Les enjeux des entreprises françaises de la logistique

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Les enjeux des entreprises françaises de la logistique
Les enjeux des entreprises françaises de la logistique
Thierry Allemand
Directeur du développement de Logic Line Operations
Philippe-Pierre Dornier
Professeur de logistique à l'ESSEC
Directeur scientifique de l'Institut des Hautes Etudes Logistiques
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Les coûts de la logistique représentent en Europe environ 715 MdF et le
marché de la prestation logistique, en très forte croissance, est estimé
actuellement à 180 MdF. Les facteurs de déstabilisation et de recomposition du
secteur sont réunis dès lors que la nature des opérations évolue, allant jusqu'à
l'externalisation complète de circuits de distribution européen. Le secteur
français de la prestation logistique va-t-il pouvoir jouer un rôle dans cette
restructuration?
En forte croissance (10 à 12% par an), il présente une maturité
intermédiaire entre des pays très mûrs comme la Grande-Bretagne ou la
Hollande et des pays qui le sont moins comme l'Espagne ou l'Allemagne. Le
marché anglais de la prestation logistique révèle trois caractéristiques qui
expliquent le développement de ses prestataires logistiques:
- la concentration. Les 6 premiers groupes représentent 50% du chiffre
d'affaires en Grande-Bretagne;
- l'adossement à des entreprises multipolaires. Chacun dispose de
plusieurs pôles de compétences dont la prestation logistique n'est que
l'une des composantes;
- la force des liens avec les industriels et les distributeurs avec lesquels
de réels contrats de partenariat se mettent en place sur le long terme.
Quand en France les 20 premiers groupes de prestations logistiques
représentent 12 MdF de CA, les 10 premiers pèsent en Grande-Bretagne 36
MdF, chacun adossé à des holdings du secteur des services réalisant en
moyenne plus de 50 MdF de CA. Enfin, les marges brutes sont en France de
l'ordre de 2 à 5%, alors qu'elles sont en Grande-Bretagne de l'ordre de 5 à 10%.
La secteur est en cours de concentration en France avec la structuration
du pôle logistique de Géodis (2,6 MdF après le rachat de Tailleur Industrie en
1996) ou le rachat par Norbert Dentressangle de Confluent en 1996 (300 MF de
CA) et dernièrement d'UTL (500 MF de CA), après s'être intéressé au rachat de
Stockalliance auprès du CDR mais sans succès. Les groupes anglais après avoir
mené au cours des dix dernières années la réorganisation de leur secteur
national, sont devenus très actifs en dehors de leurs frontières et plus
particulièrement en France. Ainsi, après Excel, Hays vient de confirmer son
intérêt pour le marché français par le rachat en juillet de FDS au groupe
australien Maynes Nickless constituant un nouveau pôle de 2,1MdF, Hays
Logistique France. Il faut enfin ajouter les groupes américains, Ryder et General
Electric qui sont régulièrement préssentis et Caterpillar LS qui s'est installé à
Metz, prenant en charge la logistique d'Electrolux en Europe.
Le rachat à venir en France de certaines entreprises (Dubois,
Stockalliance ou éventuellement Mory) couplées à des externalisations
d'ampleur donnent la possibilité à certaines entreprises de changer de taille et
de périmètre d'action. D'importantes entreprises industrielles s'apprètent à
externaliser leur logistique pour l'Europe entière sur des contrats dépassant les
centaines de millions de francs de chiffre d'affaires annuel pour le prestataire
retenu. Ainsi, au printemps 1997, IBM a annoncé son souhait d'externaliser en
Europe l'ensemble de son réseau de distribution physique.
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Deux scénarios d'évolution sont alors envisageables. Le premier table sur
une réorganisation rapide du marché intérieur qui laissera peu de place à des
opérateurs non nationaux. Il se structurera autour de quatre à six grands
groupes, spécialisés par marchés (industriels, grande consommation,
température dirigée...). Les positions nationales fortes occupées alors par des
sociétés locales en Europe donneraient lieu à l'apparition de coopérations voire
à des rapprochements entre groupes nationaux. Des réseaux européens de
prestations logistiques sont en effet attendus par les producteurs, confrontés à
un phénomène d'intégration géographique de leur logistique (spécialisation des
unités de production ou mise en oeuvre d'organisation en business unit). A
contrario, le second scénario porterait sur une éviction presque complète de
sociétés françaises pouvant tenir un rôle européen. Une recomposition du
secteur tant en France qu'à l'échelle européenne, pourrait se faire au profit
d'opérateurs étrangers, anglais, hollandais et américains disposant de cash
important pour procéder à des acquisitions. Elles ne laisseraient la place qu'à
deux compétiteurs français, Géodis et un pôle regroupant, par exemple, les
activités logistiques Bolloré/Dentressangle. Elles seraient les seules entreprises
françaises à disposer simultanément d'une taille comparable à leurs
homologues européens, des ressources capitalistiques et d'une offre lisible en
logistique. La CAT, filiale logistique de Renault et GEFCO, filiale logistique de
Peugeot, peuvent-elles en effet développer une stratégie multi-clients, voire
multi-sectoriels sur l'Europe en dépendant aussi étroitement de leurs
actionnaires actuels? Faure et Machet peut-elle financer un développement
important à l'échelle européenne sur un actionnariat essentiellement familiale?
Cependant, la moindre rentabilité comparative actuelle et futur du
marché français de la prestation logistique rend le premier scénario le plus
probable. Le retour sur des investissements réalisés chez des prestataires
français apparait comme trop faible, comme le prouve les difficultés chroniques
des grandes entreprises allemandes à s'implanter fortement sur le marché
français. Dès lors les groupes étrangers hésiteront à prendre pied de manière
intensive sur le marché intérieur français, laissant aux groupes nationaux le
temps de se réorganiser et de trouver les moyens de financer un
développement européen.
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