Controverses autour d`une publication

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Controverses autour d`une publication
Controverses autour d’une publication
Travail de fin d’études en vue de l’obtention du grade d’architecte
Sophie Bogaert
Promoteur : Jean-Didier Bergilez
Année académique 2008 - 2009
« Ce qui importe, c’est moins le produit de la conception, à savoir le bâtiment construit, mais plutôt l’étude du processus
global qui y conduit et ses implications sur notre manière d’appréhender l’oeuvre »1
Introduction
1. Learning from Las Vegas, avec
jacquette, 1ere edition (MIT Press), 1972.
2. Learning from Las Vegas, sans
jacquette, 1ere edition (MIT Press), 1972.
1 GAFF Hervé, Qu’est-ce qu’une œuvre
architecturale ?, éditions Vrin, France, 2007, p 8.
2 JENCKS Charles , «At the edge of Postmodernism : some methods, paradigms ad
principles for architecture at the end of the
modern movement», Architectural Design, 4/77.
8
Intuitions
Au sein de l’histoire de la critique architecturale, on peut caractériser
les années 1970 comme une période d’effervescence d’un espace dédié à la
théorie, aux débats et aux publications.
«Indubitablement, de nombreux architectes sont aujourd’hui déçus par le
modernisme, tout comme le public, et un nouveau paradigme, ou théorie, commence
à se former. Ce paradigme est encore défini de manière imprécise et ne fait pas
encore l’objet d’un large consensus, mais les grandes lignes de ce qu’il est en train
de devenir sont claires, en particulier pour la prochaine génération d’architectes
actuellement dans leur trentaine. Les cinq prochaines années promettent d’être
extrêmement intéressantes pour les architectes - alors que le paradigme prend
forme - mais aussi probablement confuses et incertaines.»2
Notre connaissance relative de la production de cette époque discriminée,
le caractère éphémère et ardu de ses documents et témoignages pourtant
pertinents furent à l’origine de notre intuition de l’intérêt d’un retour sur les
préoccupations propres aux années 1970.
Nous aborderons cette thématique avec pour objet d’étude la fortune critique
d’une production architecturale emblématique de l’époque: Learning from Las
Vegas (LLV). Nous nous intéresserons à la publication d’une part et à la réception
publique de l’ouvrage d’autre part, celles-ci étant révélatrices de l’évolution du
rôle accordé à la théorie en architecture. Quelles traces restent-ils du processus
de construction du livre et comment l’ouvrage a-t-il retenti?
La publication, Learning from Las Vegas, co-écrite par Robert Venturi, Denis
Scott Brown et Steven Izenour (VSBI) fut publiée par la MIT Press en 1972.
La deuxième édition de l’ouvrage, Learning from Las Vegas, The Forgotten
Symbolism of Architectural Form, éditée par la même maison d’édition, parut
en 1978 et fut traduite ensuite dans de nombreuses langues. Parmi ces
versions étrangères, nous pouvons recenser les suivantes: la version française,
L’enseignement de Las Vegas, aux éditions Mardaga (Liège) en 1977, épuisée
et rééditée en 2008; la traduction japonaise publiée en 1978 ainsi que la version
espagnole qui, au même titre que la version française, sera rééditée en 1998;
la version germanophone, publiée en 1979 et réimprimé en 2000; la version
italienne en 1985; la serbo-croate en 1988,la turque en 1993; la chinoise en
2005, et la portugaise et l’hébraïque dans les années qui suivirent. Au sein de
notre étude, nous appuierons la majorité de notre argumentation sur la première
édition américaine Learning from Las Vegas, la seconde édition, Learning from
Las Vegas, The Forgotten Symbolism of Architectural Form ainsi que sur sa
traduction française, L’enseignement de Las Vegas.
Nous avons pris connaissance de la valeur de l’histoire et de la critique
architecturale au cours de notre enseignement guidé par un laboratoire de
9
3. Learning from Las Vegas, revised
edition, 2eme edition (MIT Press), 1977.
3 JAUSS Hans Robert, Pour une esthétique de la
réception, Gallimard, 1978.
10
recherches nommé HTC (Histoire, Théorie et Critique).
Au cours de cette année, nos projets de recherches, alliant un intérêt historique
et une sensibilité aux débats actuels, s’articulaient autour d’une thématique
proposée, «Seventies reconsidered». Nous avons donc eu l’occasion d’interroger
la discipline au travers de rencontres, séminaires, visites et de travaux de
recherches afin d’en obtenir un panorama général... L’intuition de notre étude
repose sur cet apprentissage.
Méthodologie
Cette exploration sera présentée par le biais d’un recueil d’articles, de fragments
de livres, de conférences, d’expositions, etc... échelonnés sur une dizaine
d’années consécutives, depuis les préludes de l’ouvrage jusqu’à la parution
de son édition réactualisée en 1977, afin de rendre compte de la «petite» et
de la «grande» histoire de cette publication, et de révéler les prémices et les
conditions de sa construction qui en ont fait une bible architecturale.
Ces documents rassemblés, de pertinence variable et de ton changeant,
oscilleront de l’article du journaliste au caractère documentaire, à l’essai
d’auteurs de renommée et constitueront la matière première autour de laquelle
notre étude se déploiera. Nous tenterons donc au travers de nos références de
nous limiter temporellement à cette période de foisonnement.
Notre volonté de rapporter des controverses, qu’elles soient politiques, artistiques
ou autres offre un caractère ciblé à notre étude. Notre recherche s’appuie sur des
documents dont elle choisit de rendre compte indépendamment de l’épaisseur
historique qui les sépare. Il est nécessaire de se placer dans cette posture en
jetant un regard objectif sur les diverses productions. Dans son ouvrage, Pour
une esthétique de la réception, le professeur allemand Hans Robert Jauss
proposait de considérer l’histoire de la littérature comme une histoire de la
réception des textes, avec la notion d’horizon d’attente. Il écrivit notamment
que «le caractère proprement artistique d’une œuvre se mesure à l’écart esthétique
qui la sépare, à son apparition, de l’attente de son premier public.» Et qu’il s’ensuit
que «cet écart, qui, impliquant une nouvelle manière de voir, est éprouvé d’abord
comme source de plaisir ou d’étonnement et de perplexité, peut s’effacer pour les
lecteurs ultérieurs à mesure que la négativité originelle de l’œuvre s’est changée en
évidence, et, devenue objet familier de l’attente, s’est intégrée à son tour à l’horizon
de l’expérience esthétique à venir.»3
Nous étudierons Learning From Las Vegas par le biais de sa réception. L’ouvrage
sera envisagé en tant que construction sociale (et non intellectuelle) inscrite
dans un cadre socio-historique général.
Influencés par les lectures de la sociologue de l’art Nathalie Heinich, nous
adopterons une approche teinté de méthodes sociologiques et nous attacherons
à décrire la construction des faits par les acteurs eux-mêmes, plutôt qu’évoquer
11
4. L’enseignement de Las Vegas ou le
Symbolisme Oublié de la Forme Architecturale, Mardaga, Liege, 1977.
12
5. L’enseignement de
Mardaga, Liege, 1987.
Las
Vegas,
les propriétés esthétiques propres à l’oeuvre.
Nous prendrons pour objet de recherche, et non pour objet critique, les différentes
valeurs défendues. Plutôt que de valider ou d’invalider certaines postures, il
s’agira de comprendre comment les acteurs les construisent, les justifient et les
mettent en oeuvre dans leurs discours et dans leurs actes.
Nous nous abstiendrons de réduire l’expérience à une vérité unique en
s’affranchissant des fonctions normatives qui constitueraient de faire du
général la norme et de l’individuel le produit d’un ensemble de déterminations
et la restitueront plutôt dans son hétérogénéité. L’exigence d’une description
pluraliste implique l’abandon de postures de dénonciation, d’admiration prônant
d’avantage une impartialité maximum.
Les limites évidentes d’un tel travail sont à noter:
Il nous incombe la tâche délicate de rendre compte des jugements émis par une
presse internationale à une époque révolue. Premièrement, nous rencontrons
surtout dans une presse non spécialisée, un grand nombre d’instruments de
communication. La thématique de l’oeuvre, sa représentation graphique, ses
références,... sont des aspects qui ont suscité beaucoup d’articles, de débats,
et d’interviews (avant, pendant et après sa publication), et sont devenus des
références communes, invoquées fréquemment et, de surcroît, dans des
contextes forts différents. Nous ne pouvons plus parler d’une réception du
public en général mais «des» publics. Nous devons ainsi abandonner un point
de vue globalisant sur «Le» public d’architecture et s’intéresser à «un» public
d’architecure socialement différencié. Ainsi pour satisfaire à l’exigence de
neutralité que définit notre propre travail, nous tenterons d’accorder la même
attention aux productions mineures qu’aux grandes oeuvres, qui ont dans le
cadre de notre étude une légitimité égale, et ce, sans finalité de démystification.
De plus quelques problèmes linguistiques se posent; et enfin, nous ne pourrions
pas composer et analyser la liste exhaustive de ces critiques émises au cours de
cette dizaine d’années consécutives, l’ampleur de la tâche dépasserait de très
loin les limites de cette étude.
Il convient donc de considérer cette contribution comme une discussion d’un
certain nombre de faits, puisés dans un certain nombre d’ouvrages. Nous
pensons toutefois avoir réuni suffisamment d’informations afin de parvenir à
tisser les liens étroits souhaités.
Nous prônons une objectivité maximum au travers de notre étude, toutefois, au
risque de paraître trop naïfs, il est nécessaire d’assumer notre part d’interprétation
de l’histoire par notre connaissance relative et notre choix assumé des références
citées.
Les textes référés furent retranscrits, dans un premier temps, tels qu’ils avaient
été publiés initialement, ensuite un travail assidu et minutieux de traduction fut
opéré afin d’offrir une meilleure homogénéité du travail et d’en permettre une
lisibilité fluide.
13
6. Aprendiendo de Las Vegas, El
Simbolismo Olvidado de la Forma Arquitectonica, Espagnol, Gustavo Gili
Editorial S.A, 1978.
14
7. Apremdendo com Las Vegas,
Portugais/Bresil, São Paulo, Cosac e
Naify, 2003.
Ce recueil ne porte pas en lui la prétention de se vouloir englobant ni d’être
l’exposé d’une thèse. C’est une recherche, une analyse, un témoignage, d’un
événement des plus marquants de la scène architecturale des années 1970.
Un mémoire, un récit objectif tentant de ne porter aucun jugement mais rendant
compte d’opinions s’avérant contrastées, à la fois dans leur approche, leur style,
et au travers du public auquel elles s’adressaient.
Développement
L’étude de ce processus de construction et de réception de l’oeuvre s’échelonnera
autour de quatre thématiques controversées relativement autonomes qui
constituent des clés de lecture face à la multiplicité de la production de
l’époque.
Premièrement, dans CONTROVERSE 1 : Las Vegas comme modèle, nous tenterons
de comprendre l’origine d’une telle étude. Nous reviendrons sur les intuitions
des auteurs quant à l’intérêt qu’ils portent à l’évolution du paysage suburbain
de bord de route de Las Vegas (le Strip). Pour cela, nous recontextualiserons
au travers d’articles d’une presse internationale spécialisée dans un premier
temps, l’époque d’après guerre caractérisée par un développement massif des
besoins liés à l’automobile et un rejet général face au chaos visuel du paysage
suburbain américain. Nous analyserons ensuite, par le biais de contributions
d’auteurs tels que Kevin Lynch, la remise en question du discours urbanistique
et l’interrogation quant à ce nouveau phénomène nommé l’extension urbaine et
l’image qu’il renvoie. Enfin, nous citerons différentes figures architecturales qui
comme VSBI considèrent la ville de Vegas comme modèle des villes futures afin
de compléter le panorama de cette polémique naissante.
La deuxième thématique, CONTROVERSE 2 : Las Vegas, la construction d’une
image, revient sur le processus de construction de LLV qui demeure dissimulé
voire mystérieux au regard de la plupart des lecteurs. Nous n’en connaissons
que le résultat final, la deuxième édition, Learning from Las Vegas, The Forgotten
Symbolism of Architectural Form ou sa traduction française. Afin de rendre
compte de l’évolution de cette oeuvre et des différentes productions par
lesquelles sont passés les Venturi pour théoriser leur conception de l’archétype
de la rue commerçante, nous reviendrons sur chacune d’entre-elles. Cette
exploration reposera sur des archives et témoignages de chacune des éditions
et s’appuiera aussi sur certaines publications contemporaines.
Nous reviendrons initialement sur le studio Learning from Las Vegas et la volonté
du corps professoral de le développer comme un nouvel outil pour l’enseignement
architectural ainsi que sur la réception publique de cet événement au sein d’une
presse locale et dans le milieu architectural.
Ensuite, nous tenterons de mettre en exergue les spécificités de chacune des
deux éditions par une «dissection» de leur espace interne respectif. Nous
reviendrons sur les conflits idéologiques établis entre les auteurs et leur graphiste
15
8. Las Vegas’ın Ögrettikleri: Mimari
Biçimin Unutulan Simgeselligi, Turc,
Serpil Merzi Özaloglu, Istanbul, 1993.
16
9. Lernen von Las Vegas: Zur
Ikonographie und Architektursymbolik
der Geschäftsstadt, Allemand, 1979.
par l’intermédiaire du recensement partiel d’une correspondance assidue
récemment publiée entre les auteurs du livre et la maison d’édition.
La troisième thématique, CONTROVERSE 3 : Las Vegas ou les enseignements
du Pop Art, sera initiée par la mise en exergue des affinités de chacun des Venturi
avec une culture populaire, par le biais d’articles et d’essais de leur plume, de
leurs partisans ou de leurs opposants. Il est intéressant d’observer comment
la culture Pop peut faciliter la compréhension de l’idéologie des Venturi. Nous
reviendrons donc sur les relations existantes entre la scène artistique Pop de
l’époque et leur travail en nous référant ici à la presse nationale quotidienne
relatant l’exposition Signs of Life: Symbols in the American city. Nous verrons
comment la médiatisation de l’événement est révélatrice de la volonté des
auteurs de placer leur travail à la portée de chacun.
Afin de réaliser l’ampleur de la diffusion de la publication, nous étudierons dans
cette dernière partie, CONTROVERSE 4 : Las Vegas ou les limites du discours,
son impact au sein du débat architectural et urbain européen de l’époque. Nous
verrons, au travers d’une revue architecturale critique des années 1970 en marge
avec le discours révolutionnaire des Venturi et par le biais d’autres témoignages
que le débat s’était cristallisé autour de deux tendances opposées - élitistepopuliste- interrogeant les limites de la philosophie venturienne.
Finalement, nous clôturerons les débats par un bref aperçu des accusations
d’initiateur d’un nouveau tournant architectural auxquelles font face les Venturi.
L’objectif n’étant ni de prendre parti, ni d’alimenter les débats et querelles
incessants, nous tenterons «juste» de compléter notre étude en rendant compte
de la dimension polémique à laquelle participe LLV.
En organisant le travail en quatre parties principales, l’objectif est donc de rendre
compte des multiples aspects que présente l’ouvrage dans toute la complexité
de sa réception.
17
RECENSEMENT
1 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
« A significance for A&P Parking lots », in
Architectural forum, mai 1968. (Paru dans Lotus,
1968, p. 70-91; dans Theorizing a New Agenda for
Architecture: An Anthology of Architectural Theory
1965 - 1995, Kate Nesbitt, New York: Princeton
Architectural Press, 1996, p308-322; dans TimeSaver Standards for Urban Design, 2003, p. 3.61-3.6-12. Traduction allemande dans Werk, Avril
1969, p. 256-266.
20
Nous avons pu recenser dans la presse écrite une série de commentaires
et d’interprétations, le plus souvent critiques, consacrés à la publication LLV
publiés entre 1968 et 1977. Cette limite temporelle s’étend depuis la première
apparition sur la scène architecturale de LLV encore sous la forme d’un article
«A significance for A&P Parking lots, or Learning from Las Vegas»1 publié dans
la revue Architectural Forum jusqu’à l’année de parution de la deuxième édition,
Learning from Las Vegas, The Forgotten Symbolism of Architectural Form.
Nous nous proposons ici d’en faire une liste exhaustive afin de prendre
conscience de l’ampleur de la réception critique de l’ouvrage, sans égal pour
une publication architecturale, et de la diversité des documents rassemblés.
Tous les documents repris n’auront pas obligatoirement fait l’objet d’une analyse
complète. Les articles que nous n’avons pu nous procurer seront signalés par
une police plus claire.
Nous classerons ce catalogue de témoignages dans un ordre chronologique afin
de mettre en avant les quelques périodes propices à un déferlement d’articles
comme l’année de parution de l’ouvrage ou celle de l’exposition de leur travail.
1968
- « L’Architecture en tant qu’espace, l’architecture en tant que symbole », L’Architecture
d’Aujourd’hui, septembre 1968, p. 36-37
- LITMAN Jerry, « Art or Litterature? », Las Vegas Sun, 24 octobre 1968.
- SCOTT BROWN, Denise, VENTURI Robert, « A Significance for A&P Parking Lots, or
Learning from Las Vegas », Architectural Forum, mars 1968. (Paru dans Lotus, 1968,
p. 70-91 & Time-Saver Standards for Urban Design, 2003, p. 3.6-1-3.6-12. Traduction
allemande, Werk, avril 1969, p. 256-266.)
- SCOTT BROWN Denise, VENTURI Robert, « On Ducks and Decoration », Architecture
Canada, octobre 1968, p. 48
- SCOTT BROWN Denise, « Mapping the City: Symbols and Systems », Landscape 17,
printemps 1968, p. 22-25
1969
- RICHARD Paul, «Learning from Las Vegas», The Washington Post, 19 janvier 1969, The
Arts, p. K1, K8
- RICHARD Paul, «Learning from Las Vegas», Today’s Family Digest, novembre 1969, p.
12-17
- SCOTT BROWN Denise, « On Pop Art, Permissiveness and Planning », AIP Journal,
mai 1969
- STERN Robert A.M., New Directions in American Architecture, New York : George
Braziller, 1969, p. 50-59
21
- WATSON Donald, « LLV, LLV :? VVV », Novum Organum 5, New Haven: Yale School of
Art and Architecture, 1969
- WOLFE Tom, « Electrographique Architecture », Architectural Design, juillet 1969
1970
- JACOBS Jay, «A Commitment to Excellence», The Art Gallery, décembre 1970, p. 1732
- HUXTABLE Ada Louise, « Heroics are Out, Ordinary is In », The New York Times, 18
janvier 1970, pg. 27
- HUXTABLE Ada Louise, « In defense of the Strip », Journal of the American Institute of
Architects, décembre 1970, p. 64
- PAWLEY Martin, «Leading from the Rear», Architectural Design, janvier 1970
- VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, « Co-op City: Learning to Like it », Progressive
Architecture, février 1970, p. 64-73
- VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, « Reply to Pawley - ‘Leading from the Rear’
», Architectural Design, juillet 1970, p. 4
1971
- FRAMPTON Kenneth, « America 1960-1970 : Notes on Urban Images and Theory »
Casabella 359-360, mai - juin 1971
- SCOTT BROWN Denise, «Learning from Pop», Casabella, 359-360, mai - juin 1971, p.
15-23
- SCOTT BROWN Denise, «Pop off : Reply to Frampton» Casabella, 359-360, mai - juin
1971, p. 41-46
- VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, «Ugly and Ordinary Architecture, or
the Decorated Shed», Part I, Architectural Forum, novembre 1971, p. 64-67; Part II,
Architectural Forum, décembre 1971, p. 48-53
1972
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The New Republic, Book Reviews, 2 décembre 1972
- GOODMAN Robert, «the Architecture of counter-revolution», dans After the planners,
Penguin, 1972
- HOFFMAN, Donald, «Monuments and the Strip», The Kansas City Star, 10 décembre
1972, p.1
- HUXTABLE Ada Louise, «Architecture in ’71: Lively confusion», The New York Times, 4
janvier 1972
- JACKSON John B., «An Architect Learns from Las Vegas», The Harvard Independent,
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30 novembre 1972, p. 6, 14
- JELLINEK Roger, «In Praise (!) of Las Vegas», The New York Times, Books of the Times,
29 décembre 1972, p. 23.
- VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Learning from Las Vegas,
Cambridge, Mass: MIT Press, 1972
- McQUADE Walter, «Giving Them What They Want: The Venturi Influence», Life, 14avril
1972, p. 17
- MALDONADO Thomas, Design, Nature, and Revolution, Toward a Critical Ecology,
trans. Mario Domandi. New York: Harper & Row, 1972
- ROBINSON Lydia, «Learning from Las Vegas», The Harvard Crimson, 4 décembre 1972,
p. 2
- SCULLY Vincent, «Introduction to Learning from Las Vegas», non publiée
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1972, p. 60-61, 72
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p. 28-33
- BLANTON, John, «Learning from Las Vegas», Journal of the American Institute of
Architects, février 1973, p. 56
- COOK, JOHN W., Heinrich KLOTZ, Conversations With Architects, New York: Praeger
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- FOWLER Sigrid H., «Learning from Las Vegas» Journal of Popular Culture, Vol. 7, No.
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- FRENCH Philip, «The World’s Most Celebrated Oasis», The Times (London), 26 février
1973
- HOLLAND Laurence B., «Rear-guard Rebellion», The Yale Review, Spring 1973, p. 456461
- HUXTABLE Ada Louise, «In Love with Times Square», The New York Review of Books,
18 octobre 1973, p. 45-48.
- LEVINE Stuart G., «Architectural Populism», American Studies (urban issue), Spring
1973, p. 135-136
- MATSUSHITA Kazuyuki, «Learning from Las Vegas», Architecture and Urbanism (A+U),
avril 1973, p. 116.
- MOORE Charles, «Learning from Adam’s House», Architectural Record, aout 1973, p.
43.
23
- VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,«Some Decorated Sheds or Towards an Old
Architecture», Progressive Architecture, mai 1973, p. 86-89
- WRIGHT Lance, «Robert Venturi and Anti-Architecture», Architectural review, avril
1973.
1974
- FITCH James Marston, «Single Point Perspective», Architectural Forum, mars 1974, p.
89
- KOETTER Fred, «On Robert Venturi, Denise Scott Brown and Steven Izenour’s Learning
from Las Vegas», Oppositions 3, mai 1974, pp. 98-104
- KUHNS William, «Learning from Las Vegas», New Orleans Review, Fall 1974, p. 394
- TAFURI Manfredo, «L’Architecture dans le Boudoir: The Language of Criticism and the
Criticism of Language», Oppositions 3, mai 1974, p. 37-62
1975
- RYKWERT Joseph, «Ornament is No Crime», Studio, septembre 1975, p. 95-97
- SCOTT BROWN Denise, «Sexism and the Star System in Architecture», non publié, 1975.
(publié plus tard comme “Room at the Top? Sexism and the Star System in Architecture,”
dans Architecture: A Place for Women, ed. Ellen Perry Berkeley, 1989)
- SCOTT BROWN Denise, «Symbols, Signs and Aesthetics: Architectural Taste in a
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Society,” Harvard Architecture Review, 1980).
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24
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- GOLDBERGER Paul, «Design Notebook» The New York Times, septembre 22, 1977, p.
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26
27
CONTROVERSE 1
Las Vegas comme modèle
«Etourdis par le soleil du désert et éblouis par les enseignes, à la fois aimant et détestant ce que nous voyions, nous fûmes
tous deux violemment ébranlés dans nos croyances esthétiques.»1
1 SCOTT BROWN Denise, dans Particular
Passions: Talks with Women Who Have Shaped
Our Times, Gilbert Lynn, Moore Gaylen, (NewYork: C.N. Potter,1981) p.310. (traduction de
l’auteur)
2 Id. (traduction de l’auteur)
3 WOLFE Tom, « Las Vegas (What ?) Las Vegas
(Can’t Hear You ! Too Noisy) Las Vegas !!! » dans
The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline
Baby, 1965, London : Jonathan Cape, 1996).
Traduction inspirée de Didelon Valéry, «Learning
from Camp», dans Architecture et réflexivité. Une
discipline en régime d’incertitude, Les Cahiers de
la Cambre n°5, Bergilez JD, Guisse S., Guyaux
MC, La Lettre volée / La Cambre Architecture,
Bruxelles, 2008.
4 Voir le récit qu’en fait SCOTT BROWN Denise,
«Some Ideas and Their History» dans Architecture
as Signs and Systems, for a Mannierist Time,
Venturi R., Scott Brown D., London, Belknap
Press, 2004, p. 105-108. (traduction de l’auteur)
1. «Inside the car,» Robert Venturi et Denise Scott Brown, Las Vegas, 1968.
5 Scott Brown Denise, « Learning from
Brutalism » dans The independent Group :
postwar britain and the aesthetics of plenty,
Cambridge, The MIT Press, 1990. Traduction:
voire Didelon Valéry, «Learning from Camp»,
dans Architecture et réflexivité. Une discipline en
régime d’incertitude, Les Cahiers de la Cambre
n°5, Bergilez JD, Guisse S., Guyaux MC, La Lettre
volée / La Cambre Architecture, Bruxelles, 2008.
6 KAHN Louis, op cit, note 4. (traduction de
l’auteur)
7 Op cit, note 4. (traduction de l’auteur)
30
Sin city, l’intuition des Venturi
En 1966, Robert Venturi et Denise Scott Brown louèrent une voiture (depuis Los
Angeles) pour parcourir le désert du Nevada et partir à la rencontre de la «Néon
City», US Route 91, Las Vegas.
Comme l’avait prédit Denise Scott Brown, «L’assaut sensoriel total du Strip produit
l’effet d’une épiphanie aux inflexions orgasmique.»2
Le couple avait été préparé à ce qui les attendait sur le Strip par le compterendu enthousiaste et prometteur qu’en avait fait l’écrivain américain Tom Wolfe
dans son essai The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby (1965):
«Longtemps après que l’influence de Las Vegas comme paradis du jeu se sera
éteinte, les formes et les symboles de Las Vegas influenceront la vie américaine.
Cette ligne d’horizon fantastique! La lumière des néons et des projecteurs,
jaillissant, tourbillonnant, fusant et éclatant dans des explosions de lumière hautes
de dix étages en plein milieu du désert constitue déjà le design courant du paysage
américain hors des vieux quartiers des vieilles villes. Ils sont partout, dans chaque
banlieue, chaque lotissement, le long de chaque autoroute... en cela ils sont les
nouveaux carrefours, les enseignes spiralées des stations-service. Ils sont les
nouveaux points de repère de l’Amérique, les nouveaux poteaux indicateurs, la
nouvelle manière dont les Américains s’orientent.» 3
Denise Scott Brown est à l’origine de l’engouement des Venturi pour le Strip
Las Vegas. A cette époque, elle approchait déjà d’un oeil averti l’archétype du
paysage américain. Née et élevée en Afrique du sud, ce panorama lui rappelait
son expérience: une société multiculturelle populaire et vivace, celle des Africains,
indûment obscurcie par la culture dominante et aristocratique anglaise. «Ma vue
est une vue africaine de Las Vegas.»4
Architecte urbaniste de formation, Denise Scott Brown étudia à l’Architectural
Association School de Londres où elle fut influencée par les architectes Alison
et Peter Smithson et leur mouvement « Nouveau Brutalisme» que le Strip de Las
Vegas évoquait en elle. «Leur charisme résidait, je pense, dans la combinaison
de l’esthétique dadaïste de l’objet trouvé,et le souci du progrès social. Pour moi,
cet équilibre était extrêmement important. Je croyais, et je crois toujours, que
la beauté (bien qu’angoissante) peut découler de la réalité la plus dure, et que
faire face aux faits déplaisants peut aiguiser le regard et affiner notre sensibilité
esthétique. Le Nouveau Brutalisme me fait penser que les objectifs sociaux
peuvent être atteints par la beauté, si seulement nous pouvions apprendre à
élargir notre définition de la beauté.»5
Après avoir quitté Londres; elle emménagea à Philadelphia avec son premier
mari, Robert Scott Brown, dans un premier temps pour étudier avec Louis Kahn,
et ensuite pour enseigner à l’Université de Philadelphie. De cet apprentissage
elle retint les mots suivants «Vous le détestez, vous le détestez, et vous le détestez
jusqu’à ce que vous l’aimiez, parce que c’est comme cela que ça doit être.»6 Ce qui
signifiait pour elle, «Penser avant de juger.»7
31
3. «Approaching New York», SCOTT
BROWN Denise, New York, 1959.
8 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
IZENOUR Steven, «Learning from Las Vegas»,
Cambridge, Mass: MIT Press, 1972.
9 Op cit, note 4. (traduction de l’auteur)
10 VENTURI Robert, De L’Ambiguité en
Architecture, 2ième édition, Paris, Dunod, 1999.
1ère édition: Complexity and Contradiction in
Architecture, New York: Museum of Modern
Art and Graham Foundation, 1966. (Traduit en
Japonais, 1969; espagnol, 1972; français, 1976,
1996 -- 2 editions; Serbo-Croate, 1983;allemand;
grecque; italien; chinois; hongrois; tchèque,
2001/2003 (Samizdat); russe; turque; portugais;
coréen, 2004; polonais; urdu; perse; Finnois,
2006)
11 Il faut noter la formation universitaire américaine
(Princeton) de Robert Venturi ainsi que son
apprentissage approfondi des grandes œuvres du
patrimoine architectural maniériste et baroque à
l’Académie américaine de Rome. L’enseignement
des Venturi diffèrent donc de par leurs contextes
et leurs affinités.
12 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, « A
significance for A&P Parking lots », in Architectural
forum, mai 1968.
(Paru dans Lotus, 1968, p. 70-91; dans Theorizing
a New Agenda for Architecture: An Anthology of
Architectural Theory 1965 - 1995, Kate Nesbitt,
New York: Princeton Architectural Press, 1996,
p308-322; dans Time-Saver Standards for
Urban Design, 2003, p. 3.6-1-3.6-12. Traduction
allemande dans Werk, Avril 1969, p. 256-266.
13 Scott Brown D., «Learning from Brutalism
» dans The independent Group : postwar britain
and the aesthetics of plenty, Cambridge, The MIT
Press, 1990.
32
Lors de son arrivée aux Etats-Unis, elle réalisa un grand nombre de clichés
du nouveau paysage urbain et architectural qui l’entourait. La photographie
la plus connue, datant de 1959, représente la vue du paysage suburbain d’un
automobiliste arrivant à New York «Approaching New York» (fig. 2) et fut un
élément déterminant pour la conception future de la publication Learning from
Las Vegas (LLV)8. «Longtemps avant de visiter Las Vegas, je photographiais déjà la
culture populaire, les paysages communs et leur signalétique, en Afrique, en Europe
et en Angleterre.»9
Son intérêt grandissant pour les villes «automobiles» de la côte sud-ouest la
conduisit à Las Vegas en avril 1965 lors de son voyage vers la Californie pour
rejoindre son poste d’enseignante à L’Université de Californie à Berkeley. Sur sa
route, elle s’arrêta dans de nombreuses villes comme Austin, Houston, Dallas
ou Phoenix afin d’analyser le paysage contemporain. Une année plus tard,
en Novembre 1966, elle invita son collègue, Robert Venturi, lui aussi intrigué
par le paysage ordinaire de l’Amérique urbaine, à participer à ses expéditions
dans la ville du désert. La même année, il concrétisa son essai Complexity
and Contradiction in Architecture10 qui lança sa célèbre phrase provocatrice
«Main Street n’est-elle pas parfaite?» illustrée par une photographie d’une route
commerciale américaine typique.11
Leur journée d’expédition se conclura par deux volontés: premièrement, celle de
publier la synthèse de leurs intuitions en un essai, qui se concrétisera en 1968
par un article «A significance for A&P Parking lots, or Learning from Las Vegas»12
publié dans la revue Architectural Forum accompagné de photographies prises
par Denise Scott Brown lors de leur voyage. Ce texte anticipera la parution
de LLV. A posteriori, Denise Scott Brown écrira «notre collaboration ultérieure a
fonctionné parce que nous portons tous deux un regard iconoclaste sur l’esthétique
- nous aimons les mêmes choses «laides» - et nous pensons tous deux que briser
les règles ne doit pas être prémédité, mais basé sur les demandes de la réalité.»13
Deuxièmement, celle de faire du Strip de Las Vegas, l’objet d’une étude dans le
cadre de l’éducation architecturale contemporaine. En 1968, le studio Learning
from Las Vegas, ou l’Analyse Formelle en tant que Recherche du Design débute
sous la tutelle de Robert Venturi, Denise Scott Brown et l’assistant, Steve
Izenour à l’Ecole d’Art et d’Architecture de l’Université de Yale, dans l’idée de
proposer aux étudiants une nouvelle approche de l’enseignement architectural.
Denise Scott Brown adopte l’idée d’établir un lien entre les sciences, le design
architectural et l’enseignement, une combinaison déjà expérimentée lors de son
poste d’enseignante à l’université de Pennsylvanie au début des années 1960.
Viva Las Vegas
Lorsque Robert Venturi et Denise Scott Brown décidèrent de s’intéresser à Las
Vegas, l’image populaire que la ville du pêché avait d’elle-même allait à l’encontre
de celle qu’avait le reste du pays. Fondée officiellement le 15 mai 1905 dans le
désert de Mojave comme une petite «Ville-étape de chemin de fer», Las Vegas
33
14 Le Flamingo, construit en 1946, est l’un des
premiers hotels-casinos de la ville suivi par le
Desert Inn (1950), le Binion’s(1951), le Sahara
(1952), l’Hacienda(1956) ou le Tropicana(1957) ; le
Mirage devient en 1989 le premier vrai complexe
hôtelier à Las Vegas.
15 Notons que Tom Wolfe a évolué dans un
contexte américain en étudiant à l’Université
de Yale (les American Studies) dans les années
1950 puis en publiant divers articles souvent
controversés pour le Washington Post et le New
York Herald Tribune. Par sa publication, il fut
à l’origine de ce qu’on a appelé «le Nouveau
Journalisme» aux États-Unis, caractérisé par des
mises en scènes et en situation ou encore une
retranscription de dialogues complets.
16 Op cit. Note 3.
17 La politique éditoriale de l’Architectural
Review a pu servir d’exemple à de nombreux
égards. L’idée d’un projet éditorial, porté par des
personnes reconnues et convaincues, l’apport du
photojournalisme, agissant comme un catalyseur
du rôle du visuel dans les publications, la fonction
grandissante du visuel dans la construction
du domaine de savoir qu’est l’urbanisme et
l’aménagement, la volonté d’en appeler à
l’opinion, d’instaurer un débat public sont autant
de traits que l’on retrouve dans la diffusion de
la notion de paysage urbain, dans le contexte
culturel de la France qui fera irruption dans le
champ de l’urbanisme au milieu des années
1960 seulement, au sein de la revue Urbanisme,
organe officiel de l’urbanisme. Elle diffusera dans
le milieu du paysagisme qui aborde alors une
nouvelle phase de construction de son identité
professionnelle, en se dotant, entre autres, d’une
revue, Espaces verts (1964-1982), dont un des
objectifs est de promouvoir l’implication des
paysagistes dans l’urbanisme et l’aménagement
ainsi que de débattre plus largement de la place
et du rôle du paysage.
18 TUNNARD Christopher, «Man Made America»,
Architectural Review, numéro spécial(n°648),
1950.
19 Id. (traduction de l’auteur)
4. Anciennes photos de Las Vegas: Las Vegas en 1905, Vue de Fremont Street en
1910, Vue plongeante sur Fremont Street dans les Années 1940 et dans les Années
1960.
Learning from Las Vegas, 1ere edition, 1972.
34
20 Townscape (1949), The Functional Tradition
(1950, 1957), Outrage (1955), Counter Attack
(1956), The Italian Townscape (1962), Manplan
(1969) et Civilia (1971).
Chaque campagne
est portée par un numéro spécifique, sous la
responsabilité d’un « éditeur », puis se poursuit
dans des articles postérieurs, donnant lieu
éventuellement à une rubrique, qui en développent
les thèses. Certains numéros spéciaux de la revue
ont été repris sous la forme de livres publiés par
l’Architectural Press qui ont acquis une notoriété
certaine.
devint rapidement dès les années 1930, la ville du jeu et du divertissement
dans l’imaginaire collectif américain (fig. 3). A une époque où le pouvoir d’achat
augmentait et l’hégémonie de l’automobile prenait place, les premiers hôtelscasinos14 clinquants ouvrirent leurs portes dans le centre-ville et le long du Strip.
Parallèlement, les premières descriptions de la ville dans la littérature alertèrent
le monde sur la nature de cette ville du vice et du crime organisé. Tom Wolfe15,
dans son essai The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby vantant,
pour sa part, les mérites de la «ville du pêché», associa sa vitalité à son origine
pervertie : «Las Vegas se trouve avoir été créée après la guerre, par des gangsters.
Des gangsters qui se trouvaient avant tout être sans éducation (…)mais plutôt dans
le sens non aristocratique, hors de la tradition aristocratique(…) les premiers prolos
américains, petits bourgeois, sans éducation, qui avaient assez d’argent pour
construire un monument conforme à leur style de vie.»16
Le film, en tant que vecteur d’imagerie populaire par excellence, bien plus que
la presse, était aussi un moyen exceptionnel de créer et de communiquer une
image de Las Vegas à l’inconscient collectif. On retiendra la comédie musicale
de George Sidwell en 1964, Viva Las Vegas où la ville fut consacrée à la culture
pop et qui permit de présenter l’esthétique spectaculaire des éclairages nocturne
du Strip et de Fremont Street. Plus qu’aucun autre film, Viva Las Vegas a
amplifié la force de séduction de l’architecture lumineuse de Las Vegas et a, par
conséquent, créé l’image traditionnelle de la ville dans la perception populaire
des années soixante.
Man Made America: la scène américaine mise en discours
Durant la période d’après-guerre, (en réaction aux destructions massives
et face à l’apparition d’une conscience patrimoniale) le paysage urbain que
VSBI glorifient dans leur publication, fut sévèrement critiqué et déconsidéré.
La prolifération de panneaux d’affichages en relation directe avec l’hégémonie
montante de l’automobile engendra de nombreuses réactions. Les premières
critiques apparurent dans la presse européenne spécialisée, par le biais de la
revue anglaise, Architectural Review17 (AR) qui publia un numéro spécial intitulé
«Man Made America»18 en décembre 1950 (fig. 6, 7), consacré exclusivement à
la scène américaine et argumentant leur revendication par l’illustration de la ville
américaine contemporaine réelle et leur conception de ce qu’elle devait être.
«L’objectif de ce numéro est d’armer le public en lui donnant des arguments contre
les mauvaises manières de faire et en lui fournissant des exemples des bonnes
méthodes.»19 Une rhétorique visuelle persuasive visant le grand public. Pour
instaurer et faire adopter ce modèle d’intervention, la revue développa plusieurs
campagnes thématiques durant la période 1949-1971.20
Dès l’introduction, le ton est donné: le paysage du bord de route est qualifié
de «fouillis» indescriptible d’objets disparates, hypermarchés, cinémas en plein
air, stations-essence, motels, poteaux télégraphiques, lampadaires, annonces
publicitaires, néons, enseignes lumineuses, etc.
35
5. «Periphery to Shore,» Man Made
America, Architectural Review,
décembre 1950.
6. «Highway,» Man Made America,
Architectural Review, décembre 1950.
21 L’allusion n’est pas explicite mais on peut
s’imaginer qu’il s’agit du concept du «townscape»
exposé en 1949 dans la même revue par Gordon
Cullen et lvor de Wolfes. «Revendiquant comme
source d’inspiration l’école pittoresque anglaise
du paysage, le townscape recherche, par
l’exploitation des facultés du regard et l’analyse
de séquences visuelles - correspondant pour
la plupart aux points de vue d’un piéton qui se
promène dans un cadre historique - à créer une
organisation cohérente à partir de l’extrême variété
des éléments constitutifs du paysage urbain.»
Marchand Bruno, «Le regard», Matière 3, 1999.
22 «What City Pattern?», Architectural Forum 105,
n°3, septembre 1956, p. 103-107.
7. «Canal Street,» photo de Wallace
Litwin, paru dans God’s Own Junkyard
de Peter Blake en 1961.
23 cf Philip Morris, «Architect Casts Vote for
BIGGER Billboards», Oklahoma Journal, 10
novembre 1967 dans Las Vegas Studio: Images
from the Archives of Robert Venturi and Denise
Scott Brown, publié par Verlag Scheidegger &
Spiess AG, Zurich, en collaboration avec le Musée
de Bellpark, Kriens, 2009.
24 Op. cit Note 12.
25 BLAKE Peter, God’s Own Junkyard, «The
planned deterioration of America’s landscape»,
N-Y: Holt, Rinehart and Winston,1964.
26 VENTURI Robert, Complexity and Contradiction
in Architecture, M.I.T Press, 1966.
36
Pour les rédacteurs de l’AR, la question était de savoir si la société américaine
allait favoriser une politique de laisser faire et accepter l’installation d’un chaos
visuel incontrôlable ou si, au contraire, elle se donnerait les moyens de contrôler
le développement de l’environnement, par la mise en place d’une instrumentation
légale adéquate.21 L’inquiétude primait, étreignant les Européens devant un
paysage américain de plus en plus perçu comme l’image même d’un avenir
commun.
Dans la même lignée, la revue américaine Architectural Forum publia un
article dans un numéro spécial en septembre 1956 en interrogeant «By 1976
What City Pattern?»22. Ces publications reflètent l’état d’esprit général de
l’époque caractérisé par des demandes politiques de régulation des panneaux
d’affichages des grand-routes dans les centres villes débouchant sur le «Highway
Beautification Act» en 1965.
Learning From Las Vegas constitue une réponse à ce type de publications. Les
auteurs proposèrent d’ailleurs, probablement avec ironie, «qu’un Comité de
préservation des panneaux d’affichage»23 soit fondé en 1967, projet directement
lié à la rédaction des prémices de LLV, l’article «A Significance for A&P Parking
Lots, or Learning from Las Vegas»24paru en mars 1968.
La publication polémique et engagée, God’s Own Junkyard de Peter Blake25
(1964) (fig. 6) dénonçant la détérioration planifiée du paysage américain fut
aussi à l’origine de cette «campagne» et sûrement celle de LLV. Son succès
médiatique est dû, pour beaucoup, à la force suggestive d’une iconographie
contrastée entre de bons et de mauvais exemples. Robert Venturi répondra à
cette comparaison tendancieuse entre le chaos de la rue commerçante “Main
Street” et la vue idyllique de la cour de l’Université de Virginie dans les derniers
paragraphes de sa publication De L’Ambiguité en Architecture publiée en 1966
où il pose la question suivante: «mis à part le fait que cette comparaison manque
d’à propos, Main Street n’est-elle pas presque parfaite? Le déroulement commercial
de la Route 66 n’est-il pas presque parfait? (...) Quel léger changement du contexte
les rendra parfaits? Peut-être un meilleur contrôle des panneaux publicitaires.»26
Cette interrogation anticipait l’analyse de Las Vegas que Robert Venturi et
Denise Scott Brown avaient à cette époque déjà abordée. Le contraste entre
ces deux publications (Blake et Venturi) est évident d’autant que VSBI adoptent
dans leur théorie le Canard le long de la route de Long Island que Blake décrit
déjà dans son ouvrage. Ces publications, certes importantes pour la perception
des mutations paysagères occasionnées par la démocratisation de la voiture,
n’ouvrent pourtant aucune nouvelle perspective pour une autre compréhension
de ces faits.
La recherche sur le paysage du bord de route va connaître une deuxième impulsion
avec la publication, dès le milieu des années 1960, d’une série d’études qui,
tout en adoptant une même approche visuelle et esthétique, ouvre néanmoins
d’autres voies d’exploration. Ces travaux, de nature académique, persistent à
accorder aux réseaux (auto)routiers une valeur positive pour l’aménagement
du territoire et s’intéressent tout particulièrement à la nouvelle perception de
37
8. The Image of the City, Kevin Lynch,
MIT Press, Cambridge, Mass., 1960.
27 SCOTT BROWN Denise, “Learning from Pop,”
Casabella, 359-360, Mai/Juin 1971, p.15-23.
28 LYNCH Kevin, The Image of the City, Cambridge,
Mass., MIT Press 1960, p. 2 (Traduction de
l’auteur)
29 Ibid p. 92 (traduction de l’auteur)
30 PASSONNEAU Joseph R., SAUL WURMAN
Richard, Urban Atlas : 20 American Cities : A
Communication Study Notating Selected Urban
Data at a Scale of 1 :48,000, 1966, MIT Press
31 SCOTT BROWN Denise “Mapping the City:
Symbols and Systems,” Landscape 17, printemps
1968, p. 22-25. (review of Passoneau and Wurman,
Urban Atlas).
32 Ibid., 22. (traduction de l’auteur)
33 Ibid., 23. (traduction de l’auteur)
38
l’espace engendrée par le mouvement. Mais surtout, ils se caractérisent par
la prise en compte d’une plus grande complexité des phénomènes et par le
fait qu’ils font appel, dans leurs analyses, à des instruments issus d’autres
disciplines, comme la sociologie, la psychologie, la linguistique et parfois même
la littérature ou le cinéma.
A cette époque, une des questions fondamentales du discours urbaniste
interroge l’image de la ville contemporaine: Comment l’expansion peut-elle
créer des villes cohérentes (unitaires) et quelles images peuvent renvoyer ces
dernières?
VSBI, pour répondre à ces interrogations, s’intéressent plus spécialement au
Strip qu’ils considèrent comme la représentation parfaite de cette expansion
urbaine. Leur approche ambivalente, est à la fois analytique, concernée par une
documentation du caractère visuel spécifique, et s’interroge d’un point de vue
esthétique sur les signes que produisent le Strip. Ils utilisèrent premièrement
les outils médiatiques populaires (photographies, films), méthode que Denise
Scott Brown commentera par la suite dans son article «Learning from Pop»27:
«Il faut utiliser le film et la cassette video afin de transmettre le dynamisme de
l’architecture des enseignes et l’expérience séquentielle/chronologique de paysages
immenses.»
Kevin Lynch, dans sa publication Image of The City parue en 1960 (fig. 8), fut
le premier à préconiser une approche de la planification urbaine suivant la
représentation mentale que les visiteurs se constituent après avoir traversé les
villes existantes (dans ce cas-ci, Los Angeles et ...). Il définit «la qualité visuelle
de la ville américaine en étudiant l’image mentale que s’en font ses habitants.»28
Avant tout, la ville doit être «visuellement organisée et aisément identifiable» pour
qu’une représentation mentale complète puisse apparaître. Et c’est seulement à
ce moment-là que le résident de la ville peut lui donner «une signification et des
connections qui lui soient propres», et, par là, donner une «signification au lieu.»29
Dans la même lignée, Denise Scott Brown s’inspirera aussi de la publication
parue en 1966 Urban Atlas: 20 American Cities: A Communication Study Notating
Selected Urban Data at a scale 1:4800030, une collection de cartes juxtaposées
accompagnées de données statistiques sur la distribution des revenus et de
la densité de population, qu’elle analysera en 1968 dans son article «Mapping
the City : Symbols and Systems» paru dans la revue Landscape.31 Elle écrira:
«une représentation graphique des phénomènes urbains permet aux personnes
ayant un esprit visuel de percevoir et de comprendre les relations complexes
mais organisées existant au sein d’une ville mieux que n’importe quel tableau ou
n’importe quelle description verbale ne peut le faire.»32 Elle gratifiera cette méthode
d’«étape importante dans le développement de la théorie et de la méthodologie
de l’urbanisme et de la planification des villes»33 et mettra en avant l’utilisation
d’éléments graphiques et de gradation de couleurs, permettant de produire des
vues générales des dynamiques urbaines.
Elle identifia donc, dans un premier temps, un certain nombre d’attributs
39
9. The View from the Road, Kevin Lynch, John R. Myer, Donald Appleyard, MIT Press, Cambridge Mass., 1965.
34 Ibid., 24. (traduction de l’auteur)
35 Id. (traduction de l’auteur)
36 LYNCHE Kevin, MYER John R., APPLEYARD
Donald, The View From The Road , 1965, MIT
Press.
37 Ibid p.34 (Traduction de l’auteur).
38 LYNCHE Kevin, MYER John R., APPLEYARD
Donald, The View From The Road , 1965, MIT
Press, 4. (traduction de l’auteur).
39 GIEDON Sigried, Espaces, Temps, Architecture,
Editions Denoël, Paris, 1990, p. 464-467.
40
positifs à l’Urban Atlas, qu’elle qualifie d’ailleurs comme «un bon achat pour les
collectionneurs d’art moderne» mais par la suite, elle y détecte tout de même
deux lacunes (déficiences): Premièrement, l’Atlas ne peut pas «capitaliser
(compter) pleinement sur la capacité de l’oeil à déchiffrer rapidement une
progression de niveaux d’intensité» et deuxièmement, il reste statique par «sa
dimension instantanée.»34 Pour palier à ces manquements, Denise Scott Brown
recommande l’utilisation de la cinématographie «pour illustrer la modélisation
dynamique de l’accroissement des villes»35 et ainsi revigorer une signification
graphique de l’environnement urbain existant .
L’utilisation de la cinématographie pour l’étude des villes fut introduite en
1964 par Kevin Lynch, Donald Appleyard et John R. Myer, dans leur étude
monographique qui aborde spécifiquement la question de la perception visuelle
des autoroutes depuis le point de vue de l’automobiliste, The View from the
Road36 (fig. 9). Les séquences d’images qui se rapprochent d’une vue filmique
décrivaient un bref voyage sur la North East Expressway de Boston «tel que
perçu par un passager lambda d’une automobile.»37 La recherche, menée dans
le cadre du Joint Center for Urban Studies du M. I. T. et de Harvard, met en
relation les principes esthétiques devant présider à la création d’une autoroute
- l’établissement d’un ordre visuel structuré, l’enchaînement de séquences
visuelles cohérentes, l’identité et la lisibilité du paysage - en adéquation avec les
impressions et les comportements de l’automobiliste - le sens du mouvement,
la capacité d’orientation dans l’espace (les points de repère), la perception
dynamique des volumes, le franchissement des limites, l’impression de rythme
et de continuité, etc.
«Malgré le fait que la route donne une impression de mouvement au chauffeur et
à ses passagers, il est probable qu’ils se comportent en spectateurs inattentifs,
soit à cause du besoin de se concentrer sur une petite partie de la scène, soit
inversement pour profiter de la liberté de pouvoir laisser errer son attention( ...)
Ils sont aussi, cependant, une audience captive qui ne peut éviter d’observer, ne
serait-ce qu’inconsciemment, les événements les plus dramatiques d’une scène
trop mobile et trop dangereuse pour être ignorée (...) La voiture moderne agit
comme un filtre entre le conducteur et le monde qu’il traverse. Les sons, les odeurs
et les sensations (...) sont dilués en comparaison de ce qu’un piéton ressent.» 38
Pour transcrire graphiquement ces analyses spatiales et perceptives, les
auteurs vont mettre au point un nouveau mode de représentation qui fait écho
à la conviction de l’historien et critique d’architecture suisse, Sigfried Giedion
que «des photographies aériennes arrivent peut-être à rendre compte de l’ample
mouvement du tracé de la route, de la beauté de ses virages, mais ce n’est qu’au
volant d’une automobile que l’on peut comprendre sa signification.»39
Délaissant le principe de «la vue à vol d’oiseau», ils vont s’inspirer des techniques
cinématographiques pour simuler les points de vue toujours changeants
de l’automobiliste en mouvement au volant de sa voiture. Les séquences
visuelles du parcours sont ainsi représentées par des croquis ou des images
photographiques successives, clairement encadrées par le pourtour du parebrise de l’automobile.
41
10. «New York’s Broadway at Night,»
Reproduction de Amerika. Bilderbuch
eines Architekten de Erich Mendelsohn,
1926
11. «Instant City,» de Archigram (Peter
Cook, Dennis Crompton et Ron Herron),
1969
40 BANHAM Reyner, The Architecture of the
Well-tempered Environment, Chicago/University
of Chicago Press, 1969, p. 269 (traduction de
l’auteur).
41 Id.
42 Id.
43 COOK Peter, CROMPTON Dennis, HERRON
Hon, «Instant City: First Stage», Architectural
Design 39, 1969, n°5, p. 276-80.
42
A cette même époque, quelques figures importantes du milieu architectural
débattirent du cas de la ville de Las Vegas, comme Tom Wolfe ou Reyner
Banham (1922-1988), historien de l’architecture de renom qui fut éditeur
assistant à la direction de la revue AR (1959-1964) et représenta un réel défi
pour le comité éditorial, car celui-ci, de même que les architectes de la jeune
génération, contestait les thèses esthétiques néo-pittoresques défendues par la
revue. Une des questions principales de cette période résidait en la possibilité de
considérer Las Vegas comme modèle pour les villes futures. Quelques années
avant la publication de l’article des Venturi, Reyner Banham publia une série
d’articles sur Las Vegas, «The Missing hotel», «Toward a Millon-volt and Sound
Culture», ou encore, «Mediated environments: You can’t Build That Here»,
et nota que «Las Vegas est aujourd’hui une étape obligatoire pour l’étudiant en
Architecture anglais qui visite l’Amérique du Nord.»40 Il s’intéresse principalement
à une «architecture de lumière» nocturne spectaculaire. «Ce qui définit les lieux
et les espaces symboliques de Las Vegas - les super-hotels du Strip, la région des
casinos de Fremont Street - est une puissance purement environnementale qui se
manifeste à travers la lumière colorée. (...) L’efficacité avec laquelle l’espace est
défini est phénoménale, la création de volumes virtuels sans structure apparente est
endémique, la variété et l’ingéniosité des techniques d’éclairage est encyclopédique.
Et, dans une optique d’éducation architecturale qui embrasse l’art complet de la
gestion de l’environnement, une visite à Las Vegas serait aussi indispensable qu’une
visite des bains de Caracalla ou de la Sainte Chapelle.»41
Cet essai, parut en 1969, semble se référer implicitement au studio LLV de Yale.
Mais au contraire des Venturi, l’apprentissage de Las Vegas, d’après Banham, ne
réside ni dans l’organisation spatiale ou dans le système de communication mais
plutôt dans l’intérêt que peut avoir un environnement technologique dépassant
les contraintes de la tradition architecturale classique. La ville convertit le bâti
architectural en une lumière éthérée «passant de formes assemblées en lumière
à des lumières assemblées en (créant des ndlr) formes»42 et c’est grâce à cette
caractéristique qu’elle devient un lieu d’expérimentation pour le développement
futur de l’architecture.
Le groupe anglais Archigram investiga aussi la ville de Las Vegas. En 1969,
les architectes Peter Cook, Dennis Crompton et Ron Herron, présentèrent leur
oeuvre Instant City dans un article de la revue Architectural Design.43 (fig. 11) En
fin de texte, ils réfèrent Las Vegas comme modèle existant et actuel de «Instant
City». En accord avec Banham, ils écrivirent que «l’utilisation de l’électrique-entant-qu’endroit est central. Las Vegas suggère qu’un environnement prodigieux
peut être créé exclusivement à l’aide de courant électrique. En effet, en journée, le
matériel est sans intérêt. La lumière combinée à des projections cinématographiques
peut créer un ville ou il n’y en a pas. Cela suggère aussi que le visiteur lui-même
pourrait interagir avec une large portion de cet éclairage et le contrôler plutôt que
de s’en ébahir.»
Robert Venturi et Denise Scott Brown exploreront Las Vegas dans une autre
optique, même s’ils furent aussi fascinés par l’architecture de lumière, ils se
43
44
concentreront principalement sur la compréhension de la forme et de l’esthétique
de la ville contemporaine (avec ses panneaux d’affichage et ses dimensions
symboliques) depuis la perception que peut en avoir un automobiliste lambda.
45
46
CONTROVERSE 2
Las Vegas, la construction d’une image
1. «The Grand Proletarian Culture Locomotive»: Affiche d’invitation a la
présentation finale du «Learning from Las Vegas Research Studio,» Yale
University, 10 Janvier 1969.
1 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
«Préface de la première édition», dans
L’enseignement de Las Vegas, 2ième édition,
Liège: Mardaga, 2007, p.7-9.
2 “The Grand Proletarian Culture Locomotive”.
L’affiche d’invitation à la présentation finale du
“Learning from Las Vegas Research Studio”, Yale
University, 10 janvier 1969, dans Learning from
Las Vegas, 1ère edition (MIT Press), 1972.
3 Op cit. Note 1
4 Nous pouvons recenser par exemple: RICHARD
Paul, «Learning from Las Vegas», The Washington
Post, 19 janvier 1969, The Arts, p. K1, K8.
RICHARD Paul, «Learning from Las Vegas»,
Today’s Family Digest, novembre 1969, p. 12-17.
WATSON Donald, «LLV, LLV:? VVV», Novum
Organum 5. New Haven: Yale School of Art and
Architecture,1969.
48
Learning from Las Vegas, La Grande Locomotive Culturelle Prolétarienne
«L’archétype de la rue commerçante, le phénomène qu’elle constitue, pris dans la
forme la plus pure et la plus intense, c’est la Route 91 qui traverse Las Vegas. Nous
croyons qu’une documentation précise et qu’une analyse soignée de sa forme
physique sont aussi importantes pour les architectes et urbanistes d’aujourd’hui que
l’était l’Europe médiévale et de l’Antiquité grecque et romaine pour les générations
précédentes. Une telle étude aidera à définir ce type nouveau de forme urbaine
qui s’implante à travers l’Amérique et l’Europe et qui est radicalement différente
de celle que nous avons connue auparavant. Nous étions jusqu’à présent mal
équipés pour aborder cette forme que, faute de mieux, nous appelons aujourd’hui
l’extension urbaine. Un des buts de cet atelier sera de parvenir à la compréhension
de cette forme nouvelle par une investigation sans parti pris ni jugement de valeur et
d’entreprendre l’élaboration de techniques permettant son utilisation.»1
C’est par cette assertion, que Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steve Izenour
introduisent à l’automne 1968, un nouvel atelier à l’école d’Art et d’Architecture
de l’Université de Yale intitulé «Learning from Las Vegas, ou l’Analyse Formelle
en tant que Recherche du Design» que les étudiants transformèrent en fin de
semestre par «Learning from Las Vegas, La Grande Locomotive Culturelle
Prolétarienne.»2 (fig. 1)
Leur souci pédagogique de «transformer l’atelier traditionnel en un outil nouveau
pour l’enseignement de l’architecture ainsi que l’intérêt spécifique que nous
portions à mettre au point des moyens graphiques plus appropriés que ceux utilisés
actuellement par les architectes et les planificateurs dans la description de l’urbanisme
de l’extension urbaine et plus particulièrement de celle de la rue commerçante»3
leur paraissait capital. Cette attitude étant certainement liée à l’émergence d’une
période transitoire en architecture marquée par une revendication intellectuelle,
une redéfinition du champ théorique de l’architecture, son autonomie et sa
pluridisciplinarité, et ce principalement dans les milieux universitaires où les
départements d’architecture se reconstruisaient peu à peu.
Notre retenue à rendre compte de cet événement est lié à l’absence de sources
originales relatant les faits. A notre connaissance, les revues ne semblent
pas avoir consacré d’article substantiel à la mise en exergue de cet atelier
de recherche novateur ni à sa présentation publique finale. L’événement
semble être passé inaperçu auprès des critiques qui se défoulaient plutôt
à cette période, sur le discours des Venturi énoncé une année auparavant. A
une époque où le monde éditorial est en pleine expansion, les seules traces
dont nous disposons proviennent de quelques revues, soit non spécialisées
et réduites à un rôle de connivence et d’instrument de communication soit
d’une publication académique produite au sein même de l’école de Yale. Ces
documents demeurent actuellement inaccessibles.4
49
2. Les étudiants du «Learning from Las
Vegas Research Studio» en train de filmer sur Fremont Street, Las Vegas, 1968
3. Preparation pour le film Las Vegas
Deadpan, Las Vegas, 1968.
4. Le «Learning from Las Vegas Studio», Yale University, 1968.
5 Cf RATTENBURY Kester et HARDINGHAM
Samantha, Supercrit 2, Robert Venturi and Denis
Scott Brown, Learning from Las Vegas, (éd.
Routledge, Oxon, 2007). Ce deuxième livre de la
série sans précédent revisite quelques-uns des
projets architecturaux les plus influents de ces
dernières années et examine leur impact sur notre
façon de penser et de concevoir aujourd’hui. Sur
la base de débats en direct en studio entre les
protagonistes et les critiques, et de documents
originaux des oeuvres, ils décrivent, explorent et
critiquent ces grands projets.
6 Las Vegas Studio: Images from the Archives of
Robert Venturi and Denise Scott Brown, publié
par Verlag Scheidegger & Spiess AG, Zurich, en
collaboration avec le Musée de Bellpark, Kriens,
2009.
7 Le Plan de Nolli a servi de référence à la
cartographie romaine jusque dans les années
1970…
8 Op cit. Note 6, p.14.
9 Op cit. Note 1.
10 VENTURI Robert, De L’Ambiguité en
Architecture, 2ième édition, Paris, Dunod, 1999.
11 Op cit. Note 6,p .15.
5. Les étudiants du «Learning from Las
Vegas Research Studio» entamant un
vol en hélicoptère, Las Vegas, 1968.
50
12 Voire plus loin pour les explications de
l’influence de Ed Ruscha sur le travail des Venturi
et spécialement sur Denise Scott Brown.
Nous nous référerons donc principalement aux brèves explications données par
les auteurs dans l’introduction de la première édition de LLV ainsi que les notes
d’atelier déjà réduites et glissées entre deux chapitres dans la deuxième édition
de l’ouvrage et sur le rapport qu’en ont fait deux publications contemporaines,
Supercrit #2 Robert Venturi and Denise Scott Brown, Learning from Las Vegas5
et Las Vegas Studio, Images from the Archives of Robert Venturi and Denise
Scott Brown.6
Les professeurs initièrent leurs élèves (neuf étudiants en architecture,
deux en planning et deux en arts graphiques) à la recherche urbanistique
et à la théorie en architecture, en leur proposant une étude de cas de la rue
commerçante (le Strip) de Las Vegas en tant que «phénomène de communication
architecturale.» Les enseignants répartirent le travail en cinq étapes. Après
les deux premières, «Tooling Up» et une période de préparation de plusieurs
semaines en bibliothèque, «Library, Research and Preparation», une excursion
de deux semaines à Los Angeles et à Las Vegas en octobre 1968 fut le point
culminant de la recherche du studio. Les quatre jours passés à Los Angeles,
leur permirent de visiter Disneyland ainsi que le studio de l’artiste photographe
Ed Ruscha. Les dix jours restants furent nécessaires pour réaliser une collecte
empirique de données à Las Vegas même (troisième phase, «Research Applied»).
Les enseignants suggérèrent à leurs élèves d’étudier, de photographier et de
représenter les parias de l’architecture et de l’urbanisme - casinos, parkings,
affiches, chapelles, etc - avec autant d’attention que s’ils étudiaient des
«Monuments» et par conséquent, de les analyser de prime abord à l’aide des
techniques classiques (plan de Nolli7) habituellement réservées aux bâtiments
«dignes d’intérêt.»8 Ils soulevèrent ensuite la question suivante: «Comment peuton adapter les méthodes traditionnelles de planning urbain (cartes d’utilisation du
sol et des moyens de transport) à une ville telle que Las Vegas? Comment peuventelles être rendues utilisables en tant que sources d’inspiration et comme outils de
design pour des dessinateurs urbains? Quelles sont les autres méthodes pour
parvenir à une compréhension de la ville en tant que système d’activités?»9
VSBI actualisèrent une notion qui fit surface dans De L’Ambiguïté en Architecture:
«La richesse et l’ambiguïté de l’expérience moderne, en ce compris l’expérience
inhérente à l’art.»10
Ils firent remarquer aux étudiants que l’art et la littérature avaient déjà construit
et communiqué une image de la ville étonnante et encouragèrent leurs élèves à
expérimenter de nouvelles formes de représentation telles que «la cartographie,
les films, le multi-média et des projections de diapositives.»11
Il faut noter l’intérêt tout particulier que les auteurs portent au travail
photographique de Ed Ruscha12 à une période où, grâce à l’émergence de
nouveaux supports iconographiques, la photographie tentera de donner à
l’image le statut de document de témoignage typique de ce nouveau réalisme
américain naissant.
51
13 Op cit. Note 1.
14 Id.
52
Denise Scott Brown avait identifié une série de thématiques sur lesquelles
des groupes d’étudiants devaient s’interroger dans le but final d’essayer
de comprendre la ville automobile et de lui créer une image adéquate. Par
exemple, la thématique «l’Architecture de persuasion», visait à analyser les
comportements de l’usager motorisé sur une artère commerciale en s’inspirant
du travail de Lynche et de son oeuvre, The View from the Road. Ce qui impliquait
une investigation des moyens de représentation appropriés, dans ce cas-ci,
des films en addition aux cartes et diagrammes. La thématique «Images de Las
Vegas: inclusion et allusion de l’architecture» quand à elle, recherchait la manière
adéquate de fonder une image appropriée de Las Vegas. «Nous pensons que
nous devrions construire notre image visuelle de Las Vegas au moyen d’un collage
fabriqué à partir d’objets de Las Vegas de divers types et de diverses grandeurs
depuis les enseignes jusqu’au calendrier quotidien du Caesar Palace. Pour monter
ce collage, collectionnez des images, des slogans verbaux et des objets. N’oubliez
pas que si divers que soient les morceaux, ils doivent être juxtaposés d’une manière
signifiante, comme le sont par exemple, Las Vegas et Rome dans cette étude.
Documentez-vous sur la piazza américaine et sa contrepartie romaine, la Rome de
Nolli face au Strip.»13 Cette lecture du passé reflète une époque où le respect de
l’histoire et de l’existant était un argument majeur.
Les étudiants compilèrent un large nombre de documents sous la tutelle de
leurs enseignants. À peu près cinq mille photos couleurs et trois mille mètres de
bandes films furent entre-autres collectés. De retour à Yale, dix semaines furent
nécessaires pour rassembler et analyser leurs découvertes.
«Les techniques de représentation venant de l’architecture et du planning nous
gênent pour comprendre Las Vegas. Elles sont statiques quand Las Vegas est
dynamique, contenues là où elle est ouverte, bidimensionnelles là où elle est
tridimensionnelle - comment fait-on pour montrer de manière signifiante en plan,
en coupe et en élévation l’enseigne de l’Aladin?Les techniques architecturales
conviennent à des objets de grandes dimensions situés dans l’espace comme des
bâtiments mais non à des objets minces et excessifs comme des enseignes(...).
Nous avons besoin de techniques d’abstraction pour représenter par exemple, des
«phénomènes géminés» ou pour exprimer des concepts et des schémas généralisés
- un morceau de la texture urbaine - plutôt que des bâtiments spécifiques. Les jolies
photos que nous et d’autres touristes avons pris à Las Vegas ne suffisent pas.
Comment déformer celles-ci pour en tirer une signification pour le dessinateur?
Comment représenter le Strip perçu par Monsieur X autrement que comme un
morceau de géométrie? Comment montrer la qualité de la lumière - ou des qualités
de formes - sur un plan au millième? Comment montrer les flux et les reflux ou les
changements de saisons ou le changement au cours du temps?»14
Les photographies furent compilées en accord avec le programme de recherche
- développé en une centaine de cartes, tableaux et diagrammes - sous la forme
de films ou de diapositives.
53
6. «A Significance for A&P Parking Lots or Learning from Las Vegas», dans Architectural Forum, Mai 1968.
15 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
«A significance for A&P Parking lots», dans
Architectural forum, mai 1968. (Paru dans Lotus,
1968, p. 70-91; dans Theorizing a New Agenda for
Architecture: An Anthology of Architectural Theory
1965 - 1995, Kate Nesbitt, New York: Princeton
Architectural Press, 1996, p308-322; dans TimeSaver Standards for Urban Design, 2003, p. 3.61-3.6-12. Traduction allemande dans Werk, Avril
1969, p. 256-266.
16 Wolfe Tom, «Electrographique Architecture»
dans Architectural Design, juillet 1969.
17 Id. dans « Notes de bas de page ».
54
Quelques années auparavant, le couple d’enseignants, Robert Venturi et Denise
Scott Brown, avaient sillonné les routes de la ville de Las Vegas. Il en avait
résulté un article, «A significance for A&P Parking Lots, or Learning from Las
Vegas»15, parut dans un numéro de l’Architectural Forum en mars 1968 (fig. 6),
qui servit de base au programme de recherche qu’ils avaient esquissé durant
l’été 1968. Il va sans dire que le recours à ce discours théorique largement fondé
fut directement lié à la pertinence et au caractère révolutionnaire de l’étude. La
notoriété de la revue Architectural Forum profita aussi à la diffusion de l’article.
A une époque où les publications professionnelles commerciales et les revues
théoriques se démarquent les unes des autres, l’évolution de la politique éditoriale
de l’Architectural Forum vers une indépendance et une critique ouverte est en
marge avec le discours révolutionnaire des Venturi. L’article fut ensuite traduit en
de nombreuses langues et diffusé dans le monde entier.
Tom Wolfe poursuivit aussi la célébration de ce nouveau style amorcé dans
son essai The Kandy-Kolored Tangerine-Flake Streamline Baby par un article
enthousiaste « Electrographic Architecture »16, paru dans la revue Architectural
Design qui fut également vivement conseillé comme source d’inspiration aux
élèves du studio. Il y salue l’architecture extravagante des enseignes de néons et
leurs concepteurs qui par leur créativité bouleversent les canons de l’esthétique :
«Le vocabulaire existant de l’histoire de l’art n’est d’aucune utilité devant ce que les
artistes commerciaux font maintenant dans l’ouest des USA. Ils ont maintenant
au moins dix années d’avance sur les artistes sérieux dans à peu près tous les
domaines, l’architecture comprise (…) C’est une révélation, en quelque sorte, que
j’ai eue un soir en me promenant sur Park Avenue à New York. Je me suis arrêté
devant l’entrée de l’immeuble Pepsi-Cola pour contempler une sculpture en néon
de Bill Apple qui y était exposée. Apple est un artiste sérieux. Le terme approprié
serait Avant-Garde. Il combine l’Art et la technologie (...) Il y a, à l’Est (sur la côte
Est des US ndlr), un épouvantable snobisme intellectuel qui consiste à considérer
Los Angeles comme une ville d’expansion sauvage, de chaos et de folie, étranglée
par l’automobile (...) Nostalgie du château! (...) J’entends encore des gens à New
York dire que le problème à Los Angeles est qu’il n’y a aucun repère (monuments
historiques), et qu’il est très difficile de s’y orienter. En réalité, Los Angeles possède le
repère (monument) le plus monumental jamais construit, à savoir les autoroutes.»
A notre connaissance, il sera un des seuls critiques, à encourager l’initiative du
studio de LLV:
«Robert Venturi est un des rares éminents architectes américain à comprendre les
possibilités de la technologie des enseignes électriques et à croire en l’architecture
éléctro-graphique de grande envergure. En effet, ce mois-ci (Octobre), il a emmené
les étudiants de son studio de troisième année de l’Université de Yale dans le
Nevada pour y étudier le paysage éléctro-graphique de Las Vegas avec le même
objectif et la même rigueur académique que s’il étudiait Athènes ou Pompei.»17
55
7. «Yale Prof Will Praise Strip for 8,925$,»
Ray Leydecker, Las Vegas Review Journal, 10 Octobre 1968.
8. «Yale Team Denied Payment», Las
Vegas Sun, 6 Decembre 1968.Press).
10. «Yale University Study of Las Vegas
Could Alter The City’s View of Itself,» Lipman Jerry, Las Vegas Sun, 21 Octobre
1968.
9. «Yale Prof Ups His Price For Praising
LV Strip,» Ray Leydecker, Las Vegas
Review Journal, 11 Octobre 1968.
18 Op cit. Note 1, p.8.
19 Id
20 Id
21 Las Vegas Deadpan,(21 minutes) produit
par les étudiants du «Learning from Las Vegas
Research Studio»,1968, acquis depuis les archives
personnelles de Venturi,Scott Brown&Ass., suite
à la correspondance avec Judy Glass, assitante
personnelle de Robert Venturi,11 août 2009.
56
En conclusion, Wolfe exhorte les architectes à se saisir de cette nouvelle
réalité: «Quelqu’un doit écrire, maintenant, rapidement, un nouveau livre sur le
plus somptueux papier couché à 18,50$ l’exemplaire, appelé Beyond Modern
Architecture.» Son appel ne tarda pas à être entendu...
«Bienvenue à Las Vegas la fabuleuse, aspirine gratuite - tous renseignements,
locations, essence.»
Le jour de l’arrivée du studio de Yale à Las Vegas, un journal local ouvrit les
festivités comme suit : «Prof. de Yale fera louange du Strip pour 8.925 dollars.»18
(fig. 7) Effectivement ni la ville ni le département ne disposaient de fonds et le
président du Comité d’Embellissement du Strip était d’avis que c’était à Yale de
payer Las Vegas pour la réalisation de l’étude. (fig. 8)
Quelques jours plus tard, le même quotidien réitéra «Prof de Yale augmente son prix
pour louer le Strip»19 (fig. 9)alors qu’ils demandaient une somme supplémentaire
pour la réalisation d’un film.
Le correspondant Jerry Litman du Las Vegas Sun fut le seul à émettre une
opinion favorable dans la presse non spécialisée quant à l’expédition scolaire
«L’université de Yale à Las Vegas pourrait bien transformer l’image que la ville a
d’elle-même.»20 (fig. 10) Finalement, l’Hôtel Stardust, le long du Strip les hébergea
gratuitement et les agences locales de location de voitures s’unirent pour leur
fournir un véhicule durant leur séjour.
L’étude s’acheva par une présentation finale multimedia qui eut lieu le 10
janvier 1969 à la Yale School of Art and Architecture et fut annoncée par une
affiche (ironique) aux allures propagandes, «Learning from Las Vegas, La
Grande Locomotive Culturelle Prolétarienne» laissant présager la dimension
révolutionnaire de leur étude.
L’exposition présentait des cartes, planches, tableaux et collages dont l’échelle
et la représentation graphique furent réalisées en conséquence de l’évènement,
à savoir, des impressions grand format et une représentation associative plutôt
qu’une vision linéaire ou un contexte discursif. Quelques années plus tard, ce
matériel graphique fut réutilisé pour la publication LLV.
Ce fut aussi l’occasion pour les élèves de projeter les films tournés lors de leur
excursion, renseignant sur la perception de l’espace urbain d’un observateur en
mouvement depuis différents points de vue. Las Vegas Deadpan21 (21 minutes)
(fig. 12), fait référence par son titre, au mode de reportage «figé»(deadpan),
sans émotion que Venturi et Scott Brown avaient développé par analogie au
travail photographique de Ed Ruscha, mais aussi en réaction aux architectes
visionnaires de l’époque. Il s’agit d’un reportage muet d’un trajet en voiture le
long du Strip. Afin de l’enregistrer dans toute sa longueur, une caméra fut fixée
sur le capot avant d’une voiture capturant le paysage urbain se déroulant devant
57
11. Las Vegas Electric, produit par les
étudiants du «Learning from Las Vegas
Research Studio»,1968, acquis depuis
les archives personnelles de VSBA.
12. Las Vegas Deadpan, produit par les
étudiants du «Learning from Las Vegas
Research Studio»,1968, acquis depuis
les archives personnelles de VSBA.
22 Op cit. Note 6, p.29.
23 Las Vegas Strip LfLV Studio(Day:Night), 14
minutes, produit par les étudiants du «Learning
from Las Vegas Research Studio» et spécialement
Dan Scully,1968, acquis depuis les archives
personnelles de Venturi,Scott Brown&Ass., suite
à la correspondance avec Judy Glass, assitante
personnelle de Robert Venturi,11 août 2009.
24 Las Vegas Electric, 4 minutes, produit par les
étudiants du «Learning from Las Vegas Research
Studio»,1968, acquis depuis les archives
personnelles de Venturi,Scott Brown&Ass., suite
à la correspondance avec Judy Glass, assitante
personnelle de Robert Venturi,11 août 2009.
25 VENTURI Robert, lettre à Vincent Scully,
«Letters Jan-April 69», VSB 284, Architectural
Archives, University of Pennsylvania, dans Las
Vegas Studio,DAM, Frankfurt, 2009.
58
la lentille immobile tandis que deux autres caméras documentaient depuis les
flancs de l’automobile, les bords de route d’un angle de vue complémentaire.
Denise identifia cette technique comme la «three-camera deadpan.»22 En
contraste avec ce portrait urbain inanimé, un second film, caractérisé par un
travail de caméra mobile Las Vegas Strip LfLV Studio (Day:Night)23 (14 minutes),
avait pour sujet principal l’aspect symbolique de l’architecture le long du Strip.
Le troisième film, plus court, décrivait un vol en hélicoptère au-dessus du
Strip. La caméra se focalisait ici principalement sur les enseignes publicitaires
démesurées des hôtels-casinos le long du boulevard, qui semblaient être les
seuls éléments architecturaux du paysage urbain. La différence frappante des
styles de représentation découlaient des volontés du programme de recherche
d’expérimenter un maximum de méthodes de visualisation différentes. Le
film Las Vegas Electric24 (4 minutes) (fig. 11), le plus spectaculaire de tous,
documentait à nouveau un parcours de Las Vegas, mais, contrairement aux trois
films mentionnés ci-dessus, l’accent fut mis ici sur les éclairages nocturnes,
principalement sur Fremont Street dans le centre de Las Vegas. La thématique
de l’évolution de la densité urbaine du Strip fut révélée par la différence d’échelle
considérable entre la ville axée sur les piétons, et celle axée sur l’automobile.
Les séquences, toutes filmées de nuit, soulignent un intérêt pour l’esthétique de
l’architecture de la lumière. En opposition au film Deadpan, celui-ci fut réalisé
dans une optique artistique, voire, par moment, expérimentale. Une séquence
presque surréaliste projette les spectacles lumineux de la ville qui se détachent
du fond noir et se reflètent sur un axe horizontal. Une autre scène révèle les néons
colorés et éclatants surplombant les trottoirs de Fremont Street se transformant
en une abstraction psychédélique de couleurs, de formes et de lumière. Les
séquences semblent être par moment des «citations littérales» de la séquence
d’ouverture de la production de George Sidney, Viva Las Vegas.
La présentation finale du studio semble tout de même avoir rencontré quelques
critiques sévères. Dans une lettre de remerciements de Robert Venturi adressée
à Vincent Scully, Tom Wolfe et l’architecte Morris Lapidus, il conclua de la sorte:
«Nous pensons que cela s’est bien passé dans l’ensemble, mais je suis encore
perplexe devant l’incompréhension de certaines personnes sur le fait que nous
voulions examiner Las Vegas de manière figée (deadpan), sans expression, ce qui
est considéré depuis longtemps comme une approche poétique.»25
Ces productions méconnues du grand public n’avaient, jusqu’aujourd’hui,
jamais fait l’objet d’une diffusion quelconque. Les documents originaux étaient
conservés au sein des archives privées de Venturi, Scott Brown & Associates, à
Philadelphie. En mars 2009, elles furent, pour la première fois, présentées lors
d’une exposition temporaire, Las Vegas Studio, au D.A.M., Musée d’Architecture
de Francfort, en Allemagne, consacrée à la production du studio LLV en
présentant les photographies et films inédits comme source première de la
59
13. Comparaison à l’échelle
entre les couvertures des
deux versions de Learning
from Las Vegas.
26 SCOTT BROWN Denise, «Préface de la
deuxième édition», dans L’enseignement de Las
Vegas, 2ième édition, ((1977) MIT Press) Liège:
Mardaga, 2007, p.11-13.
27 Id
28 Id.
29 LENIAUD Jean Michel dans «Les périodiques
d’architecture, XVIII0-XX0 siècle: recherche d’une
méthode critique d’analyse.» Études et rencontres
de l’École des chartes,volume 8, Ecole nationale
des Chartes de Paris, 2001.
30 Voir Las Vegas Studio: Images from the Archives
of Robert Venturi and Denise Scott Brown, publié
par Verlag Scheidegger & Spiess AG, Zurich, en
collaboration avec le Musée de Bellpark, Kriens,
2009. Traduction de l’auteur
60
recherche et de la publication LLV.
Le processus de construction de cette oeuvre paraît inaccessible et effacé de la
plupart des mémoires... Nous n’en connaissons que le résultat final, la deuxième
édition, Learning from Las Vegas, The Forgotten Symbolism of Architectural
Form paru en 1977 aux Etats-Unis et traduit en français en 1987 aux Editions
Pierre Mardaga.
«Dépouillée et habillée de neuf»
Effectivement, la plupart des lecteurs connaissent LLV dans sa forme de poche,
publiée par la MIT Press en 1977. L’apparence de cette édition - une couverture
au fond bleu pâle accueillant la célèbre image de l’affiche «Tanya», son titre en
caractères gras majuscules (Serif), suivi, dans une police réduite, des termes
«revised edition» ainsi que de la nomination de ses trois auteurs - ne dévoile en
rien une quelconque monumentalité! Au contraire, nous pourrions avancer que
sa modestie disconvient presque à son succès.
Cette réédition n’a pas simplement remplacé la première édition de LLV, publiée
cinq ans auparavant en 1972 par la même maison d’édition, elle l’a pour ainsi
dire effacée de nos mémoires.
L’opportunité de revisiter l’ouvrage et de proposer une nouvelle édition de
Learning from Las Vegas ne se justifia pas, comme d’ordinaire, par l’épuisement
de la première édition, mais, comme le précise Denise Scott Brown dans sa
préface, «(elle) résulte du mécontentement qu’exprimèrent des étudiants et
d’autres personnes au sujet du prix élevé de la version originale.»26 Les auteurs
insistèrent sur ce désagrément en décidant: «d’abréger le livre et de mettre
les idées qu’il contient à la portée de ceux qui souhaiteraient le lire.» Et elle
ajouta: «Du coup, nous avons saisi l’occasion de présenter plus clairement notre
argumentation et de faire quelques additions; ainsi, la nouvelle édition, bien que
abrégée, tient une place qui lui est propre et va au-delà de son géniteur.» 27
La deuxième version de LLV «Dépouillée et habillée de neuf»28 ne se limite donc
pas uniquement à une correction de la première édition, elle s’envisage aussi
comme une «augmentation.»
Nous allons nous intéresser à LLV comme à un livre, mettant en avant
l’observation des «périphériques du discours»29, aspects ordinairement négligés
par les historiens de l’art et de l’architecture (graphisme, illustrations, rubriques,
typographie, …) afin de comprendre les relations et dichotomies qui s’établissent
entre ces deux éditions.
Rappelons aussi l’importance que les auteurs accordaient à l’utilisation de
nouvelles techniques graphiques lors de leur atelier en recrutant, entre-autres,
deux élèves en arts graphiques et en nommant un des douze thèmes de
recherche du studio «Graphisme et autres techniques de représentation.»30
61
14. Planche 4-5 de Learning from Las Vegas, 1ère
édition, MIT Press, 1972.
31 SCOTT BROWN Denise, «Comments on
the design of the first Edition of Learning from
Las Vegas» dans RATTENBURY Kester et
HARDINGHAM Samantha, Supercrit 2, Robert
Venturi and Denis Scott Brown, Learning from Las
Vegas, (éd. Routledge, Oxon, 2007).
32 RATTENBURY Kester et HARDINGHAM
Samantha, Supercrit 2, Robert Venturi and Denis
Scott Brown, Learning from Las Vegas, (éd.
Routledge, Oxon, 2007).
33 VINEGAR Aron, «Reducks, 1972, 1977» I AM
A MONUMENT, on learning from Las Vegas,MIT
Press, 2008, p.111-171.
34 VENTURI Robert, « Note on authorship and
attribution», Learning from Las Vegas, 1ère édition,
MIT Press,1972. Traduction de l’auteur.
35 Comme «Billboards are almost all right »
36 Op cit. Note1.
37 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
«Préface de la première édition», dans
L’enseignement de Las Vegas, 2ième édition,
Liège: Mardaga, 2007, p.7-9.
15. Planches de Learning from Las Vegas, the
Forgotten Symbolism of the Architectural Form,
12ème édition, MIT Press, 1977.
62
38 SCULLY VINCENT, introduction de Learning
from Las Vegas, inédit, paru dans I AM A
MONUMENT, on learning from Las Vegas,VINEGAR
Aron, MIT Press, 2008. (La version dactylographiée
et corrigée manuellement par la suite que nous
citons est disponible en annexe.)
39 Id. Traduction de l’auteur.
Il n’y a, à notre connaissance, au même titre que pour le déroulement du
studio, que très peu de traces de ce travail de réécriture et de recomposition
graphique. Nous nous appuierons donc principalement sur les commentaires
qu’en fit Denise Scott Brown lors d’une interview31 accordée à la publication
Supercrit #2: Robert Venturi and Denise Scott Brown, Learning from Las Vegas32,
ainsi qu’à la restitution écrite partielle d’une correspondance assidue entre les
auteurs du livre et la maison d’édition publiée dans un ouvrage contemporain,
I’m a monument, on Learning from Las Vegas, «Reducks, 1972, 1977.»33
Nous nous référerons également à la préface de la deuxième édition de Denise
Scott Brown, articulée à la suite de la préface de la première édition rédigée par
le couple, Robert Venturi et Denise Scott Brown, et en lieu et place de la «note
on authorship and attribution» de Robert Venturi. Cette dernière reconnaissait
le travail des membres de l’agence Venturi and Rauch et principalement celui
de John Rauch décrit comme «le ‘paterfamilias’ de l’agence» ainsi que la
contribution de Denise Scott Brown «Elle est responsable, comme je le suis,
du contenu théorique du livre.»34 Or, certaines caractéristiques stylistiques du
texte de LLV similaires à celles de l’ouvrage Complexity and Contradiction in
Architecture35 engagèrent entre-autres la presse écrite à reconnaître l’auteur
principal du livre en la personne de Robert Venturi.
Dans la préface de la deuxième édition, signée uniquement par Denise Scott
Brown, elle reviendra sur son engagement: «La note de Robert Venturi sur la
répartition des tâches dans la première édition, jointe à sa demande d’équité
envers ses co-auteurs et collaborateurs a été virtuellement ignorée par la
presque totalité des critiques. Cette manière cavalière de traiter ma contribution
et, en général, des différentes attributions par des architectes et des journalistes
m’ont conduite, par ressentiment personnel, à analyser la structure sociale de
la profession, sa domination par les mâles de la société et l’accent que ses
membres mettent sur le vedettariat(...).»36
Par contre, concernant le troisième auteur Steven Izenour, l’unique et brève
reconnaissance de sa contribution apparaît en dernière ligne de la préface des
Venturi, après de nombreux remerciements en tous genres depuis les agences
de location de voitures pour leur assistance, aux artistes et intellectuels pour
leur soutien et aux élèves du studio: «Et enfin, Steven Izenour qui est notre
collaborateur, co-auteur et le sine qua non.»37
Lors de la configuration de la première édition, il était convenu que l’américain
Vincent Scully, professeur d’histoire de l’art et de l’architecture, rédigerait
l’introduction du livre38, comme il l’avait fait pour l’ouvrage de Robert Venturi,
Complexity and Contradiction in Architecture. Il s’exécuta, et, après avoir cité
brièvement la présence de Denise Scott Brown, «Il n’y a pas plus grand plaisir
que d’écrire une autre introduction à un livre de Robert Venturi et (dans ce cas-ci)
de Denise Venturi.»39, il inaugura son article par un plaidoyer des plus éloquents
concernant le travail de Robert Venturi seul. Dans la version dactylographiée
et corrigée manuellement par la suite dont nous disposons, Scully joindra
63
16. Layout en grille des Parties I et II de la 1ère édition de Learning from Las Vegas,
Muriel Cooper, 1971.
40 Id. Traduction de l’auteur
41 Id. Traduction de l’auteur
42 Op cit. note 6. Traduction de l’auteur
43 Id.
44 LYNCH Kevin, voir VINEGAR Aron, «Reducks,
1972, 1977» I am a monument, on learning from
Las Vegas,MIT Press, 2008, p.111-171. Traduction
de l’auteur.
64
finalement le nom de Steven Izenour aux deux autres auteurs. Il accrédita aussi
en fin de compte les associés de Robert Venturi: «Si une telle rhétorique est
absolument éloquente dans les constructions de Venturi»40 qu’il modifiera par
«...de Venturi & Rauch.» Au mieux, il référera donc les auteurs de l’ouvrage par
«Les Venturis»41 écartant la participation de Steven Izenour ainsi que le travail
des étudiants. Nous ne connaissons pas les raisons pour lesquelles cet article
ne fut jamais publié en préface de l’ouvrage mais Il faut noter qu’une partie de ce
plaidoyer fut éditée dans le catalogue de l’exposition «Venturi&Rauch» qui eut
lieu au Whitney Museum of american Art à New York en 1971.
Muriel Cooper et le design Bauhaus
La première différence ostensible entre les deux éditions concerne leur format:
la première édition se veut imposante (27x 36 cm) et contraste avec la seconde
qui répond à des dimensions plus communes (15 x 22 cm). Denise Scott Brown,
lors d’une interview accordée aux auteurs de la publication Supercrit en 2007
rendit compte de ce travail de recomposition. «Cela a pris six mois de ma vie,
mais je suis contente de l’avoir fait car ça a permis à l’oeuvre d’être encore
publiée 35 ans après et d’être traduite dans de nombreuses langues.» Elle
évoqua premièrement l’incompatibilité intellectuelle à laquelle elle se heurta:
«Nous n’avons eu aucun mot à dire quant au choix du design ou du designer du
livre. Ils furent mandatés par la MIT Press, qui sélectionna Muriel Cooper, une
graphiste de renom de l’époque. Les dimensions qu’elle choisit pour le livre le
rendit ingérable pour étudier loin d’un bureau et coûteux à produire.»42
Au niveau de la mise en forme, l’interligne triple de la première édition fut
remplacé par une présentation standard dotée d’un interligne simple.
«Nos principales critiques du design de la première édition visaient ses
dimensions exagérées, son prix élevé et sa mauvaise lisibilité. Mais nous nous
sommes opposés aussi à l’approche graphique ‘du style suisse’ de Muriel - la
police chétive, trop faible pour se défendre face aux illustrations, et des espaces
blancs trop généreux, qui ont rendu certaines illustrations illisibles. Tout cela a
été fait au nom de la modernité, mais le design suivait non pas le modernisme
du début que nous avons aimé et aimons toujours, mais celui, fatigué, de la fin
des années 1960, le style «héroïque et original», la mode poétique usée que TS
Eliot décrit. C’est cette approche même que nous contestions. Quel message
contradictoire!»43
Muriel Cooper(1925-1994), rejoigna la MIT Press en 1967 en tant que directrice
artistique. The View from the Road de Kevin Lynch fut le premier ouvrage qu’elle
façonna en free-lance pour la firme en 1964. L’approche «filmique» qu’elle réalisa
devint rapidement sa référence. Kevin Lynch, par contre, qualifia l’ouvrage de
«trop grand et trop apprêté».44 A cette époque, le Style Suisse, appelé aussi
65
17. Bauhaus, Hans Wigler, design de Muriel Cooper, MIT Press, 1969.
45 COOPER Muriel, dans HELLER Steven, ‘Muriel
Cooper’, dans Dans I’m a Monument, op cit.
46 Id.
47 Op cit. Note 1
48 Id.
49 Id.
18. Communication by Design, Muriel
Cooper, Malcolm Grear, Normn Ives,
Carl Zahn, Couverture, design de Muriel
Cooper, Andover, Mass., 1964.
66
50 WINGLER Hans, Bauhaus: Weimar, Dessau,
Berlin, Chicago, 1969, MIT Press.
51 CONOVER Roger dans VINEGAR Aron,
«Reducks, 1972, 1977» I AM A MONUMENT, on
learning from Las Vegas,MIT Press, 2008, p.117.
Traduction de l’auteur.
Style International, qui se développait aux Etats-Unis et partout en Europe,
devint l’emblème de l’école de graphisme de Yale. En étroite relation avec le
modernisme architectural, il mettait l’accent sur le dépouillement, la lisibilité et
l’objectivité et se distinguait par une mise en page asymétrique, l’utilisation de
grilles et de polices de caractères sans Serif. Les élèves graphistes participant
au studio LLV ainsi que Muriel Cooper était directement issus de ce nouveau
courant graphique. Muriel Cooper nota à ce propos: «Les acteurs et les oeuvres
du Bauhaus sont mes ancêtres spirituels et conceptuels. Je ressens donc un
lien particulier avec le sujet. Alors que la structure du livre trouve ses origines
dans le système de grilles suisses, elle a été conçue de manière suffisamment
riche pour englober l’ensemble complexe du matériel textuel et visuel.»45 et elle
ajouta: «j’étais une moderniste, mais j’étais une suisse aussi, si vous voyez ce
que je veux dire.»46
Comme Denise Scott Brown le précise dans sa préface en 1977, les différences
de format et de présentation graphique de l’édition revue ont permis «de déplacer
l’accent du livre des illustrations vers le texte et à lever la contradiction entre
notre critique du design Bauhaus et l’esthétique effectivement néo-Bauhaus de
ce livre; la recherche d’un style moderne ‘intéressant’ de la première édition
contredisait, croyons-nous, notre sujet et le triple espacement des lignes rendait
la lecture du texte difficile.»47
Pour ses auteurs, cette deuxième édition était d’avantage en harmonie avec ce
qu’elle devait signifier: «un traité sur le symbolisme en architecture.»48 Denise
Scott Brown insistera d’ailleurs en rappelant: «le sujet de notre livre n’est pas Las
Vegas, mais bien le symbolisme de la forme architecturale.» Et pour souligner
cette position, ils ajoutèrent un sous-titre à leur seconde édition: «Le Symbolisme
oublié de la Forme Architecturale.»49
Notons tout de même que l’impact de la première édition fut conséquent
dans le milieu du design. Elle fut souvent célébrée au même rang qu’une autre
production importante de Muriel Cooper, l’ouvrage de Hans Wingler, Bauhaus50,
publié en 1969 par la MIT Press.
La duck cover
Roger Conover, écrivain, curateur et éditeur exécutif actuel à la MIT Press,
explique que l’édition revisitée «s’est profilée comme une acceptation des
réserves émises au sujet de la conception graphique de la première édition par
les deux auteurs déçus. Plutôt que de compromettre le design de Cooper, la
(MIT ndlr) Press a accordé aux Venturi leur propre conception graphique sans
compromis pour le deuxième tour.»51 Il se réfère ici à quelques lettres échangées
entre les Venturi et la MIT Press au début des années 1970, en préparation à la
première édition et d’autres, quelques années plus tard, en vue de la réédition,
67
19. Page Titre de la copie annotée de Learning fom Las Vegas.
52 Cette version fut rendue publique uniquement
lors de l’exposion Learning from... Ruscha and
Venturi and Scott Brown, 1962-1977 qui eut lieu
en 2004 au Centre candien d’Architecture et se
proposait d’examiner les relations existantes entre
les productions de ed Ruscha et des Venturi durant
les année 1960-1970. Elle fut ensuite confiée à la
AAFAL (Avery Architectural & Fine Arts Library).
53 Robert Venturi to Michael Connelly, 11 fevrier
1972, AAUP, box 453. Dans I’m a Monument, op
cit. Traduction de l’auteur.
54 Denise Scott Brown to Michael Connelly,
25 juillet 1972, AAUP, box 453. Traduction de
l’auteur.
55 COOPER Muriel dans ABRAHAM Janet, «Muriel
Cooper’s Visible Wisdom», 1997, http://www.aiga.
org/content.cfm/medalist-murielcooper. dans I’m
a Monument, Op cit. Traduction de l’auteur.
56 Id.Traduction de l’auteur.
57 Robert Venturi to Michael Connelly, 11 février
1972. Dans I’m a Monument, op cit.
58 Op cit. Note 6 Traduction de l’auteur.
68
ainsi qu’à des mémos internes à la production et une copie de la première
version annotée des commentaires des Venturi en réponse au travail de Muriel
Cooper52.
Dans une lettre adressée à Michael Connelly, directeur éditorial à la MIT Press
à l’époque, lors des derniers stades de production du premier ouvrage, Robert
Venturi écrivit: «Nous ne pouvons pas accepter un livre qui, au nom de quelques
théories du design, occulte la signification de son contenu par son format et qui,
par sa couverture, représente l’opposé de ce que nous défendons, en tant que
designers et en tant qu’écrivains.»53
Et lorsque la publication fut achevée, Denise Scott Brown réitéra: «le graphisme
‘à la Suisse’ reste pour nous une déception.»54 Pour sa part, Muriel Cooper
caractérisa le conflit de «guerre d’esprits.» 55
Les Venturi firent part, plus en détails, de leur mécontentement concernant
la couverture de l’ouvrage conçue par Cooper, une pochette en papier bulle
scintillant «en hommage à l’éclat de Las Vegas»56 dans une lettre adressée
à Connelly en février 1972: «La couverture, telle que conçue, est totalement
inacceptable. Sans entrer dans un débat sur le bon et le mauvais design, elle
est inappropriée. Elle va à l’encontre de la philosophie du livre. C’est un ‘duck’ héroïque et original - presque extravagant en apparence. Il s’agit ici d’une étude
sérieuse, présentant un texte sérieux qui mérite une image conventionnelle
respectable. Le choc doit être produit par le contenu du livre. Nous l’avons
expliqué à Muriel à l’aide de croquis.»57
En juin 1972, un compromis fut arrangé. La couverture aux tonalités vert foncé
accueillant la célèbre image de l’affiche «Tanya» et les noms des trois auteurs en
caractères dorés (Baskerville) faisait d’avantage référence aux livres académiques
qu’aux catalogues d’exposition comme le voulaient les Venturi. Mais elle fut
emballée dans une pochette sablée, recouverte des différents titres de chapitres
du livre en caractères noirs (sans Serif) imaginée par Cooper. Sa conception
graphique et spécialement son travail typographique, un lettrage rouge pour
le titre LLV en seconde ligne, était caractéristique du travail de Cooper faisant
directement allusion à son catalogue d’exposition (1964) «Communication» by
Design: Muriel Cooper, Malcolm Grear, Norman Ives, Carl Zahn, où le terme
«Communication» se découpait de l’arrière-plan par un lettrage coloré.
Dans son interview accordée à Supercrit, Denise Scott Brown reviendra sur
cet incident: «Nous avons pu rejeter la couverture qu’avait imaginée Muriel et
concevoir l’une des nôtres. La couleur de sa police et la photo en médaillon (basé
sur des albums de cartes de cigarettes de mon enfance) et son agencement
axial impassible, simulant un ouvrage savant, étaient destinés à jouer contre son
contenu scandaleux, dans le cadre du jeu de la fusion entre la culture pop, la
haute culture et le Jinx - le nôtre, pas celui de Muriel. Elle a essayé de cacher
cette multitude de péchés à l’aide d’une pochette sablée affublée d’Helvetica.
Nous avons détesté ce cache-misère héroïque et original, mais il paraît que
quand elle subsiste, elle augmente le prix de revente du livre.»58
69
22. Logo du Learning from Las Vegas
20. Planche 1-1A, maquette préliminaire de la Partie I de
Learning from Las Vegas, 1971.
21. Planche 3-3A, maquette préliminaire de la Partie I de
Learning from Las Vegas, 1971.
59 SCOTT BROWN Denise, op cit. Note 23.
Traduction de l’auteur.
60 COOPER Muriel, op cit. Note 23. Traduction
de l’auteur.
61 Op cit. Note 6 Traduction de l’auteur
62 Op cit. Note 1
70
Nous pourrions résumer l’essentiel de la critique de la première version qu’en ont
fait les auteurs par celle établie par Denise Scott Brown sur la page de garde de
l’édition annotée59: le titre, positionné dans le coin gauche supérieur de la page
est encerclé et déplacé au centre de la page et accompagné des commentaires
suivants: «Cette page pourrait-elle être revue car sa composition est semblable
à un ‘duck’?» Cooper rétorquera plus tard «Ce qu’ils voulaient le plus, c’était un
‘duck’, pas un Hangar Décoré. Je leur ai donné un duck.» 60
Logo LLV
Denise Scott Brown justifia la réduction considérable du nombre d’images dans
la deuxième version (de 452 à 151) et le remplacement de 182 photos couleurs
par des dessins) ainsi qu’une mise en page simpliste regroupant les images en
une section séparée du texte cadenassé dans une unique colonne de la sorte:
«Il est vrai que les comparaisons entre les cartes et images de la première édition
étaient utiles, de même que l’était la couleur - ou elle l’eut été, si l’impression
n’avait pas été si trouble. Et il est vrai que notre deuxième version est maigre.
Mais pour nous, son atmosphère ‘Laide et Ordinaire’ est juste. Et la séparation
des textes pour des raisons budgétaires à un avantage: elle a mis en évidence
l’identité des programmes de travail en studio, les aidant peut-être à atteindre
leur degré d’importance actuelle en tant que modèle pour les chercheurs en
architecture.»61
Une maquette préliminaire de la première partie de LLV, datée du 23 février
1970 fut produite au sein de l’agence Venturi&Rauch. Il s’agissait de 13 planches
(56x76 cm) divisées en deux parties égales par une ligne pointillée bleue. La
première page en guise d’introduction présentait une brève partie de la préface
de la première édition ainsi que l’affiche du studio, Learning from Las Vegas, La
Grande Locomotive Culturelle Prolétarienne et un collage, The Trip, superposant
quelques articles de presse sur le studio et des photographies de Yale et de
Las Vegas. En général, le texte y était central et les photographies secondaires,
en accord avec les volontés des Venturi d’empêcher la forme de supplanter le
contenu. Comme sur les planches de présentation finale du studio, le logo «LLV»,
emblème de l’atelier, apparaissait clairement dans la maquette préliminaire. De
même, il restait présent dans la première édition de LLV mais disparu pour la
réédition.
De la même manière, les deux illustrations phares du studio, l’affiche et le
collage, auxquelles le lecteur est confronté dès la première page de la version
originale de LLV, sont dissimulées dans la deuxième version. Pourtant Denise
Scott Brown nota dans sa préface: «Dans cette version révisée, le texte parallèle
des notes d’atelier a été transféré à une section à part et raccordé au texte de la
première partie. Dans cette forme, il rétablit un peu de son identité originale.»62
71
23. Planche 6-7 de Learning from Las Vegas, 1ère édition, MIT
Press, 1972.
24. Planche 182-183 de Learning from Las Vegas, 1ère édition,
MIT Press, 1972.
63 Id.
64 Id.
65 Id.
66 JENCKS Charles, «Venturi et al are Almost all
Right», Architectural Design, 7-8 1977, p.468.
72
Réception publique
Considérant la structure, certaines modifications sont à noter, comme la
suppression de la troisième partie de la première édition concernant le travail de
la firme Venturi & Rauch, compensée par l’addition d’une bibliographie complète
de leurs écrits et des articles les concernant directement.
Dans sa préface, Denise Scott Brown, consciente que les premières parutions
de ses propos furent reçues négativement, «Nous pressentons que les idées
qui furent lancées dans L’enseignement de Las Vegas rencontrent aujourd’hui
un plus large accueil que lorsqu’elles furent publiées, pour la première fois»63,
mentionne un certain nombre de ses écrits et ceux de Robert Venturi comme
réponse complète à ces différentes accusations: «ce n’est pas ici le lieu pour
répondre aux critiques qui nous sont adressées mais, puisque nous comptons
aussi bien augmenter qu’abréger, je répertorierai ici les réponses que nous y
avons données ailleurs.» 64 Et elle citera «On Architectural Formalism and social
concern; a discourse for Social Planners and Radical Chic Architects», ou encore
«Sexism and the Star System in Architecture.»
Elle ajoutera «les renseignements (...) sur [nos] articles se trouvent dans la
bibliographie de Venturi et Rauch, ajoutée à cette édition. Cette liste d’écrits
dus à des membres de notre agence et à d’autres est la plus complète dont
nous disposons. Toute indication sur ce que nous avons pu omettre est la
bienvenue.»65
Le bouillonnement de critiques qu’avait engendré l’article «A significance for
A&P Parking Lots, or Learning from Las Vegas» continua à débattre sans fin sur
la philosophie venturienne évinçant tout travail graphique.
Charles Jencks, dans un article publié à l’été 1977 dans l’Architectural Design,
«Venturi et al are Almost all Right», fit une brève allusion à la nouvelle édition,
y prétextant son article: «Ce sujet a déjà fait couler beaucoup d’encre - et
cette nouvelle édition de leur livre de 1972 cite la plupart des sources dans
une bibliographie - ce qui laisse penser qu’il est a présent temps d’en faire une
évaluation équilibrée.»66
Ensuite, Kester Rattenbury, professeur d’architecture et co-auteur de la
publication Supercrit relève dans sa préface, certains changements quant à la
conception graphique de LLV. D’après lui, malgré l’avis tranché des auteurs,
la première édition permettait de saisir certaines subtilités que la deuxième
édition ne laissait pas présager. D’après lui, grâce à sa mise en page novatrice et
volontairement chaotique du premier, son format imposant et les techniques de
photomontage et d’arrêt sur image abondamment utilisés, elle envahit le lecteur
et le projette directement le long du Strip en février 1968, s’imaginant au volant
d’une voiture, assailli par les casinos, les affiches et l’incessant clignotement des
enseignes lumineuses. De cette manière le lecteur peut plus facilement identifier
73
67 RATTENBURY Kester, «Previews», Supercrit 2,
Robert Venturi and Denis Scott Brown, Learning
from Las Vegas, (éd. Routledge, Oxon, 2007),
p.13-24.
68 Id.
69 Denise Scott Brown to Barbara H. Ankeny, 16
avril, 1976. AAFAL Traduction de l’auteur.
74
l’intérêt du discours théorique novateur affirmé et son affection particulière à
valoriser le trivial et prendre comme élément essentiel de la quotidienneté les
slogans, enseignes et stéréotypes d’un univers commercial à une époque où
la décoration parait culturellement inconcevable. Cependant, l’auteur reconnaît
la valeur de la seconde édition et suspecte même que sans sa présence «nous
ne serions pas encore en train de débattre de Learning from Las Vegas trente
ans plus tard.»67 Il rappela en conclusion que le médium représentait aussi une
part du message et que comme les Venturi l’avaient démontré, «Une nouvelle
compréhension du contenu, indécelable jusque là, émerge lorsqu’on modifie le
cadre de représentation.»68
Une dernière lettre de remerciement des Venturi adressée à leur éditrice, Barbara
Ankey fut retranscrite: «Un travail exceptionnel, réalisé dans l’espoir de pouvoir,
ensemble, produire un livre que nous aimerons tous.»69
75
76
CONTROVERSE 3
Las Vegas ou les enseignements du Pop Art
1 SCULLY Vincent, Introduction à Complexity
and Contradiction, traduit en français dans De
L’Ambiguité en Architecture, 2ième ed., Venturi
Robert, Paris, Dunod, 1999, p.10.
2 VENTURI Robert, Ibid p.10.
3 SCOTT BROWN Denise, « On Pop Art,
Permissiveness and Planning », AIP Journal, mai
1969, p184 -186. (traduction de l’auteur).
4 SCOTT BROWN Denise, “Learning from Pop,”
Casabella, 359-360, Mai/Juin 1971, p.15-23.
78
Learning from Pop
Les nombreuses déclarations des Venturi au sein de leurs écrits, discours et
débats sur le Pop Art, nous démontrent leur affinité réelle à « l’Art Scene » des
années 1960.
Le Pop Art est effectivement central dans leur approche ; ils s’y réfèrent déjà
dans leurs essais personnels à la fin des années 1960. Vincent Scully, dans
son introduction à l’essai de Robert Venturi, Complexity and Contradiction in
Architecture, fait une description de la vision Pop Art de l’architecte : « Robert
Venturi est un des très rares architectes dont la pensée participe du mouvement de
peinture Pop Art, et probablement le premier à s’être rendu compte de l’utilité et de
la signification des formes créées par ce mouvement. Il a manifestement beaucoup
appris auprès des peintres Pop Art au cours de ces dernières années, bien que
l’essentiel de sa thèse ait été mise au point au cours des années «cinquante»,
avant qu’il ait commencé à s’intéresser au Pop Art. Son expression ‘Main Street
n’est-elle pas parfaite ?’ correspond exactement au point de vue Pop, comme
son goût instinctif pour les hors d’échelle dans les petits bâtiments et pour la vie
qui se dégage des objets de consommation courante lorsqu’on les isole pour les
observer. »1
Vincent Scully fait ici référence au dernier paragraphe de l’ouvrage, où Venturi
amorce déjà la thématique de LLV : « Quelques-unes des leçons éloquentes du Pop
Art, impliquant des contradictions de dimensions et de contexte, devraient avoir tiré
les architectes de leur rêves guindés d’ordre pur (...) Et c’est probablement dans le
paysage quotidien, vulgaire et dédaigné, que nous trouverons l’ordre contradictoire
et complexe, dont notre architecture a un besoin vital pour former des ensembles
intégrés au cadre urbain en tant qu’ensemble urbanistique.»2
Denise Scott Brown fait référence similairement au Pop Art dans ses écrits
personnels. Dans son article, « On Pop Art, Permissiveness and Planning »3,
elle fait écho à Robert Venturi quant à l’importance du Pop Art pour la théorie
d’architecture : « La meilleure chose qu’un architecte ou un urbaniste puisse offrir
à une société nouvelle, à part une belle terre, est sa propre compétence, utilisée à
bon escient pour la société afin de développer une compréhension respectueuse
de ses artefacts culturels et une stratégie de développement bienveillante visant
à convenir aux besoins ressentis et au mode de vie de ses habitants. C’est une
activité socialement responsable, c’est, en somme, ce qu’Herbert Gans et les
artistes pop font. »
Et elle réitéra dans son article « Learning from Pop » paru dans la revue Casabella,
« L’urgence de la situation sociale, et la critique sociale du renouveau urbanistique
et de l’architecte en tant que serveur d’un spectre étroit de la population la plus
riche (...) ont eu autant d’importance que les artistes Pop pour nous guider vers la
ville américaine existante et ses bâtisseurs. »4
79
5 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, «A
Significance for A&P Parking Lots, or Learning
from Las Vegas», Architectural Forum, Mars 1968.
6 Ibid p. 37.
7 WHAROL Andy, HACKETT Pat, POPism,
The Warhol’ 60‘s, New-York: Harcourt Brace
Jovanovich, 1980, p39.
8 RUBLOWSKY John, Pop Art, New York: Basic
Books, 1965, p.8-9.
80
Cette conception du Pop Art qu’ils développèrent chacun de leur coté, trouva
son expression maximale dans leur collaboration pour l’écriture de leur article
« A Significance for A&P Parking Lots, or Learning from Las Vegas »5 et de leur
publication LLV qui en découla.
Dans cet article, les auteurs prirent le Pop Art comme exemple d’une approche
tolérante du paysage urbain existant. En combinant une esthétique « populiste »
et les avancées de The View from the Road, les architectes clament que « créer le
nouveau pour l’artiste, peut vouloir dire choisir l’ancien ou l’existant. Les artistes pop
ont réappris à le faire. Notre reconnaissance de l’architecture commerciale existante
à l’échelle de la grand-route s’inscrit dans cette tradition. »6 Robert Venturi et
Denise Scott Brown s’inspirèrent de la «représentation mentale» de Kevin Lynch,
non pas, comme lui, pour soutenir le fait que la ville soit exceptionnellement
organisée et immédiatement perceptible, mais plutôt dans l’idée de conserver
les « modèles latents » qui peuvent être découverts et révélés par les urbanistes
et les architectes.
Leurs pensées reflètent celles des critiques et artistes Pop qui mettent en relation
le style Pop Art, son sujet et le paysage urbain.
Andy Warhol rappelle un de ces roadtrip depuis New York jusqu’en Californie en
1963 : « Plus nous roulions vers l’Ouest, plus toutes les choses que nous croisions
sur la route nous semblaient Pop. Nous nous sommes soudainement sentis comme
des initiés parce que malgré le fait que le Pop soit partout - c’était là sa particularité,
la majorité des gens le prenait pour acquis, alors que nous, cela nous émerveillait
- pour nous, c’était le nouvel Art. Une fois que vous comprenez le Pop, vous ne
regardez plus jamais une enseigne de la même manière. »7
Dans la même lignée, John Rublowsky dans son livre sur « New York Pop » en
1965 affirme la nécessité d’établir un lien entre les sujets Pop et les espaces des
villes au travers de photographies où il juxtapose des images Pop et leur pendant
urbain. Il remarque l’intérêt d’un lien entre les caractéristiques des sujets et du
style des artistes Pop et le paysage urbain comme le feront les Venturi.
« Les formes voluptueuses d’un hamburger ; la simplicité et la franchise d’une
planche de bande-dessinée ; le design accrocheur d’une boite de soupe ; la vision
naïvement surréaliste d’un panneau publicitaire ; le look froid et ostensiblement
fonctionnel d’un ‘Hollywood bath’ [salle de bain commune ndlr] ; l’exubérance
tapageuse d’un chantier de construction d’autoroute (...) Leur travail [Oldenburg,
Roy Lichtenstein, Andy Warhol, Allan D’Arcangelo, Tom Wesselmann et James
Rosenquist ndlr] a exploré une zone de la réalité négligée jusqu’ici, et la sensibilité
de leur vision nous a ouvert de nouvelles perspectives esthétiques. »8
81
1. RUSCHA Edward, Some Los Angeles Apartments, couverture et 2 pages, Edité par l’auteur, Los Angeles, 1965.
9 VENTURI Robert, «The Summit», The Magic
Hour: The Convergence of Art of Las Vegas, ed.
Alex Farquharson, Weiz, Austria, 2002.
10
11 RUSCHA Edward, «My books End Up in the
Trash», New-York Times, août 27,1972.
2. RUSCHA Edward, «Good Years Tires, 6670 Laurel Canyon et
North Hollywood», Thirty Four Parking Lots, Edité par l’auteur,
Los Angeles, 1967.
12 SCOTT BROWN Denise, « On Pop Art,
Permissiveness and Planning », AIP Journal, mai
1969.
13 Ibid. p. 186.
82
L’influence Ruscha
Denise Scott Brown découvrit l’art de la photographie dans le courant des
années 1960 lorsqu’elle enseignait en Californie. Elle y créa ses propres archives
photographiques du paysage urbain vernaculaire.
« Denise a découvert Ed Ruscha lorsqu’elle enseignait à UCLA au milieu des
années soixante et nous apprenions déjà des artistes Pop et de leur valorisation du
quotidien depuis la fin des années cinquante. »9
Durant cette période, Edward Ruscha, dont l’optique fut de « rapporter » sans
porter aucun jugement, réalisa une série de livres auto-publiés, Twenty-Six
Gasoline Stations (1963), Some Los Angeles Apartments (1965) (fig.1), Every
Building on Sunset Strip (1966), où il présentait des exemples de différentes
typologies architecturales de la ville. Ardus à la lecture, les livres de Ruscha
représentaient d’après un article parut dans un numéro spécial du Visible
Language,10 les « Okie-Pop-Minimal Vision » du paysage vide. Dans Thirty Four
Parking Lots, il documente le «Commonly Unseen» «communément inapparent”,
ou ce qui n’est généralement pas visible depuis le sol.
Il exposa la manière de concevoir ses oeuvres, au travers d’un article intutilé
«My books End Up in the Trash» du New York Times: « L’appareil photo est
simplement utilisé comme un dispositif documentaire, le dispositif documentaire
clandestin, c’est de cela qu’il s’agit (...) La représentation clandestine d’un immeuble
à appartements dans ‘Some Los Angeles Apartments’ est une photographie, rien
d’autre, pas un dessin, parce que cela deviendrait la vision de quelqu’un d’autre de
ce qui est, alors que ceci est l’oeil de la caméra, le croquis clandestin du sujet.»11
Denise Scott Brown publia ses premières réflexions sur l’art de Ruscha dans son
article, «On Pop Art, Permisiveness and Planning »12, où elle mit en évidence sa
méthode de travail. Elle reproduisit des photos des trois livres de Ruscha, une
station essence, un immeuble à appartements et une aire de parking, Good
Years Tires, 6670 Laurel Canyon et North Hollywood (fig. 2) qui opposaient un
vaste parking impopulaire, long et étroit et le centre de service qu’il déssert.
D’après Denise Scott Brown, la pertinence des images Pop Art chez Ruscha est
un exemple phare de la matérialisation de la relation existant entre le bâti et le
parking. Il révèle un « modèle d’extension. »13 Elle introduit son article par un retour
sur l’histoire et une déclaration (qu’elle recitera pour LLV), sur les architectes
et les urbanistes qui « commencent à chercher des manières nouvelles et plus
réceptives de voir l’environnement », qu’elle mit en relation ensuite avec le travail
de Ruscha: «Mais les architectes et les urbanistes sont en réalité des retardataires
dans le domaine et ont à apprendre des autres. D’Edward Ruscha par exemple
; ses vingt-six stations-service (Twentysix Gasoline Stations) sont photographiées
tout droit : Pas d’art si ce n’est l’art qui dissimule l’art. Ses appartements de Los
Angeles (Some Los Angeles Apartments) sont apocalyptiques, sans ascenseur,
résidentiels, bridge-playing,empreints de camaraderie, avec un Tiki [sculpture
83
3. RUSCHA Edward, Every Building on the Sunset Strip, Edité par l’auteur, Los
Angeles, 1966.
14 Id.
15 BANHAM Reyner, «Ubder the hollywood signs»
Edward Ruscha: Print and publications 1962-74,
(London,Arts Council of Great Britain,1975.
16 Venturi prend parti pour les decorated shed en
opposition au canard, les considérant comme des
instruments de communication efficaces.
17 RUSCHA Edward, «Ruscha as Publisher(or All
Book-Up)», Artnews 71, avril 1972, p34.
18 VENTURI R., SCOTT BROWN D., IZENOUR S.,
Learning from Las Vegas, 1ere édition, Mass: Mit
Press, 1972, p 12. (traduction de l’auteur).
19 SCOTT BROWN Denise, «Learning from Pop»,
Casabella, 359-360, Mai/Juin 1971, p.15-23.
84
polynésienne humanoïde en bois ndlr] dans l’entrée et une piscine dans le patio.
Les trente-quatre parkings (Thirtyfour Parking Lots, 1967) photographiés depuis un
hélicoptère ressemblent aux peintures de D’Arcangelo: des diagrammes abstraits,
fléchés et tendus où les motifs dessinés par les taches d’huile sur l’asphalte révèlent
des tensions différentes résultants des différents accès. Son Sunset Strip, un long
pliage en accordéon, présente chaque immeuble des deux cotés du boulevard,
chacun soigneusement numéroté mais sans aucun commentaire. Deadpan, une
monographie académique avec une couverture argentée et une jaquette à glisser
(...) suggère une nouvelle vision du monde immédiat qui nous entoure. »14
Every Building on the Sunset Strip (fig. 3) est une association de photos noir et
blanc, seules ou par paire, au format alternatif, n’incluant si pas, presque pas,
d’interruption textuelle (les adresses sont indiquées par des numéros) de façon
à ce que le cadrage des sujets et la mise en page du livre n’interfèrent presque
pas avec la réalité. « un art qui dissimule l’art » d’après les dires de Banham qui
ajouta « Il n’y a pas là-bas de touche de l’artiste qui puisse perturber l’argument (...)
Les livres n’offrent aucun indice verbal qui indique de quelle manière il faut regarder
les objets, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait aucun indice qui indique comment
regarder. »15
On peut observer un rapprochement entre les intuitions de Ruscha et les
considérations de VSBI dans LLV voire même peut-être une anticipation de leur
concept du « Decorated Shed »16 : « Tout ce que je cherchais était ce plan de
façades (...) C’est un peu comme une ville de Western. Les façades des villes de
Western sont simplement en papier, et tout ce qui est derrière n’est en fait rien (...)
Pour moi, Los Angeles est comme une série de plans de façades, tous à la verticale
de la rue, et c’est presque comme s’il n’y avait rien derrière les façades. Ce ne sont
que des façades ici (...) Le façadisme de l’ensemble. »17
La déclaration de Ed Ruscha anticiperait les dires de VSBI dans LLV: « (...) Les
façades postiches des magasins de western (Ouest américain) étaient plus grandes
et plus hautes que les intérieurs qu’elle couvraient pour exprimer l’importance du
magasin et pour mettre en valeur la qualité et l’unité de la rue : les façades postiches
appartiennent à l’ordre et à l’échelle de la Grand-Rue. De la ville actuelle située en
plein désert de l’Ouest, au bord de la grand-route, nous pouvons tirer des leçons
nouvelles et éloquentes d’une architecture de communication impure. »18
En décembre 1971, Denise Scott Brown contribua à un numéro spécial de la
revue Casabella, « The City as an Artifact » (fig. 4), par son article « Learning
from Pop. »19 Au travers de sa discussion la plus soutenue sur les mérites du
Pop Art, elle explique que l’artiste Pop célèbre l’environnement existant, et donc
que le Pop Art souligne le contexte à partir duquel les architectes et urbanistes
peuvent prospecter. Avant tout, le « paysage Pop » - supermarchés, Parkings,
stand de Hot-dog, Entrepôts, Boulevards, Routes, Ruelles, etc - peut fournir les
informations vitales nécessaires pour une future planification. Elle écrira : « C’était
85
la revue Casabella intéressée de près par
la scène américaine proposa à l’IAUS de
lui léguer son «espace» le temps d’une
édition spéciale bilingue, «The City as an
Artifact». Eisenman, à la tête de l’institution invita quelques figures de renommé
telles que Robert Venturi, Denise Scott
Brown et Kenneth Frampton à participer à cette première. Ce document est
considéré comme le précurseur de la revue Oppositions
5. Articles parus dans Casabella 359360, Mai - Juin 1971, SCOTT BROWN
Denise, «Learning from Pop»,
FRAMPTON Kenneth, «America 19601970: Notes on Urban Images and
Theory» et SCOTT BROWN Denise,
«Risposta per Frampton», 1971.
20 Ibid p.16.
21 Ibid p.17.
22 FRAMPTON Kenneth, « America 1960-1970 :
Noted on Urban Images and Theory » Casabella
359-360, Mai/Juin 1971, p.36.
23 Id.
24 FRAMPTON Kenneth, «Towards a Critical
Regionalism: Six Points for an Architecture of
Resistance », dans The Anti-Aesthetic. Essays on
Postmodern Culture, Bai Press, 1983.
25 Op cit. note 22.
26 SCOTT BROWN Denise,“Pop off : Reply to
Frampton,” Casabella, 359-360, Mai/Juin 1971,
pp. 41-46.
86
une des rares sources de données contemporaines sur les aspects symboliques
et communicatifs de l’architecture. »20 Elle recommande ensuite l’application de
nouveaux types de techniques analytiques qui peuvent regrouper une abondance
de données répétitives en un système compréhensible. Les séquences de film
(Référence à The View from the Road) peuvent par exemple être combinées aux
techniques conventionnelles, à savoir le Nolly’s plan, les photos aériennes ou
méthodes graphiques comparatives, pour décrire ce que Denise Scott Brown
perçoit comme «la dimensionnalité en perpétuelle évolution de la ville existante.»21
«Learning from Pop» (fig. 5, 6) fait partie d’un échange acerbe de points de
vue établi entre Denise Scott Brown et l’architecte, critique et historien anglais
Kenneth Frampton. Parut dans le même numéro spécial de Casabella « The City
as an Artifact » et suivant directement l’article de Denise Scott Brown, « America
1960-1970 : Notes on Urban Images and Theory »22 (fig. 5) remet en question
la crédibilité des leçons apprises du Pop Art dans la pratique de l’architecte
et de ce qu’il qualifie « motopia» à savoir Las Vegas, Los Angeles, Levittown,
etc. Selon lui, les deux ne sont pas spécialement reliés car contrairement à
Las Vegas par exemple, les artistes pop exposent la brutalité d’un monde régi
par les dynamiques commerciales de Madison Avenue. Il note que « les photos
de Ruscha sont dépourvues de toute la chaleur humaine que ce type de formes
servent indubitablement à maintenir (...) Elles caractérisent une objectivité clinique
plus proche de l’étude de marché institutionnelle que de l’expression authentique
d’une culture. » Il prétend que « cette fascination obsessionnelle pour l’imagerie
et l’imagination n’est qu’une distraction du réel vandalisme institutionnalisé que
l’intérêt pour le commun et l’existant a forgé dans la culture. »23 Il insiste en ajoutant
que les présomptions populistes de Denise Scott Brown sont une forme de
contrainte et dès lors, sa « permissivité » masque l’hégémonie naissante d’un
capitalisme sous la conduite de Madison Avenue.
La critique de la nouvelle condition urbaine que développait Kenneth Frampton
dans son article « Towards a Critical Regionalism: Six Points for an Architecture of
Resistance »24 laissait déjà poindre son aversion exacerbée envers la démarche
des Venturi. D’après lui, « rien ne pourrait être plus éloigné de l’essence politique
de la ville que les rationalisations d’urbanistes positivistes comme Melvin Webber,
dont les concepts idéologiques de communauté sans proximité et la réalité urbaine
du non-lieu ne sont rien d’autre que des slogans inventés pour légitimer l’absence
de toute réalité publique dans la motopia moderne. » et il ajoutera «Le pouvoir
manipulateur propre à de telles idéologies n’a jamais été aussi ouvertement exprimée
que dans Complexity and Contradiction in Architecture (1966) de Robert Venturi.» Il
considère l’étude des Venturi du Strip de Las Vegas comme «une rationalisation
de facto de l’environnement pollué» et les ridiculise par une question rhétorique:
«Les architectes ont-ils réellement besoin d’élaborer une ratification sociologique à
la Gans, pour qu’on leur dise que ce dont les gens ont besoin est ce qu’ils ont?»25
Dans son droit de réponse, « Pop Off : Reply to Frampton »26 (Fig. 5), Denise
Scott Brown accuse Kenneth Frampton de fonder une mauvaise interprétation
87
6. SCOTT BROWN Denise, «Risposta per Frampton», Casabella,
359-360, Mai - Juin 1971.
27 Op. Cit. Note 11.
28 Op. Cit. Note 23.
29 Op. Cit. Note11, p. 185.
30 Id.
31 Remedial Housing for Architects, or Learning
from Las Vegas, Ecole d’Art et d’Architecture de
Yale, 1969, sous la tutelle de Scott Brown Denise,
Venturi Robert, Izenour S.
32 SCOTT BROWN Denise, op cit note 2, p.56.
88
délibérée de son article. Elle affirme qu’il suggère que « les architectes se
trompent : Ils sont radicaux dans leur quête d’une architecture révolutionnaire
plutôt que dans celle d’une utilisation de leurs compétences pour servir l’innovation
sociale. » Contrairement à Frampton, Denise Scott Brown considère l’innovation
sociale comme implicite au Pop Art. Elle l’explique d’ailleurs dans son article
«On Pop Art, Permissiveness and Planning» (article que Frampton cite dans sa
critique) que « La meilleure chose qu’un architecte ou un urbaniste puisse offrir à
une société nouvelle, à part une belle terre, est sa propre compétence, utilisée a
bon escient pour la société afin de développer une compréhension respectueuse
de ses artefacts culturels et une stratégie de développement bienveillante visant
à convenir aux besoins ressentis et au mode de vie de ses habitants. C’est une
activité socialement responsable, c’est, en somme, ce qu’Herbert Gans et les
artistes pop font. »27 Denise Scott Brown avance que les architectes et urbanistes
peuvent apprendre de Las Vegas sans que cela n’implique la reconversion d’une
ville en Las Vegas « Apprendre à aimer Las Vegas pour son essence («body») nous
apprendra a comprendre comment être doux avec l’essencede South Street (à
Philadelphie), donc avec la vie de ses occupants. »28Elle fait souvent référence à
la substance de la ville, son plaisir et déplaisir : « le frisson généré par la tentative
d’aimer ce que l’on n’aime pas est connu pour être source de création ; il ébranle
l’artiste dans ses habitudes esthétiques et le sensibilise à nouveau à la source
de son inspiration... Ici, la secousse vient de l’utilisation inattendue d’un élément
ordinaire d’une manière extraordinaire. »29 Elle décrira le Pop Art comme « une
nouvelle source d’énergie effrayante. »30
Au sein des ateliers d’architecture de l’Université de Yale précédant la date
de parution de LLV, l’un, comme on l’a vu, sur l’environnement commercial
de Las Vegas en 1968 et l’autre sur le symbolisme architectural du faubourg
de Levittown31 en 1970, VSBI s’inspirèrent nettement du travail de Edward
Ruscha. Dans les notes du studio de Levittown, Denise Scott Brown rappelait
les consignes suivantes :
« Quelles nouvelles techniques sont nécessaires pour représenter les nouvelles
formes ? Nous devons viser à figer(deadpan) la matière pour qu’elle parle d’ellemême. Ruscha a été le premier à traiter ses monographies de cette manière. C’est
une façon d’éviter de se faire reléguer au second plan par notre propre sujet. Cela
peut aussi nous guider vers la rigueur méthodique requise par l’analyse architecturale
formelle des lors qu’elle sera reconnue comme une discipline légitime. »32
Durant le Studio de Recherches LLV, les élèves réalisèrent deux illustrations
portant le nom de « ‘Edward Ruscha’ elevation of the Strip » et « Piece of
South Street ‘Ruscha’ » en référence à son art. La composition graphique se
rapprochait du format de l’ouvrage Every Building on the Sunset Strip afin de
recréer au mieux l’expérience du conducteur que Ruscha décrira comme « a
continuous motorized photos. »
89
7 Couverture du catalogue de l’exposition «Signs of Life : Symbols in the American City» organisée dans la Renwick
Gallery du Smithsonian Institute, été
1976.
33 SCOTT BROWN Denise, «Remedial housing
for Architects studio», Venturi, Scott Brown &
Ass., On House and Housing, ed.James Steele,
New York: St Martin’s, 1992, p 57.
34 Oldenburg Retrospective, MoMa, NY, 1970.
35 La Smithsonian Institution, crée fin du XIX
ième siècle par le scientifique britannique James
Smithson, est une institution éducative et de
recherche associée à un vaste complexe de
dix-neuf musées et sept centres de recherche
principalement situés à Washington, fondée et
gérée par le gouvernement américain. La Galerie
Renwick est reliée au Musée d’art américain du
Smithsonian regroupant la plus grande collection
existante d’art américain.
36 LIPSTADT, Helene R., «Interview with R. Venturi
and D. Scott Brown», Architecture, Mouvement,
Continuité, Juin 1976, p. 95-102.
37 SCOTT BROWN. Op cit. note 34.
90
VSBI furent également influencés dans leur conception et représentation des
villes par l’«overscale» de l’artiste Claes Oldenburg et sa représentation des
objets ordinaires et spécialement son «Hamburger». Dans le Levittown studio
toujours, Denise Scott Brown fit référence à la «Oldenburg Interpretation»
et incita ses élèves à « faire pour le logement ce qu’Oldenburg a fait pour les
hamburgers.» Elle explique: «Oldenburg nous a essentiellement forcés à regarder
les hamburgers d’une manière différente parce qu’il les a représentés d’une manière
inhabituelle : grands, laqués et dans une galerie d’art. Les aime-t-il ou les déteste-til, et que devons nous ressentir? Il ressent probablement un peu des deux, mais
cela ne change rien, en tout cas pas encore. L’intérêt premier est le changement de
vision et de compréhension qu’un Oldenburg peut induire, et la réinterprétation et
reclassification de nos artefacts qu’il fournit. »33
Cette déclaration traduit clairement les ambitions de VSBI qu’ils développeront
dans LLV.
Remedial Housing for Architects studio aussi appelé Learning from Levittown
studio, débuta juste après la rétrospective d’Oldenburg exposée au MoMA à
New York.34
Signs of Life: entre Représentation et Réalité.
Durant l’été 1976, l’exposition Signs of Life: Symbols in the American City,
présentait au grand public les théories de Robert Venturi et Denise Scott
Brown ainsi que les recherches effectuées principalement lors de leurs studios
d’architecture, au sein d’une institution symbolique, la Renwick gallery de la
Smithsonian Institution35, à Washington à l’occasion du bicentenaire des EtatsUnis.
Lors d’un entretien entre Robert Venturi, Denise Scott Brown et la revue française
Architecture, Mouvement et Continuité36 en juin 1976, Denise Scott Brown
évoqua cette opportunité avec enthousiasme: «Egoïstement, je pourrais dire que
ce projet est merveilleux dans la mesure où l’association avec ce musée national
est une reconnaissance. Nous ne pouvons plus être considérés comme choquants
et hideux (tels que beaucoup de critiques nous ont décrits) puisque nous avons été
choisis par cette auguste institution. C’est enfin l’occasion de développer quelques
idées que nous avions depuis 1970.»37
Pourtant Charles Jencks, dans son ouvrage Le langage de l’Architecture Postmoderne paru en 1977, en revenant sur les affinités populaires des Venturi et de
leurs associés réferera l’évenement de la sorte:
« Avec sa femme Denise Scott Brown et son équipe de designers, Venturi rechercha
dans ses manifestations jusque là méprisées du goût populaire des ‘leçons de
symbolisme’. Les résultats furent rassemblés dans ce que l’on pourrait appeler la
première anti-exposition d’architecture post-moderne « Signes de vie : les symboles
91
8. Photos de l’exposition «Signs of Life : Symbols in the American City» organisée
dans la Renwick Gallery du Smithsonian Institute, été 1976.
38 JAMESON Fredric, « The vanishinh Mediator ;
or Max Weber as Storuteller » , The Ideologies of
Theory : Essays 1971-1986, vol.2 (Minneapolis :
University of Minnsota Press, 1988), p3-34
(traduction de l’auteur).
39 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
catalogue d’exposition «Signs of Life: Symbols
in the American City»,1976, acquis depuis les
archives personnelles de Venturi, Scott Brown &
Ass., suite à la correspondance avec Judy Glass,
assitante personnelle de Robert Venturi,11 août
2009.
40 «Minutes of the meeting on the bicentennial
exhibition on city, 6 mars 1974, Renwick Gallery»,
Venturi, Scott Brown Collection, box 144.
41 Op cit. note 36.
92
dans la ville américaine » (anti par ce que la manifestation allait à l’encontre des
codes traditionnellement utilisés par les musées pour la présentation des œuvres
d’art. »38
L’exposition proposait une redéfinition et une reconsidération du paysage typique
américain, comme le citent les Venturi dans leur catalogue de présentation:
«Qu’est ce qui fait qu’une maison à l’air d’une maison, qu’une école à l’air d’une
école, qu’une banque à l’air d’une banque? Qu’est ce qui fait qu’une station
d’essence a l’air d’une chose familière? Cette exposition doit montrer que les formes
de l’architecture ont des significations symboliques et donnent des messages qui
rendent l’environnement compréhensible et par conséquent utilisable par des gens
dans leur vie quotidienne. »39
Les architectes essayèrent de mettre en place un discours, non pas dogmatique ni
centré sur des principes universels, mais plutôt au travers d’objets vernaculaires
et d’expériences individuelles. Comme l’a souligné Joshua Taylor, directeur
du National Gallery of Fine Arts du Smithsonian Institute, durant la phase de
planification de l’exposition: « L’accent de l’exposition devrait être mis sur l’aspect
sensuel, amener les gens à réfléchir sur ce que vivre en ville signifie par l’utilisation
d’objets plutôt que par des photos et de longues notes explicatives (...) amener les
gens à vivre des situations différentes plutôt que de juste les leur faire lire. »40
Les Venturi ajouteront dans leur argumentation que « cette exposition vise
également à suggérer aux designers, aux architectes et aux planificateurs d’étudier
sans préjugé le paysage urbain actuel et spécialement les significations symboliques
que les gens y mettent. Ce faisant, ces urbanistes apprendront plus qu’ils n’en
savent maintenant au sujet des besoins, des goûts et des préférences des gens
dont ils influencent la vie, et particulièrement au sujet des groupes dont les valeurs
sont différentes des leurs. »41
L’exposition présentait les signes et les symboles des archétypes de trois
environnements urbains différents, l’habitation privée, le Strip suburbain et
la rue Main Street (fig. 8). Elle ouvrit ses portes sur la première thématique,
l’habitation privée, présentant la charge symbolique d’une maison urbaine
(«row house»), d’un pavillon de banlieue de Levittown et d’une maison dans
le style «gentilhommière» («colonial house») des banlieues chics («exurban»).
Le visiteur se retrouvait confronté à des façades typiques et des maquettes de
salons décrivant, à l’instar d’une bande dessinée, sa propre charge symbolique
au travers de bulles. Par exemple, la porte de style «colonial» se retrouvait
comparée avec son modèle historique de la Nouvelle Angleterre, au même titre
que l’étaient les lampes de cocher ou les sculptures de jardin.
Du matériel additionnel accroché aux murs complétait l’exposition interactive
et renseignait par quelques textes informatifs ou par une documentation
photographique le style domestique et sa communication symbolique. Denise
Scott Brown mentionna à ce propos: «Nous voudrions montrer au grand public
93
9. Id.
10 Id.
42 Op cit. note 34.
43 MARVEL Bill, «On Reading the American
Landscape», National Observer, 24 avril 1976.
(traduction de l’auteur).
44 RUSSEL Beverly, House and Garden 148, août
1976, p.79. (traduction de l’auteur).
45 THUTHILL Mary, Michigan News, 7 mars 1976.
(traduction de l’auteur).
46 VAN ECKARDT Wolf, «Signs of a Urban
Vernacular», Washington Post, 20 fevrier 1976.
(traduction de l’auteur).
47 HUXTABLE Ada Louise, «The Pop World of the
Strip and the Sprawl», New York Times, 21 mars
1976. (traduction de l’auteur)
48 VENTURI Robert, Op cit note 34 (traduction
de l’auteur).
94
la maison américaine telle qu’elle est habitée, vécue par tout l’éventail social. Si les
critiques d’architecture y voient de l’arrogance et de la condescendance, c’est par
ce qu’ils projettent la leur, mais notre intention est d’éviter ces réactions d’élite car
nous pensons que nous devons nous sensibiliser à cette culture avant de porter des
jugements. Les architectes, pour la plupart, ont portés trop de jugements. J’attends
la réaction des gens qui verront leurs propres maisons rassemblées et je suppose
qu’ils ne seront pas outragés. »42
Le Strip quand à lui alliait différents éléments de l’environnement commercial.
Encerclé par des enseignes de McDonald à ses deux extrémités (fig. 9), ce
couloir d’exposition exhibait des panneaux d’affichages, de signalisation, et
des néons reflétant l’atmosphère de la Grand-route par une lumière alternant
une ambiance nocturne et diurne. Au centre de la pièce, une affiche proposait
des photographies de la roadside architecturale et offrait des explications sur le
symbolisme urbain (fig. 10). La troisième section, The Main Street, incluait des
photographies et des reproductions chevauchant une culture Pop et un «Fine
Art» en alliant par exemple, une page publicitaire d’une signalétique commerciale
d’un magazine contemporain à une peinture du 19ième siècle.
Cette projection d’espaces familiers et d’objets actuels incita inévitablement
les critiques à établir des comparaisons avec le Pop Art. Le National Observer,
dans un article intitulé « On Reading the American Landscape» annonçait «Signs
of Life: une Encyclopédie du Pop »43 tandis que d’autres revues américaines
déclaraient avec enthousiasme que « La vie réelle: C’est de l’Art »44 ou encore
« le Pop Art, un succès à Washington.»45 Le Washington Post ovationna le Strip:
« Les enseignes lumineuses criardes et brouhaha visuel de la Route 66 (...) sont
exposées de manière passionnante au Renwick et élevés au rang d’art »46 non
moins que l’acclama un article du New York Times, « The Pop World of the Strip
and the Sprawl », signé Ada Louise Huxtable: « L’effet de ce montage abstrait
et dynamique de couleurs, de lumière et de mouvement, de McDonald’s à Mobil,
est étonnamment esthétique, à la manière perverse du Pop Art. Les enseignes du
Holiday Inn n’ont jamais été aussi belles. »47
Dans leur catalogue d’exposition, les architectes notèrent l’importance de
leur installation qui incluait directement le spectateur au travers d’images et
d’expériences simultanées. Pour le Strip, ils décrivirent l’expérience du visiteur
en démontrant la centralité de l’art de Ruscha dans le design de la pièce dédiée
à l’environnement routier : « Vous découvrez une grande image linéaire du Strip
mouvante. Vous marchez à travers la pièce le long d’une élévation en mouvement
d’un grand boulevard à la Edward Ruscha. »48 Positionné au niveau des yeux,
les deux « écrans rétro-éclairés » représentaient le Strip dans le sens opposé
du parcours du spectateur afin d’augmenter la vitesse et simuler au mieux
l’expérience de la perception d’un automobiliste. Perpendiculairement au Strip,
95
11. Plan de coupe des installations de VSBA pour l’exposition «Signs of Life : Symbols in the American City», été 1976.
49 KREBS Patrica, «Psst... What is Your House
saying About You?», The Charlotte Observer, 22
aout 1976. (traduction de l’auteur).
50 STEIN Benjamin, «The Art Forms of Ever(y)day
Life», Wall Street Journal, 22 avril 1976.
51 SHORE Benjamin, «‘Symbols of American City’
a Monument to Bad Taste?» St Louis Missouri
Global-Democrat, 8 avril 1976.
52 GEDDES Jean, «Is Your House Crawling with
Urban Symbolism?», Forecast, mai 1976, p.49.
12. Id.
96
53 VENTURI R., SCOTT BROWN D., IZENOUR S,
«Proposal for a Book and Movie version of ‘Signs
of Life: Symbols in the American City’», Venturi
Scott Brown Collection, box 179.
des enseignes lumineuses imitaient leur statut réel le long du Strip et sur les
bas cotés des informations photographiques, la plupart reprises du Studio LLV
complétaient la thématique. (fig. 11)
Le quotidien Charlotte Observer salua cette mise en scène de la sorte: « Cette
représentation glorifie et falsifie à la fois complètement le Strip. Ces enseignes ne
sont jamais vues de cette manière, de près et à proximité les unes des autres. Ici,
comme jamais avant, ce sont de beaux objets »49 (fig. 12). Tandis que le Wall Street
Journal relayait le Strip au statut d’art dans un article intitulé «The Art Forms of
Ever(y)day Life» : «Le Strip déborde d’énormes enseignes vivement éclairées (...)
ces pièces magnifiques (...) sont en réalité de magnifiques nouvelles formes d’art.»50
D’autres périodiques évoquèrent le réalisme de l’exposition: «Depuis que nous
sommes une nation sur roues (roulante), marcher à travers l’exposition s’apparente
à conduire à travers les Etats-Unis.»51 ou encore «Aujourd’hui, à la galerie Renswick,
vous pouvez quitter une avenue calme de Williamsburg, virer et vous retrouver
brusquement face à une rampe illuminée de néons, un conglomérat d’énormes
enseignes tapageuses et enfin, à quelques pas seulement, vous retrouver en plein
milieu d’une rue de Houtson au Texas (...) Le réalisme est tel que vous goûtez les
hamburgers lorsque vous croisez les Arches Dorées [du M de McDonald’s ndlr]
sur le boulevard des néons, ou le Strip. Un motel vous invite à une confortable nuit
de sommeil et vous vous surprenez à chercher le prix de l’essence lorsque vous
croisez la station-service. »52
Après quelques mois d’ouverture, la popularité de l’exposition généra la
demande d’une version «travelling». Les architectes envisagèrent de réaliser un
film ou un livre qui « traite des mêmes idées et images, mais dans le contexte plus
réaliste du conducteur et du spectateur en mouvement, qui instruira l’étudiant et
préparera le public à regarder et interpréter le paysage américain. »53
Le film aurait pu être la version animée de LLV mais le projet fut finalement
abandonné.
97
98
CONTROVERSE 4
Las Vegas ou les limites du discours
1 «Las Vegas, etc. ou Réalisme en Architecture», Archithèse, n°13, 1975.
2. «USA - Switzerland» , Archithèse,
n°16, 1976.
3. «Réalisme» , Archithèse, n°19, 1976.
1 «Las Vegas et caetera» dans Archithèse n°13:
«Réalisme en architecture», 1975.
2 VON MOSS Stanislaus, éditorial de «USASUISSE», Archithese n°16, 1975.
3 VON MOSS Stanislaus, éditorial de «Realisme
en architecture», Archithese n°19, 1976.
4 VON MOSS Stanislaus, éditorial de «Metropolis
1. New York: un mythe européen», Archithèse
n°17, 1976.
5 «Metropolis 2. New York: la transmission d’une
explosion architecturale», Archithèse n°18, 1976.
6 «Metropolis 3. Américanisme, Skyscraper et
Iconographie», Archithèse n°20, 1976.
100
Contexte USA/Europe
Il faut reconnaître que de nos jours très peu de critiques ont abordé la question de
l’impact réel de l’étude des Venturi sur le débat architectural et urbain européen
de l’époque.
Dans cette optique, l’apport de la presse spécialisée suisse, par le biais de la
revue Archithèse, est à considéré comme une source première. En effet, peu
de temps après la publication de la première édition de LLV, la revue fit un
large écho à la scène américaine et plus spécialement à l’apport des Venturi.
En 1975, un premier numéro initiateur d’une prolifique série américaine, intitulé
«Las Vegas, etc. ou Réalisme en Architecture »«Las Vegas, etc. ou Réalisme en
Architecture »1 (fig. 1) est publié et suivi quelques mois plus tard d’une nouvelle
parution « USA-Suisse » (fig. 2) qui « se propose de discuter du rôle des USA
dans l’architecture actuelle en Europe. L’industrie, le commerce, les loisirs sont
américanisés jusque dans leur vocabulaire. (...) L’architecture n’a pas échappé à ce
charme que les Etats-Unis ont exercé depuis longtemps sur le monde industrialisé.
Dépendant, derrière les clichés universellement acceptés à propos du ‘nouveau
monde’ se cache une réalité plus complexe et plus compliquée. »2
L’année suivante, un nouveau numéro préparé par Bruno Reichlin et et Martin
Steinmann a pour thème «le Réalisme en Architecture.» (fig. 3) Comme l’éditorial
de Stanislaus von Moss le précise, « Pendant ces dernières années on a parlé
souvent d’une architecture et d’une planification plus ‘réalistes’. Ainsi dans le no. 13
d’Archithèse (Las Vegas etc.) il était question, entre autres, des valeurs culturelles de
la petite bourgeoisie et du fait que les architectes devraient d’avantage s’y intéresser.
D’abord pour pouvoir proposer des solutions plus concrètes et plus efficaces dans
des conditions d’urgence, et ensuite pour récupérer certaines qualités formelles et
symboliques que l’architecture moderne semble avoir abandonnées.
Ce cahier (...) amène cette discussion dans le domaine de la théorie de l’architecture
et présente un panorama de la discussion actuelle. »3
La même année, trois numéros intitulés « Metropolis 1. New York: un mythe
européen » (fig. 4) qui « se propose de documenter le rôle de New York en tant
que sujet, problème, et mythe de l’avant-garde européenne. »4 ; «Metropolis 2.
New York: la transmission d’une explosion architecturale »5 (fig. 5) qui rapporte
certains épisodes en partie inédits de l’histoire de l’architecture new yorkaise et
«Metropolis 3. Américanisme, Skyscraper et Iconographie»6 (fig 6) qui clôture le
débat de la revue Archithese qui fusionnera ensuite avec la revue suisse Werk
pour des raisons financières et deviendra Werk-Archithèse de 1977 à 1979.
L’intérêt que porte la revue à un Américanisme en général et à l’oeuvre théorique
et pratique des Venturi plus particulièrement peut s’expliquer par le contexte
général dans lequel s’insèrent ces numéros. En effet, dés le milieu des années
1960, une double critique de l’héritage architectural et urbain du Mouvement
Moderne apparaît, dans un contexte géographique assez large. La première,
101
4. «Metropolis. New York: Un Mythe
Européen» , Archithèse, n°17, 1976.
5. «Metropolis. New York: La Transmission d’une Explosion Architecturale» ,
Archithèse, n°18, 1976.
6. «Metropolis. Américanisme, Skysraper et Iconographie» , Archithèse, n°20,
1976.
7 VON MOSS Stanislaus, «Déplacement de
phases» dans «USA- SUISSE», Archithese n°16,
1975, p.28.
8 VON MOSS Stanislaus, historien de l’art suisse
et théoricien de l’architecture, fondateur et
rédacteur de la revue Archithèse de 1971 à 1980.
9 voir l’éditorial du premier numéro de la revue
Archithèse,1971.
10 VON MOSS Stanislaus, Venturi and Rauch,
Architektur im Alltag Amerikas, Musée des Arts
décoratifs, Zurich. (catalogue d’exposition) 1979.
11 VON MOSS Stanislaus, Venturi, Rauch & Scott
Brown, Rizzoli, 1987.
12 VON MOSS Stanislaus, Venturi, Scott Brown &
Associates, Monacelli Press, 2000
13 VON MOOS Stanislaus, «Las Vegas et caetera»
dans Archithèse n°13: «Réalisme» en architecture,
1975, p.5.
14 Lebensztejn J-c, « Hyperréalisme, Kitsch
et Venturi » dans Critique, vol XXXII, n°345, 1976,
p.99-135.
102
comme nous l’avons vu, concerne l’urbanisation développée intensivement en
périphérie ou « le paysage de bord de route ». La seconde, s’attaque plutôt
à la diffusion élargie des idéaux modernistes dont l’hégémonie s’exerçait sur
la construction de masse développée au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale.
Cette prise de position de la part de la revue repose sur l’objectif de
transgresser certains de ces préjugés récurrents de l’époque. Ce qui sera
sollicité par le numéro « USA-Switzerland » paru en 1975. Dans l’article «
Déplacement de phases », von Moss avance que « Les visions d’une ‘grande
crise’ de l’environnement, provoquée par de ‘faux’ principes architecturaux ou
résultant d’un manque de ‘qualité’ architecturale, sont hors de propos - qu’elles
soient avancées par un Peter Blake aux USA (1964) ou par un Rolf Keller en
Suisse (1973).(...)Il serait grand temps d’aborder enfin les vrais problèmes
d’une théorie de l’architecture qui soit en rapport (peut-être ironique) avec les
réalités culturelles du public et qui respecte l’environnement existant au lieu de
célébrer les vertus héroïques de la ‘forme pure’ et d’une architecture romanticobrutaliste,cryptomilitariste.»7
Les publications de la revue Archithèse témoignent de ce débat général de
l’époque mais rendent compte aussi du travail rédactionnel de son fondateur,
l’historien Stanislaus von Moos.8 La revue s’affichant clairement comme source
de documentation et de réflexion théorique 9, il peut y afficher son propos critique
sur l’héritage du Mouvement Moderne. Par la suite, il signera trois ouvrages sur
la production des Venturi, Venturi and Rauch 10 en 1979; Venturi, Rauch & Scott
Brown11 en 1987 et Venturi, Scott Brown&Associates12 en 2000.
Dans son article « Las Vegas etc. », von Moss introduit la pensée des Venturi au
travers d’une analyse de leur publication Learning from Las Vegas. Il ajoutera à
sa description que : « Il s’agit là d’une tentative de répondre de manière réaliste à
une situation de crise : étant donné que le domaine bâti et son esthétique ne sont
déterminés que dans une infime proportion par les architectes et leurs idéaux spécialement aux Etats-Unis. Cette réponse consiste en une adaptation à la réalité
visuelle de l’époque, à un renoncement au rôle traditionnel de l’architecture comme
productrice d’utopies alternatives à la réalité. »13
Ce propos sera soutenu par le critique et historien de l’art français Jean-Claude
Lebensztejn dans son article «Hyperréalisme, Kitsch et Venturi» paru dans la
revue Critique une année plus tard: « Ce que Venturi proposait, c’était la tentative
la plus intelligente et la plus ambitieuse de recyclage de l’environnement-poubelle.
Au lieu de se lamenter sur la laideur du paysage urbain et suburbain, la civilisation
de l’automobile et les méfaits du capitalisme, Venturi acceptait comme son matériel
de base ces données incontournables. Autant les affronter, tirer de ce chaos un
ordre, non pas idéal, mais le seul possible. »14
103
15 PAWLEY Martin, «Leading from the rear» dans
Architectural Design, janvier 1970.
7. «Venturi & Rauch» , Werk - Archithèse,
n°7-8, Juillet - Août,1977.
16 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise,
«Reply to Pawley - Leading from the rear» dans
Architectural Design, juillet 1970.
17 FRAMPTON Kenneth, « Place, Production and
Architecture: Towards a Critical Theory of Building
» dans Architectural Design, juillet / août 1982.
18 VON MOSS Stanismaus, Venturi, Rauch &
Scott Brown, New York, Rizzoli, 1987, p. 16.
tiré de Didelon Valéry, «Learning from Camp»,
dans Architecture et réflexivité. Une discipline en
régime d’incertitude, Les Cahiers de la Cambre
n°5, Bergilez JD, Guisse S., Guyaux MC, La Lettre
volée / La Cambre Architecture, Bruxelles, 2008.
104
Elitiste/populiste
Paradoxalement, la polémique ne s’engage pas autour des questions
d’esthétique, mais plutôt des enjeux politiques. Pour la critique marxiste
soutenue par Kenneth Frampton, les Venturi sont précisément accusés de renier
l’engagement social impliquant l’abandon de la responsabilité de l’architecte.
Dans son article «Leading from the rear» publié dans la revue Architectural
Design, le critique anglais Martin Pawley déclare que c’est la première fois que
des figures de l’avant-garde « ont cherché refuge dans le palais de l’empereur plutôt
que de se joindre à la révolution. »15 Les Venturi sont jugés coupables d’avoir trahi
les idéaux progressistes du Mouvement Moderne pour embrasser les valeurs
du capitalisme et de la société de consommation. Comme droit de réponse, le
couple argumenta que : « l’architecte qui part de ce qui existe est moins nuisible et
plus efficace que le théoricien irritable qui continue pompeusement et sèchement
d’évoquer ‘l’impact de la technologie sur la civilisation occidentale’ et ‘la relation
entre la science naissante du design et les objectifs humains et les inspirations’.
Nous sommes en faveur de la science en architecture mais pas la science-vaudou
des années 1920 ou 1960. »16
Kenneth Frampton insista par la suite sur cette citation « L’ironie avec laquelle les
architectes de Lutyens à Venturi ont cherché à transcender, avec vivacité d’esprit, les
situations contradictoires dans lesquelles on leur demande de construire, semble ici
dégénérer en consentement total ; le culte camp du « laid et de l’ordinaire » ne peut
être distingué des conséquences environnementales de l’économie de marché. »17
D’après lui, la célébration de l’architecture commerciale et populaire contribue
à renforcer l’aliénation, et entretient le statu quo. Cette critique de gauche, ce
procès en trahison politise une démarche qui affiche pourtant depuis le début le
plus grand détachement.
Stanislaus von Moss, dans sa monographie Venturi, Rauch & Scott Brown,
nota à ce sujet « Comme s’ils voulaient provoquer leurs critiques plus engagés
politiquement, les Venturi se limitent à la documentation sobre des règles
formelles et iconographiques qui sont à la base du strip comme « système de
communication ». Ils s’en tiennent au visible, à ce que qui peut être visuellement
perçu et photographiquement documenté, et ils collent aux critères quantitatifs qui
les conduisent à une description positiviste. »18
Et comme le fait remarquer l’américain Vincent Scully, professeur d’histoire
de l’art et de l’architecture, plaidant la cause des Venturi dans un article du
Werk-Archithèse intitulé « Venturi & Rauch » (fig. 7) et justifiant l’effet contreproduisant qu’ont pu avoir leurs écrits: « Il [le problème ndlr] touche à la politisation
de l’architecture dans les années 1970 et est inspiré par l’attitude violente que
certains critiques marxistes européens ont adopté envers l’oeuvre et les écrits de
Robert Venturi et Denise Scott Brown. Selon eux, ceux-ci constituent une négation
de la gravité de la situation sociale et une trahison des objectifs du socialisme. (...)
105
19 SCULLY Vincent, « Venturi & Rauch » dans
Werk-Archithese 7-8, juillet-août, 1977, p. 8-9.
20 Id.
21 VON MOOS Stanislaus, «Rire pour ne pas
pleurer», «interview avec Robert Venturi et Denise
Scott Brown», dans Archithèse n°13: «Réalisme»
en architecture,1975, p 27-31.
22 SCOTT BROWN Denise, «Rire pour ne pas
pleurer», «interview avec Robert Venturi et Denise
Scott Brown» de Stanislaus von Moss, dans
Archithèse n°13: «Réalisme» en architecture,1975,
p 29.
106
Ils [les Venturi ndlr] essaient d’éviter d’imposer un modèle idéaliste sur la vie mais
cherchent au contraire de libérer le pouvoir latent de forme et de communication
que comporte la complexité même de la vie. Que pourrait-il y avoir de socialement
plus utile - en fait, de marxiste - que cette recherche? Alors pourquoi toutes
ces attaques? A mon avis, il faut en voir la principale raison dans le fait que de
nombreux architectes et critiques marxistes européens en sont venus à considérer
ce que nous, aux Etats-Unis, nous appelons le ‘International Style’ comme l’unique
véhicule du «mouvement moderne » et par conséquent comme la seule incarnation
des idéaux socialistes. Ainsi pour eux, toutes personnes qui, comme Venturi, ose
formuler des doutes sur la sainteté canonique du Style International, mais encore
trouve des suggestions viables dans les formes traditionnelles et dans les formes
d’une culture populaire en système capitaliste, doit nécessairement être taxé de
réactionnaire.»19 et il ajoutera: « l’Amérique et l’Europe en sont venues à différer
entre elles de manière fondamentale, et il est difficile pour l’une de comprendre
les formes de l’autre, en particulier lorsque comme celles des Venturi, elles sont
ancrées dans de subtiles nuances culturelles. »20
Le débat se cristallise donc autour de deux tendances représentées chacune
par de grandes figures idéologiques; d’une part Kenneth Frampton et d’autre
part, celles des Venturi les opposant dans un débat acerbe autour du rapport «
élitisme-populisme. »
Dans une interview de Robert Venturi et Denise Scott Brown, intitulée « Rire
pour ne pas pleurer »21, accordée à Stanislaus von Moss, ce dernier rappelle,
pour initier la conversation, que le travail du jeune couple au parfum éclectique
n’était pas pour plaire aux architectes qui très souvent jugeaient cela frivole ou
déconcertant. Dénigrant cette perspective, il mit plutôt en avant les affinités
et les origines de leurs savoirs architecturaux qu’ils puisent dans des sources
autant historiques que vernaculaires ou commerciales.
A la mise en doute d’une accusation répétée de leur penchant pour le statut quo
américain plutôt qu’aux manières de le changer, Denise Scott Brown rétorque
de la sorte : « Nous croyons que nos idées ont une base sociale et un intérêt pour
une amélioration sociale. J’ai dit dans notre livre ‘Ne nous reprochez pas notre
manque de conscience sociale. Nous essayons de nous entraîner pour offrir des
connaissances et des capacités socialement significatives.’ Mais nos critiques
n’ont cité que la première partie de cette déclaration : ‘Ne nous reprochez pas notre
manque de conscience sociale.’ Toute l’argumentation qui supporte et justifie cette
déclaration a été simplement ignorée. »22
Ensuite pour répondre au rôle que lui attribue von Moss de «intelligentsia» qui
renforce le système aux yeux d’un intellectuel européen, elle évoqua elle aussi
les divergences émanant d’un contexte américain ou d’un contexte européen.
«Nous pensons que notre position pour ainsi dire néo-populiste est dans le contexte
américain plus une position de gauche que de droite. D’autre part si les arguments
de nos critiques peuvent paraître de gauche en Europe, il n’en va pas de même aux
107
23 Id.
24 VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, «A
Significance for A&P Parking Lots, or Learning
from Las Vegas», Architectural Forum, Mars 1968.
25 GOODMAN Robert, «the Architecture of
counter-revolution» dans After the planners,
p.164-170.
108
Etats-Unis. En fait, ils marquent plutôt une fuite de la réalité, car ici, en Amérique,
il n’existe simplement pas l’organisation sociale et gouvernementale indispensable
pour réaliser les théories européennes dans le domaine de l’architecture.
(...) Dés que vous commencez à chercher les moyens de vous approcher de la
réalité, vous découvrez qu’il vous faut travailler avec le système tel qu’il est - ou
bien renoncer et échafauder des utopies. Mais si vous essayer d’apporter des
améliorations dans la situation présente, alors vous paraissez réactionnaire, surtout
si vous essayer d’utiliser les entreprises privées pour atteindre des buts sociaux.
C’est une situation très complexe, qui a peu à faire avec les discours moralisateurs
de la nouvelle élite architecturale progressiste. »23
Robert Goodman dans son ouvrage After the planners dénonce un urbanisme
autoritaire pratiqué par une bureaucratie hautaine et des professions
domestiquées. En contraste avec les modèles savants, il invite ses lecteurs à
militer pour la «libération» de l’architecture et propose des méthodes de travail
en contact direct avec la population. Il interroge aussi la notion de «l’architecte
révolutionnaire» que les Venturi introduisent dans leur texte « A significance for
A&P Parking lots » : « Etudier le paysage existant est pour un architecte une manière
d’être révolutionnaire »24 et se demande «En quoi une telle vue est-elle révolutionnaire?
Et bien, la plupart des confrères de Venturi ont affirmé que le développement du
Strip était laid et devrait être contrôlé, sinon complètement interdit. (...) En réalité,
ils s’en prennent aux effets superficiels (conséquences visibles) du système plutôt
qu’au système lui-même, Ils luttent pour un zonage progressif et des programmes
de ‘beautification’. Parallèlement, on entend Venturi prétendre que l’on examine
théoriquement le Strip d’une manière erronée. Ne serait-ce donc pas révolutionnaire
si nous considérions soudainement comme beau ce que nous appelions laid
jusqu’à présent? Manifestement, cette affirmation est correcte, mais qu’est-ce
qu’une telle distorsion de notre perception implique quant à notre vision plus large
du monde? Etre révolutionnaire, pour un architecte, devrait signifier autre chose que
de promouvoir une perversion du goût. Cela devrait impliquer une révolution dans
le mode de vie des gens, cela implique d’utiliser l’architecture comme un moyen de
rompre l’ordre social établi. Sous cet aspect, l’architecture de Venturi représente en
effet la quintessence d’une architecture contre-révolutionnaire. Les vrais architectes
révolutionnaires sont comme les squatters en Amérique Latine. Face à une société
au sein de laquelle ils n’ont pas accès à la propriété foncière, mais où ils ont besoin
d’une habitation, ils transforment l’acte de concevoir et de construire leurs maisons
en un acte politique de défiance de leur système social. »25
109
26 Op cit. p138.
27 MALDONADO, Thomas. Environnement et
idéologie. Paris: Union Générale d’Éditions, 1972.
28 WRIGHT Lance, «Robert Venturi and AntiArchitecture», Architectural review, avril 1973.
29 FRAMPTON Kenneth, « America 1960-1970 :
Noted on Urban Images and Theory » Casabella
359-360, Mai/Juin 1971, p.36.
30 TAFURI Manfredo, «l’Architecture dans le
boudoir», dans Oppositions 3 mai 1974.
31 RUDOLPH Paul, dans Questions aux
architectes, COOK W John, KLOTZ Heinrich,
Liège: P Mardaga, 1974.
32 KOETTER Fred, «On Robert Venturi, Denise
Scott Brown, and Steven Izenour’s Learning from
Las Vegas», Oppositions, mai 1974.
110
De la réalité à l’utopie : la limite du discours.
Les Venturi affirment dans leur ouvrage que « En général, le monde ne peut
pas attendre que l’architecte se construise son utopie, pour l’essentiel, le souci
de l’architecte devrait se porter non pas vers ce qui devrait être mais vers ce qui
est - et chercher comment parvenir à l’améliorer maintenant. C’est là un rôle plus
humble pour les architectes que celui qu’entend accepter le mouvement moderne;
néanmoins c’est un rôle plus prometteur du point de vue artisitique. »26
Et le théoricien, Tomas Maldonado ne s’y trompa pas: « l’enthousiasme naïf pour
Las Vegas s’explique comme l’expression d’un refus polémique de toute forme
d’utopie dans le domaine de la projetation. Learning from Las Vegas est donc tout
un programme. Le programme de la contre-utopie, du contre «tout-ou-rien» des
grands modèles idéaux. »27
Lance Wright, critique anglais caractérisa par contre l’architecture des Venturi d’
«anti-architecture» dans un article de l’Architectural Review en 197328 et entend
«le venturisme» comme un état d’esprit plutôt qu’une philosophie de projet et
Kenneth Frampton dans sa critique virulente des Venturi rédigée pour l’issue
spéciale de Casabella29 parlera d’«anti-utopie».
Manfredo Tafuri leur reprocha d’avoir instauré «une école de blasés, sans valeur
à transgresser »30 et Paul Rudolph estima que si tout était si bien que cela et que
Mainstreet aussi «presque parfaite» qu’ils le soutenaient, alors leur architecture
était déjà construite, ici et là, et il était « inutile de faire plus. »31
L’architecte américain Fred Koetter dans un examen critique et détaillé de
l’ouvrage LLV nota les limites de cette philosophie. Il leur reprocha de confondre
l’état des choses, le paysage américain tel qu’il est spontanément produit, avec
l’expression volontaire du goût populaire, et de confondre cause et effet.
« Le soi-disant paysage populaire actuel américain se justifie-t-il par sa propre
existence? Est-ce là véritablement ce que veulent les gens? Les gens ont-ils
ce qu’ils veulent, veulent-ils ce qu’ils ont, ou le devraient-ils? L’architecte est-il
principalement ou presque exclusivement l’interprète de cette scène qui défile? (...)
En résumé, si l’architecte accepte plus ou moins sans critique la logique basique
de la banlieue américaine, et accepte ses implications avec un jugement timide,
ses activités dans ce domaine auront presque certainement une valeur limitée.
Et, de plus, il semblerait que s’il joue le jeu ironique de l’architecte/non-architecte
dans ce contexte, il est peut-être destiné à devenir rapidement une mauvaise et
onéreuse plaisanterie (farce).» Pour Koetter, les Venturi devraient proposer «une
vision du monde tel qu’il devrait être». Et il ajouta qu’en restant emprisonné dans
sa philosophie, « l’architecte peut involontairement contribuer à sa propre chute.
Peut-être a-t-il étendu sa juridiction extensible au-delà des limites défendable
de l’efficacité, et se retrouve aujourd’hui, de manière ironique mais littérale, à se
déguiser jusqu’à en perdre du travail. »32
111
33 Architecture Without Architects, Musée d’art
moderne (MoMA), New York (1964). Elle fut
ensuite présentée pendant 11 ans dans plus de
80 musées dans le monde.
34 RUDOFSkY Bernard, Architecture sans
architectes : brève introduction à l’architecture
spontanée, Paris, Chêne, 1977 ; Original:
Architecture without Architects; a Short
Introduction to Non-Pedigreed Architecture, New
York, Museum of Modern Art, 1965.
35 Op Cit note 21.
36 Id.
37 LIPSTADT, Helene R., «Interview with R. Venturi
and D. Scott Brown», Architecture, Mouvement,
Continuité, Juin 1976, p. 95-102.
38
39 TAFURI Manfredo, «l’Architecture dans le
boudoir», dans Oppositions 3 mai 1974. traduction
cf interview AMC op cit. note 27.
112
Nous pouvons ici faire référence à l’exposition de Bernard Rudofsky Architecture
Without Architects33, présentée au Musée d’art moderne de New York en 1964
qui mettait en image la richesse artistique, fonctionnelle et culturelle d’une
architecture vernaculaire sans concepteurs professionnels au travers d’images
d’origine géographique très diverses. Rudofsky considère que « l’efficacité des
formes d’architecture les plus rudimentaires, comme les bidonvilles, par exemple,
où l’expertise doit être partagée entre les professionnels et le peuple, voire -le
cas est fréquent- être prise en mains complètement par la population, est qu’elle
commence à ouvrir les yeux de celle-ci en détruisant la dépendance antérieure. La
population sent qu’elle peu commencer à agir sur ses besoins sans attendre que le
gouvernement et ses experts prennent soin d’elle. »34
Toujours dans leur interview avec Stanislaus von Moss, les Venturi confient
qu’ils étaient conscients que leur position d’architectes américains était
« compromise » et qu’il leur fallait trouver une échappatoire: « Nous faisons tout
notre possible pour servir nos objectifs sociaux dans un proche futur, en utilisant le
matériel disponible dans la société où nous vivons. Comme les artistes confrontés
avec cette situation, nous utilisons l’ironie, peut-être de la même manière qu’en
parle Poirier dans son article (...) il dit que l’artiste pour faire son art tire son matériel
du monde qui l’entoure. Si ce monde lui convient, l’artiste l’utilise tel qu’il est;
sinon il (ou elle) l’utilise ironiquement : nous utilisons l’ironie comme un moyen
de rire pour ne pas pleurer. Nous voyons l’ironie comme une manière d’aider les
membres d’une société multiculturelle à vivre ensemble. Nous pensons que dans
notre société, un artiste ou un architecte socialement conscient peut devenir une
sorte d’amuseur public. Ceci de nouveau montre notre ambivalence vis-à-vis de la
société. Sous certains aspects elle est terrible, sous d’autres elle est magnifique notre ambivalence se manifeste dans notre oeuvre sous forme ironique. »35
Comme le fait remarquer von Moss, « c’est une stratégie esthétique difficile à
poursuivre en architecture, puisque la satire et l’ironie nécessitent un public
cultivé avec qui jouer ; la première fonction des bâtiments reste de servir leurs
usagers. »36
Suite à un entretien entre Robert Venturi, Denise Scott Brown et la revue
Architecture, Mouvement et Continuité37 en juin 1976, les architectes répondirent
à l’attaque de Manfredo Tafuri qu’il lance dans son article «l’Architecture dans le
boudoir» parut en mai 1974 dans la revue controverse Oppositions.38
« Les ironies artificielles et délibérées de Robert Venturi (...) simultanément amplifient
et restreignent le champ d’intervention en architecture. Elles l’amplifient dans la
mesure où leur but est la dominance de tout espace visible, et le restreignent dans
la mesure où elles comprennent cet espace uniquement comme un réseau de
superstructure.»39
113
40 VENTURI Robert, op cit. note 36.
41 JENCKS Charles, Le langage de l’architecture
post-moderne, 1ère édition, New York: Rizzoli,
1977.Version française: Paris, Denoël, 1985
(4ième édition). p.5.
42 Id. p.6-7.
114
Robert Venturi rétorqua « A propos des ‘ironies artificielles et délibérées’, je
pense que les architectes n’ont pas à justifier la rationalité de leur travail. Mais il
est certain que nous avons donné très souvent des justifications dont j’attends
qu’elles prouvent que notre architecture n’est pas telle que la décrit Tafuri, mais que
généralement, une base très rationnelle la commande. (...) Le fait qu’il n’y ait pas de
‘résidu idéologique’ est très intéressant pour moi. Pourquoi les architectes seraientils idéologues? (...) Les architectes ont trop pensé être des réformateurs politiques
et des philosophes au lieu d’être des artisans attachés à leur tâche immédiate. La
tâche des architectes est de communiquer non pas leurs propres idées mais celles
qui ont rapport à l’ensemble de la société, au groupe qu’ils représentent. (...) Les
architectes doivent se contenter d’être des architectes, c’est-à-dire des ouvriers,
des artisans. »40
Postmodernisme
Charles Jencks, dans son ouvrage Le langage de l’Architecture Post-moderne41
paru en 1977, proposait en guise d’introduction, une définition du monde
paradoxal de l’époque qui rapidement devenait post-moderne. Il déclarait: «nous
sommes passés d’un monde où les cultures étaient nationales et séparées par
des frontières, à un monde qui trouve son identité dans la ville et en même temps
fait partie du ‘monde village’ (world village). Les implications de ce phénomène en
architecture sont la communication instantanée, un éclectisme instantané et une
influence réciproque générale. (…) Ceci a donné naissance à des mouvements
d’idées et de goûts paradoxalement opposés, créant des goûts-cultures de petite
échelle, des élites et des groupes citadins ainsi que des cultures à échelle mondiale.
(…) Le mouvement moderne s’est simplement montré trop limité, provincial et
appauvri. (…) Cependant, les post-modernistes sont encore en parties modernes
pour ce qui est de la sensibilité et de l’utilisation de la technologie courante. Ces
points mènent à une conclusion en apparence évidente: le style est hybride et
repose sur un double code, basé sur des dualités fondamentales. Parfois il dérive de
la juxtaposition du nouveau et de l’ancien comme dans l’œuvre de James Stirling ;
parfois il est basé sur l’inversion amusante de l’ancien, comme chez Robert Venturi
et Hans Hollein(...). »
Il détailla ensuite sa définition de ‘double-code’ comme suit: « Les architectes
désireux de franchir l’impasse moderniste, ou le manque de communication avec les
utilisateurs, devaient utiliser un langage en partie compréhensible, un symbolisme
local et traditionnel. Mais il leur fallait aussi communiquer avec leurs pairs et utiliser
la technologie courante. D’où la définition du post-modernisme comme ‘double
code’(…). »42
« Le dualisme primaire concernait l’élitisme et le populisme, sans aucun doute les
pressions conflictuelles auxquelles tout bon architecte doit faire face (…) »
115
43 Id. p 41-47.
44 Id. p.87-89.
45 RATTENBURY K. et HARDINGHAM S.,
Supercrit 2, Robert Venturi and Denis Scott
Brown, Learning from Las Vegas, (éd. Routledge,
Oxon, 2007) p.13.
46 JAMESON Fredric, « The vanishinh Mediator ;
or Max Weber as Storuteller » , The Ideologies of
Theory : Essays 1971-1986, vol.2 (Minneapolis :
University of Minnsota Press, 1988), p3-34
(traduction de l’auteur).
47 RORTY Richard, Philosophy and the Mirror
of Nature, Princeton university Press, 1979, p.8.
(traduction de l’auteur).
116
« A l’heure actuelle, dans notre société, l’hétérogénéité est beaucoup plus grande.
Il y a une série d’élites (la profession créatrice, la grosse société cliente et même le
promoteur) qui ont des origines diverses, et il y a donc, pour reprendre les termes
de Herbert Gans, tout un ensemble de ‘goûts-cultures’ qui se sont formés suivant
un tracé économique, historique et personnel. En résultat, l’architecte ne peut plus
compter sur une identité de goûts et de buts. Il y a une inévitable séparation ente
les élites qui créent l’environnement et les publics divers qui l’habitent et l’utilisent .
Le but des architectes post-modernes est de surmonter cette séparation.»
Ensuite, Dans son chapitre sur les modes de communication architecturale,
Charles Jencks défendit le principe selon lequel l’architecture devait être
envisagée comme communication et cita Robert Venturi comme partisan de ce
fondement de base. Mais, la pensée de ces deux théoriciens différait ensuite
sur un point: « Venturi à la manière du moderniste type qu’il cherche à supplanter,
adopte la tactique du renversement exclusif. Il rejette un secteur entier de la
communication architecturale, celui des édifices canards (en termes techniques les
signes symboliques) pour rendre d’autant plus convaincant son mode préféré, celui
du decorated shed (signes symboliques). (...)Il est pourtant clair que nous avons
besoin de tous les modes de communications qui s’offrent à nous(…) »43
Puis, Jencks reviendra sur la réceptivité du goût populaire de la part des Venturi
mais en l’opposant à l’identification abstraite et englobante qu’en faisait le
post-modernisme: L’équipe Venturi exclue tout un répertoire de codes, non
seulement les «canards», mais aussi bien l’architecture «héroique et originale», le
geste spectaculaire, le retour au palazzo publico et toute production qu’elle perçoit
comme contraire au principe des sheds décorés (...). En réalité, le plaidoyer des
Venturi en faveur du goût et l’appel au renversement du goût de la génération
précédente étaient fondamentalement exclusivistes et modernistes. »44
Il est intéressant de se pencher sur l’impact de l’ouvrage au sein de
l’historiographie architecturale.
Décrit lors de sa première parution en août 1972 comme « un livre très dangereux »45
par l’Ohio review, Learning from Las Vegas fut rapidement élevé au rang de
production séminale de l’histoire architecturale par certaines historiens influents
du milieu tels que Charles Jencks, William JR Curtis ou encore Frederic Jameson
qui lui accordèrent chacun une place centrale au sein de leurs ouvrages.
Ce dernier par exemple, le caractérisa comme suit : « Un médiateur voué
à disparaître: un terme neutre et creux qui fonctionne comme un catalyseur,
permettant un échange d’énergies qui aura lieu entre deux termes - dans ce cas,
le modernisme et le postmodernisme - et disparaîtra une fois que sa fonction
sera terminée. »46 Alors que le philosophe américain, Richard Rorty considérait
l’ouvrage plutôt comme « A neutral framework, a privileged terrain that legislates
the appropriate terms of any debate »47 en éloignant toute catégorisation de leur
travail comme postmoderniste ou moderniste ainsi que des autres accusations
117
8. VENTURI Robert, « Je ne suis, ni n’ai
jamais été, un postmoderniste», couverture de Architecture, mai 2001.
48 HUXTABLE Ada Louise, «Architecture in ’71:
Lively confusion», The New York Times, 4 janvier
1972.
49 SCOTT BROWN Denise, « In your face »,
retranscription d’un symposium sponsorisé par
Metropolis, 29 septembre 2001, non publié.
(Participants: David Levine, Barbara Flanagan,
Rem Koolhaas, Denise Scott Brown, and Robert
Venturi) (traduction de l’auteur).
50 VENTURI Robert, “Mal Mots: AphorismsSweet and Sour-by a Anti-Hero Architect”,
dans Iconography and Electronics upon a
generic architecture: A view from Drafting Room
(Cambridge, Mass: MIT Press), 1996, p.311.
(traduction de l’auteur).
118
de pastiche, kitsch ou historicisme,..
Objet de contestation et de critiques virulentes, le débat au sein de la presse écrite
fit rage et son influence se fit ressentir sur la scène architecturale directement
mais aussi au-delà de ses frontières institutionnelles et professionnelles
particulières. En janvier 1972, Le New York Times annonçait dans un article
intitulé « Architecture in ’71: Lively confusion », que « chaque personne qui
compte a été invitée au moins à une soirée intellectuelle branchée pour discuter de
la menace Venturi. »48
Il faut noter qu’un grand nombre de ces critiques apparaissent sur la scène
architecturale avant même la parution de la première édition de l’ouvrage LLV,
mais bien dés la première publication de l’essai sous la forme d’un article en
1968 dans l’Architectural Forum.
Les Venturi ne dédaignant pas accepter ces accusations de codifications et
d’initiateur d’un nouveau tournant architectural, s’en innocenteront à maintes
reprises.
Denise Scott Brown établira « En ce qui concerne notre travail et nos idées, il y a
eu une incompréhension ou une mauvaise interprétation. Le maniérisme est difficile
à concevoir, en dépit de notre façon la plus simple de l’écrire, et le contenu du Pop
est difficile à comprendre, comme l’est l’iconographie - on se demande d’ailleurs si
quelqu’un connaît le sens du mot. Et hey! Se référer à l’architecture historique dans
nos analyses comparatives ne comporte pas la promotion de l’architecture néohistorique de notre temps. Par conséquent, nous ne sommes pas postmodernes
et ne l’avons jamais été. »49
Tandis que Robert Venturi déclara dans son article « Mal Mots: Aphorisms-Sweet
and Sour-by a Anti-Hero Architect », publié dans son ouvrage Iconography and
Electronics upon a generic architecture: A view from Drafting Room: « Je suis
moderne, si moderne (par opposition à Moderne) n’est pas un style ancien, mais
une manière de concevoir l’architecture. »50
119
CONCLUSION
1. “Re-learning from Las Vegas”, Harvard
Design School Guide to Shopping,
Taschen, 2001
1 KOOLHAAS Rem, ULRICH OBRIST Hans, “Relearning from Las Vegas, An interview wirh Denise
Scott Brown and Robert Venturi”, Harvard Design
School Guide to Shopping, Taschen, 2001
2. VENTURI ROBERT, op cit. note 1. (Traduction
de l’auteur)
3. SCOTT BROWN Denise, op cit. note 1.
(Traduction de l’auteur)
4. SCOTT BROWN Denise, «Préface de la
deuxième édition», dans L’enseignement de Las
Vegas, 2ième édition, Liège: Mardaga, 2008,
p.11-13.
122
L’ouvrage Learning from Las Vegas ou le symbolisme oublié de la forme
architecturale annonçait clairement par son titre et sous-titre la préoccupation
des auteurs pour les questions de communication architecturale et les clés
urbanistiques pouvant ressortir du paysage existant du Strip de Las Vegas
considéré comme modèle pour les villes futures. Pourtant, au travers des quatre
controverses que nous avons développées, Las Vegas comme modèle ; Las
Vegas, la construction d’une image ; Las Vegas ou les enseignements du Pop
Art et Las Vegas ou les limites du discours, il est ressorti de la publication des
retentissements dépassant la volonté initiale des auteurs. Pour exemple, la
polémique ne s’est pas engagée sur des questions strictement d’architecture
et d’impact visuel, mais plutôt sur des enjeux politiques. Ce détournement des
premières préoccupations architecturales fut clairement accentué par la parution
d’une version revisitée (1977) d’emblée politiquement engagée.
Trois décennies plus tard, parmi les questions qui restent en suspens, nous
choisirons d’évoquer l’actualité de la publication au travers de trois exemples
révélateurs.
Revenons premièrement sur l’étude actuelle de la condition urbaine
contemporaine. En 2001, Robert Venturi et Denise Scott Brown accordent une
interview à Rem Koolhaas et Hans Ulrich Obrist intitulée «Re-learning from Las
Vegas», contribuant à la publication Harvard Design School Guide to Shopping1
qui explore comment le shopping remodèle les villes et tentent de remplacer
tous les aspects de la vie urbaine. Pour initier la conversation, Koolhaas affirme
que même si de nombreux livres sur les villes comme New York, Los Angeles ou
Singapour furent publiés dans les années suivant la parution de Learning from
Las Vegas, cette dernière restera «le ‘dernier’ manifeste d’architecture» considérant
qu’aucun autre ouvrage ne traite depuis d’architecture. Après un bref retour sur
les origines et les intuitions premières des Venturi ainsi que sur la résonance
de leur étude sur leur propre travail, l’article développe une analyse pointue de
l’évolution actuelle de la ville de Las Vegas dont le paysage «électro-graphique»
décrit dans les années 1970 a laissé place à une architecture scénographiée
dans un contexte général de consommation et de pouvoir de l’image. Argumenté
par des croquis des Venturi, par la réadaptation et la comparaison des schémas
de l’étude de 1972, et d’autres photographies, l’ouvrage démontre que «Le Las
Vegas d’aujourd’hui est moins pertinent que l’ancien: le Strip s’apparente plus à
Disneyland qu’à la rue commerçante »2 même si d’après Denise, «Les critiques
semblent accorder plus de crédits au Las Vegas actuel qu’ils ne le faisaient dans les
années 1960. »3 Ce retour sur l’actualité du livre a finalement été déplacé vers une
analyse de l’évolution de la ville Las Vegas. Rappelons les dires de Denise Scott
Brown dans sa préface à l’édition revisitée de LLV en 1977 :« le sujet de notre livre
n’est pas Las Vegas, mais bien le symbolisme de la forme architecturale. »4
Ce qui nous ramène à la question d’une nouvelle édition qui ranime aujourd’hui
123
5. Valéry Didelon, architecte de formation, historien
et critique d’architecture dépose actuellement une
thèse de doctorat à l’Université Paris 1 Panthéon
Sorbonne sur la réception publique de Learning
from Las Vegas (1972).
6. En réalité, l’ouvrage ne fut disponible que dans
le courant de l’année 2009
7. DIDELON Valery, « Avant-propos » de
L’enseignement de Las Vegas, Liège : Pierre
Mardaga, 2008.
8
124
Id.
le débat sur la réception de l’ouvrage. En 2008, les éditions Pierre Mardaga
publient un nouveau tirage de cette publication anachronique augmentée
par un avant-propos de l’historien et critique de l’architecture français, Valery
Didelon5,6. C’est d’avantage cette adjonction qui nous interpelle que le succès
éditorial de l’ouvrage, justifiant cette nouvelle édition. Le préfacier initie son
propos de la sorte: « La première traduction française de L’enseignement de Las
Vegas, publiée en anglais sous le titre de Learning from Las Vegas, a paru aux
éditions Pierre Mardaga en 1978. Depuis, le contexte qui préside à la réception
de cet ouvrage a beaucoup changé. Il nous a donc semblé important, à la faveur
de cette réimpression, de l’accompagner d’un avant-propos qui le remette en
perspective et qui montre la portée contemporaine des idées qu’il avance.»7 Il
s’interroge sur la position qu’occupe l’ouvrage dans la littérature architecturale
en nous proposant un panorama des divers retentissements suscités lors de la
parution du livre. Il associera dans sa thématique «Le manifeste du réalisme», la
publication à l’entrée dans la période du postmodernisme aux côtés de l’ouvrage
de Charles Jencks,The Language of Post-modern Architecture (1977) ou d’Aldo
Rossi et son livre, Architettura della citta (1966); il questionnera ensuite la
dimension utopique de l’oeuvre «il faut bien comprendre ici que Learning from
Las Vegas s’apparente au contraire de l’utopie, et non l’utopie au sens contraire
comme la pratique à la même époque les protagonistes de l’architecture radicale
italienne»; pour finalement conclure la classification de l’ouvrage comme «le tout
premier ‘manifeste rétroactif’, comme le prototype d’un nouveau genre de textes
qui entendent déduire une ‘doctrine explicite’ pour l’architecture et l’urbanisme à
partir d’une ville existante.» Il ajoutera que la publication «a ouvert la voie a bien
des ouvrages d’architectes qui depuis renversent le rapport de cause à effet entre
théorie et réel. »8
Par la suite, nous pouvons nous interroger sur la manière dont cette nouvelle
édition éclairée d’emblée sera reçue. Elle pourra être comprise comme un outil
aidant à résoudre des questions urbanistiques concrètes (car les moyens référés
restent d’actualité) ou pourra être reçue comme un livre historique, un classique
de la littérature architecturale, indispensable à l’éducation des futurs praticiens.
Dans la lignée de nos observations, en particulier autour du débat contre la
philosophie marxiste, nous pouvons nous demander si une lecture future de la
réception de cette nouvelle édition amènera les critiques à débattre des Venturi
pour leur objet d’étude (considérant que la morphologie architecturale de Las
Vegas a radicalement changé en quarante ans et que leur sujet est dès lors
d’une forme passée.)
A posteriori, l’exercice de réception de Learning from Las Vegas est donc
éclairant et révélateur de problématiques dépassant le contenu même du livre:
il rend compte du discours de l’architecte, la manière dont il est reçu et dont
il évolue ; il éclaire sur l’œuvre elle-même et les divers niveaux de perception
qu’elle suscite ; il informe sur le monde médiatique aussi, et sur la fabrication
de l’opinion.
125
«Ce sont les regardeurs qui font les tableaux.»
Marcel Duchamp
LLV Studio, 1968.
130
APPENDICE
1 SCULLY Vincent, note introductive à son introduction (inédité) de LLV, dans I’m a monument, op
cit.
132
VINCENT SCULLY - Introduction à Learning from Las Vegas (inutilisée)
Il existe trois variantes de l’introduction que rédigea Vincent Scully pour la
première édition de Learning from Las Vegas qui, pour des raisons méconnues,
n’y sera jamais inclue. Tous ces témoignages se trouvent dans les archives de
VSBA à l’Université de Pennsylvanie.
Comme le sous-entend Vincent Scully en première page de son article, une brève
partie de son introduction sera retranscrite dans le catalogue d’une exposition
présentant le travail de la firme des Venturi «The Work of Venturi and Rauch,
Architects and Planners» tenue au Whitney Museum of american Art à New York
du 1er au 31 octobre 1971.
La version dont nous disposons provient de l’ouvrage I’m a Monument, on
Learning from Las Vegas qui, sous l’accord de Vincent Scully, la glissa en fin
de chapitres. Ce dernier suggéra une note introductive concernant sa «Note for
Paranoiacs» en fin de document dans laquelle il s’en prend de manière virulente
aux comités d’urbanisme « En 2007, ces notes peuvent paraître pétulantes mais
elles conservent néanmoins une grande part de vérité. »1
133
134
135
136
137
138
139
140
141
TABLE DES ILLUSTRATIONS
144
Introduction
1. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Learning
from Las Vegas, avec jacquette, 1ere edition (MIT Press), 1972.
2. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Learning
from Las Vegas, sans jacquette, 1ere edition (MIT Press), 1972.
3. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Learning
from Las Vegas, 2eme edition (MIT Press), 1977.
4. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven,
L’Enseignement de Las Vegas, ou le Symbolisme Oublié de la Forme
Architecturale, Mardaga, Liège, 1977.
5. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR
L’Enseignement de Las Vegas, Mardaga, Liège, 1987.
Steven,
6. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Aprendiendo
de Las Vegas, El Simbolismo Olvidado de la Forma Arquitectonica,
Espagnol, Gustavo Gili Editorial S.A, 1978.
7. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Apremdendo
com Las Vegas, Portugais/Bresil, São Paulo, Cosac e Naify, 2003.
8. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Las
Vegas’ın Ögrettikleri: Mimari Biçimin Unutulan Simgeselligi, Turc, Serpil
Merzi Özaloglu, Istanbul, 1993.
9. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, IZENOUR Steven, Lernen von
Las Vegas: Zur Ikonographie und Architektursymbolik der Geschäftsstadt,
Allemand, 1979.
CONTROVERSE 1 Las Vegas comme modèle
1. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «Inside the car», Las Vegas, 1968,
dans Las Vegas Studio. Images from the Archives of Robert Venturi and
Denise Scott Brown, Museum im Bellpark, Kriens and Verlag Shceidegger
& Spiess AG, Zurich, 2008.
2. SCOTT BROWN Denise, «Approaching New York», 1963.
3. «Las Vegas», August, 1905, «Las Vegas, Fremont Street», 1910. «Las Vegas, Fremont Street», 1940s, «Las Vegas, Fremont Street», 1960s, dans
Learning form Las Vegas, 1ere edition (MIT Press) 1972.
4. «Periphery to Shore», The Architectural Review, n°648 “Man Made America”, 1950.
5. «Highway», The Architectural Review, n°648 “Man Made America”, 1950.
145
6. LITWIN Wallace, «Canal Street», 1961, dans BLAKE Peter, God’s Own
Junkyard:The Planned Deterioration of America’s Landscape , New York,
NY, Holt, Rinehart and Winston, 1964.
7. LYNCH Kevin, The Image of the City, MIT Press, 1960.
8. LYNCH Kevin, MYER John R, APPLEYARD Donals,The View from the
Road, MIT Press, 1964.
9. MENDELSOHN Erich, «New York’s Broadway at Night», 1925, dans Amerika. Bilderbuch eines Architekten, Rudolf Mosse Buchverlag, Berlin, 1928.
10.ARCHIGRAM (COOK Peter, CROMPTON Dennis, HERRON Ron), «Instant City», Architectural Design 39 n°5, 1969.
CONTROVERSE 2 Las Vegas, la construction d’une image
1. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «The Grand Proletarian Locomotive»,
Affiche d’invitation a la presentation finale du “Learning from Las Vegas
Research Studio”, Yale University, 10 Janvier 1969, dans Learning from
Las Vegas, 1ere edition (MIT Press), 1972.
2. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «Students of the “Learning from Las
Vegas Research Studio” filming on Fremont Street», Las Vegas, 1968,
dans Las Vegas Studio. Images from the Archives of Robert Venturi and
Denise Scott Brown, Museum im Bellpark, Kriens and Verlag Shceidegger
& Spiess AG, Zurich, 2008.
3. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «Students of the “Learning from Las
Vegas Research Studio” preparing for he film Las Vegas Deadpan», Las
Vegas, 1968, dans Las Vegas Studio. Images from the Archives of Robert
Venturi and Denise Scott Brown, Museum im Bellpark, Kriens and Verlag
Shceidegger & Spiess AG, Zurich, 2008.
4. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «The Learning form Las Vegas Studio», Yale University, 1968, dans VINEGAR Aaron, I am a Monument, MIT
Press, 2008.
5. LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, «Robert Venturi and students of the
“Learning from Las Vegas Research Studio” in a helicopter», Las Vegas,
1968, dans Las Vegas Studio. Images from the Archives of Robert Venturi
and Denise Scott Brown, Museum im Bellpark, Kriens and Verlag Shceidegger & Spiess AG, Zurich, 2008.
6. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, «A Significance for A&P Parking Lots or Learning from Las Vegas», dans Architectural Forum, Mars
1968.
146
7. LEYDECKER Ray, «Yale Prof Will Praise Strip for $8,925», Las Vegas Review Journal, 10 Octobre 1968, dans Learning from Las Vegas, 1ere edition
(MIT Press), 1972.
8. «Yale Team Denied Payment», Las Vegas Sun, 6 Decembre 1968, dans
Learning from Las Vegas, 1ere edition (MIT Press), 1972.
9. LEYDECKER Ray, «Yale Prof Ups His Price For Praising LV Strip», Las
Vegas Review Journal, 11 Octobre 1968, dans Learning from Las Vegas,
1ere edition (MIT Press), 1972.
10.LIPMAN Jerry, «Yale University Study of Las Vegas Could Alter The City’s
View of Itself», Las Vegas Sun, 21 Octobre 1968, dans Learning from Las
Vegas, 1ere edition (MIT Press), 1972.
11.LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, Las Vegas Electric, extraits, Las Vegas, 1968.
12.LAS VEGAS STUDIO STUDENTS, Las Vegas Deadpan, extraits, Las Vegas, 1968.
13.Comparaison à l’échelle entre les couvertures des deux versions de Learning from Las Vegas.
14.«Planches 4 et 5», Learning from Las Vegas, 1ere edition (MIT Press),
1972.
15.Planches de Learning from Las Vegas, the Forgotten Symbolism of the
Architectural Form, 2ème édition, MIT Press, 1977.
16.«Layout of Parts I and II» of Learning from Las Vegas, 1971.
17.WINGLER Hans, «Bauhaus», design de COOPER Muriel, MIT Press,
1969.
18.COOPER Muriel, GREAR Malcolm, IVES Norman, Zahn Carl, Communication by Design, Addison Gallery of American Art, Andover, 1964.
19.Page Titre de la copie annotee de Learning from Las Vegas, 1971
20.«Planche 1-1A», maquette preliminaire pour la premiere Partie de Learning from Las Vegas, 1971, dans VINEGAR Aaron, I am a Monument, MIT
Press, 2008.
21.«Planche 3-3A», maquette preliminaire pour la premiere Partie de Learning from Las Vegas, 1971, dans VINEGAR Aaron, I am a Monument, MIT
Press, 2008.
22.«Logo of the Learning from Las Vegas Studio», 1968.
147
23.«Planche 6-7», Learning from Las Vegas, 1ere edition (MIT Press), 1972.
24.«Planches 182 et 183», Learning from Las Vegas, 1ere edition (MIT Press),
1972
CONTROVERSE 3 Las Vegas ou les enseignements du Pop Art
1. RUSCHA Edward, Some Los Angeles Apartments, couverture et 2 pages,
Edité par l’auteur, Los Angeles, 1966.
2. RUSCHA Edward, «Good Years Tires, 6670 Laurel Canyon et North Hollywood», Thirty Four Parking Lots, Edité par l’auteur, Los Angeles, 1967.
3. RUSCHA Edward, Every Building on the Sunset Strip, Edité par l’auteur,
Los Angeles, 1966.
4. Casabella, «The City as an Artifact», n° 359-360, Mai - Juin 1971.
5. SCOTT BROWN Denise, «Learning from Pop» et «Risposta per Frampton», FRAMPTON Kenneth, «America 1960-1970: Notes on Urban Images
and Theory», Casabella n°359-360, Mai-Juin 1971.
6. SCOTT BROWN Denise, «Reply to Frampton», Casabella n°359-360, MaiJuin 1971.
7. VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, Catalogue de l’exposition
«Signs of Life: Symbols in the American City», 1976.
8. Photos de l’exposition «Signs of Life» au Smithsonian Institute, dans VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise, Catalogue de l’exposition «Signs of
Life: Symbols in the American City», 1976.
9. Id.
10. Id.
11. VSBA, Plan de coupe des installations pour l’exposition «Signs of Life»,
1976.
12.Id.
CONTROVERSE 4 Las Vegas ou les limites du discours
1. «Las Vegas, etc.», Realismus in der Architektur - Realisme en Architecture,
Archithese 13, 1975.
2. « u.s.a.- switzerland», Archithèse 16, 1975.
148
3. «Realismus - Realisme», Archithese 19, 1976.
4. «Metropolis: New York: Ein Europaischer Mythos», Archithese 17, 1976.
5. «Metropolis 2: New York, oder die architektonische Vermittlung einer Explosion», Archithese 18, 1976.
6. «Metropolis 3: Amerikanismus, Skyscraper und Ikonografie», Archithese
20, 1976.
7. VON MOSS Stanislaus, ed. «Venturi and Rauch: 25 Public Buildings»,
Werk - Archithese n° 7-8, Couverture, Juillet - Aout 1977
8. VENTURI Robert, « Je ne suis, ni n’ai jamais été, un postmoderniste»,
couverture de Architecture, mai 2001.
Conclusion
9. “Re-learning from Las Vegas, An interview wirh Denise Scott Brown and
Robert Venturi”, Harvard Design School Guide to Shopping, Taschen,
2001.
149
BIBLIOGRAPHIE
152
Livres
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University of Chicago Press, 1969, p. 269
BANHAM Reyner, «Under the hollywood sign» Edward Ruscha: Print and
publications 1962-74, (London, Arts Council of Great Britain,1975
BLAKE Peter, God’s Own Junkyard «The planned deterioration of America’s
landscape», NY: Holt, Rinehart and Winston,1964
GAFF Hervé, Qu’est-ce qu’une œuvre architecturale ?, Editions Vrin, 2007, p 8
GIEDON Sigried, Espaces, Temps, Architecture, Paris : Editions Denoël, 1990,
p. 464-467
GOODMAN Robert, After the planners, Editions Penguin , 1972, p.164-170
JAMESON Fredric, « The vanishinh Mediator ; or Max Weber as Storuteller » ,
dans The Ideologies of Theory : Essays 1971-1986, vol.2 , Minneapolis : University
of Minnesota Press, 1988, p3-34
JAUSS Hans Robert, Pour une esthétique de la réception, Gallimard, 1978
JENCKS Charles, Le langage de l’architecture post-moderne, 1ère édition, New
York: Rizzoli, 1977. Version française: Paris, Denoël, 1985 (4ième édition).
LYNCH Kevin, The Image of the City, Cambridge, MIT Press, 1960
LYNCH Kevin, MYER John R., APPLEYARD Donald, The View From The Road ,
MIT Press, 1965
MALDONADO Thomas,
d’Éditions, 1972
Environnement et Idéologie, Paris: Union Générale
PASSONNEAU Joseph R., SAUL WURMAN Richard, Urban Atlas : 20 American
Cities : A Communication Study Notating Selected Urban Data at a Scale of 1
:48,000, 1966, MIT Press
RATTENBURY Kester et HARDINGHAM Samantha, Supercrit 2, Robert Venturi
and Denis Scott Brown, Learning from Las Vegas, Oxon : Editions Routledge,
2007
RORTY Richard, Philosophy and the Mirror of Nature, Princeton University Press,
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Correspondance - Courrier
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VENTURI Robert, lettre à Vincent Scully, «Letters Jan-April 69», VSB 284,
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VENTURI Robert, lettre à Michael Connelly, 11 fevrier 1972, AAUP, box 453.
VENTURI Robert, lettre à Michael Connelly, 11 février 1972.
Films
Las Vegas Deadpan,(21 minutes) produit par les étudiants du «Learning from
Las Vegas Research Studio»,1968, acquis depuis les archives personnelles de
Venturi,Scott Brown&Ass., suite à la correspondance avec Judy Glass, assitante
personnelle de Robert Venturi,11 août 2009.
Las Vegas Strip LfLV Studio(Day:Night), 14 minutes, produit par les étudiants du
«Learning from Las Vegas Research Studio» et spécialement Dan Scully,1968,
acquis depuis les archives personnelles de Venturi,Scott Brown&Ass., suite à
la correspondance avec Judy Glass, assitante personnelle de Robert Venturi,11
août 2009.
Las Vegas Electric, 4 minutes, produit par les étudiants du «Learning from Las
Vegas Research Studio»,1968, acquis depuis les archives personnelles de
Venturi,Scott Brown&Ass., suite à la correspondance avec Judy Glass, assitante
personnelle de Robert Venturi,11 août 2009.
159
Internet
http://www.aiga.org/content.cfm/medalist-murielcooper.
http://www.vsba.com/bibliography/index.html
http://www.metropolismag.com/html/vsba/index.html#introduction
160
161
162
TABLE DES MATIERES
0.
Introduction
7
1.
Recensement
19
2.
CONTROVERSE 1 Las Vegas comme modèle
33
3.
CONTROVERSE 2 Las Vegas, la construction d’une image
51
4.
CONTROVERSE 3 Las Vegas ou les enseignements du Pop Art
81
5.
CONTROVERSE 4 Las Vegas ou les limites du discours
103
6.
Conclusion
121
7.
Appendice
131
8.
Table d’illustrations
143
9.
Bibliographie
151
164
REMERCIEMENTS
Merci à Jean-Didier Bergilez, pour son suivi et son esprit critique.
Merci à Déborah, Carole, Thierry, Laurence pour leur aide précieuse.
Merci à mes parents pour leur soutien quotidien.
Merci à Michael tout particulièrement, sans qui ce projet n’aurait pu être mené
à bien.