l`Arbre-Monde - Eglise protestante de Bruxelles

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l`Arbre-Monde - Eglise protestante de Bruxelles
Les arbres dans la Bible :
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l’Arbre-Monde
Un jour, on demanda à Martin Luther ce qu’il ferait si on lui annonçait que la fin du monde était pour
le lendemain. La légende raconte qu’il répondit : J’irai planter un arbre. Pourquoi une telle réponse ?
Peut-être parce qu’en professeur d’Écriture sainte et en traducteur de la Bible qu’il était, il savait que
si tout commence en la Genèse par un jardin sur terre — l’Éden — et que tout s’achève en
l’Apocalypse par une ville descendant du ciel — la Jérusalem céleste —, il existe aussi un élément
constant qui traverse toute la Bible, du temps de son premier livre à celui de son dernier, et c’est
l’arbre. Ou plus exactement, ce sont les arbres, tant ils sont multiples :
« Dieu dit : Que la terre produise de la verdure, de l’herbe porteuse de sa semence, des arbres
fruitiers qui portent sur la terre des fruits selon leurs espèces… Le Seigneur Dieu planta un jardin
en Éden… Le Seigneur Dieu fit pousser de la terre toutes sortes d’arbres agréables à voir et bons
pour la nourriture. »i
« Je vis un nouveau ciel et une nouvelle terre… Et je vis descendre du ciel, d’auprès de Dieu, la
ville sainte, le Jérusalem nouvelle… Au milieu de la grande rue de la ville et sur les deux bords du
fleuve, un arbre de vie produisant douze récoltes et donnant son fruit chaque mois. »ii
Et s’il avait été notre contemporain, peut-être aurait-il pu lui aussi chanter au XXe siècle :
« Auprès de mon arbre,
Je vivais heureux,
J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre…
Auprès de mon arbre,
Je vivais heureux,
J’aurais jamais dû le quitter des yeux »iii
Ou encore
« Comme un arbre dans la ville
J’ai des chansons sur mes feuilles
Qui s’envoleront…
Comme un arbre dans la ville. »iv
À moins... à moins qu’il ait été tout empreint des mythes si nombreux sur les arbres, notamment
celui venu du Nord de l’Europe : le mythe d’Yggdrasil, l’Arbre-Monde. Il s’agit d’un immense frêne
avec trois racines reliant trois mondes différents. En lui vivent de nombreux personnages qui se
nourrissent de ses fruits. Son nom signifie « le destrier du redoutable », c’est-à-dire de Odin, le père
de tous les dieux. Yggdrasil — arbre-monde qui symbolise la lutte continuelle entre les forces de vie
et de destruction, la vie finissant par l’emporter —, reliant le haut et le bas, est « axis mundi et
universalis columna » : l’axe du monde qu’il soutient et la colonne de l’univers qu’il porte. La pianiste
et écrivaine Hélène Grimaud décrit cet arbre dans son dernier roman en ces termes :
« L’arbre. Il était plus grand encore que ce que l’obscurité m’avait permis de deviner… Je ne
pouvais en apercevoir la cime… L’arbre semblait se perdre dans le ciel… Ses premières branches
étaient trop hautes pour que je puisse saisir l’une des feuilles qu’elles portaient. Je n’avais
pourtant pas rêvé : aucune n’avait la même forme, ni n’avait l’air de la même texture… Je tâtai le
tronc, d’une énorme circonférence, avec l’espoir d’y trouver des points d’appui pour grimper
dans l’arbre et cueillir les mystérieuses feuilles. Mais je retirai vivement la main. L’écorce avait
bougé. Je fis un pas en arrière, abasourdi. Était-il envisageable que l’arbre soit vivant ? qu’il
respirât… Et soudain, je compris : l’arbre ne respirait pas, il n’était pas le poumon de la forêt, il en
était le cœur. Il imprimait à la forêt alentour, à l’humus, le battement d’un pouls, comme une
respiration, mais sans air, sauf à l’absorber… Au moment de franchir la lisière de la forêt, je jetai
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un coup d’œil par-dessus mon épaule. Dans l’épaisseur du brouillard, je vis toutes les feuilles de
l’arbre luire comme des phosphorescences. Leur configuration me sembla si familière que je
m’immobilisai… Et, brusquement, je compris pourquoi j’éprouvais ce sentiment de familiarité, de
déjà vu en le contemplant : ensemble, les feuilles reproduisaient exactement la carte du ciel et
des galaxies. »v
Je reviendrai au roman d’Hélène Grimaud la semaine prochaine.
Dans l’Épopée de Gilgamesh, on trouve un arbre tout à fait analogue, l’arbre Huluppu planté par la
déesse Ninanna à Uruk. De nombreux animaux vivent dans son houppier, et au milieu la démone
Lilith y a établi sa demeure.
En Égypte ancienne, l’arbre cosmique est un sycomore. En Russie, c’est un bouleau. En Gaule, c’est le
chêne qui fait le lien entre le ciel et la terre ; saint Louis, roi de France par consécration divine,
rendait la justice dans le bois de Vincennes, sous un chêne ; le gui cueilli dans son branchage est don
des dieux ; s’y adosser permet de recueillir son énergie vitale.
En Chine, le bois des arbres est le cinquième élément de l’univers — après l’air, l’eau, la terre et le
feu. L’arbre Kien Mou est dressé au centre du monde ; à son pied, il n’y a ni ombre ni écho ; il a neuf
branches et neuf racines par lesquelles il touche aux neuf cieux et aux neuf sources (dont le séjour
des morts).
En Iran, c’est l’arbre Hom qui est à la fois arbre et source (de lui provient nourriture et breuvage),
puisque ses pieds s’enfoncent dans la terre tandis que sa cime est baignée de vapeurs qui retombent
en rosée dans la vallée.
Enfin, en Inde, l’arbre sacré est le « Ficus religiosa » — le figuier sacré, Açvattha. Il a pour racine
Brama (le créateur de tout ce qui existe), pour tronc Shiva (la force de la destruction et de la
méditation), et pour branches Vishnou (l’organisateur des mondes). C’est sous son ombre que
Siddhârta Gautama connut l’Éveil et est devenu le Bouddha. Dans le récit mythique, cet arbre a la
particularité d’être inversé : ses racines se dirigent vers le ciel et sa ramure plonge vers le sol. Il n’est
pas le seul à être ainsi. Dans le Zohar — texte de la mystique juive —, il est écrit que l’arbre de vie
s’étend du haut vers le bas et que le soleil l’éclaire entièrement.
Plus près de lui, peut-être Martin Luther a-t-il entendu ou lu l’élégie de Pierre de Ronsard « Contre les
bûcherons de la forêt de Gastine » où le poète s’écrie :
« Écoute, bûcheron, arrête un peu le bras ;
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce. »vi
L’arbre, dans l’esprit de beaucoup d’hommes et de femmes, à travers tous les âges, est tellement
plus qu’un simple végétal. Tolkien, dans « Le Seigneur des anneaux », leur attribue une place
importante, tant à travers les ents, les huorns ou l’arbre blanc du Gondor : arbres combattant pour
la victoire de la vie, arbre immortel symbolisant la vie.
François Mitterrand, en son temps, a choisi comme sceau l’image très particulière d’un arbre créée
par Michel Disle.
Et nous, que faisons-nous lorsque nous dressons un arbre généalogique, sinon mettre en lumière
l’axe d’une famille, tracer sa vie en dessinant son univers, se nourrir des fruits de cet arbre et se
reconnaître soi-même comme l’un de ces fruits ?
Cependant, la Bible va plus loin que tout cela en donnant à l’arbre un sens tout particulier, en lien
avec la foi en Dieu.
En hébreu, l'arbre s'écrit : nlya qui se prononce « ilan ».
Sa valeur numérique par addition de la valeur de ses lettres est de 91 (n=50 + l=30 + y=10 + a=1).
L'ange s'écrit : klam qui se prononce « malak ».
Il a également une valeur numérique de 91 (k=20 + l=30 + a=1 + m=40).
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De même pour le terme nourriture qui s'écrit avec les mêmes lettres que pour l'ange, mais dans un
ordre différent : lkam, et se prononce « makal ».
Il y a donc une équivalence spirituelle entre ces trois termes. Un arbre est à la fois ange et nourriture
pour l'homme qui le contemple. Il est don envoyé par Dieu.
Mais il est plus encore, car Dieu a deux noms dont la somme est égale à 91 : hwhy (tétragramme
sacré qui est imprononçable / h=5 + w=6 + h=5 + y=10) et ynda (Adonaï, y=10 + n=50 + d=4 + a=1). Soit
26+65 = 91.
L’arbre est un élément de la mystique juive qui, par sa valeur numérique, est arbre de lumière… il est
symbole de Dieu. Voilà pourquoi, au Yad Vashem, est plantée une forêt d’arbres des justes.
Martin Luther savait-il tout cela ?
Je ne sais, peut-être cela fait-il partie aussi de l’inconscient collectif humain.
Laissez-moi vous conter une histoire. Au début de ces propos, je suis partie d’une question
concernant la fin du monde. Voici maintenant une confidence concernant le début de la vie… elle
peut être l’explication du pour quoi, dans certaines familles, un arbre est planté à la naissance ou à la
mort de quelqu’un.
Un jour, Dieu s’approcha de l’homme et lui dit :
« Si j’étais Dieu,
aux origines,
j’aurais planté un jardin.
Au milieu de ce jardin, j’aurais fait pousser un arbre. Pas des centaines, pas des dizaines d’arbres, pas
une forêt. Non, juste un arbre, mon arbre. L’arbre du monde qui n’aurait nul autre besoin que de cet
axe pour tourner harmonieusement et être en paix avec lui-même. Il serait “le ferme soutien de
l’univers, lien de toutes choses, support de toute la terre habitée, entrelacement cosmique,
comprenant en soi toute la bigarrure de la nature humaine”vii. Les oiseaux du ciel auraient fait leurs
nids dans ses ramures, pour abriter leurs amours et leurs petits. Les hommes et les femmes se
seraient allongés à son pied, protégeant leur intimité de son branchage. Les animaux du sol, entre
ses racines, auraient trouvé refuge. Mon arbre aurait été véritablement le lieu de la paix.
Si j’étais Dieu,
oui, j’aurais planté un arbre qui relierait le dessous de la terre à son dessus et à son au-delà. Il irait de
ces lieux inférieurs à ceux d’en haut en entrelaçant le monde — de l’enfer aux cieux — traçant une
ligne de vie imbrisable qui dirait à toutes celles et à tous ceux qui le regarderaient l’essence de
l’existence. La vie ne va pas à l’en-dessous de la terre puisqu’elle en vient pour s’élever et s’épanouir
à la lumière de l’en-haut.
Parfois, mon arbre, à bien le regarder, semblerait à l’en-vers, ayant ses racines dans la lumière des
nues, “s’étendant du haut vers le bas, le soleil l’éclairant entièrement”. Cet “arbre du bonheur”viii et
de la paix plongerait ses racines dans le dernier ciel, et ses rameaux s’étendraient jusqu’au dessous
de la terre.
Mais en réalité, peu importe le sens, puisque mon arbre aurait sept branches pour être un arbre de
lumière (menora), centre du jardin, centre de ce sanctuaire où se rencontrent le haut et le bas, l’infini
et le fini, le Créateur et la créature, le Grand arbre et le petit arbre, moi et toi, ton univers chtonien
et mon univers ouranien.
Je sais bien qu’à l’automne venu, mon arbre perdrait ses feuilles ; pour le Nouvel An de l’homme, il
serait nu comme la mort. Mais je sais aussi qu’au Nouvel An de l’arbre, en ton printemps, ses feuilles
repousseraient et la vie avec elles. Mon arbre sortant de la ténèbre pour aller vers la lumière
traverserait la vallée de l’ombre de la mort. Il serait ainsi ma promesse et mon bâton qui te
rassurent. Il te porterait à la croisée de ses branches et il te donnerait tout ce dont tu as besoin pour
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vivre : l’eau de sa sève, la terre de ses racines, l’air de son feuillage et le feu qui jaillit de son
frottement.
Je vais te dire encore une chose, mon secret. Mon arbre, il est ILAN, c’est mon ange, mon envoyé
(MALAKH) à tes côtés. Il est celui que je t’ai désigné depuis les origines afin que vers lui tu avances. Il
est moi (YHVH + ADONAÏ) pour toi. C’est pour cela qu’il est un arbre de paix. Une paix véritable qui
n’est pas un entre deux guerres, entre deux conflits. Regarde mon arbre, reçois-le et vis de ma paix. »
bruneau joussellin
3 août 2014
bruxelles-musée
L’arbre Yggdrasil
Le sceau de François Mitterrand
i
Genèse 1, 11 & 2, 8a.9a
Apocalypse 21, 1a.2a & 22, 2a
iii
Georges Brassens : Auprès de mon arbre
iv
Maxime Le Forestier : Comme un arbre dans la ville
v
Hélène Grimaud : « Retour à Salem » ; éd. Albin Michel, 2013, p. 57ss
vi
Pierre de Ronsard, Élégie XXIV
vii
Pseudo-Chrysostome
viii
Coran
ii
Les arbres dans la Bible : (1) l’Arbre-Monde
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