À la recherche de l`équilibre : l`intégration, l`adaptation et la

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À la recherche de l`équilibre : l`intégration, l`adaptation et la
In : PAGNEY BENITO-ESPINAL F. et BART F. (dir.) : Les interfaces : ruptures, transitions, mutations.
XIèmes Journées de géographie tropicale (Martinique, 7-8 novembre 2005)
À la recherche de l'équilibre : l'intégration, l'adaptation et la résilience
comme piliers d'un développement durable des îles-hôtels coralliennes
Three principles for the implementation of sustainable development in
coral island-resorts : integration, adaptation and resilience
Alexandre MAGNAN
Docteur en Géographie, Université Montpellier III, UMR 6012 "Espace"
et
Virginie DUVAT
Maître de conférences en Géographie, Université de La Réunion, CREGUR, DYMSET-ADES
Résumé
Les petites îles tropicales constituent, par leurs modestes dimensions, des objets d'étude privilégiés des
modalités de mise en œuvre du développement durable. Un travail réalisé sur les îles-hôtels des Maldives et des
Seychelles (océan Indien) a permis d'identifier trois principes fondamentaux de soutenabilité de ces systèmes :
l'intégration, l'adaptation et la résilience. Une approche systémique montre ici que la complémentarité de ces
principes-clés est à la base d'une philosophie de gestion garante d'équilibre sur le long terme.
Une réflexion sur la mise en pratique de ce schéma théorique "à trois piliers" montre que selon le degré
d'application du triptyque intégration/adaptation/résilience, on peut repérer dans la réalité trois modèles
principaux d'évolution des îles-hôtels.
Mots-clés
Intégration, adaptation, résilience, développement soutenable/durable, île-hôtel, Maldives, Seychelles.
Abstract
Small island developing states are interesting case studies so as to deal with the implementation of sustainable
development. The present research considers three main principles so as to implement and evaluate the
sustainability of resort island projects : integration, adaptation and resilience. These principles are the basis of
the balance of the resort island system in the long term.
Field work held in Seychelles and Maldives (Indian ocean) leads to the proposal of three models according to the
degree of implementation of the former principles.
Key-words
Integration, adaptation, resilience, sustainable development, island resort, Maldives, Seychelles.
L'objet de ce texte est d'ouvrir le débat conceptuel sur le développement durable à travers
l'analyse de ses fondements. Dans cette perspective, trois grandes notions interdépendantes seront
considérées, l'intégration, l'adaptation et la résilience. Leur complémentarité permettra de
montrer en quoi ces éléments constituent de véritables principes de gestion qui sont au coeur de la
durabilité de l’équilibre des systèmes.
Alors que les deux premiers points de cet article poseront les bases théoriques de la réflexion, le
troisième exposera les résultats d’une application à des îles-hôtels coralliennes des Maldives et des
Seychelles. On montrera en quoi les relations qui s’établissent entre résilience, adaptation et
intégration sont à l’origine de logiques de cercle vicieux ou à l’inverse vertueux. Trois modèles
principaux seront distingués qui reflètent bien la diversité des situations réelles.
1. Équilibre et développement durable
1.1. L'équilibre est au cœur du développement durable
Nous ne reviendrons pas ici sur les origines contemporaines du concept de développement
durable, car elles ont donné lieu à diverses publications francophones récentes et de qualité (Brunel,
2004 ; Miossec et al., 2004 ; Veyret, 2005). Nous développerons ici l’idée suivant laquelle le
1
principe fondamental sur lequel repose le développement durable est celui d'équilibre, entre les
hommes et la nature, et entre les hommes eux-mêmes. L’équilibre est en effet au cœur de la
durabilité des systèmes.
Un système se caractérise par diverses composantes qui, appartenant à un même contexte, sont
liées les unes aux autres par une multitude d'interactions plus ou moins complexes (Chua, 1993 ;
Péguy, 1996 ; Corlay, 1998). Ces interactions naissent d'interdépendances et impliquent une
destinée partagée. Elles imposent donc une évolution commune. Chaque composante doit par
conséquent s’inscrire dans un schéma relationnel sans lequel on ne pourrait parler de "système
organisé". Au-delà, chaque système s'inscrit dans un ensemble plus vaste et participe, au titre de
composante cette fois-ci, à une dynamique plus globale. Il y a là l’idée de changement, autrement
dit d’évolution du schéma relationnel qui sous-tend l’équilibre du système.
1.2. L'équilibre ne peut être que dynamique
La principale difficulté à faire entendre le message suivant lequel l'équilibre est la condition sine
qua non du développement durable tient au fait que cette notion est associée à celle de stabilité,
laquelle est souvent considérée comme un état figé à la fois dans le temps et dans l'espace. C'est
une lourde erreur, car toutes les études environnementales (qu'elles s'appliquent à l'Univers, à la
Terre, à un écosystème ou à un insecte), de même que les études centrées sur l'homme (de
l'humanité aux individus, en passant par les sociétés et les communautés), tendent à démontrer
qu'un équilibre à un moment donné soutient une évolution, laquelle génère une modification du
contexte environnant. Ceci impose au système, de nouveau en quête d'équilibre, de nouvelles
adaptations et, de fait, une dynamique. L’état d’équilibre à l’instant t n’est donc pas le même qu’à
t+ 1 ou qu’à t-1. Comme le rappelle C.-P. Péguy, « nul équilibre n'est instantané » (1996, p. 35).
L'équilibre à de multiples échelles est donc garant de la viabilité des systèmes et, cause et
conséquence, il ne peut être que dynamique. Autrement dit, le développement durable d'une société
— un exemple de système — suppose, d'une part, que celle-ci soit cohérente dans ses choix
d'occupation et d'exploitation des espaces, et, d'autre part, qu'elle soit capable de faire évoluer les
formes de cette cohérence. Ce schéma s’applique tout à fait à l’objet île-hôtel, comme nous le
verrons plus loin. L'idée de cohérence fait référence au principe d'intégration, et celle d'évolution à
celui d'adaptation.
2. Trois principes clés pour un développement soutenable
Le questionnement ne nous semble plus être, à l'heure actuelle, celui de la pertinence ou non du
concept de développement durable, mais celui de ses modalités d'application.
2.1. L'intégration comme principe d'équilibre
Si tout système est composé de multiples éléments entretenant les uns avec les autres, de
manière plus ou moins directe, des liens dynamiques, alors la juste intégration au tout de chacune
des parties est indispensable à la cohérence d'ensemble. L’intégration est donc un principe de
gestion fondamental pour assurer la viabilité des évolutions.
D’un point de vue théorique, le processus d’intégration passe par cinq phases (fig. 1) (Cicain-Sain,
1993). Si la première vise, par l’approche sectorielle, à identifier, répertorier et caractériser
chacune des composantes en jeu, d’autres étapes, comme la coordination et l’harmonisation,
traduisent la mise en place de réelles relations d’échange entre ces composantes. Si bien que l’on
passe d’un proto-système (quelques liens) à un premier système (liens réguliers et complexes), puis,
stade caractéristique de l’intégration, à un système cohérent capable d’évoluer. Cette dernière
étape, qui replace le système dans la durée, est celle de la naissance d’un véritable équilibre
dynamique. L’intégration assure donc l’équilibre dans le temps. Cause et conséquence de ceci, elle
se révèle également être le pilier d’une relative cohérence spatiale. En effet, si l’on considère, à la
manière de la géographie, qu’à toute chose correspond une réalité spatiale — on parlera par
exemple de territoire pour les êtres vivants —, alors toute systémogénèse [création d’un système
(Péguy, 1996)] se traduit soit par le partage d’un espace, soit par une recomposition donnant
naissance à un territoire d’ordre supérieur. L’intégration n’est ici plus seulement biologique et/ou
culturelle, mais également spatiale. Ce faisant, dans les systèmes humains, elle devient également
2
Figure 1. Les cinq phases du processus d'intégration, d'après B. Cicain-Sain (1993).
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économique et politique. L’intégration est donc, à l’image du concept d’équilibre, un processus
multidimensionnel qui assure une continuité à la fois spatiale et temporelle (Cazes-Duvat et
Magnan, 2004 ; Magnan, 2005).
Par ailleurs, C.-P. Péguy écrivait : « l’existence de systémolyses [décomposition d’un système]
successives, comme les conditions mêmes de fonctionnement des systèmes dynamiques, contribue
à engendrer l’imprédictibilité de notre environnement. Et plus encore, celle de nos sociétés ellesmêmes » (1996, p. 41). Or, l’imprévu est source de déséquilibre. Parallèlement, le principe
d’intégration a pour ambition d’assurer le passage d’un état plus ou moins délié à une nouvelle
cohérence. Ainsi, entre déséquilibres inévitables, car imprévisibles, et nécessité d’une cohérence
permanente, le principe d’intégration ne peut se suffire à lui-même et suppose qu’y soit agrégé un
autre principe fondamental de soutenabilité, celui d’adaptation.
2.2. L'adaptation comme principe d'intégration
Si l’équilibre d’un système ne peut être que dynamique, les modalités de l’intégration, à
différentes échelles, doivent elles-mêmes être évolutives, ne serait-ce que parce que la nature des
interactions change fatalement et que le système s’enrichit ou s’appauvrit en composantes. Ainsi
donc, à la recherche d’un nouvel équilibre, le système doit être capable de faire évoluer sa formule
initiale d’intégration (le schéma relationnel précédent) en l’adaptant aux modifications du
contexte. L’adaptation est donc un deuxième principe fondamental de durabilité des systèmes dans
la mesure où elle permet d’accompagner les évolutions.
2.3. Approche systémique
Si les principes d'intégration et d'adaptation révèlent toute leur pertinence propre, c'est surtout
leur complémentarité qui en fait des piliers de la durabilité du développement. C'est ce que se
propose de démontrer ce troisième point.
2.3.1. Prendre en compte la résilience, un préalable
L'intégration et l'adaptation relèvent de l'intervention humaine et sont les outils d'une certaine
stratégie de gestion des lieux et des hommes. Ces principes ne peuvent cependant à eux seuls
répondre aux enjeux de la durabilité d’un système, car celui-ci possède sa nature propre. Que l’on
considère des systèmes naturels ou humains, chaque élément présente des caractéristiques
intrinsèques qui influencent, à différentes échelles, des modalités d’évolution ou des orientations de
développement spécifiques. On parle généralement pour les êtres vivants de leur instinct. Les
sociétés humaines n’en sont pas dépourvues, même si la marche vers la modernité a
considérablement complexifié les relations entre individus et les liens à l’espace, et imposent
aujourd’hui d’autres logiques d’évolution.
Un autre terme, que nous utiliserons ici, fait référence à la nature intrinsèque des choses et aux
évolutions instinctives. Dans une perspective dynamique, évolutive, dans laquelle tout système est
en permanence contraint au changement, on retiendra celui de résilience, au sens de la capacité de
régénération ou de récupération d’un système naturel (l’environnement) ou humain (société)
(Aschan-Leygonie, 2000).
Dès lors que l’on applique la réflexion à des systèmes anthropisés, le concept de résilience
devient alors véritablement un principe de gestion. Il constitue en effet un préalable aux
interventions humaines dans le sens où il suppose l’identification précise des composantes du
système et de la nature de leurs interactions (approche globale et systémique) avant d’engager
toute démarche de régulation. Bien au-delà, le principe de résilience est à la base d’une intégration
optimale dans la mesure où il dicte les modes d’adaptation. Résilience, adaptation et intégration
font donc partie d’une même démarche.
2.3.2. Trois principes, une seule logique
Nous l’avons vu, le maintien de l’équilibre d’un système suppose une volonté d’intégration, et
l’intégration suppose la capacité à s’adapter. De même, l’adaptation impose de considérer la
résilience du système. L’interdépendance de ces trois concepts est donc mise en évidence et dans le
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cadre des interventions humaines, ces trois principes permettent de mettre en œuvre une gestion
dite raisonnée et qui, à terme, se traduit par une gestion intégrée, terme plus connu. Or, cette
gestion intégrée est l’une des conditions d’un développement durable (Cicain-Sain, 1993 ; Chua,
1993 ; Miossec, 1998). Ainsi, le cycle résilience/adaptation/intégration (fig. 2) est au cœur de la
démarche de soutenabilité en ce sens qu’il est permet de répondre aux effets d’engrenage négatifs
et de soutenir ceux qui sont davantage vertueux. C’est donc bien l’interdépendance entre ces trois
principes qui en fait des clés du développement durable, puisque c’est leur complémentarité qui
permet d’accompagner l’équilibre global du système considéré (fig. 3). En effet, lorsqu’une
perturbation vient modifier l’équilibre du système, l’intervention humaine se caractérise par
l’identification des impacts générés, puis par la compréhension des mécanismes de rétroaction.
Une approche raisonnée et globale est alors la seule susceptible de favoriser l’identification de
solutions appropriées et leur mise en œuvre. Un nouvel équilibre s’instaure donc, de nature
différente du précédent, qui incite de nouveau à adopter une démarche préventive d’adaptation et
d’intégration. La résilience, traduite ici par le passage d’un état d’équilibre à un autre, a été
judicieusement soutenue. Il s’agit donc bien d’une philosophie d’accompagnement des dynamiques
naturelles et humaines, et non d’une maîtrise totale et artificielle des évolutions.
Accompagner suppose cependant de savoir, de connaître. C’est pourquoi, concernant les îleshôtels, une démarche de modélisation peut être proposée qui pourrait servir de base de réflexion
aux gestionnaires de ces espaces.
2. Application aux îles-hôtels coralliennes des Seychelles et des Maldives
L’île-hôtel corallienne constitue l’un des objets géographiques auxquels peut s’appliquer cette
réflexion. Dans le cadre de cette étude, elle peut être définie comme un système sédimentaire mis
au service d’une fonction touristique. La petite dimension de ces îles et la forte mobilité de leurs
côtes, souvent en recul, sont des contraintes importantes. Ainsi, leur nature et leur dynamique
déterminent en grande partie les possibilités de leur exploitation à différentes échelles de temps.
2.1. L’intérêt de l’objet géographique « île-hôtel » pour une réflexion sur la
soutenabilité du développement
L’île-hôtel constitue un objet géographique pertinent pour étudier la soutenabilité du
développement en raison :
• De sa petite taille, qui permet d’appréhender facilement l’ensemble de ses caractéristiques
et qui en fait une entité à complexité réduite ;
• De sa spécialisation économique, qui simplifie tout à la fois son fonctionnement et son
système de gestion ;
• De son rôle majeur dans le processus de développement de certains archipels comme celui
des Maldives dans lesquels ces îles constituent la forme de tourisme dominante. Dans ce
dernier, on en compte quatre-vingt-sept qui participent pour un tiers à la formation du
PNB et pour 75 % aux entrées de devises. Les revenus qu’elles ont générés ont été à la base
du développement national depuis le début des années 1970 (Magnan, 2005).
Ces diverses caractéristiques font de l’île-hôtel un système à réactivité directe et immédiate,
situation qui est favorable à l’étude des rétroactions positives et négatives qui commandent son
évolution. Comme le dit autrement Gaston Bachelard dans La terre et les rêveries du repos (1948)
« (…) plus petits sont les êtres, plus actives sont les fonctions. Vivant dans un espace petit, ils
vivent d’un temps rapide » (p. 24). L’île-hôtel fait ainsi partie de ces laboratoires grandeur nature,
autrement dit de ces « espaces du minuscule » qui « ouvrent tout un monde », aussi permettentelles d’appréhender des logiques générales qui s’observent à d’autres échelles. Elles sont l’une des
figures de cette dialectique universelle du grand et du petit qui régit nombre de faits et d’évolutions
à la surface de la terre.
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Figure 2. L'interdépendance des principes d'intégration, d'adaptation et de résilience est au cœur du
développement durable
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Figure 3. L'évolution de l'équilibre : la réponse du système à une perturbation.
2.2. Modélisation des principales évolutions observées
La grande diversité des situations réelles peut être synthétisée par des modèles. On en
distinguera ici trois principaux en fonction du caractère plus ou moins vertueux des interactions qui
s’établissent entre intégration, adaptation et résilience. Chacun de ces modèles présente une
dynamique et une évolution qui lui sont propres (fig. 3).
Le premier se caractérise par une logique de cercle vertueux qui garantit sa soutenabilité sur le
long terme. Les composantes principales que sont l’environnement, la société, la culture et
l’économie sont intégrées dans un projet cohérent, adapté au milieu d’accueil et favorable à sa
résilience. Le système est en situation d’équilibre dynamique positif, et donc en expansion sur le
long terme. Deux îles fournissent une excellente illustration de ce scénario dans les archipels ici
considérés. Prenons d’abord le cas de la caye seychelloise de Bird (1 km2 ). Elle présente une forte
mobilité sédimentaire que traduisent le déplacement de la position de sa ligne de rivage et la
variation du volume de sa pointe nord au gré des cycles sédimentaires qui se succèdent à divers pas
de temps (Cazes-Duvat et al., 2002). Les fluctuations de ses côtes constituent une contrainte
majeure pour sa mise en valeur. Ses plages attractives, situées dans le nord et dans l’ouest, peuvent
varier de 50 à 120 m en largeur. Dans ces conditions, c’est parce que la dynamique sédimentaire a
été placée au cœur du dispositif de gestion qu’il existe une logique de cercle vertueux. Celle-ci
traduit l’intégration, dans le système de gestion touristique, de la contrainte sédimentaire. Deux
actions ont déjà illustré la logique d’adaptation qui s’applique : le déplacement de l’hôtel d’une
centaine de mètres vers l’intérieur à la suite de la crise érosive de la fin des années 1980 qui avait
endommagé plusieurs de ses bâtiments et le décalage de la piste d’atterrissage vers le nord en raison
de son attaque par les vagues. Sur cette île qui prograde, la libre évolution des rivages qui résulte de
l’adaptation des hommes à la dynamique sédimentaire est favorable au développement des espèces
végétales et animales, et en particulier à l’extension graduelle de l’aire de ponte de la colonie de
sternes fuligineuses (Sterna fuscata) qui constitue sa principale attraction. Par ailleurs, le caractère
naturel des côtes permet la nidification des tortues marines vertes (Chelonia mydas) et imbriquées
(Eretmochelys imbricata) dont les sites de reproduction ont diminué de près de 40 % aux
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Seychelles depuis le milieu des années 1980, par suite de l’aménagement et de l’érosion des côtes.
L’effet vertueux qui s’observe est dû au fait que les aménagements ne perturbent pas l’évolution du
milieu et qu’en retour, celle-ci est favorable au produit touristique qui s’appuie sur les possibilités
d’observation de la faune. La colonie de sternes (1,4 millions d’oiseaux) est aujourd’hui gérée afin
d’éviter qu’elle ne s’étende sur la piste d’atterrissage, ce qui compromettrait le fonctionnement de
l’hôtel. Le suivi des pontes et le prélèvement de 10 % des œufs certaines années ont permis de
mettre en place un système d’exploitation durable de cette ressource et de son intérêt
écotouristique. Aux Maldives, l’île-hôtel d’Ihuru (0,02 km2 , atoll de Malé Nord) offre une autre
illustration des situations de cercle vertueux. Ici comme à Bird, la mobilité caractéristique et
l’érosion des plages ont été placées au centre du dispositif de gestion. Chaque année, les estrans
sont rechargés afin de maintenir la position du trait de côte à l’avant des bungalows qui ceinturent
cette caye. Parallèlement, on contrôle les basculements sédimentaires à l’aide d’épis amovibles. La
gestion flexible et adaptée du milieu garantit la qualité du produit touristique et le succès de cet
établissement. La bonne intégration de la donne sédimentaire dans le dispositif de mise en valeur et
de gestion de ces deux îles est à l’origine de la prise de décisions adaptées et favorables à la
résilience du milieu. Les effets de cercle vertueux qui s’observent expliquent la stabilité du taux de
remplissage de ces établissements autour de 80 %.
Dans d’autres cas, le manque d’intégration a au contraire été à l’origine de choix inadaptés
qui ont enclenché un cercle vicieux. Là où une logique strictement économique est privilégiée
– situation courante aux Maldives dans les décennies 1970-1980 – il s’ensuit bien souvent un
déséquilibre irréversible. Sur le modèle 2, il se traduit par l’inclinaison de la pyramide et par la
migration de son point d’équilibre. L’effet de forçage anthropique qui s’observe sur des îles exiguës
et inaccessibles, mises en valeur à l’issue de grands travaux d’équipement, est souvent à l’origine de
ce cercle vicieux. Si le creusement de ports et de chenaux de navigation dans les platiers récifaux a
permis de lever les contraintes de départ en rendant ces îles à la fois viables (agrandissement par la
création de remblais) et accessibles, ces travaux ont rapidement produit un effet d’engrenage
(Cazes-Duvat, 2001). Fortement exposés aux houles de tempête, les espaces gagnés sur la mer
doivent être protégés par des ouvrages de défense qui rendent nécessaires de nouvelles opérations
d’extraction préjudiciables aux récifs coralliens. Le résultat est la dénaturation totale du milieu, la
chute du taux de remplissage de ces hôtels, puis leur faillite. Des îles-hôtels maldiviennes comme
Paradise, Giravaru et Tari Village illustrent cette évolution.
Le troisième modèle correspond à des situations intermédiaires parmi lesquelles on peut
distinguer trois scénarios courants : 1) Une situation de déséquilibre due à la priorité donnée à une
ou plusieurs composantes par rapport aux autres, comme c’est souvent le cas de l’économie qui
prime sur l’environnement et sur la société ; 2) Une situation de faible intégration des différentes
composantes que sont l’environnement, l’économie et la société, très courante dans les îles-hôtels
de l’océan Indien occidental. Dans ce cas, les choix de gestion sont cloisonnés et plusieurs logiques
(économique, sociale, environnementale, etc…) se côtoient. Ce mode de gestion ne génère ni
déséquilibre particulier, ni logique de cercle vertueux. 3) Dans d’autres cas, ces deux types de
fonctionnement s’associent, car l’île est segmentée en deux entités, situation courante aux
Maldives (Thulagiri, Gangehi, Banyan Tree, etc…). La situation de déséquilibre sédimentaire qui
existe sur une partie de l’île est contrôlée par des solutions d’ingénierie diverses, et compensée, sur
le plan touristique, par le cadre et les services qu’elle offre sur le reste de sa surface.
Il existe évidemment des situations intermédiaires entre ces trois grands types d’évolution.
En conclusion, ces travaux démontrent d’abord la pertinence et l’interdépendance des trois
principes d’intégration, d’adaptation et de résilience, dans l’étude de la soutenabilité des îleshôtels.
En deuxième lieu, ils mettent en évidence la nécessité qu’il y a, dans une perspective de gestion
durable, d’identifier ce que l’on pourrait appeler « la clé » du système, c’est-à-dire la base sur
laquelle reposent son fonctionnement et les interactions entre ses principales composantes. Cette
étape est fondamentale dans la mesure où elle permet d’atteindre le stade d’intégration qui
constitue un préalable nécessaire à la mise en œuvre d’une gestion adaptée favorable à la résilience.
Chaque système géographique possède une ou plusieurs clés de fonctionnement qu’il est donc
important de bien connaître.
En dernier lieu, cette étude montre que la dimension des systèmes joue un rôle important dans
leur évolution. Il semble en effet, et ceci ouvre un autre débat, que les îles les plus petites possèdent
des équilibres plus précaires que les plus grandes.
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