Les adaptations à l`écran des romans de Jane Austen

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Les adaptations à l`écran des romans de Jane Austen
Les adaptations à l'écran
des romans de Jane Austen
@ L'Harmattan,
2007
5-7, rue de l'Ecole polytechnique;
75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
[email protected]
harmattan [email protected]
ISBN: 978-2-296-03901-8
EAN : 9782296039018
Lydia MARTIN
Les adaptations à l'écran
des romans de Jane Austen
Esthétique et idéologie
L'Harmattan
DU MEME AUTEUR
Pride and Prejudice -Joe Wright, Liège: Editions
du CEFAL,
2006
Avertissement
Afin de différencier, dans cette étude, les romans de Jane Austen
de leurs adaptations à l'écran qui portent le même titre, les films sont
suivis de la date de leur production, ce qui permet aussi d'indiquer de
quelle version f1lmique il s'agit, dans le cas où l'œuvre source a été
portée plusieurs fois à l'écran.
Ex. Pride and Pr~judice1940, Pride and Prf!judice1995.
Cette notation s'applique également à NorthangerAbbey, même s'il
n'existe pour l'instant qu'une adaptation, NorthangerAbbey 1986.
Les pages indiquées entre parenthèses renvoient aux éditions
citées dans la bibliographie figurant à la f111de cet ouvrage.
La traduction des citations extraites des romans, des ouvrages
critiques et des f1lms en anglais a été assurée par l'auteur.
Liste des abréviations
p. : page
pl. : plan (dans les scénarios publiés)
s.d. : sans date
v. : vers
Introduction
Les travaux de recherche sur les adaptations cinématographiques
d'œuvres littéraires se multiplient de nos jours, accordant au cinéma,
longtemps sous-estimé en tant qu'objet d'étude, un intérêt inégalé.
Tandis que les Media Studies se développent parallèlement aux English
Studies, le préjugé néanmoins demeure dans la mesure où ces études
octroient une place privilégiée - autorité de l'écrit ou prérogative du
primat? - à l'œuvre originale au détriment du ftlm. Les critiques
d'œuvres littéraires sont nombreuses, celles d'œuvres cinématographiques le deviennent, mais il en est peu qui s'attachent en même
temps à ces deux productions artistiques, d'autant que la bipolarité
de cette démarche pose problème relativement à l'importance qu'il
convient d'accorder à chacun des deux médias. Parce qu'il attire un
public large, le genre cinématographique a souvent été négligé et
rattaché à la culture de masse; la considération va généralement au
média écrit qui semble demeurer l'apanage d'une élite, contrairement
au média visuel, qui paraît plus accessible.
Depuis une dizaine d'années, les concours nationaux de l'enseignement ont mis au programme du CAPES et/ou de l'agrégation
d'anglais des œuvres littéraires et leurs adaptations: Portrait of a Lady,
Short Cuts, The Dead, A StreetcarNamed Desire, Dracula et Pride and
Prf!judice2005, introduisant ainsi l'étude d'un média visuel. Le risque
d'une telle démarche est de se limiter à une comparaison minutieuse
des deux, en attachant une plus grande importance à l'œuvre littéraire
qu'à son adaptation dont la qualité serait alors jugée en fonction de
sa capacité à la respecter. Ce serait oublier que les spectateurs allant
voir une adaptation n'ont pas lu forcément le roman, et ne
trouveront donc d'intertextualité qu'en termes cinématographiques:
pour eux, l'adaptation se rapprochera d'un genre filmique populaire
qui leur est familier, contrairement au roman original souvent
méconnu. Clueless n'est, par exemple, qu'un nouveau « film pour
ados» (teenpics), sa source littéraire (Emma) échappant à la plupart
des spectateurs.
La majorité des œuvres littéraires et des films actuellement commercialisés - s'il convient de préciser « la majorité », c'est qu'il existe
des genres à part, telle cinéma documentaire - présente des récits de
fiction entraînant la possibilité de s'interroger sur la nature du monde
diégétique proposé qui sera construit par le lecteur/ spectateur, à
partir de suggestions et d'images du roman/film. Mais ce monde
existe par lui-même, ou, du moins, en donne l'illusion: mimétique, il
suggère une illusion de réalité. C'est pourquoi plusieurs critiques,
comme Ian Watt (The Rise Of The Nove4 p.297), attribuent à Jane
Austen la qualité d'auteur réaliste.
Il . va de soi que dans toute production, littéraire comme
cinématographique,
existent des choix de la part de l'auteur, des
aspects qu'il souhaite occulter ou, au contraire, mettre en exergue,
cela pour diverses raisons.
Il Y avait la grande et la petite maison; un goûter, un souper,
un pique-nique occasionnel; la vie était contenue dans le
cercle formé par des relations fortunées et des revenus
suffisants; il Y avait des routes boueuses, des pieds mouillés,
et, de la part des dames, une tendance à être fatiguées; pour
soutenir cette vie, quelques principes, le sentiment de son
importance ainsi que l'éducation communément reçue, à la
campagne, par les familles aisées de la bourgeoisie. Le vice,
l'aventure, la passion, elle les laissait dehors. (Virginia Woolf,
«Jane Austen », in Ian Watt, Jane Austen: A Collection of
Critical Essays, p. 19).
Il suffit de rappeler que Jane Austen écrit à la fin du 18e siècle et au
début du 1ge, et que son statut de femme ne lui permet pas de
revendiquer celui d'écrivain à part entière: Sense and SensibilitY est
publié de façon anonyme, mais la couverture du roman précise «By
a Lady». Austen souhaite que le lecteur prenne conscience qu'il s'agit
là d'un auteur féminin qui va conduire une réflexion sur l'opposition
apparente annoncée par le titre de son roman. L'époque à laquelle
elle vit, avec ses contraintes, façonne l'arrière-plan de ses récits qui
reflètent une vision personnelle de divers aspects de l'Angleterre.
Deux siècles plus tard, le cinéma s'empare de ce type de romans.
Si la première adaptation austenienne date de 1940, ce sont
néanmoins les années 1995-1996 qui les voient proliférer. En
l'espace de deux ans, pas moins de six adaptations ont vu le jour :
tout d'abord, les épisodes de Pride and PrEjudice,sur un scénario
d'Andrew Davies, diffusés en Angleterre en 1995; puis Sense and
SensibilitY d'Emma Thompson, Persuasion de Nick Dear, suivis de
Clueless d'Amy Heckerling. En 1996, Emma est porté deux fois à
l'écran. La dernière adaptation d'un roman de Jane Austen est celle
10
de Pride and Prr:judice, sortie dans les salles britanniques en septembre
2005 et dans les salles françaises en janvier 2006, faisant ainsi de ce
roman la source du plus grand nombre d'adaptations fondées sur
une œuvre austenienne. Une ftlmographie (p. 259) offre la liste des
ftlms et téléftlms étudiés dans cet ouvrage.
Les adaptations se classent suivant différentes catégories, selon
qu'il s'agit de ftlms d'époque, costumedramas, ou de «transpositions
proximisantes»
(notion proposée par Gérard Genette
dans
Palimpsestes, p. 431) se déroulant aussi bien dans le Beverly Hills
d'aujourd'hui
(Clueless) que dans l'Inde du Sud (Kandukondain,
Kandukondain). Comment les débats de l'époque de Jane Austen ontils pu être transcrits à l'écran deux siècles plus tard? Les origines
variées des films adaptés de ses romans indiquent l'universalité des
questions qu'elle soulevait, toujours d'actualité dans le contexte
contemporain.
Dans quelle mesure l'image de l'Angleterre que nous offre le
cinéma correspond-elle au monde créé par Jane Austen, lui-même
passé au filtre de la sensibilité de l'auteur? Le schéma suivant
(proposé dans le cours de licence cinéma à l'Université de Provence
en 2000-2001 par Madame Martine Coste) représente
les
nombreuses médiations qui entrent en jeu dans cette vision du
monde offerte par l'adaptation cinématographique
d'une œuvre
littéraire; les termes inscrits dans des formes circulaires symbolisent
des ftitres, et sont des acquis conditionnant les comportements et les
visions du monde (éducation, intertextualité, inconscient).
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11
L'œuvre littéraire et l'œuvre cinématographique ne s'adressent pas
nécessairement à un même public, et l'horizon d'attente (concept
utilisé par Hans Robert Jauss dans Pour une Esthétique de la réception,
p. 54) d'un spectateur du 20e siècle n'est pas identique à celui d'un
lecteur du début du 1ge. Il existe inévitablement un décalage qu'il
faudra combler en passant par un compromis.
Lorsque, à propos d'adaptations cinématographiques,
il est
question d'esthétique et d'idéologie, il convient de préciser que ces
deux notions concernent aussi bien l'auteur de l'œuvre originale que
l'équipe du film. Il est nécessaire de s'attacher préalablement au point
de vue de l'auteur et aux thèmes qui sous-tendent son œuvre pour
étudier ensuite de quelle manière ils sont réinvestis à travers le média
visuel en fonction du décalage temporel. La première partie
proposera l'analyse des romans, de la représentation du monde qu'ils
offrent, et des questions soulevées par l'auteur auxquelles les
adaptations apportent parfois une réponse, certes partielle et partiale.
Le passage d'un média à un autre implique des modifications. Le
f11mpropose des images visuelles, contrairement au roman qui laisse
davantage au lecteur la possibilité de créer son propre monde
fictionnel. De prime abord, ces images pourraient laisser présager
une plus grande cohésion entre le spectateur et le monde offert à ses
yeux; il n'en est rien: elles imposent une trajectoire oblique, par le
truchement d'un autre média qui a ses propres contraintes. Cet
aspect fera l'objet de la deuxième partie.
Enfm, la troisième partie étudiera la réception critique de Jane
Austen à différentes époques, en la replaçant dans son contexte
littéraire et en soulignant les traits caractéristiques de son style, qui
pose problème lors du passage à l'écran: en effet, il est difficile
d'imaginer comment la voix narrative, très importante dans ses
romans, peut être transposée au cinéma sans recourir à une voix off
rapidement ennuyeuse. En essayant de mettre en valeur l'idéologie
austenienne, il semble intéressant de voir comment les f11ms se la
sont appropriée en la mettant au goût du jour. Il faudra alors
déterminer si ces f11msne transmettent pas une image réductrice des
œuvres de Jane Austen en optant pour un message parfois trop
transparent pour un auteur dont la célébrité repose sur l'implicite de
ses critiques.
L'adaptation cinématographique est trop souvent perçue par les
lecteurs du roman comme un repoussoir de cette œuvre source et,
12
par extension, de la littérature en général; nombreux sont les
critiques qui, oubliant le sort réservé autrefois au roman, se sont
élevés contre une pratique de ce nouvel art consistant à adapter, de
manière plus ou moins fidèle, des œuvres d'auteurs reconnus, pierre
d'achoppement
qui justifie une volonté de hiérarchisation et de
classification.
Diverses typologies seront mises en regard, mais il sera primordial
de ne pas enfermer les analyses dans le carcan d'une opposition
simpliste entre texte et représentation à l'image. L'adaptation est une
pratique qu'il faut mettre en perspective, en évitant de se lancer dans
son historique. La présente étude prendra en compte toutes les
adaptations qui ont été faites des romans austeniens - du moins
celles qui sont toujours disponibles sur le marché des vidéocassettes
et des DVD - sous leurs divers aspects, sans dissocier le culturel de
l'esthétique, du social ou du politique. L'adaptation n'est pas la
simple traduction d'un langage dans un autre, une illustration de
l'œuvre littéraire: elle affirme son indépendance et son originalité, en
offrant une interprétation de l'intrigue, de ses thèmes et de son
idéologie. L'enjeu consiste à placer en regard les œuvres et les f1lms
en refusant de considérer a priori ces derniers comme des
déformations d'un modèle, et à les envisager conjointement sans
évaluer les adaptations en termes d'écart par rapport à leurs sources
littéraires.
13
PREMIERE PARTIE
De l'écrit à l'écran: thèmes et
,
.
representa tlons
En s'intéressant principalement à la peinture de la société de son
époque, Jane Austen se livre à des analyses qui s'apparentent à celles
du roman de mœurs, ce sous-genre romanesque qui examine les us et
coutumes et les comportements sociaux de la petite noblesse anglaise
à l'aube du 1ge siècle. Cet écrivain se penche plus particulièrement
sur les conflits que doivent traverser les femmes avant de trouver
leur place dans la communauté. Par conséquent, parce qu'il est à la
base de toute ressource économique pour elles, le mariage est un
thème récurrent dans ses romans.
CHAPITRE l
L'univers social
La fm du 18e siècle est une période de troubles politiques. La
Révolution française a succédé à la guerre d'Indépendance
en
Amérique, et, pendant presque toute la vie de Jane Austen,
l'Angleterre est en guerre avec la France. Cette instabilité va
bouleverser les idées préconçues sur la pérennité de la hiérarchie
sociale. Les premiers débats sur l'impérialisme et l'esclavage voient le
jour, l'agriculture fait place à l'industrialisation avec son lot de
problèmes
et de misères, les religions traditionnelles
sont
progressivement menacées par le développement du méthodisme
anticonformiste, et les arts et la littérature d' 0bédience classique
s'effacent devant la montée d'un romantisme émotionnel.
Pourtant, aucun de ces événements historiques qui devaient
transformer l'Angleterre de manière radicale ne semble avoir touché
les œuvres de Jane Austen. Ils n'apparaissent que rarement dans le
fonds narratif. C'est sans doute pourquoi McGrath ouvre son f11m
Emma par la voix-off d'une narratrice extradiégétique qui souligne ce
choix en faveur de l'étude d'une coupe restreinte de la société:
A une époque où une ville à elle seule représentait tout un
univers et où les intrigues de salon suscitaient bien plus
d'intérêt que les prouesses militaires, vivait une jeune femme
qui savait mener son monde dans la société qui était la
Sienne.
Certaines références dans les textes rappellent les tensions entre
l'Angleterre et la France, mais peuvent échapper à un lecteur non
averti, comme la présence d'un régiment à Meryton dans Pride and
Prqudice, ou le retour au pays des officiers de la marine anglaise dans
Persuasion.
Jane Austen écrit avant tout sur ce qu'elle connaît: les communautés se situant socialement au-dessus de la moyenne, avec 'leurs
pasteurs, leurs soldats, leur petite aristocratie, et tout ce qui gravite
autour: bals, visites quotidiennes, voyages vers la capitale ou la côte.
Elle a vécu dans ce milieu qu'elle a eu le temps d'observer avec une
acuité peu commune. Ses parents - le Révérend George Austen et sa
femme Cassandra, née Leigh - n'étaient pas issus de la même classe
sociale: la famille Austen était d'origine roturière et avait bâti sa
fortune sur l'entreprise; la famille Leigh descendait de la petite
noblesse terrienne. Le couple eut huit enfants, six garçons et deux
filles. Toute sa vie, Jane Austen entretint des liens privilégiés avec sa
sœur qui, à son instar, resta célibataire. La profession des frères de
l'écrivain justifie la précision de certains détails dans ses romans:
James, poète à ses heures, était homme d'Eglise; Edward eut la
chance d'être adopté par Thomas I<night qui n'avait pas d'enfant, et
il devint son héritier; Henry entra d'abord dans l'armée, puis se lança
dans les finances à Londres - où Jane lui rendit souvent visite avant de terminer modestement sa vie comme pasteur; Frank et
Charles s'engagèrent dans la marine, et rapportèrent à Jane de
nombreuses anecdotes que l'on retrouve dans Mansfield Park et
Persuasion.
Ses œuvres abordent des points fondamentaux à son époque: la
famille, les rencontres, les connaissances, le mariage... autant de
relations sur lesquelles se fonde toute communauté.
,.
U ne société particulière et ses valeurs
Une coupe restreinte de la société
Au 18e siècle, la société anglaise se divise en trois catégories
principales: l'aristocratie, la petite noblesse et la roture. La catégorie
sociale la plus représentée dans les romans de Jane Austen est la
petite
noblesse
terrienne.
Des critiques,
comme
Donald
J.
Greene,
ont d'ailleurs souligné les liens de sang qui unissent, dans la réalité,
les personnes dont les noms sont utilisés dans ses différents romans.
Jane Austen semble en effet soucieuse d'employer au sein de son
œuvre fictionnelle des noms qui renvoient à des familles britanniques
réelles dont les titres perdurent parfois encore à son époque, créant
ainsi des personnages qui se targuent d'appartenir à la haute société,
et que ses lecteurs contemporains identifient comme tels.
Au f11du récit, elle met en place une communauté qui s'organise
suivant des strates précises où évoluent des personnes conscientes de
la hiérarchie sociale. Au sommet de l'échelle se trouve l'aristocratie,
peu représentée, avec, par exemple, Lady Catherine de Bourgh ; audessous, les propriétaires terriens, comme Sir John, le colonel
Brandon, Darcy et Mr. I<nightley qui possèdent de grands domaines.
La Révolution Industrielle a donné naissance à une nouvelle
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catégorie, celle des "nouveaux riches" dont les Gardiner et Bingley
font partie. Au bas de l'échelle, figurent des personnes comme les
sœurs Steele, dont l'oncle dirige une petite école provinciale, ou
Harriet Smith, fille illégitime d'un « gentleman », dont le nom,
comme celui de la gouvernante d'Emma, Miss Taylor, renvoie à une
profession roturière. Quant aux serviteurs, même si elle y fait allusion
(Mrs Still à Longbourn, Mrs Reynolds à Pemberley, Thomas à
Barton Cottage, James à Hartfield), Jane Austen ne s'attarde pas sur
eux. Le film Cluelessrecrée lui aussi un microcosme social fermé sur
lui-même, dans un monde connu du spectateur - puisqu'il s'agit de
Beverly Hills, lieu mythique rattaché aux stars du cinéma - et plus
encore du jeune public à qui cette transposition proximisante
rappelle la série télévisée américaine BeverlYHills 90210, diffusée entre
1990 et 2000, dont les protagonistes sont des lycéens issus de milieux
privilégiés.
L'organisation sociale peut se dessiner en termes spatiaux: le
déplacement de l'intrigue de Sense and Sensibilityentraîne le lecteur de
la province vers la ville, l'invitant ainsi à comparer les styles de vie
ruraux et citadins. Pride and Prrjudiceadopte une autre approche: la
mise en valeur des caractéristiques sociales passe par la confrontation
de personnes d'origines différentes; c'est ainsi que l'arrivée de jeunes
gens en provenance d'une autre région de l'Angleterre, et rattachés
d'une certaine façon à la vie urbaine, met en ébullition une petite ville
provinciale - bien trop - calme. Jane Austen joue sur divers types
d'oppositions dans un univers social restreint pour souligner la
relativité des points de vue.
Deux adaptations insistent sur cet aspect en s'attachant d'abord
au cadre dans lequel évoluent les héroïnes: la version de 1940 de
Pride and Pr~udice débute par une succession de croquis représentant
les lieux où se déroule l'intrigue: Meryton village, Longbourn,
Netherfield et Rosings, accompagnée d'un mouvement musical
propre à chacun. Une telle présentation suggère le monde clos où
vivent les personnages, tout en laissant présager leur personnalité:
une musique enlevée pour Meryton et une autre digne de cartoons
pour Longbourn confèrent à ce filin l'apparence d'un conte; il
s'ouvre d'ailleurs sur une phrase semblable au traditionnel « Il était
une fois» des contes de fées: «Cela se passe dans la vieille
Angleterre. .. dans le petit village de Meryton ».
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Emma (McGrath) insiste également sur ce monde en vase clos, en
dressant une liste de personnages esquissés n aiveme nt, dont la
disposition dans des cadres appropriés selon les unions respectives
servira à résumer la situation fmale, avant que ne défile le générique.
Emma semble régner sur le microcosme de Highbury, situation
unique dans les romans d'Austen où pareille fonction n'est jamais
attribuée à ses héroïnes; il s'agit d'ailleurs du seul roman dont
l'intrigue se déroule dans un même lieu.
Ce monde social restreint correspond à ce que Jane Austen
prône; dans une lettre adressée à sa nièce Anna, elle lui donne le
conseil suivant: « Vous rassemblez maintenant vos Personnages de
manière charmante [...] 3 ou 4 Familles dans un petit Village, voilà
exactement ce qui constitue un champ d'étude approprié. » (Lettre
du 9 septembre 1814). Un tel choix risque de créer des relations peu
vraisemblables entre les différents protagonistes. Dans Pride and
Pr~judice,Elizabeth fait la connaissance de Wickham et de Darcy
presque simultanément alors qu'aucun des deux n'avait séjourné
auparavant à Meryton; son cousin, Mr Collins, bénéficie de la
protection de Lady Catherine dont le neveu est ce même Darcy que
connaît, de surcroît, la tante d'Elizabeth, Mrs Gardiner. Dans Sense
and SensibilitY, Willoughby a séduit la pupille du colonel Brandon
avant d'abandonner
Marianne qui deviendra par la suite Mrs
Brandon; Lucy Steele, une parente éloignée de Mrs Jennings, est
fiancée secrètement à Edward qu'Elinor aime.
A la faveur de ce nombre restreint de personnages, l'intrigue se
suit aisément, avantage certain pour un divertissement dont la durée
est d'environ deux heures, contrairement à la lecture sur laquelle on
peut revenir. Certes, l'utilisation actuelle de DVD et de
vidéocassettes permet des retours en arrière, impossibles dans une
salle de cinéma. La fin de Mansfield Park 1999 offre un mode original
de représentation des différents protagonistes qui s'immobilisent en
une sorte de tableau vivant, procédé permettant à Fanny - la
narratrice intradiégétique - de les caractériser avec précision, tout en
adoptant une distanciation propre à la satiriste qu'est Jane Austen.
Classes, hiérarchie et occupations professionnelles
Dans Sense and Sensibility (p. 89), Edward énumère les carrières
auxquelles peut prétendre un jeune homme de bonne naissance, en
s'attachant aux trois activités principales de l'époque. Comme Collins
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