Numéro 20291 du rôle

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Numéro 20291 du rôle
Numéro 20291 du rôle
Tribunal administratif
du Grand-Duché de Luxembourg
Inscrit le 16 août 2005
Audience publique du 13 février 2006
Recours formé par
Monsieur ..., …
contre
deux décisions du ministre des Affaires étrangères et de
l’Immigration
en matière de statut de réfugié
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 20291 du rôle, déposée le 16 août 2005 au
greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour,
inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ..., né le … à
Ibadan (Nigeria), de nationalité nigériane, demeurant actuellement à L-…, tendant à la
réformation d’une décision du ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration du 1 er
juin 2005 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant
pas fondée, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 11 juillet 2005 prise
sur recours gracieux;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal
administratif le 12 décembre 2005;
Vu la lettre de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH du 11 janvier 2006 déposée au
greffe du tribunal administratif le 11 janvier 2006 par laquelle il informe le tribunal de ce
qu’il a déposé son mandat;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
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Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du
gouvernement Jean-Paul REITER en sa plaidoirie à l’audience publique du 6 février 2006.
---------------------------------------------------------------------------------------------------------------Le 22 septembre 2004, Monsieur ..., préqualifié, introduisit auprès du service
compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration une demande en
reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951,
relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif
au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grandducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la
Convention de Genève ».
En date du même jour, Monsieur ... fut entendu par un agent du service de police
judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité
et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut entendu en date du 25 octobre 2004 par un agent du ministère des Affaires
étrangères et de l’Immigration sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre des Affaires étrangères et de l’Immigration, ci-après désigné par le
« ministre », l’informa par décision du 1er juin 2005, notifiée par courrier recommandé du 2
juin 2005, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée aux motifs énoncés
comme suit :
« En mains le rapport de la Police Grand-Ducale du 15 septembre 2004 et le rapport
d’audition du 25 octobre 2004.
Il ressort du rapport de la Police Grand-Ducale que vous avez été trouvé le 15 septembre
2004 dans un foyer pour demandeurs d’asile à Wiltz, sans document d’identité. En conséquence, une
mesure de rétention a été ordonnée et vous avez été conduit à Schrassig. Suivant le conseil de votre
avocat vous avez déposé une demande d’asile politique par courrier le 22 septembre 2004.
Il résulte de vos déclarations que vous auriez décidé de devenir chrétien alors que vous étiez
de confession musulmane. Des membres de votre famille, notamment votre oncle, auraient refusé
cette conversion, étant eux-mêmes musulmans. Ils vous auraient en conséquence menacé et battu.
Vous seriez alors parti vivre à Lagos durant 1 mois. Vous seriez ensuite revenu chez vous à Ibadan,
mais la situation n’ayant pas changé avec votre famille, vous seriez retourné à Lagos. Vous y auriez
vécu cette fois environ 4 mois. L’ami qui vous aurait hébergé à Lagos vous aurait aidé à monter dans
un bateau, car il travaillerait au port. Vous auriez de cette façon quitté votre pays d’origine en août
2004 et seriez arrivé en Europe, plus précisément en Hollande, le 15 septembre 2004. Ensuite, vous
auriez pris le train pour venir à Luxembourg.
Par ailleurs, vous n’êtes membre d’aucun parti politique.
Il convient de rappeler que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement
conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation
particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle
qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
En premier lieu, notons que vous avez déposé une demande d’asile en France le 31 janvier
2005 sous le nom de Olayinola SALAWU, né le 24 décembre 1975. Cette constatation entraîne de
sérieux doutes quant à votre réelle identité. De plus, le fait de se rendre en dehors du territoire
luxembourgeois de manière totalement illégale doit être considéré comme une omission flagrante de
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vous acquitter d’obligations importantes imposées par les dispositions régissant les procédures
d’asile.
Ensuite, il ne résulte pas de vos allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun
élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécuté dans votre pays d’origine
pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., §2 de la Convention de Genève. En effet, des
problèmes d’ordre familial ne correspondent à aucun des critères de fond de la Convention de Genève,
sans oublier que les membres de votre famille, en tant que personnes privées, ne sont pas assimilés à
des agents de persécution au sens de la prédite Convention.
Il convient en outre de souligner que vous avez bénéficié d’une possibilité de fuite interne
étant donné que vous avez vécu 5 mois à Lagos. Vous admettez ne pas avoir rencontré de problèmes à
cet endroit. Cet aspect est pris en compte dans la reconnaissance du statut de réfugié.
Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte justifiée de persécutions en raison de vos
opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à
un groupe social et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au
sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen
d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez
bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 3 juillet 2005 ayant été
rencontré par une décision confirmative du même ministre du 11 juillet 2005, Monsieur ... a
fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions ministérielles initiale du
1er juin 2005 et confirmative du 11 juillet 2005 par requête déposée le 16 août 2005.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure
relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire,
instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le
tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation, lequel est également
recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur reproche au ministre une appréciation erronée
des faits alors que la Convention de Genève préciserait clairement que le terme de
« réfugié » s’appliquerait non seulement aux personnes ayant subi des persécutions, mais
également aux personnes craignant des persécutions. Il expose qu’il se serait converti de
l’islam vers la religion catholique et qu’il risquerait de subir des persécutions tant de la part
de sa famille que de la part des autorités eu égard à la situation dans son pays d’origine. Il
fait valoir que la religion islamique serait intolérante par rapport aux personnes abandonnant
cette religion, que des affrontement mortels entre musulmans et chrétiens auraient
récemment eu lieu dans l’état de Bénue et que durant les 4 dernières années, la violence
causée par des affrontements religieux au Nigeria aurait provoqué la mort de dizaines de
milliers de personnes et fait des milliers de réfugiés.
Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de
la situation du demandeur et que son recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme
« réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait
de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe
social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si
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elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence
habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y
retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la
situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du
demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été
telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il
convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en
réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant
compte de la situation existant au moment où il statue.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition
du 25 octobre 2004, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier,
ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et
contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur
reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de
nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race,
de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses
convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de
Genève.
En effet, il ressort du procès-verbal de l’audition du demandeur que les problèmes
par lui invoqués en raison de son intention de se convertir vers la religion chrétienne
proviennent exclusivement de membres de sa famille qui auraient exercé des pressions sur
lui pour empêcher sa conversion. Or, un tel problème d’ordre familial, même lié à la
conviction religieuse, est étranger aux motifs de persécution visés par la Convention de
Genève.
S’y ajoute que les actes concrets de persécution invoqués par le demandeur émanent
de membres de sa famille, partant de personnes étrangères aux autorités publiques, qui ne
sauraient être considérés comme étant des agents de persécution au sens de la Convention de
Genève, de manière qu’ils s’analysent en une persécution émanant non pas de l’Etat, mais
d’un groupe de la population et ne sauraient dès lors être reconnus comme motif d’octroi du
statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéfice pas de la protection des autorités de
son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de
Genève ou si elles sont incapables de fournir une telle protection. Il convient d’ajouter que la
notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique
absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne
saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel. Il ne saurait en être
autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en
évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves CARLIER : Qu’est-ce qu’un réfugié ?,
Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).
Or, si le demandeur a certes affirmé s’être adressé à la police qui aurait refusé
d’intervenir au motif qu’il s’agirait de problèmes familiaux, une telle attitude ne s’analyse
pas en un refus de protection pour l’un des motifs visés par la Convention de Genève.
Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut
d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève
dans son pays de provenance, de manière que le recours en réformation doit être rejeté
comme n’étant pas fondé.
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PAR CES MOTIFS
le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties,
reçoit le recours en réformation en la forme,
au fond, le déclare non justifié et en déboute,
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
M. SCHOCKWEILER, premier vice-président,
M. SCHROEDER, premier juge,
M. SPIELMANN, juge,
et lu à l’audience publique du 13 février 2006 par le premier vice-président en
présence de M. LEGILLE, greffier.
s. LEGILLE
S. SCHOCKWEILER
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