Le DSM-IV raconté aux enfant et aux pédopsychiatres

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Le DSM-IV raconté aux enfant et aux pédopsychiatres
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Le DSM-IV raconté aux enfants
et aux pédopsychiatres
G. Schmit*
C’est un ouvrage clair,
avaient un caractère factice
e DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des comme un décor de
très documenté, passionnant même par la
troubles mentaux (1) émane de l’Association américia- théâtre. Au-dessus de la
rigueur esthétique de sa ne de psychiatrie. C’est un ouvrage de 1 008 pages, plus porte grande ouverte flotlogique formelle. Ce
tait un drapeau étrange. Il
manuel anglo-saxon sur 34 pages dans sa version française.
ressemblait à la bannière
les troubles mentaux a Il est composé de trois chapitres de présentation, de seize étoilée, mais les étoiles
tous les charmes d’un chapitres correspondant aux seize classes diagnostiques étaient remplacées par de
jardin à la française. Il majeures des troubles mentaux, d’un chapitre supplémen- petits objets que l’enfant
convient de s’incliner
d’abord pour des bontaire pour les autres situations qui peuvent faire l’objet d’un prit
devant la quantité de
bons avant de s’apercevoir
travail qu’il a nécessi- examen clinique, de dix annexes.
qu’il s’agissait de gélules
tée, la somme d’infor- Il propose la description de presque tous les comportements bicolores. Une fois le seuil
mations qu’il rassemble humains à l’exception des comportements d’apparence passé, on se trouvait dans
et surtout le grand normale. La classification de ces descriptions vise l’éradi- une immense pièce, sans
nombre de participants
fenêtre. L’air était condi– plus de mille per- cation de l’indécision et de l’imprécision du diagnostic en tionné, légèrement froid. Il
sonnes et de nom- psychiatrie.
n’y avait aucune odeur, ce
breuses organisations
qui contrastait avec l’atmoprofessionnelles – qui
sphère odorante des alenont contribué à produire ce monumental
tours. Une musique douce, lancinante,
jeune psychiatre, qui me demandait souédifice. Il faut aussi rendre un hommage
répétititive se faisait entendre, alors que
vent ce que je pensais du DSM-IV,
chaleureux aux traducteurs qui ont su le
les voix des enfants et de leur maîtresse
comme s’il avait besoin de mon autorisatransposer dans un français impeccable,
devenaient inaudibles, comme si les sons
tion pour s’y plonger.
sans néologismes, tout en gardant à l’oune pouvaient aller au-delà du voisinage
“Lisez-le donc”, lui dis-je un jour un peu
vrage sa dimension de poème homérique.
de leurs bouches. La lumière artificielle
légèrement. Quelque temps après, il me
semblait faible, mais les contours des
raconta un rêve que je vais vous rapporobjets et des personnes étaient anormaleter avec sa permission.
ment nets. Dans cette pièce donnaient
Dans son rêve, ce jeune homme se voyait
seize autres pièces, grandes, toutes sempetit enfant, en voyage avec sa classe de
blables. L’entrée de chacune d’elles était
J’avais intitulé mon intervention “Le
maternelle. Il devait visiter un endroit
surmontée d’un panneau recouvert
DSM-IV raconté aux enfants et aux
mystérieux appelé DSM, appellation qui
d’une inscription incompréhensible
pédospychiatres”, mais vous vous en
n’éveillait rien dans l’esprit de l’enfant
mais que le rêveur, après coup, identifia
doutez, le DSM-IV n’est pas racontable.
du rêve mais qui, à n’en pas douter, était
comme l’intitulé de chacune des seize
Il faut le lire. C’est du moins le conseil
un reste d’activité diurne dans l’esprit du
catégories de troubles du DSM-IV.
que j’avais donné à un de mes analysants,
rêveur. La classe se trouvait devant un
La classe pénétra avec appréhension dans
grand bâtiment, assez élégant, ayant l’asune pièce. Elle semblait vide. L’attention
pect d’un centre scientifique ou de
du petit enfant fut attirée par deux choses
quelque chose y ressemblant. Plus le
qu’il n’avait pas vues d’emblée. D’abord
petit enfant s’approchait, plus il avait
* Service de psychothérapie
l’impression que les matériaux de la
une foule de petits êtres animés, comme
de l’enfant et de l’adolescent,
hôpital Robert-Debré, Reims.
construction, de loin si imposante,
des petits bonshommes en costume gris,
L
J’ai fait un rêve
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s’activaient sans parler. Ils ramassaient
des feuilles grises qui tombaient d’on ne
sait où, elles étaient couvertes de lettres
et de chiffres, de courbes et de graphiques. Les petits êtres les collaient à
toute vitesse sur les murs où elles
venaient recouvrir d’autres feuilles semblables si bien que les murs en étaient
tout tapissés. L’enfant remarqua alors une
série de miroirs déformants disposés
contre les murs et qui exerçaient une
troublante attraction lorsqu’on quittait le
centre de la pièce. C’est ce que fit l’enfant le plus hardi de la classe. Il n’avait
peur de rien, pas même de la maîtresse.
Agité et turbulent, c’était cependant un
bon camarade dont chacun enviait la
capacité à venir à bout de toutes les
contraintes. Il s’approcha d’un miroir qui
semblait le fasciner. C’est alors que
l’événement se produisit. Le miroir le
happa littéralement. Le gamin s’y fondit
lentement et disparut presque complètement. Il ne restait de lui qu’une vague silhouette tandis que clignotait, au-dessus
du miroir , la mention THADA. Une voix
neutre répétait : “Tu les as, tu l’es, tu les
as, tu l’es…”, “les” désignait les critères
diagnostiques comme le comprit plus
tard le rêveur. La voix ajoutait : “Si tu
l’es trois mois, tu l’es six mois, si tu l’es
six mois, tu l’es toute ta vie.” C’est ainsi
que disparurent, les uns après les autres,
tous les élèves de la classe et la maîtresse, à l’exception de l’enfant qui se retrouva tout seul. La panique le gagna et il erra
d’une pièce à l’autre, en s’efforçant de
rester toujours loin des miroirs attracteurs, ce qui devenait de plus en plus difficile. Il faillit être happé par le miroir
“troubles explosifs intermittents”, puis
par le miroir “état de transe”, et enfin par
le miroir “attaque de panique”. Sa fuite
angoissée le conduisit dans la pièce
“troubles sexuels”. Il s’aperçut que dans
la série des paraphilies existait un vide
laissé par un miroir qui avait dû être retiré. Cela faisait comme une petite niche
surmontée de l’inscription “homosexualité”. Il décida de se tenir caché dans cet
espace désaffecté et protégé probablement des miroirs attracteurs. Alors qu’il
se recroquevillait, tout tremblant, il fut
éjecté par un formidable coup de pied au
derrière pendant qu’une voix s’exclamait : “Barre-toi de là, tous les homosexuels sont normaux par décret du Sénat
des États-Réunis”. Il se retrouva à plat
ventre dans l’herbe, hors du bâtiment. Il
commençait à reprendre ses esprits,
quand soudain, des milliers de petits
hommes en gris l’entourèrent et crièrent
à ses oreilles : “Tu es des nôtres, docteur
Knockx.” C’en était trop, il se réveilla de
son cauchemar, couvert de sueur. À la
séance suivante, il analysa longuement
son cauchemar et émit l’hypothèse que
docteur Knockx était un condensé de
docteur Knock et de Fort Knox. Il ne
s’expliquait pas, cependant, à quoi
rimait cette étrange association d’un personnage de théâtre, un médecin charlatan
et du symbole de la plus grande puissance financière du monde. La suite de la
cure fut très éprouvante pour lui et pour
moi. Sur un plan professionnel, il se plaignait de ne plus pouvoir écouter ses
patients et de ne plus pouvoir leur parler.
Il se contentait de les observer en silence,
en feuilletant le DSM-IV pour y trouver
le diagnostic exact. (“L’attracteur”,
disait-il, en fait dans un lapsus le renvoyant à son cauchemar.) Même pendant
les séances, il ne se séparait jamais de
son DSM. Il s’allongeait avec lui. Il se
contorsionnait souvent pour m’observer à
la dérobée. Il marmonnait alors entre ses
dents, disant : “Ça y est, ceux-là, Schmit les
a, donc il l’est …”, cherchant à me faire
entrer dans une catégorie diagnostique.
Vous comprendrez qu’un des résultats de
cette cure fut de forcer enfin mon intérêt
pour le DSM-IV. Permettez-moi donc
d’en faire quelques commentaires
rapides, d’un point de vue de pédopsychiatre.
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Mais en réalité…
Le DSM-IV pose au pédopsychiatre une
question simple : “Est-il possible de travailler sans référence à une spécificité
psychopathologique de l’enfance et de
l’adolescence ?” Certes, la première catégorie diagnostique est celle des troubles
habituellement diagnostiqués pendant la
première enfance, la deuxième enfance
ou l’adolescence. Cependant, nous avertit le manuel, “proposer cette section à
part est un excercice de pure forme et
n’est pas censé suggérer qu’il existe une
distinction claire entre les troubles de
l’enfant et les troubles de l’adulte”. En ce
qui concerne les troubles de la personnalité, il est bien précisé que leurs catégories ne peuvent s’appliquer aux enfants et
aux adolescents que dans des cas relativement rares. Mais pour la plupart des
troubles, un seul ensemble de critères est
proposé et s’applique aux enfants, aux
adolescents et aux adultes.
Ce parti pris méthodologique nous
semble sous-tendu par une théorie implicite : l’idée centrale est que le diagnostic
psychiatrique se limite à la reconnaissance d’un trouble objectivable par l’observation de comportements. Ce trouble, s’il
est objectivé, a une existence ontologique
propre et peut être examiné comme un
objet en soi, sans considération pour ce
qui le lie à l’ensemble du fonctionnement
mental du sujet ou au déroulement de son
histoire personnelle. Le trouble apparent
est ainsi identifié au problème à traiter.
Du coup, le trouble dans le DSM-IV se
différencie assez radicalement de ce que
nous avons l’habitude d’appeler “symptôme” et nous propose des objets insolites, que nous ne pourrions utiliser qu’en
changeant radicalement notre pratique.
En effet, qu’entendons-nous par “symptôme en pédopsychiatrie” ? Il s’agit
d’une conduite (ou d’un ensemble de
conduites), repérée comme symptomatique, quelquefois par l’enfant mais le
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plus souvent par son entourage, et qui, à
ce titre, pose problème mais ne résume
pas le problème.
L’entourage, les parents peuvent avoir
spontanément sur le symptôme un regard
proche de celui du DSM-IV. Ils ont tendance, par exemple, à en faire une anomalie s’écartant de ce qu’ils attendaient
de leur enfant, à croire en sa nature d’objet étranger, ayant une existence propre, à
son caractère inéluctable, à l’absence
d’explication quant à sa survenue si ce
n’est une vague référence au biologique
ou au traumatique.
D’autres parents ont des représentations
plus riches ou plus complexes de ce qui
fait symptôme chez leur enfant.
Se centrer sur la seule description des
apparences du symptôme se révèle souvent une impasse en consultation. Le travail diagnostique, au sens large, avec
l’enfant et ses parents, vise plutôt à rattacher le symptôme à ce qui le fait exister
et perdurer, à essayer d’appréhender à
quoi sont liées ces apparences. Pour ce
faire, il est indispensable de renoncer à
tout réductionnisme unidimensionnel et
de considérer plusieurs dimensions, au
moins cinq, suceptibles d’enrichir, de
manière variable selon chaque cas, la formalisation du problème posé. Ces cinq
dimensions sont les suivantes : la dimension symptomatique proprement dite, la
dimension développementale, la dimension structurale, la dimension environnementale, et enfin la dimension biologique.
Le DSM-IV étant présenté comme une
classification multiaxiale, il me semble
légitime de brièvement examiner comme
il traite chacune de ces cinq dimensions.
La dimension symptomatique
proprement dite
Il y aurait beaucoup à dire sur ce pôle
d’excellence supposée du DSM-IV.
Certes, les descriptions ont un souci de la
précision et du détail. Il nous a semblé,
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cependant, qu’elles étaient marquées par
un souci du “politiquement correct”
repérable par l’usage de l’euphémisme,
d’une part, et par les effets d’un regard
trop soumis à la normativité sociale,
d’autre part. Ce dernier point ne constitue un reproche que dans la mesure où le
DSM-IV est présenté comme un exemple
d’observation objective dont nous
connaissons la difficulté, voire l’impossibilité, dans les sciences de l’homme.
La description du trouble autistique,
comme exemple d’usage de l’euphémisme, est intéressant. Le trouble de l’interaction sociale est mis en avant, comme
s’il s’agissait de masquer les éléments
plus fondamentaux du fonctionnement
mental autistique. Ainsi, chez le sujet
atteint de troubles autistiques, il peut y
avoir manque de réciprocité sociale ou
émotionnelle. Il peut exister une incapacité à établir des relations avec les pairs
de son âge. Lorsqu’il parle, son langage
peut être métaphorique. Ses intérêts sont
stéréotypés, il peut ainsi accumuler les
informations concernant les résultats du
football. Le profil cognitif est irrégulier,
par exemple, une petite fille autiste de
quatre ans et demi peut savoir lire, ce qui
représente une surlexie. La personne
n’est pas angoissée, mais elle peut avoir
une peur excessive face à des ojets inoffensifs. Chacun des points décrits peut
certes se rencontrer, excepté peut-être le
langage métaphorique, mais la description clinique en trois pages du trouble
autistique semble être construite comme
un subtil balancement entre les traits de
la description de Kanner, dans toute leur
gravité, et des propositions plus banalisantes s’efforçant d’atténuer une réalité
malheureusement sombre.
Dans le sens de la normativité sociale, il
est intéressant de considérer les critères
du TOP, “trouble oppositionnel avec provocation” chez l’enfant. Un enfant
souffre de TOP, s’il a quatre des huit
manifestations du trouble. Je n’en cite
que cinq : “se met souvent en colère,
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conteste souvent ce que disent les
adultes, embête souvent les autres, est
souvent fâché, se montre souvent
méchant et vindicatif ”. Il n’est pas envisagé qu’un enfant décrit avec le TOP
puisse être tout simplement un enfant
défendant sa propre santé mentale devant
un sort contraire. L’enfant étalon du
DSM-IV est un enfant parfaitement satisfaisant du point de vue des normes
sociales et éducatives, sans aucune référence à ses propres conditions subjectives et relationnelles. Naturellement, il
constitute une rareté, voire une réalité
purement virtuelle. Ainsi, il n’est pas
étonnant que les prévalences cumulées
des troubles de la seule première catégorie diagnostique du DSM concernent
près de 45 % de la population générale
des enfants.
Enfin, les symptômes sont toujours présentés dans une dimension statique atemporelle, comme si un symptôme n’était
pas lui-même une construction inscrite
dans la temporalité, comme si était niée
la force auto-organisatrice d’une conduite, qui une fois agie, modifie l’état psychique du sujet.
La dimension développementale
Elle est fondamentale pour les psychiatres d’enfants. Elle permet de saisir
le lien entre le symptôme et les conflits
de développement, d’apprécier les effets
des régressions et des fixations, de repérer les dysharmonies entre les différentes
lignes évolutives ainsi que les effets,
après coup, d’éventuels traumatismes.
Cette dimension n’est pas complètement
absente du DSM-IV, mais elle y est
implicitement réduite à la seule maturation biologique comme si le développemnt était un long fleuve tranquille,
régulé par les horloges biologiques. Elle
apparaît aussi d’une autre façon dans la
description des évolutions des troubles.
J’ai pu montrer (2) dans un travail récent
sur l’évolution des troubles du comportement comment la logique du DSM-IV
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effectuait un glissement d’une médecine
préventive à une médecine prédictive,
fondée sur l’idée que le trouble serait
repérable dès ses prémices et qu’il aurait
une évolution propre sans lien avec l’ensemble du développement de la personne. En outre, un symptôme semble avoir
la même valeur diagnostique quel que
soit son moment de survenue dans la vie
d’un patient. Cette impasse sur la dimension développementale va de pair avec
l’impasse sur la dimension structurale.
La dimension structurale, centrale
dans la classification française
Elle permet de replacer la conduite
symptomatique dans l’organisation
psychique d’ensemble du sujet, d’en
mesurer la portée économique ou la
valeur défensive, de comprendre ce que
le sujet subit, agit ou exprime par son
symptôme. Cette dimension est délibérément exclue du DSM-IV, ce qui aboutit à la confusion de problématiques très
diverses dans une même classe diagnostique. L’exemple le plus frappant est le
chapitre “Déficit de l’attention et comportement perturbateur” où une sorte de
condensation entre hypothèse biologique implicite et exigence sociale évacue toute allusion à la réalité psychique
du sujet. Que dire également d’une
classification où aucune différenciation
structurale ne s’applique aux troubles
de conversion selon qu’ils se manifestent chez l’enfant ou chez l’adulte,
comme s’il existait une continuité naturelle entre les troubles chez les uns et
les autres, alors que de nombreux travaux, dont ceux de Lebovici, ont montré que le symptôme de conversion chez
l’enfant avait de nombreuses voies évolutives possibles ? (3)
La dimension environnementale
Elle s’intéresse au système relationnel
dans lequel s’organise le symptôme de
l’enfant. L’éthologie, la psychologie du
développement, les théories systémiques ont insisté depuis longtemps sur
le poids des interactions et des relations
intersubjectives qui lient l’enfant à son
entourage et en premier lieu à ses
parents. De plus, les situations sont
nombreuses où le symptôme résulte
d’une conjonction de facteurs relevant
tout autant du psychisme propre de
l’enfant que de son milieu d’appartenance, imprégné de multiples éléments interou transgénérationnels. Autrement dit,
pour paraphraser Winnicott, “un enfant
seul ça n’existe pas” et une classification
s’appliquant à la psychiatrie infantile se
devrait de considérer la dimension relationnelle, ce que fait d’ailleurs la classification 0 à 3 ans (4).
Qu’en est-il du DSM-IV ? Certes, l’axe 4
évoque dans deux demi-pages sur plus de
mille, l’éventualité de repérer des problèmes psychosociaux ou environnementaux. Ce repérage se réduit à quelques
situations sociales et sociofamiliales défavorables et à quelques événements de vie
supposés, dans une perspective très normative, affecter le diagnostic et le pronostic des troubles. Il est recommandé au clinicien de ne relever que des problèmes
présentés au cours de l’année précédant
l’évaluation.
Les relations enfant-parents, l’ensemble
des interactions familiales sont presque
absentes de la classification. La référence
aux parents est évoquée a minima dans le
trouble de l’anxiété de la séparation et
dans les troubles précoces de l’alimentation où il est fait une allusion à la possible
association avec une psychopathologie
parentale. Le plus souvent, cependant des
périphrases du type “les êtres chers”, “les
personnes qui s’occupent de l’enfant” sont
préférées à l’usage du mot “parents”. La
mère ou le père ne sont jamais désignés en
tant que tels et il n’est jamais fait mention
d’une relation mère-enfant ou mère-bébé.
Le bébé DSM-IV est un bébé dont le
devenir semble s’organiser dans un monde
expurgé de tout élément relationnel, se
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développant seul, alors que les parents
sont probablement toujours partis à leur
travail, à moins qu’il ne soit interdit d’en
parler.
La dimension biologique
Cette cinquième dimension, concernant
les aspects somatiques intéressent le psychiatre d’enfants au plus haut point
Nous devons tenir compte avec soin des
contraintes biologiques qui s’exercent sur
le fonctionnement cérébral du patient
ainsi que des répercussions des maladies
somatiques qui, de multiples façons, peuvent affecter leur état psychique. Cette
reconnaissance de la participation somatique à certaines évolutions cliniques doit
être bien distinguée d’une adhésion à des
hypothèses organicistes a priori servant
trop rapidement de principe explicatif universel. De ce point de vue, lorsqu’une
classification a été expurgée de presque
toute référence au développemental, au
structural et au relationnel, il ne reste plus
guère, pour combler la béance athéorique,
que le recours à l’étiologie organique.
Comme il est écrit dans l’introduction,
pour le DSM-IV, l’usage du concept
“trouble mental” n’implique pas qu’il
existe une différence fondamentale entre
trouble mental et trouble physique ou que
les troubles mentaux soient sans rapport
avec des facteurs ou des processus physiques ou biologiques. Bien plus, le DSMIV semble renouer avec la tradition de la
théorie de la dégénérescence en suggérant
le poids de l’hérédité. Pour la plupart des
rubriques diagnostiques, il existe un paragraphe intitulé “Aspects familiaux”. Celuici est rédigé de manière assez stéréotypée,
quel que soit le trouble évoqué : soit les
facteurs héréditaires sont affirmés sur la
foi de travaux réalisés, soit ils sont fortement soupçonnés dans l’attente de résultats à venir. Pour notre part, nous ne pensons pas que l’évacuation des concepts
concernant la vie psychique nous aide un
jour à saisir les articulations entre aspects
somatiques et aspects psychiques.
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Comme vous le constatez, j’ai lu avec
intérêt le DSM-IV. De nombreuses critiques peuvent être formulées sur un plan
scientifique. Ces critiques ont cependant
leurs limites dans la mesure où aucune
classification ne peut satisfaire tout le
monde. Alors pourquoi pas celle-ci ?
En fait, ce qui me soucie dans l’application du DSM-IV à la pédopsychiatrie est
d’un autre ordre. Arrivé à ce point de
mon exposé, il me faudrait en commencer un deuxième pour aborder, d’un
point de vue quasi sociologique, l’influence du DSM-IV ou plutôt celle de
son idéologie sur la pratique pédopsychiatrique dans le monde. Il y a, actuellement, une tendance dans de nombreux
pays, y compris le nôtre, tendance à
mon sens inappropriée, à traiter les problèmes de psychiatrie et de pédopsychiatrie dans une perspective centrée sur
la description du symptôme et son abord
strictement pharmacologique. Cette tendance évacue toute considération sérieuse pour le sujet et pour le sens de ses
conduites. Il n’y a guère d’intérêt à décider si le DSM-IV reflète cette tendance
ou s’il contribue à la produire. Il est en
tout cas utilisé, avec ou sans l’accord
de ses auteurs, au service de cette tendance.
En pédopsychiatrie, l’abord du syndrome THADA, déficit de l’attentionhyperactivité est un bon exemple de
cette dérive. Devant un enfant turbulent,
nous arrivons assez souvent à obtenir
des résultats intéressants sur l’évolution
d’ensemble pour peu qu’un travail suivi
se mette en place avec l’enfant et sa
famille.
Nous n’excluons pas que, pour certains
de ces enfants, chez qui l’hyperkinésie
semble insurmontable et durable, notre
action puisse se trouver limitée par des
facteurs biologiques méritant une éventuelle approche pharmacologique. Ces
cas, cependant, nous semblent très rares
par rapport au tout-venant des enfants
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agités que nous traitons par la parole et
le lien intersubjectif. La description du
DSM-IV – qui, pour ce trouble, a un
algorithme diagnostique différent de la
CIM-10 – permet de faire entrer dans le
trouble THADA un grand nombre d’enfants, 3 à 5 % d’après la prévalence
estimée du DSM-IV. Ces enfants peuvent être hyperkinétiques mais beaucoup d’entre eux ont surtout des
troubles isolés de l’attention. Il s’agit
bien là d’une conduite ayant de multiples sens et déterminants possibles, de
multiples liens avec le développement,
l’organisation psychique et l’environnement. Or, le classement d’un enfant
dans la rubrique diagnostique THADA
autorise pour un grand nombre d’auteurs la prescription de Ritaline®‚ qui, le
plus souvent, est vécue par la famille et
le prescripteur comme le seul traitement
logique. Le résultat en est que trois millions d’enfants américains sont sous
Ritaline®, et que la plupart des études
internationales portant sur l’évolution
de ce trouble se réduisent à n’être que
des études sur les effets de la Ritaline®.
Notre spécialité a une visée préventive
tout autant que thérapeutique, et ce qui
nous intéresse, plus que la réduction
directe du symptôme, c’est la remise en
route d’un processus de maturation.
Nos diagnostics doivent relever de l’anticipation créatrice et non d’une seule évaluation comportementale actuelle, surtout si celle-ci est présentée comme le
reflet d’un trouble statique. Les choix du
DSM-IV conduisent au risque de transformer les systèmes de soins en systèmes
avec amplificateurs des déviations pour
reprendre un terme de la deuxième
cybernétique. Ce serait le cas, dans nos
systèmes, si toute question recevait pour
réponse une désignation diagnostique en
termes de déviation, amplifiée du simple
fait d’être estampillée par une objectivité
scientifique supposée. Il ne s’agit pas de
masquer ou de cacher ce que nous pen-
210
sons des difficultés de nos patients, mais
il s’agit de faire entrer dans nos diagnostics ce que nous connaissons de la complexité des faits humains.
J’ai utilisé la métaphore des miroirs
attracteurs car je crois que les diagnostics, et la manière dont nous les fabriquons, ont un rôle important sur les processus identificatoires à l’œuvre chez
les patients, leurs parents mais aussi
chez les professionnels.
Il m’est arrivé récemment de rencontrer
un enfant de treize ans en consultation.
Son discours était simple, cohérent et
convaincu : “J’ai des tics” – c’était vrai.
Cela pose question, même aux ÉtatsUnis comme en témoigne cette illustration satirique qui m’a été communiquée
par le docteur Havet : “J’ai aussi la
maladie des TOC. Ma maman m’a fait
lire le livre de Rapoport : Le garçon qui
n’arrêtait pas de se laver. C’est exactement moi. Je prends du Prozac®, je
devrai en prendre toute ma vie. Pouvezvous m’en prescrire ?”
Post-scriptum
Ce texte, lorsqu’il a été présenté au cours
d’une journée scientifique sur la question
des classifications en psychiatrie, a suscité chez un ami auditeur le sentiment qu’il
s’agissait d’un discours trop facilement
démagogique. Son ton peut paraître, il est
vrai, assez polémique, voire un tantinet
satirique. Le sujet, lui, est très sérieux,
non pas tant parce qu’il concerne les classifications qui, après tout, ne sont que des
constructions provisoires mais parce que
ces classifications reflètent et influencent
à la fois les pratiques psychiatriques.
Elles prennent aussi une importance pragmatique nouvelle à partir du moment où
clinique et gestion se trouvent articulées
plus étroitement dans l’outil PMSI, outil
essentiellement destiné aux aspects économiques du soin médical. L’importance
de cet enjeu nous impose de remettre cent
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fois sur l’ouvrage nos constructions classificatoires et de nous interroger sur leur
pertinence du point de vue de la production du soin.
Le DSM-IV est souvent érigé en parangon du savoir scientifique, avancée
importante produite par la psychiatrie
nord-américaine, et il est proposé, pour
la pédopsychiatrie comme la référence
devant se substituer à d’autres classifications (5) jugées insuffisantes et
désuètes. Néanmoins, notre point de
vue est qu’il n’est pas un outil adapté à
la pratique de la pédopsychiatrie
actuelle, à juste titre plus psychothérapique au sens large du terme que pharmacologique.
En effet, les qualités du DSM-IV – certainement indiscutables – trouvent plus
aisément leur emploi dans le champ de
la psychiatrie biologique.
Le DSM-IV sera un jour remplacé par
un DSM-V. Espérons que celui-ci pourra mieux rendre compte de la complexité de la clinique psychiatrique,
résidant dans le fait qu’elle relève d’au
moins deux champs épistémiques différents, celui des sciences de la nature et
celui des sciences de l’homme.
Références
1.
DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (1994), trad. franç
Coordonnée par JO Guelfi. Paris : Masson,
1996.
2. Schmit G, Golovkine N, Nguyen ML. Le
devenir des troubles du comportement de
l’enfant. Nervure 1998 ; XI, 6, 46-51.
3. Lebovici S. À propos de l’hystérie chez
l’enfant. Psychiatr. Enfant 1974 ; XVII, 1, 552.
4. Classification diagnostique de 0 à 3 ans
(zero to three), in Devenir, 1998 ; 10, 2.
5. Mises R, Jeammet P et al.. La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Psychiatr Enfant,
1988 ; 31, 1, 67-135.
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1 PSYCHIATRE ADULTES
1 ASSISTANT DES HÔPITAUX
(POSTE ACCESSIBLE À DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES)
AVEC POSSIBILITÉ D’ÉVOLUTION DE CARRIÈRE
– Dans le cadre de succession de postes, nous recherchons 3 psychiatres (dont
2 pédopsy). Nous sommes pôle référent dans l’Organisation Régionale et mettons en place un projet médical innovant.
– Vous pourrez évoluer dans un cadre de travail très agréable (structures
pavillonnaires) et ceci, dans une ville de préfecture (75 000 habitants).
– Nous vous proposons cette installation aux conditions suivantes :
- Statut public,
- Une prise de fonction le plus tôt possible.
Si vous êtes intéressé(e), veuillez adresser votre candidature composée d’un
curriculum vitae, une lettre manuscrite et une photo, sous référence 00314 à :
I.F.R.HOS. RECRUTEMENT
Marie-Christine CHARBONNIER
4, rue Georges Bizet
42270 SAINT-PRIEST-EN-JAREZ
Tél. : 04 77 93 44 52 – Fax : 04 77 79 96 15
211
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votre
emplacement,
contactez
dès maintenant
Franck Glatigny
Tél. : 01 41 45 80 57
Fax : 01 41 45 80 45