De A à Z: La créatine - Janic Lessard Forcier

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De A à Z: La créatine - Janic Lessard Forcier
De A à Z: La créatine
* Article écrit avec la
collaboration de Junior Mentor
Avec la caféine et la protéine whey, la créatine est
probablement le produit le plus en vue dans le domaine de la
supplémentation dans le sport. Popularisée au début des années
1990, la créatine a été utilisée pour la première fois par
certains athlètes britanniques aux Jeux olympiques de
Barcelone en 1992. Elle demeure un incontournable, avec des
ventes annuelles dépassant les 800 millions de dollars en
Amérique du Nord. Souvent au menu de nombreux débats sur
l’entraînement, la créatine a, mentionnons-le, toujours eu
droit à une opinion partagée de la part des spécialistes.
Qu’est-ce que la créatine?
La créatine est une molécule naturellement présente dans les
muscles, là où elle est principalement synthétisée (à environ
95%). Ce composé aminé est aussi synthétisé dans une moindre
mesure dans le cerveau, le foie, les reins, et le pancréas.
Environ la moitié des besoins de l’organisme en créatine sont
comblés par l’alimentation. La principale source alimentaire
créatine est la viande rouge, mais d’autres sources
alimentaires renferment aussi de la créatine (ex. : poisson,
lait, noix etc.). La créatine remplit plusieurs rôles
biologiques au sein de l’organisme.
Dans le muscle, là où elle est majoritairement entreposée, la
créatine participe à la resynthèse d’ATP (adénosine triphosphate) à partir d’ADP (adénosine di-phosphate) via un
système de navette « Cr-PCr » (Créatine-Phosphocréatine).
Pendant un effort intense de courte durée (filière énergétique
anaérobie), la navette Cr-PCr permet la génération rapide
d’énergie nécessaire au maintien de la contraction musculaire
sous forme d’ATP. Sous sa forme phosphorylée (PCr), la
créatine alimente la navette Cr-PCr en transmettant sa
composante phosphate à l’ADP pour en faire de l’ATP. L’ATP
ainsi produit servira de substrat énergétique aux fibres
musculaires en contraction. La contraction musculaire résulte
en la production d’ADP et de phosphate, alors que la créatine
se retrouve disponible sous sa forme non phosphorylée (Cr).
Des enzymes participant à la navette Cr-PCr assurent la (re)phosphorylation de la créatine en phosphocréatine.
Plusieurs autres modes d’action de la créatine au niveau
musculaire ont été mis de l’avant et sont également à l’étude.
Parmi ceux-ci, mentionnons l’action osmotique, la régulation
acido-basique, la stimulation de la glycolyse, l’action antioxydante ainsi que la mobilisation calcique.
La supplémentation en créatine repose donc principalement sur
une volonté d’augmenter la quantité de créatine disponible
dans le muscle afin d’alimenter la navette Cr-PCr. Le
« réservoir » musculaire de créatine ainsi créé permet à
l’organisme de soutenir un effort intense plus longtemps, ou
de répéter ce même effort plus souvent dans la durée grâce à
une plus grande production d’ATP. Ce qui a nécessairement un
effet sur la récupération.
Commercialement parlant, la créatine monohydrate en poudre est
la forme de créatine la plus répandue. Outre la créatine
monohydrate, plusieurs autres formulations de créatine sensées
en faciliter l’absorption par l’organisme sont également
disponibles sur le marché. Parmi ces formulations, la créatine
éthyl ester, la créatine citrate et la créatine dite
« alcaline » sont les plus populaires. La créatine est
également de plus en plus vendue fréquemment sous forme de
gélule, de comprimé, de gomme ou de liquide; cette dernière
forme étant déconseillée car elle est moins stable.
La créatine est-elle légale?
Contrairement à la perception populaire, il n’existe aucune
interdiction ou restriction par les autorités quant à la
consommation de créatine. Elle est donc tout à fait légale. La
créatine est classifiée comme un produit de santé naturel au
Canada (Santé Canada), alors qu’elle est classifiée comme un
supplément alimentaire aux États-Unis (Food and Drug
Administration). De même, la créatine ne figure pas sur la
Liste des substances prohibées de l’Agence Mondiale Antidopage. Toutefois, la NCAA (National Collegiate Athletic
Association) interdit aux équipes de fournir la créatine à
leurs athlètes, tout en permettant à ces derniers de s’en
procurer par eux-mêmes. Finalement, il peut être d’intérêt de
mentionner qu’étant un métabolite naturel, il n’existe pas de
tests pour détecter l’usage du supplément.
La créatine est-elle efficace?
Après la caféine, la créatine est le produit le plus étudié de
l’histoire de la nutrition sportive. La documentation
scientifique contemporaine comporte plus de 1000 études
effectuées au cours des 30 dernières années. Parmi celles-ci,
plus de 700 ont spécifiquement porté sur son potentiel
ergogène; aussi bien chez des populations sportives que dans
la population générale. La majorité de la documentation (plus
de 70%) fait état d’un effet ergogène statistiquement
significatif de la supplémentation en créatine; pour des
protocoles de supplémentation variant de 1 à 6 semaines ou
plus; avec doses variant de 3 g/jour à 25 g/jour. La
supplémentation permet d’augmenter les concentrations
musculaires de créatine de l’ordre 15% à 40%; des
augmentations plus élevées étant également possibles. Au
niveau de la fonction musculaire, les études démontrent des
augmentations de 5% à 15% et de 10 à 22% de la force et de la
puissance musculaires respectivement. De plus, la masse
musculaire se peut voir augmenter d’environ 1 kg à 2 kg sur
une période d’une semaine lors d’une supplémentation en
créatine (voir plus bas). Les améliorations vues pour les
efforts de type anaérobie varient de 1% à 5%, et de 5% à 15%
pour les efforts type intermittent. D’autre part, les études
suggèrent également une diminution de la fatigue à l’effort
d’environ 8% à 14% avec la supplémentation en créatine pour
divers types d’effort. Enfin, la créatine pourrait aussi avoir
un léger effet sur la composition corporelle.
Le potentiel ergogène de la supplémentation en créatine
s’observe chez une grande variété de populations étudiées;
indépendamment de la condition physique, de l’âge, du sexe ou
encore de la diète. Cependant, l’efficacité de la
supplémentation en créatine varie considérablement en fonction
de ces facteurs, la condition physique étant le plus important
d’entre eux. L’effet ergogène de la supplémentation en
créatine est clairement démontré chez les sujets
symptomatiques et les sujets entraînés, mais est ambivalent
chez les sujets non entraînés. D’autre part, les sujets d’âge
mur tendent à tirer davantage de bénéfices que les jeunes
adultes; alors que les effets tendent à être plus importants
chez les sujets masculins que chez les sujets féminins.
Finalement, les effets ergogènes de la créatine sont nettement
plus prononcés chez les sujets végétariens que les sujets non
végétariens.
Notons que l’intérêt scientifique pour la supplémentation en
créatine va au-delà de son usage sportif pour l’augmentation
de la masse et de la force ou puissance musculaires. Par
exemple, des études font état d’une amélioration de la masse
musculaire ainsi que de la résistance à la fatigue chez les
personnes âgées aux prises avec la sarcopénie; ce qui se
traduit par une meilleure capacité d’accomplir leurs tâches
quotidiennes. Des études rapportent également une amélioration
de la fonction musculaire chez les individus souffrant de
dystrophie musculaire (ex. : maladie de Duchesne) et chez ceux
souffrant de maladies dégénératives (ex. : maladie de
Parkinson, maladie de Huntington). Par ailleurs, l’importance
physiologique de la créatine dans la fonction cognitive
suscite une attention grandissante. Il est également
intéressant de mentionner l’utilisation de la créatine comme
ingrédient dans le domaine cosmétique.
La créatine est-elle sécuritaire?
La créatine est généralement bien tolérée. Nombre d’effets
indésirables associés à la supplémentation en créatine,
potentiels ou avérés, ont été documentés dans la documentation
au fil des années. Parmi les plus communs figurent les
malaises gastro-intestinaux, les dysfonctions hépatique et
rénale, la déshydratation ainsi que la prise de poids et la
rétention d’eau.
Malaise gastro-intestinal : divers types de malaises gastrointestinaux sont décrits dans certaines études cliniques;
incluant diarrhée, nausée et crampes intestinales. Dans ces
cas, l’intensité des malaises rapportés varie de faible à
modérée. Toutefois, aucune relation de cause à effet entre ces
symptômes et la créatine n’a été établie de façon définitive
jusqu’à présent.
Dysfonctions hépatique et rénale : des cas de dysfonction
hépatique ou rénale ont été attribués à l’utilisation de la
créatine. Toutefois, l’ensemble de la documentation actuelle
suggère que la consommation de créatine puisse possiblement
aggraver une dysfonction pré-existante, connue ou non, plutôt
que d’en être à l’origine. Pour cette raison, la consommation
de créatine est déconseillée chez les individus aux prises
avec dysfonction hépatique ou rénale.
Déshydratation : la consommation d’eau en grande quantité est
souvent recommandée pour contrer une éventuelle déshydratation
avec la créatine. En fait, la déshydratation est rarement
documentée parmi les effets indésirables lors des études
cliniques sur la supplémentation en créatine même si elle
existe.
Prise de poids et rétention d’eau : un gain de poids corporel
attribuable à la rétention d’eau est souvent constaté dans les
premières semaines de supplémentation en créatine. Cet effet
s’estompe habituellement avec le temps, ainsi qu’avec la
cessation de la supplémentation.
Conclusion
La réponse à la supplémentation à la créatine n’est pas la
même pour chaque individu. Certains constatent des effets
notables tandis que d’autres, peu ou pas. Il est généralement
recommandé aux gens de concentrer leurs énergies sur un bon
plan d’entraînement et une bonne alimentation au préalable,
avant de penser aux suppléments. On peut toutefois affirmer de
façon générale que la créatine est efficace et peut être
considérée sécuritaire, lorsque consommée avec modération. En
conclusion, il faut aussi se rappeler que la créatine est
surtout efficace dans les sports de force (exercices intenses
et de courte durée), même si, depuis 2-3 ans, on s’intéresse
aussi à son utilisation dans les efforts d’endurance.
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Depositphotos.com
Junior
Mentor,
titulaire
d’une
maîtrise
en
sciences
pharmaceutiques, agit également comme chargé de cours en
matière de nutrition sportive et dopage sportif à l’Université
de Montréal. Il œuvre présentement en R&D ainsi qu’en
réglementation dans le domaine pharmaceutique, en plus
d’intervenir comme conférencier. Enfin, il participe aussi à
l’implantation d’un programme de recherche appliquée sur la
supplémentation dans le sport à l’Université de Montréal, de
concert avec divers partenaires (ex.: Institut National du
Sport du Québec [INS]).
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