Le DSM-IV raconté aux enfant et aux pédopsychiatres
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Le DSM-IV raconté aux enfant et aux pédopsychiatres
ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 206 mise au point Mise au point Le DSM-IV raconté aux enfants et aux pédopsychiatres G. Schmit* C’est un ouvrage clair, avaient un caractère factice e DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des comme un décor de très documenté, passionnant même par la troubles mentaux (1) émane de l’Association américia- théâtre. Au-dessus de la rigueur esthétique de sa ne de psychiatrie. C’est un ouvrage de 1 008 pages, plus porte grande ouverte flotlogique formelle. Ce tait un drapeau étrange. Il manuel anglo-saxon sur 34 pages dans sa version française. ressemblait à la bannière les troubles mentaux a Il est composé de trois chapitres de présentation, de seize étoilée, mais les étoiles tous les charmes d’un chapitres correspondant aux seize classes diagnostiques étaient remplacées par de jardin à la française. Il majeures des troubles mentaux, d’un chapitre supplémen- petits objets que l’enfant convient de s’incliner d’abord pour des bontaire pour les autres situations qui peuvent faire l’objet d’un prit devant la quantité de bons avant de s’apercevoir travail qu’il a nécessi- examen clinique, de dix annexes. qu’il s’agissait de gélules tée, la somme d’infor- Il propose la description de presque tous les comportements bicolores. Une fois le seuil mations qu’il rassemble humains à l’exception des comportements d’apparence passé, on se trouvait dans et surtout le grand normale. La classification de ces descriptions vise l’éradi- une immense pièce, sans nombre de participants fenêtre. L’air était condi– plus de mille per- cation de l’indécision et de l’imprécision du diagnostic en tionné, légèrement froid. Il sonnes et de nom- psychiatrie. n’y avait aucune odeur, ce breuses organisations qui contrastait avec l’atmoprofessionnelles – qui sphère odorante des alenont contribué à produire ce monumental tours. Une musique douce, lancinante, jeune psychiatre, qui me demandait souédifice. Il faut aussi rendre un hommage répétititive se faisait entendre, alors que vent ce que je pensais du DSM-IV, chaleureux aux traducteurs qui ont su le les voix des enfants et de leur maîtresse comme s’il avait besoin de mon autorisatransposer dans un français impeccable, devenaient inaudibles, comme si les sons tion pour s’y plonger. sans néologismes, tout en gardant à l’oune pouvaient aller au-delà du voisinage “Lisez-le donc”, lui dis-je un jour un peu vrage sa dimension de poème homérique. de leurs bouches. La lumière artificielle légèrement. Quelque temps après, il me semblait faible, mais les contours des raconta un rêve que je vais vous rapporobjets et des personnes étaient anormaleter avec sa permission. ment nets. Dans cette pièce donnaient Dans son rêve, ce jeune homme se voyait seize autres pièces, grandes, toutes sempetit enfant, en voyage avec sa classe de blables. L’entrée de chacune d’elles était J’avais intitulé mon intervention “Le maternelle. Il devait visiter un endroit surmontée d’un panneau recouvert DSM-IV raconté aux enfants et aux mystérieux appelé DSM, appellation qui d’une inscription incompréhensible pédospychiatres”, mais vous vous en n’éveillait rien dans l’esprit de l’enfant mais que le rêveur, après coup, identifia doutez, le DSM-IV n’est pas racontable. du rêve mais qui, à n’en pas douter, était comme l’intitulé de chacune des seize Il faut le lire. C’est du moins le conseil un reste d’activité diurne dans l’esprit du catégories de troubles du DSM-IV. que j’avais donné à un de mes analysants, rêveur. La classe se trouvait devant un La classe pénétra avec appréhension dans grand bâtiment, assez élégant, ayant l’asune pièce. Elle semblait vide. L’attention pect d’un centre scientifique ou de du petit enfant fut attirée par deux choses quelque chose y ressemblant. Plus le qu’il n’avait pas vues d’emblée. D’abord petit enfant s’approchait, plus il avait * Service de psychothérapie l’impression que les matériaux de la une foule de petits êtres animés, comme de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Reims. construction, de loin si imposante, des petits bonshommes en costume gris, L J’ai fait un rêve Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 6, juin 2000 206 ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 207 mise au point Mise au point s’activaient sans parler. Ils ramassaient des feuilles grises qui tombaient d’on ne sait où, elles étaient couvertes de lettres et de chiffres, de courbes et de graphiques. Les petits êtres les collaient à toute vitesse sur les murs où elles venaient recouvrir d’autres feuilles semblables si bien que les murs en étaient tout tapissés. L’enfant remarqua alors une série de miroirs déformants disposés contre les murs et qui exerçaient une troublante attraction lorsqu’on quittait le centre de la pièce. C’est ce que fit l’enfant le plus hardi de la classe. Il n’avait peur de rien, pas même de la maîtresse. Agité et turbulent, c’était cependant un bon camarade dont chacun enviait la capacité à venir à bout de toutes les contraintes. Il s’approcha d’un miroir qui semblait le fasciner. C’est alors que l’événement se produisit. Le miroir le happa littéralement. Le gamin s’y fondit lentement et disparut presque complètement. Il ne restait de lui qu’une vague silhouette tandis que clignotait, au-dessus du miroir , la mention THADA. Une voix neutre répétait : “Tu les as, tu l’es, tu les as, tu l’es…”, “les” désignait les critères diagnostiques comme le comprit plus tard le rêveur. La voix ajoutait : “Si tu l’es trois mois, tu l’es six mois, si tu l’es six mois, tu l’es toute ta vie.” C’est ainsi que disparurent, les uns après les autres, tous les élèves de la classe et la maîtresse, à l’exception de l’enfant qui se retrouva tout seul. La panique le gagna et il erra d’une pièce à l’autre, en s’efforçant de rester toujours loin des miroirs attracteurs, ce qui devenait de plus en plus difficile. Il faillit être happé par le miroir “troubles explosifs intermittents”, puis par le miroir “état de transe”, et enfin par le miroir “attaque de panique”. Sa fuite angoissée le conduisit dans la pièce “troubles sexuels”. Il s’aperçut que dans la série des paraphilies existait un vide laissé par un miroir qui avait dû être retiré. Cela faisait comme une petite niche surmontée de l’inscription “homosexualité”. Il décida de se tenir caché dans cet espace désaffecté et protégé probablement des miroirs attracteurs. Alors qu’il se recroquevillait, tout tremblant, il fut éjecté par un formidable coup de pied au derrière pendant qu’une voix s’exclamait : “Barre-toi de là, tous les homosexuels sont normaux par décret du Sénat des États-Réunis”. Il se retrouva à plat ventre dans l’herbe, hors du bâtiment. Il commençait à reprendre ses esprits, quand soudain, des milliers de petits hommes en gris l’entourèrent et crièrent à ses oreilles : “Tu es des nôtres, docteur Knockx.” C’en était trop, il se réveilla de son cauchemar, couvert de sueur. À la séance suivante, il analysa longuement son cauchemar et émit l’hypothèse que docteur Knockx était un condensé de docteur Knock et de Fort Knox. Il ne s’expliquait pas, cependant, à quoi rimait cette étrange association d’un personnage de théâtre, un médecin charlatan et du symbole de la plus grande puissance financière du monde. La suite de la cure fut très éprouvante pour lui et pour moi. Sur un plan professionnel, il se plaignait de ne plus pouvoir écouter ses patients et de ne plus pouvoir leur parler. Il se contentait de les observer en silence, en feuilletant le DSM-IV pour y trouver le diagnostic exact. (“L’attracteur”, disait-il, en fait dans un lapsus le renvoyant à son cauchemar.) Même pendant les séances, il ne se séparait jamais de son DSM. Il s’allongeait avec lui. Il se contorsionnait souvent pour m’observer à la dérobée. Il marmonnait alors entre ses dents, disant : “Ça y est, ceux-là, Schmit les a, donc il l’est …”, cherchant à me faire entrer dans une catégorie diagnostique. Vous comprendrez qu’un des résultats de cette cure fut de forcer enfin mon intérêt pour le DSM-IV. Permettez-moi donc d’en faire quelques commentaires rapides, d’un point de vue de pédopsychiatre. 207 Mais en réalité… Le DSM-IV pose au pédopsychiatre une question simple : “Est-il possible de travailler sans référence à une spécificité psychopathologique de l’enfance et de l’adolescence ?” Certes, la première catégorie diagnostique est celle des troubles habituellement diagnostiqués pendant la première enfance, la deuxième enfance ou l’adolescence. Cependant, nous avertit le manuel, “proposer cette section à part est un excercice de pure forme et n’est pas censé suggérer qu’il existe une distinction claire entre les troubles de l’enfant et les troubles de l’adulte”. En ce qui concerne les troubles de la personnalité, il est bien précisé que leurs catégories ne peuvent s’appliquer aux enfants et aux adolescents que dans des cas relativement rares. Mais pour la plupart des troubles, un seul ensemble de critères est proposé et s’applique aux enfants, aux adolescents et aux adultes. Ce parti pris méthodologique nous semble sous-tendu par une théorie implicite : l’idée centrale est que le diagnostic psychiatrique se limite à la reconnaissance d’un trouble objectivable par l’observation de comportements. Ce trouble, s’il est objectivé, a une existence ontologique propre et peut être examiné comme un objet en soi, sans considération pour ce qui le lie à l’ensemble du fonctionnement mental du sujet ou au déroulement de son histoire personnelle. Le trouble apparent est ainsi identifié au problème à traiter. Du coup, le trouble dans le DSM-IV se différencie assez radicalement de ce que nous avons l’habitude d’appeler “symptôme” et nous propose des objets insolites, que nous ne pourrions utiliser qu’en changeant radicalement notre pratique. En effet, qu’entendons-nous par “symptôme en pédopsychiatrie” ? Il s’agit d’une conduite (ou d’un ensemble de conduites), repérée comme symptomatique, quelquefois par l’enfant mais le ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 208 mise au point Mise au point plus souvent par son entourage, et qui, à ce titre, pose problème mais ne résume pas le problème. L’entourage, les parents peuvent avoir spontanément sur le symptôme un regard proche de celui du DSM-IV. Ils ont tendance, par exemple, à en faire une anomalie s’écartant de ce qu’ils attendaient de leur enfant, à croire en sa nature d’objet étranger, ayant une existence propre, à son caractère inéluctable, à l’absence d’explication quant à sa survenue si ce n’est une vague référence au biologique ou au traumatique. D’autres parents ont des représentations plus riches ou plus complexes de ce qui fait symptôme chez leur enfant. Se centrer sur la seule description des apparences du symptôme se révèle souvent une impasse en consultation. Le travail diagnostique, au sens large, avec l’enfant et ses parents, vise plutôt à rattacher le symptôme à ce qui le fait exister et perdurer, à essayer d’appréhender à quoi sont liées ces apparences. Pour ce faire, il est indispensable de renoncer à tout réductionnisme unidimensionnel et de considérer plusieurs dimensions, au moins cinq, suceptibles d’enrichir, de manière variable selon chaque cas, la formalisation du problème posé. Ces cinq dimensions sont les suivantes : la dimension symptomatique proprement dite, la dimension développementale, la dimension structurale, la dimension environnementale, et enfin la dimension biologique. Le DSM-IV étant présenté comme une classification multiaxiale, il me semble légitime de brièvement examiner comme il traite chacune de ces cinq dimensions. La dimension symptomatique proprement dite Il y aurait beaucoup à dire sur ce pôle d’excellence supposée du DSM-IV. Certes, les descriptions ont un souci de la précision et du détail. Il nous a semblé, Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 6, juin 2000 cependant, qu’elles étaient marquées par un souci du “politiquement correct” repérable par l’usage de l’euphémisme, d’une part, et par les effets d’un regard trop soumis à la normativité sociale, d’autre part. Ce dernier point ne constitue un reproche que dans la mesure où le DSM-IV est présenté comme un exemple d’observation objective dont nous connaissons la difficulté, voire l’impossibilité, dans les sciences de l’homme. La description du trouble autistique, comme exemple d’usage de l’euphémisme, est intéressant. Le trouble de l’interaction sociale est mis en avant, comme s’il s’agissait de masquer les éléments plus fondamentaux du fonctionnement mental autistique. Ainsi, chez le sujet atteint de troubles autistiques, il peut y avoir manque de réciprocité sociale ou émotionnelle. Il peut exister une incapacité à établir des relations avec les pairs de son âge. Lorsqu’il parle, son langage peut être métaphorique. Ses intérêts sont stéréotypés, il peut ainsi accumuler les informations concernant les résultats du football. Le profil cognitif est irrégulier, par exemple, une petite fille autiste de quatre ans et demi peut savoir lire, ce qui représente une surlexie. La personne n’est pas angoissée, mais elle peut avoir une peur excessive face à des ojets inoffensifs. Chacun des points décrits peut certes se rencontrer, excepté peut-être le langage métaphorique, mais la description clinique en trois pages du trouble autistique semble être construite comme un subtil balancement entre les traits de la description de Kanner, dans toute leur gravité, et des propositions plus banalisantes s’efforçant d’atténuer une réalité malheureusement sombre. Dans le sens de la normativité sociale, il est intéressant de considérer les critères du TOP, “trouble oppositionnel avec provocation” chez l’enfant. Un enfant souffre de TOP, s’il a quatre des huit manifestations du trouble. Je n’en cite que cinq : “se met souvent en colère, 208 conteste souvent ce que disent les adultes, embête souvent les autres, est souvent fâché, se montre souvent méchant et vindicatif ”. Il n’est pas envisagé qu’un enfant décrit avec le TOP puisse être tout simplement un enfant défendant sa propre santé mentale devant un sort contraire. L’enfant étalon du DSM-IV est un enfant parfaitement satisfaisant du point de vue des normes sociales et éducatives, sans aucune référence à ses propres conditions subjectives et relationnelles. Naturellement, il constitute une rareté, voire une réalité purement virtuelle. Ainsi, il n’est pas étonnant que les prévalences cumulées des troubles de la seule première catégorie diagnostique du DSM concernent près de 45 % de la population générale des enfants. Enfin, les symptômes sont toujours présentés dans une dimension statique atemporelle, comme si un symptôme n’était pas lui-même une construction inscrite dans la temporalité, comme si était niée la force auto-organisatrice d’une conduite, qui une fois agie, modifie l’état psychique du sujet. La dimension développementale Elle est fondamentale pour les psychiatres d’enfants. Elle permet de saisir le lien entre le symptôme et les conflits de développement, d’apprécier les effets des régressions et des fixations, de repérer les dysharmonies entre les différentes lignes évolutives ainsi que les effets, après coup, d’éventuels traumatismes. Cette dimension n’est pas complètement absente du DSM-IV, mais elle y est implicitement réduite à la seule maturation biologique comme si le développemnt était un long fleuve tranquille, régulé par les horloges biologiques. Elle apparaît aussi d’une autre façon dans la description des évolutions des troubles. J’ai pu montrer (2) dans un travail récent sur l’évolution des troubles du comportement comment la logique du DSM-IV ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 209 mise au point Mise au point effectuait un glissement d’une médecine préventive à une médecine prédictive, fondée sur l’idée que le trouble serait repérable dès ses prémices et qu’il aurait une évolution propre sans lien avec l’ensemble du développement de la personne. En outre, un symptôme semble avoir la même valeur diagnostique quel que soit son moment de survenue dans la vie d’un patient. Cette impasse sur la dimension développementale va de pair avec l’impasse sur la dimension structurale. La dimension structurale, centrale dans la classification française Elle permet de replacer la conduite symptomatique dans l’organisation psychique d’ensemble du sujet, d’en mesurer la portée économique ou la valeur défensive, de comprendre ce que le sujet subit, agit ou exprime par son symptôme. Cette dimension est délibérément exclue du DSM-IV, ce qui aboutit à la confusion de problématiques très diverses dans une même classe diagnostique. L’exemple le plus frappant est le chapitre “Déficit de l’attention et comportement perturbateur” où une sorte de condensation entre hypothèse biologique implicite et exigence sociale évacue toute allusion à la réalité psychique du sujet. Que dire également d’une classification où aucune différenciation structurale ne s’applique aux troubles de conversion selon qu’ils se manifestent chez l’enfant ou chez l’adulte, comme s’il existait une continuité naturelle entre les troubles chez les uns et les autres, alors que de nombreux travaux, dont ceux de Lebovici, ont montré que le symptôme de conversion chez l’enfant avait de nombreuses voies évolutives possibles ? (3) La dimension environnementale Elle s’intéresse au système relationnel dans lequel s’organise le symptôme de l’enfant. L’éthologie, la psychologie du développement, les théories systémiques ont insisté depuis longtemps sur le poids des interactions et des relations intersubjectives qui lient l’enfant à son entourage et en premier lieu à ses parents. De plus, les situations sont nombreuses où le symptôme résulte d’une conjonction de facteurs relevant tout autant du psychisme propre de l’enfant que de son milieu d’appartenance, imprégné de multiples éléments interou transgénérationnels. Autrement dit, pour paraphraser Winnicott, “un enfant seul ça n’existe pas” et une classification s’appliquant à la psychiatrie infantile se devrait de considérer la dimension relationnelle, ce que fait d’ailleurs la classification 0 à 3 ans (4). Qu’en est-il du DSM-IV ? Certes, l’axe 4 évoque dans deux demi-pages sur plus de mille, l’éventualité de repérer des problèmes psychosociaux ou environnementaux. Ce repérage se réduit à quelques situations sociales et sociofamiliales défavorables et à quelques événements de vie supposés, dans une perspective très normative, affecter le diagnostic et le pronostic des troubles. Il est recommandé au clinicien de ne relever que des problèmes présentés au cours de l’année précédant l’évaluation. Les relations enfant-parents, l’ensemble des interactions familiales sont presque absentes de la classification. La référence aux parents est évoquée a minima dans le trouble de l’anxiété de la séparation et dans les troubles précoces de l’alimentation où il est fait une allusion à la possible association avec une psychopathologie parentale. Le plus souvent, cependant des périphrases du type “les êtres chers”, “les personnes qui s’occupent de l’enfant” sont préférées à l’usage du mot “parents”. La mère ou le père ne sont jamais désignés en tant que tels et il n’est jamais fait mention d’une relation mère-enfant ou mère-bébé. Le bébé DSM-IV est un bébé dont le devenir semble s’organiser dans un monde expurgé de tout élément relationnel, se 209 développant seul, alors que les parents sont probablement toujours partis à leur travail, à moins qu’il ne soit interdit d’en parler. La dimension biologique Cette cinquième dimension, concernant les aspects somatiques intéressent le psychiatre d’enfants au plus haut point Nous devons tenir compte avec soin des contraintes biologiques qui s’exercent sur le fonctionnement cérébral du patient ainsi que des répercussions des maladies somatiques qui, de multiples façons, peuvent affecter leur état psychique. Cette reconnaissance de la participation somatique à certaines évolutions cliniques doit être bien distinguée d’une adhésion à des hypothèses organicistes a priori servant trop rapidement de principe explicatif universel. De ce point de vue, lorsqu’une classification a été expurgée de presque toute référence au développemental, au structural et au relationnel, il ne reste plus guère, pour combler la béance athéorique, que le recours à l’étiologie organique. Comme il est écrit dans l’introduction, pour le DSM-IV, l’usage du concept “trouble mental” n’implique pas qu’il existe une différence fondamentale entre trouble mental et trouble physique ou que les troubles mentaux soient sans rapport avec des facteurs ou des processus physiques ou biologiques. Bien plus, le DSMIV semble renouer avec la tradition de la théorie de la dégénérescence en suggérant le poids de l’hérédité. Pour la plupart des rubriques diagnostiques, il existe un paragraphe intitulé “Aspects familiaux”. Celuici est rédigé de manière assez stéréotypée, quel que soit le trouble évoqué : soit les facteurs héréditaires sont affirmés sur la foi de travaux réalisés, soit ils sont fortement soupçonnés dans l’attente de résultats à venir. Pour notre part, nous ne pensons pas que l’évacuation des concepts concernant la vie psychique nous aide un jour à saisir les articulations entre aspects somatiques et aspects psychiques. ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 210 mise au point Mise au point Comme vous le constatez, j’ai lu avec intérêt le DSM-IV. De nombreuses critiques peuvent être formulées sur un plan scientifique. Ces critiques ont cependant leurs limites dans la mesure où aucune classification ne peut satisfaire tout le monde. Alors pourquoi pas celle-ci ? En fait, ce qui me soucie dans l’application du DSM-IV à la pédopsychiatrie est d’un autre ordre. Arrivé à ce point de mon exposé, il me faudrait en commencer un deuxième pour aborder, d’un point de vue quasi sociologique, l’influence du DSM-IV ou plutôt celle de son idéologie sur la pratique pédopsychiatrique dans le monde. Il y a, actuellement, une tendance dans de nombreux pays, y compris le nôtre, tendance à mon sens inappropriée, à traiter les problèmes de psychiatrie et de pédopsychiatrie dans une perspective centrée sur la description du symptôme et son abord strictement pharmacologique. Cette tendance évacue toute considération sérieuse pour le sujet et pour le sens de ses conduites. Il n’y a guère d’intérêt à décider si le DSM-IV reflète cette tendance ou s’il contribue à la produire. Il est en tout cas utilisé, avec ou sans l’accord de ses auteurs, au service de cette tendance. En pédopsychiatrie, l’abord du syndrome THADA, déficit de l’attentionhyperactivité est un bon exemple de cette dérive. Devant un enfant turbulent, nous arrivons assez souvent à obtenir des résultats intéressants sur l’évolution d’ensemble pour peu qu’un travail suivi se mette en place avec l’enfant et sa famille. Nous n’excluons pas que, pour certains de ces enfants, chez qui l’hyperkinésie semble insurmontable et durable, notre action puisse se trouver limitée par des facteurs biologiques méritant une éventuelle approche pharmacologique. Ces cas, cependant, nous semblent très rares par rapport au tout-venant des enfants Act. Méd. Int. - Psychiatrie (17) n° 6, juin 2000 agités que nous traitons par la parole et le lien intersubjectif. La description du DSM-IV – qui, pour ce trouble, a un algorithme diagnostique différent de la CIM-10 – permet de faire entrer dans le trouble THADA un grand nombre d’enfants, 3 à 5 % d’après la prévalence estimée du DSM-IV. Ces enfants peuvent être hyperkinétiques mais beaucoup d’entre eux ont surtout des troubles isolés de l’attention. Il s’agit bien là d’une conduite ayant de multiples sens et déterminants possibles, de multiples liens avec le développement, l’organisation psychique et l’environnement. Or, le classement d’un enfant dans la rubrique diagnostique THADA autorise pour un grand nombre d’auteurs la prescription de Ritaline®‚ qui, le plus souvent, est vécue par la famille et le prescripteur comme le seul traitement logique. Le résultat en est que trois millions d’enfants américains sont sous Ritaline®, et que la plupart des études internationales portant sur l’évolution de ce trouble se réduisent à n’être que des études sur les effets de la Ritaline®. Notre spécialité a une visée préventive tout autant que thérapeutique, et ce qui nous intéresse, plus que la réduction directe du symptôme, c’est la remise en route d’un processus de maturation. Nos diagnostics doivent relever de l’anticipation créatrice et non d’une seule évaluation comportementale actuelle, surtout si celle-ci est présentée comme le reflet d’un trouble statique. Les choix du DSM-IV conduisent au risque de transformer les systèmes de soins en systèmes avec amplificateurs des déviations pour reprendre un terme de la deuxième cybernétique. Ce serait le cas, dans nos systèmes, si toute question recevait pour réponse une désignation diagnostique en termes de déviation, amplifiée du simple fait d’être estampillée par une objectivité scientifique supposée. Il ne s’agit pas de masquer ou de cacher ce que nous pen- 210 sons des difficultés de nos patients, mais il s’agit de faire entrer dans nos diagnostics ce que nous connaissons de la complexité des faits humains. J’ai utilisé la métaphore des miroirs attracteurs car je crois que les diagnostics, et la manière dont nous les fabriquons, ont un rôle important sur les processus identificatoires à l’œuvre chez les patients, leurs parents mais aussi chez les professionnels. Il m’est arrivé récemment de rencontrer un enfant de treize ans en consultation. Son discours était simple, cohérent et convaincu : “J’ai des tics” – c’était vrai. Cela pose question, même aux ÉtatsUnis comme en témoigne cette illustration satirique qui m’a été communiquée par le docteur Havet : “J’ai aussi la maladie des TOC. Ma maman m’a fait lire le livre de Rapoport : Le garçon qui n’arrêtait pas de se laver. C’est exactement moi. Je prends du Prozac®, je devrai en prendre toute ma vie. Pouvezvous m’en prescrire ?” Post-scriptum Ce texte, lorsqu’il a été présenté au cours d’une journée scientifique sur la question des classifications en psychiatrie, a suscité chez un ami auditeur le sentiment qu’il s’agissait d’un discours trop facilement démagogique. Son ton peut paraître, il est vrai, assez polémique, voire un tantinet satirique. Le sujet, lui, est très sérieux, non pas tant parce qu’il concerne les classifications qui, après tout, ne sont que des constructions provisoires mais parce que ces classifications reflètent et influencent à la fois les pratiques psychiatriques. Elles prennent aussi une importance pragmatique nouvelle à partir du moment où clinique et gestion se trouvent articulées plus étroitement dans l’outil PMSI, outil essentiellement destiné aux aspects économiques du soin médical. L’importance de cet enjeu nous impose de remettre cent ACTUALITÉ PSY JUIN 05/08/02 10:37 Page 211 mise au point Mise au point fois sur l’ouvrage nos constructions classificatoires et de nous interroger sur leur pertinence du point de vue de la production du soin. Le DSM-IV est souvent érigé en parangon du savoir scientifique, avancée importante produite par la psychiatrie nord-américaine, et il est proposé, pour la pédopsychiatrie comme la référence devant se substituer à d’autres classifications (5) jugées insuffisantes et désuètes. Néanmoins, notre point de vue est qu’il n’est pas un outil adapté à la pratique de la pédopsychiatrie actuelle, à juste titre plus psychothérapique au sens large du terme que pharmacologique. En effet, les qualités du DSM-IV – certainement indiscutables – trouvent plus aisément leur emploi dans le champ de la psychiatrie biologique. Le DSM-IV sera un jour remplacé par un DSM-V. Espérons que celui-ci pourra mieux rendre compte de la complexité de la clinique psychiatrique, résidant dans le fait qu’elle relève d’au moins deux champs épistémiques différents, celui des sciences de la nature et celui des sciences de l’homme. Références 1. DSM-IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (1994), trad. franç Coordonnée par JO Guelfi. Paris : Masson, 1996. 2. Schmit G, Golovkine N, Nguyen ML. Le devenir des troubles du comportement de l’enfant. Nervure 1998 ; XI, 6, 46-51. 3. Lebovici S. À propos de l’hystérie chez l’enfant. Psychiatr. Enfant 1974 ; XVII, 1, 552. 4. Classification diagnostique de 0 à 3 ans (zero to three), in Devenir, 1998 ; 10, 2. 5. Mises R, Jeammet P et al.. La classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent. Psychiatr Enfant, 1988 ; 31, 1, 67-135. vous présente les pages Annonces Professionnelles Nouvelle formule 18 ◗ CHER ÉTABLISSEMENT HOSPITALIER SPEÉCIALISÉ Région Centre (à 2 heures de Paris) RECHERCHE 2 PÉDOPSYCHIATRES 1 PSYCHIATRE ADULTES 1 ASSISTANT DES HÔPITAUX (POSTE ACCESSIBLE À DES MÉDECINS GÉNÉRALISTES) AVEC POSSIBILITÉ D’ÉVOLUTION DE CARRIÈRE – Dans le cadre de succession de postes, nous recherchons 3 psychiatres (dont 2 pédopsy). 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