Peut-on sauver les otages de Colombie
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Peut-on sauver les otages de Colombie
Le 4 mars 2008 Peut-on sauver les otages de Colombie ? D’après la conférence de Dominique SIMONNET, écrivain, éditeur, ancien rédacteur en chef à l’Express. ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------Quelle est la trame et la toile de fond de l’histoire douloureuse des otages en Colombie et plus particulièrement d’Ingrid Betancourt ? Ce sujet d’actualité est devenu au fil des mois et des années un sujet majeur de préoccupation. Situons la Colombie La Colombie est un pays magnifique, luxuriant, « un petit paradis qui a tout pour le bonheur » comme le décrit Garcia Marquez dans ses romans. Mais elle est également un pays douloureux, marqué de déchirements internes et de souffrances. Après son indépendance au début du XIXe siècle, la Colombie connaît une période de guerre civile. La politique a souvent été conçue comme une sorte de champ de bataille où deux souscultures, les conservateurs et les libéraux, occupent alternativement le pouvoir et s’affrontent dans la violence. Cette situation a perduré pendant des décennies et a divisé le peuple, l’émiettant en plusieurs factions rivales très violentes, au détriment de l’esprit de nation. Aujourd’hui, on constate que la cohésion nationale ne s’est pas faite. Une période de calme jusqu’en 1948 est suivie par un retour à la violence après l’assassinat du leader libéral Jorge Eliécer Gaitan, et un coup d’Etat en 1953. Selon les historiens, cette période a fait entre 200.000 à 400.000 morts. Tout semble s’arranger en 1958 avec un accord de partage entre les deux adversaires : le pacte du Front national prévoyait une alternance des libéraux et des conservateurs à la présidence et un partage égal des charges et des mandats entre les 2 partis. Mais le pays n’entre pas dans la normalité politique car cette alliance suscite l’émergence de mouvements de guérillas révolutionnaires. Marginales dans les années 1960-1970, actives mais plutôt rurales, ces guérillas passent dans les années 1980 à la politique armée et à la violence généralisée, lançant des opérations militaires. Le pays est déchiré par ces factions rivales aux pratiques abominables et de toute évidence mafieuses : enlèvements, séquestrations, extorsion de fonds, prélèvement de l’impôt chez les paysans en échange de leur protection. D’autres groupes d’extrême droite émergent, les paramilitaires. Ils prétendent protéger les populations contre les guérillas mais pratiquent les mêmes exactions. A cela s’ajoute un phénomène grandissant dont il faut tenir compte dans l’histoire des otages en Colombie : l’économie de la drogue. Les cartels jouent un rôle extrêmement important, ce ne sont pas des entreprises semblables aux guérillas, ce sont des réseaux qui gangrènent le monde politique et la société civile, avec une corruption considérable des dirigeants politiques du pays. C’est dans ce paysage divisé et déchiré qu’intervient Ingrid Betancourt. Ingrid Betancourt Elle n’est pas qu’un otage, pourquoi suscite-t-elle tant d’intérêt ? L’histoire d’Ingrid Betancourt est celle d’un déchirement entre deux pays, la France et la Colombie, mais aussi d’un déchirement entre famille et engagement, entre le privé et le politique. Cette histoire de son enfance se répète, c’est ce que vivent ses enfants aujourd’hui. Ingrid Betancourt est née en 1961, sa mère, Yolanda Pulecio, est très connue en Colombie pour son engagement sans faille en faveur des enfants des rues à Bogota. Son père, Gabriel Betancourt, était ancien ministre de l’éducation et diplomate. Il a notamment travaillé avec le président Kennedy pour lancer l’Alliance pour le progrès en faveur du développement de l’Amérique Latine. L’assassinat de Kennedy mettra un terme à cette initiative. Ingrid a passé sa petite enfance à Paris où son père était en poste à l’Unesco. Dès l’âge de 5 ans, elle fera avec ses parents d’incessants séjours en France et en Colombie. Elle vit une vie de diplomate dans un monde actif et ouvert sur le monde, côtoyant le monde politique européen mais aussi les Colombiens de passage. Après le divorce de ses parents, elle rejoint sa mère en poste à Paris, fait ses études à Sciences-Po où elle brasse des idées d’engagement politique, de droits de l’Homme, une certaine idée de la France et de la politique à la française. Elle se marie avec un diplomate, Fabrice Delloye, qu’elle suit en Equateur puis aux Seychelles, deux enfants vont naître, Mélanie et Lorenzo. Tiraillée par les souffrances de la Colombie, le besoin de faire quelque chose pour son pays prend de plus en plus d’ampleur, elle se sépare de son mari, retrouve sa mère à Bogota et se lance dans la politique à ses côtés. Avec un courage incroyable pour une très jeune femme, elle dénonce les trafics de drogue et d’armes et lutte contre la corruption qui mine le pays et plonge une grande partie des Colombiens dans la misère. Elle est élue députée avec le meilleur score du parti libéral et devient ainsi une femme politique majeure. Elle incarne le symbole de la nouveauté, tourne la page à des années de violences et de corruption et permet d’espérer inventer un pays plus proche d’une démocratie moderne. Elle est menacée de mort et doit mettre ses enfants à l’abri, hors de Colombie. C’est pour elle un grave conflit, elle ne peut pas s’empêcher d’agir mais comment, dans ces conditions, vivre sa vie de famille et de mère ? En 1998, Ingrid Betancourt se présente aux législatives, les sénateurs ayant plus d’autorité que les députés. Elle est élue avec le meilleur score de tous les candidats. Plus tard, elle fait alliance pour faire élire le président Pastrana en lui faisant promettre, par un plan très précis, de lutter contre la corruption et la drogue. Cette promesse sera brisée quelques mois plus tard, plongeant Ingrid dans le désarroi. Elle multiplie alors des actions symboliques et des initiatives courageuses qui touchent les Colombiens, beaucoup la suivent. Elle s'apprête à se présenter à l’élection présidentielle lorsqu'elle est enlevée par les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC) le 23 février 2002 près de Florencia, en compagnie de sa directrice de campagne, Clara Rojas. Les FARC Branche armée du parti communiste créée en 1966, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie représentent 7 à 17.000 personnes, ils vivent dans un monde totalement clos, sans doute aussi avec un cerveau très clos… Leur comportement irrationnel, quasi pathologique, ne doit pas être sous-estimé dans les négociations. La manière dont ils fonctionnent fait penser à certaines sectes : leurs références, critères et valeurs n’ont rien de commun, leurs conditions de vie sont difficiles, dans une jungle inextricable et une folie militaire permanente. D’une manière générale, ils vivent par petites unités d’une trentaine d’hommes, disposent d’ordinateurs, d’armes légères, ils sont très mobiles. Ils sont structurés de manière hiérarchique extrêmement forte et encadrés comme des militaires (habillés en treillis). Ils veulent la révolution mais ont oublié de quelle révolution il s’agissait ! Ils disent être constitués de volontaires mais, en réalité, les déserteurs sont fusillés. 20 à 30 % d’entre eux ont moins de 18 ans et 30 à 40 % sont des femmes. Chaque FARC est fiché sur une base de données régulièrement mise à jour. Leurs règles de vie privée sont très strictes : relations sexuelles soumises à autorisation de la hiérarchie, pas de relations sexuelles avec les civils, interdiction aux femmes d’être enceintes, interdiction de fumer, de critiquer, de se plaindre, les plus faibles sont placés en 1 ère ligne pour recevoir les balles en premiers… ce sont les méthodes des khmers rouges… Ils vivent du trafic de drogues, de la production et de l’exportation de cocaïne et du commerce d’êtres humains. Leurs armes viennent probablement d’Amérique Latine, d’échanges de trafics de drogue. Leurs enlèvements ne sont pas seulement politiques comme celui d’Ingrid Betancourt, ce sont surtout des enlèvements « économiques », pour la rançon. En 2001-2002, le président Pastrana fait retirer l’armée colombienne d’une zone de 42.000 km² afin de créer une zone démilitarisée destinée à favoriser des négociations avec les guérillas. Les FARC en ont profité pour prendre possession du territoire et y appliquer leurs règles, les opérations militaires ont repris de plus belle à partir de 2002. Le président Alvaro Uribe est élu en août 2002 pour son programme de sécurité et notamment ses promesses d’en finir avec les FARC, les cartels, etc… Considéré par beaucoup comme un homme très dur, on dit que son père aurait été assassiné par les FARC et qu’il leur voue une haine personnelle qui alimente son action politique. On dit aussi qu’il a été allié à des cartels de la drogue, en tous cas, il est assez proche d’un certain nombre de milices paramilitaires extrémistes qui luttent contre les FARC. Les FARC ont des alliés très forts, le Venezuela et l’Equateur voisins (zones où ils peuvent se protéger de l’armée colombienne). C’est ainsi qu’il y a quelques jours, le président colombien Alvaro Uribe a envoyé des troupes au-delà de la frontière colombienne, provoquant un incident diplomatique avec la mort du n°2 des FARC, Paul RAYES. Selon le gouvernement colombien, on a retrouvé dans son ordinateur la preuve de liens entre le gouvernement du président vénézuelien Chavez et les FARC. Qui sont les otages ? Depuis des années, les FARC vivent du commerce de leurs enlèvements. On pense qu’ils détiennent entre 1000 et 3000 personnes, la plupart sont des otages « économiques », la rançon demandée est de 8.000 à 10.000 €, selon la notoriété de la personnalité. Les otages politiques servent à la négociation politique. L’obsession de cette guérilla est de bouger tout le temps pour éviter d’être repérée, les otages sont forcés de marcher sans arrêt le jour et s’ils se rebellent, ils sont enchaînés la nuit et attachés à un piquet. Ils subissent punitions, humiliations et persécutions. L’évasion est très difficile, plusieurs tentatives ont échoué. La position des Etats-Unis Les Etats-Unis sont réticents à intervenir dans les guerres civiles des pays d’Amérique Latine. En revanche, ils soutiennent le président Uribe et leur implication auprès du gouvernement colombien est forte car il s’agit d’appuyer leur guerre contre le terrorisme (il est évident que les FARC et les guérillas en font partie) et contre la drogue. La Colombie joue un rôle majeur dans la consommation effrénée de cocaïne en Amérique et en Europe et, dans cette lutte, le principe de la politique américaine est la fermeté. Or, trois otages américains sont aux mains des FARC. La situation des Etats-Unis est contradictoire : appuyer le gouvernement colombien dans son action militaire forte s’oppose aux efforts d’une négociation et à l’espoir d’un accord humanitaire pacifique pour régler la situation des otages. C’est une des clés fermées de la question des otages. La volonté de ne pas oublier Les nouvelles d’Ingrid Betancourt en août 2003 ont été suivies d’une très longue période de silence, forçant sa famille à prendre les choses en main et à agir auprès des hommes politiques et de la presse. Des comités de soutien se sont spontanément constitués, par principe. Le principe de la France est de ne pas abandonner l’un des siens dans une situation difficile. Les gouvernements précédents ont essayé différentes solutions qui, toutes, ont échoué. Nicolas Sarkozy et Bernard Kouchner ne ménagent pas leurs efforts, mais être actif ne veut pas forcément dire réussir… Dans la lettre parvenue en décembre 2007, 12 pages écrites d’une écriture serrée, Ingrid Betancourt dit l’essentiel, son cri d’amour pour sa famille et un plaidoyer pour la liberté à la hauteur des grands textes de l’Histoire. Elle parle d’urgence et aussi d’espoir, dit qu’elle est fatiguée de souffrir, que sa souffrance est immense, que sa seule liberté est de ne plus avoir de désir. Cette lettre et la réponse de ses enfants ont été publiées, préfacées par Elie Wiesel. La rencontre entre Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, rescapé des camps, et Mélanie DelloyeBetancourt, toute jeune fille, est la rencontre d’un même combat, quelque chose de commun les réunit. Mélanie, « fille d’otage » à 16 ans, applique avec une maturité stupéfiante le principe de sa mère : « agir sans se lamenter ». Peut-on empêcher le cri de souffrance des familles d’otages ? Certains sont détenus par les FARC depuis plus de 10 ans. L’indifférence et l’oubli peuvent tuer, le témoignage de Clara Rojas et Consuelo Gonzalez est très clair : sans les informations sur la mobilisation publique pour leur vie et leur libération, et sans les messages personnels qu’ils peuvent entendre à la radio, les otages seraient morts de désespoir. L’intervention militaire du gouvernement colombien sur un groupe des FARC à la frontière de l’Equateur et la mort du numéro deux des FARC qui négociait avec Hugo Chavez crispent la situation et tendent les échanges diplomatiques. Le gouvernement colombien est sous une pression intérieure très forte, les paramilitaires et la population veulent en finir avec les FARC, même au prix de la mort de quelques otages. L’option militaire a toujours été un échec pour les otages, les familles supplient de trouver un accord pacifique. Le 8 mars, on célèbrera la journée de la femme, Ingrid Betancourt est de ces femmes qui se sacrifient pour leurs idées. Peut-on tolérer en 2008 que, dans un morceau de la planète, cette barbarie existe et qu’on puisse dépersonnaliser des êtres humains et nier totalement leurs qualités d’Homme ? La liberté mérite toute notre mobilisation, on ne connaît son prix que lorsqu’on en est privé. A lire pour en savoir plus : La rage au cœur, Ingrid Betancourt (2001, XO Editions) Lettres à Maman par-delà l’enfer, Ingrid Betancourt (janvier 2008, Seuil)