Son « Alice au pays des merveilles » emballe le box

Transcription

Son « Alice au pays des merveilles » emballe le box
INTERVIEW
Merveilleux
TIM BURTON
Son « Alice au pays des merveilles » emballe le box
office américain, il vient d'être fait chevalier des Arts
et Lettres par Frédéric Mitterrand et présidera en mai
le Festival de Cannes. Depuis quelques semaines,
Tim Burton est le point de mire de tous les amoureux
du cinéma.Propos recueillis par Adélaïde de Clermont-Tonnerre
AVEC DES FILMS comme Edward aux
mains d’argent, Charlie et la Chocolaterie ou
Sweeney Todd, ce réalisateur aussi chevelu
qu’excentrique est devenu le maître
contemporain du fantastique. Il creuse
encore ce sillon en s’inspirant d’Alice, le
personnage fétiche de Lewis Carroll. Ce
film marque sa sixième collaboration avec
Helena Bonham Carter, sa compagne et la
mère de ses deux enfants. Le record est
pourtant battu par Johnny Depp avec
lequel le réalisateur travaille pour la septième fois et qu’il décrit ainsi : « Un morceau de viande que je peux modeler à ma
guise ! Et pour un film où les acteurs jouent
la comédie dans le vide et doivent constamment faire appel à leur imagination, vous
ne voulez pas de method acting, vous voulez
de l’exubérance, vous voulez de l’impro.
Vous voulez Johnny Depp. » Venu au
George V présenter son film (en salle le
24 mars), il a été à la hauteur de sa légende.
Pourquoi Alice… ?
C’est l’idée de combiner cet univers merveilleux avec la 3D qui m’a donné envie de
faire le film. Il existe à ma connaissance
28 différentes versions d’Alice dont une
comédie musicale pornographique… Je les
ai toutes vues, mais aucune ne me plaisait
totalement. Les personnages de Lewis
Carroll ont toujours été représentés de
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manière trop littérale, volontairement
absurde. J’ai voulu explorer ce qu’il y a de
commun entre la vie onirique et la vie
réelle. Montrer que l’une n’exclut pas l’autre, mais qu’elles s’enrichissent. Le monde
de la fantaisie doit être utile pour explorer
nos vrais problèmes et comprendre la réalité du monde.
Le rêve et la réalité sont donc
indissociables ?
Depuis mon plus jeune âge, je me bats
contre une société répressive vis-à-vis de
l’imaginaire, qui cherche à unifier les uns
et les autres dans une même catégorie. Je
veux au contraire célébrer le rêve, la nature
artistique, profondément individuelle de
chacun. Que je m’intéresse à l’époque victorienne ou à aujourd’hui, pour moi, ce
combat est quotidien. C’est ce que vous
pouvez voir dans mes films.
Connaissiez-vous Alice ?
Je connaissais bien sûr le personnage
d’Alice, mais pas grâce aux livres. Je viens
de Burbank en Californie et là-bas, on ne
lit pas beaucoup. Je l’ai surtout découverte
à travers des groupes de musiques, des
chansons et les images que certains illustrateurs faisaient d’elle. L’imaginaire de
Carroll possède un pouvoir extraordinaire.
Vous avez tendance à vous méfier des
images de synthèse, mais pour ce film
vous avez utilisé des moyens extrêmement
modernes. Votre regard a-t-il changé sur
les effets spéciaux ?
Je ne suis pas quelqu’un de très technique.
Je préfère les prises de vue réelles parce que
j’aime toucher les choses. Le monde virtuel
est plus éloigné. Ce qui est important, c’est
que l’animation soit presque un acteur de
son art et que les personnages aient de
l’âme. L’histoire d’Alice est une sorte de
voyage et la 3D permettait une immersion
totale. Cette technique n’est pas un effet de
mode. Elle va perdurer.
Pouvez-vous nous parler de Mia
Wasikowska, l’actrice qui joue Alice ?
Dans les 28 versions que j’ai regardées,
Alice est une jeune fille insupportable qui
annone « Oh que c’est bizarre ! » en rencontrant des personnages farfelus. Il n’y
© GIANCARLO GORASSINI/ABACA
Le réalisateur
lors de la
première à Paris,
avec Helena
Bonham Carter,
sa dame de cœur
à la ville…
et à l’écran.
avait pas de fondement et pas d’âme dans
l’histoire. Lorsque j’ai vu Mia pour la première fois, je l’ai trouvée jeune, mais elle
avait une maturité, une vieille âme. Elle a
quelque chose d’adulte, de sérieux, une vie
interne perceptible quand on la voit.
Comme on ne l’avait jamais vraiment vue
au cinéma, elle donnait en outre une fraîcheur à ce personnage.
Dans le film, Johnny Depp a les dents du
bonheur, tout comme sa femme Vanessa
Paradis. C’était un clin d’œil ?
Johnny Depp devient français ! Quand je
l’ai connu, ses dents étaient bien collées et
au fil des années, elles se sont écartées. Il
m’a lui-même parlé de cette ressemblance… Mais son personnage a été en réalité inspiré par l’acteur britannique Terry
Thomas. On peut dire que c’est un
mélange de Terry Thomas et de Vanessa.
Mais ne dit-on pas que dans un couple
fusionnel, on finit par se ressembler ?
Que signifie pour vous la présidence du
festival de Cannes ?
C’est un plaisir et un honneur extrêmes. Je
suis très impatient. Depuis quelques
années, je suis enfermé dans cette pièce
verte fabriquée pour les effets spéciaux
d’Alice et loin du cinéma. Voilà enfin une
merveilleuse occasion de me reconnecter
avec l’univers des films et Cannes, c’est un
peu le pays des merveilles des cinéphiles.
Et votre carrière, ce n’est pas un peu
« Tim au pays des merveilles » ?
Tout ce que j’ai fait n’a pas forcément été
un succès ! Mon pays des merveilles, c’est
lorsque je tourne un film. C’est fou, surréel, léger et sombre, drôle et tragique :
toute la beauté du cinéma ! Être sur un
tournage avec les acteurs, de vrais artistes,
ce que j’appelle ma drôle de famille, voilà
ce que je préfère. J’oublie tout. Que le
cinéma, c’est du business, que c’est aussi
une industrie. La seule chose qui m’importe, c’est de faire quelque chose d’artistique avec cette famille.
Apporterez-vous votre fantaisie à la
Croisette ?
L’important, c’est d’arriver à Cannes totalement disponible pour cette expérience. Il
ne faut pas aller là-bas avec des attentes.
Quand on tourne des films, être surpris est
de plus en plus difficile. Je veux arriver à
Cannes avec le cœur et l’esprit ouverts. ●
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