Conjonctivites allergiques de l`enfant

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Conjonctivites allergiques de l`enfant
J Fr. Ophtalmol., 2007; 30, 3, 292-299
F
M
C
TABLE RONDE DE LA SFO « ALLERGIES EN OPHTALMOLOGIE »
© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés
Conjonctivites allergiques de l’enfant :
le point de vue de l’allergologue
J.-L. Fauquert
Consultation d’Ophtalmologie et Allergologie de l’enfant, Unité d’Allergologie de l’enfant, Service Pédiatrie A, Hôtel Dieu CHU, 63058 Clermont-Ferrand
CEDEX 1.
Correspondance : J.-L. Fauquert, l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected]
Reçu le 7 novembre 2006. Accepté le 7 décembre 2006.
Childhood allergic conjunctivitis: the allergist’s point of view
J.-L. Fauquert
J. Fr. Ophtalmol., 2007; 30, 3: 292-299
292
Allergic conjunctivitis is one of the most frequent reasons for a child’s consultation with an
ophthalmologist. Once the diagnosis of conjunctivitis is made and the clinical form is clearly
established, the search for a cause is the most complicated step. Consultation with an allergist
is necessary, in particular when questioning the patient points toward an allergic cause or
brings up conditions suggestive of atopic disease. Ocular allergy can follow a type I hypersensitivity, i.e., mediated by IgE: most frequently this is acute and chronic allergic conjunctivitis.
Demonstrating the allergen requires prick tests, which are easy to carry out and painless; their
sensitivity is currently satisfactory. In vitro tests can complete the workup. In case of doubt on
the allergen responsability for allergy, an allergenic provocation test can confirm or refute the
allergen’s involvement. Ocular allergy can also stem from a type IV mechanism, i.e., a cellmediated mechanism such as in contact allergy involving different topical substances. In these
cases, the clinical aspect and the patient’s history may require consultation with a dermatologist-allergist for patch tests. To adapt practices when encountering conjunctivitis in a child,
the ophthalmologist should be familiar with the allergens that may set off a conjunctivitis
episode. Knowledge of the mechanisms at play also helps direct the examination toward
allergy or another cause. In all these steps, collaboration between the ophthalmologist and
the allergist is indispensable.
Key-words: Conjunctivitis, allergy, child, workup, conjunctival provocation test.
Les conjonctivites allergiques sont un
motif fréquent de consultation chez
l’enfant. Le pédiatre et le médecin généraliste sont en première ligne.
L’ophtalmologiste est souvent sollicité, en particulier lorsque la conjonctivite aiguë ne s’associe pas à une
rhinite ou lorsque les symptômes persistent. La collaboration entre ces spécialistes est nécessaire, et le recours à
l’allergologue est souvent justifié.
Nous aborderons d’abord les problèmes sémantiques induits par les différences de « culture » entre les ophtalmologistes et les allergologues,
puis la pratique du bilan allergénique
chez l’enfant atteint de conjonctivite
allergique. Enfin, nous présenterons
une revue succincte des allergènes
susceptibles d’être en cause.
Conjonctivites allergiques de l’enfant : le point de vue de l’allergologue
Les conjonctivites allergiques constituent pour l’enfant l’un des motifs très fréquents de
consultation chez l’ophtalmologiste. Une fois le diagnostic de conjonctivite posé et la forme
clinique clairement établie, la recherche d’une cause est l’étape la plus délicate. Le recours à
l’allergologue est nécessaire, en particulier lorsque l’interrogatoire oriente vers une origine
allergénique, ou met en évidence un terrain atopique. L’allergie oculaire peut être consécutive
à une hypersensibilité de type I, c’est-à-dire médiée par les IgE : le cas le plus fréquent est celui
des conjonctivites allergiques aiguës et chroniques. La mise en évidence de l’allergène fait
appel à des tests cutanés (Prick-tests) dont la pratique est très facile et indolore et dont la
sensibilité est actuellement satisfaisante. Des tests in vitro peuvent compléter le bilan. En cas
de doute sur la responsabilité de l’allergène, un test de provocation allergénique peut venir
confirmer ou infirmer l’implication de l’allergène. L’allergie oculaire peut aussi relever d’un
mécanisme de type IV, c’est-à-dire d’un mécanisme à médiation cellulaire, comme l’allergie
de contact aux différents topiques. Dans ces cas, l’aspect clinique et l’interrogatoire orienté
invitent à adresser le patient au dermato-allergologue en vue de tests de contact (Patch-tests).
Pour adapter son attitude pratique devant une conjonctivite de l’enfant, l’ophtalmologiste doit
connaître les allergènes susceptibles de déclencher une poussée de conjonctivite. La connaissance de mécanismes en cause aide elle aussi à orienter ou non vers l’allergie. Dans toutes
ces étapes, la collaboration de l’ophtalmologiste et de l’allergologue est essentielle.
Mots-clés : Conjonctivite, allergie, enfant, bilan, test de provocation conjonctival.
PROBLÈMES SÉMANTIQUES
ET NOSOLOGIQUES :
CONJONCTIVITES
ALLERGIQUES
ET CONJONCTIVITES
ALLERGÉNIQUES
Il est essentiel de connaître les problèmes sémantiques et nosologiques
qui entretiennent des confusions,
voire des malentendus, entre les deux
spécialités : ophtalmologie et allergologie.
Les ophtalmologistes classent les
conjonctivites allergiques selon 5 groupes (tableau I) [1] : (1) la conjonctivite
aiguë et saisonnière, (2) la conjonctivite allergique chronique (ces deux
conjonctives constituant à elles
Vol. 30, n° 3, 2007
Conjonctivites allergiques de l’enfant : le point de vue de l’allergologue
Tableau I
Allergie oculaire de l’enfant : classification « ophtalmologique ».
Conjoncti- Conjonctivite aiguë
vite
et saison- allergique
nière
chronique
Kératoconjonctivite
vernale
Kératoconjonctivite
atopique
Blépharite
allergique
–
Fréquence +++
+
+/–
–
Mécanisme
HSI
HSI
HSI/HSR
HSI/HSR/
HSR/
Mécanique Irritant
Terrain
Atopique
Atopique
Enfant
± atopique
Eczéma
+++
Clinique Paupières
Conjonctive
± œdème
palpébral
Follicules
Papilles
et/ou
follicules
Limbe
Cornée
Papilles
géantes,
fibrose
Eczéma
+ blépharite
Blépharite
Papilles
géantes
± Conjonctivite
Nodules
de Trantas,
Limbe
épaissi
± KPS
KPS ± ulcère Ulcère,
opacités,
± plaque
vernale
néovascularisation
HRC = Hyperréactivité conjonctivale ; HSI = Hypersensibilité immédiate ; HSR = Hypersensibilité
retardée ; KPS = Kératite ponctuée superficielle.
deux les principales formes de conjonctivites allergiques bénignes), (3) la
kérato-conjonctivite vernale (ou kérato-conjonctivite dite « printanière »), (4) la kérato-conjonctivite
atopique ou conjonctivite sévère de la
dermatite atopique, (ces deux dernières constituant des formes graves
de conjonctivite), et enfin (5) la conjonctivite giganto-papillaire des porteurs de lentilles et de blépharite allergique.
Les allergologues considèrent
comme allergiques les conjonctivites dont le déclenchement est
consécutif à une exposition allergénique. Ce sont en fait les conjonctivites
allergéniques. La classification utilisée
est celle décrite par Gell et Coombs [2]
à propos des mécanismes physiopathologiques de l’allergie (tableau II).
En pathologie oculaire de l’enfant, l’allergie est le plus souvent de type I,
c’est-à-dire consécutive à un mécanisme IgE dépendant. Nous délaisserons donc les pathologies oculaires à
composante immune (de type II et III)
et l’allergie de contact (de type IV).
Cette dernière peut être responsable
au niveau oculaire d’un tableau clinique bien différent, à type de blépharite ou d’eczéma de contact. Les allergènes sont alors dominés par les
cosmétiques et des adjuvants de collyres : cette pathologie est donc rare
chez l’enfant.
Pour illustrer ces différences de nomenclature, nous rappelons que la
conjonctivite pollinique est une entité allergologique : il s’agit habituellement d’une conjonctivite aiguë et
saisonnière, qui survient lorsque l’enfant est exposé à des pollens (pollens
de graminées présents en mai et juin,
mais aussi pollens d’arbres de janvier
à août, ou pollens de composées
dont l’expression est estivale). En revanche, la conjonctivite printanière
dite encore « vernale » [3] est une
entité ophtalmologique, une forme
grave de conjonctivite dont il existe
une forme palpébrale (avec formation de papilles sur la conjonctive tarsale) et une forme limbique (avec in-
Tableau II
Allergie oculaire de l’enfant : classification
« allergologique ».
Hypersensibilité
de type I
HS immédiate
(10 à 30 min)
IgE médiée :
mastocytes
Terrain atopique
Hypersensibilité
de type IV
HS Retardée :
4-8 h/48 à 72 h
Cellulaire :
lymphocytes T
Allergie
de contact
Haptènes :
Allergènes :
• Médica• C. Pollinique =
ments
saisonnière
• Additifs
• C. apériodique
topiques
= perannuelle :
– Acariens
– Autres
allergènes
flammation et formation de nodules
au limbe). Cette conjonctivite s’exprime en saison chaude (printemps
et été), d’où son nom. Elle peut s’associer à une sensibilisation allergénique perannuelle ou saisonnière, facteur éventuel de déclenchement des
poussées, alors que l’exposition solaire en est le facteur déterminant et
constant.
La notion de conjonctivite folliculaire ou de conjonctivite papillaire est
issue des ophtalmologistes : ces
constatations macroscopiques orientent plutôt vers l’allergie. En pratique, cette corrélation n’est pas aussi
fréquente qu’il est classique de le
dire.
Enfin, il ne faut pas omettre de
penser aux allergies de contact, exceptionnelles chez l’enfant, plus
pourvoyeuses de blépharite que de
conjonctivite, et qu’il faut évoquer
notamment lorsque de multiples
traitements, notamment topiques,
sont utilisés.
LE BILAN CHEZ L’ENFANT
ATTEINT DE CONJONCTIVITE
ALLERGIQUE : POURQUOI,
QUAND ET COMMENT ?
Nous n’aborderons pas l’allergie de
contact, rare chez l’enfant, pour la-
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J.-L. Fauquert et coll.
J. Fr. Ophtalmol.
cytokines, dont certaines, chimiotactiques, favorisent l’attraction de
lymphocytes CD4 et d’éosinophiles. Des molécules d’adhésion,
comme l’ICAM-1 sont également
impliquées dans cette attraction.
L’activation de ces éosinophiles est
responsable de la phase tardive de
l’hypersensibilité immédiate (Late
Phase Reaction) et des symptômes
survenant 2 à 6 heures après le début de la réaction antigène/anticorps. Parmi les protéines libérées
par l’éosinophile, la protéine membranaire basique (MBP) et la protéine cationique éosinophile (ECP)
jouent un grand rôle au niveau de
la conjonctive. Cette dernière peut
être dosée dans le sang et dans les
larmes.
L’œil est considéré soit comme
un milieu ouvert, soit comme un
milieu fermé, selon le mécanisme
que l’on souhaite explorer et éventuellement impliquer dans la pathologie observée. Ouvert sur l’extérieur, l’œil est un site privilégié
pour recevoir l’allergène aéroporté.
Fermé sur l’organisme, l’œil réagit
pour son propre compte face à cet
allergène. Dans certains cas, l’exploration allergologique de l’œil
peut nécessiter des prélèvements
in situ. Les larmes sont le milieu le
plus facile d’accès, mais l’interprétation de ses composants nécessite
retenue et circonspection. Ainsi,
les larmes ne contiennent pas
d’éosinophiles à l’état basal, mais
la rupture de la barrière hémato
conjonctivale peut leur faire receler
des IgE.
quelle il convient de solliciter le
dermato-allergologue. Nous nous
limiterons à l’exploration de l’allergie médiée par les IgE, traduisant une hypersensibilité immédiate pour laquelle l’allergologue
ou le pneumo-allergologue est
sollicité.
Pourquoi ?
294
La conjonctive est infiltrée à l’état
normal par 5 000 à 20 000 mastocytes par mm3. Les mastocytes
initient la réaction d’hypersensibilité immédiate (fig. 1). Cette hypersensibilité fait intervenir les IgE
spécifiques, que l’on peut doser au
niveau du sang périphérique. Lorsque l’antigène est présenté à ces
IgE spécifiques de l’antigène, il
s’en suit une réaction antigène/
anticorps. La fixation du complexe
antigène/anticorps aux mastocytes, par le récepteur de haute affinité aux IgE, entraîne la dégranulation des mastocytes, responsable
de la libération d’un certain nombre de médiateurs préformés.
Parmi ces derniers, l’histamine provoque une vasodilatation, un infiltrat vasculaire et un œdème qui
rendent compte de l’essentiel des
symptômes de la phase précoce de
l’hypersensibilité
immédiate
(Early Phase Reaction). La tryptase et d’autres médiateurs relèvent aussi de cette réaction précoce. Des médiateurs néoformés
sont également libérés, en particulier des sulfido-leucotriènes, des
prostaglandines D2 ainsi que des
Allergène
IgE spécifiques
LT
PG
CYTOKINES
(chémotactiques)
Mastocyte
HISTAMINE
TRYPTASE
ST PAF
Eosinophile
Phase précoce
EPR
Figure 1 : L’hypersensibilité immédiate (HSI), médiée par les IgE.
Protéines
cytotoxiques
MBP
ECP
Phase tardive
LPR
Quand ?
L’allergie oculaire s’exprime le
plus souvent dans le cadre d’une
rhinoconjonctivite. Dans ce cas, il
ne faut pas négliger l’importance
de l’œil en tant qu’organe cible
de l’allergie, susceptible de complications pouvant évoluer. Dans
un nombre non négligeable de
cas, les symptômes oculaires sont
au premier plan ou surviennent
isolément.
L’examen ophtalmologique est le
préalable indispensable à la prise
en charge allergologique. Cet examen est d’autant plus indispensable qu’il existe une dissociation entre les signes fonctionnels et les
signes physiques de la conjonctivite allergique. Il importe de signaler aussi qu’aucun signe précis
n’oriente vers un déclenchement
allergénique. L’examen à la lampe
à fente permet l’étude de la
conjonctive qui peut mettre en
évidence, après éversion de la
conjonctive tarsale, des follicules
(dont le relief refoule les vaisseaux
en périphérie), dont il faut apprécier la taille et le caractère disséminé ou localisé, le caractère plus
ou moins inflammatoire. Plus souvent, il s’agit de papilles dont le relief est centré sur un vaisseau, plus
ou moins important, considérées
comme géantes lorsque leur diamètre dépasse 1 mm, confinant
alors aux pavés évocateurs de la
forme palpébrale de la kératoconjonctivite vernale. On peut objectiver
une conjonctive succulente, éventuellement des zones de fibrose,
voire d’atrophie. L’examen à la
lampe à fente permet également
l’analyse du limbe ; elle est importante car elle permet la mise en évidence éventuelle de nodules de
Trantas spécifiques de la forme limbique de la kératoconjonctivite vernale, voire d’un bourrelet gélatineux.
L’état de la cornée doit être systématiquement étudié après instillation
d’une goutte de fluorescéine. On
peut mettre en évidence une kératite ponctuée superficielle, voire un
ulcère cornéen. La cornée peut
être le siège d’une néovascularisa-
Vol. 30, n° 3, 2007
tion, d’opacités stromales. On peut
enfin objectiver une plaque vernale. Outre l’examen à la lampe à
fente, il importe de vérifier la réfraction, l’équilibre oculomoteur,
l’état des paupières et de la sécrétion
lacrymale. En effet, des troubles de
réfraction peuvent entretenir une
hyperréactivité conjonctivale non
spécifique.
Au terme de l’examen l’ophtalmologiste, on peut intégrer la
forme observée dans l’une des
5 formes cliniques de conjonctivite
allergique (tableau I) : ainsi la caractérisation de la conjonctivite en
cause incite à rechercher un allergène si un mécanisme de type I est
évoqué.
La conjonctivite aiguë et saisonnière (CAS) est la forme la
plus fréquente. Elle survient en
particulier chez le sujet jeune, associée le plus souvent à une
rhinite. Le prurit et le larmoiement
sont au premier plan. Le déclenchement allergénique des symptômes est habituel : les pollens sont
les plus fréquemment en cause. La
récidive est alors la règle et un bilan allergénique est alors indispensable. Il en est de même lorsque
d’autres allergènes sont suspectés
en tant que facteur de déclenchement itératif (phanères d’animaux,
moisissures), voire des aliments
(poissons, légumineuses, fruits à
coques…).
La conjonctivite allergique
chronique (CAC) partage avec la
précédente le caractère bénin et
l’essentiel de ses symptômes qui
persistent plus de 6 semaines. Les
signes d’appel sont ceux d’une
hyperréactivité conjonctivale non
spécifique, en particulier en milieu
urbain et chez l’adulte : rougeur
conjonctivale, prurit voire douleur
oculaire, sensation de sable dans
les yeux, larmoiement, œil sec.
L’examen clinique peut ne montrer
qu’une conjonctivite papillaire
banale. Le bilan allergénique
s’oriente vers des allergènes à expression pérenne tels que les acariens domestiques ou les poils animaux.
Conjonctivites allergiques de l’enfant : le point de vue de l’allergologue
La kératoconjonctivite vernale (KCV), véritable modèle expérimental de conjonctivite allergique est la moins rare des formes
sévères de conjonctivite allergique.
Elle atteint plus souvent le garçon
que la fille, débute avant 10 ans.
La photophobie est majeure dans
cette conjonctivite très photo dépendante, où le blépharospasme
est fréquent, le larmoiement majeur, le prurit très invalidant. Cette
conjonctivite sévère atteint la
conjonctive tarsale (forme palpébrale avec des paviments bien visibles) ou/et le limbe (forme limbique avec un limbe épaissi, siège de
grains dits de Trantas) et se complique d’atteinte cornéenne (kératite ponctuée superficielle, voire ulcère cornéen), source de séquelles
éventuelles. Un mécanisme allergénique de déclenchement a été
confirmé dans environ 55 % des
cas [3, 4].
La kérato-conjonctivite grave
de la dermatite atopique (KCA),
plus rare, atteint les sujets avec un
lourd passé de dermatite atopique,
et expose aux mêmes complications.
La conjonctivite giganto-papillaire (CGP) qui concerne les sujets portant de lentilles souples ou
de fil persistant au décours d’une
intervention chirurgicale ne concerne en principe pas l’enfant.
Cet examen permet aussi :
– d’exclure une pathologie qui
ne justifie pas de bilan allergénique
comme la rosacée oculaire devant
l’existence de troubles de la sécrétion meïbomienne, la présence
d’éventuelles lésions cutanées ;
– de retrouver des facteurs aggravants comme une sécheresse
oculaire, à vrai dire rare chez l’enfant, sauf circonstances particulières ;
– d’éliminer une blépharite qui
oriente par principe vers une allergie de contact. L’eczéma des paupières n’est pas toujours facile à
reconnaître (si l’érythème est constant, l’œdème peut être très variable et la présence de vésicules inconstante), il est donc très important
de rechercher la notion d’un prurit précédent et accompagnant
l’éruption, élément essentiel pour
éliminer une dermite irritative. Le
prurit peut d’ailleurs constituer
l’unique signe apparent de l’eczéma. Il faut connaître des formes
particulières d’eczéma (forme
œdémateuse, eczéma sec) et noter
sa localisation qui peut orienter la
recherche étiologique (paupière
supérieure relativement épargnée
dans les formes consécutives au
contact avec un collyre ou en cas
de photo allergie). L’atteinte
conjonctivale, associée à l’eczéma,
oriente vers une conjonctivite sévère de la dermatite atopique. Ces
atteintes palpébrales orientent vers
une allergie de contact que nous
ne détaillerons pas.
Comment ?
La preuve du caractère allergique
d’une conjonctivite peut être faite
en deux étapes : (1) mettre en évidence un allergène (c’est-à-dire rechercher un allergène candidat,
auquel l’enfant s’est sensibilisé) ;
puis (2) confirmer l’implication de
l’allergène dans la pathologie en
cause.
Au préalable, l’interrogatoire
doit rechercher des éléments en
faveur d’un terrain atopique (antécédents personnels ou familiaux
proches d’atopie) et analyser le
mode de vie de l’enfant, l’évolution des symptômes et l’efficacité
des traitements.
L’examen clinique peut apporter
des éléments d’orientation vers
l’allergie : une muqueuse nasale
évocatrice d’allergie, des stigmates
d’atopie cutanée (xérose, kératose
folliculaire), une sibilance à l’auscultation pulmonaire.
Quel bilan faut-il pratiquer, sachant que le bilan dit « standard »
est habituellement insuffisant,
qu’il n’existe habituellement pas
de corrélation entre les dosages
sanguins et les dosages lacrymaux
et que de nombreux allergènes
semblent être en cause dans les
conjonctivites à expression per annuelle ? Non seulement des pneu-
295
J.-L. Fauquert et coll.
J. Fr. Ophtalmol.
mallergènes, mais aussi de nombreux trophallergènes, comme
cela est classique chez l’enfant.
Recherche de sensibilisation
allergénique
Elle est guidée par un interrogatoire
précis, qui va au-devant de la notion d’unité de temps et de lieu.
Des tests cutanés sont systémati-
quement effectués, par la technique des prick-tests (fig. 2). Cette
technique est très fiable, reproductible et strictement indolore. Des
dosages d’IgE spécifiques sériques
sont prescrits en fonction des tests
cutanés et des circonstances d’apparition des symptômes. Ces examens doivent permettent d’extraire
une sensibilisation à un aéroaller-
gène banal (acariens de la poussière, phanère animal, moisissures
atmosphériques, pollens à expression saisonnière (graminées, arbres,
herbacées). La recherche d’une sensibilisation alimentaire doit être systématique, en particulier chez l’enfant.
Notre
expérience
en
pathologie oculaire nous permet de
considérer le bilan comme positif
lorsque l’un des deux critères suivants est présent : test cutané supérieur à la moitié du témoin positif
ou IgE spécifiques sériques en classe
I, supérieures à 0,35 UI/mL. Ce bilan
allergénique standard, pratiqué en
ambulatoire, permet de répondre
au cas les plus fréquents.
Analyse de la pertinence
du bilan
296
Figure 2 : Les prick-tests chez l’enfant.
Tableau III
Principales caractéristiques du test de provocation conjonctivale allergénique. [5].
Mécanisme impliqué
Hypersensibilité de Type I
Critère de sensibilisation
Prick-test > 1/2 du témoin positif ou IgE spécifiques
> 0,35 UI/mL
Éviction médicamenteuse
Antihistaminiques & Corticoïdes (2 semaines) ; topiques
(2 jours)
Contre indications
Période d’exposition allergénique ou de symptômes
Consentement
Obligatoire, écrit et éclairé
Médecin
Présence obligatoire
Médicaments à disposition
Corticoïdes et antihistaminiques H1
Médicaments prescrits
Antihistaminiques locaux et généraux
Suivi sur place
2 heures en cas de réaction
Suivi au domicile
24 heures
Examen ophtalmologique Préalable à la lampe à fente
Œil témoin
Controlatéral/sérum physiologique
Taille de la goutte instillée 20 L
Extraits allergéniques
Standardisés, lyophilisés, extemporanés, aqueux
Instillation
Toutes les 30 minutes
Lecture
15 minutes après l’instillation
Il faut confirmer que l’allergène est
bien responsable des symptômes
allégués : l’enfant pourra alors être
considéré comme sensibilisé à tel
ou tel allergène, mais aussi allergique à cet allergène.
La réponse est parfois facile s’il
y a concordance entre un allergène mis en évidence par le bilan
standard et l’exposition allergénique et les notions classiques de
pathologie : exemple de la conjonctivite aiguë et saisonnière avec
une sensibilisation majeure et
élective aux pollens, ou cas d’une
conjonctivite aiguë récidivante systématiquement lors de séjour dans
un lieu hébergeant un animal domestique.
Quand la réponse n’est pas évidente, soit parce que l’entité ophtalmologique n’est pas reconnue
comme de nature allergénique (cas
de la conjonctivite vernale), soit
que la relation entre la sensibilisation et les symptômes n’est pas
évidente, il faut alors pratiquer
un test de provocation conjonctivale allergénique pour lequel le
Groupe d’Ophtalmo-allergologie
(GOA) a défini des recommandations
pour une pratique standardisée [5]
(tableaux III et IV).
Nous utilisons une technique
dérivée de celle d’Abelson et collaborateurs en 1990 [6]. Les traitements topiques sont interrompus
Vol. 30, n° 3, 2007
Conjonctivites allergiques de l’enfant : le point de vue de l’allergologue
Tableau IV
Les deux protocoles de TPC proposés par le Groupe Ophtalmo-Allergo [5].
Protocole
Ambulatoire (A)
Hospitalier (H)
Lieu
Cabinet médical
Hôpital, Clinique
Médecin
Ophtalmologiste
ou allergologue présent
Ophtalmologiste et allergologue
Examen
Ophtalmologique
Préalable
Régulier, à chaque instillation
But
Imputabilité de l‘allergène
Idem + suivi
de désensibilisation + pathologie
non ophtalmo.
Indications principales CAS, CAC
Toutes conjonctivites allergiques
Allergènes
Acariens, Animaux, Pollens, Les mêmes + Latex, Alternaria
Protocole
(dilution en IR)
0,1 — 1 — 10 — 100
3 — 6 — 12 — 25 — 50 —
100
Qualité de la réponse
Qualitative (oui/non)
Quantitative
Critères cliniques
évalués
Prurit (0 à 4)
Prurit (0-4), hyperhémie,
larmoiement, chémosis (0-3)
Seuil clinique
de positivité
>2
>5
Critères paracliniques
de positivité
Inutiles
Utiles
CAS = Conjonctivite aiguë et saisonnière ; CAC = Conjonctivite allergique chronique.
48 heures, et les anti-histaminiques
H1, 2 semaines avant le test. On instille
de quart d’heure en quart d’heure une
goutte de sérum physiologique au niveau de l’œil gauche et, au niveau de
l’œil droit, d’extrait allergénique
aqueux Stallergènes® de moins en
moins dilué. Un examen ophtalmologique est effectué avant et 1/4 d’heure
après chaque instillation. L’ophtalmologiste cote de 0 à 3 la rougeur, le chémosis et le larmoiement. Le patient
côte le prurit et la douleur de 0 à 4. Un
test est considéré comme positif si le
score total initial est multiplié par deux
ou s’il atteint plus de 5 (fig. 3).
Il apparaît donc que la recherche
d’une allergie en présence d’une pathologie de la surface oculaire mérite
un bilan détaillé et surtout une analyse pertinente. Si l’on peut se contenter d’un bilan « minimal », pratiqué en ambulatoire devant une
forme non compliquée, l’allergologue ne doit pas se passer de confrontation avec son confrère ophtalmolo-
giste. Dans les cas complexes, en
particulier devant une kérato-conjonctivite vernale, il ne faut pas hésiter à pousser plus loin les explorations [7]. Notre pratique spécialisée
d’ophtalmo-allergologie nous a conduits à pratiquer en routine des prélèvements de larmes pour dosages
de différents paramètres impliqués
dans l’allergie (éosinophiles et leurs
molécules effectrices, IgE totales et
spécifiques, protéines, molécules
d’adhésions, cytokines). Ces techniques permettent de confirmer la
place de l’hypersensibilité de type I
dans l’allergie oculaire [4].
LES ALLERGÈNES
RESPONSABLES
DES CONJONCTIVITES
CHEZ L’ENFANT
Les allergènes responsables d’allergie
oculaire sont dominés par les pollens
de graminées et les allergènes domestiques.
Les allergènes à expression saisonnière sont les pollens. La pollinose à
expression oculo-nasale est le prototype de la conjonctivite allergique.
Elle survient à une date qui varie selon
la pollinisation et donc du climat et
de la géographie. Les symptômes dominent classiquement entre avril et
juillet si les graminées sont en cause,
mais ils peuvent être plus précoces si
les arbres sont en cause ou tardifs si
les herbacées sont impliqués. La pollinisation des arbres s’étale entre février et l’été. La pollinose classique
aux bétulacées et autres arbres à chatons (fig. 4) s’exprime par une rhinoconjonctivite en février-mars dans la
partie nord de la France. Les bétulacées ont la particularité d’être responsables de sensibilisations croisées
avec de nombreux aliments (fig. 5).
Les pollinoses peuvent survenir vis-àvis des oléacées (frêne dans le nord
ou en montagne et olivier dans le
pourtour méditerranéen), les fagacées (chêne, hêtre), l’érable, le tilleul,
le marronnier… Il existe aussi des pollinoses dites de proximité, qui surviennent lorsque l’enfant s’approche
de l’arbre en phase de pollinisation
(par exemple les cupressacées dont le
thuya et le cyprès). Les herbacées et
les composées pollinisent, quant à elles, en été : ces pollinoses d’été sont
essentiellement dues à l’armoise et à
l’ambroisie. Ainsi, une rhinoconjonctivite peut survenir de façon très prolongée en dehors du printemps. Récemment, on a proposé de remplacer
le terme de rhinoconjonctivite saisonnière, par opposition à la rhinoconjonctivite perannuelle, par le terme de
rhinoconjonctivite intermittente, qui
s’oppose à la forme persistante [8].
Parmi les autres allergènes à expression intermittente, les moisissures peuvent être responsables de
conjonctivites. Leur développement
varie en fonction de conditions extérieures et intérieures d’environnement. Parmi elles, Alternaria alternata est la mieux connue des
allergologues, et Cladosporium la
plus répandue [9].
En réalité, tout allergène à développement perannuel peut aussi
297
J.-L. Fauquert
J. Fr. Ophtalmol.
3
4 5
Anthémidées
Ombellières
P
Céleri
Carotte
P
Armoise
P
P
P
Bouleau
Pomme
Tomate
Pomme de terre
Paprika
Bétulacées
P
Drupacées
Solanacées
P
P
Festucées
Aulne
Phléole
Fagacées
Corylacées
Châtaignier
Chêne
Hêtre
Nothofagus
Pasania
Charme
Charme Houblon
Noisetier
P
Oléoïdées
Frène
Kiwi
Noix
Amandes
Noisettes
P
298
Figure 3 : Test de provocation conjonctivale positif (œil droit).
Figure 4 : Le fruit du bouleau (pollinisation en fin d’hiver).
Figure 5 : Bétulacées (bouleau) et allergies croisées.
provoquer, en fonction des conditions d’exposition, des symptômes
intermittents. Il en est ainsi des
phanères animaux, responsables
de conjonctivites intenses chez
l’enfant. Sont en particulier en
cause le chat, le cheval, les autres
mammifères domestiques. Les
conditions actuelles de vie et l’intensité de la charge allergénique
ont permis de décrire « l’allergie
au chat sans chat » [10].
L’exposition la plus prolongée
dans l’année est celle aux acariens.
Ces arachnides sont les principaux
constituants de la poussière de maison. Ils se nourrissent de squames
de la peau humaine ou animale.
Leur développement est maximal
pour une température optimale de
20 à 25 °C et une hygrométrie relative de 80 %. Leur éviction se
conçoit en particulier pour la chambre de l’enfant : il est recommandé
de limiter le chauffage et d’aérer la
pièce pour réduire l’hygrométrie,
d’aspirer régulièrement le sol qui ne
doit pas être revêtu de moquette ;
une attention particulière doit être
apportée à la literie de façon à ne
pas favoriser le développement des
acariens. D’autres pneumallergènes
peuvent aussi être en cause,
comme la blatte ou le latex, mais
leur implication dans les conjonctivites de l’enfant n’est pas clairement étayée.
Parmi les autres résultats colligés
dans notre expérience en ophtalmo-allergologie, on relève la fréquence des sensibilisations alimentaires constatées chez des enfants
atteints de conjonctivite chronique
et vernale, en particulier vis-à-vis
des fruits à coque, du poisson, de
diverses légumineuses dont l’arachide.
CONCLUSION
La mise en évidence d’une allergie
chez un enfant atteint de conjonctivite implique la pratique de
mesures d’éviction allergénique.
Lorsque ces mesures sont insuffisantes pour limiter les symptômes
ou lorsqu’elles sont impossibles, la
pratique d’une désensibilisation est
justifiée. La pratique d’un test de
provocation est souvent nécessaire,
en particulier lorsqu’il y a une polysensibilisation, devant les formes
sévères (KCV), ou lorsque le doute
persiste quant à l’implication de l’allergène. Ce traitement est dirigé
par l’allergologue ; toutefois, un
traitement concomitant et un suivi
ophtalmologique restent indispensables, d’où l’absolue nécessité
d’une collaboration entre l’ophtalmologiste et les autres médecins
impliqués dans la prise en charge
des conjonctivites chez l’enfant.
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