Le renouveau du principe de confiance légitime dans le

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Le renouveau du principe de confiance légitime dans le
Le renouveau du principe de confiance légitime dans
le cadre de la fonction publique luxembourgeoise
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Dans le cadre d’un jugement du 3 octobre 2011 , le tribunal administratif a annulé une décision
administrative pour avoir violé la confiance légitime d’un fonctionnaire, dans le cadre d’une
nomination au sein de la fonction publique.
Ce jugement, qui a sanctionné le changement brusque et inattendu de l’administration, nous donne
l’occasion de revenir sur les caractéristiques de ce principe général de droit qui est souvent
invoqué, mais rarement reconnu comme fondé.
Petit tour d’horizon de la question.
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Un principe général de droit
Le principe de confiance légitime est à classer parmi les principes généraux du droit, se définissant
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d’un point de vue administratif comme étant «les règles admises par la jurisprudence comme
s’imposant à l’administration et à ses rapports avec les particuliers, même sans texte, et ayant une
valeur égale à celle de la loi, de sorte que celle-ci peut y déroger et que, au contraire, l’administration et
le pouvoir réglementaire doivent les respecter».
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Une reconnaissance jurisprudentielle incontestée
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Le principe de confiance légitime est consacré par la jurisprudence communautaire , qui considère
que «le droit à la protection de la confiance légitime bénéficie à tout particulier qui se trouve dans une
situation de laquelle il ressort que l'administration communautaire, en lui fournissant des assurances
précises, a fait naître dans son chef des espérances fondées».
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a également été amenée à sanctionner des Etats pour
violation de la confiance légitime consacrée par le droit et la jurisprudence de l’Etat en question, en
violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l’Homme (notamment les
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articles 3, §1 ; 6, §1 et 8 de la Convention).
De son côté, la jurisprudence luxembourgeoise le définit comme «le principe général du droit qui
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protège l'administré contre les changements brusques et imprévisibles de l'administration ».
La violation de ce principe est constituée lorsque l’administration a «par son comportement trompé
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la confiance légitime d’un administré en l’induisant en erreur ».
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Tribunal administratif, 3 octobre 2011, rôle n°26993.
G. CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Quadrige/PUF, 2011
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Tribunal de Première instance, 30 septembre 1998, Adine-Blanc/Commission, T-43/97, RecFP p. II-1683, point 31.
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Tribunal administrative, 9 juin 1997, rôle n°9781.
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Tribunal administrative, 15 mai 2002, role n°14157, confirmé par Cour administrative, 22 octobre 2002, rôl n°15040C.
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«En vertu du principe général du droit de la confiance légitime, l'administré peut exiger de l'autorité
administrative qu'elle se conforme à une attitude qu'elle a suivie dans le passé. La protection de
l'administré contre les changements brusques et imprévisibles de l'attitude de l'administration, en lui
reconnaissant le droit de se fier à un comportement habituellement adopté par l'administration ou à
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des engagements pris par elle ».
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Une proximité avec la notion de droits acquis
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Dans un arrêt récent , la Cour administrative a rappelé la proximité entre le principe général de la
confiance légitime et la notion de «droits acquis» :
«un administré ne peut prétendre au respect d’un droit acquis que si, au-delà de ses expectatives,
justifiées ou non, l’autorité administrative a créé à son profit une situation administrative acquise et
réellement reconnue ou créé un droit subjectif dans son chef, et ce au travers d’une décision
administrative régulière, conforme au droit existant. Ce n’est qu’à cette condition que peut naître dans
le chef d’un administré la confiance légitime que l’administration respectera la situation par elle créée,
les deux notions de droits acquis et de confiance légitime étant voisines».
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Le tribunal administratif, dans un jugement tout aussi récent, a rappelé que :
«L’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose que : « Sauf s´il y a péril en la demeure,
l´autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou
reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de
la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les
éléments de fait et de droit qui l´amènent à agir.
(…) S’agissant, en effet, d’une mesure attentatoire à la sécurité juridique et au principe de la confiance
légitime des administrés dans l’administration, la décision déférée devait respecter le principe du
contradictoire en ouvrant la possibilité aux demandeurs de faire valoir leur position, ceci afin de mettre
l’administration en mesure de prendre une décision à bon escient et soigneusement pesée».
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Les conditions d’application dans le cadre du contentieux de la fonction publique
Par son jugement du 3 octobre 2011, le tribunal administratif a rappelé les conditions permettant
de constater la violation du principe de confiance légitime :
– Une attitude de l’administration suivie par le passé et conforme à la loi
«(…) l'administré peut exiger de l'autorité administrative qu'elle se conforme à une attitude qu'elle a
suivie dans le passé. La protection de l'administré contre les changements brusques et imprévisibles de
l'attitude de l'administration, en lui reconnaissant le droit de se fier à un comportement habituellement
adopté par l'administration ou à des engagements pris par elle, ne saurait cependant jouer au cas où la
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pratique antérieure suivie par l'administration n'était pas conforme à la loi »
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Tribunal administratif, 30 avril 2003, rôle n°15962, confirmé par Cour administrative, 30 septembre 2003, rôle n°16534C.
Cour administrative, 3 juillet 2012, rôle n°29.958C.
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Tribunal administratif, 18 juillet 2012, rôle n° 28.040.
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Tribunal administratif, 9 juin 1997, rôle n° 9781.
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– Un changement brusque et imprévisible de l’attitude de l’administration
«les directives internes qu'une autorité administrative, dans le cadre de son champ de compétence,
peut adopter pour se donner des lignes de conduite en fixant notamment des procédures ou critères
suivant lesquels certaines affaires qui lui sont soumises ou qui relèvent de son domaine de compétence
sont à traiter notamment par les fonctionnaires qui se trouvent sous ses ordres, doivent
obligatoirement se situer dans le cadre des dispositions légales et réglementaires applicables et
qu'elles ne peuvent en aucun cas comprendre des règles allant au-delà de ce qui est expressément
prévu par la loi ou ses règlements grand-ducaux d'application.
Cependant, cette autorité et les autorités subordonnées sont tenues de respecter les consignes des
directives internes répondant à ces exigences et l'administré peut, en vertu de l'adage «tu patere legem
quam ipse fecisti», requérir le respect de celles de ces directives internes dont il a pu avoir
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connaissance à travers une certaine publicité leur conférée »
– La confiance de l’administré dans la conformité de l’administration avec l’attitude qu’elle a
adoptée par le passé
«(…) Or, nonobstant les dispositions de la note de service … concernant les postes permettant d’accéder
au grade de ... (...), selon lesquelles tout poste est systématiquement publié par voie de note de service
au sein du Corps de Police, dispositions que l’administration est tenue de respecter en vertu de l'adage
«tu patere legem quam ipse fecisti» rappelé ci-dessus, il ressort tant du dossier que des affirmations de
la partie étatique qu’une telle publication n’a pas eu lieu de sorte que la nomination de Monsieur ...,
intervenue sans que la publication du poste laissé vacant par le décès de Monsieur ... a été prise en
violation de la note de service … que la direction générale de la police ne pouvait ignorer».
«La procédure de nomination étant viciée du fait de la non-publication de la vacance de poste suivant
les règles que l’administration s’est donnée elle-même, l’arrêté de nomination sous examen pris sur
base de la procédure ainsi viciée encourt l’annulation.»
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Réaffirmation du principe de confiance légitime dans les relations entre l’administration et
ses agents
Ce jugement du 3 octobre 2012 constitue une réaffirmation de l’obligation imposée à
l’administration de respecter les règles qu’elle s’est fixée dans le cadre de son organisation interne
et de ne pas violer la confiance légitime qu’elle a de ce fait créée dans le chef du fonctionnaire.
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Il y a quelques années, le tribunal administratif était beaucoup plus prudent avec l’application de
ce principe et avait avalisé, notamment, un changement brusque de l’attitude de l’administration par
rapport aux règles qu’elle avait suivies jusque-là:
«Dans la mesure où les demandeurs devancent tous Monsieur F. audit tableau d’ancienneté, ils
estiment qu’ils auraient bénéficié d’une priorité d’affectation et qu’en proposant et nommant Monsieur
F. au poste en cause, le directeur et le ministre n’auraient pas respecté cette pratique régulière, dont on
ne pourrait s’écarter sur base du principe tu patere legem quam ipse fecisti que dans des circonstances
exceptionnelles justifiant une dérogation.
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Tribunal administratif, 13 décembre 2006, rôle n°19410a.
Tribunal administratif, 22 février 2006, rôle n°19.760.
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(…) Si la pratique ainsi alléguée, en l’absence de critère de sélection textuellement consacré, traduit
certes une approche de principe répondant à un souci d’objectivité et de traitement égalitaire, il n’en
reste pas moins qu’en l’absence de contrainte légale ou réglementaire afférente, l’application de ce
critère de l’antériorité au tableau d’avancement ne saurait être érigée en un automatisme non
susceptible d’être énervé au cas par cas par des considérations fondées notamment sur l’intérêt du
service (trib. adm. 28 février 2005, n° 18723 du rôle, non encore publié).
Or, les motifs valables ci-avant visés pour fonder le choix de Monsieur F. pour occuper le poste de chef
du SREC de Grevenmacher constituent des considérations fondées sur l’intérêt du service qui justifient
valablement le choix d’un candidat devancé par les trois demandeurs au tableau d’ancienneté et donc
un choix s’écartant de la pratique antérieurement suivie, de sorte que le moyen afférent des
demandeurs est à rejeter.»
Dorénavant, les fonctionnaires peuvent avoir la confiance légitime que leur administration
respectera toute règle interne dont elle s’est légalement dotée et qui a créé, dans leurs chefs, la
certitude qu’elle n’en changera point.
Benjamin MARTHOZ
Avocat à la Cour
MNKS
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