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Alice
Jan Švankmajer, Tchécoslovaquie,
1988, film d’animation, couleur
Sommaire
Générique, résumé ................................................................... 2
Autour du film.............................................................................3
Le point de vue de Pascal Vimenet :
La disjonction du corps.................................................................6
Déroulant.................................................................................... 13
Analyse de deux séquences............................................... 17
Une image-ricochet................................................................ 25
Promenades pédagogiques................................................ 26
Adaptations cinématographiques.................................. 29
Petite bibliographie et glossaire...................................... 30
Ce Cahier de notes sur… Alice a été réalisé par Pascal Vimenet.
Il est édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma
par l’association Les enfants de cinéma.
Avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image
animée, ministère de la Culture et de la Communication,
et la Direction générale de l’enseignement scolaire,
le SCÉRÉN-CNDP, ministère de l’Éducation nationale.
2 — Générique - Résumé
Générique
Autour du film — 3
Résumé
Autour du film
Un surréalisme sarcastique
Alice,
En exergue du générique, une voix off enfantine énonce le
Jan Švankmajer, 1988, Tchécoslovaquie,
principe du film : « Alice se dit en elle-même : je vais vous
84 minutes, animation, couleur, 35 mm.
montrer un film. Un film pour les enfants, peut-être. Peut-
Titre original : Neco Z Alenky / Scénario et réalisation :
Jan Švankmajer, d’après Alice au pays des merveilles de Lewis
Carroll / Animation : Bedrich Glaser, Svatopluk Maly / Décors : Eva Švankmajerova, Jan Švankmajer / Son : Ivo Spalj,
Robert Jansa / Montage : Marie Zemanova / Production :
Condor Features / Coproduction : Film Four International,
Hessischer Rundfunk / Distribution : Mission Distribution.
Interprète : Kristina Kohoutova (Alice) / Bouche et voix originale : Camilla Power / Voix française : Marion Balança.
Tournage : 1987. Sortie : novembre 1989.
être, si l’on se fie au titre. Pour cela, il faut fermer les yeux.
Sinon, vous ne verrez rien du tout. »
Très librement inspiré du récit de Carroll, Alice conte donc,
comme sa lointaine cousine littéraire, une dégringolade au
pays des rêves qui se teinte parfois de cauchemars.
Alice, enfant solitaire, vit une aventure intérieure. Son imaginaire l’entraîne loin de sa chambre et de ses objets familiers. Bientôt, la frontière entre rêve et réalité devient poreuse : le lapin empaillé d’Alice n’a-t-il pas frémi ? Alice se lance
à la poursuite du Lapin blanc. On connaît la suite ? Pas du
tout. Alice doit d’abord affronter une table à l’étrange tiroir,
symbole chez Jan Švankmajer d’un feu dévastateur : rite initiatique nécessaire à la découverte accidentelle de l’accès au
Prix du long métrage des Journées internationales du ciné-
royaume du Lapin blanc - univers biseauté où la logique du
ma d’animation d’Annecy 1989.
réel n’intervient que fragmentairement.
Dès lors, une, mécanique aveugle - dont on entrevoit de loin
en loin les raisons - se met en marche, entraînant Alice dans
son maelström. Alice en poursuivant le Lapin blanc, découvrant son univers, va s’éprouver elle-même. Les tabous et
les interdits sont si tentants ! Petits gâteaux secs et fioles emplies de breuvages mystérieux vont alimenter les tourments
corporels d’Alice et les modifications de points de vue. Alice, tour à tour, va découvrir la mer de larmes, la maison du
Lapin blanc, un ver à soie, le Chapelier et le Lièvre de Mars,
le terrain de croquet de la Reine et la salle de procès où, à
sa stupéfaction, elle sera jugée, sous les applaudissements
imbéciles de la foule d’étranges animaux, par un roi et une
reine de carton-pâte aux maximes sans appel. Va-t-on pouvoir rouvrir les yeux ? Pas sûr, le rêve est ensorcellement…
Alors qu’Alice était sur le point d’être présenté en France,
j’ai eu la chance en septembre 1989 de pouvoir rencontrer Jan
Švankmajer à Prague. Pour moi, le contexte qui entoure Alice
est intimement lié à la découverte rapide mais très influente
que je fis alors de l’univers de Jan Švankmajer.
L’univers de Jan Švankmajer
En pénétrant chez lui, j’ai vu immédiatement, ressenti physiquement, le rapport qui pouvait exister entre l’esthétique de
son film et lui-même. Sa maison, située dans les hauteurs de
Prague, dans l’un des plus anciens quartiers, celui des alchimistes du XVIe siècle, donnant de plain-pied dans une petite
ruelle, était un capharnaüm où je reconnus d’abord certains
des éléments de décor d’Alice. Il y avait l’un des squelettes
animaliers, qui vous fixait tendrement de ses grands yeux de
verre. Et, au sol, une boîte de plexiglas qu’avait réintégrée le
Lapin blanc. Les rebords des fenêtres, presque à ras du sol,
proposaient aux (rares) passants des pots de céramique blanche aux formes arcimboldesques, desquels jaillissaient, par
des orifices ménagés à cet effet, des cactées. Dans les deux
pièces où nous étions, les objets étaient omniprésents : des céramiques blanches dont un visage d’Alice figé dans la matière
brillante, un bronze de Max Ernst, des assemblages de coquillages qui formaient des têtes à la manière d’Arcimboldo,
des bocaux, une chaise de bois délabrée sur laquelle était fixé
un vieux mutoscope. Lorsque l’on faisait défiler ses images,
un collage ambigu et pornographique s’animait… Il y avait
même quelque part me semble-t-il des couvercles et des ustensiles de dînette.
Jan Švankmajer est né à Prague en 1934. De 1950 à 1954,
il a suivi des cours à l’École supérieure des arts décoratifs,
puis s’est spécialisé en suivant ceux de la Faculté de théâtre
et des beaux-arts de Prague (sur la marionnette). D’emblée,
quand nous avons pu communiquer, grâce d’abord à sa femme Eva, auteur des céramiques et de plusieurs tableaux, Jan
Švankmajer a insisté sur un aspect de son travail : il se conçoit
d’abord comme membre du groupe surréaliste pragois, aux
activités duquel il a participé à partir des années soixante-dix
après sa rencontre avec Vratislav Effenberger, son chef de file.
Son itinéraire cinématographique est tout entier rattaché à
ce choix qu’il explicite et justifie longuement. Son travail de
dessinateur et de « plasticien » a en partie nourri celui du cinéaste. Le choix du volume, des objets, par exemple, semble
s’affirmer par des échanges successifs.
Si, dans les années soixante-dix et quatre-vingt, le surréalisme était perçu déjà par beaucoup en Europe occidentale
comme appartenant à la muséographie, il n’en était pas de
même dans la démocratie populaire de Tchécoslovaquie. Par
essence, se proclamer surréaliste là où le réalisme socialiste
était un dogme culturel d’État prenait un autre sens, avait
une efficience corrosive. Corrosion que Švankmajer confirme
en qualifiant lui-même, en opposition au surréalisme lyrique
d’André Breton, son propre surréalisme de « sarcastique ».
Mais Jan Švankmajer ne théorise pas sa pratique cinématographique : « Les “spécialistes” en peinture, en écriture, en
théorie, en cinéma et arts décoratifs ne sont que des professionnels du confort intellectuel. »
Sa filmographie, qui commence en 1964 avec le Dernier Truc
de Monsieur Schwarzewald et de Monsieur Edgar, est influencée
Jan Švankmajer et son Alice (photo : P. Vinemet)
4 — Autour du film
d’abord par la scénographie théâtrale. Certains des films qui
suivent, La Fabrique de petits cercueils (1966) ou Dom Juan (1970),
révèlent une fascination pour les marionnettes et les décors et
les dispositifs de trompe-l’œil. Plusieurs combinent la prise de
vues réelles et le cinéma d’animation, parmi lesquels La Chute
de la maison Usher (1981) et Le Puits, le pendule et l’espérance
(1984), qui sont des adaptations de l’un des grands auteurs de
prédilection de Jan Švankmajer : Edgar Allan Poe. Alice prend
place, après une certaine interruption, juste derrière ce dernier
film. Il est le premier long métrage de l’auteur.
L’objet-acteur
La démarche qu’il a mise en place autour d’Alice est passionnante : « Alice […] appartient à ma mythologie. Je tournais autour de ce roman depuis longtemps. Preuves en sont
mes films précédents, Jabberwocky et Dans la cave. Ce n’est que
plus tard que j’ai eu le courage de me mesurer au vrai Alice.
Je devais affronter également les interprétations d’Alice déjà
existantes. La plupart du temps on le présente comme un
conte pour enfants. Pour moi ce n’est pas un conte de fées
mais un rêve1. »
Dans l’esprit de Jan Švankmajer, Alice se situe dans le vieux
Prague et son rapport aux objets est déterminant. Švankmajer
Autour du film — 5
reliait son choix surréaliste à un rapport très particulier
aux objets, une sorte de réutilisation du « ready-made » de
Marcel Duchamp mâtiné par l’écho du maniérisme pragois :
« Les objets ont toujours été pour moi plus vivants que les
hommes […]. Les objets recèlent les actions dont ils ont été
témoins2. »
Pour Alice, il est parti de plusieurs objets témoins : des objets déjà utilisés dans d’autres films et « qui avaient encore
quelque chose à dire », comme la table, la vaisselle miniature,
les cubes, le Chapelier fou (qu’il avait utilisé autrement précédemment), etc. ; et d’autres, que le sujet du film imposait.
Le Lapin blanc et le Lièvre de Mars, la poupée représentant
Alice que, fidèle à son habitude, il devait trouver dans l’environnement pragois. Eva Švankmajerova m’avait dit : « Dans
beaucoup des films de Jan, je fais quelque chose. Là, je me suis
occupée de créer le Lièvre de Mars. J’ai des enfants. Ils ont
des peluches. Je suis partie d’une peluche… » Jan Švankmajer
plaisantait sur la réaction de ses enfants, un peu effrayés du
sort infligé à leur jouet. Pour la petite poupée, il a cherché
un modèle de poupée qu’on voyait fréquemment quelques
années auparavant.
Le choix d’Alice-Kristina
Il a poursuivi sa démarche en mettant beaucoup de temps
pour se décider à choisir son actrice : « J’ai d’abord pensé à un
enfant ayant une expérience au cinéma ou à la télévision. […]
Mais je n’ai pas trouvé d’Alice parmi les “professionnels”.
Tous les enfants étaient trop “pourris”. Et nous avons donc
commencé à chercher une Alice dans les écoles. J’étais désespéré parce que dans chaque Alice quelque chose me dérangeait. Chez l’une les cheveux, chez une autre la façon de se
tenir, chez une troisième la bouche. À un moment, j’ai même
pensé que plusieurs petites filles joueraient le rôle d’Alice et
que je choisirais seulement les séquences qui me conviendraient. Pour un film, ce sont les yeux qui sont le plus important et c’est pourquoi à la fin, j’ai choisi la petite Kristina (elle
avait neuf ans). Mais la bouche appartient à une autre petite
fille, Camilla. »
Švankmajer ajoute que les yeux de Kristina exprimaient,
selon lui, le rêve et l’inquiétude. Parfois, lorsqu’elle perdait
cette expression, il interrompait le tournage.
La démarche scénaristique
« Beaucoup de mes films sont nés à partir d’une improvisation directe face à la caméra […], sans scénario technique.
Certains films, au contraire, ont eu un scénario dessiné et travaillé avec précision, par exemple Alice. Cependant, j’ai tourné une semaine au maximum d’après ces scénarios, puis je
m’en suis débarrassé. J’ai écrit un nouveau scénario, séquence
après séquence, directement en fonction de tel objet, de tel
accessoire ou de tel environnement. Au cours de ce processus
de création […], cela a souvent permis de cristalliser réellement l’idée profonde du film. »
La déclaration est assez rare, dans le monde du cinéma
d’animation, pour mériter d’être relevée. Jan Švankmajer prolonge d’ailleurs cette réflexion, à l’instar de nombreux réalisateurs de prise de vues réelles, en concluant que le « dernier
mot revient au travail sur la table de montage ».
Le tournage
Pour les raisons qui viennent d’être énoncées, Jan
Švankmajer a conçu son tournage, prise de vues réelles et animation, en essayant de se donner le maximum de latitude. Il
a donc utilisé deux caméras, pour disposer de plusieurs solutions au montage. Bien évidemment, les tournages prise de
vues réelles et animation étaient dissociés. Jan Švankmajer a
donc filmé par « à-coups », entrecoupant le tournage réel par
celui de l’animation – ce qui n’a pas été sans poser quelques
problèmes : à la fin du tournage, Kristina avait grandi…
Du tournage avec Kristina, il dit : « Je pense qu’il fut une
souffrance pour Kristina, à l’exception des jeux dans l’eau
où elle s’amusait sincèrement : pouvoir se baigner en vêtements et avec ses chaussures était pour elle toute une affaire
et une expérience au cours de laquelle elle outrepassait un
interdit. […] La mise en scène s’est passée avec des ordres
du genre “Regarde à droite”, “Incline toi”, “Roule des yeux,
mais pas trop” et ainsi de suite tout au long de l’année de
travail sur le film. » Et Kristina ajoute qu’elle avait refusé,
comme Jan le lui demandait, de prendre un insecte noir avec
ses doigts. Mais dans l’ensemble, elle n’a pas été effrayée.
Quant au travail d’animation proprement dit, Jan Švankmajer
a toujours été relativement laconique sur la question. Ce sont
les techniques habituelles du cinéma image par image, que ce
soit une animation de volume ou de papier. Il se défend seulement, lorsque des critiques non avertis l’évoquent, d’une quelconque filiation avec la tradition de la marionnette tchèque
incarnée par Jiri Trnka et répond aux éternels rapprochements
avec Walt Disney qu’il n’a en commun que la caméra…
De cette évocation, l’image qui me reste maintenant est
celle de la fin de notre entretien. Pendant que je disais au
revoir à Jan Švankmajer, Kristina était sagement assise dans
l’autre pièce, bien droite, un air fragile, toussotant de temps
en temps, face à un téléviseur posé au sol, dont le rayonnement bleuté irradiait tout autour. Kristina regardait pour la
seconde fois seulement Alice, dont elle n’avait découvert le
récit de Carroll que quelques jours auparavant…
Positif n° 345, 1989, entretien avec Michel Ciment et Lorenzo Codelli.
Toutes les citations sont extraites du dossier de sortie de film, article « Les labyrinthes de Jan Švankmajer », septembre 1989, de l’interview réalisée par Pascal
Vimenet pour Océaniques, diffusée le 26 octobre 1989, ou de l’article qu’il a publié,
« Jeu sur le rêve » dans les Cahiers du cinéma n° 424.
1
2
Point de vue — 7
La disjonction du corps
par Pascal Vimenet
Par définition, Alice ne peut être, ne doit être, s’il est
conforme, dans l’esprit, à son modèle initial, qu’un film où l’on
se perd. Jusqu’au vertige, jusqu’à l’abîme, jusqu’au néant.
Sous cet angle, le film de Jan Švankmajer est un chef-d’œuvre : tenter de l’appréhender vous précipitera toujours dans
un dédale disloqué où vous ne vous reconnaîtrez pas toujours
et où les autres ne vous reconnaîtront pas toujours non plus.
Alice est un film-piège, un film actif, qui laisse de vraies traces
sur son public.
Nous n’avons pas été si nombreux, lors de sa sortie, à
le défendre. Mais, peu à peu, il prend sa place et se révèle.
D’où vient sa force ? D’abord de l’intransigeance du point de
vue général de Jan Švankmajer : « Les enfants sont […] pressés de devenir adultes – ce qui, bien sûr, est de leur part une
erreur analogue à l’idéalisation de l’enfance qui nous vient
avec l’âge. Personne ne sait être aussi cruel qu’un enfant…
Mais je ne veux pas, par là, désavouer mon enfance ; je veux
seulement garder à son égard une attitude “active”1 ». Cette
attitude active s’exprime dans Alice par la mise en place d’un
point de vue unique et symbolique, celui de Švankmajer, qui
se dédouble et se triple via Alice et sa poupée. Celui-ci renvoie tout au long du film à des niveaux de visionnement et de
lecture différents. Chacun, en définitive, s’y reconnaît, parce
que le film parle de la difficulté d’être enfant et de l’angoisse
de grandir. Et il pose en passant, ce qui n’est pas la moindre
de ses qualités, une question plutôt dérangeante au cinéma
8 — Point de vue
Point de vue — 9
Pour paraphraser Virginia Woolf évoquant le
récit de Carroll, je suis tenté d’affirmer, pour
évacuer d’emblée le faux débat qui nous
guette, qu’Alice « n’est pas un film pour enfants mais plutôt un film par lequel nous devenons enfants ».
d’animation : comment incarner le corps en devenir, comment
le conjuguer activement à ce qu’il y a de cadavérique dans
toute animation ?
Alice est paradoxal comme l’est son alter ego littéraire. Mais
le film provoque souvent plus de réactions de rejet de la part
des adultes que de celle des enfants. C’est l’un de ses intérêts.
Un générique emblématique
Le générique annonce ce parti pris paradoxal du film : en introduisant à huit reprises, en inserts très courts, le gros plan d’une
bouche – image violente malgré son caractère enfantin –, il développe d’emblée l’idée,
du seul fait du discours que tient la bouche
dans le même temps, que le film sera un récit
sur le paradoxe de la pensée, sur la pensée
paradoxale (comme on le dit du sommeil).
Il est l’annonce aussi d’une logique : le film
fonctionnera sur un jeu de collages associatifs
au sein duquel le langage n’adhérera pas en
permanence aux autres parties montrées du
corps. La bouche sera vue dans son obscénité.
Le langage sera disjoint du corps. Il n’aura
d’efficience qu’à condition de solliciter notre
part enfouie, l’inconscient : « Un film pour les
enfants, peut-être. Peut-être, si l’on se fie au
titre. Pour cela, il faut fermer les yeux. Sinon,
vous ne verrez rien du tout… »
On croit presque entendre Luis Buñuel
citer Octavio Paz : « Il suffit à un homme
enchaîné de fermer les yeux pour qu’il ait le
pouvoir de faire éclater le monde… ».
Fermons les yeux. Collage. Max Ernst,
dont Jan Švankmajer a célébré plus d’une fois « l’intelligence
miraculeuse », a écrit : « L’esprit du collage […] est avant tout
celui de la rencontre fortuite. » Dans Alice, les rencontres
entre Jan Švankmajer et des influences plastiques ou cinématographiques ne sont pas toutes fortuites. Max Ernst a illustré
à plusieurs reprises Lewis Carroll et certaines de ses toiles
font explicitement référence dans leur intitulé à Alice (Pour
les amis d’Alice, 1957 ; Alice envoie un message aux poissons,
1964). Quant à Luis Buñuel, il est l’auteur, notamment dans
Un chien andalou, de quelques plans qui ont marqué durablement l’imaginaire des spectateurs (un œil de femme tranché
à la lame de rasoir ; des fourmis grouillant dans une main).
Ce dernier plan fait écho à l’un des plans d’Alice : celui des
cafards s’échappant de la boîte de conserve.
Jan Švankmajer est un cinéaste-logicien. Il énonce ses règles en même temps qu’il les applique. Il l’a démontré magistralement dans deux films qui ont précédé Alice : Jabberwocky
et Possibilités du dialogue. Ce dernier est un modèle très expressif de la logique de Švankmajer. Le cinéaste l’a conçu, à
l’instar de certaines peintures de la Renaissance dont il tire
l’argument de départ, comme un triptyque : ce court métrage renvoie dans chacune de ses parties aux trois principes
récurrents du récit cinématographique identifiés par Gilles
Deleuze2 : action - passion- anéantissement.
Les principes du collage
Dans Alice, la logique est plus complexe à identifier. Elle
s’appuie sur ce générique, qui annonce en même temps le
thème principal du film, le rêve. Mais elle vient se redoubler ou achever de se définir dans la première séquence de la
chambre d’Alice.
C’est le décor, fait de bric et de broc, de fragments hétéroclites, qui vient totalement mettre en place le thème de la
disjonction du corps : le corps d’Alice opposé à son double-
10 — Point de vue
Point de vue — 11
poupée, à la totalité des objets qui peupleront son rêve ainsi
qu’au volume qui les contient. Ce que détaillent longuement
les panoramiques d’ouverture (voir Déroulant, 3).
En d’autres termes, tous les éléments du collage utilisés
ultérieurement dans le cours du film sont rassemblés dans ce
décor, comme en écho à une très ancienne remarque de Jean
Epstein : « À l’écran, il n’y a pas de nature morte. Les objets
ont des attitudes. » Dès lors, la chambre et tout son contenu
devient le lieu emblématique du film, son seul véritable espace, le condensateur du récit. Il exprime ainsi l’écart de départ d’avec le texte de Carroll, qui situait l’essentiel de l’action
dans la nature…
Le principe d’emboîtement est l’équivalent du principe
littéraire de Carroll qui emboîte, lui, les récits dans le récit.
Cette ouverture et ce dispositif, renvoyant au réel, inscrivent
le corps vivant d’Alice au cœur du propos et de la mise en
scène de Jan Švankmajer.
Cependant, dès l’ouverture, une disjonction a lieu. Que
montre vraiment la caméra ? Alice d’une part et, une seule fois,
dans la séquence de la chambre, sa bouche, qui, en réalité, ne
lui appartient pas (Voir Autour du film). Le corps vivant, dès
le départ, est donc lui-même déjà divisé. Les « opérations »
de collages et leurs multiples combinaisons réelles et animées
sont ainsi autorisées et peuvent dès lors se déployer. Ce que
le tiroir de la table va symboliquement ritualiser et mettre en
scène. Alice au pays des merveilles est une histoire à tiroirs…
Un truquage ravageur
Manière de constater que ce corps, déjà soumis à supputation, l’est surtout à la règle de relativité des éléments qui l’entourent. Nous ne sommes pas dans un simple jeu de truquage,
mais dans une logique où le truquage est au service (pour une
fois) d’un véritable propos : « Dans mon œuvre, l’enjeu n’est
pas un petit jeu intellectuel ou des “idées originales” ou un
“art sérieux”, il s’agit plutôt d’une sorte d’autothérapie3. »
L’espace de la chambre est le réceptacle premier de ce
corps, celui qui abrite Alice et ses rêves. Il apparaît d’emblée
matrice et source d’angoisse. C’est après qu’Alice se fut, semble-t-il, légèrement assoupie que l’espace de la chambre met
en place, par le truchement du regard d’Alice, un premier
« point de fusion » entre le réel et le truquage animé, lorsque
le Lapin blanc se meut pour la première fois. Ce premier truquage, qui ne joue encore que sur un effet de montage champcontrechamp, annonce les suivants (le Lapin blanc tapant sur
les doigts d’Alice, essuyant ses mains pleines de beurre sur
les chaussettes de celle-ci, le Lièvre de Mars roulant sur ses
pieds, etc.). Si Alice suit le Lapin blanc, il faudra résoudre la
disparité d’échelle pour qu’une rencontre puisse se produire.
Le corps d’Alice est donc déjà menacé. Menacé d’autant plus
que nombre d’objets familiers découverts auparavant sont
dangereux : pinçants, tranchants, piquants…
Si, dans un premier temps, la bouche d’Alice en gros plan
n’a qu’un effet d’interpellation esthétique, il n’en est plus de
même à partir du moment où les collages se succèdent et où
Alice est de plus en plus confrontée au royaume du Lapin
blanc. La répétition de cet insert (quatre-vingts fois en tout)
joue évidemment un rôle de narration intérieure et provoque
en même temps chez le spectateur, parce que le gros plan est
en soi agressif, des « sorties » du récit animé : l’esthétique
ultraréaliste remet sans arrêt à distance et à plat l’autre esthétique, tout en dévoilant le procédé lui-même. Ce principe de
répétition, comme chez Buñuel, s’autodésigne loi du monde
et est utilisé à la fois comme une scansion pulsionnelle et une
manière de nommer le temps ou son absence. Il s’applique, par
contamination, à la totalité des éléments du film. Répétition
évolutive, exact contrepoint de la dynamique du collage. L’insert de cette bouche, édictant un principe d’alternance entre la
12 – Point de vue
Déroulant – 13
Déroulant
prise de vues réelles et le cinéma d’animation, introduit donc
un effet déstabilisant. À quel corps avons-nous affaire ?
À un corps en pleine croissance, dont la symbolique chez
Jan Švankmajer s’exprime toujours par des métaphores de
« décomposition et de transformation4 », liées évidemment à
l’angoisse. Ces métaphores, dans Alice, ne reposent pas sur
le seul sens symbolique des plans en soi, comme dans Jabbervocky (où une poupée qui rapetisse perd ses gants devenus
trop grands), mais sur une logique de dérobade et de décomposition, d’absorption et d’ingestion. De manière répétitive,
l’espace se dérobe : Alice transperce le fond d’un bidon, l’ascenseur disparaît pour abandonner brutalement Alice sur un
tas de feuilles mortes, etc. Et la nourriture fait et défait les
corps, aux sens propre et figuré. C’est elle qui autorise non
seulement les transformations d’Alice mais le « dépeçage »
du corps (dès le début, le Lapin perd sa sciure) et, en définitive, sa représentation réduite à sa plus simple expression : les
squelettes des « animaux ».
Cette image mouvante et fragmentée du corps d’Alice
provoque un malaise. Peut-être parce que son visage, qu’il
soit humain ou de porcelaine, ne sourit jamais ? Ou ce que
le corps suggère est son incapacité d’exister librement dans
les espaces qui lui sont proposés ? Dans le premier tiroir, un
compas pique le doigt d’Alice, dans la mer aux larmes, le souriceau plante des pieux dans sa tête, dans la scène de la maison du Lapin, celui-ci essaie de couper le bras d’Alice… Ce
malaise d’être renvoie, en dernier lieu, à ce qui est sans doute
indirectement désigné par les objets qui environnent Alice : le
tourment de la puberté. La sexualité adolescente est nommée
par défaut.
Une interprétation radicale
L’interprétation d’Alice que nous propose Jan Švankmajer
est une proposition radicale. Elle balaie les archétypes qui entouraient l’imagerie d’Alice pour redonner sa liberté à notre
imaginaire. Pour ce faire, Jan Švankmajer procède avec son
personnage comme avec tous les éléments de son film : la
rupture et la discontinuité du récit trouvent une traduction
esthétique dans le personnage d’Alice lui-même en lui permettant d’amplifier la disjonction inaugurale. Alice n’est pas
une, mais plusieurs.
Cette disjonction du corps existe par résonances, collages, rencontres fortuites. Il se crée une dialectique d’échange
entre le corps vivant et le corps animé d’Alice qui lui laisse la
chance d’évoluer, comme dans le récit de Carroll, de manière
somnambulique, jusqu’à sa fin logique, le rassemblement de
tous les morceaux du puzzle éparpillé.
La mise en scène échappe ainsi à la mièvrerie, à la joliesse
et au « bien fait » d’images animées majoritairement dévitalisées, qui ont plusieurs fois gâté la portée du texte de Carroll.
Ce que l’épilogue, éloigné de Carroll, traduit à sa manière,
non pas en termes de fermeture mais d’ouverture : le puzzle
reconstitué n’est plus tout à fait le même qu’au début. La porosité entre le réel et le rêve est si ténue…
Positif n° 297, 1985, entretien avec Petr Kral.
Gilles Deleuze, Cinéma 2. L’Image-temps, Éditions de Minuit.
3
Bref n° 25, entretien avec Michel Roudevitch et Jacques Kermabon.
4
FIorence Livolsi, « Alice », extrait de « Identité et Spatialité dans les adaptations
filmiques d’Alice de Lewis Carroll », thèse de doctorat, sous la direction d’Hélène
Puiseux, 1995.
1
2
1. Alice s’ouvre par un prégénérique live de quatorze plans : une forêt et une rivière.
Alice, une fillette toute de rose vêtue, s’ennuie et jette des cailloux dans l’eau. Rabrouée par sa grande sœur, Alice nous fixe du regard. Sa bouche, en gros plan, dit :
« Alice se dit en elle-même… », et le titre vient s’inscrire sur fond noir.
2. [1.21] Les cartons de générique sont entrecoupés à huit reprises par la bouche
d’Alice qui poursuit son autoprésentation.
3. [2.12] Dans son étrange chambre (bocal, champignon à repriser, collection de papillons et de vertébrés, table, lit, cahier, bouteille d’encre, petits gâteaux, piège à souris, marionnettes, cubes de couleurs, habits de poupée, petite poupée blonde), Alice
fait jouer à sa poupée la « scène du talus », en jetant de petits graviers dans une tasse
de thé. Bientôt, son Lapin empaillé attire son attention : enfermé dans une cage de
verre, il s’en échappe, après avoir revêtu un somptueux costume, et dit, par l’entremise de la bouche d’Alice, devenue narratrice : « Mon Dieu, mon Dieu, je vais être en
retard… »
4. [6.12] Le Lapin se retrouve sans transition dans un champ labouré au bout duquel
trône un établi. À ses pieds, il frappe dans ses mains, le tiroir s’ouvre ; il bondit à
l’intérieur et le tiroir se ferme. Alice, qui a suivi de sa chambre son manège, s’élance
à sa suite. Elle franchit la limite de sa chambre, frappe dans ses mains devant le
tiroir de la table, mais celui-ci n’obéit pas. Elle le force, se pique le doigt… À peine
a-t-elle plongé les mains dedans qu’elle est comme happée par le tiroir et y disparaît
complètement…
5. [8.35] Le tiroir est un vrai souterrain qui mène Alice dans un boyau voûté, en pierre,
puis dans de petites caves. Dans l’une d’elles, Alice repère le Lapin blanc. Assis à une
petite table, il déguste une drôle de mixture. Alice s’enhardit et, sur un ton timide,
s’adresse à lui. Mais le Lapin prend peur et s’enfuit. Restée seule, Alice pénètre à son
tour dans la cave. Lors de cette exploration, elle butte malencontreusement contre un
rateau et tombe à la renverse dans une bassine qu’elle traverse littéralement…
6. [12.17] Cette fois, la dégringolade est vertigineuse. Alice atterrit sur une plate-forme-ascenseur qui s’enfonce dans les entrailles de la terre. Elles abritent des putréfactions insoupçonnées. Le mouvement s’accélère et le mot « EXIT » apparaît, lumineux
dans les ténèbres. Alice traverse un plafond et chute sur un monticule de feuilles
mortes…
7. [14.31] Alice explore le nouvel espace, une pièce fermée à clé, où le tas de feuilles
mortes dissimule une table au tiroir magique. Alice y trouve une clé minuscule qui
ne s’adapte pas à la porte fermée mais à une petite porte gigogne. La petite porte
s’ouvre, et Alice contemple, sans pouvoir y pénétrer, le royaume de carton-pâte du
Lapin blanc, qui passe précisément par là. Déçue, Alice retourne à la table. Lorsqu’elle ouvre le tiroir, une petite bouteille, pleine d’une encre bleutée, roule mystérieusement jusqu’à sa main. Elle boit le breuvage et rétrécit d’un seul coup. Devenue semblable à la poupée de sa chambre, elle voudrait pénétrer par la petite porte, mais la
Séquence 1
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Séquence 3
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Séquence 4
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14 – Déroulant
Séquence 5
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Séquence 6
Séquence 7
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Déroulant – 15
clé, restée sur la table, est hors d’atteinte désormais. C’est alors que, du tiroir, tombe
un gâteau, identique à ceux qu’elle grignotait dans sa chambre. Elle le croque et
devient subitement gigantesque. Sa tête cogne le plafond. Alice ouvre une nouvelle
fois la petite porte du royaume du Lapin blanc. Elle appelle le Lapin. Mais celui-ci,
agressif, lui tape sur les doigts.
8. [21.01] Alice se relève, dépitée, et pleure toutes les larmes de son corps. À sa grande surprise, ses larmes forment rapidement une mare, dans laquelle elle est obligée
de nager. Sa surprise fait place à l’effarement lorsqu’un souriceau, marin de son état,
surgit devant elle, la contourne et escalade sa tête, comme on le ferait d’une île. Le
souriceau installe son bivouac sur la tête d’Alice et met celle-ci à rude épreuve. Ne
supportant bientôt plus ces tourments, Alice plonge la tête la première dans l’eau, et
le souriceau s’enfuit. Pendant qu’Alice émerge des flots, le Lapin fait irruption à bord
d’une coquille de noix. Il est pressé de se rendre chez la Reine. Il ne voit pas Alice, s’y
cogne, manque de chavirer, fait tomber les gâteaux qu’il transporte et fait demi-tour
au plus vite au grand désappointement d’Alice. Sous le nez d’Alice viennent flotter les petits gâteaux. Elle en mange et redevient aussitôt poupée. Passagèrement
assaillie par des oiseaux effrayants, elle rejoint la table qui flotte au fil de l’eau, s’y
hisse, parvient à extraire la grande clé de son tiroir et réussit enfin à ouvrir la grande
porte dans un fracas de chute aquatique…
9. [26.32] Alice est projetée dans une véritable rivière, peut-être celle du début, et
perd connaissance sur la rive. Le Lapin, toujours dans sa coquille de noix, aborde
à son tour non loin de là. Le bruit de son embarcation réveille Alice. Elle peut enfin
approcher complètement le vieux Lapin blanc. Mais, à sa stupéfaction, le Lapin l’appelle « Marianne » et lui donne l’ordre d’aller chercher une paire de ciseaux. Alice
s’exécute.
10. [28.01] Alice approche d’un étrange village, mélange d’objets réels et de décors,
où arrosoirs et paires de bottes voisinent avec des maisons en cubes de bois. Alice
sonne à la porte du Lapin sur laquelle est inscrit, comme sur l’étiquette de la cage
de sa chambre : « Lepus Cuniculus ». Une échelle se déploie. Alice pénètre dans les
appartements du Lapin, après avoir franchi quelques sas grillagés aux allures de portes de clapier. Elle inspecte la chambrette du Lapin, trouve enfin dans le tiroir d’une
table plusieurs paires de ciseaux. Elle y découvre aussi un nouveau flacon, qu’elle
boit séance tenante : la voici vraie petite fille, géante dans la maison du Lapin.
11. [30.53] Dehors, le Lapin blanc, impatient, appelle « Marianne ». Alice se terre et
observe derrière la fenêtre. Le Lapin réclame ses ciseaux. N’obtenant pas de réponse,
le Lapin décide de monter voir. Alice se barricade dans la chambre avec le mobilier. Le Lapin fait plusieurs tentatives pour y pénétrer, mais, à chaque fois, Alice le
repousse violemment. Lorsqu’Alice lui jette des cubes de bois, le Lapin, une nouvelle fois repoussé, riposte : à son coup de sifflet, surgit un étrange attelage, hybride-
squelettique-hennissant. Quand Bill, sorte de lézard, descend par la cheminée sur
les conseils du Lapin, Alice lui donne un coup de pied et le renvoie à son point de
départ. Bill gît, éventré. Le Lapin jette à Alice des cailloux. Ceux-ci, dans la chambre,
se transforment en petits gâteaux. Alice en goûte un et rétrécit sur-le-champ. Elle
reprend son aspect et sa taille de poupée et s’esquive…
12. [38.50] Profitant de l’inattention des « animaux », préoccupés par le sort de Bill,
Alice quitte la maison du Lapin blanc. Lorsqu’elle atteint les limites du village, elle
est repérée et poursuivie. Alice disparaît derrière une porte…
13. [40.07] Alice essaie vainement d’empêcher ses poursuivants de pénétrer où elle se
trouve. Pressée de tous côtés par une armée cauchemardesque, Alice, acculée, tombe
dans un chaudron plein d’un liquide blanchâtre et y disparaît…
14. [42.10] … Pour en resurgir poupée géante ! Arrimée sans ménagement à l’étrange
attelage, Alice est enfermée dans une sombre cave. Dans sa geôle, la petite fille s’extirpe de son carcan de poupée et, après plusieurs expériences infructueuses et diaboliques, retrouve la porte de la liberté.
15. [45.56] Un plancher plein de trous, une table, des murs nus : Alice a débouché dans
une seconde pièce où des chaussettes-vers-à-soie s’évertuent à creuser le plancher.
Du tiroir de la table s’extrait et s’habille une chaussette-ver-à-soie qui, très mystérieuse, fait don à Alice de deux morceaux de son « champignon », puis se rendort…
16. [52.58] Alice fait un essai et croque dans l’un et l’autre morceau de champignon,
provoquant l’accroissement et le rapetissement immédiats de sapins…
17. [54.06] Attirée par des pleurs de bébé, Alice pénètre dans une troisième pièce.
Les pleurs proviennent d’une minuscule maison de poupées qu’Alice prend dans sa
main. Meurtrie par un projectile lancé par sa porte, elle lâche la maison et exerce son
pouvoir : le champignon augmente la taille de la maison. Plus accessible à Alice, elle
devient proportionnellement plus dangereuse. Alors que la maison « crache » une
pluie de vaisselle, un messager laquais-poisson remet un pli au locataire : une invitation de la Reine pour Alice. Les deux personnages s’inclinent, se cognant le crâne au
passage, ce qui provoque pour la première (et seule) fois le rire d’Alice. Alice entrouvre la porte de la maison : le Lapin blanc, furieux, jette tout ce qu’il trouve, y compris
le bébé qu’il nourrissait. Dans les bras d’Alice, le bébé se transforme en cochon de
lait. Il s’enfuit. Avant de le suivre, Alice ramasse la lettre d’invitation.
18. [59.18] La quatrième pièce, dans laquelle disparaît le cochon, abrite en réalité
deux marionnettes, l’une en bois, l’autre en peluche : le Chapelier fou et le Lièvre
de Mars. Questions saugrenues et tasses de thé : Alice s’installe à leur table. Mais
Alice se lasse de leur manège. Lorsqu’elle quitte la pièce, le Lapin blanc, surgi du
chapeau du Chapelier, essuie, en passant, ses mains pleines de beurre sur les chaussettes d’Alice.
19. [67.03] Alice, à la poursuite du Lapin blanc, pénètre dans une cinquième pièce,
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Séquence 10
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16 – Déroulant
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Séquence 18
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Séquence 22
Analyse de séquence – 17
un grenier où sèche de la dentelle. Des
soldats cartes-à-jouer se battent en duel,
mais la Reine de cœur qui survient leur
fait trancher la tête ! Enfin seule, Alice pénètre pour la première fois dans le royaume entrevu du Lapin blanc. Un bruit
sourd la fait sursauter…
20. [70.46] … Le Chapelier fou et le Lièvre
de Mars jouent aux cartes. La Reine, reveSéquence 23
nue sur ses pas, leur fait aussi trancher la
tête. Ce que le Lapin exécute d’un coup
de ciseaux, sous les yeux épouvantés
d’Alice. Puis la Reine invite Alice à jouer
au croquet. Alice accepte l’invitation et
pénètre dans la pièce de la Reine…
21. [73.00] Avec son flamant rose en bois
découpé, la Reine projette une pelote
Séquence 23
d’épingles et brise un carreau. Lorsqu’
Alice s’apprête à jouer à son tour, les flamants se transforment en vraies poules et les
pelotes d’épingles en hérissons. Alice, déconcertée, est détournée du jeu par le Lapin
blanc qui lui donne un cahier à apprendre par cœur et s’enfuit de nouveau.
22. [75.07] À sa suite, Alice monte un nouvel escalier et pousse une porte. La Reine
et le Roi de cœur, flanqués de la cour hétéroclite de tous les « animaux », l’attendent
pour la juger. La Reine ordonne qu’on lui tranche la tête, puis le procès commence.
Alice se défend, refuse de s’excuser et s’empiffre des « pièces à conviction », les gâteaux. La Reine, furieuse, ordonne à nouveau de faire trancher la tête d’Alice, qui
constate, horrifiée, que les gâteaux n’agissent plus sur sa taille. Elle secoue la tête en
signe de refus. La voix de la Reine devient lointaine…
23. [78.30] … Alice, endormie dans sa chambre, secoue vigoureusement la tête. Le tictac du réveil ramène à la réalité. Elle écarte le jeu de cartes, épars sur sa robe, regarde
ses jouets. Tous sont là, immobiles… sauf le Lapin, dont la cage de verre brisée atteste
la réalité de l’escapade. Alice, songeuse, extrait de la cachette du Lapin une grande
paire de ciseaux et conclut que c’est à lui qu’il faudrait couper la tête…
[80.22]
Séquence 22
Analyse de deux séquences
Séquences 13 et 14 : La boîte de Pandore
La structuration et le montage-collage
très vif du film de Jan Švankmajer, paradoxalement, ne favorisent pas un
décryptage fractionné sur la courte distance d’une seule séquence. Les sens se
sédimentent sur une durée plus longue
qu’habituellement au cinéma d’animation, alors que les plans, pris isolément,
excèdent rarement les deux secondes –
ce qui est également inhabituel, même
dans ce cinéma. C’est pourquoi l’analyse
qui suit s’attache à deux séquences au
lieu d’une seule, les séquences 13 et 14,
soit 5’38’’ en 127 plans.
Un épisode « ajouté »
Ces deux séquences, qui, narrativement
et plastiquement, forment un tout, sont
un passage essentiel du film notamment
parce qu’elles inscrivent, à la fois, la distance et la proximité qu’Alice entretient
avec l’œuvre de Lewis Carroll. Elles
sont une parfaite illustration de ce que
Jan Švankmajer entend par « interprétation », terme qu’il a revendiqué à propos
de son film.
Distance, puisque cet épisode, à l’exception peut-être de quelques éléments
d’emprunt lointains (l’idée du bestiaire
qui habite tout le récit littéraire), est totalement ajouté par Jan Švankmajer. Proximité, puisque l’esprit carrollien, respecté
et renouvelé, s’incarne brillamment
dans une mise en scène de l’absurde et
du coq-à-l’âne. Cette proximité fait écho
à la double « filiation » de Švankmajer
– la source première et celle du surréalisme. Nous conservons en mémoire la
fameuse phrase d’André Breton dans
son Anthologie de l’humour noir : « Tous
ceux qui gardent le sens de la révolte
reconnaîtront en Lewis Carroll leur premier maître d’école buissonnière. » Cette
proximité s’exprime aussi par la mise en
place de procédés cinématographiques
équivalant aux procédés littéraires de
Carroll : distanciation du narrateur que
la bouche d’Alice en gros plan illustre
parfaitement, disjonction du corps et de
la pensée, de la pensée et du fantasme,
représentation « dédalique » du sujet
(voir Point de vue), mise à mal des repères de réalité, jeu de logique.
Le fil narratif
D’un point de vue strictement narratif,
le personnage d’Alice dans ces deux séquences vit son expérience la plus difficile mais également la plus instructive.
Alice n’est plus seulement confrontée
aux étrangetés que le royaume du Lapin blanc lui a fait découvrir jusque-là,
mais pour la première fois elle en est la
vraie victime. De poursuivante et de dominatrice, elle est devenue poursuivie et
dominée.
Dans le même temps, cette expérience
qu’Alice fait du monde condense une
combinatoire de la répétition et de l’évolution métamorphique propre au cinéma de Jan Švankmajer (présente déjà
dans le court métrage qui a contribué
à le révéler publiquement, Possibilités
du dialogue) : toutes les représentations
d’Alice vont se succéder et s’entremêler
dans ces deux séquences, jusqu’à former
un amalgame surréel. Alice est la petite poupée au visage de porcelaine, la
grande poupée aux yeux humains ou la
petite fille qui se jure de ne plus toucher
à rien. Cette métamorphose joue – avec
une grande invention qui accroît la sur-
18 — Analyse de séquence
Analyse de séquence – 19
prise et le désarroi du spectateur –, non
pas des seules différences d’échelle mais
en même temps, et sur le même plan,
de différences de « grain » corporel. Ce
qui de la part de Jan Švankmajer ne peut
surprendre, puisque ses approches cinématographiques ou plastiques sont
toujours « tactiles » : le magnétisme de
la matière prime. En l’occurrence, nous
n’éprouvons pas la même sensation lorsque nous regardons le corps réel d’Alice,
le même évoluant par pixillation (voir
Glossaire p. 30) ou celui de la poupée
de porcelaine, la matière travaille notre
imaginaire.
Victime, Alice découvre et nomme peu
à peu, Švankmajer aidant, ses terreurs.
Les monstres qui vont envahir l’imagi-
naire d’Alice et le nôtre n’ont été, dans
la séquence précédente, qu’entraperçus
ou perçus peut-être pour certains d’entre
eux – les deux « poules » de l’attelage et
Bill en particulier – comme prêtant à rire.
Leur occultation par la petite porte que
referme Alice au début de la séquence
13 modifie radicalement leur perception. De cocasses, « tous les animaux
réunis », comme le dit la voix off d’Alice,
deviennent potentiellement inquiétants
et agressifs. La porte contient pendant
tout un temps cette curieuse cohorte et,
ce faisant, accroît tout le « refoulé ».
Lorsque la vanne s’ouvre, que la porte
cède sous les coups répétés, la métamorphose a eu lieu : la petite porte libère des
forces véritablement « pandoriennes ».
Elle re-présente les animaux vus précédemment et en libère d’autres par un
dispositif de « génération spontanée » :
un bocal révèle un nouveau monstre, le
lit-oiseau surgit du néant tout comme
le monstre à deux têtes… Nous avons
insensiblement glissé d’un rêve étrange
à une atmosphère dont le caractère cauchemardesque va s’amplifier d’instant
en instant.
L’apogée étant sans aucun doute la scène
terrifiante où le Lapin fait signe au litoiseau de venir à la rescousse.
La construction de ce passage, en neuf
plans très rythmés et très courts, où le
point de vue dominant est devenu celui,
en plongée, du lit-oiseau, est représentative de ce changement d’état intérieur de
Plan 1
Plan 2
Plan 3
Plan 4
Plan 5
Plan 6
Plan 7
Plan 8
Plan 9
Plan 13
Plan 14
Plan 15
Plan 10
Plan 11
Plan 12
Plan 16
Plan 17
Plan 18
20 — Analyse de séquence
la petite Alice. Car c’est l’état intérieur de
la petite Alice qui fait naître le lit-oiseau,
comme ça l’était aussi dans De l’autre côté
du miroir et de ce qu’Alice y trouva, lorsque Carroll écrivait : « “Je souhaite que
vienne le monstrueux corbeau !”, pensait
Alice […] Une nuit si soudaine tombait,
qu’Alice crut qu’il se préparait un orage.
“Le gros nuage noir que voilà !” s’exclama-t-elle. “Et comme il approche vite !
Ma parole, on dirait qu’il a des ailes !” »
Les deux pattes monstrueuses d’oiseaurapace (qui ne sont pas non plus sans
rappeler celles tout aussi monstrueuses du Dodo des premiers dessins de
Teniel), tentant tour à tour de griffer le
visage d’Alice et de l’obliger à reculer au
Analyse de séquence — 21
bout de la planche, sont l’emblème affectif de ce moment.
Cette expérience de la peur, sous tous
ses noms, se poursuivra après même
qu’Alice eut retrouvé son « vrai » corps,
dans ce passage essentiel où, comme l’a
très justement remarqué Marcel Jean :
« [… ] La petite arrive à briser ce corps
de plâtre, à casser cette enveloppe qui
la tenait prisonnière, et à reprendre sa
place au cœur du film. Ainsi, par cette
image violente – image d’affirmation par
la destruction –, Švankmajer souligne le
curieux statut du corps dans son cinéma,
corps étranger que l’animation agresse
et profane, corps à l’étroit, inadapté dans
un monde aux lois étranges, un monde
qui refuse de se soumettre à la dictature
du corps et dont la révolte passe par le
mouvement1. » Expérience de la peur et
mouvement de révolte qu’entretient la
découverte successive des œufs accoucheurs de squelettes, de la viande qui
bouge, du pain clouté et des cafards en
boîte.
La visualisation des toves
Les deux séquences paraissent donc
accumuler, sans logique apparente, des
représentations repoussantes, négatives.
Que l’on se souvienne encore d’Alice, De
l’autre côté du miroir et de ce qu’y trouva
Alice. Alice récite à Heumpty Deumpty
la première strophe de Bredoulocheux :
Il était reveneure ; les slictueux toves
Sur l’allouinde gyraient et vriblaient ;
Tout flivoreux vaguaient les borogoves ;
Les verchons fourchus bourniflaient2
À l’une des multiples questions d’Alice
sur le sens du poème, l’œuf Heumpty
Deumpty répond : « Eh bien les toves,
c’est un peu comme des blaireaux, un peu
comme des lézards et un peu comme des
tire-bouchons. » Autrement dit, les toves sont des images-valises, comme on
l’a dit de certains mots de Carroll. Jan
Švankmajer reprend au pied de la lettre cette définition et la fait sienne : ses
monstres qui combinent osselets, peau
de lézard, ailes plumeuses, tire-bouchon ou clés à molette, ou bien encore
ses œufs lisses seulement en apparence,
sont tous des toves, des images totalement carrolliennes.
C’est précisément cette expérience, cette
épreuve au sens fort du mot – où chaque
sens est éprouvé –, qui fait progresser
Alice dans sa connaissance du royaume
du Lapin blanc et d’elle-même. C’est
elle qui fera d’abord conclure à sa bouche : « Je ne touche plus aux gâteaux ni à
l’encre », elle ensuite qui lui fait trouver
la clé, littéralement, du problème dans
lequel elle s’est laissé enfermer. Comme
chez Carroll, la prise de conscience de la
relativité des choses aide aussi Alice à
grandir. Au sortir de l’expérience, noire
s’il en est, Alice surmonte la logique in-
fernale de l’espace dans lequel elle était
emprisonnée et des toves qui la peuplaient. Lorsqu’elle trouve la clé, tout ce
monde s’évanouit et s’oublie aussi vite
qu’il était advenu.
Personnages et espaces
Depuis le tout début du récit, Alice est
confrontée à un personnage somme toute très ambigu : celui du Lapin blanc.
Dans la séquence 13, il dément pour la
première fois ouvertement la perception
qu’Alice pouvait avoir de lui jusque-là :
objet de sa convoitise, de ses premiers
désirs – déçus par l’obstacle de leur taille
respective dans un premier temps –, le
Lapin blanc révèle, lorsque la question
22 — Analyse de séquence
d’échelle est résolue, une image à l’opposé de l’attente apparente d’Alice. Intouchable ou bourreau, il est très loin
d’être une bizarre peluche animée, un
jouet magique et fétiche auquel s’identifierait le jeune spectateur. Le Lapin blanc
est le symbole incarné du désir : toujours
hors de portée, toujours illusoire, toujours trompeur. Il fascine et fait peur.
Nécessairement.
Le Lapin blanc, depuis le début du film,
joue aussi un rôle de passeur, au sens
mythologique du terme : la mer de larmes de Švankmajer entretient une évidente relation avec les fleuves infernaux
et le passeur de morts. Physiquement, le
Lapin blanc incarne cet « entre-deux » :
Analyse de séquence — 23
fourrure vivante et tête de mort. Il est celui qui introduit dans le monde inversé,
là où le monde vivant n’a plus place et
là où l’inerte est mouvement. La sciure
qui emplit son corps est là pour conforter cette interprétation. Pour lui, elle est
aliment et chair. On pense à La Clef des
songes de René Magritte, où sous une
chaussure est écrit « la Lune » et sous un
chapeau, « la Neige ». Le Lapin blanc est
celui grâce auquel le Réel est mis en cause et transgressé. Il est un élément essentiel du jeu surréaliste de Švankmajer, une
tentative de traduction directe des coq-àl’âne et des jeux de mots dont le texte de
Carroll est truffé. Ce passeur, agressif
pour la première fois vis-à-vis d’Alice,
traîne avec lui une étrange cohorte, assistants de l’impossible, les toves.
Symbolisation de la peur et de l’angoisse, sous le sceau desquelles se situent les
deux séquences, ces toves ne sont plus à
demi occultés comme dans la séquence
précédente. Ils sont au contraire détaillés, approchés, passés au crible. Qu’il
s’agisse de monstres déjà entrevus ou de
ceux qui surgissent ex nihilo, leurs constitutions dévoilent leur éloquent curriculum vitae.
Celles-ci évoquent d’abord certains des
jeux antérieurs de Jan Švankmajer. En
particulier celui auquel il s’est livré dans
les années soixante-dix, en créant des
planches d’art graphique décrivant, à la
manière des planches naturalistes du XIXe
siècle, le fonctionnement fascinant d’organismes vivants improbables – petits
chefs-d’œuvre mettant sarcastiquement
en scène l’humour objectif de la vie.
Ces planches sont toujours accompagnées d’un texte, annonciateur d’un
mouvement possible. Par exemple la
planche « Felaceus Oidipus », famille
des ovipares, planche 6, fig. 3, dit notamment : « [… l Le cou sort d’une géante
poche utérine élastique d’où s’élève,
dans la partie antérieure, un thorax osseux ; derrière, en dehors de la crête de
caractère cutané, soutenue par les épines
de vertèbres, il y a aussi quatre protubérances ovariennes (trompes)… »
Ces toves, dans les séquences 13 et 14,
lorgnent, littéralement, du côté du cadavre exquis et des collages chers aux
surréalistes. Ils sont, comme l’aurait dit
Lautréamont : « Beau(x) comme la rencontre fortuite, sur une table de dissection, d’un parapluie et d’une machine à
coudre. » Ces collages assemblent avec
humour les archétypes des vieux cours
de sciences naturelles (tête-squelette
de lapin, structure interne de poisson,
éléments osseux) à du vivant (ailes et
pattes d’oiseau) et à des objets (pinces,
éléments de vaisselle).
Il y a dans la séquence 14 un moment
particulièrement intéressant, parce qu’il
condense ce parti pris du réalisateur en
un réseau de signifiants : celui où Alice,
enfermée dans la cave, assiste, incrédule
à l’éclosion des œufs. Pur moment de
cinéma, puisque Švankmajer découvre
dans le même temps le principe logi-
que de création de ses toves, le principe
d’alternance qu’il installe entre le regard
d’Alice et son environnement, le rapport
des toves à l’imaginaire d’Alice, et cite
indirectement l’un des films du cinéaste
qui l’a le plus influencé : Pour épater les
poules, de Charley Bowers (1925) 3.
Nous ne sommes pas, tout compte fait,
si éloigné de la logique de Carroll qui
écrivait dans un commentaire sur Alice à
la scène : « Alice et le Miroir sont presque
entièrement faits de pièces et de morceaux, d’idées détachées qui me vinrent
à l’esprit spontanément. »
Quant à Alice, dans ces deux séquences, elle est évidemment le personnage
le plus complexe. D’abord, parce qu’elle
est celle qui subit la plus profonde mutation. Elle est l’incarnation du « tournis de
la croissance », un questionnement sur la
possibilité d’« être libre ». Lewis Carroll
faisait dire au ver à soie : « Lorsqu’il vous
faudra vous transformer en nymphe –
cela vous arrivera un jour, savez-vous –
et ensuite en papillon, je pense que cela
vous paraîtra plutôt bizarre… »
La mise en scène de cette transformation
de la petite Alice en vraie jeune fille est
la métaphore du passage cité. Elle repose
avant tout sur la mise en place d’un rapport dynamique entre Alice et l’espace
où elle se trouve. L’espace est traité en
tant que personnage, comme un élément
vivant.
Au début de la séquence 13, Alice poupée regarde au-dessus d’elle. Contrechamp : nous sortons brutalement de la
réalité imaginée de la pièce pour découvrir, en une contre-plongée qui insiste
sur l’écrasement d’Alice, une cour fermée d’immeubles pragois. La lumière
bleutée, cadavérique, qui l’environne et
qui vient se refléter sur le visage d’Alice,
ajoute à l’installation de la thématique
de l’enfermement et de la claustrophobie. Ce plan, outre qu’il situe l’Alice de
Švankmajer dans la Tchécoslovaquie de
la fin des années quatre-vingt, dit immédiatement qu’Alice est piégée.
Lait, matrice, plâtre ? Quand Alice tombe
dans la cuve, le mécanisme qui régit tout
le film – le mécanisme d’emboîtement et
d’opposition du corps à la réalité, très
proche de la construction carrollienne
du rêve dans le rêve dans le rêve, etc. –,
en en livrant un nouvel avatar, redouble
l’enfermement d’Alice. La chrysalide est
devenue visible.
L’espace, singulièrement rétréci désormais, est alors décrit par défaut, par le
regard, seul vivant, de Kristina Kohoutova. Regard inquiet, affolé, surjoué à la
manière d’un mime ou d’un clown, qui
n’est pas sans rappeler celui de Giulietta
Masina dans La Strada.
C’est le regard qui, dans ces plans, dit
l’espace clos, et suggère en même temps
le tourment du corps d’Alice, qui va se
poursuivre, pour aboutir à l’éclosion,
dans la séquence suivante.
Plus que d’une éclosion, c’est d’une déchirure qu’il s’agit. En grandissant, le
corps se fait violence. Le carcan-sarcophage d’où émerge Alice devient emblématique de l’épilogue des deux séquences et du film dans son entier : tout
espace est enfermement. Tout espace est
trompe-l’œil et emboîtement. Thème
24 — Analyse de séquence
que le lieu de la cave va développer plus
amplement.
Sons et chromatisme
Ce thème de la claustrophobie, que
Švankmajer revendique en précisant :
« Dans mon Alice il y a beaucoup plus
d’angoisse que chez Lewis Carroll parce
que c’est basé sur mes propres expériences4 », est, dans les deux séquences, symétriquement traité par la bande-son et
les choix chromatiques.
Jan Švankmajer m’avait dit à Prague :
« Je ne me rappelle pas avoir, dans mes
rêves, entendu une quelconque musique. De plus le monde est assourdi par la
musique, qui supplée en fait aujourd’hui
à toute culture [… J. Les sons réels intensifient l’authenticité du fantastique. »
Dans les séquences 13 et 14, cette intensification repose sur la mise en exergue de
sons qui suggèrent des matières dures,
denses, aux perspectives limitées (bruits
de bois, d’objets traînés sur le sol, cliquetis mécaniques, grincements, clef, clochettes, tic-tac, etc.) et qui jouent de leur
réverbération. Elle s’appuie aussi sur
une véritable « composition suggestive »
qui évoque des sons organiques, donc
des sons « intérieurs » : nous revoici face
aux corps. La coquille des œufs qui se
brise, la dégurgitation qui accompagne
les jeunes toves, l’écho mat de la viande,
le fourmillement sourd des cafards, tous
y font allusion, jusqu’au « Aïe ! » distancié et mécanique d’Alice ou aux hennissements des « poules ».
Chromatiquement, les deux séquences
baignent tout entières dans une domi-
Image-ricochet — 25
nante blanche, grise et beige, renforcée
de temps à autre par l’opposition très
contrastée et colorée, surtout dans les
rouges, des vêtements du Lapin blanc et
des toves. Ce chromatisme est rarement
lumineux, sauf lorsqu’il joue d’un dehors supposé, par exemple lorsqu’Alice
découvre la cave. Il semble absorber les
objets et les personnages qu’il contient,
à l’unisson de la thématique claustrophobe.
Subversion d’un archétype
Tournées en majeure partie dans la cave
et le grenier de l’atelier de prédilection
de Jan Švankmajer, ces deux séquences,
au-delà du fil apparent ou des jeux de
correspondances, sont bâties sur une
discontinuité narrative qui, comme dans
les rêves, esquive et rejette le principe de
causalité. Dans cet univers de pression
onirique, tout assaille Alice, la contraint
et la menace obscurément. Ce faisant, Jan
Švankmajer nous introduit au cœur de sa
symbolique et parvient à s’adresser ainsi
à la fois à de jeunes enfants et à l’enfant
qui en nous sommeille… parfois.
Dans ces deux séquences, Jan Švankmajer
subvertit évidemment l’imagerie qui
s’attachait jusque-là au personnage
d’Alice. Il en propose une nouvelle interprétation où sont implicitement convoquées les pulsions primaires d’Alice et
celles des spectateurs.
Alice est évidemment la manipulatrice
de son imaginaire, le double de Jan
Švankmajer. Elle met en scène la croyance hermétiste du réalisateur, sa foi dans
la vie des objets. Alice, en quête de son
identité, est momentanément chosifiée.
Son parcours initiatique la conduit de
l’état de chose parmi les choses à une définition vivante et sexuée.
Désir et frustration sont au centre de
ce qu’elle essaie de nommer. Sa bouche
n’est capable de traduire qu’une pensée consciente, immédiate. Son rapport
direct aux objets lui fait éprouver le
monde dans son opacité : par exemple,
les symboles du désir et du rejet du phallus abondent (le tove qui jaillit hors du
pot de confiture, les clous qui sortent du
pain, la fameuse paire de ciseaux que le
Lapin blanc l’a envoyée chercher et qui
est à l’origine du drame des deux séquences, et, bien évidemment, la clé qui
mène à la solution).
Comme chez Carroll, ce rapport aux objets, perçus vivants et morts à la fois par
Alice, travaille la frustration et le cannibalisme enfantins (écho carrollien : « Si
l’on se fait au doigt, avec un couteau,
une coupure très profonde, cela saigne
généralement. »).
Ces différentes expériences et leurs interprétations sont passées, pour Alice,
par la fonction digestive, par l’ingurgitation. La sagesse prudente dont elle fait
montre à partir de la séquence 15 en est
la preuve. Alice a grandi. Alice n’est plus
ce qu’elle était.
Le Langage des lignes et autres essais sur le cinéma d’animation, Marcel Jean, Cinéma les 400 coups, Canada,
Québec, 1995.
2
Traduction d’Henri Parisot, voir Bibliographie, p. 23.
3
Cf. Cahier de notes sur… 5 Burlesques.
4
Positif n° 345, p. 45, entretien avec Michel Ciment et
Lorenzo Codelli.
1
Une image-ricochet
Esquisse de Lewis Carroll pour Alice in Wonderland.
Elle a paru dans Visages d’Alice, livre réalisé
à l’occasion de l’exposition organisée par la BPI,
Centre Georges Pompidou en 1983 (Éditions Gallimard).
Cette esquisse déposée au Christ Church College fait partie
de la collection particulière de Mary St Clair, arrière petite-fille
d’Alice Liddell, qui inspira le personnage d’Alice
(D. R. Photo Pierre Pitrou).
26 — Promenades pédagogiques
Promenades pédagogiques — 27
Promenades pédagogiques
Même s’il semble aller de soi que la meilleure « exploitation
pédagogique » passe par le texte de Lewis Carroll, il ne nous
semble pas opportun de l’envisager comme piste première.
Cette opinion et cette intuition renvoient au caractère
particulier du film de Jan Švankmajer. Ne vaut-il pas mieux
partir de lui, travailler sur les traces durables que laissent ses
images, pour redécouvrir ou découvrir en fin de parcours
l’origine carrollienne ?
Pour ces raisons, nous retenons quelques thèmes essentiels, qui font sans doute écho aux questions que se posent les
enfants à la sortie de la projection : Comment raconter un rêve
au cinéma ? L’importance du décor, qui devient un personnage. L’importance des objets et des couleurs pour traduire cela.
L’importance du personnage humain : comment choisit-on un
enfant pour jouer dans un film ? L’importance du son, toujours dans la même hypothèse. Montage et collage. Truquage.
Sources du récit.
Le rêve au cinéma
Le film de Jan Švankmajer peut fasciner des enfants qui,
confusément, ressentiront son rapport au rêve. Rien ne s’explique, tout est « magique ». Avant que d’essayer des explications techniques, forcément maigres et incomplètes, il est sans
doute beaucoup plus fructueux de laisser l’onirisme latent,
que le spectacle cinématographique aura libéré, s’exprimer.
Il serait sans doute intéressant de suggérer aux jeunes spectateurs de raconter le film qu’ils ont vu, et de le raconter avec
leurs moyens : écriture, dessins, collages, enregistrements… A
priori, ce matériau tournera certainement autour de la fascination pour tout ce qui fonctionne seul, sans l’aide apparente de
l’adulte : la poupée, les jouets, la maison de poupée, etc.
Peut-être est-il possible d’envisager, à partir d’une telle
approche, des petits jeux dessinés ou racontés de « cadavres
exquis » de rêves notamment…
Le décor comme personnage
De la même façon, le décor, qui renvoie de manière prononcée tout au cours du film à un espace fermé mais souvent ludique – celui de la maison de poupée, du jardin du Lapin blanc
ou de l’appartement de la Reine envisagés comme décors de
théâtre – ou à un jeu avec des objets, peut susciter une réflexion
et des exercices autour des notions d’espace et de décors.
De tels exercices, qui ont déjà eu lieu à l’initiative de certains instituteurs et animateurs lors de la sortie du film, ont
parfois débouché sur des « re-créations » de décors avec des
matériaux de récupération et sur une appréhension de « readymade » simplifiés.
Objets et couleurs
Les enfants sont toujours sensibles aux détails qui habitent la mise en scène de Jan Švankmajer : les objets qu’utilisent
les personnages, tous confondus, sont des objets quotidiens.
Le Lapin a des ciseaux, une montre, de petits gants et mange
avec une « vraie » cuillère dans un « vrai » fait-tout. Les toves
sont amusants parce qu’ils sont constitués d’objets reconnaissables, qui deviennent des membres ou des parties de corps.
Tous les objets présents dans le rêve d’Alice sont d’abord inscrits dans l’espace réel de sa chambre.
Chacun d’entre eux est repérable, non seulement par sa
forme mais aussi par sa couleur : le bleu de la petite marmite
revient souvent.
Tout un travail d’inventaire, d’association, de composition est également possible par ce biais. Il peut certainement
aboutir parfois à des tentatives d’appréhension de la notion
difficile de symbole.
Le casting
La présence d’Alice interroge et fascine elle aussi : comment un enfant est-il choisi pour jouer un tel rôle dans un
film ? Outre expliquer la démarche de Jan Švankmajer dans sa
sélection et la manière dont il a tourné avec Kristina Kohoutova (Voir Autour du film, p. 3), la question permet évidemment
d’approcher la notion de casting et du rapport qu’elle entretient avec ce qu’est un « personnage cinématographique ».
Le son
En se basant sur la seule mémoire des enfants, il peut
être intéressant de « ressusciter » le son. Deux aspects sont
à prendre en compte : le réalisme du son, que les enfants
retiennent aisément, et sa reproduction ; des exercices d’enregistrements sonores autour de bruits réalistes pour écouter l’effet produit et la possibilité de découvrir ce que c’est
qu’un son réverbéré.
Montage et collage
Il est possible aussi, toujours à partir du souvenir des enfants, de travailler les deux notions de montage et de collage
sous différents angles.
Le montage peut donner lieu à des explications et à des
discussions sur le rythme et le sens d’un récit cinématographique. Plusieurs expériences ont déjà eu lieu dans cette direction qui se fondent sur des éléments statiques (dessins,
photos) ou des expériences avec des caméras amateurs.
Mais, avec Alice, le montage peut entraîner dans deux
autres directions : une réflexion sur la vitesse de succession
des images et, surtout, une approche comparative d’autres
collages, en papier ceux-là. Manière de découvrir « facilement » certains jeux surréalistes…
Truquages
À un moment donné, la question inévitable surgit : comment Švankmajer a-t-il réussi à filmer une vraie petite fille et
des jouets qui bougent, à faire grandir et rapetisser Alice, et la
maison, et ainsi de suite ?
Occasion évidemment d’expliquer la différence entre la
prise de vue réelle et le cinéma d’animation, occasion aussi
d’« appliquer » ou d’expliquer quelques notions sur la naissance du truquage dans l’histoire du cinéma (avec Méliès
notamment), occasion enfin de détailler plus précisément le
principe d’un tournage d’animation en volume (image par
image) et d’évoquer l’importance d’un travail en laboratoire
28 — Promenades pédagogiques
Adaptations cinématographiques – 29
Adaptations cinématographiques
1
4
2
5
où sont superposés deux filmages indépendants. Quelques
éléments d’approche sont à votre disposition dans Le point
de vue et Autour du film.
Sources
Quatre types de sources sont à distinguer, qui toutes quatre peuvent donner lieu à des exercices spécifiques.
La source première, celle de Lewis Carroll, n’est plus à
présenter. Les ouvrages autour de celle-ci sont abondants. Il y
a surtout l’embarras du choix. Pour les plus petits, les comptines y occupent une place importante. À noter que les chapitres transposés dans le film sont les suivants : Descente dans
le terrier du lapin. La mare de larmes. Le lapin fait donner le
petit Bill. Les conseils du ver à soie. Cochon et poivre. Un thé
chez les fous. Le terrain de croquet de la Reine. Qui a dérobé
les tartes ? La déposition d’Alice.
3
6
La seconde est la source graphique. À elle seule, elle peut
constituer l’alimentation d’une véritable recherche et d’un
parcours visuel : on ne compte plus les représentations d’Alice
et de son bestiaire.
La troisième est celle dont s’inspire directement le film : le
surréalisme. Elle peut évidemment donner lieu à la fois à des
découvertes littéraires et plastiques.
Enfin, la quatrième est celle du genre cinématographique
lui-même et de ses origines culturelles et géographiques : le
cinéma d’animation en volume, faisant appel à la marionnette, est issu à la fois de la Russie et de la Tchécoslovaquie. Quelques grands noms font encore la joie de jeunes spectateurs :
Ladislas Starewitch (Russe, naturalisé français), Jiri Trnka
(père de la marionnette tchèque, très éloigné de l’esthétique
de Švankmajer).
On dénombre dans le monde, sur les cent ans d’histoire du cinéma, environ une trentaine d’adaptations cinématographiques,
tous genres et supports confondus, consacrées à Alice et à ses différentes versions écrites. Nous en proposons ici quelques morceaux choisis, par ordre chronologique1. Alice in Wonderland est noté AIW.
1903 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Cecil Hepworth, G.-B.
1909 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Edwin S. Porter, E.-U.
1910 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Thomas A. Edison, E.-U.
1918 – Old Father William, Lancelot Speed, dessin animé anglais pour la propagande de guerre, basé sur un poème de Lewis
Carroll tiré des Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, « Les conseils du ver à soie ».
1923-1926 – Alice au pays du dessin animé ou Le Merveilleux pays d’Alice (Alice Comedy), Walt Disney et Ob Iwerks, E.-U.
1933 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Norman McLeod, E.-U.
1948 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Lou Bunin, Marc Maurette, Dallas Bower, coproduction Fr., G.-B., E.-U.,
versions en français et en anglais.
1951 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Walt Disney, E.-U.
1966 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), Jonathan Miller, G.-B.
1966 – Alice à travers le miroir, Alan Handley, pour la NBC, acteurs : Agnes Moorehead, Jack Palance, Ricardo Montalban, E.-U.
1970 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, Jean-Christophe Averty, Fr.
1970 (années) – 17x30’, Tomfoolery, John Halas d’après les poèmes d’Edward Lear et Lewis Carroll, pour NBC, E.-U.
1973 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles (AIW), pour Arthur Rankin Jr. et Jules Bass, Blue Kids video 1992, E.-U.
1975 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, version érotique, Bud Townsend, E.-U.
1985 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, série T.V., prod. Apollo Films pour la télévision, Coproduction Autr., Cana., Jap.
1985 – Alice in Wonderland, Harry Harris, deux parties, E.-U.
1987 – De l’autre côté du miroir, Jameson Brewer, E.-U., Austr.
1988 – Les Aventures d’Alice au Pays des Merveilles, Alex Nicholas, coproduction E.-U., Austr., Esp.
1988 – Alice, Jan Švankmajer, Tchécoslovaquie..
1
Extrait, avec l’aimable autorisation de son auteur, de « Identité et spatialité dans les adaptations filmiques de Lewis Carroll, Alice de Jan Švankmajer »,
Florence Livolsi, 1995.
30 – Petite bibliographie - Glossaire
Petite bibliographie
Sur Alice et sur Jan Švankmajer
– Klaus Jürgen Gerke, Pascal Vimenet, Dossier de presse Alice,
1989.
– Michel Ciment, Lorenzo Codelli, « Entretiens avec Jan
Švankmajer », Positif n° 345, 1989.
– Pascal Vimenet, « Jan Švankmajer, jeu sur le rêve », Cahiers
du cinéma n° 424, 1989.
– « Jan Švankmajer. L’Inanimateur », catalogue des 12e Journées Internationales du Cinéma d’Animation d’Annecy, 1985,
CICA, p. 102 / 122 p. (Texte en français de Gilles Dunant).
– Eva et Jan Švankmajer, « La contamination des sens », catalogue d’exposition Annecy, juin 1991.
– « Jan Švankmajer, un surréaliste du cinéma d’animation »,
catalogue rétrospectif du musée d’Art moderne et Contemporain de Strasbourg, Édition Ciné-Fils, 15-27 janvier 1999.
– Marcel Jean, in Le Langage des lignes et autres essais sur le cinéma
d’animation, Cinéma les 400 Coups, Québec, Canada, 1995.
– Florence Livolsi, Thèse de doctorat sous la direction
d’Hélène Puiseux, « Identité et spatialité dans les adaptations filmiques d’Alice de Lewis Carroll » – « Alice de Jan
Švankmajer », 1995.
– Švankmajer E & J bouche à bouche, coordination Pascal Vimenet, collectif (huit auteurs), bilingue, iconographie inédite,
Éditions de l’Œil, 2002 (Prix du livre « Art et essai » HenriGinet 2002, décerné par le CNC).
– Gregorio Martin Gutiérrez, La Magia de la subversion, collectif, en espagnol, T & B editores, 2010.
– Charles Jodoin-Keaton, Jan Švankmajer un surréalisme animé,
Rouge profond, réédition 2011.
Sur Alice et Lewis Carroll
– Lewis Carroll, Tout Alice, Garnier-Flammarion, 1979, traduction Henri Parisot.
Petite bibliographie - Glossaire — 31
– Lewis Carroll, une vie, de Jean Gattégno Editions Points « Biographie », 1984.
– Album Lewis Carroll, Jean Gattégno, Gallimard, « La
Pléiade », 1990.
– Lewis Carroll au pays des merveilles, Stéphanie Lovett Stoffel,
Découvertes Gallimard, 1997.
– Lewis Carroll et la persistance de l’image, Lawrence Gasquet,
Presses universitaires de Bordeaux, 2009.
Glossaire
suivant. Classiquement, ce raccord implique une nette différence de taille et/ou d’axe entre les deux plans, mais est réalisé de façon à ce qu’on sente une continuité entre ces deux
mêmes plans.
Champ : désigne le fragment d’espace donné à voir, délimité
par les quatre côtés du cadre.
Contrechamp : désigne le fragment d’espace opposé (à 180°)
au champ.
Champ-contrechamp : figure combinant alternativement les
deux figures précédentes.
Hors-champ : désigne tout l’espace non montré par le champ,
mais dont l’existence est suggérée par celui-ci.
Plan : deux définitions possibles, selon le point de vue
adopté.
1) Point de vue du tournage. Le plan correspond au métrage
de pellicule enregistré entre le moment où l’on met le moteur de la caméra en marche et celui où on l’éteint. C’est donc
d’abord une unité indivisée, sans coupe. 2) Point de vue du
montage (du film terminé : l’usage du terme est donc plus
fréquent qu’en 1) : le plan décrit en 1 est fréquemment divisé
en plusieurs unités, également nommées « plans », exemplairement dans le champ-contrechamp (voir ce terme). Le
terme désigne alors la longueur de pellicule comprise entre
deux collures. Sauf en cas de montage extrêmement rapide, le
passage d’un plan à un autre est en généraI très sensible. Ce
passage s’appelle un raccord.
N.B. Dans un tout autre sens, le mot plan est aussi utilisé pour
désigner la taille de ce qui est visible à l’écran (gros plan, plan
d’ensemble, etc.), ou encore pour désigner diverses profondeurs dans l’espace (premier plan / arrière-plan par exemple).
Raccord dans le mouvement : désigne un raccord où un mouvement est amorcé dans un plan, et poursuivi dans le plan
Off : se dit d’un son (voix, bruit, musique, etc.) dont l’origine
ne se situe pas dans le champ. (Contraire : in).
Mouvements de caméra : les deux mouvements de base sont
le travelling et le panoramique. Ces deux mouvements ne
s’excluent pas forcément : ils peuvent être combinés l’un à
l’autre.
Dans le cas du panoramique, la caméra, fixée sur un pied fixe
(ou une épaule, dans le cas d’un tournage à la main) effectue
une rotation horizontale de gauche à droite (panoramique
gauche-droite) ou de droite à gauche (panoramique droitegauche), ou un mouvement vertical de bas en haut ou de haut
en bas. Un panoramique peut également balayer l’espace en
diagonale.
Dans le cas du travelling, la caméra est fixée sur un objet
en mouvement (chariot sur rails, voiture, etc.). Elle peut se
déplacer latéralement (travelling latéral gauche-droite ou
droite-gauche), en avançant (travelling avant) ou en reculant
(travelling arrière).
Alain Philippon
Sur l’animation…
Mutoscope : flip-book monté sur un axe mobile, le premier
appareil de vérification de la fluidité du mouvement inventé
par Winsor McCay, le père de Little Nemo.
Banc-titre : caméra spécialisée pour le cinéma image par
image, elle ne filme pas en continu. Habituellement le banctitre est composé d’un plateau horizontal, fixe ou mobile et
d’un axe vertical, perpendiculaire au plateau, qui permet à
la caméra de se déplacer. Les bancs-titres sont à présent commandés par ordinateur. La caméra de banc-titre peut également s’utiliser horizontalement, ce qui se pratique pour tous
les films d’animation en volume.
Pixillation : terme introduit par le cinéaste canadien Norman
McLaren, qui le définit ainsi : « Cette technique d’animation
image par image de personnages humains consiste à appliquer aux acteurs les principes normalement utilisés pour la
photographie des films d’animation et des dessins animés.
(…) La technique n’est pas nouvelle. Elle trouve son origine
dans les premiers films français de l’époque de Méliès, alors
qu’on arrêtait la caméra en cours de tournage afin d’effectuer
des truquages. »
Live : terme emprunté au vocabulaire anglo-saxon pour désigner la prise de vues réelles.
32 —
Dans la même collection,
Cahier de notes sur…
– 1, 2, 3... Léon ! programme de courts métrages, écrit par Pierre Lecarme.
– Mon voisin Totoro de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Alice de Jan Svankmajer, écrit par Pascal Vimenet.
– La Nuit du chasseur de Charles Laughton, écrit par Charles Tesson.
– 5 Burlesques américains, écrit par Carole Desbarats.
– Un animal, des animaux de Nicolas Philibert, écrit par Carole Desbarats.
– L’Argent de poche de François Truffaut, écrit par Alain Bergala.
– Les Aventures de Pinocchio de Luigi Comencini,
écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Les Aventures de Robin des Bois de William Keighley et Michael Curtiz,
écrit par Pierre Gabaston.
– Azur et Asmar de Michel Ocelot, écrit par Bernard Genin.
– La Belle et la Bête de Jean Cocteau, écrit par Jacques Aumont.
– Le Bonhomme de neige, de Dianne Jackson, écrit par Marie Diagne.
– Bonjour, de Yasujiro Ozu, écrit par Bernard Benoliel.
– Boudu sauvé des eaux, de Jean Renoir, écrit par Rose-Marie Godier.
– Le Cerf-volant du bout du monde de Roger Pigaut, écrit par Gérard Lefèvre.
– Chang de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack,
écrit par Pierre-Olivier Toulza.
– Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly,
écrit par Carole Desbarats.
– Le Cheval venu de la mer de Mike Newell, écrit par Émile Breton.
– Le Chien jaune de Mongolie de Byambasuren Davaa, écrit par Marcos Uzal.
– Le Cirque de Charlie Chaplin, écrit par Charles Tesson.
– Contes chinois de Te Wei, Hu Jinqing, Zhou Keqin, Ah Da,
écrit par Christian Richard, assisté d’Anne-Laure Morel.
– Les Contes de la mère poule, de Farkhondeh Torabi et Morteza Ahadi Sarkani,
écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Les Contrebandiers de Moonfleet de Fritz Lang, écrit par Alain Bergala.
– Le Corsaire rouge de Robert Siodmak, écrit par Michel Marie.
– Courts métrages, écrit par Jacques Kermabon.
– Nouveau programme de courts métrages (deux programmes)
écrit par Yann Goupil et Stéphane Kahn.
– La Croisière du Navigator de Buster Keaton,
écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Les Demoiselles de Rochefort de Jacques Demy, écrit par Michel Marie.
– Edward aux mains d’argent de Tim Burton,
écrit par Hervé Joubert-Laurencin et Catherine Schapira.
– L’Étrange Noël de M. Jack d’Henry Selick et Tim Burton,
– Nanouk, l’Esquimau de Robert Flaherty, écrit par Pierre Gabaston.
– Où est la maison de mon ami d’Abbas Kiarostami, écrit par Alain Bergala.
– Paï de Niki Caro, écrit par Pierre-Olivier Toulza.
– Le Passager d’Abbas Kiarostami, écrit par Charles Tesson.
– Peau d’Âne de Jacques Demy, écrit par Alain Philippon.
– La Petite Vendeuse de Soleil de Djibril Diop Mambety, écrit par Marie Diagne.
– Petites z’escapades, écrit par Marie Diagne.
– Le Petit Fugitif de Morris Engel, Ruth Orkin, Ray Ashley,
écrit par Alain Bergala et Pierre Gabaston.
– La Planète sauvage de René Laloux, écrit par Xavier Kawa-Topor.
– Ponette de Jacques Doillon, écrit par Alain Bergala.
– Porco Rosso de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Princes et Princesses de Michel Ocelot, écrit par Xavier Kawa-Topor.
– Princess Bride de Rob Reiner, écrit par Jean-Pierre Berthomé.
– La Prisonnière du désert de John Ford, écrit par Pierre Gabaston.
– Rabi de Gaston Gaboré, écrit par Luce Vigo.
– Regards libres. Cinq courts métrages à l’épreuve du réel,
écrit par Jacques Kermabon, Amanda Robles et Olivier Payage.
– Le Roi des masques de Wu Tian-Ming, écrit par Marie Omont.
– Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault, écrit par J.-P.Pagliano.
– La Ruée vers l’or de Charles Chaplin, écrit par Charles Tesson.
– Sidewalk stories de Charles Lane, écrit par Rose-Marie Godier.
– Storm Boy d’Henri Safran, écrit par Luce Vigo.
– La Table tournante de Paul Grimault, écrit par J-P. Berthomé.
– U de Grégoire Solorateff et Serge Elissalde, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Les Vacances de Monsieur Hulot de Jacques Tati, écrit par Carole Desbarats.
– La Vie est immense et pleine de dangers de Denis Gheerbrant
rédaction collective (A. Bergala, D. Gheerbrandt, D. Oppenheim,
M.-C. Pouchelle, C. Schapira).
– Le Voleur de Bagdad de Berger, Powell, Whelan, écrit par Émile Breton.
– Le Voleur de bicyclette de Vittorio De Sica,
écrit par Alain Bergala et Nathalie Bourgeois.
– Le Voyage de Chihiro de Hayao Miyazaki, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Zéro de conduite de Jean Vigo, écrit par Pierre Gabaston.
écrit par Pascal Vimenet.
– Le Garçon aux cheveux verts de Joseph Losey, écrit par Jacques Aumont.
– Garri Bardine, six films courts, (deux programmes) écrit par Pascal Vimenet.
– Gauche le violoncelliste de Isao Takahata
écrit par Ilan Nguyen et Xavier Kawa-Topor.
– Gosses de Tokyo de Yasujiro Ozu, écrit par Fabrice Revault d’Allonnes.
– L’Histoire sans fin de Wolfgang Petersen, écrit par Pascal Vimenet.
– L’Homme invisible de James Whale, écrit par Charles Tesson.
– L’Homme qui rétrécit de Jack Arnold, écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Jacquot de Nantes de Agnès Varda, écrit par Michel Marie.
– Jason et les Argonautes de Don Chaffey, écrit par Antoine Thirion.
– Jeune et innocent d’Alfred Hitchcock, écrit par Alain Bergala.
– La Jeune Fille au carton à chapeau de Boris Barnet, écrit par Stéphane Goudet.
– Jiburo de Lee Jeong-hyang, écrit par Charles Tesson.
– Jour de fête de Jacques Tati, écrit par Jacques Aumont.
– Katia et le crocodile de Vera Simkova et Jan Kusera,
écrit par Anne-Sophie Zuber.
– King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack,
écrit par Charles Tesson.
– Kirikou et la sorcière de Michel Ocelot,
écrit par Luce Vigo et Catherine Schapira.
– Lumière, écrit par Vincent Pinel.
– Le Magicien d’Oz de Victor Fleming, écrit par Carole Desbarats.
– Le Mécano de la « General » de Buster Keaton,
écrit par Hervé Joubert-Laurencin.
– Le Monde vivant d’Eugène Green, écrit par J.-C. Fitoussi.
Cahier de notes sur…
Édité dans le cadre du dispositif École et Cinéma,
par l’association Les enfants de cinéma
Rédaction en chef : Eugène Andréanszky.
Mise en page : Thomas Jungblut.
Photogrammes : Laboratoire Pro Image Service.
Repérages : Junko Watanabe.
Impression : Raymond Vervinckt.
Directeur de la publication : Eugène Andréanszky.
Secrétaire de rédaction : Delphine Lizot.
Ce Cahier de notes sur... Alice a été édité dans le cadre du dispositif
École et Cinéma initié par le Centre national du cinéma et de
l’image animée, ministère de la Culture et de la Communication,
et la Direction générale de l’Enseignement scolaire, le SCÉRÉNCNDP, ministère de l’Éducation nationale.
© Les enfants de cinéma, septembre 2011
Les textes et les documents publiés dans ce Cahier de notes sur…
ne peuvent être reproduits sans l’autorisation de l’éditeur.
Le code de la propriété intellectuelle interdit expressément la
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