Chiffres l`appui
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Chiffres l`appui
ENTREPRENDRE CHIFFRES À L’APPUI Insécurité : la faute au chômage Trois économistes français font apparaître un lien probant entre situation de l’emploi et délinquance n 2002, il n’était pas encore question N. O. – En quoi votre approche est-elle des Roms et autres boucs émissaires. nouvelle ? Mais déjà l’insécurité et ses causes occu- Denis Fougère. – Pour la première fois, paient le devant de la scène. « J’ai un peu nous avons testé l’hypothèse du lien entre péché par naïveté. Je me suis dit : si l’on fait chômage et délinquance à travers une étude reculer le chômage, on va faire reculer l’in- économétrique très détaillée sur la France. sécurité », confessait alors Lionel Jospin, Nous avons recoupé de nombreuses sources candidat à la présidentielle. Et si, finale- grâce à la richesse des données recueillies ment, l’ex-Premier ministre n’avait pas été si par l’Insee. C’est une démarche empirique, naïf ? Depuis plusieurs décennies, la question fait débat parmi les chercheurs en sciences sociales : le chômage est-il un facteur de délinquance ? L’insécurité des uns devrait-elle quelque chose à l’insécurité sociale des autres ? Pour la première fois, chiffres à l’appui, trois chercheurs du Crest (Centre de Recherche en Economie et Statistique) à l’Insee, Denis Fougère, Francis Kramarz et Julien Pouget, tranchent la question. Cela dans un article (1) qui vient de leur valoir la médaille Hicks-Tinbergen décernée par la prestigieuse revue « JEEA » (« Journal of The European Economic Association »). Récompensés à la fois pour l’originalité de leur approche et la rigueur de leur déDenis Fougère, Francis Kramarz et Julien Pouget marche. Explications. fondée sur l’analyse de données, on serait Le Nouvel Observateur. – Pourquoi mettre tenté de dire à l’anglo-saxonne, mais cette en regard emploi et délinquance ? approche n’est pas nouvelle en France. Elle Francis Kramarz. – L’homme est un animal se situe même dans la lignée d’une tradition rationnel, même s’il n’est pas que cela, et les qui remonte aux travaux des statisticiens et chercheurs s’intéressent depuis longtemps sociologues du XIXe siècle, tombée en défaaux causes économiques du crime. La pro- veur ces dernières décennies au profit de pension à commettre un délit dépend no- grandes hypothèses théoriques. tamment du rapport entre le risque pris et N. O. – Comment êtes-vous parvenus à déle bénéfice escompté au regard des revenus gager des résultats probants ? du travail légal. Ainsi, plusieurs études ont F. Kramarz. – En nous concentrant sur le montré que le niveau des salaires, le degré chômage des jeunes parce que, du fait de des inégalités sociales ont une influence sur leur fragilité économique, ils apparaissent l’augmentation de la délinquance. Par ex- comme la frange de la population la plus trapolation, les personnes privées d’emploi, touchée par ces problèmes. Et cela sur les donc de revenus légaux en dehors des allo- années 1990-2000, où le chômage a connu cations de chômage, devraient, pour les un pic puis une forte décrue. Nous n’avons mêmes raisons, avoir un plus grand risque pas pris en compte le taux de chômage des de commettre des délits. Mais les travaux à moins de 25 ans, mais la proportion de chôbase de données chiffrées divergeaient meurs parmi l’ensemble de cette tranche jusqu’ici dans leurs conclusions. d’âge. Cela donne une mesure plus juste. En 90 ● LE NOUVEL OBSERVATEUR effet, en France, où les poursuites d’études sont massives, la frange de jeunes qui se présente sur le marché du travail n’est pas vraiment représentative. Julien Pouget. – Nous avons aussi travaillé à partir de données départementales très fines, sur les différents types de crimes et délits, du vol à la tire au trafic de stupéfiants, en prenant en compte les particulari- Jean-Yves Lacôte E tés sociologiques de la population, du marché du travail local. Grâce à tous ces croisements, des variations très claires se font jour. Le nombre de « délits économiques » – cambriolages, vols de voiture, attaques à main armée, vols à la tire, trafic de stupéfiants, etc. – augmente quand le chômage des jeunes s’accroît. Alors que ce n’est pas le cas pour les autres types de délits. N. O. – En somme, pour résorber l’insécurité, il faudrait donc avant tout lutter contre le chômage des jeunes ? F. Kramarz. – Même si ce n’est qu’un élément du problème, investir pour l’emploi des jeunes – mais aussi dans l’éducation, car le diplôme protège du chômage – serait Propos recueillis par judicieux. VÉRONIQUE RADIER (1) « Youth Unemployement and Crime in France », « Journal of The European Economic Association », septembre 2009.