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VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels Abstract: Female genital mutilation Excision is a very old custom; it is actually a control over female sexuality, with the aim of reducing the female pleasure and the domestication of sex drive. There are three types of mutilations with many complications, and sometimes fatal ones. The GP is a good interlocutor to talk about the topic and its repair or reconstruction, if necessary to inform the judicial or administrative authorities. But if the surgical repair provides an anatomic correction, it seems much more difficult to reach the psychic repair. Key words: Excision, Female; General Practice; Sexuality Odile Demonsant-Pernin Médecin généraliste, Sevran odemonsant @wanadoo.fr Mots clés : excision féminine ; médecine générale ; sexualité Les mutilations sexuelles féminines L’excision est une coutume très ancienne dont les justifications ne sont pas très éloignées de celles de la circoncision masculine : Hérodote (484-425 av J.-C.) notait dans L’enquête que « les Colchidiens, les Égyptiens et les Éthiopiens sont les seuls peuples qui aient de tout temps pratiqué la circoncision ». Des papyrus datant du règne des Ptolémées d’Égypte (deuxième siècle avant J.-C.) mentionnaient la pratique de l’excision. Le médecin grec Soranos, qui a exercé à Rome sous le règne des empereurs Trajan et Hadrien (IIe siècle de notre ère), décrivait dans son traité sur les maladies des femmes les organes sexuels externes féminins et la technique d’ablation du clitoris et des petites lèvres, dans un but principalement hygiénique et esthétique. Les médecins arabo-byzantins préconisaient l’excision pour diminuer le plaisir de la femme et qu’elle soit fidèle à son mari. Au XIXe siècle, les chirurgiens européens pratiquèrent la clitoridectomie en vue de guérir les petites filles qui se masturbaient trop... Le médecin Zambaco écrivait en 1882 un ouvrage intitulé « Onanisme avec troubles nerveux chez deux petites filles » [in 2]. Une mainmise sur la sexualité féminine De nombreux motifs ont été avancés : – religieux : les mutilations sexuelles féminines ne sont pas spécifiques de l’Islam ; elles ont été pratiquées avant l’Islam, le sont chez les animistes africains, chez des chrétiens d’Afrique de l’Est, alors qu’elles sont ignorées dans tout le Maghreb, l’Iran, la Turquie. Dans le Coran, aucune intervention sur le sexe masculin ou féminin n’est mentionnée : la circoncision et l’excision ne sont mentionnées que dans les hadiths. L’excision, tolérée par l’Islam, devrait se limiter à l’ablation de la partie inférieure du capuchon clitoridien : « Le prophète un jour voyant Um’Attya opérer une fillette lui dit : la circoncision est une sunna pour les hommes et seulement une makruma 1 pour les filles. Effleurez et n’épuisez point. Le visage embellira et le mari sera ravi » [in 2] ; 1. Une simple pratique « pieuse ». DOI : 10.1684/med.2013.1003 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. L’OMS définit les mutilations sexuelles féminines comme « toutes les interventions aboutissant à une ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme ou toute autre mutilation des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour des raisons culturelles ou autres et non à des fins thérapeutiques » [1]. Ces mutilations, qui concernaient 140 millions de filles et de femmes dans le monde, se pratiquent surtout dans les pays d’Afrique de l’ouest et de l’est (Mali, Égypte, Soudan, Somalie, Guinée, Sierra Leone, Éthiopie et Mauritanie), en beaucoup moins grande proportion dans les pays du Sud-Est asiatique. En France, on estime que 42 000 à 61 000 femmes et fillettes seraient mutilées ou menacées de l’être. MÉDECINE septembre 2013 325 VIE PROFESSIONNELLE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. Échanges entre professionnels – prophylactiques : les plis et replis du sexe féminin sont jugés inesthétiques et favorisant le manque d’hygiène et les infections ; – de renoncement à l’androgynie : nécessité d’éliminer ce micro-pénis féminin, « qui pourrait pendre entre les jambes, gêner les rapports sexuels, rendre stérile, tuer l’enfant à la naissance »... ; – de protection de la virginité, via l’excision pour diminuer le désir et via l’infibulation pour empêcher les rapports sexuels. En pratique, il s’agit d’une mainmise sur la sexualité féminine, avec pour but la réduction du plaisir féminin et la domestication de pulsions sexuelles considérées incontrôlables. Derrière ce contrôle perce l’angoisse de l’homme devant les incertitudes de sa paternité : il redoute que la femme ne soit pas fidèle et surtout qu’elle lui fasse endosser des enfants qui ne soient pas les siens... Autrefois, dans la plupart des cultures traditionnelles, les mutilations sexuelles féminines s’intégraient dans une cérémonie de passage, avec isolement des filles d’une classe d’âge, enseignement et conseils sur le rôle de femme, et cérémonie au retour des filles dans le village pour fêter leur nouveau statut (encadré 1). Ce rite initiatique semble disparaître. Tableau 1. Les types de mutilations sexuelles féminines Type I : Ablation partielle ou totale du clitoris et/ou du prépuce – Ia : ablation du prépuce du clitoris sans ablation du clitoris (très rare, le plus souvent sur des petites filles chez lesquelles on a du mal à différencier le prépuce du clitoris) – Ib : clitoridectomie, ablation partielle ou totale du clitoris et du prépuce Type II : excision partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, avec ou sans excision des grandes lèvres. – Type IIa : ablation des petites lèvres uniquement, – Type IIb : ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres, – Type IIc : ablation partielle ou totale du clitoris, des petites lèvres et des grandes lèvres. Type III : infibulation (rétrécissement de l'orifice vaginal par une fermeture obtenue en coupant et repositionnant les petites lèvres, parfois les grandes lèvres, avec ou sans ablation du clitoris). – Type IIIa : ablation et accolement des petites lèvres – Type IIIb : ablation et accolement des grandes lèvres Complications immédiates Encadré 1. Les « exciseuses » En Afrique de l’Ouest, ce sont des femmes de la classe des forgeronnes, dont c’est le métier de mère en fille (les maris font les circoncisions), qui font les excisions. Elles ont un statut particulier, sacré, au sein des villages, et sont très respectées. C’est une activité lucrative. Le jour choisi, la fillette ne sait pas ce qui l’attend. On a pu lui parler de fête et de cadeaux. Elle se retrouve dans une case, avec l’exciseuse et une ou plusieurs autres femmes pour la tenir (la mère n’est généralement pas là, car c’est trop dur à supporter). On la déshabille complètement et elle est maintenue par d’autres femmes. L’exciseuse coupe avec une lame tranchante : couteau traditionnel, lame de rasoir, voire morceau de verre ou tout autre objet tranchant, pas forcément désinfecté entre deux fillettes. Cela dure plusieurs minutes et engendre une douleur insupportable. Lorsque c’est fini, un produit est appliqué sur la plaie, soit un désinfectant, soit des préparations traditionnelles aux compositions très diverses, souvent responsables de surinfection. La fillette est ensuite isolée, éventuellement les jambes liées pour faciliter la cicatrisation, pendant 15 à 20 jours. En cas de mauvaise cicatrisation, l’opération est parfois recommencée. Modalités et complications Il existe 3 types de mutilations sexuelles féminines (tableau 1) dont les complications sont nombreuses, parfois mortelles. 326 MÉDECINE septembre 2013 Le décès est la première de ces complications, par hémorragies, infections, septicémie, tétanos. La douleur suraiguë peut entraîner un choc neurogénique. De plus, sous cette douleur insupportable, la fillette peut avoir des mouvements de défense entraînant la blessure d’organes voisins. Elle lutte aussi contre la personne qui la maintient, ce qui peut induire des fractures des clavicules, humérus, fémur. Enfin, l’excision est facteur de transmission des maladies infectieuses : virus des hépatites B et C, VIH. Complications plus tardives La cicatrice obtenue peut se refermer en créant une membrane en avant du méat urétral voire du vagin, réalisant une pseudo-infibulation. En brisant le jet urinaire, elle provoque des infections urinaires. Les cicatrices chéloïdes, fréquentes chez les Africains, peuvent avoir les mêmes conséquences. Les kystes épidermiques, dus à l’inclusion d’épiderme dans la cicatrice ou à l’occlusion de glandes sébacées, peuvent être douloureux voire se surinfecter. Après infibulation, les complications sont plus fréquentes et plus nombreuses, qu’elles soient urinaires (rétention d’urine aiguë ou chronique avec infections à répétition et insuffisance rénale), vaginales (stases menstruelles avec règles douloureuses, voire hématocolpos 2) ou tubaires (salpingite entraînant une stérilité). La section partielle du clitoris, organe très innervé, peut aussi induire un névrome de son nerf dorsal, pouvant rendre la zone clitoridienne hyperdouloureuse à l’effleurement ou simplement lors de la marche. 2. Rétention du sang des règles entraînant une augmentation du volume de l’utérus. VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels Que peut faire le médecin généraliste ? Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. En parler Complications psychologiques Variables, mais toujours présentes, leur évaluation est difficile et délicate. En France, il faut aussi aborder le cas des jeunes femmes qui apprennent par leur partenaire ou lors d’une consultation de gynécologie qu’elles ont été mutilées, parfois de manière abrupte. Ayant grandi dans une culture occidentale, elles peuvent très mal vivre cette annonce de la mutilation qu’elles ne comprennent pas, avec des réactions pouvant aller de la dépression à la révolte. Complications sexuelles Des troubles de la sexualité sont observés, difficiles à évaluer objectivement. Les résultats d’études sont contradictoires : une étude de l’Institut National d’Études Démographiques (étude Excision et Handicap) réalisée en 2009 a montré que les femmes excisées avaient plus de difficultés à éprouver du désir sexuel et du plaisir. Inversement, l’étude d’Okonofu menée en 2002 auprès de 1 836 femmes nigérianes montrait l’absence de différence significative entre le nombre d’orgasmes des femmes excisées et des femmes non excisées [2, 3]. Complications obstétricales La perte d’élasticité des tissus augmente le risque de déchirures périnéales et du sphincter anal, nécessitant le recours à une grande épisiotomie. Les incontinences urinaires et fécales, les fistules recto-vaginale, vésico-vaginales sont des complications qui par ailleurs entraînent un risque ultérieur de répudiation. Dans une étude auprès de 100 femmes de Seine-Saint-Denis, 57, sur les 68 qui avaient commenté le questionnaire auquel elles avaient répondu, se disaient satisfaites d’avoir pu en parler : « ça fait du bien d’en parler », « c’est utile d’en parler pour obtenir des informations, de l’aide », « c’est intéressant de parler de ça » [4]. Il est bien évidemment plus facile d’aborder le sujet si la patiente consulte pour un motif gynécologique. Il faut saisir le bon moment, avant ou après l’examen (pendant, patiente en position gynécologique, médecin debout, ce n’est sûrement pas la situation la plus propice à engager la dialogue sur ce sujet !). Lorsque la patiente consulte pour un autre motif que gynécologique, on peut aborder le sujet par quelques questions simples : Quel est votre pays d’origine ? Est-ce que dans ce pays, on pratique l’excision, est-ce que les femmes sont coupées ? Dans votre famille, cela se pratique-t-il ? Et vous ? L’avez-vous subie ? Le fait d’évoquer le problème chez les femmes permet aussi de parler de prévention pour les petites filles lors d’un voyage au pays [5]. Il y a risque qu’une grand-mère ou une tante se charge, à l’insu des parents, de faire exciser l’enfant. Au retour en France, les parents seront traduits en Cour d’assises et encourent une peine qui peut aller jusqu’à 15 ans de prison (une peine de prison ferme a été prononcée pour la première fois en 1993 dans une affaire de ce genre). Les parents dont la petite fille risque d’être excisée en cas de retour au pays peuvent obtenir le statut de réfugiés. À chaque renouvellement de leur titre de séjour, on leur demande un certificat médical mentionnant que l’enfant n’a pas été excisée. Parler de réparation ou de reconstruction L’intervention consiste à libérer le moignon clitoridien en sectionnant le ligament suspenseur de la base du clitoris. C’est une intervention relativement facile, avec peu de complications, mais très douloureuse. La réparation anatomique est donc facilement réalisable, mais qu’en est-il de la réparation psychologique ? Dans tous les cas, une prise en charge psychologique appropriée est indispensable, et cette réparation ne peut pas être proposée à toutes les femmes. Pourtant, la réparation donne de bons résultats : une étude auprès de 453 patientes opérées en Afrique et en France entre 1992 et 2005 a montré une amélioration de la sexualité dans 75 % des cas [in 2]. Informer les autorités judiciaires ou administratives Les professionnels confrontés à un constat d’excision pratiquée sur une mineure sont tenus, sous peine de sanctions, d’en informer les autorités judiciaires ou administratives (article 434-3 du Code Pénal). Dans ce cas, le secret professionnel est levé selon l’article 226-14 de Code Pénal. MÉDECINE septembre 2013 327 VIE PROFESSIONNELLE Échanges entre professionnels Conclusion Si de nombreux pays tentent de lutter contre ces mutilations, le problème est loin d’être résolu. En Afrique, 28 pays ont interdit l’excision, mais peu ont intenté des poursuites. Christine Bellas Cabane, anthropologue et médecin, relatant son expérience sur le terrain, résume parfaitement le problème : « au Mali, les mères ont d’autres étalons de mesure et, entre deux souffrances, préfèrent le plus souvent imposer à leurs enfants ce qu’elles considèrent « la moins pire » : l’excision plutôt que l’exclusion » [6]. Liens d’intérêts : L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêts en rapport avec cet article. Références : Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017. 1. Sur http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/ 2. Quiquempois J. L’excision peut-elle être réparée ? Réflexion sur les incidences psychosexuelles de la chirurgie reconstructrice du clitoris chez les femmes excisées. Paris: EPU; 2009. 3. Couchard F. L’excision. Paris: Presses universitaires de France; 2003. 4. Horoks M. Mutilations sexuelles féminines : vécu des femmes mutilées et prise en charge médicale [thèse Médecine]. Paris: Université Pierre et Marie Curie (Paris 6); 2008. 5. Laurens Doucoure A. Les internes en médecine générale : face aux mutilations sexuelles féminines [thèse médecine]. Paris: Université Paris 5; 2011. 6. Bellas Cabane C. La coupure : l’excision ou les identités douloureuses. Paris: La Dispute; 2008. Les mutilations sexuelles féminines h L’excision est une coutume très ancienne, en pratique une mainmise sur la sexualité féminine, avec pour but la réduction du plaisir féminin et la domestication de pulsions sexuelles. Il existe 3 types de mutilations dont les complications sont nombreuses, parfois mortelles. Le médecin généraliste est un bon interlocuteur pour en parler et parler de réparation ou reconstruction, le cas échéant informer les autorités judiciaires ou administratives. Mais si la réparation chirurgicale permet une correction anatomique, la réparation psychique paraît beaucoup plus difficile. 328 MÉDECINE septembre 2013