Pôle emploi naît sous le signe de la crise
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Pôle emploi naît sous le signe de la crise
Actualité Focus Pôle emploi naît sous le signe de la crise D ans le vaste espace d’accueil de la nouvelle agence Pôle emploi de Boulogne-Billancourt (Hautsde-Seine), une file d’attente, mais deux guichets. L’un est tenu par un ex-conseiller de l’Agence natio nale pour l’emploi (ANPE), l’autre par un ex-salarié des Assedic (1). « L’idée est qu’à terme, les deman deurs d’emploi soient reçus par une seule et même personne, capable de p. marais TÉMOIGNAGE Odile Roche, conseillère référente à l’agence Pôle emploi de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine) « Une surcharge de travail et pas assez de formation » « En tant qu’ancienne conseillère ANPE, je n’étais pas contre la fusion, car il me semblait intéressant d’avoir une vision plus globale de la situation des demandeurs d’emploi. Mais de là à assurer moi-même la liquidation des droits, comme mes collègues des Assedic, il y a une différence. Je ne suis pas entrée à l’ANPE pour faire de la comptabilité, mais pour accompagner des personnes ! De toute façon, quand trouverons-nous le temps d’assimiler ces nouvelles compétences ? Actuellement, notre charge de travail explose, ce qui a des répercussions importantes sur la qualité de notre travail. Nous ne pouvons plus rencontrer les demandeurs d’emploi aussi souvent et nous avons moins de temps pour nous déplacer dans les entreprises. Nous avons, certes, eu trois jours de formation pour nous sensibiliser à l’offre de services des Assedic, mais c’est loin d’être suffisant. » 18 - LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL répondre indifféremment aux questions de placement ou d’indemnisation, précise l’ex-ANPE Annie Gallois, qui codirige provisoirement l’agence avec son homologue venue des Assedic, Patricia Belland. Mais nous n’en sommes pas là. Pour l’instant, nous nous contentons de faire travailler côte à côte, ou en binôme, les professionnels des deux structures, afin qu’ils puissent collaborer et apprendre les uns des autres. » Incertitudes Engagé il y a un peu plus d’un an (lire l’encadré ci-contre), le processus de fusion entre l’ANPE, établissement public administratif chargé du placement des demandeurs d’emploi, et le réseau privé des Assedic, responsables de leur indemnisation, ne s’est pas achevé avec la création officielle, le 19 décembre, du nouvel opérateur unique Pôle emploi. A l’heure actuelle, en effet, seule une petite centaine d’agences, sur les 950 annoncées, accueillent les chômeurs sur un site unique. Quant à la généralisation du conseiller unique, professionnel chargé de l’accom pagnement et de l’indemnisation du demandeur d’emploi via un entretien unique, elle interviendra, au mieux, à l’automne. « Ce qui nous ralentit aujourd’hui, c’est l’informatique, car nous n’avons pas encore de système commun ANPE-Assedic, explique Patricia Belland. Il nous faut également achever la formation des salariés et résoudre les problèmes en suspens, concernant notamment la gestion des ressources humaines. » En attendant la négociation d’une convention collective commune aux ex-salariés de l’ANPE et des Assedic (lire l’encadré page sui vante), de nombreux écarts, en termes de temps de travail et de rémunérations notamment, compliquent le fonctionnement quotidien des agences mixtes. « Des incertitudes demeurent également sur le devenir des équipes d’encadrement, qui se retrouvent pour l’instant en doublon », note Annie Gallois. juridique wL a création de Pôle emploi, le nouvel opérateur chargé du service public de l’emploi, a été entérinée par la loi n° 2008-126 du 13 février 2008 relative à la réforme du service public de l’emploi, suivie du décret n° 2008-1010 du 29 septembre 2008. w La loi n° 2008-758 du 1er août 2008 et le décret n° 2008-1056 du 13 octobre 2008 ont défini les nouveaux droits et devoirs des demandeurs d’emploi. Aux difficultés inhérentes à la fusion de deux structures aux cultures et aux modes de fonctionnement différents, s’ajoutent des tensions liées aux retombées de la crise économique. Depuis août dernier, le service public de l’emploi a en effet enregistré 200 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Ce qui, selon les syndicats, porte à 120 en moyenne le nombre de chômeurs suivis aujourd’hui par chaque conseiller. Cette situation devrait encore s’aggraver dans les mois qui viennent, avec 282 000 chômeurs de plus prévus en 2009. Dossiers en souffrance « La période est plus complexe que prévu. Tout ne sera sans doute pas opérationnel à 100 % cette année », a d’ailleurs reconnu Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi, le 10 février (2). Mais il affirme que tout est mis en œuvre pour atteindre l’objectif de 1 conseiller pour 60 demandeurs d’emploi : « Nous avons embauché 200 personnes dès novembre et nous en recruterons 400 autres cette année, auxquelles s’ajouteront les 1 200 recrutées par anticipation en prévision des prochains départs à la retraite. » « Insuffisant ! » répondent les repré sentants syndicaux de Pôle emploi et les associations de chômeurs, qui pointent les retards enregistrés ces dernières semaines dans le traitement des dossiers d’indem nisation. « Au 9 février, il y avait N° 50 - Mars 2009 p. marais En plus d’une création laborieuse, résultat de la fusion ANPE-Assedic, le nouvel opérateur public de l’emploi doit affronter l’envolée du chômage. Sur les 950 agences Pôle emploi prévues, une petite centaine seulement ont ouvert à ce jour (ici celle de Boulogne-Billancourt). Convention collective : le casse-tête S’ils appartiennent tous à Pôle emploi depuis décembre dernier, les 28 000 ex-salariés de l’ANPE bénéficient toujours d’un statut de droit public, tandis que les 14 000 en provenance des Assedic dépendent de la convention collective nationale du personnel du régime d’assurance chômage. Des négociations se sont donc engagées en février pour aboutir à une convention collective applicable à l’ensemble des salariés, les ex-agents de l’ANPE restant cependant libres de conserver leur statut public. Salaires à l’embauche plus élevés aux Assedic, meilleur déroulement de carrière à l’ANPE : selon les syndicats, chacun des deux statuts présente des avantages, auxquels les salariés accepteront difficilement de renoncer. Conscient de ces difficultés, le directeur général de Pôle emploi, Christian Charpy, s’est donné « dix-huit mois » pour parvenir à un texte commun. toujours 57 000 dossiers en souffrance, malgré le recours aux heures supplémentaires, souligne Christian Parisot, secrétaire général adjoint de la CFTC emploi. Chez les demandeurs d’emploi, qui voient les délais d’attente s’allonger avant l’ouverture de leurs droits, on sent N° 50 - Mars 2009 l’agressivité monter. » Cependant, selon les syndicats, la crise ne justifie pas tous les problèmes actuels. « Le vrai souci, c’est que la fusion n’a pas été suffisamment anticipée », relève Eric Planchette, secrétaire du Syndicat national unitaire travail, emploi, formation, insertion (Snutefi), qui en veut pour preuve la situation immobilière : « On n’a toujours pas suffisamment de locaux pour accueillir les futurs sites mixtes ! » Un point avive particulièrement les critiques du personnel : celui de la formation. Limitée actuellement à trois jours pour les ex-salariés de l’ANPE et à sept pour ceux des Assedic, elle est complétée, au gré des agences, par des actions de tutorat et de formation « en ligne ». « Ce n’est pas dans ces conditions que l’on va maîtriser le métier de nos collè gues des Assedic, et inversement », s’indigne Eric Planchette, lui-même issu de la filière « emploi ». Selon lui, ce mouvement de « déqualification » ne fait qu’ajouter à la « souffrance au travail » des salariés de Pôle emploi. Une souffrance qui pourrait s’accen tuer dans les mois à venir, en raison de l’entrée en vigueur de plu- sieurs réformes (élargissement des démarches de recherche d’emploi à tous les bénéficiaires du revenu de solidarité active, fin de la dispense de recherche pour les plus de 55 ans…), qui alourdiront encore la charge de travail des conseillers. « La seule solution pour eux sera alors de mettre à leur tour les chômeurs sous tension et de faire de l’abattage », prédit Bruno Trubert, délégué national du Mouvement national des chômeurs et précaires. Urgence Le 19 février, le conseil d’adminis tration de Pôle emploi a pour sa part exigé de la direction la mise en place, en urgence, d’un « plan d’action précis » pour sortir de ces difficultés. n S. L. (1) Fédérées au niveau national par l’Unedic. (2) Propos tenus lors d’un point presse organisé par l’Association des journalistes de l’information sociale. LA GAZETTE SANTÉ-SOCIAL - 19