La responsabilité de l`agent d`exécution en droit public et en droit privé

Transcription

La responsabilité de l`agent d`exécution en droit public et en droit privé
Université Lyon II
Institut d’Études Politiques de Lyon
La responsabilité de l’agent d’exécution en
droit public et en droit privé
Vers un alignement des régimes de responsabilité
du préposé et de l’agent public ?
MAYER Benoît
Réalisé sous la direction de M. D.-A. Camous
Soutenance le jeudi 5 juin 2008
Jury composé de MM. D.-A. Camous et F. Osman
Table des matières
Remerciements . .
Listes des abréviations . .
Introduction . .
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent
d’execution . .
Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent public . .
1/ La responsabilité de principe de l’administration . .
2/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’une faute
personnelle . .
Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité du préposé avant l’arrêt Costedoat . .
1/ L’obligation à la dette du commettant . .
2/ La responsabilité problématique du préposé . .
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution . .
Titre 1 : Une transformation de la responsabilité du préposé inspirée du droit administratif
..
1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité du préposé . .
2/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité du préposé . .
Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité des agents d’exécution . .
1/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civile . .
2/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civile . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Principaux arrêts mentionnés . .
Tribunal des Conflits . .
Conseil d’État . .
Cour de cassation . .
Thèses et ouvrages . .
Résumé . .
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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Remerciements
Je tiens à remercier M. David-André Camous, maître de conférences en droit public à l’Institut
d’Études politiques de Lyon, pour l’attention qu’il a portée à mon travail et pour ses précieux
conseils. Je tiens également à remercier M. Filali Osman, maître de conférences en droit privé à
l’Institut d’Études politiques de Lyon, pour avoir accepté de co-présider la soutenance de mon
mémoire, dont il m’avait proposé le sujet.
Ma gratitude va par ailleurs aux bibliothécaires de l’Institut d’Études politiques de Lyon et de
l’université Lyon III, sans l’assistance desquels je n’aurais pas pu mener à bien ce projet.
Last but not least, j’adresse mes remerciements à Veronika et à mes amis pour leur soutien
constant, et en particulier à Adelin pour ses relectures pointilleuses.
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Listes des abréviations
Listes des abréviations
AJDA : Actualité juridique du droit administratif
BICC : Bulletin d’information de la Cour de cassation
Bull. Civ. : Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation
Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de cassation
CA : Cour d’appel
CAA : Cour administrative d’appel
Cah. CC : Cahiers du Conseil constitutionnel
Cass. : Cour de cassation.
Civ. : Chambre civile
Com. : Chambre commerciale ;
Crim. : Chambre criminelle ;
Soc. : Chambre sociale
Ass. plén. : Assemblée plénière
CE : Conseil d’État.
Ass. : Assemblée du contentieux
Sect. : Section
Chr. : Chronique
Comm. : Commentaire
D. : Recueil Dalloz
Defrénois :: Répertoire du notariat
DP : Recueil périodique et critique mensuel Dalloz (antérieur à 1941)
EDCE : Études et documents du Conseil d’État
GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative
GAJC : Grands arrêts de la jurisprudence civile
JCP A : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),édition« Administration et
collectivités territoriales »
JCP E : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition Entreprise »
JCP G : Jurisclasseur périodique (La Semaine juridique),« édition générale »
LPA : Les Petites Affiches
Obs. : Observations
RA : Revue administrative
RCA : Responsabilité civile et assurances
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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
RDP : Revue du droit public et de la science politique
Rec. CE : Recueil des arrêts du Conseil d’État (ou Recueil Lebon)
RFDA : Revue française de droit administratif
RFDC : Revue française de droit constitutionnel
RJDA : Revue de jurisprudence de droit des affaires
RRJ : Revue de recherche juridique et de droit prospectif
RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil
S. : Sirey
TC : Tribunal des conflits
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Introduction
Introduction
« Nous sommes tous comptables de nos actes. (…) La responsabilité fait partie
des valeurs que j’ai voulu porter dans la campagne électorale. Je veux rouvrir le
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débat de la responsabilité, et prendre les miennes. »
« La plus importante condition du mal que se font les hommes entre eux – ou plutôt de
l’atrocité de ce mal, car ce mal est nécessaire – est l’idée invincible et absurde de la
responsabilité. »
P. Valéry, Cahiers, tome 1, Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1973, p. 451
Dans le discours dominant actuel, la responsabilité est plus qu’une technique juridique :
elle est l’une des vertus morales du citoyen. Il appartient à chacun d’assumer sa
responsabilité : le chef d’entreprise comme le bénéficiaire d’aides sociales, le parent comme
le magistrat. L’idée d’une autonomie de la volonté, héritée des philosophes des Lumières,
fonde la responsabilité individuelle : qui est libre de son action doit en contrepartie répondre
de ses choix. La responsabilité est le corollaire de la liberté, et c’est sans doute la raison
pour laquelle elle occupe une place centrale dans le fonctionnement des sociétés libérales.
Pourtant, cette emphase actuelle autour de la notion de responsabilité ne reflète pas
une nouvelle invention, mais, bien au contraire, le sentiment, juste, que la responsabilité
s’effrite. Un siècle après Freud et la découverte du subconscient, cent cinquante ans après
Marx et la théorie de l’exploitation du prolétariat, l’homme est-il encore libre ? La liberté,
fondement anthropologique de la responsabilité, fut encore battue en brèche par Sartre
qui affirma que l’homme, « jeté dans l’existence », était « condamné à être libre » et ne
pouvait échapper au « devoir de se réaliser soi-même ». Si, selon la formule, « l’enfer,
c’est les autres », c’est avant tout parce qu’ils regardent, jugent et demandent des comptes.
Dostoïevski a su magnifiquement décrire la fragilité de l’individu, coupable mais victime de
son propre crime. La sociologie contemporaine met en évidence la détermination sociale de
2
la personnalité, définissant l’action humaine comme le résultat d’une « interaction sociale »
3
et l’individu comme une pure « référence à ceux qui l’entourent » .
Le droit positif ne peut pas rester étanche à cet effritement de la responsabilité. Il
faut à cet égard dissocier responsabilité pénale et responsabilité civile, c’est-à-dire la
responsabilité qui a pour but exclusif de punir et celle qui a pour but, exclusif ou non,
d’indemniser la victime. En matière de droit pénal, le Code de 1810 a institué le principe de
4
la personnalisation des peines permettant au juge de tenir compte de la personnalité du
1
Discours du Président de la République, le 25 octobre 2007 au Palais de l’Elysée, à l’occasion de la restitution des
conclusions du Grenelle de l’environnement. La vidéo du discours et sa retranscription sont consultables sur les archives
du site de l’Elysée :
http://www.elysee.fr/download/?mode=press&filename=grenelle_de_l_environnement_prononce.pdf
.
2
3
4
G. H. Mead, L’esprit, le soi et la société, version originale parue en 1934, traduction française : PUF, 1963, p.163
C. Taylor, Sources of the Self, The Making of Modern Identity, Cambridge University Press, 1989, p.33
Cf. article 123-24 du Nouveau Code pénal.
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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
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coupable . Dans ce domaine, la peine est fixée depuis longtemps d’après une appréciation
in concreto de la faute de l’individu, en fonction notamment de son environnement, de son
discernement, etc. Le droit pénal s’est donc adapté par lui-même à l’évolution du regard de
la société sur le coupable.
Au contraire, la responsabilité civile pourrait aujourd’hui être à l’aube d’une remise
en cause générée par l’abandon de l’autonomie de la volonté. L’idée de la rationalité de
l’homme est remise en cause et il est corollairement admis que nul ne prévoit réellement les
conséquences de ses actes – en tout cas pas les conséquences immenses qui peuvent être
causées par la moindre des fautes d’inattention. Il en découle en particulier une défiance
vis-à-vis de la responsabilité délictuelle, remettant en cause les principes mêmes édifiés
par le Code civil de 1804. Au centre de cet édifice, se situe l’article 1382 et le principe selon
lequel toute faute justifie la condamnation de son auteur à la réparation du dommage causé
à autrui. La faute, découlant de la volonté, permet ainsi de pourvoir à l’indemnisation des
victimes. Ce mécanisme peut cependant paraître incompatible avec l’idée contemporaine
de justice, puisque, la hauteur de la condamnation ne dépend pas de la gravité de la faute de
l’individu, évaluée subjectivement, mais, au contraire, d’un élément extérieur à l’individu et
indépendant de lui : le préjudice causé par son acte. En outre, la prise en compte croissante
de la nécessité d’indemniser les victimes pousse les juges à rechercher la faute toujours
plus loin et presque à caricaturer la responsabilité délictuelle.
Il semble que ce paradigme de la responsabilité fondée sur la faute soit en porte-à-faux
avec une société prônant à la fois le pardon du fautif et l’indemnisation de la victime. L’étude
6
des points d’effritement permet alors, peut-être, d’anticiper un renversement de paradigme
marqué par l’effondrement de la responsabilité pour faute. Ainsi, dans certains domaines,
l’injustice de la responsabilité pour faute peut sembler encore plus inacceptable. Tel est,
en particulier, le cas de la responsabilité délictuelle de l’agent d’exécution, c’est-à-dire la
personne qui agit, à un moment donné et dans certaines limites, pour le compte d’une autre
personne qu’elle ne représente pas.
Si l’individu est libre et rationnel, alors il est pleinement responsable et doit payer
pour sa faute, quant bien même il aurait agi pour autrui, car il aurait tout de même pu, et
dû, éviter cette faute. Mais, au contraire, dès que la faute devient pardonnable, ne faut-il
pas tenter au moins d’atténuer, voire de supprimer, la condamnation du « fautif » ? Dans
le cas de l’agent d’exécution, l’iniquité d’une responsabilité fondée sur la faute devient
flagrante. En effet, l’agent d’exécution ne tire pas directement bénéfice de son activité, et
celui qui en tire le bénéfice est souvent beaucoup plus riche que lui. De plus, l’organisation
même de l’activité peut forcer l’agent d’exécution à prendre des risques pour produire plus :
l’employeur bénéficiera alors du surplus de production sans avoir à en assumer le risque.
7
Enfin, l’industrialisation de la société et le développement des risques en général multiplient
les conséquences possibles d’une faute, au-delà même des postes dits « à responsabilité » :
une simple erreur de manipulation d’un ouvrier pourrait ainsi être à l’origine de l’explosion
8
survenue à l’usine AZF . Dans le domaine de la responsabilité de l’agent d’exécution, le
5
L’établissement récent de « peines plancher » en cas de récidive réduit incontestablement ce pouvoir d’appréciation par le
juge de la responsabilité pénale individuelle.
6
7
8
Cf. T. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, Flammarion, 1999 (première édition en anglais 1962)
U. Beck, La société du risque : sur la voie d’une autre modernité, Flammarion, 2003 (première édition allemande : 1986).
Voir par exemple Le Monde, édition du 13 juin 2002, « Onze personnes placées en garde à vue dans l’enquête sur l’explosion
de l’usine AZF de Toulouse ».
8
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Introduction
paradigme de la responsabilité pour faute ne suffit visiblement pas : un autre régime de
responsabilité doit être mis en œuvre.
Droit public et droit privé ont parallèlement fait face à la nécessaire adaptation de la
responsabilité de l’agent d’exécution. La responsabilité administrative du fait de la faute
de service, puis la responsabilité du commettant du fait de son préposé, ont consacré
une certaine déresponsabilisation de l’agent d’exécution. Le juge administratif puis le juge
judiciaire sont allés au-delà d’une simple garantie d’une personne par une autre, visant
à protéger les droits de la victime en lui offrant une sûreté. Ils ont en effet consacré
l’irresponsabilité de l’auteur d’une faute lorsque cette dernière s’inscrit dans la mission qu’il
exerçait, faisant une entorse au principe de responsabilité personnelle.
Le présent mémoire s’efforce de présenter la construction parallèle et convergente
de ces deux régimes d’irresponsabilité de l’agent d’exécution – préposé et agent public.
Les deux ordres juridictionnels français ont en effet consacré une responsabilité pour
autrui, c’est-à-dire un schéma triangulaire où la victime possèdera, selon les cas, un
recours contre l’agent d’exécution ou contre le commettant. Par facilité terminologique, le
« commettant » au sens large pourra désigner ici la personne pour le compte de laquelle
l’agent d’exécution agit : l’administration en droit public, le commettant stricto sensu en droit
privé. « L’administration » dont il s’agit, personne publique responsable selon les règles
spéciales du droit public, est soit une collectivité territoriale – ce qui regroupe l’État, les
régions, les départements, les communes et les collectivités territoriales à statut particulier –,
soit un établissement public. Mais « l’administration » responsable de l’agent public peut
9
également être un organisme de droit privé dans certains cas exceptionnels . Au contraire,
l’établissement public qui met en œuvre un service public industriel et commercial échappe
au domaine de la responsabilité administrative.
Tableau 1 : Agents d'exécution et commettants en droit public et en droit privé
commettant (lato sensu)
agent d’exécution
droit public
administration
agent public
droit privé
commettant (stricto sensu)
préposé
Le présent travail s’inscrit dans une approche de droit comparé interne : il s’agit de
comparer les solutions adoptées en droit civil et en droit administratif face à la même
question de la responsabilité de l’agent d’exécution. En effet, dans de nombreux domaines,
les juges des deux cours de cassation semblent soucieux, par objectif d’équité, de faire
converger les différents régimes de responsabilité qu’ils consacrent. Tel est notamment le
10
cas dans un autre régime de responsabilité du fait d’autrui, depuis que le Conseil d’État a
consacré la responsabilité administrative sans faute du fait de la garde des personnes qui
s’inspire largement de la règle consacrée par le Code civil en son article 1384, alinéa 1.
Le postulat de départ est que la situation du préposé est analogue à celle de l’agent
public, ce qui permet la comparaison des deux situations. Dans les deux cas, en effet, l’agent
d’exécution agit pour le compte d’un commettant lato sensu et, potentiellement, sous les
9
Il faut que la personne privée, dans la gestion déléguée d’un service public, ait mis en œuvre des prérogatives de puissance
e
public. Cf. J. Rivero, J. Waline, Droit administratif, Dalloz, 21 édition, 2006, n°269 p.211. Cela a été confirmé par un arrêt récent :
CE, 21 décembre 2007, Mme Lipietz et autres (à propos de la responsabilité de la SNCF pour sa participation, sous l’Occupation,
au transport de personnes déportées).
10
CE, Section, 11 février 2005, GIE Axa Courtage, conclusions C. Devys, RFDA 2005.3.595, conclusions C. Devys, note P.
Bon ; RFDA 2007.4.780, étude J.-C. Barbato.
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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
instructions de celui-ci. L’agent d’exécution est en quelque sorte un membre du commettant,
ou, du moins, c’est à ce dernier que l’activité profite directement. La rémunération de l’agent
d’exécution – éventuelle dans le cas du préposé – ne dépend pas directement de son
activité.
Pourtant, à ces situations juridiques similaires ont longtemps répondu des régimes de
responsabilité diamétralement opposés. D’une part, depuis l’arrêt Pelletier du Tribunal des
11
Conflits , le Conseil d’État consacrait la responsabilité de l’administration et l’immunité de
l’agent public dans le cadre du régime de la « faute de service ». D’autre part, la Cour
de cassation ne déduisait de l’article 1384, alinéa 5 qu’une simple garantie du commettant
semblable à un cautionnement : il n’excluait pas la responsabilité personnelle de droit
commun du préposé, ni le recours du commettant condamné contre son préposé.
L’arrêt Costedoat rendu par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 25
février 2000, confirmé par plusieurs arrêts postérieurs, a fondamentalement modifié cette
jurisprudence en disposant que, dans une certaine mesure, la responsabilité du commettant
exclut celle du préposé. Ainsi, la victime ne peut plus poursuivre le préposé, et le commettant
condamné ne dispose plus de recours contre lui.
Le présent mémoire tente alors de répondre à la question suivante : Dans quelle mesure
cette nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation réalise-t-elle une convergence de la
situation des agents d’exécution en droit privé et en droit public ? Plus largement, il s’agit
de déterminer les tenants et les aboutissants d’un rapprochement de deux régimes de
responsabilité du fait de l’agent d’exécution.
Le champ d’investigation est large et cette modeste recherche doit se limiter à la règle
générale, mettant l’exception à l’écart. Ne sont, par conséquent, pas envisagés, en droit
public, les régimes dérogatoires étendant l’immunité de l’agent public : la loi du 7 février
1933 substituant la responsabilité de l’État à celle des magistrats judiciaires condamnés à
la suite d’une procédure de prise à parti, la loi du 5 avril 1937 étendant l’immunité conférée
aux instituteurs publics, etc.
De même, en droit privé, il est fait abstraction en particulier du régime propre de
responsabilité de la personne morale pour le fait de ses dirigeants sociaux. Dans ce
domaine, une jurisprudence a d’ailleurs affirmé que « la qualité de mandataire attribuée à
certains organes dirigeants d’une société n’est pas nécessairement exclusive de celle de
12
préposé » : le dirigeant peut donc, au moins dans certaines circonstances, être assimilé
au préposé. A défaut, la responsabilité des dirigeants de sociétés obéit à des dispositions
13
légales particulières dont l’interprétation a connu une évolution parallèle à celle de la
14
responsabilité des préposés . Par ailleurs, la responsabilité dont il est ici question, est de
nature extracontractuelle. Or, le droit civil distingue la responsabilité extracontractuelle du
commettant de la responsabilité contractuelle de celui qui a eu recours à autrui pour réaliser
15
son obligation . L’exclusion de ces deux régimes de responsabilité empêche sans doute
11
12
13
14
TC, 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1er supplément 117, conclusions David ; D.1874.III.5, concl. David ; GAJA n°2
ère
Civ 1 , 27 mai 1986, Bull. civ. I n°154.
Il s’agit de la loi du 24 juillet 1966, reprise dans le Nouveau Code de commerce aux articles L.225-251s.
e
Cf. F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, Les obligations, Dalloz, 9 édition, 2005, n°846 p.819 ; J. Mestre, D. Velardocchio,
C. Blanchard-Sébastien, Lamy, Sociétés commerciales, édition 2004. Le dirigeant n’est responsable qu’en cas de faute qui lui soit
« imputable personnellement ».
15
10
e
G. Viney, P. Jourdain, Les Conditions de la responsabilité, L.G.D.J., 3 édition, 2006, n°816 p.1037
MAYER Benoît_2007
Introduction
de prendre l’exacte mesure de l’ensemble des influences qui ont pesé sur le juge judiciaire
lors de son revirement, mais elle semble nécessaire à la cohérence de ce mémoire.
La responsabilité de l’agent d’exécution vis-à-vis de son commettant (lato sensu) est
exclue du champ d’étude. Pour autant, il sera nécessairement fait référence, au fil du
développement, à la responsabilité contractuelle du salarié à l’égard de son employeur et
à la responsabilité disciplinaire de l’agent public.
Le présent mémoire s’articule en deux parties chronologiques. La première partie décrit
la construction parallèle des deux régimes de responsabilité de l’agent d’exécution, c’està-dire la responsabilité limitée de l’agent public d’une part et la situation incertaine du
préposé avant l’arrêt du 25 février 2000 d’autre part. La deuxième partie met en lumière le
bouleversement opéré par l’arrêt Costedoat : elle souligne le rapprochement opéré par le
juge judiciaire vers le régime de la responsabilité de l’agent public. Elle tente également de
dégager la signification de la solution commune aux deux branches du droit.
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La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Partie 1 : La construction parallele de
deux regimes de responsabilité de
l’agent d’execution
L’immunité complète de l’agent public qui agit dans l’exercice de ses fonctions (1) contraste
fortement avec la responsabilité systématique du préposé en droit privé antérieurement à
l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 (2).
Titre 1 : La responsabilité limitée de l’agent public
Si la doctrine et la jurisprudence administratives ont distingué faute de service et faute
personnelle, c’est originalement pour que seule la première engage la responsabilité de
l’administration (1). Pour autant, les faits montrent que l’auteur de la faute personnelle n’est
qu’exceptionnellement inquiété (2).
1/ La responsabilité de principe de l’administration
La responsabilité autonome de l’administration (1) se limite aux hypothèses de fautes dites
« de service » et imputables à ce titre à l’administration (2).
1.1 L’invention d’une responsabilité administrative autonome
L’idée que l’administration publique ne doit pas répondre aux règles de droit commun de la
responsabilité délictuelle ne s’est pas imposée sans difficulté. Les doctrines administrative
e
et judiciaire se sont opposées tout au long du XIX siècle, aussi bien quant à la compétence
juridictionnelle que sur les règles à appliquer. Le juge judiciaire se déclarait compétent et
mettait en œuvre la règle de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, affirmant ainsi l’insertion de
l’État dans le champ des règles de droit civil concernant la responsabilité des commettants
16
pour le fait de leurs préposés .
A l’opposé, le Conseil d’État se voulait compétent pour tout recours tendant à affirmer
la responsabilité de l’État. La doctrine administrative se basait d’une part sur la théorie de
17
l’État débiteur, d’autre part sur la séparation des pouvoirs. La théorie de « l’État débiteur »
affirmait qu’il revenait « à l’autorité administrative (…) de statuer sur les demandes qui
18
tendent à constituer l’État débiteur » , ce qui conduisait à soutenir que seul le juge
16
Civ., req. 1er avril 1845, D.P.45.1.261, cité par le Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco.
17
re
François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.128-129
18
12
CE 6 décembre 1855, Rotschild, Rec. CE 707
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Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
administratif pouvait statuer sur une requête tendant à créer une créance à la charge de
l’État.
L’invocation de la séparation des pouvoirs allait dans le même sens. Elle impliquait que
seul le juge administratif était compétent pour juger de l’administration. Après tout, l’article
13 de la loi des 16 et 24 août 1790 ne portait-il pas interdiction aux juges judiciaires de
« troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs » ?
Quant au fond du droit, le juge administratif concluait à l’irresponsabilité de l’État. E.
Laferrière affirmait, dans ce sens, que « le propre de la souveraineté est de s’imposer à
19
tous, sans qu’on puisse réclamer d’elle aucune compensation » . Ainsi, « les victimes de
20
mesures législatives ou réglementaires n’ont (…) aucun droit à réclamer » , même face
à des actes irréguliers ou à des fautes caractérisées, sauf à invoquer un texte législatif
21
spécial .
Ainsi, selon la doctrine administrative, le juge administratif était compétent ; il devait
appliquer un droit propre ; et il devait conclure à l’irresponsabilité de l’État. Cette doctrine
laissait pourtant la place à deux exceptions. Premièrement, la distinction pouvait être faite
22
(et elle le fut en 1850 ) entre l’acte accompli dans l’exercice des fonctions administratives
et le fait personnel extérieur et insusceptible d’être rattaché aux fonctions : dans le second
cas, les tribunaux judiciaires recouvrent leurs compétences.
Une deuxième exception, plus fondamentale, concernait la possibilité d’une
responsabilité de l’État dans les domaines qui n’engagent pas la souveraineté, c’est-à-dire
23
les actes de gestion de « l’État personne civile » , opposés aux actes d’autorité de l’État
souverain. Ainsi, une responsabilité de plein droit de l’administration fut progressivement
24
admise, celle-ci n’étant « ni générale, ni absolue » et « se [modifiant] suivant la nature et
25
les nécessités de chaque service .
Le conflit persistant entre les deux ordres juridictionnels fut finalement tranché par le
26
Tribunal des Conflits lors de l’arrêt Blanco rendu en 1873.
« Considérant que la responsabilité, qui peut incomber à l’État pour les
dommages causés aux particuliers par le fait des personnes qu’il emploie dans le
service public, ne peut être régie par les principes qui sont établis dans le Code
civil, pour les rapports de particulier à particulier ; Que cette responsabilité n’est
ni générale, ni absolue ; qu’elle a ses règles spéciales qui varient suivant les
besoins du service et la nécessité de concilier les droits de l’État avec les droits
privés… »
19
e
E. Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, t.2, Berger-Levrault, 2 éd., 1896, p.13 et 183s.
e
Cité par R. Chapus, Droit administratif général, Tome 1, Montchrestien, 15 édition, 2001, n°1399, page 1227.
20
re
F. Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.149
21
22
23
24
par exemple : CE 13 janvier 1865, Payerne, S 1865.2.20
re
TC, 20 mai 1850, Manoury, cité par François Burdeau, Histoire du droit administratif, 1 édition : 1995, p.150
Commissaire du Gouvernement David, Conclusions sous Blanco.
L’expression, rendue célèbre par l’arrêt Blanco du Tribunal des Conflits, apparaît pour la première fois dans CE 8 août 1844,
Dupart. Cité par F. Burdeau, op. cit.
25
26
CE 6 décembre 1855, Rotschild, précité
TC 8 février 1873, Blanco, Rec. CE 1er supplément 61, Ccl David ; GAJA n°1
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13
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Sur le plan de la compétence comme sur la question du droit applicable, l’arrêt Blanco donne
raison à la doctrine administrative : l’autorité administrative « est seule compétente » pour
connaître des litiges concernant la responsabilité de l’État, et celle-ci « ne peut être régie par
les principes qui sont établis dans le Code civil, pour les rapports de particulier à particulier ».
Et le juge de confirmer que la responsabilité de l’État « n’est ni générale, ni absolue » et « a
ses règles spéciales qui varient suivant les besoins du service et la nécessité de concilier
les droits de l’État avec les droits privés ».
L’arrêt Blanco fonde ainsi la responsabilité de la puissance publique, entendue non
27
seulement comme la responsabilité que peuvent encourir les personnes publiques ,
mais surtout comme « un régime de responsabilité qui doit être différent de celui de la
28
responsabilité selon le droit privé » . Et l’un ne peut aller sans l’autre : dans l’esprit du juge
de 1873, « la condition mise à l’abandon du principe d’irresponsabilité, c’est la soustraction
de la responsabilité administrative aux principes du Code civil qui entraîneraient trop loin la
29
responsabilité de la puissance publique » .
Pourtant, si le principe d’autonomie de la responsabilité administrative affirme que le
juge administratif n’est pas lié par le droit civil, il n’interdit pas au juge administratif de
s’inspirer des solutions trouvées par le juge judiciaire. Comme le souligne R. Chapus, « en
droit administratif comme en droit privé, la question est de savoir à quelles conditions
et selon quelles modalités un dommage doit être réparé. Il est presque inévitable que
les réponses données à cette question se rejoignent à de nombreux égards et que
30
des influences s’exercent entre les deux ordres juridictionnels. » Après une période
de méfiance durant laquelle la responsabilité de l’État n’était admise que dans des
circonstances rares, les « règles spéciales » de la responsabilité des personnes publiques
ont constitué un régime de responsabilité beaucoup plus large que les différents régimes
31
de responsabilité des personnes morales ou physiques en droit privé . La responsabilité
de l’administration, progressivement élargie – abandon progressif de la faute lourde,
développement des cas de présomption de faute, voire même responsabilité sans faute –,
s’arrête toutefois, en droit, là où commence la responsabilité de l’agent public.
1.2 Les limites de la responsabilité de l’administration : faute de service
contre faute personnelle
Si la responsabilité de l’administration se limite à la faute de service et exclut la faute
personnelle, c’est d’abord afin de ne pas porter atteinte au principe de la séparation des
autorités judiciaires et administratives (1), et seulement ensuite pour protéger l’agent public
de la responsabilité de certaines fautes (2).
1.2.1 La responsabilité de l’administration comme garantie de la séparation
des autorités judiciaires et administratives
27
Il s’agit non seulement des personnes publiques, mais aussi des entrepreneurs de travaux publics et des institutions de droit
privé lorsque les faits dommageables sont en relation avec leurs activités de gestion publique.
28
29
30
31
14
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.1228
J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.394
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1400 p.1228 ?
J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°460 p.395
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
Le régime dit de « garantie des fonctionnaires » a été établi par l’article 75 de la Constitution
de l’an VIII : « les agents du Gouvernement (…) ne peuvent être poursuivis pour des faits
relatifs à leurs fonctions, qu'en vertu d'une décision du Conseil d'État ». Cette autorisation
était rarement donnée et fondait en pratique une situation d’irresponsabilité de l’agent
32
33
public , particulièrement flagrante sous le Second Empire .
er
C’est dans ce contexte que l’article 1 du décret-loi du 19 septembre 1870 vient
brutalement abroger l’article 75 de la Constitution de l’an VIII ainsi que « toutes autres
dispositions des lois générales ou spéciales ayant pour objet d’entraver les poursuites
34
dirigées contre les fonctionnaires publics de tout ordre » . Est ainsi remis en cause à
dessein tout le système de l’irresponsabilité des fonctionnaires. Des principes nouveaux
35
doivent alors être posés, ce qui fut fait par l’arrêt Pelletier du Tribunal des Conflits .
Plusieurs lectures divergentes du décret d’abrogation étaient possibles. Celui-ci aurait
pu être interprété comme confiant au juge judiciaire une « compétence ordinaire pour
36
l'ensemble des actions en responsabilité fondées sur une faute du service public » . La
responsabilité de principe aurait alors sans doute été celle de l’agent. La responsabilité de
l’administration n’aurait été que subsidiaire : celle-ci « ne serait intervenue, le cas échéant,
37
que comme garante, et en cas d'insolvabilité de l'agent condamné » . L’agent public aurait
38
alors été responsable dans les mêmes conditions que le préposé en droit privé .
Mais le Tribunal des Conflits procède en 1873 à une autre interprétation, plus restrictive,
mais tout de même progressiste, tenant compte du décret de 1870, mais sans lui donner
39
l’application globale qu’il aurait pu avoir .
40
A l’origine de cette interprétation, le Commissaire du Gouvernement David distingue
entre deux « garanties des fonctionnaires » qui existaient antérieurement au décret de 1870 :
« La première [garantie] constituait une garantie personnelle aux fonctionnaires
publics, établie en leur faveur (…) pour les protéger contre les animosités ou
l’esprit de parti, en soumettant la poursuite à l’autorisation préalable de l’autorité
supérieure ; c’était une simple règle de procédure. (…) La seconde constitue
une garantie réelle, établie en faveur de l’administration pour défendre contre
l’ingérence des tribunaux les actes qui, revêtus de son caractère et de son
autorité, lui appartiennent en propre. »
Or, le décret-loi du 19 septembre 1870 n’avait supprimé que la « garantie personnelle » et
ne pouvait être revenu, sans que ni le corps du texte, ni ses motifs n’y fassent mention, sur
la « garantie réelle » de l’administration, corollaire du principe fondamental de la séparation
des autorités judiciaires et administratives. Ainsi, dès lors qu’une demande en indemnisation
32
33
e
G. Braibant, B. Stirn, Le droit administratif français, Presses de Sciences Po et Dalloz, 7 édition, 2005, p.321
e
Y. Gaudemet, Traité de droit administratif, Tome 1 : droit administratif général, L.G.D.J., 16 édition, 2001, n°1636 p.789
34
35
36
37
38
39
40
cité par R. Chapus, 2001, op. cit., n°1523
er
TC 30 juillet 1873, Pelletier, Rec. CE 1 supplément 117, Concl. David ; GAJA n°2 p.8-15
D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.
D’après Léon Blum, Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1523.
Y. Gaudemet, op. cit., n°1638bis p.789
David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité.
MAYER Benoît_2007
15
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
impliquait l’évaluation de la légalité d’un acte administratif, la compétence juridictionnelle
était administrative.
Le « fait personnel de nature à engager [la] responsabilité particulière [du
fonctionnaire] », qui sera plus tard qualifié de « faute personnelle », est ainsi conçu dans
l’arrêt Pelletier comme ce qui se détache assez complètement du service pour que le juge
judiciaire puisse en faire la constatation sans porter pour autant une appréciation sur la
marche même de l’administration. Au contraire, la « faute de service », même si elle est
également le fait d’un agent, est tellement liée au service que son appréciation par le juge
judiciaire impliquerait nécessairement une appréciation sur le fonctionnement du service,
ce qui serait contraire à la séparation des autorités judiciaires et administratives.
Or, la compétence entraîne le fond du droit. Devant le juge administratif, seule peut être
indemnisée la faute de service ; mais seul le service peut être alors tenu pour responsable.
Le juge judiciaire, compétent en matière de faute personnelle, applique les règles du droit
civil concernant la responsabilité pour faute, en particulier l’article 1382 du Code civil, et
41
ne peut condamner que l’agent public, à l’exclusion de l’administration . Il résulte donc
de cette répartition du contentieux, une répartition des responsabilités : l’administration est
exclusivement responsable et responsable exclusive de la faute de service.
1.2.2 La responsabilité de l’administration comme protection offerte aux
agents publics
La distinction de la faute de service et de la faute personnelle a été l’objet d’une
jurisprudence abondante au cours de laquelle le critère de la distinction entre faute de
service et faute personnelle a été progressivement modifié.
Le critère objectif, développé par le Commissaire du Gouvernement David dans l’arrêt
Pelletier, a été repris par le Commissaire du Gouvernement Blum dans l’affaire Lemonnier
42
. Selon cette conception, la distinction doit être définie par son objectif : la protection de
la séparation des pouvoirs. Ainsi, « il y a faute de service lorsque son appréciation oblige
le juge à apprécier l’acte de l’Administration et il y a faute personnelle lorsqu’il n’y a pas à
43
apprécier cet acte » .
Or, ce critère objectif a été peu à peu remplacé par un critère subjectif visant à la
protection de l’agent public. Ainsi le Commissaire du Gouvernement Laferrière considérait
qu’il y a faute de service « si l’acte dommageable est impersonnel, s’il révèle un
administrateur plus ou moins sujet à erreur, et non l’homme avec ses faiblesses, ses
44
passions, ses imprudences » . Maurice Hauriou ne dira pas le contraire, définissant la faute
de service comme « celle qui correspond à la marge de mauvais fonctionnement qu’il faut
45
attendre de la diligence moyenne » . Au contraire, il y a faute personnelle, selon Laferrière,
« si (…) la personnalité de l’agent se révèle par des fautes de droit commun, par un dol »,
puisque, alors, « la faute est imputable au fonctionnaire, non à la fonction ».
41
Cass. Crim. 28 octobre 1981, Dame Genod et Aubry, Bull. crim. 1981, n°287 ; - Cass. Crim. 13 octobre 2004, Bonnet,
Mazères, dans l’affaire dite des « paillotes corses ».
42
43
44
45
16
Conclusions sous Époux Lemonnier, CE 26 juillet 1918.
J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°507 p.433
Conclusions sur TC 5 mai 1877, Laumonnier-Carriol, Rec. CE 437
Note sous CE 5 février 1911, Anguet : S 1911.3.137
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
Dès lors, la faute de service a davantage pour objectif de protéger le fonctionnaire
contre la charge d’un risque lié à l’activité qu’il exécute, que de protéger l’administration
des empiètements du juge judiciaire en vue de garantir la séparation des autorités
administratives et judiciaires. Cela constitue sans doute, au final, un retour sur la distinction
des deux « garanties des fonctionnaires » décrites par le Commissaire du Gouvernement
David. La faute de service, initialement consacrée comme « garantie réelle, établie en faveur
de l’administration pour [la] défendre contre l’ingérence des tribunaux », a progressivement
constitué à nouveau une « garantie personnelle aux fonctionnaires publics, établie en leur
46
faveur » !
C’est en se fondant sur cette conception de la faute de service comme instrument
47
juridique de protection de l’agent public que le Conseil d’État refusa, dès 1874 ,
de consacrer une action récursoire de l’administration condamnée à indemniser la
victime d’une faute de service, contre son agent, auteur matériel de ladite faute.
L’impérative protection des agents publics est, par exemple, exprimée par le considérant
de l’arrêt Laruelle : « les fonctionnaires et agents des collectivités publiques ne
sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences
48
dommageables de leurs fautes de service » .
La jurisprudence du Conseil d’État allait même jusqu’à reconnaître à l’agent public un
droit à ne pas supporter la charge de l’indemnisation d’une faute de service dont il est l’auteur
49
50
matériel. La jurisprudence apparue dès 1924 , confirmée par le législateur dès 1941 ,
établissait que « lorsqu’un fonctionnaire a été poursuivi par un tiers pour faute de service
et que le conflit d’attribution n’a pas été élevé, la collectivité publique doit, dans la mesure
où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable
à ce fonctionnaire, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui ». L’agent
public peut ainsi demander à l’administration la prise en charge de la condamnation civile
prononcée contre lui pour faute de service, et, le cas échéant, demander l’annulation du
51
refus devant le juge administratif – tel fut le cas dans l’arrêt Delville .
En principe, la victime d’une faute de service ne peut invoquer la responsabilité de
l’agent public, et l’agent public ne devrait donc pas être condamné. Cette condamnation peut
46
47
David, Conclusions sous l’arrêt Pelletier, précité.
CE 10 juillet 1874, Baron, Rec. CE p.648 S.1876.II.159 ; - CE 4 décembre 1891, Bastier, Rec. CE p.726, S.1893.III.116,
conclusions Jagerschmidt ; - CE 9 février 1894, Brocks, Rec. CE p.109 ; - CE 10 novembre 1899, Meyer, Rec. CE, .622 ; - CE 18 avril
1907, Gleize, Rec. CE p.133, conclusions Romieu, S.1909.III.102, conclusions ; - CE 6 novembre 1906, Gougain, Rec CE p.811 ; CE 28 mars 1924, Poursines, Rec. CE p.357, D.1924.III.49, RDP 1924 p.601 note G. Jèze ; - CE 14 décembre 1934, Dizier, Rec. CE
er
p.1188, D.H. 1935, 120 ; - CE 1 août 1942, Préour, Rec. CE p.248 ; - CE 20 juin 1947, Caisse de crédit municipal de Strasbourg,
Rec. CE p.275 ; - CE 28 juillet 1951, Laruelle, D.1951.623, note Nguyen Do, JCP 1951.II.6532 note J.J.R., RDP 1951 p.1080 note
M. Waline, S.1952.III.25, note A. Mathiot, S.1953.III.25 note R. Meurisse
48
Formulation de l’arrêt CE 28 juillet 1951, Laruelle. Les arrêts précédents ne font pas explicitement référence à la « faute
de service », mais à la « faute commise à l’occasion des fonctions » (28 mars 1924) ou à la « faute commise dans l’exercice des
fonctions » (20 juin 1947).
49
CE 8 février 1924, Raymond, S. 1926, III, 17, note M. Hauriou, J.A., 1, 668 ; - CE 18 octobre 1935, Herteau, Rec. CE, p.951 ;
- CE 19 novembre 1937, Époux Crouzet, S. 1938, III, 100, a contrario
50
Article 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; art. 24 de la loi du 14 septembre 1941 ;
article 14.2 de la loi du 19 octobre 1946 ; article 11 de l’ordonnance du 4 février 1959 ; art. 11.2 de la loi du 13 juillet 1983 portant
droits et obligations des fonctionnaires.
51
CE Ass. 28 juillet 1951, Delville, Rec. CE 464
MAYER Benoît_2007
17
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
néanmoins résulter d’une divergence d’appréciation entre juges sur la nature exacte de la
faute. Elle peut aussi être due à ce que l’action n’a pas été élevée et qu’un juge incompétent
a statué au fond. Mais, dans la plupart des cas, elle est la conséquence d’une condamnation
de l’agent à l’intégralité de la réparation, alors que sa faute personnelle était rendue possible
par une faute de service. Il en a en particulier été jugé ainsi dans l’arrêt Papon : la faute
personnelle de l’ancien préfet, condamné pénalement pour crime contre l’humanité, avait
été rendue possible par une faute de service constituée par la collaboration de l’État français
de Vichy ; il appartenait donc à l’État de prendre à sa charge la moitié des condamnations
52
civiles dues aux ayants-droits des victimes .
Ainsi, aujourd’hui, la responsabilité de l’administration vise principalement à ne pas faire
supporter la charge financière du risque de l’activité administrative aux agents publics. Les
considérations propres au droit public – la protection de l’administration souveraine – ont
ainsi laissé la place à des considérations d’un ordre plus général – la protection de l’agent
d’exécution –, aisément transposables en droit privé.
2/ Les restrictions à la responsabilité de l’agent public auteur d’une
faute personnelle
De ce qui précède, découle un principe simple : la faute de service engage la responsabilité
53
de l’administration et la faute personnelle, celle (exclusive) de l’agent . Cette règle apparaît
54
« à première vue comme la plus logique et juridiquement la plus élégante » . Elle
a pourtant été abondamment battue en brèche par le développement d’une garantie
par l’administration de la faute personnelle de l’agent (1). L’« action récursoire » de
l’administration contre l’agent responsable donne en droit la cohérence à cette garantie
administrative de la faute personnelle, mais sa faible utilisation tend à exonérer les agents
publics de la responsabilité qui leur incombe (2).
2.1 Le développement d’une garantie de la faute personnelle par
l’administration
La garantie de son agent par l’administration a été construite en deux étapes : d’abord par
la théorie du cumul de fautes (1), puis par celle du cumul de responsabilité (2).
2.1.1 Première étape : la théorie du cumul de fautes
La distinction rigide entre faute de service et faute personnelle ne pouvait échapper
à une difficulté : qui, de l’agent ou de l’administration, devrait supporter la charge de
l’indemnisation des dommages causés par deux fautes concomitantes, l’une personnelle,
l’autre de service ? La réponse équitable était sans doute une répartition des charges entre
les deux responsables ; mais cela était rendu très difficile, sinon impossible, par le principe
de séparation des juridictions administratives et judiciaires, empêchant à un seul juge de
statuer sur une répartition équitable de la contribution entre l’agent et l’administration. La
52
Telle était l’hypothèse retenue dans l’arrêt CE Ass., 12 avril 2002, Papon, Rec. CE 139 conclusion Boissard, RFDA 2002.582,
concl. Boissard ; AJDA 2002.423, chr. Guyomar et Collin ; LPA 28 mai 2002, Concl. Boissard, note E. Aubin ; D.2003.647, note Delmas
Saint-Hilaire ; JCP 2002.II.10161, note Moniolle ; Gaz. Pal. 28-30 juill. 2002.27, note Petit ; RDP 2002.1511, note Degoffe, et 1531,
note Alvés ; RDP 2003.470, note Guettier ; RFDC 2003.513, comm. Verpeaux.
53
54
E. Laferrière, Traité de droit administratif, éd. 1896, II, 182
Y. Gaudemet, op. cit., n°1640 p.790
18
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
condamnation partielle de chaque responsable par un juge différent obligeait la victime à
agir deux fois et créait un risque d’indemnisation double ou partielle.
55
La solution fut inventée par le Conseil d’État en 1911 à l’occasion de l’arrêt Anguet .
En l’espèce, l’horloge d’un bureau de poste était légèrement déréglée et un employé avait
fermé avant l’heure la porte destinée au public – il y avait là, manifestement, une faute de
service, puisque celle-ci ne laissait en rien transparaître « l’homme avec ses passions »,
mais bien l’aléa et l’erreur. Or, un usager se trouva de la sorte retenu dans le bureau de
poste. Alors qu’il tentait de sortir par la porte de service vers laquelle on l’avait orienté, un
employé le surprit et, se méprenant sur les motifs de sa présence dans la salle, l’en expulsa
violemment et le blessa. Les violences constituées par cette expulsion « musclée » furent
qualifiées à l’époque de faute personnelle. Ainsi, les deux fautes, l’une personnelle et l’autre
de service, avaient contribué à la survenance d’un même préjudice.
Le Conseil d’État accepta alors de sacrifier la beauté de l’édifice à une solution
équitable. Puisque la faute de service était l’une des causes directes de l’accident, le droit
de la victime à obtenir une indemnisation totale par l’État fut reconnu : « l’accident (…)
doit être attribué, quelle que soit la responsabilité personnelle encourue par les agents
(…), au mauvais fonctionnement du service public ». Autrement dit : la faute de service
peut l’emporter sur la faute personnelle et en quelque sorte l’inclure, parce que la première
a rendu la survenance de la seconde possible. Pour le juge administratif, le schéma est
nettement clarifié : la victime doit poursuivre l’administration, qui indemnise l’ensemble du
préjudice. Ainsi, les deux difficultés soulevées par le cumul des fautes sont résolues : l’action
est unique (pas besoin de poursuivre à la fois l’agent et l’administration) ; l’indemnisation
est intégrale mais ne peut dépasser le préjudice, n’étant pas fixée concurremment par deux
juges différents.
Le juge judiciaire avait mis en place un régime équivalent : l’agent public, poursuivi pour
une faute personnelle concomitante à une faute de service, était condamné à l’intégralité
de la réparation et pouvait exiger la prise en charge par l’administration d’une part de sa
condamnation. Devant chacun des deux juges, le régime aboutissait donc à une forme de
solidarité des deux codébiteurs que sont l’administration et son agent.
2.1.2 Deuxième étape : la théorie du cumul de responsabilité
Cette hypothèse d’un cumul des fautes fut ensuite complétée par celle d’un cumul des
responsabilités, élargissant le champ de responsabilité de l’administration. Dans cette
seconde hypothèse, il n’y a qu’une seule faute, qualifiée de faute personnelle de l’agent ;
mais le juge administratif condamnera tout de même l’administration à indemnisation des
victimes, se fondant sur l’inclusion de la faute personnelle dans le service.
Cette solution est consacrée par le Conseil d’État dans un arrêt de 1918, Époux
56
Lemonnier . En l’espèce, un maire n’avait pas pris les mesures manifestement nécessaires
à la sécurisation d’une promenade située derrière un stand de tir, en conséquence de quoi
Mme Lemonnier avait reçu une balle perdue dans le cou. Bien qu’elle y ait survécu, les
époux Lemonnier avaient saisi le juge judiciaire, qui, en appel, avait condamné le maire à
indemnisation. Or, la victime ne pouvait être sûre d’être intégralement indemnisée par le
maire, dont les ressources étaient limitées. Elle avait donc poursuivi l’administration.
55
56
CE 3 février 1911, Anguet, Rec. CE 146, S. 1911.3.137 note Hauriou
CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41,
concl. Blum, note Hauriou
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19
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
En l’espèce, le Conseil d’État devait-il se dessaisir du recours, sous le prétexte que le
dommage devait être indemnisé par le juge judiciaire ? En aucun cas, selon le conclusions
du Commissaire du Gouvernement Blum – suivi par le Conseil d’État – qui, se basant sur le
principe de l’indépendance des deux ordres juridictionnels, conclut que le juge administratif
devait « faire abstraction complète de décisions judiciaires qui ont pu ou pourront intervenir
sur la question de la faute personnelle ». Dès lors, le juge administratif ne devait pas
s’interroger sur l’existence d’une faute personnelle, mais seulement sur l’imputabilité du
fait au service. Et, dès lors que, comme en l’espèce, la faute avait été conditionnée par le
service, alors le service ne devait-il pas « recouvrir » la faute ?
« Si [la faute] a été commise dans le service, ou à l'occasion du service, si les
moyens et les instruments de la faute ont été mis à la disposition du coupable
par le service, si la victime n'a été mise en présence du coupable que par l'effet
du jeu du service, si, en un mot, le service a conditionné l'accomplissement de
la faute ou la production de ses conséquences dommageables vis-à-vis d'un
individu déterminé, le juge administratif, alors, pourra et devra dire : La faute se
détache peut-être du service ; c'est affaire aux tribunaux d'en décider ; mais le
57
service ne se détache pas de la faute. »
Il est ainsi envisageable qu’un seul fait constitue une faute personnelle, engageant la
responsabilité personnelle de l’agent public devant le juge judiciaire, mais ne soit pas
suffisamment distinct du service pour ne pas engager la responsabilité de l’administration.
La faute personnelle et la responsabilité personnelle qui s’ensuit n’excluent pas la
condamnation concurrente de l’administration. La possibilité, pour la victime, d’obtenir la
condamnation de l’agent devant le juge judiciaire ne l’empêche pas de rechercher la
responsabilité du service devant le juge administratif.
Or, la responsabilité de l’administration pour les fautes personnelles commises par ses
agents a été progressivement élargie. Lors de l’arrêt Époux Lemonnier, cette hypothèse de
responsabilité administrative semble limitée à la faute personnelle commise dans l’exercice
58
même des fonctions. Dans la lignée, l’arrêt Quesnel de 1937 affirme que la victime d’un
vol commis par une receveuse des postes doit être indemnisée par l’administration : « la
seule circonstance que la faute personnelle ait été commise dans le service suffit pour que
la responsabilité de l’administration soit engagée ».
Une extension importante fut réalisée en 1949, à l’occasion de l’arrêt Demoiselle
59
Mimeur . En l’espèce, le conducteur d’un camion militaire s’était détourné de son itinéraire
normal pour rendre visite à sa famille, lorsqu’il avait causé un accident de la circulation. Il
n’était manifestement pas « dans l’exercice de ses fonctions ». Pourtant, le juge administratif
souligna que la faute n’était, du moins, « pas dépourvue de tout lien avec le service » :
l’État fournissait le camion et, ainsi, créait un risque. Le Conseil d’État conclut de cela que
la responsabilité de l’administration était engagée par l’accident.
Par la suite, la même solution a été appliquée aux autres fautes personnelles « non
dépourvues de tout lien avec le service », notamment au sujet des accidents provoqués par
57
CE 26 juillet 1918, Époux Lemonnier, Rec. CE 761, concl. Blum, D. 1918.3.9, conclu. Blum, note Jèze ; S. 1918-1919.3.41,
concl. Blum, note Hauriou
58
59
CE 21 avril 1937, Dlle Quesnel, Rec. CE 413
CE Ass. 18 novembre 1949, Dlle Mimeur, Defaux, Bethelsemer, p.492, D.1950.667 note J.G., JCP 1950, n°5286, concl. F.
Gazier, RDP 1950, p.183, note M. Waline
20
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
60
l’utilisation maladroite – mais, heureusement, jamais dans le cas d’une utilisation criminelle
61
– d’une arme à feu détenue par le gardien de la paix du fait d’une obligation statutaire .
La Cour administrative d’appel de Paris a récemment retenu que le cambriolage d’une
bijouterie par un enquêteur de police n’était pas dépourvu de tout lien avec le service, dès
62
lors que l’auteur avait profité du conseil d’un serrurier rencontré dans le service . Ainsi
la gravité de la faute commise – faute intentionnelle, délit pénal, crime – n’importe pas :
63
l’écriture de faux par un maire peut entraîner la responsabilité de la commune .
Il demeure néanmoins que la faute personnelle n’engage pas la responsabilité de
l’administration si elle est dépourvue de tout lien avec le service. Ainsi en va-t-il du douanier
qui, bien que revêtu de son uniforme, profite de son apparence de douanier pour arrêter
64
une personne avec qui il a un différend d’ordre privé et qu’il finit par blesser mortellement .
De même, la faute de conduite de l’agent public utilisant son véhicule personnel pour se
65
rendre à son service n’engage pas la responsabilité de l’administration .
Lorsqu’elle est retenue, cette condamnation de l’administration n’exclut pas la
responsabilité de ses agents. Dès lors, il existait un risque de double indemnisation de la
victime. Selon la solution adoptée de manière constante depuis l’arrêt Époux Lemonnier,
la victime est désintéressée par le paiement par l’agent, et non peut donc obtenir la
condamnation de l’administration qu’à hauteur de ce que l’agent ne lui a pas encore payé.
Surtout, l’administration est subrogée aux droits de la victime contre l’agent public fautif :
après avoir désintéressé la victime, elle peut poursuivre son agent dans les conditions où
la victime aurait pu le faire. L’administration dispose ainsi d’« un recours subrogatoire » ou
« action en garantie » contre l’agent responsable.
66
2.2 Les potentialités inexploitées de l’action en garantie
Les deux théories du cumul visent principalement à protéger davantage les droits de la
victime à une indemnisation. Sitôt qu’elle a le moindre doute sur la solvabilité de l’agent
public, la victime a tout intérêt à saisir directement le juge administratif d’une demande
d’indemnisation portée à l’encontre de l’administration. Il s’ensuivait, en fait sinon en droit,
un retour à l’irresponsabilité de l’agent public, d’autant plus insupportable que la théorie
du cumul de responsabilités s’étendait notamment aux fautes personnelles commises en
67
dehors des fonctions et couvrait des fautes pénales. Jusqu’en 1951, l’absence d’action en
garantie de l’administration contre l’agent responsable créait de fait une immunité de celuici, dans le cadre même de sa faute personnelle (1).
60
61
62
63
64
65
66
CE, 23 juin 1954, Dame Veuve Litzler, p. 376 ; - CE, 12 mars 1975, Gilles, n°94206
CE, ass., 26 octobre 1973, Sadoudi, p. 603
CAA Paris, 27 décembre 2003, n°99PA04181, inédit au Recueil.
CE 2 mars 2007, Banque française commerciale de l’Océan indien, n°283257.
CE 23 juin 1954, Veuve Litzler, précité
CE 8 novembre 1995, Ferron, p.1029, n°133060.
Le terme d’action en garantie ou d’action récursoire, généralement admis, n’est pas exact. L’administration ne poursuit
pas son agent en justice, mais émet seulement un titre exécutoire par lequel elle constitue son agent débiteur. L’agent,
seul, peut ensuite agir en annulation du titre exécutoire. L’analogie avec le mécanisme de l’action en garantie en droit privé
des obligations justifie pourtant cette assimilation.
67
J. Waline, « De l’irresponsabilité des fonctionnaires pour leurs fautes personnelles et des moyens d’y remédier », RDP, 1948, p. 5s.
MAYER Benoît_2007
21
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Il était alors nécessaire que le juge admette l’action récursoire de l’administration contre
son agent, ne serait-ce que dans un souci de bonne gestion financière de l’État, mais peutêtre aussi pour « moraliser la fonction publique en rendant aux agents le sentiment de leur
68
responsabilité personnelle » (2).
Dès lors que cela fut fait, on ne peut que regretter le faible usage de l’action
récursoire (3).
2.2.1 De 1911 (Anguet) à 1951 (Delville) : un système contradictoire
De l’arrêt Anguet de 1911, consacrant pour la première fois l’obligation à la dette de
l’administration dans le cadre d’une faute personnelle (cumulée avec une faute de service),
jusqu’à 1951, le régime de responsabilité liée à la faute personnelle manquait de cohérence
interne. Manifestement, le responsable était bien l’agent public – sinon, pourquoi parler de
« faute personnelle » et opposer cette hypothèse à celle de la « faute de service » ? Dès
lors, l’obligation à la dette de l’administration n’était qu’une manière de garantir les droits de
la victime, mais ne devait pas valoir immunité de l’agent public. D’ailleurs, la victime pouvait
également poursuivre l’agent public.
La faille du système tenait donc au refus du juge administratif de consacrer une action
69
récursoire de l’administration contre son agent . Tout au plus le Conseil d’État acceptaitt-il de subroger l’administration dans les droits de la victime contre l’agent public fautif,
mais cela visait davantage à éviter une double indemnisation qu’à faire supporter la dette
70
à l’agent . Et, en toute hypothèse, cette subrogation ne pouvait être mise en œuvre qu’en
l’existence d’une obligation juridique de l’agent public, contre lequel la victime devait avoir
préalablement agi.
La situation était manifestement peu équitable, puisque un choix procédural de la
victime créait pour l’agent public et pour l’administration des différences importantes quant à
71
la répartition de la contribution finale à la dette . Ce système avait également pour défaut un
coût, injustifié car il faisait supporter l’indemnisation d’une faute personnelle au contribuable,
et excessif dès lors que la plupart des victimes préféraient poursuivre l’administration
dont la solvabilité était certaine. Des considérations de bonne gestion financière de l’État
poussèrent à un revirement de jurisprudence, menant la juridiction suprême à établir
complètement, en droit, la nature indirecte de la responsabilité de l’État pour les fautes
personnelles de ses agents.
2.2.2 A partir de 1951 : le cautionnement par l’administration
72
Avant même 1951 et dans le cadre de la jurisprudence Poursines , certaines dispositions
73
législatives permettaient à l’administration d’exercer une action récursoire dans des cas
68
e
M. Long, P. Weil, G. Braibant, P. Delvolvé, Les Grands Arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 16 édition, 2007,
n°69.2 (sous Laruelle et Delville), p.444
69
70
71
72
73
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1538
Voir notamment GAJA, op. cit., n°69.2 p.444
J. Waline, 1948, op. cit.
CE 28 mars 1924, Rec. CE 357, D. 1924.3.49, note Appleton, RDP 1924.601, note Jèze, S. 1926.3.17, note Hauriou
cf. en particulier la loi du 5 avril 1937
22
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
74
particuliers. Mais il faut attendre l’arrêt Laruelle du Conseil d’État, rendu le 28 juillet 1951 ,
pour que cette action récursoire de l’administration payeuse contre l’agent responsable soit
admise dans le silence même de la loi, et cela « sous l’empire de nécessités absolues
75
liées aux abus, par certains fonctionnaires, de leur irresponsabilité » . Le considérant
de l’arrêt est de principe : « si les fonctionnaires et agents des collectivités publiques
ne sont pas pécuniairement responsables envers lesdites collectivités des conséquences
dommageables de leurs fautes de service, il ne saurait en être ainsi quand le préjudice
qu’ils ont causé à ces collectivités est imputable à des fautes personnelles, détachables de
76
l’exercice de leurs fonctions » .
Le juge distingue deux hypothèses. D’un part, l’indemnisation payée par l’administration
peut l’être au titre d’une faute de service ; dans ce cas, aucune action récursoire contre
l’agent ne peut être envisagée.
D’autre part, l’indemnisation peut avoir été payée au titre d’une faute personnelle
de l’agent public. Alors, l’administration est en droit de demander à l’agent public de la
rembourser. Ainsi en allait-il dans l’espèce de l’arrêt Laruelle : un sous-officier avait causé
un accident en utilisant, en dehors du service et à des fins personnelles, la voiture militaire
dont il était le conducteur. Il y avait en l’occurrence un cumul de fautes : une faute de service
constituée par un défaut de surveillance par l’administration de son parc automobile et une
faute personnelle du sous-officier. L’administration avait émis un arrêté réclamant à son
agent le remboursement des sommes qu’elle avait dû verser à la victime. Le recours de
l’agent contre l’acte le rendant débiteur fut rejeté par le Conseil d’État, qui confirma ainsi la
possibilité d’une action récursoire.
L’arrêt met alors en lumière la solution logique applicable dans le cas d’un cumul de
fautes. Si le dommage a pour cause exclusive une faute personnelle, la personne publique
77
peut exercer une action récursoire pour le tout contre l’agent public fautif . Mais si le
dommage résulte des effets conjugués d’une faute personnelle de l’agent et d’une faute de
service, l’agent public ne supportera pas la part du dommage dont la faute de service est la
78
cause . La répartition des contributions finales de l’administration et de l’agent doit prendre
en compte « la gravité » respective de chaque faute.
Dans le cas d’un cumul de responsabilité, au contraire, l’administration peut réclamer
la totalité des charges dont elle s’est acquittée, étant donné que la seule faute existante est
79
bien la faute personnelle de l’agent . Il n’y a donc pas, à proprement parler, de « cumul de
responsabilités », mais le cumul d’une responsabilité et d’une garantie, car l’administration
a un rôle analogue à celui d’une caution.
74
75
76
CE Ass. 28 juill. 1951, Laruelle, Rec. CE 464, GAJA n°69
J. Guyénot, La responsabilité des personnes morales publiques et privées, thèse, LGDJ 1959, n°186 p.144
Nous ne nous étendrons pas sur les doutes qui peuvent exister sur la compétence du juge administratif en la matière. Cf J. Guyénot,
op. cit., n°190 p.147 : « les juridictions s’attribuent une compétence qui ne leur appartient pas. Elles empiètent sur la compétence
judiciaire, lorsqu’elles apprécient la faute personnelle d’un individu, à la suite de l’action récursoire intentée par la collectivité publique.
Les juridictions administratives devraient être dessaisies au profit des juridictions judiciaires. »
77
78
79
CE 17 décembre 1999, Moine
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1539
R. Chapus, 2001, op. cit., n°1539
MAYER Benoît_2007
23
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
80
Cette jurisprudence est encore pleinement en vigueur . Ainsi, la responsabilité de
l’administration du fait d’une faute personnelle s’analyse bien, depuis 1951, comme une
responsabilité indirecte parfaitement cohérente : la personne de l’agent n’est pas niée ;
le recours de la victime peut être exercé soit directement contre l’agent, soit contre
l’administration, mais dans le second cas, depuis 1951, l’administration peut exercer une
action récursoire contre son agent. Ainsi, l’obligation à la dette de l’administration dans le
domaine de la faute personnelle ne consiste, en droit, qu’en une garantie à l’égard des
victimes – ce qui protège la victime de l’insolvabilité de l’agent –; mais la contribution finale
à la dette est bien à la charge de l’agent.
Encore faut-il, cependant, que l’administration prenne l’initiative d’exercer une action
récursoire.
2.2.3 Le faible usage de l’action récursoire
Les mécanismes juridiques existent pour que l’agent public soit déclaré débiteur par
81
l’administration, mais demeurent inexploités. Il est devenu presque banal d’affirmer que
l’administration, « condamnée à réparer les dommages imputables à la faute personnelle
d’un de ses agents, met rarement en œuvre l’action récursoire que la jurisprudence met à
82
sa disposition » . Ainsi, à défaut de statistiques consultables, l’analyse du contentieux du
Conseil d’État laisse deviner que l’administration ne se retourne contre les agents publics
auteurs d’une faute personnelle qu’extrêmement rarement, souvent lorsque la faute est
d’une extrême gravité, comme celle d’un officier qui organise des tirs à balles réelles en
83
dehors de tout exercice organisé par l’autorité supérieure , ou extrêmement grossière,
comme dans le cas d’un juge administratif qui ne rend un jugement qu’après 18 ans, dont
84
8 ans de délibéré .
Ce laxisme des administrations publiques est critiquable en ce qu’il n’est assurément
pas le signe d’une bonne administration financière des pouvoirs publics. Il est de plus
85
difficilement justifiable, non pas tant parce qu’il écarte une responsabilité civile , mais plutôt
par son caractère non systématique, donc inique, et davantage encore parce qu’il crée une
différence de traitement importante et injustifiée entre l’agent public et toute autre personne.
L’immobilisme des administrations tient en partie à des raisons d’ordre sociologique.
Peuvent ainsi être invoquées la volonté de maintenir de bonnes relations entre les agents,
la crainte du supérieur hiérarchique de se retrouver un jour dans la même situation
fautive et la solidarité de fait entre agents publics. Cette mauvaise gestion tient peut-être
80
81
Cf. par exemple J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°465
Maestre, « La responsabilité civile des agents publics à l’égard des collectivités publiques doit-elle être abandonnée ? », Mélanges
Waline, 1974, t. II, p.575 ; Becet, « L’échec du système actuel de la responsabilité pécuniaire des agents publics à l’égard de
l’administration », Mélanges Stassinopoulos, 1974, p.165 ; C Lalumière, La responsabilité pécuniaire des agents publics envers les
collectivités publiques, 1968 ; O. Gohin, « Le retour à la garantie des fonctionnaires », note sous TC, 19 octobre 1998, Préfet du Tarn/
C.A. de Toulouse, D.1999.127
82
83
J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°465 p.398
CE 7/10 SSR, 17 décembre 1999, n° 199598 .
84
Selon un article de Libération, publié le 5 juillet 2006 : « un juge, recordman de lenteur, saisi au porte-monnaie à Nice ». Il est
intéressant de noter que, dans un cas aussi extrême, le juge en question n’était poursuivi que pour un quart de l’indemnité à laquelle
l’État avait été condamné.
85
24
Voir p.72s.
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
également de l’ignorance d’une possibilité de recours contre l’agent qui pourrait elle-même
être due à la complexité du droit de la responsabilité publique, ou l’inexistence d’organes
administratifs compétents en charge de mener cette action. L’omnipotence des syndicats
de fonctionnaires et le corporatisme de certains « corps de fonctionnaires » pourraient
également jouer un rôle important dans la protection excessive des agents publics, qui laisse
se répandre un sentiment d’impunité. Le contexte de restriction budgétaire et de rigueur
pourrait amener à une prochaine remise en cause de cette situation.
Titre 2 : Les incertitudes liées à la responsabilité du
préposé avant l’arrêt Costedoat
L’article 1384 du Code civil, en son paragraphe 5, fonde le régime de responsabilité
du commettant en ces termes : « Les maîtres et commettants [sont responsables] du
dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les
ont employés ». Le « maître » n’est aujourd’hui considéré que comme un cas particulier
86
de commettant ; et le domestique, un préposé comme un autre . Cependant, la mention
expresse de l’hypothèse de la relation de maître à domestique est typique de la société de
1804. Au contraire, aucune référence explicite n’est faite du salariat, qui ne s’est développé
ème
87
réellement qu’au XX
siècle . L’hypothèse aujourd’hui la plus courante est celle où
le commettant est une entreprise et le préposé, un salarié. Pour autant, la vertu des
normes juridiques est sans doute leur capacité à s’appliquer avec justesse à des situations
nouvelles.
Il n’en demeure pas moins que la concision de la règle est aujourd’hui surprenante et
88
contraste fortement avec certains autres articles du Code civil de 1804 . Mais, là aussi, ce
décalage entre la loi et la réalité s’explique, au moins en partie, par l’ancienneté du texte
de loi et le développement depuis 1804 d’un contentieux abondant de la responsabilité. Il
n’empêche que des normes plus précises auraient pu être adoptées durant les deux siècles
89
nous séparant de la première écriture du Code civil . En réalité, le législateur semble s’être
délibérément contenté de ne donner que de grands principes, laissant au pragmatisme
du juge, conseillé par une doctrine abondante, le soin de les adapter aux circonstances
du temps. La jurisprudence est ainsi devenue, en droit civil de la responsabilité, une
source importante. Ce travail d’interprétation du juge concerne en particulier, dans le cas
de la responsabilité du commettant, la découverte des conditions de mise en jeu de la
responsabilité du commettant (1). Il concerne également l’articulation de l’article 1384,
alinéa 5, avec le principe posé par l’article 1382 du Code civil, selon lequel « tout fait
quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel
il est arrivé, à le réparer » (2).
86
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°827 p.798. Une recherche sur Legifrance ne permet pas de trouver le moindre arrêt faisant
référence à la responsabilité du maître pour le fait de son préposé.
87
A propos de l’histoire du salariat, de ses origines à aujourd’hui : S. Bernard et F. Vatin (direction), Le salariat : Théorie, histoire
et formes, La dispute, 2007
88
89
Par exemple, les longues considérations de l’article 653 sur la propriété des murs mitoyens.
L’avant-projet de réforme du droit des obligations élaboré par la réforme Catala modifie ainsi la règle applicable à la
responsabilité des commettants. Cf. p.82.
MAYER Benoît_2007
25
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
1/ L’obligation à la dette du commettant
Deux conditions découlent naturellement du principe de la responsabilité du commettant : un
lien de préposition doit exister et le fait dommageable doit être imputable au préposé (1). De
plus, la responsabilité du préposé doit avoir été soulevée en conséquence d’un fait commis
dans l’exercice de ses fonctions (2).
1.1 Les deux conditions de mise en cause du commettant
Pour que le commettant puisse être appelé en garantie par la victime, deux conditions
doivent naturellement être réunies : l’existence d’un lien de préposition (1) et l’imputabilité
du fait dommageable au préposé (2).
1.1.1 Le lien de préposition
90
La qualification de « commettant » et de « préposé » suppose un lien de préposition entre
les deux. Ce lien est entendu très largement par la jurisprudence qui se satisfait de vérifier
91
l’existence d’un « rapport de subordination » .
92
Aucun contrat n’est nécessaire à l’existence d’un lien de subordination . Pour autant,
« c’est, dans l’immense majorité des cas, l’existence d’un contrat de travail qui caractérise »
93
la relation du commettant au préposé . Dans le cas où existe un contrat de travail – salarié
94
ou non –, il semble admis qu’un lien de subordination se présume, en droit français comme
95
dans la plupart des droits étrangers . Le lien de préposition est également reconnu dans
96
le travail dissimulé .
Si le contrat de travail constitue généralement un lien de subordination, il n’en est de
même pour les autres contrats que dans la mesure où ils « obligent l’une des parties à "agir
pour le compte d’une autre", laquelle exerce sur la première un "pouvoir de surveillance et
97
de contrôle" » . Peu de contrats répondent réellement au critère de contrôle. Le contrat de
mandat, par exemple, ne constitue pas à lui seul le rapport de subordination, sauf en cas de
98
« circonstances spéciales » qu’il appartient au juge du fond de relever . Ne constitue pas
non plus de lien de subordination le contrat de louage d’ouvrage, l’indépendance dont jouit
90
Le terme de « commettant » de l’article 1384, aliéna 5, du Code civil, ne fait pas allusion au contrat de commission du Code de
commerce (art. L132-1sq, L110-1), contrat par lequel le commettant dépêche un intermédiaire du commerce (le commissionnaire),
agissant en son nom propre mais pour le compte du commettant.
91
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°829 p.799
92
93
94
95
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.800
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°792 p.982
C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, n°18-21.
G. Eörsi, « Private and governmental liability for the torts of employees and organs », International Encyclopedia of
Comparative Law, vol. XI, chap.4, n°55
96
Crim. 20 février 2001, pourvoi n° 00-83696. La même solution fut appliquée dans un cas particulier (travailleur déclaré faisant
des heures supplémentaires non déclarées) : CA Douai, 24 mai 2005, Juris-Data n°2005-282869.
97
98
26
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795 p.987
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°795-1 p.988
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
l’entrepreneur dans l’organisation et l’accomplissement du travail qu’il a promis d’effectuer
99
étant un trait caractéristique de ce contrat .
Il se peut enfin, dans des circonstances toutefois particulièrement rares, que le lien
100
101
de subordination ne soit pas d’origine contractuelle . Il résulte alors de liens de famille ,
102
103
104
de concubinage , d’amitié ou de complaisance occasionnelle , même à un parfait
105
inconnu – à condition toutefois qu’une personne ait demandé à une autre de l’aider, ce
106
qui exclut la gestion d’affaire .
1.1.2 L’imputabilité du fait dommageable au préposé
L’article 1384, aliéna 5, exige seulement « un dommage causé » par le préposé pour
mettre en cause la responsabilité du commettant. Il ne fait pas référence à une faute.
107
S’éloignant en cela de la règle de 1804, du moins de sa lettre, la jurisprudence et la
108
doctrine sont presque unanimes à consacrer l’exigence d’un « acte susceptible d’engager
[la] responsabilité personnelle [du préposé] vis-à-vis de la victime s’il avait agi pour son
109
propre compte » . Ainsi, seul ce qui aurait été de nature à engager la responsabilité du
préposé, peut engager celle du commettant. Il est souvent reproché au commettant un délit
civil du préposé, mais sa responsabilité peut aussi bien être constituée sur la base de toute
110
autre régime de responsabilité .
Par exemple, la Cour de cassation a d’abord rejeté la responsabilité du commettant
111
pour l’acte du préposé commis sous l’empire d’un trouble mental : l’aliéné n’étant pas
responsable, il ne pouvait transmettre sa responsabilité au commettant. Mais, lorsque la
112
réforme du 3 janvier 1968 a mis à la charge de l’aliéné la réparation des dommages
causés même sous l’emprise du trouble mental, la Cour de cassation a justement admis
99
Un chauffeur de taxi n’est pas le préposé de son client qui n’a pas d’ordres à lui donner pour la manière de conduire la
voiture : Crim 30 octobre 1902, DP 1904.5.592, S. 1902.1.544. De même, un entrepreneur principal n’est pas le commettant du sousème
traitant, qui garde une indépendance dans son travail : Civ 3
, 8 mars 1989, Bull. civ. III, n°58, p.33.
100
101
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°830 p.801
ème
ère
Entre époux : Civ. 2
, 27 juin 1974, JCP, 1974, IV, p.297 ; - Civ. 1 , 17 juillet 1979, D. 1980, IR, p.114 ; Entre parents
et enfants : Civ., 4 décembre 1945, JCP, 1946, II, 3110, note J. R.
102
103
104
105
Crim. 6 mars 1931, Gaz. Pal., 1931, I, 537
er
Req. 1 mai 1930, DP 1930.1.137, note R. Savatier ; Civ. 4 décembre 1945, JCP 1946.II.3110
Crim. 20 mai 1976, Gaz. Pal. 1976.2.545, note Y. M., RTD civ. 1976.786, obs. G. Durry
ème
Civ. 2
, 11 octobre 1985, Bull. civ., II, n°175
106
Civ. 24 juillet 1935, Gaz. Pal., 1935, 2, 598 ; - Comm. 16 janvier 2007, 05-11507, non publié au bulletin.
e
re
Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein ; - Civ 2 , 11 mai 1956, D., 1957, p.121, note R. Rodière ; - Civ. 1 , 13
e
e
novembre 1968, Bull. civ., I, n°276 ; - Civ. 2 , 21 octobre 1966, Bull. civ., II, n°862 ; Civ. 2 , 8 octobre 1969, Bull. civ., II, n°269 ; re
e
Civ. 1 , 9 juin 1993, Bull. civ., I, n°209, p.146 ; - Civ. 2 , 8 avril 2004 ; JCP G, 2004, II, 10131, note Mickaël Imbert, RTD civ., 2004,
107
p. 517, obs. P. Jourdain.
108
109
110
pour l’opinion contraire, voir G. Durry, obs. RTD civ., 1976, p.143 ; F. Millet, L’acceptation des risques réhabilitée ?, D. 2006 p.2830
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°807 p.1010
Sauf garde de la chose. Cf. p. 46.
111
112
Civ., 15 mars 1956, JCP, 1956, II, 9297, note P. Esmein
article 489-2 du Code civil
MAYER Benoît_2007
27
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
que, par conséquent, le commettant de l’aliéné pouvait à son tour être responsable des
113
dommages causés par son préposé .
Dès lors, dans le cas d’une responsabilité du commettant fondée sur la faute du
préposé, le demandeur devra prouver la faute du préposé. La responsabilité du commettant
consiste donc fondamentalement dans le paiement de la dette d’autrui. La responsabilité
est, à l’origine, celle du préposé, soit qu’il ait commis une faute – et c’est l’application de
la règle générale de la responsabilité pour faute de l’article 1382 du Code civil –, soit qu’il
ait agi de quelque manière susceptible d’engager sa propre responsabilité, et donc, par
transmission, celle du commettant. Comme il ne s’agit pas d’une présomption de faute de
surveillance par le commettant sur le préposé, le commettant ne peut pas s’exonérer de
sa responsabilité en prouvant qu’il a mis tout en œuvre pour éviter la faute du préposé.
Ainsi, les causes exonératoires (force majeure, faute d’un tiers ou de la victime) ne sont
114
valables que tant qu’elles valent à l’égard du préposé . Cependant, le commettant tentera
de se décharger de sa responsabilité en prouvant que la faute du préposé se détache des
fonctions : il y a un abus de fonctions.
1.2 Le lien du fait imputable au préposé avec ses fonctions
La troisième condition de la garantie du préposé par son commettant est plus
problématique : un lien entre les fonctions et le fait imputable au préposé doit exister.
Bien entendu, la responsabilité du préposé n’engage pas celle du commettant lorsque sa
faute n’est sans aucun rapport avec les fonctions. Mais où tracer la frontière ? A partir de
quel moment le lien entre l’acte du préposé et ses fonctions est-il suffisamment ténu pour
exonérer le commettant ? Des conflits jurisprudentiels (1) ont finalement abouti à la théorie
actuelle de l’abus de fonction (2).
1.2.1 Péripéties jurisprudentielles
L’alinéa 5 de l’article 1384 précise que, si les commettants peuvent être responsables du
fait de leurs préposés, encore faut-il que ce fait s’inscrive « dans les fonctions auxquelles
ils les ont employés ». La comparaison avec les droits étrangers ayant retenu des solutions
115
analogues montre que la loi française appelle a priori à une responsabilité assez restreinte
du commettant, l’acte dommageable devant avoir été commis « dans l’exercice [même]
des fonctions », et non simplement « à leur occasion ». Toujours est-il que, « en France
comme ailleurs (…) les tribunaux ont éprouvé de très sérieuses difficultés pour déterminer
concrètement quelles sont, parmi les activités du préposé, celles qui sont suffisamment
liées aux fonctions que lui a confiées le commettant pour engager, en cas de dommage,
116
la responsabilité de celui-ci. »
S’opposent ainsi deux fondements de ce régime de
responsabilité : la protection des victimes ou l’intérêt économique.
La jurisprudence retint d’abord une solution favorable à la victime et une lecture en
réalité assez libre du texte qui retenait la responsabilité du commettant dès lors que l’acte
117
dommageable « n’était pas étranger à l’exercice des fonctions » ou « avait été facilité
113
114
115
116
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°843 p.816
G. Eörsi, op. cit., n°80
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°797 p.993
117
28
e
e
Civ. 2 , 24 octobre 1973, D., 1974, somm., p.6, JCP 1973 IV p.395 ; - Civ. 2 , 3 mars 1977, D., 1977, p.501, note C. Larroumet
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1000
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
118
par l’exercice de la fonction »
, même s’il avait été manifestement commis dans un but
e
tout autre que celui assigné par le commettant. A partir des années 1950, pourtant, la 2
Chambre civile annonça une conception restreinte de la responsabilité du commettant :
« Attendu que si le commettant peut, en dehors des dommages causés par le
préposé dans l’exercice de ses fonctions, être également déclaré responsable
des conséquences dommageables de l’activité de son préposé lorsque celleci s’exerce vers un but qui lui a été fixé ou, plus exceptionnellement et suivant
les circonstances, lorsque le préposé a utilisé dans un but étranger les moyens
mis à sa disposition par le commettant, c’est toutefois à la condition que le fait
dommageable se rattache par un lien de causalité ou de connexité à l’exercice
des fonctions et que le préposé puisse être réputé avoir agi pour le compte du
119
commettant ; »
e
La jurisprudence de la 2 Chambre civile fut renforcée par la suite. La notion d’abus de
120
fonction fut introduite en la matière par un arrêt postérieur selon lequel la responsabilité
du commettant doit être écartée dès lors que « l’acte dommageable a trouvé sa source dans
un abus de fonction de la part du préposé, ledit abus supposant nécessairement que cet
acte est étranger à la fonction ».
121
La Chambre criminelle ne modifiant pas sa jurisprudence , une divergence flagrante
apparut entre la jurisprudence du juge civil et celle du juge pénal. L’arrêt des Chambres
réunies du 9 mars 1960 opta pour la conception de la Chambre civile d’un examen strict du
122
rapport de l’acte dommageable à la fonction ; mais la Chambre criminelle persista dans
123
sa jurisprudence antérieure. En 1977, un arrêt de l’Assemblée plénière trancha dans le
124
même sens restrictif ; mais, encore une fois, la motivation de l’arrêt était trop « neutre » ,
pas assez large, pour faire autorité : « le commettant n’est pas responsable du dommage
causé par le préposé qui utilise, sans autorisation, à des fins personnelles, le véhicule
à lui confié pour l’exercice de ses fonctions ». La Chambre criminelle se plia alors dans
l’unique hypothèse de l’utilisation par le préposé du véhicule de l’employeur à des fins
125
personnelles , rejetant encore la responsabilité sur le commettant dans tous les autres
118
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°834 p.804
119
er
Civ, 1 juillet 1954, D. 1954.628 ; JCP 1954.II.8352
120
ème
Civ. 2
, 14 juin 1957, D. 1958.53, note R. Savatier
121
122
Par exemple Crim. 20 mars 1958, Bull. crim. n°280, p.484
Chambres réunies, 9 mars 1960, D. 1960.329, note R. Savatier ; JCP 1960.II.11559, note R. Rodière ; Gaz. Pal. 1960.1.313 ;
Grands arrêts, n°211. En l’espèce, un accident avait été causé par un préposé qui, dépourvu de permis de conduire, s’était emparé
d’un véhicule au mépris des ordres et à l’insu du commettant. La Chambre criminelle avait admis une conception très extensive de la
relation de l’acte dommageable avec la fonction, estimant qu’il suffit que le fait dommageable ait été commis par le préposé, au moyen
des facilités que lui procuraient ses fonctions. Or, la Cour de renvoi refusa de s’incliner. Les Chambres réunies ont alors consacré une
vision beaucoup plus restrictive de la responsabilité du commettant, a contrario de la solution adoptée par la Chambre criminelle.
123
Ass. Plén., 10 juin 1977, D. 1977.465, note C. Larroumet, JCP 1977.II.18730, concl. P. Gulphe, Defrénois 1977.1517, obs.
J.-L. Aubert, RTD civ. 1977.74, obs. G. Durry, Grands arrêts, n°212. Il s’agit, là aussi, d’un nouveau pourvoi en cassation après une
première cassation et le refus de la Cour de renvoi de s’aligner sur la position de la Chambre criminelle.
124
125
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1001
Par exemple Crim. 18 juillet 1978, Bull. crim. n°237, p.627
MAYER Benoît_2007
29
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
126
e
127
cas d’abus de fonctions , malgré la prise de position inverse de la 1 Chambre civile . Un
128
nouvel arrêt de l’Assemblée plénière défendit de nouveau une conception restrictive de
la responsabilité du commettant, cette fois en des termes plus généraux : « les dispositions
de l’article 1384, alinéa 5, du Code civil ne s’appliquent pas au commettant en cas de
dommage causés par le préposé qui, agissant sans autorisation à des fins étrangères à
ses attributions, s’est placé hors des fonctions auxquelles il est employé ». La Chambre
129
criminelle adhéra finalement à la position de l’Assemblée plénière .
1.2.2 L’abus de fonctions, limite de la garantie du commettant
Au début des années 1980, si certaines divergences entre les différentes Chambres
130
demeurent , l’opposition polaire qui avait créé deux « camps ennemis » depuis les années
1950 s’est néanmoins évanouie. Un compromis minimaliste entre les différentes formations
de la Cour de cassation peut alors apparaître autour de l’idée que l’abus de ses fonctions
par le préposé s’oppose à l’intervention d’une responsabilité du commettant.
L’abus de fonction se compose alors d’un élément subjectif : la poursuite d’une fin
étrangère aux fonctions. Il se compose par ailleurs d’un élément objectif : l’absence
131 , 132
d’autorisation par le commettant
.
133
A ces deux conditions cumulatives de l’abus de fonction, un arrêt du 19 mai 1988
est venu en ajouter un troisième : la faute doit avoir été commise « hors des fonctions ». Le
134
considérant est, depuis , resté le même :
« Mais attendu que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son
préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et
à des fins étrangères à ses attributions. »
Cette définition de l’abus de fonctions fait l’unanimité depuis deux décennies. La
135
Commission Catala a proposé d’intégrer ces trois éléments au Code civil . La charge de
la preuve repose sur le commettant, qui doit prouver l’abus de fonction pour échapper à son
136
obligation – et cela peut être difficile .
126
Crim. 18 juin 1979, Bull. crim. n°212, p.582 ; D. 1980.inf. rap.36, obs. C. Larroumet ; - Crim. 13 mai 1980, JCP 1980.IV.281 ;
RTD civ 1981.159, obs. G. Durry
127
ère
Civ 1 , 13 février 1975, RGAT, 1975, p.544
128
Ass. Plén., 17 juin 1983, JCP 1983.II.20120, concl. P.-A. Sadon, note F. Chabas ; RTD civ. 1983.749, obs. G. Durry ; Grands
arrêts n°213.
129
130
Cf. Crim. 15 mai 1986, Gaz. Pal. 1986.2.682 ; - 22 janvier 1987, Bull. crim. n°37, p.91 ; - 10 nov. 1987, D. 1988.inf. rap.23
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°804 p.1004-1006
131
Ass. plén., 17 nov. 1985, D. 1986.81, note J.-L. Aubert, JCP 1986.II.20568, note G. Viney, RTD civ. 1986, obs. J. Huet,
Grands arrêts, n°214.
132
133
134
C. Larroumet, note D.1988.515
C Cass Ass. plénière, 19 mai 1988
voir par exemple Cass. 2e Civ, 16 juin 2005, 03-19705, Bulletin 2005.II.158 p.141 ; - Cass. 2e Civ, 3 juin 2004, 03-10819,
Bulletin 2004.II.275, p. 233.
135
Article 1359, alinéa 2, de l’Avant-projet de Réforme du Code civil : « Le commettant n’est pas responsable s’il prouve que le
préposé a agi hors des fonctions auxquelles il a été employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ».
136
30
C. Radé, « Responsabilité des commettants », op. cit., n°40sq.
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
De plus, les critères de l’abus de fonctions sont appréciés strictement : par conséquent,
l’abus de fonctions n’est retenu que rarement. Ainsi, la Chambre criminelle de la Cour
de cassation a estimé qu’il n’y avait pas eu d’abus de fonctions lorsqu’un préposé avait
137
assassiné son chef de service . En effet, si le préposé avait manifestement agi « sans
autorisation » et « à des fins étrangères à ses attributions », il n’avait toutefois pas agi
« hors de ses fonctions », comme le laisseraient apparaître le fait que le crime « a été
commis sur les lieux de travail » et « à l’occasion des fonctions que le préposé exerçait
dans l’entreprise ».
L’appréciation stricte de l’abus de fonction élargit corollairement l’application de l’article
1384, alinéa 5 du Code civil. L’amplitude de l’obligation du commettant à la dette se
justifie, dans le régime de l’avant-Costedoat, par la possibilité d’une action en garantie du
commettant contre son préposé. En principe, la contribution finale à la dette n’appartient
qu’au préposé. La garantie du commettant vise seulement à fournir de meilleures chances
d’indemnisation à la victime.
2/ La responsabilité problématique du préposé
Avant l’arrêt Costedoat, le préposé était au second plan : l’obligation du commettant à la
dette était interprétée comme une garantie offerte à la victime et ne devait pas profiter au
préposé (1). La doctrine a pu souligner l’iniquité de cette solution et appeler à un revirement
(2).
2.1 L’insécurité juridique de la situation du préposé
L’action reconnue à la victime contre le commettant n’excluait pas son action de droit
commun contre le préposé – la victime avait ainsi une option entre poursuivre le préposé
ou son commettant. De plus, le commettant condamné pouvait en tout état de cause se
retourner contre son préposé fautif. En effet, l’obligation du commettant à la dette n’était
qu’une garantie, elle ne produisait que les effets d’un cautionnement. L’obligation à la dette,
qui concernait concurremment le commettant et le préposé, se distinguait de la contribution
définitive à la dette, qui pesait exclusivement sur le préposé (1). Cependant, la rigueur de
ce régime fut aménagée par des règles de droit et par la pratique, aboutissant à une série
d’exceptions qui mettaient en lumière l’iniquité du principe (2).
2.1.1 Le principe de la contribution définitive à la dette du préposé
La règle de la responsabilité du commettant se heurte à celle exprimée par l’article 1382
138
du Code civil selon laquelle « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un
dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer ».
139
Par rapport au droit romain ou à l’ancien droit , l’article 1382 innove en créant un
principe général de responsabilité pour faute, consacrant la conception des Lumières d’une
autonomie de la volonté. Depuis, ce principe est devenu « le centre du droit » et « est en train
137
138
Cass. crim 25 mars 1998, 96-85593, Bulletin criminel 1998 n°113 p.297.
Pour être plus précis, ce n’est pas seulement la responsabilité pour faute de l’article 1382 qui est en jeu, mais toutes les règles
fixant la responsabilité d’un individu pour ses propres faits. Dans un souci de simplicité, seule la faute sera retenue par la suite comme
élément déclencheur d’une responsabilité.
139
Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit,
e
LexisNexis Litec,3 édition, 2006 : n°5 p.3.
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31
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
140
d’"absorber" le droit tout entier » . Aujourd’hui, « l’article 1382 structure mentalement les
141
Français » . D’où une difficulté fondamentale : comment articuler la règle de l’article 1384,
alinéa 5, d’une responsabilité pour autrui, et la règle de l’article 1382, d’une responsabilité
de chacun pour sa propre faute ? Est-ce que la responsabilité du commettant « gomme »
celle du préposé ? Autrement dit : l’article 1384, aliéna 5, vise-t-il à protéger la victime en
lui ouvrant une action supplémentaire contre le commettant, ou à protéger le préposé en
le déresponsabilisant ?
142
Deux analyses opposées de l’articulation de ces deux règles existaient
et
correspondaient à deux types de responsabilité différents : soit une responsabilité directe du
commettant qui est substitué au préposé ; soit, au contraire, une responsabilité indirecte du
commettant, avec une action récursoire contre le préposé et la possibilité, pour la victime,
de poursuivre l’un, l’autre ou les deux.
Jusqu’à l’arrêt Costedoat, le juge avait clairement pris parti pour la seconde
interprétation : la responsabilité du commettant s’ajoutait à la responsabilité du préposé,
qu’elle ne remplaçait pas. L’article 1384, alinéa 5, était ainsi supposé devoir profiter à la
victime, non au préposé. C’est ce qu’exprimait sans ambiguïté, par exemple, un arrêt de
e
143
1974 de la 2 Chambre civile :
« Mais attendu que l’article 1384 du Code civil, généralement édicté pour assurer
à la victime d’un dommage la réparation qui lui est due, a, dans son alinéa 5,
spécialement pour but de protéger les tiers contre l’insolvabilité de l’auteur du
préjudice en leur permettant de recourir contre son employeur ; Qu’il s’ensuit
que le préposé, dont la faute entraîne la responsabilité civile de son commettant,
ne saurait appeler ce dernier en garantie, la victime ayant seule qualité pour le
mettre en cause, et invoquer contre lui, à son profit, les dispositions du texte
susvisé. »
Deux mécanismes juridiques attestaient de la nature indirecte de la responsabilité du
commettant. Premièrement, « la victime [pouvait] agir, à son gré, soit contre le répondant du
fait d’autrui, soit contre l’auteur matériel du dommage dont elle se plaint, soit encore contre
les deux ensemble ». Deuxièmement, « dans le cas où le répondant [avait] dû indemniser la
victime, il [pouvait] exercer un recours contre l’auteur réel du préjudice, afin de se décharger
144
sur lui du poids de la condamnation ».
1°/ L’acceptation d’un choix d’actions de la victime était constante au moins depuis
e
145
146
le milieu du XIX siècle . La victime pouvait s’adresser uniquement au commettant .
Elle pouvait également agir, sur la base de l’article 1382, exclusivement contre le préposé
140
Henri Mazeaud, L’absorption des règles juridiques par le principe de la responsabilité civile, DH 1935, Chr. p.5
141
Philippe Delebecque, Frédéric-Jérôme Pansier, Droit des obligations. Tome 2 : Responsabilité civile, Délit et quasi-délit,
ème
LexisNexis Litec,3
édition, 2006 : n°22 p.9.
142
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°810 p.1013-1014
e
Civ. 2 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi 72-14444. Voir également Crim. 19 octobre 1982, JCP,
e
1983, IV, p.4 ; - Civ. 2 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119
143
144
F. Roques, « L’action récursoire dans le droit administratif de la responsabilité », AJDA, 1991, I, p. 75-90, en part. p.76
145
146
Voir par exemple : R. Chapus, Responsabilité publique et responsabilité privée, thèse, LGDJ, 1957, n°188 p.212
e
Req. 19 février 1866, S. 1866, I, 214 ; - Crim. 2 décembre 1881, S. 1883, I, 44. Plus récemment : Civ. 2 11 mars 1971,
Bull. civ. II, n°113
32
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
147
auquel était refusé le droit de se prévaloir d’une responsabilité de son commettant . Enfin,
bien naturellement, elle pouvait combiner les deux actions, l’une fondée sur l’article 1382
et dirigée contre le préposé, l’autre fondée sur l’article 1384, aliéna 5, et dirigée contre le
148
commettant : commettant et préposé étaient alors condamnés in solidum .
2°/ Le commettant qui avait supporté la charge de la responsabilité d’un préposé
149
pouvait exercer contre ce dernier une action récursoire , sans par exemple qu’il soit
150
nécessaire d’établir une faute lourde . L’action récursoire pouvait même être exercée
par le commettant dans l’instance où il était poursuivi, par un appel en garantie contre
151
le préposé . En effet, selon l’attendu généralement adopté, « la personne civilement
responsable a un recours à exercer contre celui qui, par son fait, a causé le dommage qu’elle
152
a été condamnée à réparer » .
2.1.2 L’aménagement de la responsabilité du préposé
La sévérité de la règle selon laquelle la contribution définitive à la dette doit être supportée
intégralement par le préposé a été très atténuée. D’une part, les victimes poursuivaient
plus souvent les commettants que les préposés (1). Ensuite, l’assurance du commettant ne
pouvait pas exercer d’action en garantie contre le préposé (2). Enfin, le commettant était
supposé être le gardien de la chose qu’il mettait à la disposition du préposé, ce qui rendait
impossible toute action contre ce dernier (3).
2.1.2.1 La victime préfère généralement poursuivre le commettant
La victime a une option entre poursuivre le commettant sur la base de l’article 1384, aliéna
5, ou le préposé, généralement sur la base de l’article 1382. Certes, il ne faut pas exclure
qu’une victime préfère diriger son action contre le préposé, soit par volonté de vengeance –
elle souhaite faire punir le préposé, le « faire payer » sa faute –, soit même par stratégie – le
commettant peut disposer de meilleurs moyens de défense juridique, par exemple l’accès
à un meilleur avocat ; ne pas l’impliquer dans la procédure peut permettre d’augmenter les
chances de gagner un procès.
Cependant, si la victime agit en justice, c’est avant tout pour obtenir une indemnisation :
c’est pourquoi elle préfèrera en général poursuivre le créancier le plus solvable. Le
commettant est généralement plus solvable que le préposé. C’est particulièrement le
cas, très fréquent, où le commettant est une entreprise qui a souscrit une assurance
147
e
Req. 17 juillet 1876, S. 1876, I, 477. Plus récemment : Civ. 2 6 février 1974 : D. 19754.409, note Le Tourneau, pourvoi
e
72-14444 ; Civ. 2 28 octobre 1987 : Bull. civ. II, n°214, R., p.218
148
e
e
Civ. 1 6 octobre 1971, RGAT, 1972, p.376 ; Crim. 15 avril 1972, JCP, 1972, IV, p.132 ; Civ. 2 6 février 1974, D., 1974,
e
p.409, note P. Le Tourneau ; Civ. 2 28 octobre 1987, Bull. civ., II, n°214, p.119
149
Crim. 11 juin 1808, S.I.541 ; Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460 ; Req. 16 juillet 1928, DH, 1928, p.477 ;
Soc. 10 mai 1939, D.H. 1939, 391, S. 1939, I, 251 ; Civ 28 janvier 1955, D. 1955.449 note R. Savatier ; Dijon, 28 novembre 1975,
re
re
JCP, 1976, IV, p.171 ; Civ. 1 20 mars 1979, D.1980.29 note C. Larroumet ; Com. 29 octobre 1982, JCP, 1983, IV, p.14 ; Civ. 1 25
novembre 1992, Bull. civ., I, n°292, p.191, RCA 1993, com., n°28, obs. H. Groutel
150
re
Civ 1 20 mars 1979, D. 1980.29 note Larroumet
151
152
M.-T. Rives-Lange, « Contribution à l’étude de la responsabilité des maîtres et commettants », JCP G 1970.I.2309, n°11
par exemple : Req. 24 février 1886, D. 1887, I, 31, S. 1886, I, 460, cité par R. Chapus, 1957, op. cit., n°189 p.212
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33
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
« responsabilité civile exploitation », laquelle prend en charge l’indemnisation des fautes du
153
154
préposé , même intentionnelles .
Ainsi, très souvent, seul le commettant était poursuivi, à l’exclusion du préposé.
2.1.2.2 L’assurance du commettant ne peut pas poursuivre le préposé fautif
Souvent, lorsque le commettant était poursuivi, c’était son assurance qui indemnisait
la victime. La prise en charge par l’assurance du commettant désintéressait bien sûr
155
le commettant de tout recours contre son préposé . Quant à la société d’assurance,
interdiction lui était faite d’exercer d’action récursoire contre le préposé. L’article 36, alinéa 3,
de la loi du 13 juillet 1930 sur le contrat d’assurance, devenu par la suite l’article L.121-12.3
du code des assurances, stipule en effet qu’elle « n'a aucun recours contre les (…) préposés,
employés, ouvriers ou domestiques (…), sauf le cas de malveillance commise par une de
ces personnes ».
Encore fallait-il que le commettant soit assuré. Même dans l’hypothèse où le
commettant est une société, il n’existe pas d’obligation générale de souscrire à un contrat
d’assurance. De plus, en tout état de cause, le commettant pouvait le cas échéant faire
156
supporter la charge de la franchise à son préposé .
2.1.2.3 Le commettant reste gardien du bien confié au préposé
157
Enfin, une jurisprudence consacrée en 1929 stipulait que l’utilisation par le préposé, dans
le cadre de ses fonctions, de moyens matériels mis à sa disposition par le commettant ne
lui faisait pas acquérir la garde des choses : au contraire, le commettant restait le gardien
de la chose. La même jurisprudence fut appliquée concernant la loi du 5 juillet 1985 sur les
accidents impliquant des véhicules terrestres à moteurs : en principe, le préposé conducteur
n’était pas le gardien du véhicule appartenant à son commettant, en tout cas pas le gardien
158
de la structure .
153
L’obligation est consacrée par l’article 121-2 du Code des assurances : « L’assureur est garant des pertes et dommages
causés par des personnes dont l’assuré est civilement responsable en vertu de l’article 1384 du Code civil, quelles que soient la nature
et la gravité des fautes de ces personnes ». La règle est d’ordre public : Cass. civ., 12 nov. 1940 : RGAT 1941, p. 40.
154
G. Courtieu, « Assurances terrestres – Assurance responsabilité des entreprises – Assurance responsabilité civile
exploitation », in Jurisclasseur Responsabilité civile et assurance, fascicule 581-30, n°16-20. L’assurance d’une faute intentionnelle,
en principe exclue, ne pose pas de problème lorsque la faute est commise par une autre personne que celle dont la responsabilité
est engagée. Il va de soi, cependant, que la faute intentionnelle du préposé ne peut être assurée si le commettant en est complice.
155
e
e
dans ce sens, voir par exemple Cass. 1 civ., 29 avril 1975, Bulletin 1975, I, n°144, p.125 ; cass. 1 civ. 30 octobre 1995, I,
380, p.265, n°93-14147.
156
voir par exemple : CA Douai, 3 juillet 2003, pourvoi n°01/01216, publié par le service de la documentation de la Cour de
cassation (disponible sur Legifrance).
157
e
e
Cass civ. 27 février 1929, S.1929.1.297, note Hugueney ; Cass. 2 civ. 16 et 17 mars 1960, Gaz. Pal. 1960.2.57 ; Cass 2 civ.
e
e
4 novembre 1965, D.1966.394 ; Cass 2 civ. 8 juin 1977, JCP 1977.IV.202 ; Cass 2 civ. 11 juillet 1979, JCP 1979.IV.318 ; Cass
e
e
2 civ. 18 novembre 1987, Bull. civ. II n°235 ; Cass. ass. plén. 22 décembre 1988, Bull. civ. n°10 arrêt n°3 ; Cass 2 civ. 5 juillet
e
e
er
1989.IV.339 ; Cass 2 civ. 11 octobre 1989, Bull. civ. II, n°175 ; Cass. 2 civ. 1 avril 1998, RTD civ. 1998.914, obs. Mestre ; CA
e
Rouen, 1 Chambre, cab. 3, 11 janvier 2005, Crts V. c/ Crts V et autres, Juris-Data n° 2005-263570, Ch. Radé : Resp. civ. et assur.
n°4, avril 2005, comm. 120.
158
e
Cass. 2 civ., 11 avril 2002, Bull. civ. II, n°72, D.2002.IR.1598, JCP 2002.I.186 n°33s obs. Viney, RCA 2002. Chr. 9, par Groutel,
Dr. et patr., sept. 2002, p.100, obs. Chabas, RTD civ. 2002.519, obs. Jourdain.
34
MAYER Benoît_2007
Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
Il y avait alors une responsabilité directe du commettant, non en tant que commettant
(article 1384, aliéna 5 du Code civil), mais au titre de gardien de la chose (article 1384,
aliéna 1 du Code civil). La différence était essentielle pour le préposé qui ne pouvait plus
être poursuivi ni par la victime, ni par le commettant. Cette jurisprudence consacrait donc,
en fait, une forme d’irresponsabilité du préposé.
Au final, la responsabilité du préposé était considérablement restreinte, et ce d’autant
plus que le commettant n’exerçait pas systématiquement l’action récursoire contre le
préposé. Par conséquent, la contribution réelle du préposé à la dette était aléatoire. Dans
des circonstances analogues, le sort du préposé dépendait de l’option procédurale de
la victime, de souscription d’un contrat d’assurance par le commettant et de l’utilisation
d’un bien appartenant à celui-ci – autant d’éléments extérieurs au préposé. Un sentiment
d’injustice ne pouvait manquer de naître de cette absence de sécurité juridique.
2.2 Vers l’irresponsabilité du préposé ?
La condition du préposé contrastait avec d’autres jurisprudences qui, dans des situations
juridiques analogues, avaient consacré l’irresponsabilité de l’agent d’exécution. Ainsi,
la jurisprudence sociale avait finalement conclu à l’irresponsabilité du salarié vis-à-vis
de son employeur (1). Mais c’est surtout la jurisprudence administrative consacrant
l’irresponsabilité de l’auteur matériel d’une faute de service qui poussa une partie de la
doctrine civiliste à franchir le Rubicon pour prôner un revirement jurisprudentiel (2).
2.2.1 La contradiction avec le droit social
La responsabilité contractuelle du salarié vis-à-vis de son employeur offre une
problématique comparable à celle relative à l’application de l’article 1384, alinéa 5 du Code
civil, même si la responsabilité du commettant pour la faute du préposé est normalement de
159
nature extracontractuelle . Pourtant, dans les deux cas, c’est bien un fait de l’agent qui est
en cause, qu’il ait causé un préjudice à l’employeur ou à un tiers – et donc, indirectement,
160
au commettant poursuivi par la victime . Et, dans la plupart des cas, le préposé n’est autre
que l’employé du commettant.
M.-Th. Rives-Lange soulignait ainsi que, « sur le plan de l’équité, on ne peut faire de
différence entre la faute du salarié qui, travaillant en atelier, provoque, par exemple, le bris
d’une machine, et celle du même salarié qui, appelé à livrer des marchandises à l’extérieur,
161
est à l’origine d’un accident de la circulation » . Le droit positif range les deux situations
dans des « tiroirs » différents : responsabilité délictuelle d’une part, contractuelle d’autre
e
part ; compétence de la 2 Chambre civile de la Cour de cassation (ou de la Chambre
criminelle) d’une part, de la Chambre sociale d’autre part. Mais cette distinction est tout à fait
artificielle et l’équité voudrait que la même solution soit adoptée dans les deux hypothèses,
soit que le salarié préposé soit responsable, soit qu’il ne le soit pas.
159
Ceci quand bien même un rapport contractuel est généralement le fondement du lien de préposition, puisque la victime est un
tiers au contrat qui ne peut se prévaloir de l’effet relatif du lien contractuel : article 1165 du Code civil. L’action récursoire du commettant
contre le préposé est également de nature extracontractuelle, puisqu’elle ne fait que répercuter une action délictuelle. Cf. F. Terré, P.
Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-1. A contrario : M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8
160
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°837 p.811
161
M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°8
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35
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
162
Or, depuis un arrêt fondateur de 1958 , la jurisprudence sociale a constamment
admis une importante limitation de la responsabilité du salarié vis-à-vis de son employeur,
le premier ne pouvant plus être tenu pour responsable des dommages subis par le second
qu’en cas de « faute lourde équipotente au dol ». La divergence des deux jurisprudences
est encore plus forte après qu’une série d’arrêts de la Chambre sociale, de 1989 à 1992, a
163
rendu la règle pleinement applicable en lui donnant un caractère d’ordre public . Cela mit
fin à une pratique qui consistait, pour de nombreux employeurs, à inclure systématiquement
une clause contractuelle prévoyant la responsabilité du salarié pour toute faute qu’il viendrait
à commettre.
L’irresponsabilité du salarié ne devait-elle pas être étendue à l’hypothèse où la
victime n’était pas l’employeur, mais un tiers ? Dans les deux cas, ne revenait-il pas à
l’employeur de supporter les « risques normaux d’exploitation (…) inhérents à toute activité
164
laborieuse, en quelque sorte statistiquement prévisible » ? Ces risques ne devaient-ils pas
« demeurer à la charge de l’entreprise, même s’ils [étaient] dus à une négligence bénigne
165
du travailleur » ?
2.2.2 Les appels de la doctrine à un alignement de la situation du préposé
sur celle de l’agent public
Face à l’irresponsabilité de principe ou de fait de l’agent public, la responsabilité du préposé
166
était perçue par les 14 millions de salariés français comme une injustice , et ce d’autant
plus que le changement de définition de la faute de service – l’abandon du critère objectif
relatif à la séparation des pouvoirs, pour le critère subjectif relatif à la protection de l’agent
public – ôtait aux privilèges des fonctionnaires tout fondement propre au droit public.
L’équité veut que seule une différence significative de condition explique une différence
de traitement juridique. Elle interdit manifestement de justifier une divergence importante
entre la situation des agents d’exécution en droit public et en droit privé lorsque celle-ci n’est
pas justifiée par des considérations propres à l’une de ces branches du droit. Lorsque l’agent
public était irresponsable pour protéger l’administration de l’autorité judiciaire, la différence
était justifiable. Mais, dès lors que l’irresponsabilité de l’agent public visa à protéger celui-ci,
non en tant qu’agent public mais en tant que travailleur, il y avait une injustice, mal ressentie
par les travailleurs du secteur privé. Si l’agent public était irresponsable parce qu’il importait
de le protéger, et non parce qu’il importait de protéger l’administration, alors rien ne justifiait
qu’il n’en aille pas de même du préposé en droit privé.
162
163
Cass. soc. 27 novembre 1958, JCP 1959.II.11143, note Brèthe de la Gressaye ; D.1959.20 note Lindon
Ainsi, toute clause contraire insérée dans le contrat de travail est présumée non écrite. Cass. soc. 31 octobre 1989, Bull. civ.
V, n° 624 ; RJS 1989, n° 906 ; Cass. soc. 23 janvier 1992, JCP E 1993.II.446 note Ph Delebecque. Voir aussi Cass. soc. 10 novembre
1992, RJS 1993 n°4 : « la clause d'un contrat de travail relative à la responsabilité personnelle du salarié envers son employeur ne
peut produire effet, quels qu'en soient les termes, qu'en cas de faute lourde du salarié ». Ce revirement met fin à la pratique courante
d’inclure dans un certain nombre de contrats de travail une clause de responsabilité – Cf. Jurisclasseur Travail traité, fascicule 17-12
« Contrat de travail – conclusion », Paul-Henri Antonmattéi, n°94.
164
165
166
36
M.-T. Rives-Lange, op. cit., n°10
J. Savatier, note sous Rouen, 6 octobre 1964, JCP 1965.II.14139
D.1994.I.124, note Viney, A.1°
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Partie 1 : La construction parallele de deux regimes de responsabilité de l’agent d’execution
C’est sur ce raisonnement que s’appuyèrent les différents auteurs – en particulier G.
167
168
169
Viney , B. Puill et M.-Th. Rives-Lange – qui appelèrent le juge judiciaire à consacrer
une « faute de service » en droit civil. Le maintien de sa responsabilité créait un risque
de condamnations élevées pour des fautes « pardonnables ». Le montant des indemnités
pouvait être sans aucune commune mesure avec les revenus du préposé.
170
Une partie de la doctrine mettait en avant la théorie du risque , soulignant que « l’idée
de risque justifie que la responsabilité de l’entreprise, hors le cas de faute personnelle
du préposé, soit définitive et n’autorise le commettant à aucune action récursoire contre
171
son préposé » . Le préposé ne serait rien de plus que « l’instrument d’exécution de la
172
politique de l’entreprise » . Telle était également la position défendue de longue date par
173
H. et L. Mazeaud, âprement critiquée semble-t-il plus sur l’expression que sur le fond, qui
mentionnent que « celui qui recourt aux services d’un préposé ne fait que prolonger son
activité propre (…) ; de telle sorte que, quand le préposé agit, tout se passe comme si le
174
commettant agissait lui-même » .
Il était également mis en avant que rendre le préposé responsable personnellement et
intégralement de tous les dommages causés dans le cadre de ses fonctions « [revenait]
à lui faire supporter indirectement les conséquences d’éventuels défauts d’organisation de
175
l’entreprise qui ne lui [étaient] pourtant pas imputables » .
La responsabilité du commettant devait donc, du moins tant que la faute n’était
pas détachable des fonctions du préposé, n’être pas seulement une garantie, mais une
responsabilité directe et sans recours contre le préposé. La solution ne semblait pas,
d’ailleurs, être réellement contraire à la lettre du Code civil, car celui-ci laisse une large
marge de manœuvre au juge pour articuler responsabilité individuelle de l’article 1382 et
responsabilité pour autrui de l’article 1384, alinéa 5.
167
168
169
170
e
G. Vedel, P. Delvolvé, Droit administratif, PUF, 2007, 11 édition ; D.1994.126
B. Puill, « Les fautes du préposé : s’inspirer de certaines solutions du droit administratif ? », JCP G 1996.I.235
M.-T. Rives-Lange, op. cit.
C. Eisenmann, « Sur le degré d'originalité du régime de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques »,
JCP G 1949.I.742 et 751, deuxième article, n°5
171
172
173
174
175
B. Puill, op. cit., n°16
B. Puill, op. cit., n°16
En particulier R. Chapus, 1957, op. cit. n°209sq p.225s.
e
H. et L. Mazeaud, Traité de la responsabilité civile, t.1, 5 édition, 1957, n°935
G. Viney, 1994, op. cit., A.1°
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37
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Partie 2 : Vers une responsabilité
analogue des agents d’exécution
La jurisprudence Costedoat a profondément modifié l’interprétation prétorienne de l’article
1384, alinéa 5, du Code civil : ce qui n’était auparavant qu’une garantie de la
responsabilité extracontractuelle est soudain devenu une véritable responsabilité du
176
commettant combinée à l’immunité
du préposé. Malgré certaines différences, cette
nouvelle jurisprudence judiciaire constitue un rapprochement de la « responsabilité du
commettant » par rapport à la faute de service (1). Il faut dès lors s’interroger sur
l’aboutissement possible de cette convergence de la responsabilité du fait de l’agent
d’exécution en droit privé et en droit public (2).
Titre 1 : Une transformation de la responsabilité du
préposé inspirée du droit administratif
La Cour de cassation a créé, depuis l’arrêt Costedoat, un système de responsabilités du
commettant et du préposé analogue à celui inventé par le juge administratif. S’inspirant de
la faute de service, le juge a défini un domaine où seule la responsabilité du commettant, à
l’exclusion de celle du préposé, peut être recherchée (1). Mais cette immunité du préposé a
été exclue dans certaines circonstances, créant une situation analogue à celle de la « faute
personnelle non dépourvue de tout lien avec le service » (2).
1/ Une « faute de service » ? La création d’un domaine d’immunité du
préposé
Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation (1) peut être interprété comme
la transcription de la faute de service au droit civil (2).
1.1 Le renversement de la jurisprudence de la Cour de cassation
Après un arrêt de la Chambre commerciale et une période de doutes sur la jurisprudence
applicable (1), un arrêt solennel de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation a constitué
un revirement majeur de jurisprudence (2) : dès lors qu’il a agi dans la limite de ses
fonctions, le préposé est à l’abri de toute poursuite, alors que le commettant est pleinement
responsable.
1.1.1 A l’origine du revirement : l’arrêt Rochas de la Chambre commerciale
Encouragée par les critiques qu’une partie de la doctrine adressait à la jurisprudence
traditionnelle, la Chambre commerciale annonça le revirement jurisprudentiel par son arrêt
176
38
Le terme d’« immunité » sera préféré à celui d’« irresponsabilité » : cf. p.62s.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
177
Rochas du 12 octobre 1993 . Cet arrêt allait, en effet, à l’encontre la jurisprudence
précédente selon laquelle l’article 1384, alinéa 5 du Code civil n’excluait pas la recherche de
la responsabilité personnelle du préposé. Selon la Chambre commerciale, la Cour d’Appel
178
de Bordeaux
avait retenu avec raison que la responsabilité de préposés salariés ne
pouvait pas être retenue dès lors qu’ils avaient « agi dans le cadre de la mission qui leur
était impartie par leur employeur » et n’en avaient pas « outrepassé les limites ». Il s’agissait
donc bel et bien de limiter la responsabilité du préposé à la « faute personnelle susceptible
d’engager [sa] responsabilité », selon les termes mêmes de l’arrêt. A défaut d’une telle faute,
l’article 1384, alinéa 5, permettait d’établir l’immunité du préposé.
Cependant, l’arrêt Rochas créait plus d’interrogations que de réponses. Sa portée était
incertaine et, si la plupart des auteurs y voyaient bien un arrêt renouvelant en profondeur
179
les règles de la responsabilité des commettants , certains ne l’analysaient que comme
180
181
un simple cas d’espèce , l’expliquant éventuellement par une faute du commettant . De
plus, la Chambre commerciale n’a la charge que d’une petite partie du contentieux de la
e
182
responsabilité des commettants, dont la plus grosse partie revient à la 2 Chambre civile
183
et à la Chambre criminelle , et rien ne garantissait un alignement de celles-ci sur la solution
proposée. Enfin, si le revirement devait être confirmé, tout restait alors à dire sur la notion
de « faute personnelle susceptible d’engager la responsabilité du préposé ».
C’est pourquoi l’arrêt Rochas suggérait sans doute plus qu’il ne définissait un nouveau
régime de responsabilité du commettant. Il avait surtout le mérite de mettre en évidence
l’insuffisance du régime antérieur de la garantie du commettant, insusceptible de protéger
efficacement le préposé. Un pas était franchi : il avait été affirmé qu’une nouvelle articulation
de la responsabilité du commettant avec celle de son préposé devait être inventé. Par le
vocabulaire qu’elle utilisait – en particulier le terme de « faute personnelle » –, la chambre
commerciale prenait parti pour un rapprochement du régime de droit administratif et la
transposition de la « faute de service » en droit privé.
1.1.2 La consécration du revirement par l’Assemblée plénière : l’arrêt
Costedoat
D’octobre 1993 à février 2000, étonnamment, aucun arrêt significatif ne prit véritablement
184
position sur la nature de la responsabilité, ou de la garantie, du commettant . Seul un arrêt
177
Cass. Com, 12 octobre 1993, Rochas, D.1994.I.124, note Viney ; JCP 1995.II.22493, note Chabas ; Defrénois 1994.812, obs.
Aubert ; RTD civ. 1994.111, obs. Jourdain
178
re
CA Bordeaux, 1 chambre A, 8 novembre 1990
179
180
181
182
183
184
G. Viney, 1994, op. cit. ; Jourdain, RTD civ. 1994.111
Aubert, observations, in Defrénois 1994.812
Chabas, JCP 1995.II.22493
compétente pour les litiges de responsabilité civile.
compétente en matière criminelle, y compris en matière d’action civile.
Cf. G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3 p.1018. Cette absence de jurisprudence pendant 6 ans et 4 mois est étonnante comparée
à la multiplicité des arrêts de la Cour de cassation à d’autres époques, notamment dans les années suivant l’arrêt Costedoat. Elle
pourrait s’expliquer par la timidité du juge, n’osant trancher le dilemme entre un arrêt de règlement et un retour en arrière à une
jurisprudence dont on ne pouvait plus nier les défauts.
MAYER Benoît_2007
39
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
e
185
de la 1 Chambre civile traita, mais sans vraiment prendre position, de la responsabilité
186
du préposé. C’est seulement le 25 février 2000, à l’occasion de l’arrêt Costedoat , que
l’Assemblée plénière de la Cour de cassation mit fin à une période d’incertitude, consacrant
à peu de choses près la solution proposée sept ans plus tôt par la Chambre commerciale.
En l’espèce, les propriétaires de rizières en Camargue avaient demandé à la société
Gyrafrance de procéder à un traitement par herbicides sur des parcelles cultivées. Cette
opération a été réalisée par un hélicoptère piloté par M. Costedoat, préposé de la société
Gyrafrance. Or, un vent assez fort répandit des produits chimiques sur des parcelles
contiguës. Le propriétaire voisin, ayant subi des dommages, engagea une action en
responsabilité contre les propriétaires des rizières, la société Gyrafrance et M. Costedoat.
Le pourvoi de M. Costedoat reprochait à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence d’avoir retenu
sa responsabilité.
L’Assemblée plénière reçut le pourvoi et conclut à la cassation, considérant que
« n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder
les limites de la mission qui lui a été impartie par le commettant ». Par conséquent,
M. Costedoat, quoique fautif, n’était toutefois pas responsable puisqu’il avait agi sans
excéder les limites de sa mission.
Ce considérant est analogue à celui de l’arrêt Rochas, à ceci près qu’il ne fait pas
187
sienne la notion de « faute personnelle » . Dans les deux cas, l’article 1384, alinéa 5 est
interprété pour consacrer une responsabilité principale du commettant – et non plus une
simple garantie ouvrant un recours subrogatoire contre le préposé. Lorsqu’il agit dans le
cadre de la mission que le commettant lui a confiée, le préposé n’est, en quelque sorte,
qu’un organe du commettant : s’il commet une faute, c’est le commettant, et le commettant
seul, qui est responsable. La responsabilité du préposé ne peut pas être engagée. L’article
1384, aliéna 5 est donc désormais interprété dans le sens d’une protection du préposé, et
non de la victime.
La jurisprudence postérieure à l’arrêt Costedoat appliqua constamment cette
188
189
solution . Tout au plus remarque-t-on une différence terminologique dans les arrêts
rendus par la Chambre criminelle, qui préfère limiter l’immunité du préposé à « l’exercice de
190
191
ses fonctions » ou à « l’exercice normal de ses attributions » qu’à l’action « dans les
185
e
Cass. 1 Civ, 30 octobre 1995, Bull. civ. I n°383 ; RCA 1996, com. n°26 ; RTD civ. 1996, p.136, obs. P. Jourdain, JPC G 1996,
I, 3944, obs. G. Viney. Voir aussi G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°811-3, p.1019.
186
Cass. Ass. plén., 25 février 2000, Costedoat, Bull. civ. n°2 ; R., p.257 et 315, notes Kessous et Desportes ; GAJC, n°217 ; BICC,
15 avril 2000, concl. Kessous, note Ponroy ; D.2000.673, note Brun ; D Somm. 467, obs. Delebecque ; JCP G 2000.II.10295, concl.
Kessous, note Billiau ; JCP G 2000.I.241, n°16, obs. Viney ; Gaz. Pal. 2002.2.1462, note Rinaldi ; RCA 2000, Chr. n°11, par Groutel,
et Chr. n°22, par Radé ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain.
187
188
La référence au droit administratif était-elle trop « directe » pour être consacrée par le juge judiciaire ?
e
e
Cass. civ. 1 , 12 juillet 2007, JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Chr. P. Stoffel-Munck ; - Cass. Civ 2 , 5 octobre 2006,
Juris-Data n° 2006-035255, RCA 2006, comm. 377, puis 21 février 2008, n°06-21182 ; - Cass. crim., 23 janv. 2001, Juris-Data n°
2001-008884, RCA 2001, comm. 212, obs. H. Groutel ; Cass. com. 8 février 2005, n°01-16820, non publié. Les juridictions du fond
ont également adopté cette solution, apparemment sans protestation. Voir par exemple : CA Amiens, 1er févr. 2000, Union nationale
du commerce de gros en fruits et légumes : Bull. inf. C. cass. n° 533 du 15 avr. 2001, n° 420. - CA Colmar, 23 août 2005 : JurisData n° 2005-288712.
189
190
40
RCA 2001, n°212, note Groutel
Cass. Crim., 13 mars 2007, RCA n°7, juillet 2007, étude 13, A. Vialard
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Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
limites de la mission qui lui était impartie » – cette démarcation terminologique ne semblant
pas produire de divergences quant au fond du droit appliqué.
1.2 Un rapprochement du droit administratif
La Cour de cassation a manifestement entendu s’inspirer du régime de la responsabilité
de l’administration pour faute de service (1). La solution qu’elle consacre est analogue,
dans ses principaux effets vis-à-vis de l’agent d’exécution, à celle inventée par le juge
administratif (2).
1.2.1 L’argumentaire de l’avocat général Kessous en faveur du
rapprochement
Il ne fait guère de doute que la solution adoptée par la Cour de cassation procède d’une
inspiration du régime de la responsabilité administrative pour faute de service. Ainsi,
l’avocat général Kessous, dans ses conclusions préparatoires à l’arrêt Costedoat, soulignait
« les points communs des jurisprudences de la chambre commerciale et des tribunaux
administratifs », faisant allusion à l’arrêt Rochas, pour prôner l’adoption de la même
192
solution . En effet, ce n’est pas par coïncidence que ce premier arrêt de 1993 mentionna la
notion de « faute personnelle susceptible d’engager [la] responsabilité [du préposé] », tout
comme le Tribunal des Conflits avait noté, dans son arrêt fondateur de 1873, que M. Pelletier
n’imputait « aucun fait personnel de nature à engager leur responsabilité personnelle »
193
aux fonctionnaires qu’il poursuivait . Et, si la Chambre commerciale rejeta la « faute
194
personnelle », n’était-ce pas pour consacrer, implicitement, une « faute de service » ? Le
parallèle est flagrant, dans l’arrêt Rochas tout comme dans les arrêts postérieurs, même si
les notions publicistes de « faute personnelle », ou à plus forte raison de « faute de service »,
ne sont guère employées.
Plus précisément, l’impérative protection de l’agent d’exécution semble fonder cette
195
jurisprudence, comme elle justifia la faute de service en droit administratif . Dans les
deux cas, il s’agit de protéger un agent d’exécution « plus ou moins sujet à l’erreur »,
selon l’expression que Laferrière utilisait pour définir l’administrateur, auteur de la faute de
196
service . L’épandage agricole réalisé malgré un vent « assez fort » ne correspond-il pas
197
à « la marge de mauvais fonctionnement qu’il faut attendre de la diligence moyenne » ?
Dans un cas comme dans l’autre, la faute pardonnée à l’agent d’exécution est une faute
198
« davantage imputable à la fonction exercée qu’au comportement de l’agent lui-même » .
191
192
193
Groutel, op. cit.
Conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat.
En ce sens, conclusions de l’avocat général Kessous sous l’arrêt Costedoat : « La référence faite par la chambre commerciale à
la faute personnelle fait inévitablement penser à la jurisprudence administrative. »
194
En ce sens : B. Puill, op. cit., n°14 p.239
195
Le fondement objectif de la faute de service (protection de l’administration) fut ainsi remplacé par le fondement subjectif
(protection de l’agent). Cf. p. 19s.
196
197
198
Laferrière, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, 2e édition, vol. 2, p.648.
M. Hauriou, note sous CE, 5 février 1911, Anguet : S.1911, 3, p.137.
B. Puill, op. cit., n°13 p.239
MAYER Benoît_2007
41
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
199
Dans les conclusions de l’avocat général Kessous
sur l’arrêt Costedoat, la
volonté d’un rapprochement avec le droit administratif est explicite. Si l’autonomie de la
responsabilité administrative est due à « des raisons historiques », il paraît toutefois « de
bonne politique judiciaire qu’à des situations comparables, les deux ordres de juridiction
empruntent les mêmes voies ». En droit civil, il convient par conséquent, selon l’avocat
200
général, que « le salarié s’efface devant l’entreprise : (…) c’est elle qui agit par lui et c’est
donc elle seulement qui doit être responsable ».
1.2.2 Des garanties analogues apportées à l’agent d’exécution
En droit administratif, si la faute de service assure une protection efficace de l’agent public,
c’est d’abord grâce à l’absence de recours de la victime contre l’agent d’exécution, ce qui
découle de l’arrêt Pelletier. L’adoption de cette solution en droit privé ne fait guère de doute :
elle découle en effet de l’arrêt Costedoat. Mais, pour que la protection de l’agent d’exécution
soit complète, deux autres éléments sont nécessaires. D’une part, il faut qu’il soit impossible
au commettant condamné de recourir contre son agent d’exécution (1). D’autre part, il faut
que l’agent d’exécution injustement condamné ait la possibilité de mettre l’indemnisation à
la charge du commettant (2).
1.2.2.1 L’absence d’action réelle du commettant contre l’agent d’exécution
Il importe que le commettant ne puisse exercer d’action contre le préposé – sans quoi la
responsabilité de celui-ci ne serait pas définitivement écartée, mais seulement différée. En
201
droit administratif, la jurisprudence constante fut rappelée par l’arrêt Laruelle, selon lequel
les agents publics « ne sont pas pécuniairement responsables (…) des conséquences
dommageables de leurs fautes de service ». Qu’en est-il en droit civil ?
e
Dans la ligne de l’arrêt Costedoat, la 2 Chambre civile interdit justement cette
action récursoire du commettant contre le préposé dans un arrêt du 20 décembre
202
2007
: la victime, dépourvue d’action contre le préposé, n’a rien à transmettre par
subrogation au commettant. Le même arrêt souligne que le commettant employeur peut
éventuellement rechercher la responsabilité contractuelle du préposé salarié devant la
juridiction prud’homale. Ce recours personnel en responsabilité contractuelle obéit à des
203
conditions propres et n’a en aucun cas la nature d’un recours subrogatoire ; il doit être
204
rapproché du droit disciplinaire de la fonction publique .
199
« On comprend que quelques auteurs aient souhaité un rapprochement entre les jurisprudences administratives et
judiciaires. » Conclusions sous arrêt Costedoat.
200
Il convient de noter ici le passage du préposé au salarié et du commettant à l’entreprise. Cette assimilation sera à l’origine
de nombreuses critiques soulignant les défauts de la solution adoptée lorsqu’elle est appliquée aux autres hypothèses que celle du
commettant - entreprise. – notamment G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; N. Molfessis, « La jurisprudence relative à la responsabilité des
commettants du fait de leurs préposés ou l’irrésistible enlisement de la Cour de Cassation », in Mélanges Gobert, Economica, 2004,
p. 495s. ; G. Durry, « Plaidoyer pour une révision de la jurisprudence Costedoat », in Mélanges Gobert, Economica, 2004, p. 549s.
201
Cf. note n°22.
202
Cass. 2e Civ, 20 décembre 2007, RCA n°2, février 2008, comm. 50, Groutel : « Le commettant ne [dispose] d’aucune action
récursoire contre son salarié dès lors qu’il ne peut se prévaloir d’une subrogation dans les droits de la victime, laquelle ne dispose
d’aucune action contre le préposé qui a agi dans les limites de la mission qui lui était impartie ».
203
42
Le succès de l’action prud’homale sera conditionné par l’existence d’une faute lourde. Cf. note n°48.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
1.2.2.2 L’action réelle de l’agent d’exécution condamné contre le commettant
Ni la victime, ni le commettant ne disposent d’une action réelle contre le préposé : celui-ci
ne peut donc pas, en principe, être condamné. Il arrive cependant qu’il soit condamné dans
des circonstances particulières, notamment du fait de la coexistence de deux fautes. En
droit administratif, la solution des arrêts Delville-Papon est constante, confirmée par le statut
général de la fonction publique : l’administration doit prendre à sa charge les indemnités
205
auxquelles son agent est condamné pour une faute de service . En va-t-il de même en
droit civil ?
L’hypothèse d’une condamnation de celui-ci pour une faute commise alors qu’il agissait
« dans les limites de la mission qui lui était impartie » pourrait se produire également,
par exemple dans une hypothèse de cumul de fautes similaire à celle rencontrée en droit
administratif. Elle est cependant peu probable : le préposé aurait plutôt intérêt à appeler
le commettant en garantie dans l’instance judiciaire – ce que l’agent public ne peut faire
à l’encontre de l’administration, dualité juridictionnelle oblige. La question se poserait alors
plutôt au niveau de l’appel du commettant en garantie dans l’instance même.
Seule l’acceptation de cet appel en garantie et, à défaut, de ce recours subrogatoire,
permettrait à la Cour de cassation de « boucler la boucle » de l’immunité du préposé.
Avant l’arrêt Costedoat, plusieurs arrêts ont logiquement refusé au préposé d’appeler
206
207
son commettant en garantie ou d’exercer contre lui une action récursoire . Si le juge
judiciaire ne semble pas s’être prononcé sur la question depuis son revirement en 2000, il
devrait logiquement être amené à consacrer ces deux possibilités procédurales au profit du
préposé injustement poursuivi ou injustement condamné.
1.3 Le maintien de particularismes du droit privé
Si la jurisprudence civile s’est inspirée des grandes lignes du régime de la « faute de
service », deux différences subsistent pourtant entre celle-ci et le nouveau régime de la
responsabilité du commettant. D’une part, le juge judiciaire n’a pas entendu consacrer
une responsabilité directe du commettant : la condition du fait imputable au préposé est
maintenue et distingue la responsabilité du commettant de celle de l’administration (1).
Par ailleurs, des ambiguïtés demeurent quant à la situation du préposé : celui-ci est-il
irresponsable, ou simplement immunisé (2) ?
1.3.1 Le maintien de la condition d’imputabilité du fait dommageable au
préposé
Dans le cadre de la faute de service, l’identité de l’agent public responsable n’importe pas.
La conséquence en est d’abord que la responsabilité administrative est engagée dès lors
que le fautif est un agent public, bien que celui-ci ne soit pas identifié parmi l’ensemble des
agents d’une administration. Ainsi, l’État avait été condamné parce qu’un soldat avait été
tué, pendant un exercice, par un coup de feu « provenant d’une troupe participant à des
204
Des sanctions disciplinaires peuvent êtres prononcées contre l’agent public auteur d’une faute de service. C. Bertrand,
Fonction publique – Régime disciplinaire, in Jurisclasseur Administratif, n°2. Soulignons d’ailleurs que la faute disciplinaire est, en
principe, « commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » (selon le Statut général de
la Fonction publique, art. 29).
205
voir p. 19s.
206
207
par exemple : Cass. 2e civ., 8 déc. 1966 : Bull. civ. 1966, II, n° 957.
par exemple : Cass. 2e civ., 28 oct. 1987 : Bull. civ. 1987, II, n° 214.
MAYER Benoît_2007
43
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
208
manœuvres militaires » . La faute de service est également constituée, par exemple, lors
d’une erreur dans la fourniture d’un flacon de sang, bien que l’auteur de l’erreur ne soit pas
209
identifié .
Dans ces circonstances, l’auteur de la faute, non identifié, existe incontestablement :
un agent public est à l’origine du coup de feu ou de l’erreur de flacon de sang. Mais il
en va différemment dans d’autres arrêts, où il n’y a pas véritablement d’auteur humain
à l’origine de la défaillance du service. Dans cette seconde hypothèse, l’anonymat de la
faute de service n’est pas dû à l’absence de l’information sur l’identité de l’auteur, mais à
l’absence d’un individu individuellement fautif. La faute est le produit d’actions individuelles
non fautives.
Tel est en particulier le cas d’une carence ou d’un retard à agir, lorsque aucun agent
n’avait expressément pour fonction d’agir, ce qui est dû à une mauvaise organisation du
service. Ainsi, le retard à agir d’un service public de rééducation alors qu’un pensionnaire
s’était enfui est une « négligence constitutive d’une faute » dont l’auteur ne peut pas être
210
individualisé . Dès lors, l’anonymat de la faute de service implique qu’« il n’y a pas à
211
rechercher si [la faute] serait imputable à un certain agent du service » . La faute de
service, faute de l’administration, fonde une responsabilité directe de celle-ci, et non plus
212
une responsabilité pour autrui. La faute est celle du service : elle est constituée par le
213
manquement de l’administration à une obligation qui lui incombe .
En va-t-il de même de la responsabilité du commettant depuis l’arrêt Costedoat ? Rien
n’est moins sûr.
Avant l’arrêt Costedoat, il fallait que la faute soit imputable à un préposé pour que la
214
responsabilité du commettant puisse être engagée . Une seule restriction existait : si le
commettant avait plusieurs préposés – par exemple, une entreprise employant plusieurs
salariés –, il suffisait au demandeur de prouver que seule la faute de l’un des préposés
215
pouvait être à l’origine du préjudice, sans forcément devoir identifier le préposé fautif . La
solution est similaire à celle du coup de feu tiré par un agent public non identifié. Mais la
responsabilité du commettant n’était pas engagée lorsque aucune faute n’était imputable à
216
un préposé . Autrement dit, peu importait que l’auteur individuel ne soit pas identifié, tant
que la faute était imputable à l’action isolée d’un préposé.
Au lendemain de l’arrêt Costedoat, la jurisprudence civile a hésité avant de maintenir la
condition d’imputabilité de la faute à un préposé. Certains arrêts de la Cour de cassation ont
208
209
CE, 17 février 1905, Auxerre, S. 1905.III.114, note Hauriou.
CE, 6 octobre 1976, Société Clinique Chirurgicale Maison Rose, RDP, 1977, p.512
210
211
212
CE, 15 octobre 1975, Département Côtes du Nord, RDP 1976, p.391
R. Bonnard, notes sous CE, 23 janvier 1931, Garcin, S. 1931.III p.97
Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la
responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78
213
214
215
Dans ce sens : M. Paillet, « Faute de service », in Jurisclasseur Administratif, fascicules 818 (« Notion »)
cf. p. 36s.
e
Cass 2 civ, 21 avril 1966, n°65-11.637, Bull. civ. II, n°454, p.322. D’après J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-
Sébastien, op. cit., n°555 p.253.
216
Ainsi, le Conseil d’État retient « la faute commise par l’État », et non la faute commise par un agent public et engageant la
responsabilité de l’État. Cf. par exemple : CE, 26 mars 1990, Commune de Villeneuve-le-Roi, Rec. CE 1990, p.78
44
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
d’abord admis la responsabilité du commettant dont le préposé avait commis un dommage,
217
sans relever explicitement d’acte illicite imputable au préposé . Par ailleurs, le même juge
confirmait que les parents étaient responsables des faits de leur enfant, même si celui218
ci n’avait pas commis de faute , signe d’une attention renforcée à l’indemnisation des
victimes.
219
Pourtant, encouragée par les juridictions du second degré , la Cour de cassation se
prononça finalement dans le sens du maintien de la condition de l’imputabilité du fait au
220
préposé . Ainsi, le dommage causé par un joueur de football professionnel n’engage la
responsabilité de la société employant les joueurs salariés de l’équipe adverse que s’il est
prouvé que le dommage a été causé « par [la] faute caractérisée par une violation des règles
de jeu » de l’un des joueurs.
Dès lors, contrairement à la responsabilité de l’administration, la responsabilité
du commettant est encore une responsabilité par l’intermédiaire du fait dommageable
imputable à autrui – généralement la faute d’autrui –, donc une responsabilité indirecte.
L’avant-projet Catala reprend d’ailleurs cette solution, puisque son article 1355, alinéa 5,
dispose que la responsabilité du commettant « suppose la preuve d’un fait de nature à
engager la responsabilité de l’auteur direct du dommage ». La responsabilité du commettant
se différencie en cela de la faute de service, faute du service.
Pourtant, la faute du service, anonyme et non imputable à un agent public, possède
en réalité un équivalent en droit privé, dans la responsabilité de droit commun du
221
commettant, même personne morale . La responsabilité de cette dernière peut, en effet,
222
être recherchée sur la base des articles 1382 et 1383 du Code civil tout autant que celle
de la personne physique. Le demandeur en réparation devra alors prouver une faute du
commettant, c’est-à-dire son manquement à une obligation qui lui incombe. La victime devra
223
choisir entre poursuivre le commettant ou poursuivre la personne morale . Dans les deux
cas, la preuve à apporter ne sera pas la même. Pour engager la responsabilité du préposé,
la victime devra prouver la faute du préposé. Si elle poursuit le commettant, elle devra
217
e
e
Cass. 2 Civ, 4 octobre 2002, Jurisdata n°2002-015982, Bull. civ. 2002, 2, n°238 ; RCA 2003, comm. n°3 ; - Cass 2 Civ,
24 octobre 2002, RCA 2003, comm. n°3.
218
Cass Ass. plén., 9 mai 1984, Fullenwarth, Bull. civ. n°4 ; R., p. 104 ; GAJC, n°208-209 ; D. 1984.525, concl. Cabannes,
note Chabas ; JCP 1983.II.20255, note Dejean de la Bâtie ; RTD civ 1984.508, obs. J. Huet. La règle posée par l’arrêt Fullenwarth
e
est confirmée dans les années 2000 : Civ 2 , 10 mai 2001, Levert, Bull. civ. II, n°96 ; R. p.435 ; D. 2001.2851, rapp. Guerder, note
tournafond ; D. 2002.Somm. 1315, obs. D. Mazeaud ; JCP G, 2001.II.10613, note J. Mouly ; JCP G, 2002.I.124, n°20s., obs. Viney ;
Defrénois, 2001.1275, note Savaux ; RCA, 2001.Chron.18, par Groutel ; Dr. fam., 2002.Chron.7, par J. Julien ; RJPF, 2001-9/41, note
Chabas ; Petites affiches, 3 décembre 2001, note F. Niboyet ; RTD civ. 2001.601, obs. Jourdain.
219
e
CA Toulouse, 3 Chambre I, 19 février 2002, SARL Roller c/ CPAM Haute Garonne, Cah. jurispr. Aquitaine 2002-2, To 172,
e
obs. J. Julien ; - CA Paris, 1 Chambre A, 9 décembre 2002, SA OS Paris Saint-Germain Football c/ CPAM Côte d’Armor, RCA 2003,
comm. 91, obs. C. Radé,
220
e
Cass. 2 Civ., 8 avr. 2004, RCA, 2004, chr. 15, C. Radé ; JCP G, 2004, II, 10131, note Imbert ; D. 2004, p. 2601, note
Serinet ; Cass. soc., 24 mai 2006, n° 05-13.943, non publié au bulletin
221
Cf. P. Jourdain, « Droit à réparation – Responsabilité fondée sur la faute – Responsabilité du fait personnel », in Jurisclasseur
Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 123, n°8s.
222
Cass. civ., 15 janvier 1872, DP 1872, I, p.165 ; - Cass. civ., 28 novembre 1876, DP 1877, 1, p.65 ; - Cass civ., 22 mars
1892, DP 1892, 1, p.449
223
e
Dans ce sens : Cass Civ 2 , 17 juillet 1967, Gaz. Pal. 1967, 2, p. 235, note C. Blaevoët ; RTD civ. 1968, p. 149, obs. G. Durry
MAYER Benoît_2007
45
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
prouver la faute de celui-ci. Le droit civil distingue ainsi la procédure en cas de faute de
service ou du service.
1.3.2 La contribution de l’assurance du préposé
Une autre différence existe entre les agents d’exécution en droit privé et en droit public. Dans
le cadre de la faute de service, la protection prétorienne de l’agent public s’étend également
à l’assurance de celui-ci. L’agent public est irresponsable : par conséquent, la victime ne
peut pas poursuivre l’assurance de l’agent fautif. Si l’assurance de l’agent est tout de même
224
condamnée, elle dispose alors d’un recours contre l’administration au même titre que
l’agent public. On en déduit facilement que l’administration, de même qu’elle ne peut pas se
retourner contre son agent, ne peut pas non plus se retourner contre l’assurance de celui-ci.
225
Dans un arrêt du 12 juillet 2007 , le juge judiciaire s’est écarté de cette solution et a
accordé un recours à l’assurance du commettant contre l’assurance du préposé. La solution
est motivée par le fait que le préposé dispose d’une immunité, mais demeure responsable.
Cette immunité personnelle ne saurait profiter à son assurance.
La solution est étrange. Le préposé ne supporte plus l’élément aléatoire de l’accident,
mais en supporte la charge financière mutualisée dès lors qu’il souscrit à un contrat
d’assurance. La solution importe particulièrement dans des métiers « à risque », telles que
les professions médicales.
Cette jurisprudence semble fondée sur la volonté de protéger la victime. L’arrêt
Costedoat a privé celle-ci du bénéfice antérieur d’un double débiteur. En droit administratif,
il importe peu à la victime de ne pas pouvoir poursuivre l’agent d’exécution, dès lors qu’elle
peut poursuivre l’administration qui lui offre les meilleures garanties de solvabilité. Il n’en va
226
pas de même en droit privé : le commettant peut être insolvable .
Or, si l’assurance du commettant peut se retourner contre celle du préposé, il doit
également être possible à la victime de poursuivre directement l’assurance du préposé.
Cette action de la victime contre l’assurance du préposé permettrait alors de sécuriser les
intérêts de la victime : celle-ci sera indemnisée malgré l’insolvabilité du commettant, pourvu
toutefois que le préposé soit assuré.
Pour autant, l’arrêt de la Cour de cassation pose un principe large, selon lequel le
préposé ne profite que d’une immunité personnelle. Faudra-t-il en déduire, par exemple,
que les héritiers du préposé en sont exclus ?
2/ Une « faute personnelle » ? Le maintien d’une responsabilité du
préposé
224
Ainsi, l’assurance est subrogée dans les droits de l’agent public et peut réclamer la prise en charge des indemnités qu’elle a
payées à la victime d’une faute de service : CE 4 juill. 1990, Sté d'assurances Le sou médical c/ Centre hospitalier général de Gap,
Rec. CE, tables, p. 984.
225
Cass. 1e Civ, 12 juillet 2007, n°06-12.624, Bull. civ. 2007, II, 10162, note S. Hocquet-Berg ; D. 2007, p.2908, note S. Porchy-
Simon ; JCP G n°11, 12 mars 2008, I, 125, Stoffel-Munck. « Considérant (…) que cette immunité n'emportant pas l'irresponsabilité
de son bénéficiaire, la cour d'appel saisie du recours subrogatoire de l'assureur du commettant, déclaré responsable du fait de
son préposé, a exactement énoncé que l'immunité bénéficiant à M.Y..., ne faisait pas obstacle à l'exercice, par la société Generali
assurances IARD, de son recours subrogatoire à l'encontre de la société Le Sou médical, tenue, en sa qualité d'assureur de
responsabilité de M.Y..., à prendre en charge les conséquences dommageables des fautes commises par son assuré ».
226
46
cf. p. 81s.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
En dehors de l’application de la jurisprudence Costedoat et de la responsabilité du préposé,
un champ de responsabilité personnelle exclusive du préposé est bien entendu maintenu
lorsque les conditions d’implication du commettant ne sont pas réunies, en particulier en
227
cas d’abus de fonctions . Le parallèle entre la faute du préposé insusceptible d’impliquer
le commettant et la faute de l’agent public que le juge administratif qualifie de « purement
personnelle » est évident : dans les deux cas, le régime dérogatoire de responsabilité pour
autrui est simplement mis à l’écart, et l’agent d’exécution est responsable de son propre fait
selon le droit commun de la responsabilité civile.
Entre la faute « purement personnelle » excluant la responsabilité du service et la
« faute de service » emportant immunité de l’agent public, le droit administratif a également
consacré l’existence d’une faute personnelle dont l’administration devait répondre, sous
réserve de pouvoir exercer une action récursoire contre son agent. De même, le juge
judiciaire, lorsqu’il a consacré une « faute de service » s’opposant à la « faute personnelle »,
a souhaité maintenir un domaine intermédiaire dans lequel le commettant serait le simple
garant de son préposé. Il y a alors survivance de l’ancienne jurisprudence : le commettant
et le préposé sont obligés à la dette, mais seul le préposé doit supporter la contribution
finale à la dette.
Ce régime intermédiaire a été appliqué dans deux domaines différents. Dans la
première hypothèse, le préposé qui n’a pas agi « dans les limites de [sa] mission » ne
s’exonère pas de sa responsabilité personnelle ; mais, s’il n’a pas commis d’abus de
fonctions, le commettant peut, lui aussi, être condamné à indemniser la victime. Il y a alors
une obligation à la dette concurrente du commettant et du préposé ; mais la contribution
finale à la dette doit être supportée par le seul préposé. Cette hypothèse est tout à fait
analogue à la théorie publiciste du cumul de responsabilité et de la « faute personnelle non
dépourvue de tout lien avec le service » (1).
Une autre hypothèse de double obligation à la dette est celle de la faute pénale du
préposé. Dans ce domaine, la jurisprudence civile manque encore de cohérence (2).
2.1 La « faute personnelle non dépourvue de tout lien avec la mission du
préposé »
L’arrêt Costedoat restreignait expressément l’immunité du préposé à la circonstance où
celui-ci avait agi « dans les limites de la mission qui lui [avait] été impartie par son
commettant ». Par ailleurs, la jurisprudence avait établi, depuis 1988, que le commettant
228
était déchargé de toute obligation dès lors qu’il y avait un « abus de fonctions » . Fallaitil, suite à l’arrêt Costedoat, assimiler l’« abus de fonctions », déchargeant le commettant
de toute obligation, et l’ « excès des limites de la mission », mettant fin à l’immunité du
229
préposé ?
Un auteur soutint l’affirmative : il fallait engager soit la responsabilité exclusive du
230
préposé, soit la responsabilité exclusive du commettant . Autrement dit, si le préposé
n’avait pas agi dans le cadre de ses fonctions, alors il avait commis un abus de fonctions
227
228
229
cf. p. 40 40s.
cf. p. 40s.
L’hypothèse où le préposé aurait agi dans les limites de sa mission mais aurait commis un abus de fonctions, et où, par conséquent,
ni le préposé, ni le commettant ne serait responsable, peut heureusement être exclue, notamment du fait de la définition très stricte
de l’abus de fonctions.
230
Hubert Groutel, RCA., 2000, chron. n°11.
MAYER Benoît_2007
47
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
que le commettant pouvait invoquer pour se décharger de toute obligation. Ainsi, l’obligation
à la dette n’aurait jamais été distinguée de la contribution finale à la dette et aucune action
récursoire n’aurait donc été nécessaire : il n’y aurait pas eu de survivance de la jurisprudence
ancienne.
Cette solution aurait incontestablement eu le mérite de la simplicité. En effet, il ne fait
guère de doute que la consécration d’une notion supplémentaire puisse être source de
difficultés d’appréciation, surtout dans un domaine où différentes chambres de la Cour de
cassation sont amenées à se prononcer concurremment. Il semble cependant que cette
solution aurait pu conduire trop loin la restriction des droits de la victime. Surtout, elle
aurait restreint la responsabilité du préposé au-delà du raisonnable. L’abus de fonctions,
immunisant le commettant, avait en effet été défini très strictement par la jurisprudence de
231
la Cour de cassation. Ainsi, un arrêt de 1998 rendu par la Chambre criminelle n’avait pas
qualifié d’abus de fonctions l’assassinat de son chef de service par un préposé – peut-on
alors considérer que le préposé avait agi dans les limites de sa mission ? Il n’était sans
232 233
doute pas opportun d’exclure toute responsabilité du préposé dans un tel cas , .
C’est pourquoi la majorité de la doctrine fut favorable à une distinction de l’abus de
fonctions, délimitant l’immunité du commettant, et du dépassement de la mission, délimitant
l’immunité du préposé. Il devait exister un domaine où il n’y avait pas eu d’« abus de
fonction », du moins selon la définition jurisprudentielle restrictive en vigueur, mais où le
préposé avait manifestement dépassé les limites de la mission qui lui était impartie et n’était
donc pas à l’abri des poursuites de la victime et du commettant. Si, apparemment, cette
solution n’a pas encore été explicitement consacrée par la Cour de cassation, elle ressort,
234
« au moins implicitement », dans certains arrêts où le préposé fut condamné alors qu’« il
n’est pas douteux que, si la victime avait dirigé son action contre le commettant, celuici aurait été déclaré responsable de leurs conséquences dommageables et n’aurait pu
235
s’exonérer en invoquant un prétendu ″abus de fonctions″ » .
Il existe donc un domaine intermédiaire entre, d’une part, l’immunité du préposé qui
a agi dans les limites de sa mission, et, d’autre part, l’exclusion de la responsabilité du
commettant justifiée par la théorie de l’abus de fonctions. Cette hypothèse est semblable à
ce que le droit administratif connaît sous la nom de « faute personnelle non dépourvue de
tout lien avec les fonctions » : dans les deux cas, la mission de l’agent d’exécution recouvre
en effet la faute personnelle.
Une solution analogue au droit administratif serait opportune : préposé et commettant
seraient concurremment obligés à la dette, mais ce serait au préposé d’en supporter la
contribution finale. Il y aurait ainsi une survivance de l’ancienne jurisprudence. D’une part,
231
232
Cass. crim., 25 mars 1998, bull. crim. n°113.
JCP G 2000.II.10295, concl. Kessous, note Billiau, n°8 ,p.750 ; G. Viney, P. Jourdain, op. cit. ; n°812-2 p.1026 ; D.2000.673,
note Brun, n°28sq p.676sq.
233
Bien entendu, il aurait également été possible de réformer la définition de l’abus de fonctions pour pouvoir en faire la frontière
de l’immunité du préposé, ou plus simplement de remplacer le critère négatif de l’abus de fonctions par le critère positif de l’action
du préposé dans les limites de sa mission.
234
Il s’agit d’abord d’arrêts rendus en matière criminelle, notamment Ass. 14 décembre 2001, Cousin. La même solution fut
consacrée suite à la condamnation pénale du préposé, et alors que la responsabilité du commettant était recherchée dans une instance
e
postérieure : 2 Civ, 16 juin 2005. Voir aussi Crim. 29 mars 2006, Bull. crim. 2006 n°91 et Soc. 21 juin 2006, D.2006.IR p.1770 obs.
C. Dechriste.
235
48
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
236
la victime devrait pouvoir poursuivre le commettant ou le préposé, voire les deux . D’autre
part, le commettant ne devrait être condamné qu’en tant que garant de son préposé et, à ce
237
titre, disposer d’une action en garantie contre lui –qui devrait être interdit à son assurance .
En effet, le préposé doit répondre personnellement de ce qu’il fait en-dehors de sa mission ;
mais le commettant doit garantir ce qui n’est pas insusceptible d’être rattaché à son activité.
Cette solution serait donc la plus favorable à la victime, car celle-ci pourrait poursuivre deux
personnes.
Il reste encore, cependant, à définir l’« excès des limites de la mission » délimitant
l’immunité du préposé – problème analogue à la recherche perpétuelle d’un critère concret
de la faute personnelle en droit administratif. La jurisprudence n’est encore d’aucune aide,
238
restant « pour l’instant très indécise » . Sans doute faudrait-il retenir la responsabilité du
préposé dès lors qu’il a agi à l’encontre des ordres du commettant ou à des fins personnelles.
La gravité de la faute qu’il commet pourrait également être prise en compte pour sanctionner
239
la faute intentionnelle ou dolosive , ou la faute lourde, en s’inspirant de la jurisprudence
240
sociale .
2.2 La faute pénale, talon d’Achille du système Costedoat
Le juge judiciaire a retenu un second domaine de faute engageant la responsabilité de
l’agent d’exécution, en matière pénale, solution très différente de celle adoptée par le juge
administratif. Il conviendra d’exposer les données du problème résultant de la nature pénale
de la faute du préposé (1), avant de présenter les solutions différentes adoptées par les
jurisprudences administrative (2) et judiciaire (3).
2.2.1 Les données du problème
Une faute civile peut être par ailleurs constitutive d’une faute pénale. La faute pénale
engage toujours la responsabilité pénale personnelle de l’auteur de l’infraction : il n’y a
241
pas de responsabilité pénale pour autrui . Or, l’auteur d’une infraction condamné par une
juridiction pénale pourra aussi être condamné à indemniser des victimes, sous le visa de
242
l’article 2 du Code de procédure pénale .
Lorsque le commettant n’était que garant de son préposé, cette règle ne représentait
pas de difficulté particulière : le préposé était en effet responsable, devant la juridiction
243
pénale comme devant la juridiction civile. Mais une « irréductible contradiction »
est
apparue en la matière avec la jurisprudence Costedoat et la consécration d’une immunité
du préposé qui n’a pas excédé les limites de sa mission. L’immunité civile du préposé ne
236
237
238
239
240
241
242
Billiau, 2000, op. cit., n°9 p.751.
Sauf action malveillante du préposé. C’est ce qui découle de l’article L.121-12.3 du Code des assurances : cf. p. 45s.
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-2 p.1027.
En ce sens : Brun, 2000, op. cit., n°22 p.677.
C’est ce qui résulte de l’article 121-1 du Nouveau Code pénal : « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait ».
« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont
personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction. »
243
selon l’expression de Billiau, 2000, op. cit., n°13 p.752.
MAYER Benoît_2007
49
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
244
vaut évidemment pas immunité pénale . Deux manières de faire cohabiter la jurisprudence
Costedoat et la responsabilité pénale du préposé sont alors envisageables.
La première solution consisterait à appliquer l’immunité civile du préposé devant les
juridictions pénales. Mais cela ne revient-il pas à abroger partiellement l’article 2 du Code
de procédure pénale, du moins à faire une entorse au principe de concordance des actions
publique et civile ?
Une seconde solution consisterait au contraire à ne pas reconnaître l’immunité civile
du préposé devant le juge pénal. Alors, à défaut d’une contradiction entre juridictions, la
responsabilité civile du préposé devrait également être maintenue par le juge civil lorsque
la faute du préposé constitue une infraction qui pourrait être condamnée par le juge pénal,
245
ou aurait pu l’être . L’immunité du préposé ne s’appliquerait par conséquent que dans
l’hypothèse où le délit civil n’est pas constitutif d’une infraction. Mais cette hypothèse
est bien rare : dans beaucoup de cas où une faute civile est retenue, une faute pénale
246
pourrait également l’être . L’affaire Costedoat en est d’ailleurs une illustration : le pilote de
l’hélicoptère ne s’était-il pas rendu coupable du délit de dégradation d’un bien appartenant
247
à autrui ? Par conséquent, cette seconde solution consisterait, si elle était appliquée
248
systématiquement, à limiter énormément la portée de la nouvelle jurisprudence .
2.2.2 En droit public : la qualification autonome de la faute de service
La jurisprudence administrative a consacré l’autonomie des notions de « faute de service »
et de « faute personnelle », en particulier par rapport à la faute pénale. Ainsi, si la faute
pénale commise dans le service par l’agent constituera généralement une faute personnelle,
249
« la coïncidence n’est pas absolue » . L’arrêt Thepaz du Tribunal des Conflits a disposé
250
qu’une faute pénale de l’individu peut présenter les caractères de la faute de service . La
251
même position a été admise par la Cour de cassation . La compétence du juge pénal pour
244
245
246
Billiau, 2000, op. cit, n°12.
On imagine que la solution vaudrait alors même lorsque l’action publique est prescrite.
« La plupart des fautes commises par un préposé, si le Ministère public veut bien s’en donner la peine, sont susceptibles
de recevoir une qualification pénale ». Cf. A. Vialard, « Les nouvelles frontières de la jurisprudence Costedoat », RCA, juillet 2007,
n°7, étude 13.
247
Cf. article L322-1 du Code pénal : « La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est
punie de deux ans d'emprisonnement et de 30000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. »
248
Cette seconde solution pose également d’insurmontables problèmes procéduraux. Il serait pour le moins délicat, pour le
juge civil, de se prononcer sur l’existence d’une faute pénale. La qualification pénale de la faute est de la compétence exclusive du
juge pénal. En toute rigueur, il faudrait donc que le juge civil renvoie au juge pénal la question préjudicielle de la nature pénale de la
faute reprochée au préposé, pour savoir si l’immunité civile de celui-ci doit être levée ! De plus, les modalités de la preuve ne sont
pas les mêmes : en matière pénale, le doute doit profiter à l’inculpé. Dès lors, la faute susceptible de répondre à une qualification
pénale pourrait ne pas être retenue devant le juge pénal, mais être retenue par le juge civil, qui ne saurait alors s’il doit lever l’immunité
du préposé…
249
250
251
50
J. Rivero, J. Waline, op. cit., n°508 p.434.
TC 14 janvier 1935, Thepaz. En l’occurrence, il s’agissait d’un homicide involontaire.
Cass. crim. 23 avril 1942, Leroutier, D.1942.137 note M. Waline, JCP 1942.II.1953, note Brouchot.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
connaître de l’action civile est limitée à l’hypothèse de la faute personnelle, le juge judiciaire
252
ne pouvant déclarer l’administration compétente .
Néanmoins, et même s’il ne se déclare pas lié, le juge administratif a toujours reconnu
le caractère de faute personnelle à un crime. Il a généralement fait de même en matière de
253
délit intentionnel commis par l’agent public . Cependant, un arrêt récent du Tribunal des
254
Conflits
a qualifié de « faute de service » un délit intentionnel, au motif qu’il n’avait pas
255
été commis dans la poursuite d’un intérêt personnel . En matière d’infractions commises
256
non intentionnellement , ni la « faute personnelle », ni la « faute de service » ne sont
automatiquement retenues.
Le cas échéant, la faute personnelle constitutive d’une infraction pénale peut
naturellement « ne pas être dépourvue de tout lien avec le service ». Elle engage alors
257
la garantie de l’administration. Il en a été jugé ainsi en cas de crime
et en cas de délit
258
intentionnel . Là aussi, la compétence de principe est exclusivement administrative : le
juge judiciaire devrait refuser de condamner l’administration. Une exception devrait pourtant
exister en matière criminelle, du fait du principe de plénitude de juridiction de la Cour
d’assises.
2.2.3 En droit privé : la levée de l’immunité du préposé auteur de certaines
infractions
Face au même problème, la jurisprudence de la Cour de cassation a constamment évolué
depuis l’arrêt Costedoat, aboutissant aujourd’hui à une solution confuse.
Avant même le revirement, la Cour de cassation avait admis des inflexions au principe
de l’unité de la faute civile et pénale. Ainsi, elle avait admis que, en cas de poursuite pénale
contre le préposé, la victime puisse se constituer partie civile contre l’employeur sans qu’il
259
soit nécessaire que l’action civile soit aussi dirigée contre le préposé .
260
Suite au revirement, et dans un premier temps , la Chambre criminelle retint
l’immunité du préposé qui avait agi « dans l’exercice normal de ses attributions », quand
bien même la faute de celui-ci aurait été un délit de tromperie et publicité mensongère,
252
TC 26 mai 1924, Dame Veuve Limetti c. Ville de Paris, Rec. CE 502, S.1924.3.49.
253
J. Moreau, « Responsabilité personnelle des agents et responsabilité de l’administration », in Jurisclasseur Administratif,
fascicule 806, N°83s.
254
255
TC 19 octobre 1998, Préfet du Tarn, D.1999, p.127, obs. Gohin.
Telle est du moins l’interprétation défendue par l’avocat général Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin : Cass.
Ass. plén., 14 décembre 2001, Cousin, Bull. civ. n°17 ; R. p.444 ; BICC 1er mars 2002, concl. de Gouttes ; D. 2002.1230, note J.
Julier ; D. 2002.Somm.1317, obs. D. Mazeaud ; D. 2002.Somm.2117, obs. Thuyllier ; JCP 2002.II.10026, note Billiau ; JCP 2002.I.124,
n°22s., obs. Viney ; JCP E 2002, p.94, obs. Chabas ; RCA 2002. Chr. 4, par Groutel ; RTD civ., 2002.108, obs. Jourdain.
256
257
En particulier sous le visa de l’article 121-3, aliéna 3, du Nouveau Code pénal.
Voir par exemple : CE 3/5 SSR, 18 novembre 1988, n°74952 : « dans ces conditions, l'assassinat de Mlle Y..., alors même
qu'il a été commis par M. X... en dehors de ses heures de service et avec son arme personnelle, n'est pas dépourvu de tout lien avec
le service et engage la responsabilité de l'État ».
258
259
260
CE, 2 mars 2007, Banque française de l’Océan indien, précité.
Cass. Crim, 26 oct. 1982, JCP 1983 IV.17
Cass. Crim., 23 janvier 2001, Bull. crim. n°21 ; R. p.444 ; RCA 2001, n°212, note Groutel
MAYER Benoît_2007
51
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
261
infraction intentionnelle sanctionnée par l’article 213-1 du Code de la consommation. Le
juge niait ainsi toute spécificité de la faute pénale quant à l’immunité du préposé. C’était
262
d’ailleurs la solution envisagée par l’avocat général de l’arrêt Costedoat . Le juge civil
devait examiner la faute civile et se demander si elle a été commise dans les limites de
la mission, indépendamment de la qualification pénale de la faute. Ainsi, « on ne peut pas
affirmer a priori que telle catégorie de faute pénale constituerait nécessairement une faute
263
″de mission″, et telle autre, une faute étrangère à la mission » . Dans ce premier arrêt, la
Chambre criminelle adopte donc une solution analogue à la jurisprudence administrative en
consacrant l’autonomie de la « faute personnelle » par rapport à la faute pénale.
264
Mais, dans un second temps , l’Assemblée plénière, s’écartant d’ailleurs des
conclusions de son avocat général, fit échec au pragmatisme de la solution précédente et
imposa une règle supplémentaire selon laquelle « le préposé condamné pénalement pour
avoir intentionnellement commis (…) une infraction ayant porté préjudice à un tiers, engage
sa responsabilité civile à l’égard de celui-ci ».
Dans un troisième temps, cette solution a été poussée plus loin. Il est établi que seule
265
l’infraction intentionnelle permet de lever l’immunité dont profite le préposé . Mais, de
façon corollaire, toute infraction intentionnelle constituée devant le juge répressif, en dépit
266
de l’absence de condamnation pénale , justifie la levée de l’immunité du préposé – sauf
bien sûr abus de fonctions.
267
Dans un quatrième temps , cette solution fut à nouveau assouplie lorsque la Cour
de cassation a également écarté l’immunité du préposé en présence d’une infraction
involontaire qualifiée de « faute caractérisée » au sens de l’article 121-3 du Code pénal.
En tout état de cause, le juge judiciaire est progressivement entré dans une voie
différente de celle du juge administratif en cherchant à définir des critères particuliers pour
lever l’immunité du préposé auteur de certaines infractions – une infraction intentionnelle,
261
La nécessité de l’élément intentionnel de ces infractions ne fait guère de doute. Voir par exemple : Cass. crim. 4 février
1998, pourvoi n°97-81449, non publié au bulletin.
262
F. Desportes, R. Kessous, « Étude sur la responsabilité du préposé », Rapport annuel de la Cour de cassation, 2000,
deuxième partie, documents et études. L’avocat général Kessous, qui n’avait pas abordé le problème dans ses conclusions, estime
dans ce rapport qu’ « il est désormais possible qu’un préposé (…) soit déclaré pénalement responsable de l’infraction (…), mais que
sa responsabilité civile soit écartée au motif que les faits reprochés ont été commis dans les limites de la mission qui lui avait été
impartie par son commettant ».
263
264
265
F. Desportes, R. Kessous, op. cit.
Cass. Ass. 14 décembre 2001.
Cass. crim. 28 juin 2005, RCA, n°10, octobre 2005, comm. 276, H. Groutel : « Responsabilité personnelle du préposé :
infraction non intentionnelle ». Le préposé « ne pouvait être condamné civilement pour les conséquences d’une infraction non
intentionnelle commise par lui » (selon Groutel). Dans le même sens : CA Pau, 25 sept. 2006 : Juris-Data n° 2006-317998 : violence
volontaires exercées sur un pensionnaire mineur. ; - CA Lyon, 19 janv. 2006 : D. 2006, p. 1516, note A. Paulin.
266
cf. Cass. crim., 7 avril 2004, Juris-data n°2004-023601, RCA 2004, comm.215. « Le préposé qui a intentionnellement
commis une infraction ayant porté préjudice à un tiers engage sa responsabilité civile à l'égard de celui-ci, alors même que la juridiction
répressive qui, saisie de la seule action civile, a déclaré l'infraction constituée en tous ses éléments, n'a prononcé contre lui aucune
condamnation pénale ».
267
Cass. crim., 28 mars 2006 : Juris-Data n° 2006-033184 ; Bull. crim. 2006, n° 349 ; RCA 2006, comm. 289, note H. Groutel ;
JCP G 2006, II, 10188, note J. Mouly. Cet arrêt pourrait cependant ne constituer qu’un cas d’espèce : cf. C. Mouly, « Le préposé
délégataire auteur d’une faute qualifiée est responsable à l’égard du tiers victime », D.2006.II.10188.
52
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
puis même une infraction non intentionnelle qualifiée de « faute caractérisée ». Le juge
administratif, se retranchant derrière le concept autonome de « faute personnelle », n’avait
pas eu besoin de disposer de critères particuliers à la qualification de la faute pénale : il avait
préféré ignorer la nature pénale de la faute qu’il devait qualifier civilement. Il est sans doute
regrettable que le juge judiciaire n’ait pas fait, lui aussi, abstraction de la nature pénale de
la faute, ce qui aurait permis plus de cohérence.
Dans les cas de levée de l’immunité, la responsabilité du préposé n’exclut pas celle du
268
commettant , sauf si un abus de fonctions est par ailleurs retenu. A défaut, commettant et
269
préposé sont donc débiteurs solidaires de la victime , mais le commettant condamné doit
270
disposer d’une action récursoire contre son préposé . Il y a donc, là aussi, une survivance
de la jurisprudence antérieure, constituée par une double obligation à la dette du commettant
et du préposé, mais une contribution finale exclusive du préposé.
Titre 2 : Les aboutissements de l’irresponsabilité des
agents d’exécution
La solution commune aux deux ordres juridictionnels concernant la responsabilité du fait
de l’agent d’exécution s’inscrit dans un large mouvement du droit qui consiste à atténuer la
fonction répressive de la responsabilité civile, au profit de sa fonction indemnitaire (1). Mais
le système actuel n’est pas à même de garantir une indemnisation de la victime, surtout en
droit privé : il est dès lors nécessaire que d’autres mécanismes soient mis sur pied pour
garantir une indemnisation systématique des victimes (2).
1/ La disparition de la fonction répressive de la responsabilité civile
L’abandon de l’élément moral de la « faute » civile justifie pleinement que la charge des
« fautes de service » ne soit pas supportée par les agents d’exécution (1). La fonction
punitive, qui était associée à la responsabilité civile, est relayée par d’autres mécanismes
de responsabilisation (2).
1.1 De la faute au risque comme fondement de la responsabilité civile
e
e
La fin du XIX siècle et le XX siècle ont été marqués par le développement d’un droit
plus protecteur des intérêts économiques et sociaux de l’individu, direction exprimée
notamment par le Préambule de la Constitution de 1946 reconnaissant les droits sociaux et
économiques de l’individu et par l’édification de l’État-providence à l’Après-guerre.
A la place de l’impératif amendement du coupable ou du fautif, le droit pénal et le
droit civil se sont dirigés vers une meilleure prise en compte de la victime, alors que
268
269
Cf. arrêt Cousin précité.
Pour une application: Cass. 2ème Civ, 16 juin 2005, Mme X épouse Y, pourvoi n°03-19.70, LPA 16 avril 2007, n°76, p.
15-22, « Nouvelle articulation des responsabilités cumulatives du commettant et du préposé », Chaaban.
270
C’est du moins la solution prônée par G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812-3.
MAYER Benoît_2007
53
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
271
l’élément moral de la faute s’était, dans ces deux domaines, considérablement restreint .
En témoigne, en droit pénal, l’élargissement de la responsabilité aux personnes morales,
e
272
refusé au XIX siècle par la jurisprudence , qui fut mis en place progressivement par
273
le législateur , avant d’être triomphalement intégré par la loi du 22 juillet 1992 dans le
er
Nouveau Code pénal entré en vigueur le 1 mars 1994 et consacré comme principe
274
applicable à toutes les infractions par la loi Perben I . Dans le domaine pénal, où il semble
pourtant fondamental, l’élément moral de l’infraction est ainsi mis en retrait.
A fortiori, l’objectivation de la responsabilité a été remarquable dans le domaine de la
275
responsabilité civile et administrative . G. Viney décrit ainsi le « déclin du rôle attribué à
la faute subjective en tant que condition de la responsabilité civile » comme « le trait qui
a le plus vivement frappé tous les auteurs qui ont cherché à décrire l’évolution du droit de
e
276
la responsabilité civile au cours du XX siècle » . En particulier, l’assurance a eu pour
effet, malgré des techniques de « pénalisation », de délester les responsables de fautes
277
non intentionnelles de leur responsabilité, en mutualisant les charges liées à celles-ci ,
encourageant le juge à consacrer une responsabilité sans faute « dont elles neutralisent la
278
rigueur à l’égard du responsable » .
279
En conséquence , le concept de faute a été élargi, par exemple lorsque la Cour
de Cassation a supprimé le critère de l’imputabilité et consacré la responsabilité de
280
l’inconscient
: seul demeure aujourd’hui le critère de l’illicéité de l’acte, fondant une
conception objective de la faute. Dans d’autres cas, tels que la circulation routière, la faute
n’est plus nécessaire, mais la responsabilité d’une personne peut être fondée sur un simple
281
fait
: peu importe qui sera dit « responsable », puisque ce sera au final l’assurance
qui paiera. Le « déclin de la responsabilité individuelle au moyen d’une socialisation des
282
risques » est parallèle au développement d’une responsabilité contemporaine dont le
271
L. Cadiet (dir.), Dictionnaire de la Justice, PUF, 2004, p.1150sq ; B. Starck, Essai d’une théorie générale de la responsabilité
civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, édition L. Rodstein, 1947
272
Cass crim. 8 mars 1883, DP 1884, I, p.428: « l’amende (…) étant personnelle comme toute peine (…) ne peut être prononcée
contre une société commerciale, être moral, laquelle ne peut encourir qu’une responsabilité civile. »
273
274
275
276
277
278
279
Cf. J. Mestre, D. Velardocchio, C. Blanchard-Sébastien, op. cit., n°556 p.253
Loi n°2004-204 du 9 mars 2004, article 55. Entrée en vigueur le 31 décembre 2005.
J. Waline, « L’évolution de la responsabilité extracontractuelle des personnes publiques », EDCE, 1994, p. 459s.
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°36
L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154
L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154
Sur l’aspect consécutif au développement des assurances de celui de la responsabilité : « alors qu’en principe la
responsabilité constitue le support de l’assurance, on peut se demander si, en réalité, ce n’est pas l’assurance qui est devenue le
support de la responsabilité. », d’après L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1154-1155.
280
281
282
54
Cass Ass. plén., 9 mai 1984
F. Terré, P. Simler, Y. Lequette, op. cit., n°722 p.707
G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°534
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
fondement, l’indemnisation de la victime, est clairement contraire à la double fonction,
e
283
préventive et répressive, de la responsabilité du XIX siècle .
Il y a là un véritable changement de paradigme : le paradigme de la responsabilité
284
e
sanction, prédominant depuis l’Antiquité et jusqu’au début du XX siècle, fait place à celui
de la responsabilité indemnisation. Les conclusions d’un article de F.-P. Benoit, publié en
1954, mettent bien en évidence ce changement d’approche :
« Il est indispensable, si l’on veut comprendre les problèmes de la responsabilité,
de modifier complètement la façon dont on aborde le problème : il faut procéder à
un renversement d’optique. On étudie toujours les problèmes de la responsabilité
en se plaçant du côté de l’auteur du dommage, considéré comme acteur
essentiel, la victime n’apparaissant que comme l’une des conditions nécessaires
pour que puisse se poser un problème de responsabilité ; à vrai dire, on
n’assigne même à la victime que le rôle bien pâle de support du dommage. Or,
en réalité, c’est la victime qui joue le rôle essentiel en la matière, et cela est si
vrai que, si elle ne réclame rien, il n’y aura pas de problème de responsabilité.
C’est donc du côté de la victime que les problèmes de responsabilité doivent être
285
étudiés. »
Désormais, la responsabilité ne vise donc plus tant à punir qu’à indemniser la victime.
Elle doit « non seulement déterminer qui doit supporter la charge des réparations », mais
aussi « tenir compte des conséquences qui peuvent résulter de ce choix pour la victime
du dommage causé par le préposé », car « c’est avant tout l’intérêt de la victime qui est
286
déterminant » . Bref, ce qui fait un responsable de « bonne qualité », ce n’est pas qu’il
est fautif, c’est qu’il est solvable.
Ainsi, il est typique de cette approche que le commettant, en droit administratif comme
en droit civil, puisse être le garant d’une faute personnelle de son agent d’exécution : la
faute est manifestement celle de l’agent d’exécution, mais on préfère offrir à la victime un
deuxième débiteur, étant donné qu’il n’est pas extrêmement injuste de faire supporter par
le commettant l’indemnisation d’une faute qui a été commise en lien avec les fonctions,
lorsque le préposé n’est pas capable de payer – du moins, cela est sans doute moins injuste
que de faire supporter les conséquences de la faute à la victime malencontreuse.
La pleine responsabilité du commettant n’est pas fondée sur la faute de surveillance du
287
commettant, mais sur le risque de l’activité dont il bénéficie . Certes, la théorie du risque
existait déjà, en droit civil, avant l’arrêt Costedoat ; mais elle ne prenait pas tous ses effets,
parce qu’elle était assujettie à la nécessité de « faire payer » l’auteur véritable de la faute. La
responsabilité fondée sur le risque ne servait qu’à compléter la responsabilité fondée sur la
faute. De la sorte, le risque ne fondait qu’une obligation de garantie de celui qui, par l’activité
qu’il créait et dont il bénéficiait, créait de nouveaux risques pour les autres citoyens. En
283
284
L. Cadiert (dir.), op. cit., p.1151
Conseil d’État, Rapport public annuel, La Documentation française, 2005, : « Responsabilité et socialisation du risque », p.
205-390. En particulier p.209 : Aristote défendait ainsi une « responsabilité sanction » plus qu’une « responsabilité indemnisation ».
285
286
F.P. Bénoit, « Le régime et le fondement de la responsabilité de la puissance publique », JCP G 1954. I.1178, n°48
J. Guyénot, op. cit., n°157 p.123
287
C. Eisenmann, 1949, op. cit., deuxième article n°10
MAYER Benoît_2007
55
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
principe, elle ne coûtait rien au commettant. Le risque de l’activité n’était pas véritablement
supporté par celui qui en tirait les profits.
L’abandon de l’aspect moral de la responsabilité délictuelle permit au contraire à la
théorie du risque, prise alors dans une conception nettement plus extensive, de justifier une
déresponsabilisation de l’agent agissant dans le cadre normal de ses fonctions, ce qui fut fait
en droit civil par l’arrêt Costedoat. N’agissant pas pour lui-même, il ne semblait pas équitable
que l’agent public ou le préposé dût supporter la charge de ses fautes « normales », alors
qu’un autre, l’administration ou le commettant, bénéficiait des gains de son activité. Dès
lors que l’élément moral de la responsabilité est gommé, la charge de l’indemnisation d’une
faute commise en lien avec la mission exécutée peut être considérée comme un « coût »
parmi d’autres et doit, dès lors, être supportée par celui qui entreprend l’activité.
1.2 L’absence d’impunité de l’agent d’exécution
L’absence de responsabilité civile de l’agent d’exécution ne peut pourtant pas justifier une
impunité de celui-ci. En effet, même dans le cadre de la faute non intentionnelle, il ne
fait guère de doute qu’une irresponsabilité complète pourrait entraîner des dérives – en
particulier, des imprudences notoires multipliant les accidents. Il en irait de même, et à plus
forte raison, en matière de fautes intentionnelles : les employés d’une société réaliseront
d’autant plus facilement des publicités mensongères, comme dans l’arrêt Rochas, qu’ils
seront sûrs de rester impunis. Il est donc fort heureux que l’immunité civile des agents
d’exécution n’exclue pas leur responsabilité pénale (1) et disciplinaire (2).
1.2.1 La responsabilité pénale des agents d’exécution : la juste punition
288
Ni le préposé, ni l’agent public
ne sont mis à l’abri de poursuites pénales par
leur irresponsabilité civile. L’agent d’exécution peut être condamné pénalement. L’action
publique doit poursuivre les actes portant atteinte aux intérêts de la société et il importe peu
que ces actes aient été commis par des agents d’exécution.
Ainsi, la suppression de la responsabilité civile ne fonde pas per se une immunité des
agents d’exécution, mais permet au contraire de limiter leur punition à ce qui est strictement
nécessaire – en limitant leur sanction à ce que dispose la loi pénale, sans y ajouter des
condamnations civiles. Cette absence d’impunité est d’ailleurs nécessaire à la cohérence
des jurisprudence, tant civile qu’administrative. C’est dans ce sens que penche l’avocat
général de Gouttes dans ses conclusions sous l’arrêt Cousin :
« Le maintien de la responsabilité pénale personnelle du préposé vient équilibrer
l'exonération de sa responsabilité civile et apporter ainsi une réponse à ceux qui
craignaient que l'arrêt Costedoat ait pour effet de "déresponsabiliser" les salariés
et de favoriser des comportements dangereux. »
La Déclaration des droits de l’homme de 1789 postule en son article 8 que « la loi ne peut
établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ». Assigner à la responsabilité
civile une fonction punitive, c’est faire dépendre la peine d’un élément extérieur et aléatoire.
Une faute d’une même « gravité » pourra causer des dommages civils extrêmement
différents. Surtout, de toute évidence, la fonction punitive de la responsabilité civile constitue
une grave entorse au principe de la proportionnalité des délits et des peines, défendu en
288
Des exceptions concernent cependant les gouvernants. Cf. E. Breen, « Responsabilité pénale des agents publics », in
Jurisclasseur Administratif, fascicule 809
56
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
289
son temps par Beccaria . S’il est vrai que, en principe, « la vraie mesure des crimes est
290
le tort qu’ils font à la nation » , il n’en demeure pas moins que c’est bien au juge pénal
d’estimer cette mesure, non au juge civil – sans quoi les infractions contre les personnes
et les biens seraient punis, mais non les infractions « contre la nation, l’État et la paix
publique ». Et, en tout état de cause, la juste punition est celle qui découragera les citoyens
d’agir contrairement à l’intérêt général. Elle dépend donc plus de l’avantage que le fautif
acquiert en agissant mal, que par le préjudice que subit la victime de la faute : il s’agit de faire
en sorte que l’action proscrite « coûte » plus cher qu’elle ne « rapporte ». Par conséquent,
la juste mesure de la punition est la cause de la faute, son mobile, l’intention ou le manque
d’attention du fautif ; mais non la conséquence de la faute, qui peut être multipliée par des
circonstances aléatoires.
Si la responsabilité civile ne peut utilement remplir une fonction punitive, c’est non
seulement parce qu’elle fait dépendre la punition d’éléments dont elle ne devrait pas tenir
compte, mais c’est aussi parce qu’elle ne la fait pas dépendre d’éléments dont elle devrait
tenir compte. Chacun ne mérite pas la même peine pour la même infraction. L’office du
juge est justement de déterminer la part de libre arbitre dans la commission de chaque
infraction. Dès lors qu’elle doit correspondre au préjudice, toute personnalisation de la peine
est manifestement impossible.
1.2.2 La sanction disciplinaire de l’agent d’exécution
La sanction pénale, sanction de l’action contraire à l’intérêt social, est utilement complétée
par la sanction de l’atteinte à l’intérêt particulier du commettant ou de l’administration. Il
existe donc, en plus de la sanction pénale, une sanction disciplinaire, qui permet, en droit
public comme en droit privé, au commettant de punir son agent d’exécution, et pouvant aller
jusqu’au licenciement.
En droit privé, l’employeur dispose ainsi d’un pouvoir disciplinaire encadré par la loi.
En outre, la responsabilité contractuelle du préposé lié par un contrat peut être engagée –
291
dans le cadre d’un contrat de travail, une faute lourde est nécessaire . Il s’agit alors d’une
responsabilité pécuniaire du salarié (préposé) envers l’employeur (commettant).
Un mécanisme analogue tend à être mis en place en droit administratif, selon la
292
jurisprudence de l’arrêt Jeannier . En l’espèce, des soldats avaient utilisé un véhicule
militaire « à des fins étrangères au service » et avaient provoqué un accident de la
circulation. Si la victime avait poursuivi les soldats devant le juge judiciaire, seule la
responsabilité du conducteur aurait pu être retenue. Mais elle décida de ne poursuivre
que l’administration. Celle-ci, condamnée par le juge administratif, se retourna contre les
soldats par une action récursoire et réclama à chacun d’eux le remboursement d’une
partie des indemnités payées. Le Conseil d’État confirma que les passagers étaient
également responsables envers l’administration du fait d’une faute personnelle de chacun
d’eux consistant dans le fait d’avoir « utilisé sciemment un véhicule de l’armée à des
fins étrangères au service ». Les soldats autres que le conducteur, qui ne pouvaient être
289
290
Beccaria, Traité des délits et des peines, 1764. Cf. Chapitre 6, « Proportion entre les délits et les peines ».
Beccaria, op. cit., Chapitre 7.
291
292
Cass. soc., 19 mai 1958 : D. 1959, p. 20, note R. Lindon
CE Sect., 22 mars 1957, Rec. CE 196, concl. Kahn, D.1957.748, conclusion Kahn, note Weil ; S.1958.32, concl. Kahn, AJ
1957.II.186, chr. Fournier et Braibant ; JCP 1957.II.10303 bis, note Louis-Lucas.
MAYER Benoît_2007
57
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
poursuivis directement par la victime, pouvaient ainsi être condamnés par l’administration
pour faute personnelle.
Ainsi, la faute personnelle prenait une teinte éminemment disciplinaire. Cependant, la
conséquence regrettable de cette jurisprudence consiste en la création d’une seconde faute
personnelle et, par là, d’une complexité supplémentaire du droit administratif. La première
faute personnelle, classique, que l’on pourrait qualifier d’« externe », consacrée par l’arrêt
Pelletier, engage la responsabilité de l’agent public envers les tiers ; l’administration peut
cependant indemniser la victime si la faute personnelle n’est pas sans liens avec les
fonctions ; dans ce dernier cas, l’administration dispose d’une action récursoire contre
l’agent public responsable. Au contraire, la faute personnelle « interne », « disciplinaire »,
de l’arrêt Jeannier, engage la responsabilité de l’agent envers la seule administration.
Dans le droit français positif contemporain, il existe donc tous les moyens juridiques
nécessaires à s’assurer qu’immunité civile ne signifie pas impunité. La punition du fautif,
lorsque la faute le « mérite », est l’objet de la responsabilité pénale, disciplinaire et
contractuelle des agents d’exécution, aussi bien en droit privé qu’en droit public – même si
les modalités en sont naturellement différentes.
2/ La fonction exclusivement indemnitaire de la responsabilité civile
Des différences substantielles existent entre les commettants, de droit privé ou de droit
public, dans leur capacité à indemniser les victimes de leurs agents d’exécution (1). Dès lors,
il serait utile d’institutionnaliser une véritable socialisation des risques afin de s’assurer de
l’indemnisation systématique des victimes, mais aussi pour protéger certains commettants
plus fragiles (2).
2.1 La nécessaire prise en compte des particularismes du commettant
La summa divisio des commettants distingue les commettants publics, solvables par
définition, et les commettants privés, potentiellement insolvables. Cependant, cette
distinction reflète mal deux phénomènes. D’une part, la solvabilité des commettants de droit
public ne signifie pas une capacité budgétaire illimitée (1). D’autre part, la notion civiliste
de « commettant » assimile des situations extrêmement différentes, notamment en termes
de solvabilité (2).
2.1.1 Les limites des finances publiques : quelle évolution de la
responsabilité des agents publics à l’heure de la rigueur ?
Le « commettant » du droit public, c’est-à-dire l’administration responsable pour l’agent
public travaillant pour elle, a longtemps eu pour spécificité sa grande « générosité », et ceci
à la fois dans le cadre de la faute de service et dans celui de la faute personnelle.
La faute de service a ainsi été conçue d’une manière large – plus large que le domaine
équivalent en droit civil où seul le commettant est responsable. Qui plus est, ce domaine tend
à être constamment élargi. Ainsi, comme mentionné précédemment, le Tribunal des Conflits
a récemment consacré la solution selon laquelle une infraction intentionnelle peut constituer
293
une faute de service . Au contraire, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a
294
formellement exclu qu’une infraction intentionnelle puisse valoir immunité du préposé .
293
294
58
Cf. note n°68.
Cf. p. 69s.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
L’amplitude de la faute de service n’est pas seulement expliquée par la volonté de mieux
indemniser les victimes : en effet, la simple garantie de l’administration, dans le cadre de
la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service, suffirait à atteindre cet
objectif. Il s’agit donc également d’une volonté, de la part du juge comme de l’administration,
de protéger l’agent public des conséquences pécuniaires importantes de sa faute, même
intentionnelle.
La responsabilité dans le cadre de la faute de service peut se révéler coûteuse pour
l’administration. Néanmoins, le rapport de force en faveur des organisations représentatives
de fonctionnaires rend difficilement imaginable qu’elle puisse être réformée à courte
échéance par le juge administratif, ou que le législateur ose prendre des mesures pour la
recadrer dans un champ plus limité. Par exemple, le livre blanc sur l’avenir de la fonction
publique publié en avril 2008 ne remet pas en cause l’immunité des agents publics dans le
295
cadre de la faute de service .
Cependant, un changement de pratique de l’administration pourrait avoir lieu dans un
autre domaine sans aboutir à un conflit syndical : il s’agit du domaine où l’administration
n’est, en principe, que garante de ses agents. Lorsque l’administration indemnise les
victimes de fautes personnelles commises en lien avec les fonctions, elle peut en principe
exiger de l’agent responsable le remboursement des indemnités versées ; cependant,
296
cette procédure est très rarement appliquée . Tout laisse à penser que cette situation
sera rapidement amenée à évoluer. L’augmentation constante de l’endettement des
administrations publiques et les pressions faites par la Commission européenne pour
que la France se conforme aux critères de Copenhague, ainsi que la faible croissance
économique, poussent les administrations à une certaine « rigueur » budgétaire.
Contrairement au coût de la prise en charge de la faute de service, le coût de la
prise en charge des fautes personnelles n’est pas considéré socialement comme légitime :
au contraire, on ne peut que s’offusquer que l’auteur d’un crime n’ait pas à supporter
297
l’indemnisation de la victime . Déclarer débiteur l’agent public responsable d’une faute
personnelle est dans la logique des choses. Cela permet par ailleurs de substantielles
économies sur les deniers publics. Pour autant, il est évident que l’« action récursoire » est
plus acceptable dans le cas de certaines fautes – crimes notamment – que dans d’autres.
La réforme budgétaire de l’État, dont la figure de proue est la Loi organique relative
298
aux lois de finances , pourrait avoir des conséquences sur la responsabilité pécuniaire
des agents publics auteurs d’une faute personnelle. Cette nouvelle gestion « managériale »
crée des « responsables de mission » et des « responsables de programme », dont la
299
rémunération varie en fonction des résultats obtenus . Cette responsabilisation des hauts
fonctionnaires devrait en toute logique conduire à une application plus systématique des
actions récursoires contre les agents fautifs.
295
disponible sur le site du « débat national sur l’avenir de la fonction publique » (lien vers le livre blanc en première page) :
http://www.ensemblefonctionpublique.org/livreblanc.htm . En particulier : p. 63. Seul un aménagement est prévu pour donner toute
sa cohérence au système actuel.
296
297
298
299
cf. p. 32s.
Pour une pareille hypothèse, voir note n°69.
er
Loi organique n°2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances, NOR: ECOX0104681L.
C. Radé, « Responsabilité des commettants », in Jurisclasseur Civil Code, articles 1382 à 1386, fascicule 143, p.164
MAYER Benoît_2007
59
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
2.1.2 La possible insolvabilité des commettants de droit privé : tous les
commettants de droit privé sont-ils égaux ?
Si la classe des « commettants » de droit public est homogène, du moins en ce qui
concerne leurs capacités financières à indemniser une victime, il n’en va pas de même
de celle des commettants de droit privé, qui peut regrouper aussi bien une société
multinationale réalisant des profits considérables qu’un simple particulier. Il en résulte que
les commettants de droit privé sont très inégalement solvables, non seulement parce qu’ils
peuvent être plus ou moins riches, mais surtout parce qu’ils peuvent être assurés ou non.
Les sociétés elles-mêmes ne sont pas contraintes de souscrire un contrat d’assurance, sauf
300
cas particulier , et peuvent par ailleurs être dissoutes ; et le commettant peut n’être qu’un
301
simple particulier .
Par conséquent, il arrive que le commettant de droit privé soit insolvable. Or, la
jurisprudence Costedoat s’est inspirée d’une solution de la jurisprudence administrative,
postulant à raison la solvabilité systématique du commettant. C’est dès lors à juste titre que
les critiques adressées à la nouvelle jurisprudence civile se sont focalisées sur le risque de
non indemnisation qu’elle fait courir aux victimes.
Avant l’arrêt Costedoat, le système de la garantie du commettant protégeait
relativement bien l’intérêt de la victime en lui offrant deux débiteurs, mais ne protégeait pas
le préposé, qui était à la merci de la victime et du commettant. Le revirement jurisprudentiel a
produit une situation inverse : lorsque le préposé est protégé, c’est la victime qui ne l’est plus,
du moins plus systématiquement. La perte de chances peut être très importante, notamment
lorsque le commettant est un particulier peu solvable et non assuré, mais que le préposé
est une société très solvable ou assurée.
302
Il a été fort justement proposé , en particulier dans l’avant-projet de réforme du droit
303
des obligations de la Commission Catala , d’admettre une responsabilité du préposé
subsidiaire à celle du commettant. Ainsi, la victime ne pourrait poursuivre le préposé qu’à
condition de poursuivre en même temps le commettant, ou d’avoir poursuivi le commettant
préalablement et de n’avoir pas pu être indemnisée. Le préposé ne pourrait ainsi être
condamné à indemniser que la partie du préjudice que le commettant n’a pas pu indemniser,
soit à défaut d’une solvabilité suffisante, soit parce qu’il a été dissous. Le préposé serait
donc en quelque sorte le garant de l’indemnisation, par le commettant, des fautes qu’il a
lui-même commises. L’avantage de ce mécanisme complexe est de concilier un peu mieux
la protection de la victime avec celle du préposé. Le préposé ne bénéficierait certes pas
d’une protection totale analogue à celle de l’agent public, qui restreindrait trop les droits de
la victime.
300
Voir par exemple la liste des assurances obligatoires dressée par le Conseil d’État : Rapport public annuel 2005, op. cit., annexe
1, pages 341 à 346.
301
cf. p. 34s.
302
Voir en particulier G. Viney, P. Jourdain, op. cit., n°812 p.1021 ; Commission Catala, Rapport sur la réforme du droit des
obligations, remis au Ministre de la Justice le 22 septembre 2005, La Documentation française, 2006, en particulier : G. Viney, « De
la responsabilité civile », exposé des motifs ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain, p.584 ; G. Durry, op. cit.
303
Avant-projet de la Commission Catala, op. cit.. L’article 1359-1 dispose : « Le préposé qui, sans commettre une faute
intentionnelle, a agi dans le cadre de ses fonctions, à des fins conformes à ses attributions et sans enfreindre les ordres de son
commettant ne peut voir sa responsabilité personnelle engagée par la victime qu’à condition pour celle-ci de prouver qu’elle n’a pu
obtenir du commettant ni de son assureur réparation du dommage. »
60
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
Cette solution pourrait d’ailleurs éventuellement être consacrée par le juge sur la base
des textes existant : l’article 1382 pourrait fonder une responsabilité personnelle du préposé
subsidiaire à la responsabilité principe du commettant consacrée par l’article 1384, alinéa 5.
Cependant, après un premier revirement jurisprudentiel, une réforme législative, d’ailleurs
proposée par le Commission Catala, serait sans doute plus opportune pour éclaircir et fixer
le droit positif.
Cependant, si une réforme législative est manifestement nécessaire, doit-elle se limiter
à aménager la jurisprudence Costedoat pour une meilleure protection de la victime ?
Une réforme plus large du droit de l’indemnisation des victimes pourrait au contraire être
envisagée.
2.2 De la responsabilité à la solidarité ?
On ne peut s’y tromper : si le commettant, en droit public comme en droit privé, est
déclaré responsable envers la victime, ce n’est pas pour le punir ; c’est pour permettre
l’indemnisation de la victime sans préjudicier à l’auteur de la faute. La responsabilité du
fait de l’agent d’exécution s’inscrit ainsi dans une tendance plus large tendant à la gestion
sociale des risques (1). Dans ce cadre, une solution ambitieuse pourrait être une prise en
charge de l’indemnisation des victimes par une branche de l’État-providence (2).
2.2.1 La socialisation des risques comme nécessité sociale
304
e
Le développement de la « société individualiste » s’est accompagné tout au long du XX
siècle de la découverte de la fragilité de la personne humaine, « roseau le plus faible de la
305
nature » , dans un environnement caractérisé par la multiplication des risques. La société,
dont le rôle se limite de plus en plus à la protection des individus les uns contre les autres,
doit alors prendre en compte ces risques existentiels.
Ceci fut fait dans un premier temps par des phénomènes spontanés. Dès l’Antiquité,
306
des solidarités furent mises en place entre travailleurs d’un même corps de métier .
Le système corporatiste se développa tout au long du Moyen-âge. Cette solidarité,
organisée spontanément, fut progressivement institutionnalisée. Le calcul de probabilité et
e
l’esprit d’entreprise apparaissant à partir du XVIII siècle furent à l’origine des premières
307
entreprises d’assurance . Celles-ci connurent jusqu’à aujourd’hui un développement
rapide, encouragé par le mouvement d’industrialisation.
Si l’assurance permet une protection efficace du responsable contre un événement qui
pourrait le ruiner, elle ne profite cependant à la victime que lorsque l’auteur du préjudice
qu’elle subit avait contracté avec une assurance – l’indemnisation est alors aléatoire. Quant
au responsable, il ne profite en réalité de l’assurance qu’à condition d’avoir considéré ex ante
le risque auquel il pourrait être amené à faire face, et à condition qu’une société d’assurance
ait accepté de contracter – ce qui exclut certaines hypothèses où l’estimation du risque est
304
Cf. par exemple : D. Riesman, The Lonely Crowd, Yale University Press, 1950 ; traduction française : « La foule solitaire »,
Arthaud, 1964.
305
B. Pascal, Pensées, Flammarion, 1993.
306
J.-N. Corvisier, Guerre et société dans les mondes grecs (490-322 av. J.-C.), Armand Colin, Paris, 2001, p. 246-247, cité
par le Conseil d’État dans son Rapport public annuel 2005, op. cit., p.207. Un fonds d’indemnisation des accidents fut mis en place
par des tailleurs de pierre de la Basse-Egypte dès les années 1400 av. J.-C.
307
J. Peyrelevade, « Assurance », Encyclopaedia Universalis, tome III, p. 226.
MAYER Benoît_2007
61
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
308
délicate, notamment les dégâts découlant de catastrophes naturelles . Partant de cette
constatation, le législateur a disposé des obligations de souscrire un contrat d’assurance.
309
Cela a permis de réduire certains effets pervers et d’améliorer la protection des victimes
310
dans certaines circonstances . Mais ces aménagements ne sont sans doute pas une
panacée.
Le droit positif est encore dicté par la logique assurantielle. Dans ce cadre, il va
être tenté de dépasser l’insolvabilité potentielle d’un individu en rendant débitrice une
personne morale : il y a une socialisation privée du risque. Ainsi en va-t-il manifestement
de la responsabilité de l’administration, en particulier pour la faute personnelle « qui
n’est pas dépourvue de tout lien avec les fonctions » : reconnaître une responsabilité de
l’administration a pour fonction exclusive de protéger la victime.
Il peut en aller de même de la responsabilité du commettant, qui pourrait être
vue comme constituant seulement une assurance du préposé vis-à-vis des victimes.
Juridiquement, cela pourrait être expliqué par la présence, dans tout lien de préposition,
d’un contrat tacite d’assurance engageant le commettant à garantir les dommages causés
311
par son préposé . Dans la plupart des cas et en particulier dans tous les cas d’espèce
à l’origine des arrêts Rochas et Costedoat, le préposé est un individu, potentiellement
insolvable, et le commettant est une société, a priori très solvable. Cependant, le système
assurantiel que constitue la responsabilité du commettant est incomplet puisque le
commettant ne remplit pas véritablement les conditions qu’une assurance doit remplir,
312
notamment en termes de solvabilité .
La solution présentée plus haut et consistant à lever l’immunité dont profite le préposé
313
lorsque le commettant n’est pas solvable pour protéger les intérêts de la victime
s’inscrit encore dans la logique assurantielle. Si le commettant n’est pas capable d’assurer
l’indemnisation de la victime, donc s’il ne présente pas la qualité requise pour être considéré
comme l’assurance du préposé, ce dernier, réputé ne pas être « assuré » par le commettant,
doit alors lui-même indemniser la victime de sa faute.
2.2.2 La vocation de l’État-providence ?
308
309
Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.220.
Il s’agit en particulier du phénomène de la sélection adverse : seules les personnes les plus exposées à un risque souscrivent
à un contrat d’assurance, ce qui renchérit le prix du contrat, décourageant encore plus les personnes les moins exposées au risque.
Il y a là un véritable cercle vicieux, qui apparaît dès lors que les risques sont inégalement répartis entre les individus. Dans ce cas,
seule l’obligation de souscrire un contrat d’assurance peut mettre fin. Cf. Denis Kessler, Risques, n° 59, juillet-septembre 2004, p. 88.
310
Par exemple dans le domaine des accidents de la circulation. Mais, déjà, la loi Badinter est allée au-delà du système
assurantiel, en mettant en place un fonds de solidarité nationale.
311
312
Du moins, il en irait ainsi dans le lien de préposition fondé sur un contrat – ce qui est le cas le plus fréquent.
Une assurance doit nécessairement présenter des garanties de solvabilité. Ainsi, le livre III du Code des assurances définit
un ensemble de normes prudentielles et comptables que doivent respecter les entreprises d’assurance. Ces normes sont de plus en
plus influencées par le droit communautaire. Ainsi, la directive « Solvabilité I » a été adoptée en 2002. Une directive « Solvabilité II »
est actuellement à l’étude. Voir le bilan qui est fait de ces deux directives sur le site d’information de la Commission européenne :
http://ec.europa.eu/internal_market/insurance/solvency/index_fr.htm (Chemin d’accès: Commission européenne > Marché Intérieur
> Assurances > Solvabilité et Solvabilité II) Sans respecter ces normes spécifiques aux entreprises, l’administration offre à la victime
une solvabilité au moins aussi sûre que celle offerte par les entreprises d’assurance. Il n’en va manifestement pas de même des
commettants.
313
62
cf. p. 61s.
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
La logique assurantielle est manifestement insuffisante.
D’abord, elle est insuffisante dans le cas particulier du commettant de droit privé,
puisque celui-ci ne comporte pas les garanties de solvabilité exigibles de la part d’un
assureur. La solution pourrait bien entendu être améliorée à la marge. Ainsi, en copiant
la solution pratiquée par les entreprises d’assurance qui consiste à se « réassurer »,
les commettants pourraient être obligés de souscrire à une assurance civile exploitation,
couvrant leurs préposés. La responsabilité pour autrui serait ainsi transmise à un débiteur
plus sûr. Cependant, le lien de préposition pouvant apparaître même sans contrat, par
une simple volonté d’aider son prochain, il est manifestement impossible de systématiser
l’obligation d’assurance à tous les liens de préposition.
Ensuite, la logique assurantielle est insuffisante en général, puisqu’elle ne peut
satisfaire entièrement les besoins sociaux nouveaux de sûreté. La logique assurantielle ne
permet pas de prendre en compte tous les risques. De plus, même lorsque la souscription
d’un contrat d’assurance est rendue obligatoire, la logique assurantielle élude la possibilité
d’une fraude – le commettant qui ne s’assurerait pas, malgré l’obligation. Enfin, une société
314
privée est toujours sujette à la conjoncture économique et au risque d’une faillite .
Une prise en charge de l’indemnisation des victimes par les pouvoirs publics a été
initiée en France, dans certains secteurs, par des mesures circonstancielles particulières et
315
souvent complexes. Ces divers mécanismes de prise en charge concernent notamment
316
317
les dommages causés par les actes de terrorisme , par l’amiante , par la contamination
318
par le virus du SIDA lors d’une transfusion sanguine , etc. Récemment encore, la loi du
4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a créé
un Office national d’Indemnisation des Accidents Médicaux, des Affections Iatrogènes et
319
des Infections Nosocomiales (ONIAM) visant à indemniser les victimes d’accidents non
320
fautifs .
Souvent assimilés à tort à une responsabilité sans faute de l’administration, ces
dispositions créent en réalité une intervention des pouvoirs publics, dans un domaine
généralement extérieur à l’activité de la puissance publique, en vue de la protection des
314
Les garanties de solvabilité des entreprises d’assurance sont basées sur des calculs de probabilité : il s’agit de « limiter la
probabilité de faillite des entreprises d’assurances », non de rendre cet événement impossible. Cf. l’analyse de J.-P. Rochet, « Quelles
normes de solvabilité pour les entreprises d’assurances ? », sur le site de la Fédération française des sociétés d’assurances : http://
www.ffsa.fr/ . Les récents événements survenus à la Société générale, faisant suite aux déboires du Crédit lyonnais émaillant les
années 1990, ainsi que la crise actuelle des « supprimes », doivent amener à relativiser la stabilité de toute société privée. Il en va en
principe différemment de l’État, ne serait-ce que du fait de son pouvoir de définir lui-même les règles du jeu financier.
315
Pour une liste complète des fonds d’indemnisation, se reporter à : Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit.,
annexe 2 p.347.
316
Article 9 de la loi du 9 septembre 1986 : création d’un Fonds de Garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres
infractions.
317
Article 53 de la loi du 23 décembre 2000 modifié par la loi du 4 mars 2002 : création d’un Fonds d’indemnisation des
victimes de l’amiante.
318
319
320
Article 47 de la loi du 31 décembre 1991 : création d’un Fonds d’indemnisation des victimes contaminées.
http://www.oniam.fr/
Cette intervention du législateur fait suite à l’arrêt Bianchi qui instaurait une responsabilité sans faute du service public
hospitalier du fait de l’aléa thérapeutique : CE Ass. 9 avril 1993, RFDA 1993 p.574.
MAYER Benoît_2007
63
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
321
victimes . Ils sont souvent subsidiaires à des mécanismes classiques d’assurance : ainsi
en va-t-il, dans le domaine des accidents de la circulation, du Fonds de garantie des
assurances obligatoires de dommage, qui n’indemnise la victime que lorsque l’auteur de
l’accident n’était pas connu ou n’était pas assuré. Ces fonds peuvent également exercer
322
des recours récursoires contre l’auteur du dommage .
D’autres pays ont mis en place une véritable prise en charge de l’indemnisation des
victimes qui vaut immunité civile de l’auteur de la faute. Néanmoins, cette prise en charge
solidaire des victimes par l’ensemble de la société, qui pourrait fonder à terme une nouvelle
branche de l’État-providence, est toujours limitée à un ensemble particulier de dommages.
323
Ainsi en va-t-il, dans plusieurs États, des dommages causés par le terrorisme .
Un des systèmes d’indemnisation des victimes les plus évolués a été développé en
Nouvelle-Zélande par une autorité publique en charge de l’indemnisation d’une gamme
324
étendue de préjudices . L’indemnisation profite à tout Néo-Zélandais, actif ou non, ainsi
qu’aux visiteurs étrangers. Elle inclut un nombre important de dommages, notamment
la totalité des frais des services d’urgence et de santé, la perte de revenus, la perte
de chances professionnelles, mais également certains préjudices moraux comme celui
résultant d’agressions sexuelles. Surtout, il n’y a pas de condition relative à l’origine de
l’accident : il importe peu que quelqu’un ait commis une faute – l’indemnisation est due
même si la victime est elle-même fautive. Le fonds désintéresse ainsi les victimes qui, une
fois indemnisée par le fonds, ne peuvent plus poursuivre l’auteur de la faute dont elles sont
victimes, si ce n’est, dans le cas d’une faute particulièrement grave, pour des « dommages
325
et intérêts exemplaires » .
De la sorte, la Nouvelle-Zélande, grâce au concept de la « responsabilité de la
326
communauté » , « a complètement quitté le sentier de la responsabilité pour faute, et
327
avance sur la route de l’État-providence » . Le fonds est divisé en sections financières
en principe indépendantes, chargées de gérer un danger particulier – par exemple les
accidents de la route – et financés par une taxe particulière dont l’assiette est en rapport
direct – taxe sur la possession d’un véhicule motorisé, remplaçant l’assurance obligatoire.
328
Le système, malgré son coût élevé de 1660 euros par an et par habitant qui représentent
321
322
323
Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.240
Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.247. Ces actions récursoires sont pourtant peu pratiquées.
Conseil d’État, Rapport public annuel 2005, op. cit., p.305. Outre l’Espagne, il en est ainsi en Israël, où le fonds est financé
directement par l’impôt – ce qui prouve que ce mécanisme peut fonctionner « à grande échelle ». Cf. Erwann Michel-Kerjouan, «
Terrorisme à grande échelle : partage des risques et politiques publiques », Revue d’économie politique, septembre-octobre 2003, no 5.
324
Il s’agit d’un fonds géré par l’organise d’indemnisation des accidents (« Accident Compensation Corporation »), service
public (« Crown Entity ») néo-zélandaise. Sa création résulte de l’extension de la Sécurité sociale, de l’indemnisation de la maladie à
celle des accidents, achevée à la fin des années 1990. Cf. le site internet de l’institution : http://www.acc.co.nz/about-acc/index.htm
325
326
C’est ce qui ressort des arrêts Donselaar v. Donselaar [1982] 1 NZLR 97 et City Council v. Blundell [1986] 1 NZLR 732.
« Community Responsibility », concept inventé par le « Woodhouse Report », Rapport de la commission royale présidée
par M. Woodhouse, publié en 1967 et inventant les grandes caractéristiques du fonds d’indemnisation des victimes.
327
G. McLay, « Nervous Shock, tort and accident compensation : tort regained ? », in Victoria University of Wellington Law
Review, 1999, n°34, consultable sur internet : http://www.austlii.edu.au/nz/journals/VUWLRev/1999/34.html .
328
Calculé d’après le coût global de 13,7 milliards de dollars néo-zélandais en 2007, rendu public dans le rapport annuel 2007
en ligne sur le site de l’ACC.
64
MAYER Benoît_2007
Partie 2 : Vers une responsabilité analogue des agents d’exécution
329
plus de 9% du PIB, n’a pas freiné une forte croissance nationale et est d’autant plus
populaire qu’il profite à chacun : près de la moitié de la population y a recours chaque année.
Une véritable prise en charge de l’indemnisation des victimes par la solidarité nationale
au sein de l’État-providence constituerait un progrès dans le sens de la sécurité individuelle
et de la justice sociale. Elle résoudrait les difficultés insurmontables du système actuel
dont la principale caractéristique est de lier l’indemnisation à la responsabilité – obligeant
la victime à trouver une faute pour être indemnisée. Elle mettrait fin, par conséquent, à
d’incessants conflits que crée la recherche systématique de responsabilité et de faute, en
permettant à la victime d’obtenir la réparation d’un accident. Elle garantirait au mieux les
intérêts de la victime en lui faisant profiter d’une indemnisation rapide et systématique, mais
également ceux des personnes que l’on tient aujourd’hui pour responsables. Le financement
de ce programme pourrait être dicté par le principe : « de chacun selon sa faute, à chacun
selon son dommage ». Ainsi, les sanctions pécuniaires permettraient d’alimenter, au moins
partiellement, un fonds dédié à l’indemnisation des victimes.
La construction d’une prise en charge solidaire des victimes constitue un enjeu
fondamental pour les sociétés modernes, qui pour autant ne doivent pas oublier la
prévention des risques et la répression des infractions.
329
4% de croissance moyenne depuis le début des années 2000, ce qui est exceptionnel pour un pays industrialisé. Cf. le
rapport de l’OCDE publié le 23 avril 2007, consultable sur : http://www.ocde.org
MAYER Benoît_2007
65
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Conclusion
Ce travail a mis en évidence le rapprochement de la situation des agents d’exécution en droit
privé et en droit public. La jurisprudence de la Cour de cassation, en particulier dans l’arrêt
Costedoat, s’est inspirée de la théorie publiciste dite de la « faute de service », consacrant
une immunité civile du préposé qui agit dans les limites de sa mission. A cette « faute de
service » de droit privé répond naturellement une « faute personnelle » dont le critère est
l’abus de fonctions. Entre les deux existe, comme en droit administratif, une autre « faute
personnelle » qui, parce qu’elle n’est pas dépourvue de tout lien avec la mission, engage
la garantie du commettant, mais n’exclut pas la responsabilité du préposé – il y a là un
parallèle évident avec la théorie publiciste du cumul de responsabilité.
Cependant, cette inspiration n’est pas une assimilation complète du régime de la
responsabilité du préposé à celle de l’agent public. La complexité et l’évolution constante de
la jurisprudence administrative, en particulier concernant la frontière entre faute de service
et faute personnelle, rend sans doute impossible un alignement complet du juge judiciaire.
Par ailleurs, des différences demeurent, comme lorsque la faute de l’agent d’exécution est
une infraction pénale. En réalité, il semble encore difficile de tirer toutes les conséquences
330
de la nouvelle jurisprudence civile, compte tenu du faible contentieux et des hésitations
331
des différentes chambres . Un nouveau revirement de jurisprudence ou une intervention
332
du législateur ne doivent d’ailleurs pas être exclus .
Dans une approche plus globale, la nouvelle jurisprudence civile s’inscrit dans un large
mouvement de rapprochement du droit administratif et du droit civil de la responsabilité. Les
« règles spéciales » régissant la responsabilité des administrations, révélées depuis l’arrêt
Blanco, tendent à devenir l’exception. Le droit civil pourrait à terme devenir véritablement
le droit commun, malgré la prise en compte de certaines particularités de l’administration
– notamment l’exercice de la souveraineté – par des règles dérogatoires. Cependant, un
alignement exact des deux droits est impossible tant que demeure la dualité des ordres
juridictionnels. En effet, des divergences apparaîtront inéluctablement entre les deux cours
de cassation, au moins du fait de la complexité de certaines questions juridiques liées à la
responsabilité.
La consécration d’une immunité de l’agent d’exécution pourrait également s’inscrire
dans une évolution socio-juridique de la responsabilité tendant à la déresponsabilisation
de l’individu. Cette évolution est sous-tendue par le renversement du paradigme
anthropologique qui, depuis les Lumières, imaginait une volonté humaine autonome et
souveraine. Dès lors que l’homme n’est rien d’autre qu’un atome social, ricochant d’un
événement à l’autre sans véritable liberté, les fondements de la responsabilité individuelle
s’effritent. La « faute » est un élément normal de toute activité humaine : « personne n’est
parfait ». Le « fautif », condamné à indemniser la victime, apparaît alors comme une victime
par substitution de sa propre imprudence. L’immunité de l’agent d’exécution peut ainsi être
330
331
332
Seulement quelques arrêts de cassation par an.
Par exemple, quant à la levée de l’immunité en cas de faute pénale. Cf. 69.
Ainsi, le projet Catala propose de réformer la solution de l’arrêt Costedoat, se détachant nettement de la jurisprudence
administrative pour prendre en compte la possible insolvabilité du commettant. Cf. p. 82s.
66
MAYER Benoît_2007
Conclusion
vue comme la protection de cette victime par substitution, par celui qui profite de son activité.
Mais le commettant n’est-il pas, alors, une nouvelle victime par substitution ?
Ce qui semble de moins en moins acceptable, au final, c’est la part d’aléatoire dont la
responsabilité cherche à attribuer la charge à un responsable. Un instant de distraction, et
l’agent d’exécution peut avoir ruiné son commettant : il y a là quelque chose d’injuste et de
socialement inacceptable. Si celui-ci vient à ne pas être assuré, la victime ne sera d’ailleurs
pas indemnisée : là repose l’inefficacité d’une indemnisation qui repose exclusivement sur
une personne privée.
Le droit civil s’est certes inspiré des solutions du droit administratif, mais, justement,
celles-ci n’étaient efficaces que dans les circonstances que le juge administratif a à
connaître. Devant le juge judiciaire, le commettant n’est pas une personne publique. De
ce fait, la jurisprudence Costedoat n’a pas fourni de garantie équivalente à la victime :
l’administration, elle, est toujours solvable. Elle n’a pas non plus réellement socialisé la
prise en charge du risque : le commettant peut être une personne physique insolvable.
Surtout, lorsqu’elle est mise en cause, la responsabilité de la personne publique incarne
bien plus que la responsabilité de celui qui profite de l’activité : lorsque l’administration est
condamnée, c’est la solidarité nationale qui est mise en œuvre pour indemniser une victime.
Bien au-delà de la seule question du préposé et du commettant, la nouvelle
jurisprudence judiciaire met en évidence le besoin d’une sécurisation des parcours
individuels face aux risques d’accidents au sein des sociétés industrialisées. Le changement
de fondement de la responsabilité, de la faute au risque, ne répond à cette nouvelle
demande sociale que de manière très insatisfaisante. Demeure, en effet, la soumission d’un
patrimoine à l’élément aléatoire du préjudice causé – même si la solution est moins injuste
lorsque le patrimoine est celui d’une personne morale. En définitive, seule une prise en
charge solidaire des victimes d’accidents paraît à même de sortir de la recherche stérile
d’un bouc-émissaire – le fautif ou celui qui profite de l’activité du fautif.
MAYER Benoît_2007
67
La responsabilité de l’agent d’exécution en droit public et en droit privé
Bibliographie
Principaux arrêts mentionnés
Tribunal des Conflits
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D.1950.667, note J.G. ; JCP 1950.II.5286, concl. Gazier ; RDP 1950.183, note M.
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CE Ass., 28 juillet 1951, Laruelle et Delville, Rec. CE 464 ; D. 1951.620, note Nguyen
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1951.1087, note M. Waline ; S. 1952.III.25, note Mathiot ; S.1953.III.57, note
Meurisse ; GAJA n°69
CE Ass., 12 avril 2002, Papon, Rec. CE 139, conclusions Boissard ; RFDA, 2002, p.
582s., concl. Boissard ; AJDA, 2002, p.423s., chr. Guyomar et Collin ; LPA, 28 mai
2002, concl. Boissard, note E. Aubin ; D.2003.647, note Delmas Saint-Hilaire ; JCP
G 2002.II.10161, note Moniolle ; Gaz. Pal. 28-30 juillet 2002.27, note Petit ; RDP
2002.1511, note Degoffe, et 1531, note Alvés ; RDP 2003.470, note Guettier ; RFDC
2003.513, comm. Verpeaux ; GAJA n°115
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par Radé ; RTD civ. 2000.582, obs. Jourdain
Cass. Crim., 23 janvier 2001, Bull. crim. n°21 ; R. p.444 ; RCA 2001, n°212, note
Groutel
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Cass. Ass. plén., 14 décembre 2001, Cousin, Bull. civ. n°17 ; R. p.444 ; BICC 1 mars
2002, concl. de Gouttes ; D. 2002.1230, note J. Julier ; D. 2002.Somm.1317, obs. D.
Mazeaud ; D. 2002.Somm.2117, obs. Thuyllier ; JCP 2002.II.10026, note Billiau ; JCP
2002.I.124, n°22s., obs. Viney ; JCP E 2002, p.94, obs. Chabas ; RCA 2002. Chr. 4,
par Groutel ; RTD civ., 2002.108, obs. Jourdain
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Résumé
Résumé
Le droit français a longtemps été marqué par la coexistence de deux régimes de la
responsabilité du fait de l’activité d’autrui, permise par la dualité des ordres juridictionnels. Le
droit civil connaît le principe de la responsabilité du commettant pour le dommage causé par
son préposé dans l’exercice de ses fonctions (article 1384, aliéna 5 du Code civil). Le droit
administratif connaît, pour sa part, la théorie de la faute de service et de la faute personnelle
non dépourvue de tout lien avec le service.
Quant à l’agent d’exécution, préposé ou agent public, sa situation était, pendant
longtemps, différente. En droit administratif, la faute de service décharge l’agent public de
toute responsabilité, tandis que la faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le
service autorise un recours de l’administration condamnée contre l’agent. En droit civil,
l’arrêt Costedoat du 25 février 2000 a considérablement modifié la donne en consacrant,
sous certaines conditions, une irresponsabilité du préposé qui rappelle la faute de service
du droit administratif. Des arrêts postérieurs ont dessiné un domaine intermédiaire entre
responsabilité du commettant et responsabilité personnelle du préposé, équivalent à la
« faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service ».
Cette aliénation de la responsabilité s’inscrit par ailleurs dans un mouvement plus large
de déresponsabilisation de l’individu. Il est ici soutenu que, pour véritablement contenter
le besoin actuel d’une socialisation des risques, une extension de l’Etat-providence est
nécessaire, selon le principe : « de chacun selon sa faute, à chacun selon son dommage ».
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