des personnes publiques, mais aussi des entrepreneurs de travaux publics et des institutions de droit privé lorsque les faits dommageables sont en relation avec leurs activités de gestion publique. 28 29 30 31 14 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.1228 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.394 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.1228 ? J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.395 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution Le régime dit de « garantie des fonctionnaires » a été établi par l’article 75 de la Constitution de l’an VIII : « les agents du Gouvernement (…) ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du Conseil d'État ». Cette autorisation était rarement donnée et fondait en pratique une situation d’irresponsabilité de l’agent 32 33 public , particulièrement flagrante sous le Second Empire . er C’est dans ce contexte que l’article 1 du décret-loi du 19 septembre 1870 vient brutalement abroger l’article 75 de la Constitution de l’an VIII ainsi que « toutes autres dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d’entraver les poursuites 34 dirigées contre les fonctionnaires publics de tout ordre » . Est ainsi remis en cause à dessein tout le système de l’irresponsabilité des fonctionnaires. Des principes nouveaux 35 doivent alors être posés, ce qui fut fait par l’arrêt Pelletier du Tribunal des Conflits . Plusieurs lectures divergentes du décret d’abrogation étaient possibles. Celui-ci aurait pu être interprété comme confiant au juge judiciaire une « compétence ordinaire pour 36 l'ensemble des actions en responsabilité fondées sur une faute du service public » . La responsabilité de principe aurait alors sans doute été celle de l’agent. La responsabilité de l’administration n’aurait été que subsidiaire : celle-ci « ne serait intervenue, le cas échéant, 37 que comme garante, et en cas d'insolvabilité de l'agent condamné » . L’agent public aurait 38 alors été responsable dans les mêmes conditions que le préposé en droit privé . Mais le Tribunal des Conflits procède en 1873 à une autre interprétation, plus restrictive, mais tout de même progressiste, tenant compte du décret de 1870, mais sans lui donner 39 l’application globale qu’il aurait pu avoir . 40 A l’origine de cette interprétation, le Commissaire du Gouvernement David distingue entre deux « garanties des fonctionnaires » qui existaient antérieurement au décret de 1870 : « La première [garantie] constituait une garantie personnelle aux fonctionnaires publics, établie en leur faveur (…) pour les protéger contre les animosités ou l’esprit de parti, en soumettant la poursuite à l’autorisation préalable de l’autorité supérieure ; c’était une simple règle de procédure. (…) La seconde constitue une garantie réelle, établie en faveur de l’administration pour défendre contre l’ingérence des tribunaux les actes qui, revêtus de son caractère et de son autorité, lui appartiennent en propre. » Or, le décret-loi du 19 septembre 1870 n’avait supprimé que la « garantie personnelle » et ne pouvait être revenu, sans que ni le corps du texte, ni ses motifs n’y fassent mention, sur la « garantie réelle » de l’administration, corollaire du principe fondamental de la séparation des autorités judiciaires et administratives. Ainsi, dès lors qu’une demande en indemnisation 32 33 e G. Braibant, B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de Sciences Po et Dalloz, 7 édition, 2005, p.321 e Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, Tome 1 : droit administratif général, L.G.D.J., 16 édition, 2001, n°1636 p.789 34 35 36 37 38 39 40 cité par R. Chapus, 2001, op. cit., n°1523 er TC 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1 supplément 117, Concl. David ; GAJA n°2 p.8-15 D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918. D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918. R. Chapus, 2001, op. cit., n°1523. Y. Gaudemet, op. cit., n°1638bis p.789 David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité. MAYER Benoît_2007 15 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé impliquait l’évaluation de la légalité d’un acte administratif, la compétence juridictionnelle était administrative. Le « fait personnel de nature à engager [la] responsabilité particulière [du fonctionnaire] », qui sera plus tard qualifié de « faute personnelle », est ainsi conçu dans l’arrêt Pelletier comme ce qui se détache assez complètement du service pour que le juge judiciaire puisse en faire la constatation sans porter pour autant une appréciation sur la marche même de l’administration. Au contraire, la « faute de service », même si elle est également le fait d’un agent, est tellement liée au service que son appréciation par le juge judiciaire impliquerait nécessairement une appréciation sur le fonctionnement du service, ce qui serait contraire à la séparation des autorités judiciaires et administratives. Or, la compétence entraîne le fond du droit. Devant le juge administratif, seule peut être indemnisée la faute de service ; mais seul le service peut être alors tenu pour responsable. Le juge judiciaire, compétent en matière de faute personnelle, applique les règles du droit civil concernant la responsabilité pour faute, en particulier l’article 1382 du Code civil, et 41 ne peut condamner que l’agent public, à l’exclusion de l’administration . Il résulte donc de cette répartition du contentieux, une répartition des responsabilités : l’administration est exclusivement responsable et responsable exclusive de la faute de service. 1.2.2 La responsabilité de l’administration comme protection offerte aux agents publics La distinction de la faute de service et de la faute personnelle a été l’objet d’une jurisprudence abondante au cours de laquelle le critère de la distinction entre faute de service et faute personnelle a été progressivement modifié. Le critère objectif, développé par le Commissaire du Gouvernement David dans l’arrêt Pelletier, a été repris par le Commissaire du Gouvernement Blum dans l’affaire Lemonnier 42 . Selon cette conception, la distinction doit être définie par son objectif : la protection de la séparation des pouvoirs. Ainsi, « il y a faute de service lorsque son appréciation oblige le juge à apprécier l’acte de l’Administration et il y a faute personnelle lorsqu’il n’y a pas à 43 apprécier cet acte » . Or, ce critère objectif a été peu à peu remplacé par un critère subjectif visant à la protection de l’agent public. Ainsi le Commissaire du Gouvernement Laferrière considérait qu’il y a faute de service « si l’acte dommageable est impersonnel, s’il révèle un administrateur plus ou moins sujet à erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, ses 44 passions, ses imprudences » . Maurice Hauriou ne dira pas le contraire, définissant la faute de service comme « celle qui correspond à la marge de mauvais fonctionnement qu’il faut 45 attendre de la diligence moyenne » . Au contraire, il y a faute personnelle, selon Laferrière, « si (…) la personnalité de l’agent se révèle par des fautes de droit commun, par un dol », puisque, alors, « la faute est imputable au fonctionnaire, non à la fonction ». 41 Cass. Crim. 28 octobre 1981, Dame Genod et Aubry, Bull. crim. 1981, n°287 ; - Cass. Crim. 13 octobre 2004, Bonnet, Mazères, dans l’affaire dite des « paillotes corses ». 42 43 44 45 16 Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918. J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°507 p.433 Conclusions sur TC 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. CE 437 Note sous CE 5 février 1911, Anguet : S 1911.3.137 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution Dès lors, la faute de service a davantage pour objectif de protéger le fonctionnaire contre la charge d’un risque lié à l’activité qu’il exécute, que de protéger l’administration des empiètements du juge judiciaire en vue de garantir la séparation des autorités administratives et judiciaires. Cela constitue sans doute, au final, un retour sur la distinction des deux « garanties des fonctionnaires » décrites par le Commissaire du Gouvernement David. La faute de service, initialement consacrée comme « garantie réelle, établie en faveur de l’administration pour [la] défendre contre l’ingérence des tribunaux », a progressivement constitué à nouveau une « garantie personnelle aux fonctionnaires publics, établie en leur 46 faveur » ! C’est en se fondant sur cette conception de la faute de service comme instrument 47 juridique de protection de l’agent public que le Conseil d’État refusa, dès 1874 , de consacrer une action récursoire de l’administration condamnée à indemniser la victime d’une faute de service, contre son agent, auteur matériel de ladite faute. L’impérative protection des agents publics est, par exemple, exprimée par le considérant de l’arrêt Laruelle : « les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences 48 dommageables de leurs fautes de service » . La jurisprudence du Conseil d’État allait même jusqu’à reconnaître à l’agent public un droit à ne pas supporter la charge de l’indemnisation d’une faute de service dont il est l’auteur 49 50 matériel. La jurisprudence apparue dès 1924 , confirmée par le législateur dès 1941 , établissait que « lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ». L’agent public peut ainsi demander à l’administration la prise en charge de la condamnation civile prononcée contre lui pour faute de service, et, le cas échéant, demander l’annulation du 51 refus devant le juge administratif – tel fut le cas dans l’arrêt Delville . En principe, la victime d’une faute de service ne peut invoquer la responsabilité de l’agent public, et l’agent public ne devrait donc pas être condamné. Cette condamnation peut 46 47 David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité. CE 10 juillet 1874, Baron, Rec. CE p.648 S.1876.II.159 ; - CE 4 décembre 1891, Bastier, Rec. CE p.726, S.1893.III.116, conclusions Jagerschmidt ; - CE 9 février 1894, Brocks, Rec. CE p.109 ; - CE 10 novembre 1899, Meyer, Rec. CE, .622 ; - CE 18 avril 1907, Gleize, Rec. CE p.133, conclusions Romieu, S.1909.III.102, conclusions ; - CE 6 novembre 1906, Gougain, Rec CE p.811 ; CE 28 mars 1924, Poursines, Rec. CE p.357, D.1924.III.49, RDP 1924 p.601 note G. Jèze ; - CE 14 décembre 1934, Dizier, Rec. CE er p.1188, D.H. 1935, 120 ; - CE 1 août 1942, Préour, Rec. CE p.248 ; - CE 20 juin 1947, Caisse de crédit municipal de Strasbourg, Rec. CE p.275 ; - CE 28 juillet 1951, Laruelle, D.1951.623, note Nguyen Do, JCP 1951.II.6532 note J.J.R., RDP 1951 p.1080 note M. Waline, S.1952.III.25, note A. Mathiot, S.1953.III.25 note R. Meurisse 48 Formulation de l’arrêt CE 28 juillet 1951, Laruelle. Les arrêts précédents ne font pas explicitement référence à la « faute de service », mais à la « faute commise à l’occasion des fonctions » (28 mars 1924) ou à la « faute commise dans l’exercice des fonctions » (20 juin 1947). 49 CE 8 février 1924, Raymond, S. 1926, III, 17, note M. Hauriou, J.A., 1, 668 ; - CE 18 octobre 1935, Herteau, Rec. CE, p.951 ; - CE 19 novembre 1937, Époux Crouzet, S. 1938, III, 100, a contrario 50 Article 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; art. 24 de la loi du 14 septembre 1941 ; article 14.2 de la loi du 19 octobre 1946 ; article 11 de l’ordonnance du 4 février 1959 ; art. 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. 51 CE Ass. 28 juillet 1951, Delville, Rec. CE 464 MAYER Benoît_2007 17 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé néanmoins résulter d’une divergence d’appréciation entre juges sur la nature exacte de la faute. Elle peut aussi être due à ce que l’action n’a pas été élevée et qu’un juge incompétent a statué au fond. Mais, dans la plupart des cas, elle est la conséquence d’une condamnation de l’agent à l’intégralité de la réparation, alors que sa faute personnelle était rendue possible par une faute de service. Il en a en particulier été jugé ainsi dans l’arrêt Papon : la faute personnelle de l’ancien préfet, condamné pénalement pour crime contre l’humanité, avait été rendue possible par une faute de service constituée par la collaboration de l’État français de Vichy ; il appartenait donc à l’État de prendre à sa charge la moitié des condamnations 52 civiles dues aux ayants-droits des victimes . Ainsi, aujourd’hui, la responsabilité de l’administration vise principalement à ne pas faire supporter la charge financière du risque de l’activité administrative aux agents publics. Les considérations propres au droit public – la protection de l’administration souveraine – ont ainsi laissé la place à des considérations d’un ordre plus général – la protection de l’agent d’exécution –, aisément transposables en droit privé. 2/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’une faute personnelle De ce qui précède, découle un principe simple : la faute de service engage la responsabilité 53 de l’administration et la faute personnelle, celle (exclusive) de l’agent . Cette règle apparaît 54 « à première vue comme la plus logique et juridiquement la plus élégante » . Elle a pourtant été abondamment battue en brèche par le développement d’une garantie par l’administration de la faute personnelle de l’agent (1). L’« action récursoire » de l’administration contre l’agent responsable donne en droit la cohérence à cette garantie administrative de la faute personnelle, mais sa faible utilisation tend à exonérer les agents publics de la responsabilité qui leur incombe (2). 2.1 Le développement d’une garantie de la faute personnelle par l’administration La garantie de son agent par l’administration a été construite en deux étapes : d’abord par la théorie du cumul de fautes (1), puis par celle du cumul de responsabilité (2). 2.1.1 Première étape : la théorie du cumul de fautes La distinction rigide entre faute de service et faute personnelle ne pouvait échapper à une difficulté : qui, de l’agent ou de l’administration, devrait supporter la charge de l’indemnisation des dommages causés par deux fautes concomitantes, l’une personnelle, l’autre de service ? La réponse équitable était sans doute une répartition des charges entre les deux responsables ; mais cela était rendu très difficile, sinon impossible, par le principe de séparation des juridictions administratives et judiciaires, empêchant à un seul juge de statuer sur une répartition équitable de la contribution entre l’agent et l’administration. La 52 Telle était l’hypothèse retenue dans l’arrêt CE Ass., 12 avril 2002, Papon, Rec. CE 139 conclusion Boissard, RFDA 2002.582, concl. Boissard ; AJDA 2002.423, chr. Guyomar et Collin ; LPA 28 mai 2002, Concl. Boissard, note E. Aubin ; D.2003.647, note Delmas Saint-Hilaire ; JCP 2002.II.10161, note Moniolle ; Gaz. Pal. 28-30 juill. 2002.27, note Petit ; RDP 2002.1511, note Degoffe, et 1531, note Alvés ; RDP 2003.470, note Guettier ; RFDC 2003.513, comm. Verpeaux. 53 54 E. Laferrière, Traité de droit administratif, éd. 1896, II, 182 Y. Gaudemet, op. cit., n°1640 p.790 18 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution condamnation partielle de chaque responsable par un juge différent obligeait la victime à agir deux fois et créait un risque d’indemnisation double ou partielle. 55 La solution fut inventée par le Conseil d’État en 1911 à l’occasion de l’arrêt Anguet . En l’espèce, l’horloge d’un bureau de poste était légèrement déréglée et un employé avait fermé avant l’heure la porte destinée au public – il y avait là, manifestement, une faute de service, puisque celle-ci ne laissait en rien transparaître « l’homme avec ses passions », mais bien l’aléa et l’erreur. Or, un usager se trouva de la sorte retenu dans le bureau de poste. Alors qu’il tentait de sortir par la porte de service vers laquelle on l’avait orienté, un employé le surprit et, se méprenant sur les motifs de sa présence dans la salle, l’en expulsa violemment et le blessa. Les violences constituées par cette expulsion « musclée » furent qualifiées à l’époque de faute personnelle. Ainsi, les deux fautes, l’une personnelle et l’autre de service, avaient contribué à la survenance d’un même préjudice. Le Conseil d’État accepta alors de sacrifier la beauté de l’édifice à une solution équitable. Puisque la faute de service était l’une des causes directes de l’accident, le droit de la victime à obtenir une indemnisation totale par l’État fut reconnu : « l’accident (…) doit être attribué, quelle que soit la responsabilité personnelle encourue par les agents (…), au mauvais fonctionnement du service public ». Autrement dit : la faute de service peut l’emporter sur la faute personnelle et en quelque sorte l’inclure, parce que la première a rendu la survenance de la seconde possible. Pour le juge administratif, le schéma est nettement clarifié : la victime doit poursuivre l’administration, qui indemnise l’ensemble du préjudice. Ainsi, les deux difficultés soulevées par le cumul des fautes sont résolues : l’action est unique (pas besoin de poursuivre à la fois l’agent et l’administration) ; l’indemnisation est intégrale mais ne peut dépasser le préjudice, n’étant pas fixée concurremment par deux juges différents. Le juge judiciaire avait mis en place un régime équivalent : l’agent public, poursuivi pour une faute personnelle concomitante à une faute de service, était condamné à l’intégralité de la réparation et pouvait exiger la prise en charge par l’administration d’une part de sa condamnation. Devant chacun des deux juges, le régime aboutissait donc à une forme de solidarité des deux codébiteurs que sont l’administration et son agent. 2.1.2 Deuxième étape : la théorie du cumul de responsabilité Cette hypothèse d’un cumul des fautes fut ensuite complétée par celle d’un cumul des responsabilités, élargissant le champ de responsabilité de l’administration. Dans cette seconde hypothèse, il n’y a qu’une seule faute, qualifiée de faute personnelle de l’agent ; mais le juge administratif condamnera tout de même l’administration à indemnisation des victimes, se fondant sur l’inclusion de la faute personnelle dans le service. Cette solution est consacrée par le Conseil d’État dans un arrêt de 1918, Époux 56 Lemonnier . En l’espèce, un maire n’avait pas pris les mesures manifestement nécessaires à la sécurisation d’une promenade située derrière un stand de tir, en conséquence de quoi Mme Lemonnier avait reçu une balle perdue dans le cou. Bien qu’elle y ait survécu, les époux Lemonnier avaient saisi le juge judiciaire, qui, en appel, avait condamné le maire à indemnisation. Or, la victime ne pouvait être sûre d’être intégralement indemnisée par le maire, dont les ressources étaient limitées. Elle avait donc poursuivi l’administration. 55 56 CE 3 février 1911, Anguet, Rec. CE 146, S. 1911.3.137 note Hauriou CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41, concl. Blum, note Hauriou MAYER Benoît_2007 19 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé En l’espèce, le Conseil d’État devait-il se dessaisir du recours, sous le prétexte que le dommage devait être indemnisé par le juge judiciaire ? En aucun cas, selon le conclusions du Commissaire du Gouvernement Blum – suivi par le Conseil d’État – qui, se basant sur le principe de l’indépendance des deux ordres juridictionnels, conclut que le juge administratif devait « faire abstraction complète de décisions judiciaires qui ont pu ou pourront intervenir sur la question de la faute personnelle ». Dès lors, le juge administratif ne devait pas s’interroger sur l’existence d’une faute personnelle, mais seulement sur l’imputabilité du fait au service. Et, dès lors que, comme en l’espèce, la faute avait été conditionnée par le service, alors le service ne devait-il pas « recouvrir » la faute ? « Si [la faute] a été commise dans le service, ou à l'occasion du service, si les moyens et les instruments de la faute ont été mis à la disposition du coupable par le service, si la victime n'a été mise en présence du coupable que par l'effet du jeu du service, si, en un mot, le service a conditionné l'accomplissement de la faute ou la production de ses conséquences dommageables vis-à-vis d'un individu déterminé, le juge administratif, alors, pourra et devra dire : La faute se détache peut-être du service ; c'est affaire aux tribunaux d'en décider ; mais le 57 service ne se détache pas de la faute. » Il est ainsi envisageable qu’un seul fait constitue une faute personnelle, engageant la responsabilité personnelle de l’agent public devant le juge judiciaire, mais ne soit pas suffisamment distinct du service pour ne pas engager la responsabilité de l’administration. La faute personnelle et la responsabilité personnelle qui s’ensuit n’excluent pas la condamnation concurrente de l’administration. La possibilité, pour la victime, d’obtenir la condamnation de l’agent devant le juge judiciaire ne l’empêche pas de rechercher la responsabilité du service devant le juge administratif. Or, la responsabilité de l’administration pour les fautes personnelles commises par ses agents a été progressivement élargie. Lors de l’arrêt Époux Lemonnier, cette hypothèse de responsabilité administrative semble limitée à la faute personnelle commise dans l’exercice 58 même des fonctions. Dans la lignée, l’arrêt Quesnel de 1937 affirme que la victime d’un vol commis par une receveuse des postes doit être indemnisée par l’administration : « la seule circonstance que la faute personnelle ait été commise dans le service suffit pour que la responsabilité de l’administration soit engagée ». Une extension importante fut réalisée en 1949, à l’occasion de l’arrêt Demoiselle 59 Mimeur . En l’espèce, le conducteur d’un camion militaire s’était détourné de son itinéraire normal pour rendre visite à sa famille, lorsqu’il avait causé un accident de la circulation. Il n’était manifestement pas « dans l’exercice de ses fonctions ». Pourtant, le juge administratif souligna que la faute n’était, du moins, « pas dépourvue de tout lien avec le service » : l’État fournissait le camion et, ainsi, créait un risque. Le Conseil d’État conclut de cela que la responsabilité de l’administration était engagée par l’accident. Par la suite, la même solution a été appliquée aux autres fautes personnelles « non dépourvues de tout lien avec le service », notamment au sujet des accidents provoqués par 57 CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41, concl. Blum, note Hauriou 58 59 CE 21 avril 1937, Dlle Quesnel, Rec. CE 413 CE Ass. 18 novembre 1949, Dlle Mimeur, Defaux, Bethelsemer, p.492, D.1950.667 note J.G., JCP 1950, n°5286, concl. F. Gazier, RDP 1950, p.183, note M. Waline 20 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution 60 l’utilisation maladroite – mais, heureusement, jamais dans le cas d’une utilisation criminelle 61 – d’une arme à feu détenue par le gardien de la paix du fait d’une obligation statutaire . La Cour administrative d’appel de Paris a récemment retenu que le cambriolage d’une bijouterie par un enquêteur de police n’était pas dépourvu de tout lien avec le service, dès 62 lors que l’auteur avait profité du conseil d’un serrurier rencontré dans le service . Ainsi la gravité de la faute commise – faute intentionnelle, délit pénal, crime – n’importe pas : 63 l’écriture de faux par un maire peut entraîner la responsabilité de la commune . Il demeure néanmoins que la faute personnelle n’engage pas la responsabilité de l’administration si elle est dépourvue de tout lien avec le service. Ainsi en va-t-il du douanier qui, bien que revêtu de son uniforme, profite de son apparence de douanier pour arrêter 64 une personne avec qui il a un différend d’ordre privé et qu’il finit par blesser mortellement . De même, la faute de conduite de l’agent public utilisant son véhicule personnel pour se 65 rendre à son service n’engage pas la responsabilité de l’administration . Lorsqu’elle est retenue, cette condamnation de l’administration n’exclut pas la responsabilité de ses agents. Dès lors, il existait un risque de double indemnisation de la victime. Selon la solution adoptée de manière constante depuis l’arrêt Époux Lemonnier, la victime est désintéressée par le paiement par l’agent, et non peut donc obtenir la condamnation de l’administration qu’à hauteur de ce que l’agent ne lui a pas encore payé. Surtout, l’administration est subrogée aux droits de la victime contre l’agent public fautif : après avoir désintéressé la victime, elle peut poursuivre son agent dans les conditions où la victime aurait pu le faire. L’administration dispose ainsi d’« un recours subrogatoire » ou « action en garantie » contre l’agent responsable. 66 2.2 Les potentialités inexploitées de l’action en garantie Les deux théories du cumul visent principalement à protéger davantage les droits de la victime à une indemnisation. Sitôt qu’elle a le moindre doute sur la solvabilité de l’agent public, la victime a tout intérêt à saisir directement le juge administratif d’une demande d’indemnisation portée à l’encontre de l’administration. Il s’ensuivait, en fait sinon en droit, un retour à l’irresponsabilité de l’agent public, d’autant plus insupportable que la théorie du cumul de responsabilités s’étendait notamment aux fautes personnelles commises en 67 dehors des fonctions et couvrait des fautes pénales. Jusqu’en 1951, l’absence d’action en garantie de l’administration contre l’agent responsable créait de fait une immunité de celuici, dans le cadre même de sa faute personnelle (1). 60 61 62 63 64 65 66 CE, 23 juin 1954, Dame Veuve Litzler, p. 376 ; - CE, 12 mars 1975, Gilles, n°94206 CE, ass., 26 octobre 1973, Sadoudi, p. 603 CAA Paris, 27 décembre 2003, n°99PA04181, inédit au Recueil. CE 2 mars 2007, Banque française commerciale de l’Océan indien, n°283257. CE 23 juin 1954, Veuve Litzler, précité CE 8 novembre 1995, Ferron, p.1029, n°133060. Le terme d’action en garantie ou d’action récursoire, généralement admis, n’est pas exact. L’administration ne poursuit pas son agent en justice, mais émet seulement un titre exécutoire par lequel elle constitue son agent débiteur. L’agent, seul, peut ensuite agir en annulation du titre exécutoire. L’analogie avec le mécanisme de l’action en garantie en droit privé des obligations justifie pourtant cette assimilation. 67 J. Waline, « De l’irresponsabilité des fonctionnaires pour leurs fautes personnelles et des moyens d’y remédier », RDP, 1948, p. 5s. MAYER Benoît_2007 21 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Il était alors nécessaire que le juge admette l’action récursoire de l’administration contre son agent, ne serait-ce que dans un souci de bonne gestion financière de l’État, mais peutêtre aussi pour « moraliser la fonction publique en rendant aux agents le sentiment de leur 68 responsabilité personnelle » (2). Dès lors que cela fut fait, on ne peut que regretter le faible usage de l’action récursoire (3). 2.2.1 De 1911 (Anguet) à 1951 (Delville) : un système contradictoire De l’arrêt Anguet de 1911, consacrant pour la première fois l’obligation à la dette de l’administration dans le cadre d’une faute personnelle (cumulée avec une faute de service), jusqu’à 1951, le régime de responsabilité liée à la faute personnelle manquait de cohérence interne. Manifestement, le responsable était bien l’agent public – sinon, pourquoi parler de « faute personnelle » et opposer cette hypothèse à celle de la « faute de service » ? Dès lors, l’obligation à la dette de l’administration n’était qu’une manière de garantir les droits de la victime, mais ne devait pas valoir immunité de l’agent public. D’ailleurs, la victime pouvait également poursuivre l’agent public. La faille du système tenait donc au refus du juge administratif de consacrer une action 69 récursoire de l’administration contre son agent . Tout au plus le Conseil d’État acceptaitt-il de subroger l’administration dans les droits de la victime contre l’agent public fautif, mais cela visait davantage à éviter une double indemnisation qu’à faire supporter la dette 70 à l’agent . Et, en toute hypothèse, cette subrogation ne pouvait être mise en œuvre qu’en l’existence d’une obligation juridique de l’agent public, contre lequel la victime devait avoir préalablement agi. La situation était manifestement peu équitable, puisque un choix procédural de la victime créait pour l’agent public et pour l’administration des différences importantes quant à 71 la répartition de la contribution finale à la dette . Ce système avait également pour défaut un coût, injustifié car il faisait supporter l’indemnisation d’une faute personnelle au contribuable, et excessif dès lors que la plupart des victimes préféraient poursuivre l’administration dont la solvabilité était certaine. Des considérations de bonne gestion financière de l’État poussèrent à un revirement de jurisprudence, menant la juridiction suprême à établir complètement, en droit, la nature indirecte de la responsabilité de l’État pour les fautes personnelles de ses agents. 2.2.2 A partir de 1951 : le cautionnement par l’administration 72 Avant même 1951 et dans le cadre de la jurisprudence Poursines , certaines dispositions 73 législatives permettaient à l’administration d’exercer une action récursoire dans des cas 68 e M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 16 édition, 2007, n°69.2 (sous Laruelle et Delville), p.444 69 70 71 72 73 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1538 Voir notamment GAJA, op. cit., n°69.2 p.444 J. Waline, 1948, op. cit. CE 28 mars 1924, Rec. CE 357, D. 1924.3.49, note Appleton, RDP 1924.601, note Jèze, S. 1926.3.17, note Hauriou cf. en particulier la loi du 5 avril 1937 22 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution 74 particuliers. Mais il faut attendre l’arrêt Laruelle du Conseil d’État, rendu le 28 juillet 1951 , pour que cette action récursoire de l’administration payeuse contre l’agent responsable soit admise dans le silence même de la loi, et cela « sous l’empire de nécessités absolues 75 liées aux abus, par certains fonctionnaires, de leur irresponsabilité » . Le considérant de l’arrêt est de principe : « si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi quand le préjudice qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables de 76 l’exercice de leurs fonctions » . Le juge distingue deux hypothèses. D’un part, l’indemnisation payée par l’administration peut l’être au titre d’une faute de service ; dans ce cas, aucune action récursoire contre l’agent ne peut être envisagée. D’autre part, l’indemnisation peut avoir été payée au titre d’une faute personnelle de l’agent public. Alors, l’administration est en droit de demander à l’agent public de la rembourser. Ainsi en allait-il dans l’espèce de l’arrêt Laruelle : un sous-officier avait causé un accident en utilisant, en dehors du service et à des fins personnelles, la voiture militaire dont il était le conducteur. Il y avait en l’occurrence un cumul de fautes : une faute de service constituée par un défaut de surveillance par l’administration de son parc automobile et une faute personnelle du sous-officier. L’administration avait émis un arrêté réclamant à son agent le remboursement des sommes qu’elle avait dû verser à la victime. Le recours de l’agent contre l’acte le rendant débiteur fut rejeté par le Conseil d’État, qui confirma ainsi la possibilité d’une action récursoire. L’arrêt met alors en lumière la solution logique applicable dans le cas d’un cumul de fautes. Si le dommage a pour cause exclusive une faute personnelle, la personne publique 77 peut exercer une action récursoire pour le tout contre l’agent public fautif . Mais si le dommage résulte des effets conjugués d’une faute personnelle de l’agent et d’une faute de service, l’agent public ne supportera pas la part du dommage dont la faute de service est la 78 cause . La répartition des contributions finales de l’administration et de l’agent doit prendre en compte « la gravité » respective de chaque faute. Dans le cas d’un cumul de responsabilité, au contraire, l’administration peut réclamer la totalité des charges dont elle s’est acquittée, étant donné que la seule faute existante est 79 bien la faute personnelle de l’agent . Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « cumul de responsabilités », mais le cumul d’une responsabilité et d’une garantie, car l’administration a un rôle analogue à celui d’une caution. 74 75 76 CE Ass. 28 juill. 1951, Laruelle, Rec. CE 464, GAJA n°69 J. Guyénot, La responsabilité des personnes morales publiques et privées, thèse, LGDJ 1959, n°186 p.144 Nous ne nous étendrons pas sur les doutes qui peuvent exister sur la compétence du juge administratif en la matière. Cf J. Guyénot, op. cit., n°190 p.147 : « les juridictions s’attribuent une compétence qui ne leur appartient pas. Elles empiètent sur la compétence judiciaire, lorsqu’elles apprécient la faute personnelle d’un individu, à la suite de l’action récursoire intentée par la collectivité publique. Les juridictions administratives devraient être dessaisies au profit des juridictions judiciaires. » 77 78 79 CE 17 décembre 1999, Moine R. Chapus, 2001, op. cit., n°1539 R. Chapus, 2001, op. cit., n°1539 MAYER Benoît_2007 23 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 80 Cette jurisprudence est encore pleinement en vigueur . Ainsi, la responsabilité de l’administration du fait d’une faute personnelle s’analyse bien, depuis 1951, comme une responsabilité indirecte parfaitement cohérente : la personne de l’agent n’est pas niée ; le recours de la victime peut être exercé soit directement contre l’agent, soit contre l’administration, mais dans le second cas, depuis 1951, l’administration peut exercer une action récursoire contre son agent. Ainsi, l’obligation à la dette de l’administration dans le domaine de la faute personnelle ne consiste, en droit, qu’en une garantie à l’égard des victimes – ce qui protège la victime de l’insolvabilité de l’agent –; mais la contribution finale à la dette est bien à la charge de l’agent. Encore faut-il, cependant, que l’administration prenne l’initiative d’exercer une action récursoire. 2.2.3 Le faible usage de l’action récursoire Les mécanismes juridiques existent pour que l’agent public soit déclaré débiteur par 81 l’administration, mais demeurent inexploités. Il est devenu presque banal d’affirmer que l’administration, « condamnée à réparer les dommages imputables à la faute personnelle d’un de ses agents, met rarement en œuvre l’action récursoire que la jurisprudence met à 82 sa disposition » . Ainsi, à défaut de statistiques consultables, l’analyse du contentieux du Conseil d’État laisse deviner que l’administration ne se retourne contre les agents publics auteurs d’une faute personnelle qu’extrêmement rarement, souvent lorsque la faute est d’une extrême gravité, comme celle d’un officier qui organise des tirs à balles réelles en 83 dehors de tout exercice organisé par l’autorité supérieure , ou extrêmement grossière, comme dans le cas d’un juge administratif qui ne rend un jugement qu’après 18 ans, dont 84 8 ans de délibéré . Ce laxisme des administrations publiques est critiquable en ce qu’il n’est assurément pas le signe d’une bonne administration financière des pouvoirs publics. Il est de plus 85 difficilement justifiable, non pas tant parce qu’il écarte une responsabilité civile , mais plutôt par son caractère non systématique, donc inique, et davantage encore parce qu’il crée une différence de traitement importante et injustifiée entre l’agent public et toute autre personne. L’immobilisme des administrations tient en partie à des raisons d’ordre sociologique. Peuvent ainsi être invoquées la volonté de maintenir de bonnes relations entre les agents, la crainte du supérieur hiérarchique de se retrouver un jour dans la même situation fautive et la solidarité de fait entre agents publics. Cette mauvaise gestion tient peut-être 80 81 Cf. par exemple J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°465 Maestre, « La responsabilité civile des agents publics à l’égard des collectivités publiques doit-elle être abandonnée ? », Mélanges Waline, 1974, t. II, p.575 ; Becet, « L’échec du système actuel de la responsabilité pécuniaire des agents publics à l’égard de l’administration », Mélanges Stassinopoulos, 1974, p.165 ; C Lalumière, La responsabilité pécuniaire des agents publics envers les collectivités publiques, 1968 ; O. Gohin, « Le retour à la garantie des fonctionnaires », note sous TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn/ C.A. de Toulouse, D.1999.127 82 83 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°465 p.398 CE 7/10 SSR, 17 décembre 1999, n° 199598 . 84 Selon un article de Libération, publié le 5 juillet 2006 : « un juge, recordman de lenteur, saisi au porte-monnaie à Nice ». Il est intéressant de noter que, dans un cas aussi extrême, le juge en question n’était poursuivi que pour un quart de l’indemnité à laquelle l’État avait été condamné. 85 24 Voir p.72s. MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution également de l’ignorance d’une possibilité de recours contre l’agent qui pourrait elle-même être due à la complexité du droit de la responsabilité publique, ou l’inexistence d’organes administratifs compétents en charge de mener cette action. L’omnipotence des syndicats de fonctionnaires et le corporatisme de certains « corps de fonctionnaires » pourraient également jouer un rôle important dans la protection excessive des agents publics, qui laisse se répandre un sentiment d’impunité. Le contexte de restriction budgétaire et de rigueur pourrait amener à une prochaine remise en cause de cette situation. Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité du préposé avant l’arrêt Costedoat L’article 1384 du Code civil, en son paragraphe 5, fonde le régime de responsabilité du commettant en ces termes : « Les maîtres et commettants [sont responsables] du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Le « maître » n’est aujourd’hui considéré que comme un cas particulier 86 de commettant ; et le domestique, un préposé comme un autre . Cependant, la mention expresse de l’hypothèse de la relation de maître à domestique est typique de la société de 1804. Au contraire, aucune référence explicite n’est faite du salariat, qui ne s’est développé ème 87 réellement qu’au XX siècle . L’hypothèse aujourd’hui la plus courante est celle où le commettant est une entreprise et le préposé, un salarié. Pour autant, la vertu des normes juridiques est sans doute leur capacité à s’appliquer avec justesse à des situations nouvelles. Il n’en demeure pas moins que la concision de la règle est aujourd’hui surprenante et 88 contraste fortement avec certains autres articles du Code civil de 1804 . Mais, là aussi, ce décalage entre la loi et la réalité s’explique, au moins en partie, par l’ancienneté du texte de loi et le développement depuis 1804 d’un contentieux abondant de la responsabilité. Il n’empêche que des normes plus précises auraient pu être adoptées durant les deux siècles 89 nous séparant de la première écriture du Code civil . En réalité, le législateur semble s’être délibérément contenté de ne donner que de grands principes, laissant au pragmatisme du juge, conseillé par une doctrine abondante, le soin de les adapter aux circonstances du temps. La jurisprudence est ainsi devenue, en droit civil de la responsabilité, une source importante. Ce travail d’interprétation du juge concerne en particulier, dans le cas de la responsabilité du commettant, la découverte des conditions de mise en jeu de la responsabilité du commettant (1). Il concerne également l’articulation de l’article 1384, alinéa 5, avec le principe posé par l’article 1382 du Code civil, selon lequel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer » (2). 86 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°827 p.798. Une recherche sur Legifrance ne permet pas de trouver le moindre arrêt faisant référence à la responsabilité du maître pour le fait de son préposé. 87 A propos de l’histoire du salariat, de ses origines à aujourd’hui : S. Bernard et F. Vatin (direction), Le salariat : Théorie, histoire et formes, La dispute, 2007 88 89 Par exemple, les longues considérations de l’article 653 sur la propriété des murs mitoyens. L’avant-projet de réforme du droit des obligations élaboré par la réforme Catala modifie ainsi la règle applicable à la responsabilité des commettants. Cf. p.82. MAYER Benoît_2007 25 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 1/ L’obligation à la dette du commettant Deux conditions découlent naturellement du principe de la responsabilité du commettant : un lien de préposition doit exister et le fait dommageable doit être imputable au préposé (1). De plus, la responsabilité du préposé doit avoir été soulevée en conséquence d’un fait commis dans l’exercice de ses fonctions (2). 1.1 Les deux conditions de mise en cause du commettant Pour que le commettant puisse être appelé en garantie par la victime, deux conditions doivent naturellement être réunies : l’existence d’un lien de préposition (1) et l’imputabilité du fait dommageable au préposé (2). 1.1.1 Le lien de préposition 90 La qualification de « commettant » et de « préposé » suppose un lien de préposition entre les deux. Ce lien est entendu très largement par la jurisprudence qui se satisfait de vérifier 91 l’existence d’un « rapport de subordination » . 92 Aucun contrat n’est nécessaire à l’existence d’un lien de subordination . Pour autant, « c’est, dans l’immense majorité des cas, l’existence d’un contrat de travail qui caractérise » 93 la relation du commettant au préposé . Dans le cas où existe un contrat de travail – salarié 94 ou non –, il semble admis qu’un lien de subordination se présume, en droit français comme 95 dans la plupart des droits étrangers . Le lien de préposition est également reconnu dans 96 le travail dissimulé . Si le contrat de travail constitue généralement un lien de subordination, il n’en est de même pour les autres contrats que dans la mesure où ils « obligent l’une des parties à "agir pour le compte d’une autre", laquelle exerce sur la première un "pouvoir de surveillance et 97 de contrôle" » . Peu de contrats répondent réellement au critère de contrôle. Le contrat de mandat, par exemple, ne constitue pas à lui seul le rapport de subordination, sauf en cas de 98 « circonstances spéciales » qu’il appartient au juge du fond de relever . Ne constitue pas non plus de lien de subordination le contrat de louage d’ouvrage, l’indépendance dont jouit 90 Le terme de « commettant » de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, ne fait pas allusion au contrat de commission du Code de commerce (art. L132-1sq, L110-1), contrat par lequel le commettant dépêche un intermédiaire du commerce (le commissionnaire), agissant en son nom propre mais pour le compte du commettant. 91 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°829 p.799 92 93 94 95 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.800 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°792 p.982 C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, n°18-21. G. Eörsi, « Private and governmental liability for the torts of employees and organs », International Encyclopedia of Comparative Law, vol. XI, chap.4, n°55 96 Crim. 20 février 2001, pourvoi n° 00-83696. La même solution fut appliquée dans un cas particulier (travailleur déclaré faisant des heures supplémentaires non déclarées) : CA Douai, 24 mai 2005, Juris-Data n°2005-282869. 97 98 26 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795 p.987 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795-1 p.988 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution l’entrepreneur dans l’organisation et l’accomplissement du travail qu’il a promis d’effectuer 99 étant un trait caractéristique de ce contrat . Il se peut enfin, dans des circonstances toutefois particulièrement rares, que le lien 100 101 de subordination ne soit pas d’origine contractuelle . Il résulte alors de liens de famille , 102 103 104 de concubinage , d’amitié ou de complaisance occasionnelle , même à un parfait 105 inconnu – à condition toutefois qu’une personne ait demandé à une autre de l’aider, ce 106 qui exclut la gestion d’affaire . 1.1.2 L’imputabilité du fait dommageable au préposé L’article 1384, aliéna 5, exige seulement « un dommage causé » par le préposé pour mettre en cause la responsabilité du commettant. Il ne fait pas référence à une faute. 107 S’éloignant en cela de la règle de 1804, du moins de sa lettre, la jurisprudence et la 108 doctrine sont presque unanimes à consacrer l’exigence d’un « acte susceptible d’engager [la] responsabilité personnelle [du préposé] vis-à-vis de la victime s’il avait agi pour son 109 propre compte » . Ainsi, seul ce qui aurait été de nature à engager la responsabilité du préposé, peut engager celle du commettant. Il est souvent reproché au commettant un délit civil du préposé, mais sa responsabilité peut aussi bien être constituée sur la base de toute 110 autre régime de responsabilité . Par exemple, la Cour de cassation a d’abord rejeté la responsabilité du commettant 111 pour l’acte du préposé commis sous l’empire d’un trouble mental : l’aliéné n’étant pas responsable, il ne pouvait transmettre sa responsabilité au commettant. Mais, lorsque la 112 réforme du 3 janvier 1968 a mis à la charge de l’aliéné la réparation des dommages causés même sous l’emprise du trouble mental, la Cour de cassation a justement admis 99 Un chauffeur de taxi n’est pas le préposé de son client qui n’a pas d’ordres à lui donner pour la manière de conduire la voiture : Crim 30 octobre 1902, DP 1904.5.592, S. 1902.1.544. De même, un entrepreneur principal n’est pas le commettant du sousème traitant, qui garde une indépendance dans son travail : Civ 3 , 8 mars 1989, Bull. civ. III, n°58, p.33. 100 101 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.801 ème ère Entre époux : Civ. 2 , 27 juin 1974, JCP, 1974, IV, p.297 ; - Civ. 1 , 17 juillet 1979, D. 1980, IR, p.114 ; Entre parents et enfants : Civ., 4 décembre 1945, JCP, 1946, II, 3110, note J. R. 102 103 104 105 Crim. 6 mars 1931, Gaz. Pal., 1931, I, 537 er Req. 1 mai 1930, DP 1930.1.137, note R. Savatier ; Civ. 4 décembre 1945, JCP 1946.II.3110 Crim. 20 mai 1976, Gaz. Pal. 1976.2.545, note Y. M., RTD civ. 1976.786, obs. G. Durry ème Civ. 2 , 11 octobre 1985, Bull. civ., II, n°175 106 Civ. 24 juillet 1935, Gaz. Pal., 1935, 2, 598 ; - Comm. 16 janvier 2007, 05-11507, non publié au bulletin. e re Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein ; - Civ 2 , 11 mai 1956, D., 1957, p.121, note R. Rodière ; - Civ. 1 , 13 e e novembre 1968, Bull. civ., I, n°276 ; - Civ. 2 , 21 octobre 1966, Bull. civ., II, n°862 ; Civ. 2 , 8 octobre 1969, Bull. civ., II, n°269 ; re e Civ. 1 , 9 juin 1993, Bull. civ., I, n°209, p.146 ; - Civ. 2 , 8 avril 2004 ; JCP G, 2004, II, 10131, note Mickaël Imbert, RTD civ., 2004, 107 p. 517, obs. P. Jourdain. 108 109 110 pour l’opinion contraire, voir G. Durry, obs. RTD civ., 1976, p.143 ; F. Millet, L’acceptation des risques réhabilitée ?, D. 2006 p.2830 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°807 p.1010 Sauf garde de la chose. Cf. p. 46. 111 112 Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein article 489-2 du Code civil MAYER Benoît_2007 27 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé que, par conséquent, le commettant de l’aliéné pouvait à son tour être responsable des 113 dommages causés par son préposé . Dès lors, dans le cas d’une responsabilité du commettant fondée sur la faute du préposé, le demandeur devra prouver la faute du préposé. La responsabilité du commettant consiste donc fondamentalement dans le paiement de la dette d’autrui. La responsabilité est, à l’origine, celle du préposé, soit qu’il ait commis une faute – et c’est l’application de la règle générale de la responsabilité pour faute de l’article 1382 du Code civil –, soit qu’il ait agi de quelque manière susceptible d’engager sa propre responsabilité, et donc, par transmission, celle du commettant. Comme il ne s’agit pas d’une présomption de faute de surveillance par le commettant sur le préposé, le commettant ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en prouvant qu’il a mis tout en œuvre pour éviter la faute du préposé. Ainsi, les causes exonératoires (force majeure, faute d’un tiers ou de la victime) ne sont 114 valables que tant qu’elles valent à l’égard du préposé . Cependant, le commettant tentera de se décharger de sa responsabilité en prouvant que la faute du préposé se détache des fonctions : il y a un abus de fonctions. 1.2 Le lien du fait imputable au préposé avec ses fonctions La troisième condition de la garantie du préposé par son commettant est plus problématique : un lien entre les fonctions et le fait imputable au préposé doit exister. Bien entendu, la responsabilité du préposé n’engage pas celle du commettant lorsque sa faute n’est sans aucun rapport avec les fonctions. Mais où tracer la frontière ? A partir de quel moment le lien entre l’acte du préposé et ses fonctions est-il suffisamment ténu pour exonérer le commettant ? Des conflits jurisprudentiels (1) ont finalement abouti à la théorie actuelle de l’abus de fonction (2). 1.2.1 Péripéties jurisprudentielles L’alinéa 5 de l’article 1384 précise que, si les commettants peuvent être responsables du fait de leurs préposés, encore faut-il que ce fait s’inscrive « dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». La comparaison avec les droits étrangers ayant retenu des solutions 115 analogues montre que la loi française appelle a priori à une responsabilité assez restreinte du commettant, l’acte dommageable devant avoir été commis « dans l’exercice [même] des fonctions », et non simplement « à leur occasion ». Toujours est-il que, « en France comme ailleurs (…) les tribunaux ont éprouvé de très sérieuses difficultés pour déterminer concrètement quelles sont, parmi les activités du préposé, celles qui sont suffisamment liées aux fonctions que lui a confiées le commettant pour engager, en cas de dommage, 116 la responsabilité de celui-ci. » S’opposent ainsi deux fondements de ce régime de responsabilité : la protection des victimes ou l’intérêt économique. La jurisprudence retint d’abord une solution favorable à la victime et une lecture en réalité assez libre du texte qui retenait la responsabilité du commettant dès lors que l’acte 117 dommageable « n’était pas étranger à l’exercice des fonctions » ou « avait été facilité 113 114 115 116 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°843 p.816 G. Eörsi, op. cit., n°80 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°797 p.993 117 28 e e Civ. 2 , 24 octobre 1973, D., 1974, somm., p.6, JCP 1973 IV p.395 ; - Civ. 2 , 3 mars 1977, D., 1977, p.501, note C. Larroumet G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1000 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution 118 par l’exercice de la fonction » , même s’il avait été manifestement commis dans un but e tout autre que celui assigné par le commettant. A partir des années 1950, pourtant, la 2 Chambre civile annonça une conception restreinte de la responsabilité du commettant : « Attendu que si le commettant peut, en dehors des dommages causés par le préposé dans l’exercice de ses fonctions, être également déclaré responsable des conséquences dommageables de l’activité de son préposé lorsque celleci s’exerce vers un but qui lui a été fixé ou, plus exceptionnellement et suivant les circonstances, lorsque le préposé a utilisé dans un but étranger les moyens mis à sa disposition par le commettant, c’est toutefois à la condition que le fait dommageable se rattache par un lien de causalité ou de connexité à l’exercice des fonctions et que le préposé puisse être réputé avoir agi pour le compte du 119 commettant ; » e La jurisprudence de la 2 Chambre civile fut renforcée par la suite. La notion d’abus de 120 fonction fut introduite en la matière par un arrêt postérieur selon lequel la responsabilité du commettant doit être écartée dès lors que « l’acte dommageable a trouvé sa source dans un abus de fonction de la part du préposé, ledit abus supposant nécessairement que cet acte est étranger à la fonction ». 121 La Chambre criminelle ne modifiant pas sa jurisprudence , une divergence flagrante apparut entre la jurisprudence du juge civil et celle du juge pénal. L’arrêt des Chambres réunies du 9 mars 1960 opta pour la conception de la Chambre civile d’un examen strict du 122 rapport de l’acte dommageable à la fonction ; mais la Chambre criminelle persista dans 123 sa jurisprudence antérieure. En 1977, un arrêt de l’Assemblée plénière trancha dans le 124 même sens restrictif ; mais, encore une fois, la motivation de l’arrêt était trop « neutre » , pas assez large, pour faire autorité : « le commettant n’est pas responsable du dommage causé par le préposé qui utilise, sans autorisation, à des fins personnelles, le véhicule à lui confié pour l’exercice de ses fonctions ». La Chambre criminelle se plia alors dans l’unique hypothèse de l’utilisation par le préposé du véhicule de l’employeur à des fins 125 personnelles , rejetant encore la responsabilité sur le commettant dans tous les autres 118 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°834 p.804 119 er Civ, 1 juillet 1954, D. 1954.628 ; JCP 1954.II.8352 120 ème Civ. 2 , 14 juin 1957, D. 1958.53, note R. Savatier 121 122 Par exemple Crim. 20 mars 1958, Bull. crim. n°280, p.484 Chambres réunies, 9 mars 1960, D. 1960.329, note R. Savatier ; JCP 1960.II.11559, note R. Rodière ; Gaz. Pal. 1960.1.313 ; Grands arrêts, n°211. En l’espèce, un accident avait été causé par un préposé qui, dépourvu de permis de conduire, s’était emparé d’un véhicule au mépris des ordres et à l’insu du commettant. La Chambre criminelle avait admis une conception très extensive de la relation de l’acte dommageable avec la fonction, estimant qu’il suffit que le fait dommageable ait été commis par le préposé, au moyen des facilités que lui procuraient ses fonctions. Or, la Cour de renvoi refusa de s’incliner. Les Chambres réunies ont alors consacré une vision beaucoup plus restrictive de la responsabilité du commettant, a contrario de la solution adoptée par la Chambre criminelle. 123 Ass. Plén., 10 juin 1977, D. 1977.465, note C. Larroumet, JCP 1977.II.18730, concl. P. Gulphe, Defrénois 1977.1517, obs. J.-L. Aubert, RTD civ. 1977.74, obs. G. Durry, Grands arrêts, n°212. Il s’agit, là aussi, d’un nouveau pourvoi en cassation après une première cassation et le refus de la Cour de renvoi de s’aligner sur la position de la Chambre criminelle. 124 125 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1001 Par exemple Crim. 18 juillet 1978, Bull. crim. n°237, p.627 MAYER Benoît_2007 29 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 126 e 127 cas d’abus de fonctions , malgré la prise de position inverse de la 1 Chambre civile . Un 128 nouvel arrêt de l’Assemblée plénière défendit de nouveau une conception restrictive de la responsabilité du commettant, cette fois en des termes plus généraux : « les dispositions de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ne s’appliquent pas au commettant en cas de dommage causés par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins étrangères à ses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il est employé ». La Chambre 129 criminelle adhéra finalement à la position de l’Assemblée plénière . 1.2.2 L’abus de fonctions, limite de la garantie du commettant Au début des années 1980, si certaines divergences entre les différentes Chambres 130 demeurent , l’opposition polaire qui avait créé deux « camps ennemis » depuis les années 1950 s’est néanmoins évanouie. Un compromis minimaliste entre les différentes formations de la Cour de cassation peut alors apparaître autour de l’idée que l’abus de ses fonctions par le préposé s’oppose à l’intervention d’une responsabilité du commettant. L’abus de fonction se compose alors d’un élément subjectif : la poursuite d’une fin étrangère aux fonctions. Il se compose par ailleurs d’un élément objectif : l’absence 131 , 132 d’autorisation par le commettant . 133 A ces deux conditions cumulatives de l’abus de fonction, un arrêt du 19 mai 1988 est venu en ajouter un troisième : la faute doit avoir été commise « hors des fonctions ». Le 134 considérant est, depuis , resté le même : « Mais attendu que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions. » Cette définition de l’abus de fonctions fait l’unanimité depuis deux décennies. La 135 Commission Catala a proposé d’intégrer ces trois éléments au Code civil . La charge de la preuve repose sur le commettant, qui doit prouver l’abus de fonction pour échapper à son 136 obligation – et cela peut être difficile . 126 Crim. 18 juin 1979, Bull. crim. n°212, p.582 ; D. 1980.inf. rap.36, obs. C. Larroumet ; - Crim. 13 mai 1980, JCP 1980.IV.281 ; RTD civ 1981.159, obs. G. Durry 127 ère Civ 1 , 13 février 1975, RGAT, 1975, p.544 128 Ass. Plén., 17 juin 1983, JCP 1983.II.20120, concl. P.-A. Sadon, note F. Chabas ; RTD civ. 1983.749, obs. G. Durry ; Grands arrêts n°213. 129 130 Cf. Crim. 15 mai 1986, Gaz. Pal. 1986.2.682 ; - 22 janvier 1987, Bull. crim. n°37, p.91 ; - 10 nov. 1987, D. 1988.inf. rap.23 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1004-1006 131 Ass. plén., 17 nov. 1985, D. 1986.81, note J.-L. Aubert, JCP 1986.II.20568, note G. Viney, RTD civ. 1986, obs. J. Huet, Grands arrêts, n°214. 132 133 134 C. Larroumet, note D.1988.515 C Cass Ass. plénière, 19 mai 1988 voir par exemple Cass. 2e Civ, 16 juin 2005, 03-19705, Bulletin 2005.II.158 p.141 ; - Cass. 2e Civ, 3 juin 2004, 03-10819, Bulletin 2004.II.275, p. 233. 135 Article 1359, alinéa 2, de l’Avant-projet de Réforme du Code civil : « Le commettant n’est pas responsable s’il prouve que le préposé a agi hors des fonctions auxquelles il a été employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ». 136 30 C. Radé, « Responsabilité des commettants », op. cit., n°40sq. MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution De plus, les critères de l’abus de fonctions sont appréciés strictement : par conséquent, l’abus de fonctions n’est retenu que rarement. Ainsi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a estimé qu’il n’y avait pas eu d’abus de fonctions lorsqu’un préposé avait 137 assassiné son chef de service . En effet, si le préposé avait manifestement agi « sans autorisation » et « à des fins étrangères à ses attributions », il n’avait toutefois pas agi « hors de ses fonctions », comme le laisseraient apparaître le fait que le crime « a été commis sur les lieux de travail » et « à l’occasion des fonctions que le préposé exerçait dans l’entreprise ». L’appréciation stricte de l’abus de fonction élargit corollairement l’application de l’article 1384, alinéa 5 du Code civil. L’amplitude de l’obligation du commettant à la dette se justifie, dans le régime de l’avant-Costedoat, par la possibilité d’une action en garantie du commettant contre son préposé. En principe, la contribution finale à la dette n’appartient qu’au préposé. La garantie du commettant vise seulement à fournir de meilleures chances d’indemnisation à la victime. 2/ La responsabilité problématique du préposé Avant l’arrêt Costedoat, le préposé était au second plan : l’obligation du commettant à la dette était interprétée comme une garantie offerte à la victime et ne devait pas profiter au préposé (1). La doctrine a pu souligner l’iniquité de cette solution et appeler à un revirement (2). 2.1 L’insécurité juridique de la situation du préposé L’action reconnue à la victime contre le commettant n’excluait pas son action de droit commun contre le préposé – la victime avait ainsi une option entre poursuivre le préposé ou son commettant. De plus, le commettant condamné pouvait en tout état de cause se retourner contre son préposé fautif. En effet, l’obligation du commettant à la dette n’était qu’une garantie, elle ne produisait que les effets d’un cautionnement. L’obligation à la dette, qui concernait concurremment le commettant et le préposé, se distinguait de la contribution définitive à la dette, qui pesait exclusivement sur le préposé (1). Cependant, la rigueur de ce régime fut aménagée par des règles de droit et par la pratique, aboutissant à une série d’exceptions qui mettaient en lumière l’iniquité du principe (2). 2.1.1 Le principe de la contribution définitive à la dette du préposé La règle de la responsabilité du commettant se heurte à celle exprimée par l’article 1382 138 du Code civil selon laquelle « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ». 139 Par rapport au droit romain ou à l’ancien droit , l’article 1382 innove en créant un principe général de responsabilité pour faute, consacrant la conception des Lumières d’une autonomie de la volonté. Depuis, ce principe est devenu « le centre du droit » et « est en train 137 138 Cass. crim 25 mars 1998, 96-85593, Bulletin criminel 1998 n°113 p.297. Pour être plus précis, ce n’est pas seulement la responsabilité pour faute de l’article 1382 qui est en jeu, mais toutes les règles fixant la responsabilité d’un individu pour ses propres faits. Dans un souci de simplicité, seule la faute sera retenue par la suite comme élément déclencheur d’une responsabilité. 139 Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit, e LexisNexis Litec,3 édition, 2006 : n°5 p.3. MAYER Benoît_2007 31 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 140 d’"absorber" le droit tout entier » . Aujourd’hui, « l’article 1382 structure mentalement les 141 Français » . D’où une difficulté fondamentale : comment articuler la règle de l’article 1384, alinéa 5, d’une responsabilité pour autrui, et la règle de l’article 1382, d’une responsabilité de chacun pour sa propre faute ? Est-ce que la responsabilité du commettant « gomme » celle du préposé ? Autrement dit : l’article 1384, aliéna 5, vise-t-il à protéger la victime en lui ouvrant une action supplémentaire contre le commettant, ou à protéger le préposé en le déresponsabilisant ? 142 Deux analyses opposées de l’articulation de ces deux règles existaient et correspondaient à deux types de responsabilité différents : soit une responsabilité directe du commettant qui est substitué au préposé ; soit, au contraire, une responsabilité indirecte du commettant, avec une action récursoire contre le préposé et la possibilité, pour la victime, de poursuivre l’un, l’autre ou les deux. Jusqu’à l’arrêt Costedoat, le juge avait clairement pris parti pour la seconde interprétation : la responsabilité du commettant s’ajoutait à la responsabilité du préposé, qu’elle ne remplaçait pas. L’article 1384, alinéa 5, était ainsi supposé devoir profiter à la victime, non au préposé. C’est ce qu’exprimait sans ambiguïté, par exemple, un arrêt de e 143 1974 de la 2 Chambre civile : « Mais attendu que l’article 1384 du Code civil, généralement édicté pour assurer à la victime d’un dommage la réparation qui lui est due, a, dans son alinéa 5, spécialement pour but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du préjudice en leur permettant de recourir contre son employeur ; Qu’il s’ensuit que le préposé, dont la faute entraîne la responsabilité civile de son commettant, ne saurait appeler ce dernier en garantie, la victime ayant seule qualité pour le mettre en cause, et invoquer contre lui, à son profit, les dispositions du texte susvisé. » Deux mécanismes juridiques attestaient de la nature indirecte de la responsabilité du commettant. Premièrement, « la victime [pouvait] agir, à son gré, soit contre le répondant du fait d’autrui, soit contre l’auteur matériel du dommage dont elle se plaint, soit encore contre les deux ensemble ». Deuxièmement, « dans le cas où le répondant [avait] dû indemniser la victime, il [pouvait] exercer un recours contre l’auteur réel du préjudice, afin de se décharger 144 sur lui du poids de la condamnation ». 1°/ L’acceptation d’un choix d’actions de la victime était constante au moins depuis e 145 146 le milieu du XIX siècle . La victime pouvait s’adresser uniquement au commettant . Elle pouvait également agir, sur la base de l’article 1382, exclusivement contre le préposé 140 Henri Mazeaud, L’absorption des règles juridiques par le principe de la responsabilité civile, DH 1935, Chr. p.5 141 Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit, ème LexisNexis Litec,3 édition, 2006 : n°22 p.9. 142 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°810 p.1013-1014 e Civ. 2 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi 72-14444. Voir également Crim. 19 octobre 1982, JCP, e 1983, IV, p.4 ; - Civ. 2 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119 143 144 F. Roques, « L’action récursoire dans le droit administratif de la responsabilité », AJDA, 1991, I, p. 75-90, en part. p.76 145 146 Voir par exemple : R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, thèse, LGDJ, 1957, n°188 p.212 e Req. 19 février 1866, S. 1866, I, 214 ; - Crim. 2 décembre 1881, S. 1883, I, 44. Plus récemment : Civ. 2 11 mars 1971, Bull. civ. II, n°113 32 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution 147 auquel était refusé le droit de se prévaloir d’une responsabilité de son commettant . Enfin, bien naturellement, elle pouvait combiner les deux actions, l’une fondée sur l’article 1382 et dirigée contre le préposé, l’autre fondée sur l’article 1384, aliéna 5, et dirigée contre le 148 commettant : commettant et préposé étaient alors condamnés in solidum . 2°/ Le commettant qui avait supporté la charge de la responsabilité d’un préposé 149 pouvait exercer contre ce dernier une action récursoire , sans par exemple qu’il soit 150 nécessaire d’établir une faute lourde . L’action récursoire pouvait même être exercée par le commettant dans l’instance où il était poursuivi, par un appel en garantie contre 151 le préposé . En effet, selon l’attendu généralement adopté, « la personne civilement responsable a un recours à exercer contre celui qui, par son fait, a causé le dommage qu’elle 152 a été condamnée à réparer » . 2.1.2 L’aménagement de la responsabilité du préposé La sévérité de la règle selon laquelle la contribution définitive à la dette doit être supportée intégralement par le préposé a été très atténuée. D’une part, les victimes poursuivaient plus souvent les commettants que les préposés (1). Ensuite, l’assurance du commettant ne pouvait pas exercer d’action en garantie contre le préposé (2). Enfin, le commettant était supposé être le gardien de la chose qu’il mettait à la disposition du préposé, ce qui rendait impossible toute action contre ce dernier (3). 2.1.2.1 La victime préfère généralement poursuivre le commettant La victime a une option entre poursuivre le commettant sur la base de l’article 1384, aliéna 5, ou le préposé, généralement sur la base de l’article 1382. Certes, il ne faut pas exclure qu’une victime préfère diriger son action contre le préposé, soit par volonté de vengeance – elle souhaite faire punir le préposé, le « faire payer » sa faute –, soit même par stratégie – le commettant peut disposer de meilleurs moyens de défense juridique, par exemple l’accès à un meilleur avocat ; ne pas l’impliquer dans la procédure peut permettre d’augmenter les chances de gagner un procès. Cependant, si la victime agit en justice, c’est avant tout pour obtenir une indemnisation : c’est pourquoi elle préfèrera en général poursuivre le créancier le plus solvable. Le commettant est généralement plus solvable que le préposé. C’est particulièrement le cas, très fréquent, où le commettant est une entreprise qui a souscrit une assurance 147 e Req. 17 juillet 1876, S. 1876, I, 477. Plus récemment : Civ. 2 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi e 72-14444 ; Civ. 2 28 octobre 1987 : Bull. civ. II, n°214, R., p.218 148 e e Civ. 1 6 octobre 1971, RGAT, 1972, p.376 ; Crim. 15 avril 1972, JCP, 1972, IV, p.132 ; Civ. 2 6 février 1974, D., 1974, e p.409, note P. Le Tourneau ; Civ. 2 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119 149 Crim. 11 juin 1808, S.I.541 ; Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460 ; Req. 16 juillet 1928, DH, 1928, p.477 ; Soc. 10 mai 1939, D.H. 1939, 391, S. 1939, I, 251 ; Civ 28 janvier 1955, D. 1955.449 note R. Savatier ; Dijon, 28 novembre 1975, re re JCP, 1976, IV, p.171 ; Civ. 1 20 mars 1979, D.1980.29 note C. Larroumet ; Com. 29 octobre 1982, JCP, 1983, IV, p.14 ; Civ. 1 25 novembre 1992, Bull. civ., I, n°292, p.191, RCA 1993, com., n°28, obs. H. Groutel 150 re Civ 1 20 mars 1979, D. 1980.29 note Larroumet 151 152 M.-T. Rives-Lange, « Contribution à l’étude de la responsabilité des maîtres et commettants », JCP G 1970.I.2309, n°11 par exemple : Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460, cité par R. Chapus, 1957, op. cit., n°189 p.212 MAYER Benoît_2007 33 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé « responsabilité civile exploitation », laquelle prend en charge l’indemnisation des fautes du 153 154 préposé , même intentionnelles . Ainsi, très souvent, seul le commettant était poursuivi, à l’exclusion du préposé. 2.1.2.2 L’assurance du commettant ne peut pas poursuivre le préposé fautif Souvent, lorsque le commettant était poursuivi, c’était son assurance qui indemnisait la victime. La prise en charge par l’assurance du commettant désintéressait bien sûr 155 le commettant de tout recours contre son préposé . Quant à la société d’assurance, interdiction lui était faite d’exercer d’action récursoire contre le préposé. L’article 36, alinéa 3, de la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d’assurance, devenu par la suite l’article L.121-12.3 du code des assurances, stipule en effet qu’elle « n'a aucun recours contre les (…) préposés, employés, ouvriers ou domestiques (…), sauf le cas de malveillance commise par une de ces personnes ». Encore fallait-il que le commettant soit assuré. Même dans l’hypothèse où le commettant est une société, il n’existe pas d’obligation générale de souscrire à un contrat d’assurance. De plus, en tout état de cause, le commettant pouvait le cas échéant faire 156 supporter la charge de la franchise à son préposé . 2.1.2.3 Le commettant reste gardien du bien confié au préposé 157 Enfin, une jurisprudence consacrée en 1929 stipulait que l’utilisation par le préposé, dans le cadre de ses fonctions, de moyens matériels mis à sa disposition par le commettant ne lui faisait pas acquérir la garde des choses : au contraire, le commettant restait le gardien de la chose. La même jurisprudence fut appliquée concernant la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents impliquant des véhicules terrestres à moteurs : en principe, le préposé conducteur n’était pas le gardien du véhicule appartenant à son commettant, en tout cas pas le gardien 158 de la structure . 153 L’obligation est consacrée par l’article 121-2 du Code des assurances : « L’assureur est garant des pertes et dommages causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1384 du Code civil, quelles que soient la nature et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle est d’ordre public : Cass. civ., 12 nov. 1940 : RGAT 1941, p. 40. 154 G. Courtieu, « Assurances terrestres – Assurance responsabilité des entreprises – Assurance responsabilité civile exploitation », in Jurisclasseur Responsabilité civile et assurance, fascicule 581-30, n°16-20. L’assurance d’une faute intentionnelle, en principe exclue, ne pose pas de problème lorsque la faute est commise par une autre personne que celle dont la responsabilité est engagée. Il va de soi, cependant, que la faute intentionnelle du préposé ne peut être assurée si le commettant en est complice. 155 e e dans ce sens, voir par exemple Cass. 1 civ., 29 avril 1975, Bulletin 1975, I, n°144, p.125 ; cass. 1 civ. 30 octobre 1995, I, 380, p.265, n°93-14147. 156 voir par exemple : CA Douai, 3 juillet 2003, pourvoi n°01/01216, publié par le service de la documentation de la Cour de cassation (disponible sur Legifrance). 157 e e Cass civ. 27 février 1929, S.1929.1.297, note Hugueney ; Cass. 2 civ. 16 et 17 mars 1960, Gaz. Pal. 1960.2.57 ; Cass 2 civ. e e 4 novembre 1965, D.1966.394 ; Cass 2 civ. 8 juin 1977, JCP 1977.IV.202 ; Cass 2 civ. 11 juillet 1979, JCP 1979.IV.318 ; Cass e e 2 civ. 18 novembre 1987, Bull. civ. II n°235 ; Cass. ass. plén. 22 décembre 1988, Bull. civ. n°10 arrêt n°3 ; Cass 2 civ. 5 juillet e e er 1989.IV.339 ; Cass 2 civ. 11 octobre 1989, Bull. civ. II, n°175 ; Cass. 2 civ. 1 avril 1998, RTD civ. 1998.914, obs. Mestre ; CA e Rouen, 1 Chambre, cab. 3, 11 janvier 2005, Crts V. c/ Crts V et autres, Juris-Data n° 2005-263570, Ch. Radé : Resp. civ. et assur. n°4, avril 2005, comm. 120. 158 e Cass. 2 civ., 11 avril 2002, Bull. civ. II, n°72, D.2002.IR.1598, JCP 2002.I.186 n°33s obs. Viney, RCA 2002. Chr. 9, par Groutel, Dr. et patr., sept. 2002, p.100, obs. Chabas, RTD civ. 2002.519, obs. Jourdain. 34 MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution Il y avait alors une responsabilité directe du commettant, non en tant que commettant (article 1384, aliéna 5 du Code civil), mais au titre de gardien de la chose (article 1384, aliéna 1 du Code civil). La différence était essentielle pour le préposé qui ne pouvait plus être poursuivi ni par la victime, ni par le commettant. Cette jurisprudence consacrait donc, en fait, une forme d’irresponsabilité du préposé. Au final, la responsabilité du préposé était considérablement restreinte, et ce d’autant plus que le commettant n’exerçait pas systématiquement l’action récursoire contre le préposé. Par conséquent, la contribution réelle du préposé à la dette était aléatoire. Dans des circonstances analogues, le sort du préposé dépendait de l’option procédurale de la victime, de souscription d’un contrat d’assurance par le commettant et de l’utilisation d’un bien appartenant à celui-ci – autant d’éléments extérieurs au préposé. Un sentiment d’injustice ne pouvait manquer de naître de cette absence de sécurité juridique. 2.2 Vers l’irresponsabilité du préposé ? La condition du préposé contrastait avec d’autres jurisprudences qui, dans des situations juridiques analogues, avaient consacré l’irresponsabilité de l’agent d’exécution. Ainsi, la jurisprudence sociale avait finalement conclu à l’irresponsabilité du salarié vis-à-vis de son employeur (1). Mais c’est surtout la jurisprudence administrative consacrant l’irresponsabilité de l’auteur matériel d’une faute de service qui poussa une partie de la doctrine civiliste à franchir le Rubicon pour prôner un revirement jurisprudentiel (2). 2.2.1 La contradiction avec le droit social La responsabilité contractuelle du salarié vis-à-vis de son employeur offre une problématique comparable à celle relative à l’application de l’article 1384, alinéa 5 du Code civil, même si la responsabilité du commettant pour la faute du préposé est normalement de 159 nature extracontractuelle . Pourtant, dans les deux cas, c’est bien un fait de l’agent qui est en cause, qu’il ait causé un préjudice à l’employeur ou à un tiers – et donc, indirectement, 160 au commettant poursuivi par la victime . Et, dans la plupart des cas, le préposé n’est autre que l’employé du commettant. M.-Th. Rives-Lange soulignait ainsi que, « sur le plan de l’équité, on ne peut faire de différence entre la faute du salarié qui, travaillant en atelier, provoque, par exemple, le bris d’une machine, et celle du même salarié qui, appelé à livrer des marchandises à l’extérieur, 161 est à l’origine d’un accident de la circulation » . Le droit positif range les deux situations dans des « tiroirs » différents : responsabilité délictuelle d’une part, contractuelle d’autre e part ; compétence de la 2 Chambre civile de la Cour de cassation (ou de la Chambre criminelle) d’une part, de la Chambre sociale d’autre part. Mais cette distinction est tout à fait artificielle et l’équité voudrait que la même solution soit adoptée dans les deux hypothèses, soit que le salarié préposé soit responsable, soit qu’il ne le soit pas. 159 Ceci quand bien même un rapport contractuel est généralement le fondement du lien de préposition, puisque la victime est un tiers au contrat qui ne peut se prévaloir de l’effet relatif du lien contractuel : article 1165 du Code civil. L’action récursoire du commettant contre le préposé est également de nature extracontractuelle, puisqu’elle ne fait que répercuter une action délictuelle. Cf. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-1. A contrario : M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8 160 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811 161 M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8 MAYER Benoît_2007 35 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 162 Or, depuis un arrêt fondateur de 1958 , la jurisprudence sociale a constamment admis une importante limitation de la responsabilité du salarié vis-à-vis de son employeur, le premier ne pouvant plus être tenu pour responsable des dommages subis par le second qu’en cas de « faute lourde équipotente au dol ». La divergence des deux jurisprudences est encore plus forte après qu’une série d’arrêts de la Chambre sociale, de 1989 à 1992, a 163 rendu la règle pleinement applicable en lui donnant un caractère d’ordre public . Cela mit fin à une pratique qui consistait, pour de nombreux employeurs, à inclure systématiquement une clause contractuelle prévoyant la responsabilité du salarié pour toute faute qu’il viendrait à commettre. L’irresponsabilité du salarié ne devait-elle pas être étendue à l’hypothèse où la victime n’était pas l’employeur, mais un tiers ? Dans les deux cas, ne revenait-il pas à l’employeur de supporter les « risques normaux d’exploitation (…) inhérents à toute activité 164 laborieuse, en quelque sorte statistiquement prévisible » ? Ces risques ne devaient-ils pas « demeurer à la charge de l’entreprise, même s’ils [étaient] dus à une négligence bénigne 165 du travailleur » ? 2.2.2 Les appels de la doctrine à un alignement de la situation du préposé sur celle de l’agent public Face à l’irresponsabilité de principe ou de fait de l’agent public, la responsabilité du préposé 166 était perçue par les 14 millions de salariés français comme une injustice , et ce d’autant plus que le changement de définition de la faute de service – l’abandon du critère objectif relatif à la séparation des pouvoirs, pour le critère subjectif relatif à la protection de l’agent public – ôtait aux privilèges des fonctionnaires tout fondement propre au droit public. L’équité veut que seule une différence significative de condition explique une différence de traitement juridique. Elle interdit manifestement de justifier une divergence importante entre la situation des agents d’exécution en droit public et en droit privé lorsque celle-ci n’est pas justifiée par des considérations propres à l’une de ces branches du droit. Lorsque l’agent public était irresponsable pour protéger l’administration de l’autorité judiciaire, la différence était justifiable. Mais, dès lors que l’irresponsabilité de l’agent public visa à protéger celui-ci, non en tant qu’agent public mais en tant que travailleur, il y avait une injustice, mal ressentie par les travailleurs du secteur privé. Si l’agent public était irresponsable parce qu’il importait de le protéger, et non parce qu’il importait de protéger l’administration, alors rien ne justifiait qu’il n’en aille pas de même du préposé en droit privé. 162 163 Cass. soc. 27 novembre 1958, JCP 1959.II.11143, note Brèthe de la Gressaye ; D.1959.20 note Lindon Ainsi, toute clause contraire insérée dans le contrat de travail est présumée non écrite. Cass. soc. 31 octobre 1989, Bull. civ. V, n° 624 ; RJS 1989, n° 906 ; Cass. soc. 23 janvier 1992, JCP E 1993.II.446 note Ph Delebecque. Voir aussi Cass. soc. 10 novembre 1992, RJS 1993 n°4 : « la clause d'un contrat de travail relative à la responsabilité personnelle du salarié envers son employeur ne peut produire effet, quels qu'en soient les termes, qu'en cas de faute lourde du salarié ». Ce revirement met fin à la pratique courante d’inclure dans un certain nombre de contrats de travail une clause de responsabilité – Cf. Jurisclasseur Travail traité, fascicule 17-12 « Contrat de travail – conclusion », Paul-Henri Antonmattéi, n°94. 164 165 166 36 M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°10 J. Savatier, note sous Rouen, 6 octobre 1964, JCP 1965.II.14139 D.1994.I.124, note Viney, A.1° MAYER Benoît_2007 Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution C’est sur ce raisonnement que s’appuyèrent les différents auteurs – en particulier G. 167 168 169 Viney , B. Puill et M.-Th. Rives-Lange – qui appelèrent le juge judiciaire à consacrer une « faute de service » en droit civil. Le maintien de sa responsabilité créait un risque de condamnations élevées pour des fautes « pardonnables ». Le montant des indemnités pouvait être sans aucune commune mesure avec les revenus du préposé. 170 Une partie de la doctrine mettait en avant la théorie du risque , soulignant que « l’idée de risque justifie que la responsabilité de l’entreprise, hors le cas de faute personnelle du préposé, soit définitive et n’autorise le commettant à aucune action récursoire contre 171 son préposé » . Le préposé ne serait rien de plus que « l’instrument d’exécution de la 172 politique de l’entreprise » . Telle était également la position défendue de longue date par 173 H. et L. Mazeaud, âprement critiquée semble-t-il plus sur l’expression que sur le fond, qui mentionnent que « celui qui recourt aux services d’un préposé ne fait que prolonger son activité propre (…) ; de telle sorte que, quand le préposé agit, tout se passe comme si le 174 commettant agissait lui-même » . Il était également mis en avant que rendre le préposé responsable personnellement et intégralement de tous les dommages causés dans le cadre de ses fonctions « [revenait] à lui faire supporter indirectement les conséquences d’éventuels défauts d’organisation de 175 l’entreprise qui ne lui [étaient] pourtant pas imputables » . La responsabilité du commettant devait donc, du moins tant que la faute n’était pas détachable des fonctions du préposé, n’être pas seulement une garantie, mais une responsabilité directe et sans recours contre le préposé. La solution ne semblait pas, d’ailleurs, être réellement contraire à la lettre du Code civil, car celui-ci laisse une large marge de manœuvre au juge pour articuler responsabilité individuelle de l’article 1382 et responsabilité pour autrui de l’article 1384, alinéa 5. 167 168 169 170 e G. Vedel, P. Delvolvé, Droit administratif, PUF, 2007, 11 édition ; D.1994.126 B. Puill, « Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif ? », JCP G 1996.I.235 M.-T. Rives-Lange, op. cit. C. Eisenmann, « Sur le degré d'originalité du régime de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques », JCP G 1949.I.742 et 751, deuxième article, n°5 171 172 173 174 175 B. Puill, op. cit., n°16 B. Puill, op. cit., n°16 En particulier R. Chapus, 1957, op. cit. n°209sq p.225s. e H. et L. Mazeaud, Traité de la responsabilité civile, t.1, 5 édition, 1957, n°935 G. Viney, 1994, op. cit., A.1° MAYER Benoît_2007 37 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution La jurisprudence Costedoat a profondément modifié l’interprétation prétorienne de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil : ce qui n’était auparavant qu’une garantie de la responsabilité extracontractuelle est soudain devenu une véritable responsabilité du 176 commettant combinée à l’immunité du préposé. Malgré certaines différences, cette nouvelle jurisprudence judiciaire constitue un rapprochement de la « responsabilité du commettant » par rapport à la faute de service (1). Il faut dès lors s’interroger sur l’aboutissement possible de cette convergence de la responsabilité du fait de l’agent d’exécution en droit privé et en droit public (2). Titre 1 : Une transformation de la responsabilité du préposé inspirée du droit administratif La Cour de cassation a créé, depuis l’arrêt Costedoat, un système de responsabilités du commettant et du préposé analogue à celui inventé par le juge administratif. S’inspirant de la faute de service, le juge a défini un domaine où seule la responsabilité du commettant, à l’exclusion de celle du préposé, peut être recherchée (1). Mais cette immunité du préposé a été exclue dans certaines circonstances, créant une situation analogue à celle de la « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service » (2). 1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité du préposé Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation (1) peut être interprété comme la transcription de la faute de service au droit civil (2). 1.1 Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation Après un arrêt de la Chambre commerciale et une période de doutes sur la jurisprudence applicable (1), un arrêt solennel de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a constitué un revirement majeur de jurisprudence (2) : dès lors qu’il a agi dans la limite de ses fonctions, le préposé est à l’abri de toute poursuite, alors que le commettant est pleinement responsable. 1.1.1 A l’origine du revirement : l’arrêt Rochas de la Chambre commerciale Encouragée par les critiques qu’une partie de la doctrine adressait à la jurisprudence traditionnelle, la Chambre commerciale annonça le revirement jurisprudentiel par son arrêt 176 38 Le terme d’« immunité » sera préféré à celui d’« irresponsabilité » : cf. p.62s. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution 177 Rochas du 12 octobre 1993 . Cet arrêt allait, en effet, à l’encontre la jurisprudence précédente selon laquelle l’article 1384, alinéa 5 du Code civil n’excluait pas la recherche de la responsabilité personnelle du préposé. Selon la Chambre commerciale, la Cour d’Appel 178 de Bordeaux avait retenu avec raison que la responsabilité de préposés salariés ne pouvait pas être retenue dès lors qu’ils avaient « agi dans le cadre de la mission qui leur était impartie par leur employeur » et n’en avaient pas « outrepassé les limites ». Il s’agissait donc bel et bien de limiter la responsabilité du préposé à la « faute personnelle susceptible d’engager [sa] responsabilité », selon les termes mêmes de l’arrêt. A défaut d’une telle faute, l’article 1384, alinéa 5, permettait d’établir l’immunité du préposé. Cependant, l’arrêt Rochas créait plus d’interrogations que de réponses. Sa portée était incertaine et, si la plupart des auteurs y voyaient bien un arrêt renouvelant en profondeur 179 les règles de la responsabilité des commettants , certains ne l’analysaient que comme 180 181 un simple cas d’espèce , l’expliquant éventuellement par une faute du commettant . De plus, la Chambre commerciale n’a la charge que d’une petite partie du contentieux de la e 182 responsabilité des commettants, dont la plus grosse partie revient à la 2 Chambre civile 183 et à la Chambre criminelle , et rien ne garantissait un alignement de celles-ci sur la solution proposée. Enfin, si le revirement devait être confirmé, tout restait alors à dire sur la notion de « faute personnelle susceptible d’engager la responsabilité du préposé ». C’est pourquoi l’arrêt Rochas suggérait sans doute plus qu’il ne définissait un nouveau régime de responsabilité du commettant. Il avait surtout le mérite de mettre en évidence l’insuffisance du régime antérieur de la garantie du commettant, insusceptible de protéger efficacement le préposé. Un pas était franchi : il avait été affirmé qu’une nouvelle articulation de la responsabilité du commettant avec celle de son préposé devait être inventé. Par le vocabulaire qu’elle utilisait – en particulier le terme de « faute personnelle » –, la chambre commerciale prenait parti pour un rapprochement du régime de droit administratif et la transposition de la « faute de service » en droit privé. 1.1.2 La consécration du revirement par l’Assemblée plénière : l’arrêt Costedoat D’octobre 1993 à février 2000, étonnamment, aucun arrêt significatif ne prit véritablement 184 position sur la nature de la responsabilité, ou de la garantie, du commettant . Seul un arrêt 177 Cass. Com, 12 octobre 1993, Rochas, D.1994.I.124, note Viney ; JCP 1995.II.22493, note Chabas ; Defrénois 1994.812, obs. Aubert ; RTD civ. 1994.111, obs. Jourdain 178 re CA Bordeaux, 1 chambre A, 8 novembre 1990 179 180 181 182 183 184 G. Viney, 1994, op. cit. ; Jourdain, RTD civ. 1994.111 Aubert, observations, in Defrénois 1994.812 Chabas, JCP 1995.II.22493 compétente pour les litiges de responsabilité civile. compétente en matière criminelle, y compris en matière d’action civile. Cf. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3 p.1018. Cette absence de jurisprudence pendant 6 ans et 4 mois est étonnante comparée à la multiplicité des arrêts de la Cour de cassation à d’autres époques, notamment dans les années suivant l’arrêt Costedoat. Elle pourrait s’expliquer par la timidité du juge, n’osant trancher le dilemme entre un arrêt de règlement et un retour en arrière à une jurisprudence dont on ne pouvait plus nier les défauts. MAYER Benoît_2007 39 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé e 185 de la 1 Chambre civile traita, mais sans vraiment prendre position, de la responsabilité 186 du préposé. C’est seulement le 25 février 2000, à l’occasion de l’arrêt Costedoat , que l’Assemblée plénière de la Cour de cassation mit fin à une période d’incertitude, consacrant à peu de choses près la solution proposée sept ans plus tôt par la Chambre commerciale. En l’espèce, les propriétaires de rizières en Camargue avaient demandé à la société Gyrafrance de procéder à un traitement par herbicides sur des parcelles cultivées. Cette opération a été réalisée par un hélicoptère piloté par M. Costedoat, préposé de la société Gyrafrance. Or, un vent assez fort répandit des produits chimiques sur des parcelles contiguës. Le propriétaire voisin, ayant subi des dommages, engagea une action en responsabilité contre les propriétaires des rizières, la société Gyrafrance et M. Costedoat. Le pourvoi de M. Costedoat reprochait à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir retenu sa responsabilité. L’Assemblée plénière reçut le pourvoi et conclut à la cassation, considérant que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par le commettant ». Par conséquent, M. Costedoat, quoique fautif, n’était toutefois pas responsable puisqu’il avait agi sans excéder les limites de sa mission. Ce considérant est analogue à celui de l’arrêt Rochas, à ceci près qu’il ne fait pas 187 sienne la notion de « faute personnelle » . Dans les deux cas, l’article 1384, alinéa 5 est interprété pour consacrer une responsabilité principale du commettant – et non plus une simple garantie ouvrant un recours subrogatoire contre le préposé. Lorsqu’il agit dans le cadre de la mission que le commettant lui a confiée, le préposé n’est, en quelque sorte, qu’un organe du commettant : s’il commet une faute, c’est le commettant, et le commettant seul, qui est responsable. La responsabilité du préposé ne peut pas être engagée. L’article 1384, aliéna 5 est donc désormais interprété dans le sens d’une protection du préposé, et non de la victime. La jurisprudence postérieure à l’arrêt Costedoat appliqua constamment cette 188 189 solution . Tout au plus remarque-t-on une différence terminologique dans les arrêts rendus par la Chambre criminelle, qui préfère limiter l’immunité du préposé à « l’exercice de 190 191 ses fonctions » ou à « l’exercice normal de ses attributions » qu’à l’action « dans les 185 e Cass. 1 Civ, 30 octobre 1995, Bull. civ. I n°383 ; RCA 1996, com. n°26 ; RTD civ. 1996, p.136, obs. P. Jourdain, JPC G 1996, I, 3944, obs. G. Viney. Voir aussi G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3, p.1019. 186 Cass. Ass. plén., 25 février 2000, Costedoat, Bull. civ. n°2 ; R., p.257 et 315, notes Kessous et Desportes ; GAJC, n°217 ; BICC, 15 avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; D.2000.673, note Brun ; D Somm. 467, obs. Delebecque ; JCP G 2000.II.10295, concl. Kessous, note Billiau ; JCP G 2000.I.241, n°16, obs. Viney ; Gaz. Pal. 2002.2.1462, note Rinaldi ; RCA 2000, Chr. n°11, par Groutel, et Chr. n°22, par Radé ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain. 187 188 La référence au droit administratif était-elle trop « directe » pour être consacrée par le juge judiciaire ? e e Cass. civ. 1 , 12 juillet 2007, JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Chr. P. Stoffel-Munck ; - Cass. Civ 2 , 5 octobre 2006, Juris-Data n° 2006-035255, RCA 2006, comm. 377, puis 21 février 2008, n°06-21182 ; - Cass. crim., 23 janv. 2001, Juris-Data n° 2001-008884, RCA 2001, comm. 212, obs. H. Groutel ; Cass. com. 8 février 2005, n°01-16820, non publié. Les juridictions du fond ont également adopté cette solution, apparemment sans protestation. Voir par exemple : CA Amiens, 1er févr. 2000, Union nationale du commerce de gros en fruits et légumes : Bull. inf. C. cass. n° 533 du 15 avr. 2001, n° 420. - CA Colmar, 23 août 2005 : JurisData n° 2005-288712. 189 190 40 RCA 2001, n°212, note Groutel Cass. Crim., 13 mars 2007, RCA n°7, juillet 2007, étude 13, A. Vialard MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution limites de la mission qui lui était impartie » – cette démarcation terminologique ne semblant pas produire de divergences quant au fond du droit appliqué. 1.2 Un rapprochement du droit administratif La Cour de cassation a manifestement entendu s’inspirer du régime de la responsabilité de l’administration pour faute de service (1). La solution qu’elle consacre est analogue, dans ses principaux effets vis-à-vis de l’agent d’exécution, à celle inventée par le juge administratif (2). 1.2.1 L’argumentaire de l’avocat général Kessous en faveur du rapprochement Il ne fait guère de doute que la solution adoptée par la Cour de cassation procède d’une inspiration du régime de la responsabilité administrative pour faute de service. Ainsi, l’avocat général Kessous, dans ses conclusions préparatoires à l’arrêt Costedoat, soulignait « les points communs des jurisprudences de la chambre commerciale et des tribunaux administratifs », faisant allusion à l’arrêt Rochas, pour prôner l’adoption de la même 192 solution . En effet, ce n’est pas par coïncidence que ce premier arrêt de 1993 mentionna la notion de « faute personnelle susceptible d’engager [la] responsabilité [du préposé] », tout comme le Tribunal des Conflits avait noté, dans son arrêt fondateur de 1873, que M. Pelletier n’imputait « aucun fait personnel de nature à engager leur responsabilité personnelle » 193 aux fonctionnaires qu’il poursuivait . Et, si la Chambre commerciale rejeta la « faute 194 personnelle », n’était-ce pas pour consacrer, implicitement, une « faute de service » ? Le parallèle est flagrant, dans l’arrêt Rochas tout comme dans les arrêts postérieurs, même si les notions publicistes de « faute personnelle », ou à plus forte raison de « faute de service », ne sont guère employées. Plus précisément, l’impérative protection de l’agent d’exécution semble fonder cette 195 jurisprudence, comme elle justifia la faute de service en droit administratif . Dans les deux cas, il s’agit de protéger un agent d’exécution « plus ou moins sujet à l’erreur », selon l’expression que Laferrière utilisait pour définir l’administrateur, auteur de la faute de 196 service . L’épandage agricole réalisé malgré un vent « assez fort » ne correspond-il pas 197 à « la marge de mauvais fonctionnement qu’il faut attendre de la diligence moyenne » ? Dans un cas comme dans l’autre, la faute pardonnée à l’agent d’exécution est une faute 198 « davantage imputable à la fonction exercée qu’au comportement de l’agent lui-même » . 191 192 193 Groutel, op. cit. Conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat. En ce sens, conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat : « La référence faite par la chambre commerciale à la faute personnelle fait inévitablement penser à la jurisprudence administrative. » 194 En ce sens : B. Puill, op. cit., n°14 p.239 195 Le fondement objectif de la faute de service (protection de l’administration) fut ainsi remplacé par le fondement subjectif (protection de l’agent). Cf. p. 19s. 196 197 198 Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, 2e édition, vol. 2, p.648. M. Hauriou, note sous CE, 5 février 1911, Anguet : S.1911, 3, p.137. B. Puill, op. cit., n°13 p.239 MAYER Benoît_2007 41 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 199 Dans les conclusions de l’avocat général Kessous sur l’arrêt Costedoat, la volonté d’un rapprochement avec le droit administratif est explicite. Si l’autonomie de la responsabilité administrative est due à « des raisons historiques », il paraît toutefois « de bonne politique judiciaire qu’à des situations comparables, les deux ordres de juridiction empruntent les mêmes voies ». En droit civil, il convient par conséquent, selon l’avocat 200 général, que « le salarié s’efface devant l’entreprise : (…) c’est elle qui agit par lui et c’est donc elle seulement qui doit être responsable ». 1.2.2 Des garanties analogues apportées à l’agent d’exécution En droit administratif, si la faute de service assure une protection efficace de l’agent public, c’est d’abord grâce à l’absence de recours de la victime contre l’agent d’exécution, ce qui découle de l’arrêt Pelletier. L’adoption de cette solution en droit privé ne fait guère de doute : elle découle en effet de l’arrêt Costedoat. Mais, pour que la protection de l’agent d’exécution soit complète, deux autres éléments sont nécessaires. D’une part, il faut qu’il soit impossible au commettant condamné de recourir contre son agent d’exécution (1). D’autre part, il faut que l’agent d’exécution injustement condamné ait la possibilité de mettre l’indemnisation à la charge du commettant (2). 1.2.2.1 L’absence d’action réelle du commettant contre l’agent d’exécution Il importe que le commettant ne puisse exercer d’action contre le préposé – sans quoi la responsabilité de celui-ci ne serait pas définitivement écartée, mais seulement différée. En 201 droit administratif, la jurisprudence constante fut rappelée par l’arrêt Laruelle, selon lequel les agents publics « ne sont pas pécuniairement responsables (…) des conséquences dommageables de leurs fautes de service ». Qu’en est-il en droit civil ? e Dans la ligne de l’arrêt Costedoat, la 2 Chambre civile interdit justement cette action récursoire du commettant contre le préposé dans un arrêt du 20 décembre 202 2007 : la victime, dépourvue d’action contre le préposé, n’a rien à transmettre par subrogation au commettant. Le même arrêt souligne que le commettant employeur peut éventuellement rechercher la responsabilité contractuelle du préposé salarié devant la juridiction prud’homale. Ce recours personnel en responsabilité contractuelle obéit à des 203 conditions propres et n’a en aucun cas la nature d’un recours subrogatoire ; il doit être 204 rapproché du droit disciplinaire de la fonction publique . 199 « On comprend que quelques auteurs aient souhaité un rapprochement entre les jurisprudences administratives et judiciaires. » Conclusions sous arrêt Costedoat. 200 Il convient de noter ici le passage du préposé au salarié et du commettant à l’entreprise. Cette assimilation sera à l’origine de nombreuses critiques soulignant les défauts de la solution adoptée lorsqu’elle est appliquée aux autres hypothèses que celle du commettant - entreprise. – notamment G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; N. Molfessis, « La jurisprudence relative à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés ou l’irrésistible enlisement de la Cour de Cassation », in Mélanges Gobert, Economica, 2004, p. 495s. ; G. Durry, « Plaidoyer pour une révision de la jurisprudence Costedoat », in Mélanges Gobert, Economica, 2004, p. 549s. 201 Cf. note n°22. 202 Cass. 2e Civ, 20 décembre 2007, RCA n°2, février 2008, comm. 50, Groutel : « Le commettant ne [dispose] d’aucune action récursoire contre son salarié dès lors qu’il ne peut se prévaloir d’une subrogation dans les droits de la victime, laquelle ne dispose d’aucune action contre le préposé qui a agi dans les limites de la mission qui lui était impartie ». 203 42 Le succès de l’action prud’homale sera conditionné par l’existence d’une faute lourde. Cf. note n°48. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution 1.2.2.2 L’action réelle de l’agent d’exécution condamné contre le commettant Ni la victime, ni le commettant ne disposent d’une action réelle contre le préposé : celui-ci ne peut donc pas, en principe, être condamné. Il arrive cependant qu’il soit condamné dans des circonstances particulières, notamment du fait de la coexistence de deux fautes. En droit administratif, la solution des arrêts Delville-Papon est constante, confirmée par le statut général de la fonction publique : l’administration doit prendre à sa charge les indemnités 205 auxquelles son agent est condamné pour une faute de service . En va-t-il de même en droit civil ? L’hypothèse d’une condamnation de celui-ci pour une faute commise alors qu’il agissait « dans les limites de la mission qui lui était impartie » pourrait se produire également, par exemple dans une hypothèse de cumul de fautes similaire à celle rencontrée en droit administratif. Elle est cependant peu probable : le préposé aurait plutôt intérêt à appeler le commettant en garantie dans l’instance judiciaire – ce que l’agent public ne peut faire à l’encontre de l’administration, dualité juridictionnelle oblige. La question se poserait alors plutôt au niveau de l’appel du commettant en garantie dans l’instance même. Seule l’acceptation de cet appel en garantie et, à défaut, de ce recours subrogatoire, permettrait à la Cour de cassation de « boucler la boucle » de l’immunité du préposé. Avant l’arrêt Costedoat, plusieurs arrêts ont logiquement refusé au préposé d’appeler 206 207 son commettant en garantie ou d’exercer contre lui une action récursoire . Si le juge judiciaire ne semble pas s’être prononcé sur la question depuis son revirement en 2000, il devrait logiquement être amené à consacrer ces deux possibilités procédurales au profit du préposé injustement poursuivi ou injustement condamné. 1.3 Le maintien de particularismes du droit privé Si la jurisprudence civile s’est inspirée des grandes lignes du régime de la « faute de service », deux différences subsistent pourtant entre celle-ci et le nouveau régime de la responsabilité du commettant. D’une part, le juge judiciaire n’a pas entendu consacrer une responsabilité directe du commettant : la condition du fait imputable au préposé est maintenue et distingue la responsabilité du commettant de celle de l’administration (1). Par ailleurs, des ambiguïtés demeurent quant à la situation du préposé : celui-ci est-il irresponsable, ou simplement immunisé (2) ? 1.3.1 Le maintien de la condition d’imputabilité du fait dommageable au préposé Dans le cadre de la faute de service, l’identité de l’agent public responsable n’importe pas. La conséquence en est d’abord que la responsabilité administrative est engagée dès lors que le fautif est un agent public, bien que celui-ci ne soit pas identifié parmi l’ensemble des agents d’une administration. Ainsi, l’État avait été condamné parce qu’un soldat avait été tué, pendant un exercice, par un coup de feu « provenant d’une troupe participant à des 204 Des sanctions disciplinaires peuvent êtres prononcées contre l’agent public auteur d’une faute de service. C. Bertrand, Fonction publique – Régime disciplinaire, in Jurisclasseur Administratif, n°2. Soulignons d’ailleurs que la faute disciplinaire est, en principe, « commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » (selon le Statut général de la Fonction publique, art. 29). 205 voir p. 19s. 206 207 par exemple : Cass. 2e civ., 8 déc. 1966 : Bull. civ. 1966, II, n° 957. par exemple : Cass. 2e civ., 28 oct. 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 214. MAYER Benoît_2007 43 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 208 manœuvres militaires » . La faute de service est également constituée, par exemple, lors d’une erreur dans la fourniture d’un flacon de sang, bien que l’auteur de l’erreur ne soit pas 209 identifié . Dans ces circonstances, l’auteur de la faute, non identifié, existe incontestablement : un agent public est à l’origine du coup de feu ou de l’erreur de flacon de sang. Mais il en va différemment dans d’autres arrêts, où il n’y a pas véritablement d’auteur humain à l’origine de la défaillance du service. Dans cette seconde hypothèse, l’anonymat de la faute de service n’est pas dû à l’absence de l’information sur l’identité de l’auteur, mais à l’absence d’un individu individuellement fautif. La faute est le produit d’actions individuelles non fautives. Tel est en particulier le cas d’une carence ou d’un retard à agir, lorsque aucun agent n’avait expressément pour fonction d’agir, ce qui est dû à une mauvaise organisation du service. Ainsi, le retard à agir d’un service public de rééducation alors qu’un pensionnaire s’était enfui est une « négligence constitutive d’une faute » dont l’auteur ne peut pas être 210 individualisé . Dès lors, l’anonymat de la faute de service implique qu’« il n’y a pas à 211 rechercher si [la faute] serait imputable à un certain agent du service » . La faute de service, faute de l’administration, fonde une responsabilité directe de celle-ci, et non plus 212 une responsabilité pour autrui. La faute est celle du service : elle est constituée par le 213 manquement de l’administration à une obligation qui lui incombe . En va-t-il de même de la responsabilité du commettant depuis l’arrêt Costedoat ? Rien n’est moins sûr. Avant l’arrêt Costedoat, il fallait que la faute soit imputable à un préposé pour que la 214 responsabilité du commettant puisse être engagée . Une seule restriction existait : si le commettant avait plusieurs préposés – par exemple, une entreprise employant plusieurs salariés –, il suffisait au demandeur de prouver que seule la faute de l’un des préposés 215 pouvait être à l’origine du préjudice, sans forcément devoir identifier le préposé fautif . La solution est similaire à celle du coup de feu tiré par un agent public non identifié. Mais la responsabilité du commettant n’était pas engagée lorsque aucune faute n’était imputable à 216 un préposé . Autrement dit, peu importait que l’auteur individuel ne soit pas identifié, tant que la faute était imputable à l’action isolée d’un préposé. Au lendemain de l’arrêt Costedoat, la jurisprudence civile a hésité avant de maintenir la condition d’imputabilité de la faute à un préposé. Certains arrêts de la Cour de cassation ont 208 209 CE, 17 février 1905, Auxerre, S. 1905.III.114, note Hauriou. CE, 6 octobre 1976, Société Clinique Chirurgicale Maison Rose, RDP, 1977, p.512 210 211 212 CE, 15 octobre 1975, Département Côtes du Nord, RDP 1976, p.391 R. Bonnard, notes sous CE, 23 janvier 1931, Garcin, S. 1931.III p.97 Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78 213 214 215 Dans ce sens : M. Paillet, « Faute de service », in Jurisclasseur Administratif, fascicules 818 (« Notion ») cf. p. 36s. e Cass 2 civ, 21 avril 1966, n°65-11.637, Bull. civ. II, n°454, p.322. D’après J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard- Sébastien, op. cit., n°555 p.253. 216 Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78 44 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution d’abord admis la responsabilité du commettant dont le préposé avait commis un dommage, 217 sans relever explicitement d’acte illicite imputable au préposé . Par ailleurs, le même juge confirmait que les parents étaient responsables des faits de leur enfant, même si celui218 ci n’avait pas commis de faute , signe d’une attention renforcée à l’indemnisation des victimes. 219 Pourtant, encouragée par les juridictions du second degré , la Cour de cassation se prononça finalement dans le sens du maintien de la condition de l’imputabilité du fait au 220 préposé . Ainsi, le dommage causé par un joueur de football professionnel n’engage la responsabilité de la société employant les joueurs salariés de l’équipe adverse que s’il est prouvé que le dommage a été causé « par [la] faute caractérisée par une violation des règles de jeu » de l’un des joueurs. Dès lors, contrairement à la responsabilité de l’administration, la responsabilité du commettant est encore une responsabilité par l’intermédiaire du fait dommageable imputable à autrui – généralement la faute d’autrui –, donc une responsabilité indirecte. L’avant-projet Catala reprend d’ailleurs cette solution, puisque son article 1355, alinéa 5, dispose que la responsabilité du commettant « suppose la preuve d’un fait de nature à engager la responsabilité de l’auteur direct du dommage ». La responsabilité du commettant se différencie en cela de la faute de service, faute du service. Pourtant, la faute du service, anonyme et non imputable à un agent public, possède en réalité un équivalent en droit privé, dans la responsabilité de droit commun du 221 commettant, même personne morale . La responsabilité de cette dernière peut, en effet, 222 être recherchée sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil tout autant que celle de la personne physique. Le demandeur en réparation devra alors prouver une faute du commettant, c’est-à-dire son manquement à une obligation qui lui incombe. La victime devra 223 choisir entre poursuivre le commettant ou poursuivre la personne morale . Dans les deux cas, la preuve à apporter ne sera pas la même. Pour engager la responsabilité du préposé, la victime devra prouver la faute du préposé. Si elle poursuit le commettant, elle devra 217 e e Cass. 2 Civ, 4 octobre 2002, Jurisdata n°2002-015982, Bull. civ. 2002, 2, n°238 ; RCA 2003, comm. n°3 ; - Cass 2 Civ, 24 octobre 2002, RCA 2003, comm. n°3. 218 Cass Ass. plén., 9 mai 1984, Fullenwarth, Bull. civ. n°4 ; R., p. 104 ; GAJC, n°208-209 ; D. 1984.525, concl. Cabannes, note Chabas ; JCP 1983.II.20255, note Dejean de la Bâtie ; RTD civ 1984.508, obs. J. Huet. La règle posée par l’arrêt Fullenwarth e est confirmée dans les années 2000 : Civ 2 , 10 mai 2001, Levert, Bull. civ. II, n°96 ; R. p.435 ; D. 2001.2851, rapp. Guerder, note tournafond ; D. 2002.Somm. 1315, obs. D. Mazeaud ; JCP G, 2001.II.10613, note J. Mouly ; JCP G, 2002.I.124, n°20s., obs. Viney ; Defrénois, 2001.1275, note Savaux ; RCA, 2001.Chron.18, par Groutel ; Dr. fam., 2002.Chron.7, par J. Julien ; RJPF, 2001-9/41, note Chabas ; Petites affiches, 3 décembre 2001, note F. Niboyet ; RTD civ. 2001.601, obs. Jourdain. 219 e CA Toulouse, 3 Chambre I, 19 février 2002, SARL Roller c/ CPAM Haute Garonne, Cah. jurispr. Aquitaine 2002-2, To 172, e obs. J. Julien ; - CA Paris, 1 Chambre A, 9 décembre 2002, SA OS Paris Saint-Germain Football c/ CPAM Côte d’Armor, RCA 2003, comm. 91, obs. C. Radé, 220 e Cass. 2 Civ., 8 avr. 2004, RCA, 2004, chr. 15, C. Radé ; JCP G, 2004, II, 10131, note Imbert ; D. 2004, p. 2601, note Serinet ; Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-13.943, non publié au bulletin 221 Cf. P. Jourdain, « Droit à réparation – Responsabilité fondée sur la faute – Responsabilité du fait personnel », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 123, n°8s. 222 Cass. civ., 15 janvier 1872, DP 1872, I, p.165 ; - Cass. civ., 28 novembre 1876, DP 1877, 1, p.65 ; - Cass civ., 22 mars 1892, DP 1892, 1, p.449 223 e Dans ce sens : Cass Civ 2 , 17 juillet 1967, Gaz. Pal. 1967, 2, p. 235, note C. Blaevoët ; RTD civ. 1968, p. 149, obs. G. Durry MAYER Benoît_2007 45 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé prouver la faute de celui-ci. Le droit civil distingue ainsi la procédure en cas de faute de service ou du service. 1.3.2 La contribution de l’assurance du préposé Une autre différence existe entre les agents d’exécution en droit privé et en droit public. Dans le cadre de la faute de service, la protection prétorienne de l’agent public s’étend également à l’assurance de celui-ci. L’agent public est irresponsable : par conséquent, la victime ne peut pas poursuivre l’assurance de l’agent fautif. Si l’assurance de l’agent est tout de même 224 condamnée, elle dispose alors d’un recours contre l’administration au même titre que l’agent public. On en déduit facilement que l’administration, de même qu’elle ne peut pas se retourner contre son agent, ne peut pas non plus se retourner contre l’assurance de celui-ci. 225 Dans un arrêt du 12 juillet 2007 , le juge judiciaire s’est écarté de cette solution et a accordé un recours à l’assurance du commettant contre l’assurance du préposé. La solution est motivée par le fait que le préposé dispose d’une immunité, mais demeure responsable. Cette immunité personnelle ne saurait profiter à son assurance. La solution est étrange. Le préposé ne supporte plus l’élément aléatoire de l’accident, mais en supporte la charge financière mutualisée dès lors qu’il souscrit à un contrat d’assurance. La solution importe particulièrement dans des métiers « à risque », telles que les professions médicales. Cette jurisprudence semble fondée sur la volonté de protéger la victime. L’arrêt Costedoat a privé celle-ci du bénéfice antérieur d’un double débiteur. En droit administratif, il importe peu à la victime de ne pas pouvoir poursuivre l’agent d’exécution, dès lors qu’elle peut poursuivre l’administration qui lui offre les meilleures garanties de solvabilité. Il n’en va 226 pas de même en droit privé : le commettant peut être insolvable . Or, si l’assurance du commettant peut se retourner contre celle du préposé, il doit également être possible à la victime de poursuivre directement l’assurance du préposé. Cette action de la victime contre l’assurance du préposé permettrait alors de sécuriser les intérêts de la victime : celle-ci sera indemnisée malgré l’insolvabilité du commettant, pourvu toutefois que le préposé soit assuré. Pour autant, l’arrêt de la Cour de cassation pose un principe large, selon lequel le préposé ne profite que d’une immunité personnelle. Faudra-t-il en déduire, par exemple, que les héritiers du préposé en sont exclus ? 2/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité du préposé 224 Ainsi, l’assurance est subrogée dans les droits de l’agent public et peut réclamer la prise en charge des indemnités qu’elle a payées à la victime d’une faute de service : CE 4 juill. 1990, Sté d'assurances Le sou médical c/ Centre hospitalier général de Gap, Rec. CE, tables, p. 984. 225 Cass. 1e Civ, 12 juillet 2007, n°06-12.624, Bull. civ. 2007, II, 10162, note S. Hocquet-Berg ; D. 2007, p.2908, note S. Porchy- Simon ; JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Stoffel-Munck. « Considérant (…) que cette immunité n'emportant pas l'irresponsabilité de son bénéficiaire, la cour d'appel saisie du recours subrogatoire de l'assureur du commettant, déclaré responsable du fait de son préposé, a exactement énoncé que l'immunité bénéficiant à M.Y..., ne faisait pas obstacle à l'exercice, par la société Generali assurances IARD, de son recours subrogatoire à l'encontre de la société Le Sou médical, tenue, en sa qualité d'assureur de responsabilité de M.Y..., à prendre en charge les conséquences dommageables des fautes commises par son assuré ». 226 46 cf. p. 81s. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution En dehors de l’application de la jurisprudence Costedoat et de la responsabilité du préposé, un champ de responsabilité personnelle exclusive du préposé est bien entendu maintenu lorsque les conditions d’implication du commettant ne sont pas réunies, en particulier en 227 cas d’abus de fonctions . Le parallèle entre la faute du préposé insusceptible d’impliquer le commettant et la faute de l’agent public que le juge administratif qualifie de « purement personnelle » est évident : dans les deux cas, le régime dérogatoire de responsabilité pour autrui est simplement mis à l’écart, et l’agent d’exécution est responsable de son propre fait selon le droit commun de la responsabilité civile. Entre la faute « purement personnelle » excluant la responsabilité du service et la « faute de service » emportant immunité de l’agent public, le droit administratif a également consacré l’existence d’une faute personnelle dont l’administration devait répondre, sous réserve de pouvoir exercer une action récursoire contre son agent. De même, le juge judiciaire, lorsqu’il a consacré une « faute de service » s’opposant à la « faute personnelle », a souhaité maintenir un domaine intermédiaire dans lequel le commettant serait le simple garant de son préposé. Il y a alors survivance de l’ancienne jurisprudence : le commettant et le préposé sont obligés à la dette, mais seul le préposé doit supporter la contribution finale à la dette. Ce régime intermédiaire a été appliqué dans deux domaines différents. Dans la première hypothèse, le préposé qui n’a pas agi « dans les limites de [sa] mission » ne s’exonère pas de sa responsabilité personnelle ; mais, s’il n’a pas commis d’abus de fonctions, le commettant peut, lui aussi, être condamné à indemniser la victime. Il y a alors une obligation à la dette concurrente du commettant et du préposé ; mais la contribution finale à la dette doit être supportée par le seul préposé. Cette hypothèse est tout à fait analogue à la théorie publiciste du cumul de responsabilité et de la « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service » (1). Une autre hypothèse de double obligation à la dette est celle de la faute pénale du préposé. Dans ce domaine, la jurisprudence civile manque encore de cohérence (2). 2.1 La « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec la mission du préposé » L’arrêt Costedoat restreignait expressément l’immunité du préposé à la circonstance où celui-ci avait agi « dans les limites de la mission qui lui [avait] été impartie par son commettant ». Par ailleurs, la jurisprudence avait établi, depuis 1988, que le commettant 228 était déchargé de toute obligation dès lors qu’il y avait un « abus de fonctions » . Fallaitil, suite à l’arrêt Costedoat, assimiler l’« abus de fonctions », déchargeant le commettant de toute obligation, et l’ « excès des limites de la mission », mettant fin à l’immunité du 229 préposé ? Un auteur soutint l’affirmative : il fallait engager soit la responsabilité exclusive du 230 préposé, soit la responsabilité exclusive du commettant . Autrement dit, si le préposé n’avait pas agi dans le cadre de ses fonctions, alors il avait commis un abus de fonctions 227 228 229 cf. p. 40 40s. cf. p. 40s. L’hypothèse où le préposé aurait agi dans les limites de sa mission mais aurait commis un abus de fonctions, et où, par conséquent, ni le préposé, ni le commettant ne serait responsable, peut heureusement être exclue, notamment du fait de la définition très stricte de l’abus de fonctions. 230 Hubert Groutel, RCA., 2000, chron. n°11. MAYER Benoît_2007 47 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé que le commettant pouvait invoquer pour se décharger de toute obligation. Ainsi, l’obligation à la dette n’aurait jamais été distinguée de la contribution finale à la dette et aucune action récursoire n’aurait donc été nécessaire : il n’y aurait pas eu de survivance de la jurisprudence ancienne. Cette solution aurait incontestablement eu le mérite de la simplicité. En effet, il ne fait guère de doute que la consécration d’une notion supplémentaire puisse être source de difficultés d’appréciation, surtout dans un domaine où différentes chambres de la Cour de cassation sont amenées à se prononcer concurremment. Il semble cependant que cette solution aurait pu conduire trop loin la restriction des droits de la victime. Surtout, elle aurait restreint la responsabilité du préposé au-delà du raisonnable. L’abus de fonctions, immunisant le commettant, avait en effet été défini très strictement par la jurisprudence de 231 la Cour de cassation. Ainsi, un arrêt de 1998 rendu par la Chambre criminelle n’avait pas qualifié d’abus de fonctions l’assassinat de son chef de service par un préposé – peut-on alors considérer que le préposé avait agi dans les limites de sa mission ? Il n’était sans 232 233 doute pas opportun d’exclure toute responsabilité du préposé dans un tel cas , . C’est pourquoi la majorité de la doctrine fut favorable à une distinction de l’abus de fonctions, délimitant l’immunité du commettant, et du dépassement de la mission, délimitant l’immunité du préposé. Il devait exister un domaine où il n’y avait pas eu d’« abus de fonction », du moins selon la définition jurisprudentielle restrictive en vigueur, mais où le préposé avait manifestement dépassé les limites de la mission qui lui était impartie et n’était donc pas à l’abri des poursuites de la victime et du commettant. Si, apparemment, cette solution n’a pas encore été explicitement consacrée par la Cour de cassation, elle ressort, 234 « au moins implicitement », dans certains arrêts où le préposé fut condamné alors qu’« il n’est pas douteux que, si la victime avait dirigé son action contre le commettant, celuici aurait été déclaré responsable de leurs conséquences dommageables et n’aurait pu 235 s’exonérer en invoquant un prétendu ″abus de fonctions″ » . Il existe donc un domaine intermédiaire entre, d’une part, l’immunité du préposé qui a agi dans les limites de sa mission, et, d’autre part, l’exclusion de la responsabilité du commettant justifiée par la théorie de l’abus de fonctions. Cette hypothèse est semblable à ce que le droit administratif connaît sous la nom de « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec les fonctions » : dans les deux cas, la mission de l’agent d’exécution recouvre en effet la faute personnelle. Une solution analogue au droit administratif serait opportune : préposé et commettant seraient concurremment obligés à la dette, mais ce serait au préposé d’en supporter la contribution finale. Il y aurait ainsi une survivance de l’ancienne jurisprudence. D’une part, 231 232 Cass. crim., 25 mars 1998, bull. crim. n°113. JCP G 2000.II.10295, concl. Kessous, note Billiau, n°8 ,p.750 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; n°812-2 p.1026 ; D.2000.673, note Brun, n°28sq p.676sq. 233 Bien entendu, il aurait également été possible de réformer la définition de l’abus de fonctions pour pouvoir en faire la frontière de l’immunité du préposé, ou plus simplement de remplacer le critère négatif de l’abus de fonctions par le critère positif de l’action du préposé dans les limites de sa mission. 234 Il s’agit d’abord d’arrêts rendus en matière criminelle, notamment Ass. 14 décembre 2001, Cousin. La même solution fut consacrée suite à la condamnation pénale du préposé, et alors que la responsabilité du commettant était recherchée dans une instance e postérieure : 2 Civ, 16 juin 2005. Voir aussi Crim. 29 mars 2006, Bull. crim. 2006 n°91 et Soc. 21 juin 2006, D.2006.IR p.1770 obs. C. Dechriste. 235 48 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution 236 la victime devrait pouvoir poursuivre le commettant ou le préposé, voire les deux . D’autre part, le commettant ne devrait être condamné qu’en tant que garant de son préposé et, à ce 237 titre, disposer d’une action en garantie contre lui –qui devrait être interdit à son assurance . En effet, le préposé doit répondre personnellement de ce qu’il fait en-dehors de sa mission ; mais le commettant doit garantir ce qui n’est pas insusceptible d’être rattaché à son activité. Cette solution serait donc la plus favorable à la victime, car celle-ci pourrait poursuivre deux personnes. Il reste encore, cependant, à définir l’« excès des limites de la mission » délimitant l’immunité du préposé – problème analogue à la recherche perpétuelle d’un critère concret de la faute personnelle en droit administratif. La jurisprudence n’est encore d’aucune aide, 238 restant « pour l’instant très indécise » . Sans doute faudrait-il retenir la responsabilité du préposé dès lors qu’il a agi à l’encontre des ordres du commettant ou à des fins personnelles. La gravité de la faute qu’il commet pourrait également être prise en compte pour sanctionner 239 la faute intentionnelle ou dolosive , ou la faute lourde, en s’inspirant de la jurisprudence 240 sociale . 2.2 La faute pénale, talon d’Achille du système Costedoat Le juge judiciaire a retenu un second domaine de faute engageant la responsabilité de l’agent d’exécution, en matière pénale, solution très différente de celle adoptée par le juge administratif. Il conviendra d’exposer les données du problème résultant de la nature pénale de la faute du préposé (1), avant de présenter les solutions différentes adoptées par les jurisprudences administrative (2) et judiciaire (3). 2.2.1 Les données du problème Une faute civile peut être par ailleurs constitutive d’une faute pénale. La faute pénale engage toujours la responsabilité pénale personnelle de l’auteur de l’infraction : il n’y a 241 pas de responsabilité pénale pour autrui . Or, l’auteur d’une infraction condamné par une juridiction pénale pourra aussi être condamné à indemniser des victimes, sous le visa de 242 l’article 2 du Code de procédure pénale . Lorsque le commettant n’était que garant de son préposé, cette règle ne représentait pas de difficulté particulière : le préposé était en effet responsable, devant la juridiction 243 pénale comme devant la juridiction civile. Mais une « irréductible contradiction » est apparue en la matière avec la jurisprudence Costedoat et la consécration d’une immunité du préposé qui n’a pas excédé les limites de sa mission. L’immunité civile du préposé ne 236 237 238 239 240 241 242 Billiau, 2000, op. cit., n°9 p.751. Sauf action malveillante du préposé. C’est ce qui découle de l’article L.121-12.3 du Code des assurances : cf. p. 45s. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027. En ce sens : Brun, 2000, op. cit., n°22 p.677. C’est ce qui résulte de l’article 121-1 du Nouveau Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ». « L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. » 243 selon l’expression de Billiau, 2000, op. cit., n°13 p.752. MAYER Benoît_2007 49 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 244 vaut évidemment pas immunité pénale . Deux manières de faire cohabiter la jurisprudence Costedoat et la responsabilité pénale du préposé sont alors envisageables. La première solution consisterait à appliquer l’immunité civile du préposé devant les juridictions pénales. Mais cela ne revient-il pas à abroger partiellement l’article 2 du Code de procédure pénale, du moins à faire une entorse au principe de concordance des actions publique et civile ? Une seconde solution consisterait au contraire à ne pas reconnaître l’immunité civile du préposé devant le juge pénal. Alors, à défaut d’une contradiction entre juridictions, la responsabilité civile du préposé devrait également être maintenue par le juge civil lorsque la faute du préposé constitue une infraction qui pourrait être condamnée par le juge pénal, 245 ou aurait pu l’être . L’immunité du préposé ne s’appliquerait par conséquent que dans l’hypothèse où le délit civil n’est pas constitutif d’une infraction. Mais cette hypothèse est bien rare : dans beaucoup de cas où une faute civile est retenue, une faute pénale 246 pourrait également l’être . L’affaire Costedoat en est d’ailleurs une illustration : le pilote de l’hélicoptère ne s’était-il pas rendu coupable du délit de dégradation d’un bien appartenant 247 à autrui ? Par conséquent, cette seconde solution consisterait, si elle était appliquée 248 systématiquement, à limiter énormément la portée de la nouvelle jurisprudence . 2.2.2 En droit public : la qualification autonome de la faute de service La jurisprudence administrative a consacré l’autonomie des notions de « faute de service » et de « faute personnelle », en particulier par rapport à la faute pénale. Ainsi, si la faute pénale commise dans le service par l’agent constituera généralement une faute personnelle, 249 « la coïncidence n’est pas absolue » . L’arrêt Thepaz du Tribunal des Conflits a disposé 250 qu’une faute pénale de l’individu peut présenter les caractères de la faute de service . La 251 même position a été admise par la Cour de cassation . La compétence du juge pénal pour 244 245 246 Billiau, 2000, op. cit, n°12. On imagine que la solution vaudrait alors même lorsque l’action publique est prescrite. « La plupart des fautes commises par un préposé, si le Ministère public veut bien s’en donner la peine, sont susceptibles de recevoir une qualification pénale ». Cf. A. Vialard, « Les nouvelles frontières de la jurisprudence Costedoat », RCA, juillet 2007, n°7, étude 13. 247 Cf. article L322-1 du Code pénal : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. » 248 Cette seconde solution pose également d’insurmontables problèmes procéduraux. Il serait pour le moins délicat, pour le juge civil, de se prononcer sur l’existence d’une faute pénale. La qualification pénale de la faute est de la compétence exclusive du juge pénal. En toute rigueur, il faudrait donc que le juge civil renvoie au juge pénal la question préjudicielle de la nature pénale de la faute reprochée au préposé, pour savoir si l’immunité civile de celui-ci doit être levée ! De plus, les modalités de la preuve ne sont pas les mêmes : en matière pénale, le doute doit profiter à l’inculpé. Dès lors, la faute susceptible de répondre à une qualification pénale pourrait ne pas être retenue devant le juge pénal, mais être retenue par le juge civil, qui ne saurait alors s’il doit lever l’immunité du préposé… 249 250 251 50 J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°508 p.434. TC 14 janvier 1935, Thepaz. En l’occurrence, il s’agissait d’un homicide involontaire. Cass. crim. 23 avril 1942, Leroutier, D.1942.137 note M. Waline, JCP 1942.II.1953, note Brouchot. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution connaître de l’action civile est limitée à l’hypothèse de la faute personnelle, le juge judiciaire 252 ne pouvant déclarer l’administration compétente . Néanmoins, et même s’il ne se déclare pas lié, le juge administratif a toujours reconnu le caractère de faute personnelle à un crime. Il a généralement fait de même en matière de 253 délit intentionnel commis par l’agent public . Cependant, un arrêt récent du Tribunal des 254 Conflits a qualifié de « faute de service » un délit intentionnel, au motif qu’il n’avait pas 255 été commis dans la poursuite d’un intérêt personnel . En matière d’infractions commises 256 non intentionnellement , ni la « faute personnelle », ni la « faute de service » ne sont automatiquement retenues. Le cas échéant, la faute personnelle constitutive d’une infraction pénale peut naturellement « ne pas être dépourvue de tout lien avec le service ». Elle engage alors 257 la garantie de l’administration. Il en a été jugé ainsi en cas de crime et en cas de délit 258 intentionnel . Là aussi, la compétence de principe est exclusivement administrative : le juge judiciaire devrait refuser de condamner l’administration. Une exception devrait pourtant exister en matière criminelle, du fait du principe de plénitude de juridiction de la Cour d’assises. 2.2.3 En droit privé : la levée de l’immunité du préposé auteur de certaines infractions Face au même problème, la jurisprudence de la Cour de cassation a constamment évolué depuis l’arrêt Costedoat, aboutissant aujourd’hui à une solution confuse. Avant même le revirement, la Cour de cassation avait admis des inflexions au principe de l’unité de la faute civile et pénale. Ainsi, elle avait admis que, en cas de poursuite pénale contre le préposé, la victime puisse se constituer partie civile contre l’employeur sans qu’il 259 soit nécessaire que l’action civile soit aussi dirigée contre le préposé . 260 Suite au revirement, et dans un premier temps , la Chambre criminelle retint l’immunité du préposé qui avait agi « dans l’exercice normal de ses attributions », quand bien même la faute de celui-ci aurait été un délit de tromperie et publicité mensongère, 252 TC 26 mai 1924, Dame Veuve Limetti c. Ville de Paris, Rec. CE 502, S.1924.3.49. 253 J. Moreau, « Responsabilité personnelle des agents et responsabilité de l’administration », in Jurisclasseur Administratif, fascicule 806, N°83s. 254 255 TC 19 octobre 1998, Préfet du Tarn, D.1999, p.127, obs. Gohin. Telle est du moins l’interprétation défendue par l’avocat général Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin : Cass. Ass. plén., 14 décembre 2001, Cousin, Bull. civ. n°17 ; R. p.444 ; BICC 1er mars 2002, concl. de Gouttes ; D. 2002.1230, note J. Julier ; D. 2002.Somm.1317, obs. D. Mazeaud ; D. 2002.Somm.2117, obs. Thuyllier ; JCP 2002.II.10026, note Billiau ; JCP 2002.I.124, n°22s., obs. Viney ; JCP E 2002, p.94, obs. Chabas ; RCA 2002. Chr. 4, par Groutel ; RTD civ., 2002.108, obs. Jourdain. 256 257 En particulier sous le visa de l’article 121-3, aliéna 3, du Nouveau Code pénal. Voir par exemple : CE 3/5 SSR, 18 novembre 1988, n°74952 : « dans ces conditions, l'assassinat de Mlle Y..., alors même qu'il a été commis par M. X... en dehors de ses heures de service et avec son arme personnelle, n'est pas dépourvu de tout lien avec le service et engage la responsabilité de l'État ». 258 259 260 CE, 2 mars 2007, Banque française de l’Océan indien, précité. Cass. Crim, 26 oct. 1982, JCP 1983 IV.17 Cass. Crim., 23 janvier 2001, Bull. crim. n°21 ; R. p.444 ; RCA 2001, n°212, note Groutel MAYER Benoît_2007 51 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 261 infraction intentionnelle sanctionnée par l’article 213-1 du Code de la consommation. Le juge niait ainsi toute spécificité de la faute pénale quant à l’immunité du préposé. C’était 262 d’ailleurs la solution envisagée par l’avocat général de l’arrêt Costedoat . Le juge civil devait examiner la faute civile et se demander si elle a été commise dans les limites de la mission, indépendamment de la qualification pénale de la faute. Ainsi, « on ne peut pas affirmer a priori que telle catégorie de faute pénale constituerait nécessairement une faute 263 ″de mission″, et telle autre, une faute étrangère à la mission » . Dans ce premier arrêt, la Chambre criminelle adopte donc une solution analogue à la jurisprudence administrative en consacrant l’autonomie de la « faute personnelle » par rapport à la faute pénale. 264 Mais, dans un second temps , l’Assemblée plénière, s’écartant d’ailleurs des conclusions de son avocat général, fit échec au pragmatisme de la solution précédente et imposa une règle supplémentaire selon laquelle « le préposé condamné pénalement pour avoir intentionnellement commis (…) une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ». Dans un troisième temps, cette solution a été poussée plus loin. Il est établi que seule 265 l’infraction intentionnelle permet de lever l’immunité dont profite le préposé . Mais, de façon corollaire, toute infraction intentionnelle constituée devant le juge répressif, en dépit 266 de l’absence de condamnation pénale , justifie la levée de l’immunité du préposé – sauf bien sûr abus de fonctions. 267 Dans un quatrième temps , cette solution fut à nouveau assouplie lorsque la Cour de cassation a également écarté l’immunité du préposé en présence d’une infraction involontaire qualifiée de « faute caractérisée » au sens de l’article 121-3 du Code pénal. En tout état de cause, le juge judiciaire est progressivement entré dans une voie différente de celle du juge administratif en cherchant à définir des critères particuliers pour lever l’immunité du préposé auteur de certaines infractions – une infraction intentionnelle, 261 La nécessité de l’élément intentionnel de ces infractions ne fait guère de doute. Voir par exemple : Cass. crim. 4 février 1998, pourvoi n°97-81449, non publié au bulletin. 262 F. Desportes, R. Kessous, « Étude sur la responsabilité du préposé », Rapport annuel de la Cour de cassation, 2000, deuxième partie, documents et études. L’avocat général Kessous, qui n’avait pas abordé le problème dans ses conclusions, estime dans ce rapport qu’ « il est désormais possible qu’un préposé (…) soit déclaré pénalement responsable de l’infraction (…), mais que sa responsabilité civile soit écartée au motif que les faits reprochés ont été commis dans les limites de la mission qui lui avait été impartie par son commettant ». 263 264 265 F. Desportes, R. Kessous, op. cit. Cass. Ass. 14 décembre 2001. Cass. crim. 28 juin 2005, RCA, n°10, octobre 2005, comm. 276, H. Groutel : « Responsabilité personnelle du préposé : infraction non intentionnelle ». Le préposé « ne pouvait être condamné civilement pour les conséquences d’une infraction non intentionnelle commise par lui » (selon Groutel). Dans le même sens : CA Pau, 25 sept. 2006 : Juris-Data n° 2006-317998 : violence volontaires exercées sur un pensionnaire mineur. ; - CA Lyon, 19 janv. 2006 : D. 2006, p. 1516, note A. Paulin. 266 cf. Cass. crim., 7 avril 2004, Juris-data n°2004-023601, RCA 2004, comm.215. « Le préposé qui a intentionnellement commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci, alors même que la juridiction répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l'infraction constituée en tous ses éléments, n'a prononcé contre lui aucune condamnation pénale ». 267 Cass. crim., 28 mars 2006 : Juris-Data n° 2006-033184 ; Bull. crim. 2006, n° 349 ; RCA 2006, comm. 289, note H. Groutel ; JCP G 2006, II, 10188, note J. Mouly. Cet arrêt pourrait cependant ne constituer qu’un cas d’espèce : cf. C. Mouly, « Le préposé délégataire auteur d’une faute qualifiée est responsable à l’égard du tiers victime », D.2006.II.10188. 52 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution puis même une infraction non intentionnelle qualifiée de « faute caractérisée ». Le juge administratif, se retranchant derrière le concept autonome de « faute personnelle », n’avait pas eu besoin de disposer de critères particuliers à la qualification de la faute pénale : il avait préféré ignorer la nature pénale de la faute qu’il devait qualifier civilement. Il est sans doute regrettable que le juge judiciaire n’ait pas fait, lui aussi, abstraction de la nature pénale de la faute, ce qui aurait permis plus de cohérence. Dans les cas de levée de l’immunité, la responsabilité du préposé n’exclut pas celle du 268 commettant , sauf si un abus de fonctions est par ailleurs retenu. A défaut, commettant et 269 préposé sont donc débiteurs solidaires de la victime , mais le commettant condamné doit 270 disposer d’une action récursoire contre son préposé . Il y a donc, là aussi, une survivance de la jurisprudence antérieure, constituée par une double obligation à la dette du commettant et du préposé, mais une contribution finale exclusive du préposé. Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité des agents d’exécution La solution commune aux deux ordres juridictionnels concernant la responsabilité du fait de l’agent d’exécution s’inscrit dans un large mouvement du droit qui consiste à atténuer la fonction répressive de la responsabilité civile, au profit de sa fonction indemnitaire (1). Mais le système actuel n’est pas à même de garantir une indemnisation de la victime, surtout en droit privé : il est dès lors nécessaire que d’autres mécanismes soient mis sur pied pour garantir une indemnisation systématique des victimes (2). 1/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civile L’abandon de l’élément moral de la « faute » civile justifie pleinement que la charge des « fautes de service » ne soit pas supportée par les agents d’exécution (1). La fonction punitive, qui était associée à la responsabilité civile, est relayée par d’autres mécanismes de responsabilisation (2). 1.1 De la faute au risque comme fondement de la responsabilité civile e e La fin du XIX siècle et le XX siècle ont été marqués par le développement d’un droit plus protecteur des intérêts économiques et sociaux de l’individu, direction exprimée notamment par le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaissant les droits sociaux et économiques de l’individu et par l’édification de l’État-providence à l’Après-guerre. A la place de l’impératif amendement du coupable ou du fautif, le droit pénal et le droit civil se sont dirigés vers une meilleure prise en compte de la victime, alors que 268 269 Cf. arrêt Cousin précité. Pour une application: Cass. 2ème Civ, 16 juin 2005, Mme X épouse Y, pourvoi n°03-19.70, LPA 16 avril 2007, n°76, p. 15-22, « Nouvelle articulation des responsabilités cumulatives du commettant et du préposé », Chaaban. 270 C’est du moins la solution prônée par G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-3. MAYER Benoît_2007 53 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 271 l’élément moral de la faute s’était, dans ces deux domaines, considérablement restreint . En témoigne, en droit pénal, l’élargissement de la responsabilité aux personnes morales, e 272 refusé au XIX siècle par la jurisprudence , qui fut mis en place progressivement par 273 le législateur , avant d’être triomphalement intégré par la loi du 22 juillet 1992 dans le er Nouveau Code pénal entré en vigueur le 1 mars 1994 et consacré comme principe 274 applicable à toutes les infractions par la loi Perben I . Dans le domaine pénal, où il semble pourtant fondamental, l’élément moral de l’infraction est ainsi mis en retrait. A fortiori, l’objectivation de la responsabilité a été remarquable dans le domaine de la 275 responsabilité civile et administrative . G. Viney décrit ainsi le « déclin du rôle attribué à la faute subjective en tant que condition de la responsabilité civile » comme « le trait qui a le plus vivement frappé tous les auteurs qui ont cherché à décrire l’évolution du droit de e 276 la responsabilité civile au cours du XX siècle » . En particulier, l’assurance a eu pour effet, malgré des techniques de « pénalisation », de délester les responsables de fautes 277 non intentionnelles de leur responsabilité, en mutualisant les charges liées à celles-ci , encourageant le juge à consacrer une responsabilité sans faute « dont elles neutralisent la 278 rigueur à l’égard du responsable » . 279 En conséquence , le concept de faute a été élargi, par exemple lorsque la Cour de Cassation a supprimé le critère de l’imputabilité et consacré la responsabilité de 280 l’inconscient : seul demeure aujourd’hui le critère de l’illicéité de l’acte, fondant une conception objective de la faute. Dans d’autres cas, tels que la circulation routière, la faute n’est plus nécessaire, mais la responsabilité d’une personne peut être fondée sur un simple 281 fait : peu importe qui sera dit « responsable », puisque ce sera au final l’assurance qui paiera. Le « déclin de la responsabilité individuelle au moyen d’une socialisation des 282 risques » est parallèle au développement d’une responsabilité contemporaine dont le 271 L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p.1150sq ; B. Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, édition L. Rodstein, 1947 272 Cass crim. 8 mars 1883, DP 1884, I, p.428: « l’amende (…) étant personnelle comme toute peine (…) ne peut être prononcée contre une société commerciale, être moral, laquelle ne peut encourir qu’une responsabilité civile. » 273 274 275 276 277 278 279 Cf. J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-Sébastien, op. cit., n°556 p.253 Loi n°2004-204 du 9 mars 2004, article 55. Entrée en vigueur le 31 décembre 2005. J. Waline, « L’évolution de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques », EDCE, 1994, p. 459s. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°36 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154 Sur l’aspect consécutif au développement des assurances de celui de la responsabilité : « alors qu’en principe la responsabilité constitue le support de l’assurance, on peut se demander si, en réalité, ce n’est pas l’assurance qui est devenue le support de la responsabilité. », d’après L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154-1155. 280 281 282 54 Cass Ass. plén., 9 mai 1984 F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°722 p.707 G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°534 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution fondement, l’indemnisation de la victime, est clairement contraire à la double fonction, e 283 préventive et répressive, de la responsabilité du XIX siècle . Il y a là un véritable changement de paradigme : le paradigme de la responsabilité 284 e sanction, prédominant depuis l’Antiquité et jusqu’au début du XX siècle, fait place à celui de la responsabilité indemnisation. Les conclusions d’un article de F.-P. Benoit, publié en 1954, mettent bien en évidence ce changement d’approche : « Il est indispensable, si l’on veut comprendre les problèmes de la responsabilité, de modifier complètement la façon dont on aborde le problème : il faut procéder à un renversement d’optique. On étudie toujours les problèmes de la responsabilité en se plaçant du côté de l’auteur du dommage, considéré comme acteur essentiel, la victime n’apparaissant que comme l’une des conditions nécessaires pour que puisse se poser un problème de responsabilité ; à vrai dire, on n’assigne même à la victime que le rôle bien pâle de support du dommage. Or, en réalité, c’est la victime qui joue le rôle essentiel en la matière, et cela est si vrai que, si elle ne réclame rien, il n’y aura pas de problème de responsabilité. C’est donc du côté de la victime que les problèmes de responsabilité doivent être 285 étudiés. » Désormais, la responsabilité ne vise donc plus tant à punir qu’à indemniser la victime. Elle doit « non seulement déterminer qui doit supporter la charge des réparations », mais aussi « tenir compte des conséquences qui peuvent résulter de ce choix pour la victime du dommage causé par le préposé », car « c’est avant tout l’intérêt de la victime qui est 286 déterminant » . Bref, ce qui fait un responsable de « bonne qualité », ce n’est pas qu’il est fautif, c’est qu’il est solvable. Ainsi, il est typique de cette approche que le commettant, en droit administratif comme en droit civil, puisse être le garant d’une faute personnelle de son agent d’exécution : la faute est manifestement celle de l’agent d’exécution, mais on préfère offrir à la victime un deuxième débiteur, étant donné qu’il n’est pas extrêmement injuste de faire supporter par le commettant l’indemnisation d’une faute qui a été commise en lien avec les fonctions, lorsque le préposé n’est pas capable de payer – du moins, cela est sans doute moins injuste que de faire supporter les conséquences de la faute à la victime malencontreuse. La pleine responsabilité du commettant n’est pas fondée sur la faute de surveillance du 287 commettant, mais sur le risque de l’activité dont il bénéficie . Certes, la théorie du risque existait déjà, en droit civil, avant l’arrêt Costedoat ; mais elle ne prenait pas tous ses effets, parce qu’elle était assujettie à la nécessité de « faire payer » l’auteur véritable de la faute. La responsabilité fondée sur le risque ne servait qu’à compléter la responsabilité fondée sur la faute. De la sorte, le risque ne fondait qu’une obligation de garantie de celui qui, par l’activité qu’il créait et dont il bénéficiait, créait de nouveaux risques pour les autres citoyens. En 283 284 L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1151 Conseil d’État, Rapport public annuel, La Documentation française, 2005, : « Responsabilité et socialisation du risque », p. 205-390. En particulier p.209 : Aristote défendait ainsi une « responsabilité sanction » plus qu’une « responsabilité indemnisation ». 285 286 F.P. Bénoit, « Le régime et le fondement de la responsabilité de la puissance publique », JCP G 1954. I.1178, n°48 J. Guyénot, op. cit., n°157 p.123 287 C. Eisenmann, 1949, op. cit., deuxième article n°10 MAYER Benoît_2007 55 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé principe, elle ne coûtait rien au commettant. Le risque de l’activité n’était pas véritablement supporté par celui qui en tirait les profits. L’abandon de l’aspect moral de la responsabilité délictuelle permit au contraire à la théorie du risque, prise alors dans une conception nettement plus extensive, de justifier une déresponsabilisation de l’agent agissant dans le cadre normal de ses fonctions, ce qui fut fait en droit civil par l’arrêt Costedoat. N’agissant pas pour lui-même, il ne semblait pas équitable que l’agent public ou le préposé dût supporter la charge de ses fautes « normales », alors qu’un autre, l’administration ou le commettant, bénéficiait des gains de son activité. Dès lors que l’élément moral de la responsabilité est gommé, la charge de l’indemnisation d’une faute commise en lien avec la mission exécutée peut être considérée comme un « coût » parmi d’autres et doit, dès lors, être supportée par celui qui entreprend l’activité. 1.2 L’absence d’impunité de l’agent d’exécution L’absence de responsabilité civile de l’agent d’exécution ne peut pourtant pas justifier une impunité de celui-ci. En effet, même dans le cadre de la faute non intentionnelle, il ne fait guère de doute qu’une irresponsabilité complète pourrait entraîner des dérives – en particulier, des imprudences notoires multipliant les accidents. Il en irait de même, et à plus forte raison, en matière de fautes intentionnelles : les employés d’une société réaliseront d’autant plus facilement des publicités mensongères, comme dans l’arrêt Rochas, qu’ils seront sûrs de rester impunis. Il est donc fort heureux que l’immunité civile des agents d’exécution n’exclue pas leur responsabilité pénale (1) et disciplinaire (2). 1.2.1 La responsabilité pénale des agents d’exécution : la juste punition 288 Ni le préposé, ni l’agent public ne sont mis à l’abri de poursuites pénales par leur irresponsabilité civile. L’agent d’exécution peut être condamné pénalement. L’action publique doit poursuivre les actes portant atteinte aux intérêts de la société et il importe peu que ces actes aient été commis par des agents d’exécution. Ainsi, la suppression de la responsabilité civile ne fonde pas per se une immunité des agents d’exécution, mais permet au contraire de limiter leur punition à ce qui est strictement nécessaire – en limitant leur sanction à ce que dispose la loi pénale, sans y ajouter des condamnations civiles. Cette absence d’impunité est d’ailleurs nécessaire à la cohérence des jurisprudence, tant civile qu’administrative. C’est dans ce sens que penche l’avocat général de Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin : « Le maintien de la responsabilité pénale personnelle du préposé vient équilibrer l'exonération de sa responsabilité civile et apporter ainsi une réponse à ceux qui craignaient que l'arrêt Costedoat ait pour effet de "déresponsabiliser" les salariés et de favoriser des comportements dangereux. » La Déclaration des droits de l’homme de 1789 postule en son article 8 que « la loi ne peut établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Assigner à la responsabilité civile une fonction punitive, c’est faire dépendre la peine d’un élément extérieur et aléatoire. Une faute d’une même « gravité » pourra causer des dommages civils extrêmement différents. Surtout, de toute évidence, la fonction punitive de la responsabilité civile constitue une grave entorse au principe de la proportionnalité des délits et des peines, défendu en 288 Des exceptions concernent cependant les gouvernants. Cf. E. Breen, « Responsabilité pénale des agents publics », in Jurisclasseur Administratif, fascicule 809 56 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution 289 son temps par Beccaria . S’il est vrai que, en principe, « la vraie mesure des crimes est 290 le tort qu’ils font à la nation » , il n’en demeure pas moins que c’est bien au juge pénal d’estimer cette mesure, non au juge civil – sans quoi les infractions contre les personnes et les biens seraient punis, mais non les infractions « contre la nation, l’État et la paix publique ». Et, en tout état de cause, la juste punition est celle qui découragera les citoyens d’agir contrairement à l’intérêt général. Elle dépend donc plus de l’avantage que le fautif acquiert en agissant mal, que par le préjudice que subit la victime de la faute : il s’agit de faire en sorte que l’action proscrite « coûte » plus cher qu’elle ne « rapporte ». Par conséquent, la juste mesure de la punition est la cause de la faute, son mobile, l’intention ou le manque d’attention du fautif ; mais non la conséquence de la faute, qui peut être multipliée par des circonstances aléatoires. Si la responsabilité civile ne peut utilement remplir une fonction punitive, c’est non seulement parce qu’elle fait dépendre la punition d’éléments dont elle ne devrait pas tenir compte, mais c’est aussi parce qu’elle ne la fait pas dépendre d’éléments dont elle devrait tenir compte. Chacun ne mérite pas la même peine pour la même infraction. L’office du juge est justement de déterminer la part de libre arbitre dans la commission de chaque infraction. Dès lors qu’elle doit correspondre au préjudice, toute personnalisation de la peine est manifestement impossible. 1.2.2 La sanction disciplinaire de l’agent d’exécution La sanction pénale, sanction de l’action contraire à l’intérêt social, est utilement complétée par la sanction de l’atteinte à l’intérêt particulier du commettant ou de l’administration. Il existe donc, en plus de la sanction pénale, une sanction disciplinaire, qui permet, en droit public comme en droit privé, au commettant de punir son agent d’exécution, et pouvant aller jusqu’au licenciement. En droit privé, l’employeur dispose ainsi d’un pouvoir disciplinaire encadré par la loi. En outre, la responsabilité contractuelle du préposé lié par un contrat peut être engagée – 291 dans le cadre d’un contrat de travail, une faute lourde est nécessaire . Il s’agit alors d’une responsabilité pécuniaire du salarié (préposé) envers l’employeur (commettant). Un mécanisme analogue tend à être mis en place en droit administratif, selon la 292 jurisprudence de l’arrêt Jeannier . En l’espèce, des soldats avaient utilisé un véhicule militaire « à des fins étrangères au service » et avaient provoqué un accident de la circulation. Si la victime avait poursuivi les soldats devant le juge judiciaire, seule la responsabilité du conducteur aurait pu être retenue. Mais elle décida de ne poursuivre que l’administration. Celle-ci, condamnée par le juge administratif, se retourna contre les soldats par une action récursoire et réclama à chacun d’eux le remboursement d’une partie des indemnités payées. Le Conseil d’État confirma que les passagers étaient également responsables envers l’administration du fait d’une faute personnelle de chacun d’eux consistant dans le fait d’avoir « utilisé sciemment un véhicule de l’armée à des fins étrangères au service ». Les soldats autres que le conducteur, qui ne pouvaient être 289 290 Beccaria, Traité des délits et des peines, 1764. Cf. Chapitre 6, « Proportion entre les délits et les peines ». Beccaria, op. cit., Chapitre 7. 291 292 Cass. soc., 19 mai 1958 : D. 1959, p. 20, note R. Lindon CE Sect., 22 mars 1957, Rec. CE 196, concl. Kahn, D.1957.748, conclusion Kahn, note Weil ; S.1958.32, concl. Kahn, AJ 1957.II.186, chr. Fournier et Braibant ; JCP 1957.II.10303 bis, note Louis-Lucas. MAYER Benoît_2007 57 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé poursuivis directement par la victime, pouvaient ainsi être condamnés par l’administration pour faute personnelle. Ainsi, la faute personnelle prenait une teinte éminemment disciplinaire. Cependant, la conséquence regrettable de cette jurisprudence consiste en la création d’une seconde faute personnelle et, par là, d’une complexité supplémentaire du droit administratif. La première faute personnelle, classique, que l’on pourrait qualifier d’« externe », consacrée par l’arrêt Pelletier, engage la responsabilité de l’agent public envers les tiers ; l’administration peut cependant indemniser la victime si la faute personnelle n’est pas sans liens avec les fonctions ; dans ce dernier cas, l’administration dispose d’une action récursoire contre l’agent public responsable. Au contraire, la faute personnelle « interne », « disciplinaire », de l’arrêt Jeannier, engage la responsabilité de l’agent envers la seule administration. Dans le droit français positif contemporain, il existe donc tous les moyens juridiques nécessaires à s’assurer qu’immunité civile ne signifie pas impunité. La punition du fautif, lorsque la faute le « mérite », est l’objet de la responsabilité pénale, disciplinaire et contractuelle des agents d’exécution, aussi bien en droit privé qu’en droit public – même si les modalités en sont naturellement différentes. 2/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civile Des différences substantielles existent entre les commettants, de droit privé ou de droit public, dans leur capacité à indemniser les victimes de leurs agents d’exécution (1). Dès lors, il serait utile d’institutionnaliser une véritable socialisation des risques afin de s’assurer de l’indemnisation systématique des victimes, mais aussi pour protéger certains commettants plus fragiles (2). 2.1 La nécessaire prise en compte des particularismes du commettant La summa divisio des commettants distingue les commettants publics, solvables par définition, et les commettants privés, potentiellement insolvables. Cependant, cette distinction reflète mal deux phénomènes. D’une part, la solvabilité des commettants de droit public ne signifie pas une capacité budgétaire illimitée (1). D’autre part, la notion civiliste de « commettant » assimile des situations extrêmement différentes, notamment en termes de solvabilité (2). 2.1.1 Les limites des finances publiques : quelle évolution de la responsabilité des agents publics à l’heure de la rigueur ? Le « commettant » du droit public, c’est-à-dire l’administration responsable pour l’agent public travaillant pour elle, a longtemps eu pour spécificité sa grande « générosité », et ceci à la fois dans le cadre de la faute de service et dans celui de la faute personnelle. La faute de service a ainsi été conçue d’une manière large – plus large que le domaine équivalent en droit civil où seul le commettant est responsable. Qui plus est, ce domaine tend à être constamment élargi. Ainsi, comme mentionné précédemment, le Tribunal des Conflits a récemment consacré la solution selon laquelle une infraction intentionnelle peut constituer 293 une faute de service . Au contraire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a 294 formellement exclu qu’une infraction intentionnelle puisse valoir immunité du préposé . 293 294 58 Cf. note n°68. Cf. p. 69s. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution L’amplitude de la faute de service n’est pas seulement expliquée par la volonté de mieux indemniser les victimes : en effet, la simple garantie de l’administration, dans le cadre de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, suffirait à atteindre cet objectif. Il s’agit donc également d’une volonté, de la part du juge comme de l’administration, de protéger l’agent public des conséquences pécuniaires importantes de sa faute, même intentionnelle. La responsabilité dans le cadre de la faute de service peut se révéler coûteuse pour l’administration. Néanmoins, le rapport de force en faveur des organisations représentatives de fonctionnaires rend difficilement imaginable qu’elle puisse être réformée à courte échéance par le juge administratif, ou que le législateur ose prendre des mesures pour la recadrer dans un champ plus limité. Par exemple, le livre blanc sur l’avenir de la fonction publique publié en avril 2008 ne remet pas en cause l’immunité des agents publics dans le 295 cadre de la faute de service . Cependant, un changement de pratique de l’administration pourrait avoir lieu dans un autre domaine sans aboutir à un conflit syndical : il s’agit du domaine où l’administration n’est, en principe, que garante de ses agents. Lorsque l’administration indemnise les victimes de fautes personnelles commises en lien avec les fonctions, elle peut en principe exiger de l’agent responsable le remboursement des indemnités versées ; cependant, 296 cette procédure est très rarement appliquée . Tout laisse à penser que cette situation sera rapidement amenée à évoluer. L’augmentation constante de l’endettement des administrations publiques et les pressions faites par la Commission européenne pour que la France se conforme aux critères de Copenhague, ainsi que la faible croissance économique, poussent les administrations à une certaine « rigueur » budgétaire. Contrairement au coût de la prise en charge de la faute de service, le coût de la prise en charge des fautes personnelles n’est pas considéré socialement comme légitime : au contraire, on ne peut que s’offusquer que l’auteur d’un crime n’ait pas à supporter 297 l’indemnisation de la victime . Déclarer débiteur l’agent public responsable d’une faute personnelle est dans la logique des choses. Cela permet par ailleurs de substantielles économies sur les deniers publics. Pour autant, il est évident que l’« action récursoire » est plus acceptable dans le cas de certaines fautes – crimes notamment – que dans d’autres. La réforme budgétaire de l’État, dont la figure de proue est la Loi organique relative 298 aux lois de finances , pourrait avoir des conséquences sur la responsabilité pécuniaire des agents publics auteurs d’une faute personnelle. Cette nouvelle gestion « managériale » crée des « responsables de mission » et des « responsables de programme », dont la 299 rémunération varie en fonction des résultats obtenus . Cette responsabilisation des hauts fonctionnaires devrait en toute logique conduire à une application plus systématique des actions récursoires contre les agents fautifs. 295 disponible sur le site du « débat national sur l’avenir de la fonction publique » (lien vers le livre blanc en première page) : http://www.ensemblefonctionpublique.org/livreblanc.htm . En particulier : p. 63. Seul un aménagement est prévu pour donner toute sa cohérence au système actuel. 296 297 298 299 cf. p. 32s. Pour une pareille hypothèse, voir note n°69. er Loi organique n°2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, NOR: ECOX0104681L. C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, p.164 MAYER Benoît_2007 59 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 2.1.2 La possible insolvabilité des commettants de droit privé : tous les commettants de droit privé sont-ils égaux ? Si la classe des « commettants » de droit public est homogène, du moins en ce qui concerne leurs capacités financières à indemniser une victime, il n’en va pas de même de celle des commettants de droit privé, qui peut regrouper aussi bien une société multinationale réalisant des profits considérables qu’un simple particulier. Il en résulte que les commettants de droit privé sont très inégalement solvables, non seulement parce qu’ils peuvent être plus ou moins riches, mais surtout parce qu’ils peuvent être assurés ou non. Les sociétés elles-mêmes ne sont pas contraintes de souscrire un contrat d’assurance, sauf 300 cas particulier , et peuvent par ailleurs être dissoutes ; et le commettant peut n’être qu’un 301 simple particulier . Par conséquent, il arrive que le commettant de droit privé soit insolvable. Or, la jurisprudence Costedoat s’est inspirée d’une solution de la jurisprudence administrative, postulant à raison la solvabilité systématique du commettant. C’est dès lors à juste titre que les critiques adressées à la nouvelle jurisprudence civile se sont focalisées sur le risque de non indemnisation qu’elle fait courir aux victimes. Avant l’arrêt Costedoat, le système de la garantie du commettant protégeait relativement bien l’intérêt de la victime en lui offrant deux débiteurs, mais ne protégeait pas le préposé, qui était à la merci de la victime et du commettant. Le revirement jurisprudentiel a produit une situation inverse : lorsque le préposé est protégé, c’est la victime qui ne l’est plus, du moins plus systématiquement. La perte de chances peut être très importante, notamment lorsque le commettant est un particulier peu solvable et non assuré, mais que le préposé est une société très solvable ou assurée. 302 Il a été fort justement proposé , en particulier dans l’avant-projet de réforme du droit 303 des obligations de la Commission Catala , d’admettre une responsabilité du préposé subsidiaire à celle du commettant. Ainsi, la victime ne pourrait poursuivre le préposé qu’à condition de poursuivre en même temps le commettant, ou d’avoir poursuivi le commettant préalablement et de n’avoir pas pu être indemnisée. Le préposé ne pourrait ainsi être condamné à indemniser que la partie du préjudice que le commettant n’a pas pu indemniser, soit à défaut d’une solvabilité suffisante, soit parce qu’il a été dissous. Le préposé serait donc en quelque sorte le garant de l’indemnisation, par le commettant, des fautes qu’il a lui-même commises. L’avantage de ce mécanisme complexe est de concilier un peu mieux la protection de la victime avec celle du préposé. Le préposé ne bénéficierait certes pas d’une protection totale analogue à celle de l’agent public, qui restreindrait trop les droits de la victime. 300 Voir par exemple la liste des assurances obligatoires dressée par le Conseil d’État : Rapport public annuel 2005, op. cit., annexe 1, pages 341 à 346. 301 cf. p. 34s. 302 Voir en particulier G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812 p.1021 ; Commission Catala, Rapport sur la réforme du droit des obligations, remis au Ministre de la Justice le 22 septembre 2005, La Documentation française, 2006, en particulier : G. Viney, « De la responsabilité civile », exposé des motifs ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain, p.584 ; G. Durry, op. cit. 303 Avant-projet de la Commission Catala, op. cit.. L’article 1359-1 dispose : « Le préposé qui, sans commettre une faute intentionnelle, a agi dans le cadre de ses fonctions, à des fins conformes à ses attributions et sans enfreindre les ordres de son commettant ne peut voir sa responsabilité personnelle engagée par la victime qu’à condition pour celle-ci de prouver qu’elle n’a pu obtenir du commettant ni de son assureur réparation du dommage. » 60 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution Cette solution pourrait d’ailleurs éventuellement être consacrée par le juge sur la base des textes existant : l’article 1382 pourrait fonder une responsabilité personnelle du préposé subsidiaire à la responsabilité principe du commettant consacrée par l’article 1384, alinéa 5. Cependant, après un premier revirement jurisprudentiel, une réforme législative, d’ailleurs proposée par le Commission Catala, serait sans doute plus opportune pour éclaircir et fixer le droit positif. Cependant, si une réforme législative est manifestement nécessaire, doit-elle se limiter à aménager la jurisprudence Costedoat pour une meilleure protection de la victime ? Une réforme plus large du droit de l’indemnisation des victimes pourrait au contraire être envisagée. 2.2 De la responsabilité à la solidarité ? On ne peut s’y tromper : si le commettant, en droit public comme en droit privé, est déclaré responsable envers la victime, ce n’est pas pour le punir ; c’est pour permettre l’indemnisation de la victime sans préjudicier à l’auteur de la faute. La responsabilité du fait de l’agent d’exécution s’inscrit ainsi dans une tendance plus large tendant à la gestion sociale des risques (1). Dans ce cadre, une solution ambitieuse pourrait être une prise en charge de l’indemnisation des victimes par une branche de l’État-providence (2). 2.2.1 La socialisation des risques comme nécessité sociale 304 e Le développement de la « société individualiste » s’est accompagné tout au long du XX siècle de la découverte de la fragilité de la personne humaine, « roseau le plus faible de la 305 nature » , dans un environnement caractérisé par la multiplication des risques. La société, dont le rôle se limite de plus en plus à la protection des individus les uns contre les autres, doit alors prendre en compte ces risques existentiels. Ceci fut fait dans un premier temps par des phénomènes spontanés. Dès l’Antiquité, 306 des solidarités furent mises en place entre travailleurs d’un même corps de métier . Le système corporatiste se développa tout au long du Moyen-âge. Cette solidarité, organisée spontanément, fut progressivement institutionnalisée. Le calcul de probabilité et e l’esprit d’entreprise apparaissant à partir du XVIII siècle furent à l’origine des premières 307 entreprises d’assurance . Celles-ci connurent jusqu’à aujourd’hui un développement rapide, encouragé par le mouvement d’industrialisation. Si l’assurance permet une protection efficace du responsable contre un événement qui pourrait le ruiner, elle ne profite cependant à la victime que lorsque l’auteur du préjudice qu’elle subit avait contracté avec une assurance – l’indemnisation est alors aléatoire. Quant au responsable, il ne profite en réalité de l’assurance qu’à condition d’avoir considéré ex ante le risque auquel il pourrait être amené à faire face, et à condition qu’une société d’assurance ait accepté de contracter – ce qui exclut certaines hypothèses où l’estimation du risque est 304 Cf. par exemple : D. Riesman, The Lonely Crowd, Yale University Press, 1950 ; traduction française : « La foule solitaire », Arthaud, 1964. 305 B. Pascal, Pensées, Flammarion, 1993. 306 J.-N. Corvisier, Guerre et société dans les mondes grecs (490-322 av. J.-C.), Armand Colin, Paris, 2001, p. 246-247, cité par le Conseil d’État dans son Rapport public annuel 2005, op. cit., p.207. Un fonds d’indemnisation des accidents fut mis en place par des tailleurs de pierre de la Basse-Egypte dès les années 1400 av. J.-C. 307 J. Peyrelevade, « Assurance », Encyclopaedia Universalis, tome III, p. 226. MAYER Benoît_2007 61 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 308 délicate, notamment les dégâts découlant de catastrophes naturelles . Partant de cette constatation, le législateur a disposé des obligations de souscrire un contrat d’assurance. 309 Cela a permis de réduire certains effets pervers et d’améliorer la protection des victimes 310 dans certaines circonstances . Mais ces aménagements ne sont sans doute pas une panacée. Le droit positif est encore dicté par la logique assurantielle. Dans ce cadre, il va être tenté de dépasser l’insolvabilité potentielle d’un individu en rendant débitrice une personne morale : il y a une socialisation privée du risque. Ainsi en va-t-il manifestement de la responsabilité de l’administration, en particulier pour la faute personnelle « qui n’est pas dépourvue de tout lien avec les fonctions » : reconnaître une responsabilité de l’administration a pour fonction exclusive de protéger la victime. Il peut en aller de même de la responsabilité du commettant, qui pourrait être vue comme constituant seulement une assurance du préposé vis-à-vis des victimes. Juridiquement, cela pourrait être expliqué par la présence, dans tout lien de préposition, d’un contrat tacite d’assurance engageant le commettant à garantir les dommages causés 311 par son préposé . Dans la plupart des cas et en particulier dans tous les cas d’espèce à l’origine des arrêts Rochas et Costedoat, le préposé est un individu, potentiellement insolvable, et le commettant est une société, a priori très solvable. Cependant, le système assurantiel que constitue la responsabilité du commettant est incomplet puisque le commettant ne remplit pas véritablement les conditions qu’une assurance doit remplir, 312 notamment en termes de solvabilité . La solution présentée plus haut et consistant à lever l’immunité dont profite le préposé 313 lorsque le commettant n’est pas solvable pour protéger les intérêts de la victime s’inscrit encore dans la logique assurantielle. Si le commettant n’est pas capable d’assurer l’indemnisation de la victime, donc s’il ne présente pas la qualité requise pour être considéré comme l’assurance du préposé, ce dernier, réputé ne pas être « assuré » par le commettant, doit alors lui-même indemniser la victime de sa faute. 2.2.2 La vocation de l’État-providence ? 308 309 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.220. Il s’agit en particulier du phénomène de la sélection adverse : seules les personnes les plus exposées à un risque souscrivent à un contrat d’assurance, ce qui renchérit le prix du contrat, décourageant encore plus les personnes les moins exposées au risque. Il y a là un véritable cercle vicieux, qui apparaît dès lors que les risques sont inégalement répartis entre les individus. Dans ce cas, seule l’obligation de souscrire un contrat d’assurance peut mettre fin. Cf. Denis Kessler, Risques, n° 59, juillet-septembre 2004, p. 88. 310 Par exemple dans le domaine des accidents de la circulation. Mais, déjà, la loi Badinter est allée au-delà du système assurantiel, en mettant en place un fonds de solidarité nationale. 311 312 Du moins, il en irait ainsi dans le lien de préposition fondé sur un contrat – ce qui est le cas le plus fréquent. Une assurance doit nécessairement présenter des garanties de solvabilité. Ainsi, le livre III du Code des assurances définit un ensemble de normes prudentielles et comptables que doivent respecter les entreprises d’assurance. Ces normes sont de plus en plus influencées par le droit communautaire. Ainsi, la directive « Solvabilité I » a été adoptée en 2002. Une directive « Solvabilité II » est actuellement à l’étude. Voir le bilan qui est fait de ces deux directives sur le site d’information de la Commission européenne : http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/index_fr.htm (Chemin d’accès: Commission européenne > Marché Intérieur > Assurances > Solvabilité et Solvabilité II) Sans respecter ces normes spécifiques aux entreprises, l’administration offre à la victime une solvabilité au moins aussi sûre que celle offerte par les entreprises d’assurance. Il n’en va manifestement pas de même des commettants. 313 62 cf. p. 61s. MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution La logique assurantielle est manifestement insuffisante. D’abord, elle est insuffisante dans le cas particulier du commettant de droit privé, puisque celui-ci ne comporte pas les garanties de solvabilité exigibles de la part d’un assureur. La solution pourrait bien entendu être améliorée à la marge. Ainsi, en copiant la solution pratiquée par les entreprises d’assurance qui consiste à se « réassurer », les commettants pourraient être obligés de souscrire à une assurance civile exploitation, couvrant leurs préposés. La responsabilité pour autrui serait ainsi transmise à un débiteur plus sûr. Cependant, le lien de préposition pouvant apparaître même sans contrat, par une simple volonté d’aider son prochain, il est manifestement impossible de systématiser l’obligation d’assurance à tous les liens de préposition. Ensuite, la logique assurantielle est insuffisante en général, puisqu’elle ne peut satisfaire entièrement les besoins sociaux nouveaux de sûreté. La logique assurantielle ne permet pas de prendre en compte tous les risques. De plus, même lorsque la souscription d’un contrat d’assurance est rendue obligatoire, la logique assurantielle élude la possibilité d’une fraude – le commettant qui ne s’assurerait pas, malgré l’obligation. Enfin, une société 314 privée est toujours sujette à la conjoncture économique et au risque d’une faillite . Une prise en charge de l’indemnisation des victimes par les pouvoirs publics a été initiée en France, dans certains secteurs, par des mesures circonstancielles particulières et 315 souvent complexes. Ces divers mécanismes de prise en charge concernent notamment 316 317 les dommages causés par les actes de terrorisme , par l’amiante , par la contamination 318 par le virus du SIDA lors d’une transfusion sanguine , etc. Récemment encore, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé un Office national d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et 319 des Infections Nosocomiales (ONIAM) visant à indemniser les victimes d’accidents non 320 fautifs . Souvent assimilés à tort à une responsabilité sans faute de l’administration, ces dispositions créent en réalité une intervention des pouvoirs publics, dans un domaine généralement extérieur à l’activité de la puissance publique, en vue de la protection des 314 Les garanties de solvabilité des entreprises d’assurance sont basées sur des calculs de probabilité : il s’agit de « limiter la probabilité de faillite des entreprises d’assurances », non de rendre cet événement impossible. Cf. l’analyse de J.-P. Rochet, « Quelles normes de solvabilité pour les entreprises d’assurances ? », sur le site de la Fédération française des sociétés d’assurances : http:// www.ffsa.fr/ . Les récents événements survenus à la Société générale, faisant suite aux déboires du Crédit lyonnais émaillant les années 1990, ainsi que la crise actuelle des « supprimes », doivent amener à relativiser la stabilité de toute société privée. Il en va en principe différemment de l’État, ne serait-ce que du fait de son pouvoir de définir lui-même les règles du jeu financier. 315 Pour une liste complète des fonds d’indemnisation, se reporter à : Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., annexe 2 p.347. 316 Article 9 de la loi du 9 septembre 1986 : création d’un Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions. 317 Article 53 de la loi du 23 décembre 2000 modifié par la loi du 4 mars 2002 : création d’un Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante. 318 319 320 Article 47 de la loi du 31 décembre 1991 : création d’un Fonds d’indemnisation des victimes contaminées. http://www.oniam.fr/ Cette intervention du législateur fait suite à l’arrêt Bianchi qui instaurait une responsabilité sans faute du service public hospitalier du fait de l’aléa thérapeutique : CE Ass. 9 avril 1993, RFDA 1993 p.574. MAYER Benoît_2007 63 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé 321 victimes . Ils sont souvent subsidiaires à des mécanismes classiques d’assurance : ainsi en va-t-il, dans le domaine des accidents de la circulation, du Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommage, qui n’indemnise la victime que lorsque l’auteur de l’accident n’était pas connu ou n’était pas assuré. Ces fonds peuvent également exercer 322 des recours récursoires contre l’auteur du dommage . D’autres pays ont mis en place une véritable prise en charge de l’indemnisation des victimes qui vaut immunité civile de l’auteur de la faute. Néanmoins, cette prise en charge solidaire des victimes par l’ensemble de la société, qui pourrait fonder à terme une nouvelle branche de l’État-providence, est toujours limitée à un ensemble particulier de dommages. 323 Ainsi en va-t-il, dans plusieurs États, des dommages causés par le terrorisme . Un des systèmes d’indemnisation des victimes les plus évolués a été développé en Nouvelle-Zélande par une autorité publique en charge de l’indemnisation d’une gamme 324 étendue de préjudices . L’indemnisation profite à tout Néo-Zélandais, actif ou non, ainsi qu’aux visiteurs étrangers. Elle inclut un nombre important de dommages, notamment la totalité des frais des services d’urgence et de santé, la perte de revenus, la perte de chances professionnelles, mais également certains préjudices moraux comme celui résultant d’agressions sexuelles. Surtout, il n’y a pas de condition relative à l’origine de l’accident : il importe peu que quelqu’un ait commis une faute – l’indemnisation est due même si la victime est elle-même fautive. Le fonds désintéresse ainsi les victimes qui, une fois indemnisée par le fonds, ne peuvent plus poursuivre l’auteur de la faute dont elles sont victimes, si ce n’est, dans le cas d’une faute particulièrement grave, pour des « dommages 325 et intérêts exemplaires » . De la sorte, la Nouvelle-Zélande, grâce au concept de la « responsabilité de la 326 communauté » , « a complètement quitté le sentier de la responsabilité pour faute, et 327 avance sur la route de l’État-providence » . Le fonds est divisé en sections financières en principe indépendantes, chargées de gérer un danger particulier – par exemple les accidents de la route – et financés par une taxe particulière dont l’assiette est en rapport direct – taxe sur la possession d’un véhicule motorisé, remplaçant l’assurance obligatoire. 328 Le système, malgré son coût élevé de 1660 euros par an et par habitant qui représentent 321 322 323 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.240 Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.247. Ces actions récursoires sont pourtant peu pratiquées. Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.305. Outre l’Espagne, il en est ainsi en Israël, où le fonds est financé directement par l’impôt – ce qui prouve que ce mécanisme peut fonctionner « à grande échelle ». Cf. Erwann Michel-Kerjouan, « Terrorisme à grande échelle : partage des risques et politiques publiques », Revue d’économie politique, septembre-octobre 2003, no 5. 324 Il s’agit d’un fonds géré par l’organise d’indemnisation des accidents (« Accident Compensation Corporation »), service public (« Crown Entity ») néo-zélandaise. Sa création résulte de l’extension de la Sécurité sociale, de l’indemnisation de la maladie à celle des accidents, achevée à la fin des années 1990. Cf. le site internet de l’institution : http://www.acc.co.nz/about-acc/index.htm 325 326 C’est ce qui ressort des arrêts Donselaar v. Donselaar [1982] 1 NZLR 97 et City Council v. Blundell [1986] 1 NZLR 732. « Community Responsibility », concept inventé par le « Woodhouse Report », Rapport de la commission royale présidée par M. Woodhouse, publié en 1967 et inventant les grandes caractéristiques du fonds d’indemnisation des victimes. 327 G. McLay, « Nervous Shock, tort and accident compensation : tort regained ? », in Victoria University of Wellington Law Review, 1999, n°34, consultable sur internet : http://www.austlii.edu.au/nz/journals/VUWLRev/1999/34.html . 328 Calculé d’après le coût global de 13,7 milliards de dollars néo-zélandais en 2007, rendu public dans le rapport annuel 2007 en ligne sur le site de l’ACC. 64 MAYER Benoît_2007 Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution 329 plus de 9% du PIB, n’a pas freiné une forte croissance nationale et est d’autant plus populaire qu’il profite à chacun : près de la moitié de la population y a recours chaque année. Une véritable prise en charge de l’indemnisation des victimes par la solidarité nationale au sein de l’État-providence constituerait un progrès dans le sens de la sécurité individuelle et de la justice sociale. Elle résoudrait les difficultés insurmontables du système actuel dont la principale caractéristique est de lier l’indemnisation à la responsabilité – obligeant la victime à trouver une faute pour être indemnisée. Elle mettrait fin, par conséquent, à d’incessants conflits que crée la recherche systématique de responsabilité et de faute, en permettant à la victime d’obtenir la réparation d’un accident. Elle garantirait au mieux les intérêts de la victime en lui faisant profiter d’une indemnisation rapide et systématique, mais également ceux des personnes que l’on tient aujourd’hui pour responsables. Le financement de ce programme pourrait être dicté par le principe : « de chacun selon sa faute, à chacun selon son dommage ». Ainsi, les sanctions pécuniaires permettraient d’alimenter, au moins partiellement, un fonds dédié à l’indemnisation des victimes. La construction d’une prise en charge solidaire des victimes constitue un enjeu fondamental pour les sociétés modernes, qui pour autant ne doivent pas oublier la prévention des risques et la répression des infractions. 329 4% de croissance moyenne depuis le début des années 2000, ce qui est exceptionnel pour un pays industrialisé. Cf. le rapport de l’OCDE publié le 23 avril 2007, consultable sur : http://www.ocde.org MAYER Benoît_2007 65 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Conclusion Ce travail a mis en évidence le rapprochement de la situation des agents d’exécution en droit privé et en droit public. La jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier dans l’arrêt Costedoat, s’est inspirée de la théorie publiciste dite de la « faute de service », consacrant une immunité civile du préposé qui agit dans les limites de sa mission. A cette « faute de service » de droit privé répond naturellement une « faute personnelle » dont le critère est l’abus de fonctions. Entre les deux existe, comme en droit administratif, une autre « faute personnelle » qui, parce qu’elle n’est pas dépourvue de tout lien avec la mission, engage la garantie du commettant, mais n’exclut pas la responsabilité du préposé – il y a là un parallèle évident avec la théorie publiciste du cumul de responsabilité. Cependant, cette inspiration n’est pas une assimilation complète du régime de la responsabilité du préposé à celle de l’agent public. La complexité et l’évolution constante de la jurisprudence administrative, en particulier concernant la frontière entre faute de service et faute personnelle, rend sans doute impossible un alignement complet du juge judiciaire. Par ailleurs, des différences demeurent, comme lorsque la faute de l’agent d’exécution est une infraction pénale. En réalité, il semble encore difficile de tirer toutes les conséquences 330 de la nouvelle jurisprudence civile, compte tenu du faible contentieux et des hésitations 331 des différentes chambres . Un nouveau revirement de jurisprudence ou une intervention 332 du législateur ne doivent d’ailleurs pas être exclus . Dans une approche plus globale, la nouvelle jurisprudence civile s’inscrit dans un large mouvement de rapprochement du droit administratif et du droit civil de la responsabilité. Les « règles spéciales » régissant la responsabilité des administrations, révélées depuis l’arrêt Blanco, tendent à devenir l’exception. Le droit civil pourrait à terme devenir véritablement le droit commun, malgré la prise en compte de certaines particularités de l’administration – notamment l’exercice de la souveraineté – par des règles dérogatoires. Cependant, un alignement exact des deux droits est impossible tant que demeure la dualité des ordres juridictionnels. En effet, des divergences apparaîtront inéluctablement entre les deux cours de cassation, au moins du fait de la complexité de certaines questions juridiques liées à la responsabilité. La consécration d’une immunité de l’agent d’exécution pourrait également s’inscrire dans une évolution socio-juridique de la responsabilité tendant à la déresponsabilisation de l’individu. Cette évolution est sous-tendue par le renversement du paradigme anthropologique qui, depuis les Lumières, imaginait une volonté humaine autonome et souveraine. Dès lors que l’homme n’est rien d’autre qu’un atome social, ricochant d’un événement à l’autre sans véritable liberté, les fondements de la responsabilité individuelle s’effritent. La « faute » est un élément normal de toute activité humaine : « personne n’est parfait ». Le « fautif », condamné à indemniser la victime, apparaît alors comme une victime par substitution de sa propre imprudence. L’immunité de l’agent d’exécution peut ainsi être 330 331 332 Seulement quelques arrêts de cassation par an. Par exemple, quant à la levée de l’immunité en cas de faute pénale. Cf. 69. Ainsi, le projet Catala propose de réformer la solution de l’arrêt Costedoat, se détachant nettement de la jurisprudence administrative pour prendre en compte la possible insolvabilité du commettant. Cf. p. 82s. 66 MAYER Benoît_2007 Conclusion vue comme la protection de cette victime par substitution, par celui qui profite de son activité. Mais le commettant n’est-il pas, alors, une nouvelle victime par substitution ? Ce qui semble de moins en moins acceptable, au final, c’est la part d’aléatoire dont la responsabilité cherche à attribuer la charge à un responsable. Un instant de distraction, et l’agent d’exécution peut avoir ruiné son commettant : il y a là quelque chose d’injuste et de socialement inacceptable. Si celui-ci vient à ne pas être assuré, la victime ne sera d’ailleurs pas indemnisée : là repose l’inefficacité d’une indemnisation qui repose exclusivement sur une personne privée. Le droit civil s’est certes inspiré des solutions du droit administratif, mais, justement, celles-ci n’étaient efficaces que dans les circonstances que le juge administratif a à connaître. Devant le juge judiciaire, le commettant n’est pas une personne publique. De ce fait, la jurisprudence Costedoat n’a pas fourni de garantie équivalente à la victime : l’administration, elle, est toujours solvable. Elle n’a pas non plus réellement socialisé la prise en charge du risque : le commettant peut être une personne physique insolvable. Surtout, lorsqu’elle est mise en cause, la responsabilité de la personne publique incarne bien plus que la responsabilité de celui qui profite de l’activité : lorsque l’administration est condamnée, c’est la solidarité nationale qui est mise en œuvre pour indemniser une victime. Bien au-delà de la seule question du préposé et du commettant, la nouvelle jurisprudence judiciaire met en évidence le besoin d’une sécurisation des parcours individuels face aux risques d’accidents au sein des sociétés industrialisées. Le changement de fondement de la responsabilité, de la faute au risque, ne répond à cette nouvelle demande sociale que de manière très insatisfaisante. Demeure, en effet, la soumission d’un patrimoine à l’élément aléatoire du préjudice causé – même si la solution est moins injuste lorsque le patrimoine est celui d’une personne morale. En définitive, seule une prise en charge solidaire des victimes d’accidents paraît à même de sortir de la recherche stérile d’un bouc-émissaire – le fautif ou celui qui profite de l’activité du fautif. MAYER Benoît_2007 67 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé Bibliographie Principaux arrêts mentionnés Tribunal des Conflits er TC, 8 février 1973, Blanco, Rec. CE 1 supplément n°61, conclusions David ; D.1873.III.20, concl. David ; S.1873.III.153, concl. David ; GAJA n°1 er TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1 supplément 117, conclusions David ; D.1874.III.5, concl. David ; GAJA n°2 TC, 14 janvier 1935, Thépaz, Rec. CE 224 ; S.1935.III.17, note Alibert ; GAJA n°48 Conseil d’État CE, 3 février 1911, Anguet, Rec. CE 146 ; S.1911.III.137, note Hauriou ; GAJA n°23 CE, 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, conclusions Blum ; D.1918.III.9, concl. Blum ; RDP, 1919, 41, concl. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.III.41, concl. Blum, note Hauriou ; GAJA n°33 CE Ass. 18 novembre 1949, Demoiselle Mimeur, Defaux, Bethelsemer, Rec. CE 492 ; D.1950.667, note J.G. ; JCP 1950.II.5286, concl. Gazier ; RDP 1950.183, note M. Waline CE Ass., 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec. CE 464 ; D. 1951.620, note Nguyen Do ; JCP 1951.II.6532, note J.J.R. ; JCP 1952.II.6734, note Eisenmann ; RDP 1951.1087, note M. Waline ; S. 1952.III.25, note Mathiot ; S.1953.III.57, note Meurisse ; GAJA n°69 CE Ass., 12 avril 2002, Papon, Rec. CE 139, conclusions Boissard ; RFDA, 2002, p. 582s., concl. Boissard ; AJDA, 2002, p.423s., chr. Guyomar et Collin ; LPA, 28 mai 2002, concl. Boissard, note E. Aubin ; D.2003.647, note Delmas Saint-Hilaire ; JCP G 2002.II.10161, note Moniolle ; Gaz. Pal. 28-30 juillet 2002.27, note Petit ; RDP 2002.1511, note Degoffe, et 1531, note Alvés ; RDP 2003.470, note Guettier ; RFDC 2003.513, comm. Verpeaux ; GAJA n°115 Cour de cassation Cass. Civ., 30 décembre 1936, DP 1937.I.5, rapp. L. Josserand, note R. Savatier ; S. 1937.I.137, note H. Mazeaud ; GAJC n°216 68 MAYER Benoît_2007 Bibliographie Cass. Ass. plén., 19 mai 1988, Bull. civ., n°5 ; R. p.223 ; D.1988.513, note Larroumet ; Gaz. Pal. 1988.II.640, concl. Dorwling-Carter ; Defrénois 1988.1097, obs. Aubert ; RTD civ. 1989.89, obs. Jourdain Cass. Com, 12 octobre 1993, Rochas, D.1994.I.124, note Viney ; JCP 1995.II.22493, note Chabas ; Defrénois 1994.812, obs. Aubert ; RTD civ. 1994.111, obs. Jourdain Cass. Ass. plén., 25 février 2000, Costedoat, Bull. civ. n°2 ; R., p.257 et 315, notes Kessous et Desportes ; GAJC, n°217 ; BICC, 15 avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; D.2000.673, note Brun ; D Somm. 467, obs. Delebecque ; JCP G 2000.II.10295, concl. Kessous, note Billiau ; JCP G 2000.I.241, n°16, obs. Viney ; Gaz. Pal. 2002.2.1462, note Rinaldi ; RCA 2000, Chr. n°11, par Groutel, et Chr. n°22, par Radé ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain Cass. Crim., 23 janvier 2001, Bull. crim. n°21 ; R. p.444 ; RCA 2001, n°212, note Groutel er Cass. Ass. plén., 14 décembre 2001, Cousin, Bull. civ. n°17 ; R. p.444 ; BICC 1 mars 2002, concl. de Gouttes ; D. 2002.1230, note J. Julier ; D. 2002.Somm.1317, obs. D. Mazeaud ; D. 2002.Somm.2117, obs. Thuyllier ; JCP 2002.II.10026, note Billiau ; JCP 2002.I.124, n°22s., obs. Viney ; JCP E 2002, p.94, obs. Chabas ; RCA 2002. Chr. 4, par Groutel ; RTD civ., 2002.108, obs. Jourdain e Cass. 1 Civ, 12 juillet 2007, n°06-12.624, Bull. civ. 2007, II, 10162, note S. HocquetBerg ; D. 2007, p.2908, note S. Porchy-Simon, JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Stoffel-Munck e Cass. 2 Civ, 20 décembre 2007, RCA n°2, février 2008, comm. 50, Groutel Thèses et ouvrages H. Amouroux, La responsabilité civile du commettant et l’abus de fonctions, thèse Bordeaux, 1975 e A. Benabent, Droit civil, Les obligations, Montchrestien, 11 édition, 2007 E. Bertrand, Les aspects nouveaux de la notion de préposé, thèse, Université d’Aix-enProvence, 1935 G. Braibant, B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de Sciences Po et Dalloz, e 7 édition, 2005 P. Brun, Les présomptions dans le droit de la responsabilité civile, thèse Grenoble, 1993 P. Brun, Responsabilité civile extracontractuelle, Litec, 2005 L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004 e J. Carbonnier, Droit civil, Tome 4 : Les obligations, PUF, 22 édition, 2005 MAYER Benoît_2007 69 La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, thèse, LGDJ, 1957 e R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien, 15 édition, 2001 Conseil d’État, « Responsabilité et socialisation du risque », Rapport public annuel, La Documentation française, 2005, p. 205-390 G. Cornu, Étude comparée de la responsabilité délictuelle en droit privé et en droit public, thèse, Paris, 1949 P. Coulombel, Le particularisme de la condition juridique des personnes morales en droit privé, thèse, Nancy, 1949 C. Debbasch, F. Colin, Droit administratif, Economica, 8e édition, 2007 B. Delaunay, La faute de l’administration, thèse, Paris II, 2006 P. Delebecque, F.-J. Pansier, Droit des obligations, tome 2 : Responsabilité civile, délit e et quasi-délit, Litec, 4 édition, 2008 e P. 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Le droit administratif connaît, pour sa part, la théorie de la faute de service et de la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service. Quant à l’agent d’exécution, préposé ou agent public, sa situation était, pendant longtemps, différente. En droit administratif, la faute de service décharge l’agent public de toute responsabilité, tandis que la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service autorise un recours de l’administration condamnée contre l’agent. En droit civil, l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 a considérablement modifié la donne en consacrant, sous certaines conditions, une irresponsabilité du préposé qui rappelle la faute de service du droit administratif. Des arrêts postérieurs ont dessiné un domaine intermédiaire entre responsabilité du commettant et responsabilité personnelle du préposé, équivalent à la « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service ». Cette aliénation de la responsabilité s’inscrit par ailleurs dans un mouvement plus large de déresponsabilisation de l’individu. Il est ici soutenu que, pour véritablement contenter le besoin actuel d’une socialisation des risques, une extension de l’Etat-providence est nécessaire, selon le principe : « de chacun selon sa faute, à chacun selon son dommage ». MAYER Benoît_2007 75