Une guerre et un, père Machiavel à bon marché

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Une guerre et un, père Machiavel à bon marché
Chouchou, ce n'était d'abord qu'un
adjectif de l'émission « Salut les,
copains ». On disait, le disque chouchou, l'idole- chouchou. Puis il est
devenu un personnage : Chouchou
fait çi, Chouchou aime ça. On a entendu sa voix- sur l'antenne : Une
petite voix flûtée passée en vitesse
accélérée. Enfin, on l'a vu dans„le
journal- : avec ses cheveux à la
B-eatles. et sa chemise à damiers.
C'était un bon- fétiche, mais ça n'a
pas fait un bon- titre. , Les adultes'
fanas. de bandes dessinées. se sentent un peu ridicules de lire un jour:nal qui s'appelle « Chouchou ».
« Chouchou » pour l'instant est un
« bide » — bien que Filipacchi ait
réussi à vendre son numéro zéro,, ce
qu'aucun directeur de journal
n'avait osé' faire avant lui.
La deuxième- qualité-de Filipacchi, c'est qu'il sait confondre 1-a
gamberge avec ce qu 'il aime. Le
jazz, « Play Bay »-, les bandes. dessinées; le- cinéma et le rack. Ce n'est
pas une blague Il aime vraiment
le rock Lui qui aime le jazz,, pi le
connaît, -qui le défendait depuis des
années, il aime. 'aussi le rock.
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Une guerre et un, père
1.1 a des « contre »- : et après ?:II
a des e pour » aussi : les 950 000
fanas de rock qui achètent son journal, et les millions de gosses pendus
à Europe I tous les jours à 17 heures •
depuis 1959. Et d'ailleurs, qui n'aime
pas le rock ? Les catholiques-? il ont
fait « Flello » et « Rally.e-Jeunesse »..
Les communistes ? Ils ont sorti
« Nous .les garçons et les filles D,
et à -la dernière fête de « l'Huma.uit le stand des Jeunesses était un
ralibi J Vec des cow-girlà et du 3, é-yé:
• £1..
Aimer à la fois le New-Orléans, le
cool et le rock, ce n'est pas phis renversant qu'un type qui vous dit qu'Il
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:
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aime la musique « classique », maispas l'opéra,. ou que- « la musique
s'est arrêtée à Wagner >, ou qui vous.
avouera qu'il n'a jamais eu la curiosité r ma- foi non, d'écouter de-In musique coréenne ou de la musique
kirghize.
Avant d'être celui du 'patron de la.
presse « copains », te nom- de Daniel Filipacchi recouvrait quoi ?
Peu, Un photographe 'de- « -Match. »,
un bon photographe,. . certes, qui
avait réalisé quelques '« scoops. » —
Maurras et Pétain- en prison, un- beau
Gide- « couleur » — Mais enfin un
homme de troupe, qui .se trouva un
jour « .déplacé » à « Marie-Claire »
et qui, ce- jour-là sans doute, se mit
patiemment à « gamberger » sa revanche.
Et avant la- photo, bien avant, toutau début : l'école communale de la
rue de Vaugirard.. Puis des. boîtes
diverses dont l'Ecole' alsacienne.
Suit, chaque fois,, tin renvoi pour
cause de chah-ut. Pas- d'études secondaires donc.. Mais rue Tourne
fort, un stage de typo .chez Aullard,
qui imprime la . nuit les • &litions
de lifinalL C'est la guerre. Après,
eest Faprês-guerre, c'est-à:dite toujours rien, de bon. Filipaceht
n'est encore qu'un pas: grand-chose,
le fils de son père, en fils à, papa:
Mais son père, c'est quelqu'un. Pas
seulement parce que Henri FiiipaeChi est un des directeurs 'rie-Hachette »,. qu'il est Monime du « Livre
de. Pèche et, avec: .Shiffrin, celui
de Ia, c 'Pléiade- », mais parce qu'il.
passe; en plus, pour un homme faS,
chiant. Gai, moderne; beau garçon,
Pppiilaire au -Flore - et pris au
neuX : par son • redoutable. président.
-Meunier, du- FlotisSOy; if. gagne- beaueoup &argent dans son job„ et sait
se passionner pour 'antre chose que
littérature; pour le cinéma,
turcs rapides, les jolies filles, les
derniers modèleS •d"appareils photos
et 'le jazzpuiScitie depuis 1929i.
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il possède une des meilleures discotheques de France.
La guerre et un tel père, cette addition fait qu'en 1944, à 16- ans,
Daniel Filipacchi est déjà un adulte.
Il ne s'est senti enfant, il le dit luimême, que le temps qu'il a eu des
petits pieds, des petites mains et des
petites épaules. Mais dès qu'il a acquis la taille d'homme, il a commencé sa vie d'adulte, et réglé du
même coup ses problèmes d'adolescence. Les femmes, par exemple.
Très vite, il est passe à d'autres
préoccupations. Au boulot. A la
« gamberge
Machiavel à bon marché
Le portrait de ce père qui, toute
sa vie, est passé au travers de tout
ce qui aurait pu lui être de l'ennui
ou du souci — Henri Fitipacchi
échappa même à sa mort quelques
secondés en 1961 — n'a jamais cessé
d'épater son fils. Avec son père
devant Iui, Daniel aime le jazz > le
cinéma, la radio, la photo — et la
presse. Au kiosque du drug-store des
Champs-Elysées où il achète des
kilos de magazines, en américain,
en italien,, en allemand ou aussi bien
en finlandais, il doit être le Meilleur
client.
Avant de réussir cependant, avant
d'être considéré par les grands de la
presse comme leur , stIgiaire,
« bleu » plein d'avenir, Daniel Filipacchi a connu quelques ratages. Un
club de disques de jazz : un four.
Les « Cahiers du jazz »- : un deuxiè,
me four. Un autre encore, et de taille
celui-ci l'opération Quincy Jones
tous- les soirs au studio Hoche. Lig
Orchestre de 20 personnes et. 56,
dans la salle, jamais MUS de 99 le
samedi! Des. tournées de jazz avec
des musiciens américains sous
Contrat d'un mois, impossibles à re-
vendre à Berlin ou même à Francfort : des désastres.
Le vent a tourné. Il a maintenant
trois séries de bureaux qu'il désigne
du nom des rues où ils sont situés,
distants de cent mètres l'un de
l'autre autour d'Europe I, « Marbeuf », « Chambiges » et « Marot ».
Il est à la recherche d'un immeuble
sur les Champs-Elysées. Il a une
Ford-Galaxie, une Ford-Mustang, et:
une merveilleuse maison à MarnaY
— mi il ne vit pas. « C'est simPle, si.
tu veux pêcher, t'as trente cannes à
pêche et des barques, si tu veux
chasser, t'as trente fusils, Si ta veux
de la musique, t'as trente mille dis,
ques, si tu veux lire, t'as trente mille
livres, si t'as envie d'un grimace,
t'as une. salle de projection, ; t'as
qu'a dire ce que tu veux, il y a
-
:passé l'état où l'on va , chaque fin_ de mois, retirer son chèque chez
le comptable-Machiavel à bon mar:
ch& qui s'arrange toujours. pour Vouà
denner l'impression de voler votre
argent : les chèques, aujourd'hui,
c'est lui qui les signe. Il arrive
même qu'il les fasse très gros. Certains de ses collaborateurs qui touchaient 300 000 francs à « Match »,
gagnent chez lui deux millions« C'est
pour Daniel Filipacchi un plaisir
très évident de voir venu le moment où il paie les autres. Celui où
il se permet d'engager un type mal
étiqueté dans une boîte, dont il
pense qu'il a du talent et qu'il n'ekt.
« raté » que dans cette boîte-là. Et
un autre, plus subtil, de se trouver
subitement invité deux fois par mois
par Jean Prouvost — qu'il appelle
toujours « patron ».
Comme Prouvost
Mais il a gardé depuis « Match »
les mêmes amià : Jean-Marie Pé; ;Suites page 16.
Le Nouvét.Observateur-.::
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