Exclusif. Un palmarès de la formation des internes montre que la

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Exclusif. Un palmarès de la formation des internes montre que la
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Mercredi 19 mars 2014 - N° 21624 - www.leparisien.fr
1,10 €
Exclusif.
Un palmarès
de la formation
des internes montre
que la qualité
de l’enseignement
des futurs médecins
varie en fonction
des villes.
(Pages 2 et 3)
(Burger/Phanie.)
Votre médecin
est-il vraiment
bien formé ?
LE FAIT DU JOUR
DE FORTES DISPARITÉS DU NORD AU SUD
7e Amiens
142 pts
22e Reims
246 pts
8e Rouen
145 pts
26e Caen
273 pts
1re année :
concours de in d'année
très sélectif (10 à 30 % de
reçus selons les facs)
2e et 3e années :
formation générale en
médecine
4e,5e et 6e années :
externat (stages hospitaliers
et cours théoriques)
Fin de 6e année :
concours de l'internat.
L'élève choisit sa discipline
(cardiologie, médecine
générale, ophtalmologie…)
et sa ville d'enseignement
(Lille, Lyon, Marseille…)
où il reste pendant tout son
parcours.
23e Strasbourg
256 pts
4e Paris
96 pts
10e Brest
151 pts
6e Nancy
109 pts
15e Rennes
152 pts
Dijon
11e Tours
155 pts
19e 208 pts
13e Besançon
158 pts
2e Angers
93 pts
13e Poitiers
158 pts
9e Saint-Etienne
146 pts
21e Lyon
245 pts
Limoges
268 pts
16e Grenoble
173 pts
17e Clermont-Ferrand
176 pts
Bordeaux
179 pts
12e Montpellier
157 pts
5e Toulouse
98 pts
Indien
20e Océan
212 pts
25e Nice
272 pts
28e Marseille
325 pts
Source : Intersyndicat national des internes.
LP/Infographie - M.G.
3e cycle
Classement
de 1 à 28
3e Nantes
95 pts
des facultés
de médecine
où sont formés
24e
les internes.
Les points
correspondent
aux notes attribuées
par les internes
eux-mêmes.
Moins la ville
18e
a de points,
mieux elle
est classée.
27e Antilles-Guyane
320 pts
1er cycle
1er Lille
70 pts
1 Qui a réalisé cette étude ? L’In-
tersyndicat national des internes
(Isni), représentatif de l’ensemble
des internes, a mené cette première
enquête nationale sur le thème de la
formation des médecins. Elle a été
réalisée du 3 juillet au 31 octobre
2013. Sur un total de 21 000 internes,
5 600 (soit plus du quart) ont répondu au questionnaire. La méthodologie a été élaborée avec le service de la
statistique de la faculté de Nancy.
1 Quelles étaient les villes retenues ? Les 28 villes retenues sont
celles où existent un centre hospitalier universitaire, et donc une faculté
de médecine. Paris regroupe plusieurs CHU, au sein de l’Assistance
publique-Hôpitaux de Paris, de
même que Lyon, avec les Hospices
civils de Lyon, et Marseille, avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille.
1 Sur quoi portaient les questions ? Quatorze critères ont été retenus, permettant d’évaluer l’efficacité de la formation : qualité des
cours, organisation, évaluation des
étudiants, possibilité d’avoir accès à
des demi-journées de formation…
1 Comment le classement a-t-il
été établi ? L’Isni a calculé la
moyenne pour chaque critère, par
ville d’affectation des étudiants en
médecine, permettant pour chaque
ville d’obtenir un score, en points.
Moins on a de points, meilleur on
est. Cela permet ensuite de dresser
un classement ville par ville. Arrive
ainsi en tête Lille, (70 points), devant
Angers (93 points), Nantes
(95) points et Paris (96 points), alors
qu’en queue de peloton figurent Nice
(272 points), Caen (273 points), les
Antilles-Guyane (320 points) et Marseille (325 points).
M.P.
Les études de médecine,
comment ça marche ?
Spécialité
Les dessous
de l’enquête
03
2e cycle
Le Parisien
Mercredi 19 mars 2014
7e, 8e et 9e années :
internat. Cours théoriques
et stages dans les services
hospitaliers de la région
où il est afecté. Sous
l'autorité des chefs de
service, les internes
s'occupent des malades,
prescrivent et soignent.
Ils efectuent des gardes,
parfois pendant plus
de 24 heures de suite…
Fin de 9e année :
l'étudiant est diplômé de
médecine.
10e et 11e années :
pour ceux qui choisissent
une spécialité (chirurgie,
oncologie...)
« A Lille, on a de bons
chefs de service »
(BSIP/Jose Oto.)
Adrien Lossouarn, interne au CHU de Lille
(classé premier)
Les 5 000 internes qui ont répondu au questionnaire devaient notamment évaluer la disponibilité des chefs de service.
« A Marseille, c’est vraiment désorganisé »
Jean-Pierre*, interne à Marseille (classée dernière)
ENCORE UN COUP DUR pour la
cité phocéenne. Parfois pointée du
doigt pour son insécurité ou la saleté de ses rues, voici que ce sont les
internes en médecine qui la placent en queue de peloton de leur
classement… Jean-Pierre*, interne
qui tient — prudemment — à garder l’anonymat, nous confie « qu’à
Marseille, l’hôpital est vraiment
désorganisé ». Parmi les points
noirs : une culture du « petit chef »,
autoritariste, et des gardes interminables, en raison d’un absentéisme
fréquent de certains chefs. Marseille est classée dernière pour la qualité des cours ou pour l’organisation,
et avant-dernière pour l’évaluation
des connaissances. Elle se hisse
seulement à la troisième place pour
l’offre de cours, très diverse dans
une vaste agglomération et une région provençale qui regorge de
CHU et de petits hôpitaux.
Mais cela ne suffit pas à susciter
l’adhésion des jeunes carabins :
« C’est un vrai gâchis, car il y a un
gros potentiel dans cette ville, et de
vrais pôles d’excellence, notamment en recherche contre le cancer. Mais les pesanteurs locales
compliquent tout. »
Le sentiment d’insécurité joue
aussi contre la ville : « Quand vous
faites des heures de garde, et que
vous vous faites insulter par des
patients mécontents, qui menacent
de vous frapper parce que vous ne
les avez pas soignés assez vite… ça
ne plaide pas pour Marseille »,
conclut Jean-Pierre.
M.P.
*Le prénom a été changé.
LE FUTUR MÉDECIN est « très
satisfait » que les internes mettent
sur la plus haute marche du podium la métropole lilloise pour la
qualité de ses études de médecine.
Pour Adrien Lossouarn, qui se forme en ce moment à l’ophtalmologie, l’enseignement reçu est tout
simplement « top ». « Tous les internes vous le diront, on est très
contents ici. On a de très bons chefs
de service. » Comment expliquer ce
succès de la capitale des Flandres ?
« Elle accueille l’un des plus gros
CHU de France. Les professeurs
sont très expérimentés et très pointus dans le domaine de la recherche. » De fait, au cours de sa formation, Adrien a alterné des stages au
CHU de Lille mais aussi dans de
plus petits hôpitaux du Nord-Pasde-Calais, et à chaque fois « cela
s’est bien passé ».
« Si on n’a pas été bien
formé, c’est le malade
qui sera perdant »
A quoi tient l’excellence ? En dehors du minimum syndical des
cours, Adrien a eu l’occasion
« d’étudier des pathologies rares.
Ce n’est pas un luxe, on peut y faire
face. Et si on n’a pas été bien formé,
c’est le malade qui sera perdant ». Il
a aussi pu bénéficier d’une bonne
organisation des services hospita-
Adrien Lossouarn se félicite d’avoir pu
étudier des pathologies rares. (DR.)
liers. Ce qui est loin d’être une évidence partout. « D’autres collègues,
en formation dans d’autres hôpitaux, nous expliquent qu’ils sont
tout le temps obligés de s’occuper
des malades, parce que les médecins seniors se sont trop défaussés
sur eux ou se sont mal organisés. »
Il ne nie pas, évidemment, que
l’interne doive être disponible…
mais encore faut-il qu’ils aient un
peu de temps pour apprendre leur
métier de façon théorique et approfondie, « sinon on ne pourra pas
devenir de bons médecins, c’est
aussi simple que ça ».
M.P.
LE FAIT DU JOUR
Le palmarès de la
formation des médecins
1 L’ÉDITO
Exigence
de qualité
L
a réalité hospitalière
est terrible. Le système
est complètement
saturé, les médecins sont
débordés… On le sait : sans
les internes, l’hôpital public
ne serait sans doute pas ce
qu’il est aujourd’hui. Ils
sont corvéables à merci,
travaillent dans des
conditions souvent
précaires de 65 à 70 heures
par semaine, enchaînent
parfois 24 heures d’affilée.
Bien qu’ils ne soient pas
encore docteurs en
médecine, ils assument des
responsabilités qui ne
devraient appartenir qu’aux
professionnels. Ils le font
par passion. Alors, la
moindre des choses serait
de leur offrir une formation
de qualité. Où que ce soit en
France.
EXCLUSIF. « Le Parisien »- « Aujourd’hui en France » publie le classement des facultés
et hôpitaux qui forment le mieux les internes. Lille est en tête, Marseille ferme la marche.
PREMIER Lille, quatrième Paris…
et dernier Marseille. Ce n’est pas le
nouveau classement du Championnat de France de football, mais celui
des facultés de médecine. En exclusivité, notre journal dévoile le palmarès de la formation des internes en
médecine, ville par ville. Avec ce
classement, vous allez savoir si le
médecin qui exerce en bas de chez
vous a été bien formé. En regardant
sa plaque, vous verrez si « l’ancien
interne des hôpitaux de… » vient
d’une bonne fac ou non.
Ce n’est pas le seul critère, mais le
niveau de la formation change beaucoup de choses pour la qualité des
soins. Quelque 5 000 médecins internes (sur un total de 21 000 en
France) ont répondu au questionnaire de l’Intersyndicat national des internes (Isni) dont nous reproduisons
les résultats. Leurs conclusions, avec
Lille en tête, font écho d’ailleurs à
certaines publications de référence,
comme le palmarèshôpitaux et cliniques 2013 du « Point » qui classait en
premier le CHU de Lille. Et si les internes sont sévères avec Marseille, en
lui donnant le bonnet d’âne, le palmarès de l’hebdomadaire allait dans
le même sens en classant seulement
à la 33e position le premier établissement phocéen.
Quant à Paris, il occupe une honnête quatrième place, sans plus. Ces
différences, d’un endroit à l’autre,
s’expliquent par des différences de
JEAN-MARIE MONTALI
[email protected]
1 LES CLÉS
Les
internes. Ce sont
des médecins en formation, à partir de
la 6e année, qui pratiquent des soins et
prescrivent, sous l’autorité d’un chef de
service à l’hôpital. Dans le même
temps, ils reçoivent une formation
théorique à la faculté de médecine
dont dépend leur CHU. Les chefs de
service leur dispensent des cours en
faisant la « tournée du staff » le matin
lors de la visite aux patients. Dans les
faits, les internes sont souvent
corvéables à merci pour faire tourner
les hôpitaux.
Les gardes.
gouvernement, définit le nombre de
futurs médecins autorisés à passer en
2e année de médecine. De fait, cela fixe
le nombre de nouveaux médecins par
an. En 2014, le « NC » est identique à
celui de 2013 : 7 492 étudiants pourront
intégrer la deuxième année (soit
seulement 20 % de réussite).
Répartition.
Ce numerus
clausus est réparti par académie. Il est
fixé à 2 238 étudiants pour Paris,
733 pour Lille, 631 pour Lyon, 315 pour
Marseille, 235 pour Tours...
Bientôt
une réforme
1
niveau dans les pratiques professionnelles d’une fac à l’autre, d’un CHU à
l’autre.
En terrain miné
Comment améliorer la situation ? Le
président de la conférence des
doyens d’université, Dominique Perrotin, par ailleurs chef de la réanimation au CHU de Tours, explique que
« la formation des internes à la française, qui se fait essentiellement au
lit du malade, doit être préservée,
mais aussi améliorée. Mais il faut
être un peu plus exigeant au niveau
universitaire. On doit davantage évaluer les étudiants ». Ce sera l’enjeu
d’une réforme que prépare le gouvernement. Attention, terrain sensible,
les hôpitaux sont déjà sous tension, il
ne faudrait pas qu’une révolte des
jeunes carabins mettent le feu aux
poudres.
Un rapport sur la réforme des
études de médecine est sur le
bureau de la ministre de
l’Enseignement supérieur, Geneviève
Fioraso, et sur celui de la ministre
de la Santé, Marisol Touraine. Ses
recommandations devraient être
publiées dans huit jours. Fruit de la
réflexion d’un groupe de travail, il
formule des propositions pour
réorganiser le troisième cycle des
études de médecine, c’est-à-dire le
fameux internat. « Ce rapport
servira de base à une réforme des
études de médecine. Actuellement,
la culture de l’évaluation des
étudiants n’est pas assez poussée.
Il faut aussi renforcer la
pédagogie », estime un des experts
consultés.
L’un des objectifs de la réforme est
aussi de trouver une solution pour
que les internes, tout en continuant
à remplir leurs obligations de
service, ne pâtissent pas, au cours
de leur formation, de la pression
incessante des soins. « Tout le
monde a constaté une dérive en ce
sens au cours des dernières années.
Il faut rapidement trouver des
solutions », estime l’expert.
MARC PAYET
M.P.
« Le niveau varie beaucoup » « A Paris, nous avons
Emmanuel Loeb, président de l’Intersyndicat
Les internes
sont soumis à des gardes, périodes
pendant lesquelles ils sont à l’hôpital
pour faire face aux urgences et au suivi
des malades. Les gardes ne peuvent
théoriquement pas dépasser vingtquatre heures de suite. Ce qui est déjà
énorme au regard des responsabilités.
Un médecin senior est toujours
joignable… en théorie. Dans la foulée, ils
ont droit à un « repos
compensateur »… pas toujours
accordé. « On est souvent au bord de
l’épuisement », confient-ils.
national des internes (Isni)
INTERNE en psychiatrie, Emmanuel Loeb,
qui préside l’Isni, a réagi aux résultats de
l’étude.
Quels enseignements
tirez-vous de cette
étude sur la
formation des
internes ?
(PhotoPQR/« la Voix du Nord »/Pascal Bonniere.)
Numerus
clausus.
Ce chiffre, fixé annuellement par le
Le Parisien
Mercredi 19 mars 2014
EMMANUEL LOEB.
On constate que la qualité de leur formation
varie beaucoup en
fonction de la région où ils sont affectés. Selon ce que nous disent plus
de 5 000 internes — un chiffre
considérable —, il y a une très grande
hétérogénéité, le niveau varie beaucoup. Or, les Français ne le savent
pas et croient que toutes les formations de médecine se valent… C’est
faux. Avec notre classement, ils peuvent le constater.
Lille est en tête, Paris quatrième,
Marseille dernier…
Que faut-il en déduire ?
A nos yeux, la qualité de la formation
renvoie à l’implication ou non de
certains chefs de service, au rôle stratégique des doyens d’université. Se
posent parfois des questions de sécurité des soins pour le patient, car
dans certains services les internes
doivent rester de garde 24 heures sur
24, sans repos compensateur ensuite. Ce n’est pas très rassurant pour
les malades.
Les patients sont-ils
mieux soignés à
Lille qu’à Marseille ?
Nous ne disons pas
que les patients des
villes en fin de classement sont mal soignés, car les diplômés
en médecine n’usurpent pas leurs titres.
Mais les internes très
bien formés auront
de meilleures compétences que d’autres.
Dans ce classement, il y a un vainqueur clair, Lille. Ensuite, en termes
de points, un quintet assez resserré :
Angers, Nantes, Paris, Toulouse et
Nancy. Ensuite, vous avez des équipes de milieu de tableau, comme
Tours, Montpellier, Rennes. Puis,
avec un écart important, on trouve à
la 21e place Lyon, ce qui est assez
surprenant. Enfin, Marseille est bon
dernier. Cela prouve qu’il y a un vrai
problème d’organisation de l’enseignement des soins dans la deuxième
ville de France.
(DR.)
02
Qu’attendez-vous
du gouvernement ?
Nous demandons une réforme de la
filière de formation, notamment afin
qu’il y ait davantage d’évaluations
tout au long de nos études. Nous
voulons plus de transparence dans
ce domaine car, dans certaines facultés, c’est assez opaque.
Propos recueillis par MARC PAYET
tout à notre disposition »
Julien Lenglet, interne à Paris, classé 4e
1
La métropole parisienne ne se exceptionnel. On a la chance que
de très grandes pointures de la
sort pas trop mal du
médecine, par exemple le patron
classement des internes, en
des greffes de moelle osseuse, se
finissant quatrième, même si, en
déplacent pour nous faire un
tant que capitale, elle aurait peutcours. C’est magique. »
être dû finir sur la plus haute
Paris est salué aussi parce qu’il
marche pour tenir son rang. Il est
laisse aux internes — parfois — le
vrai qu’elle dispose du plus grand
temps de se former, en allant
complexe hospitalier d’Europe,
assister à des grands congrès
l’Assistance publique-Hôpitaux de
internationaux, comme Julien
Paris, avec à la clé une extrême
Lenglet récemment à celui de la
diversité dans les spécialités
Société américaine d’hématologie
qu’elle propose. Ce qui plaît aux
à la Nouvelleinternes !
Orléans, aux
Sans surprise,
« On a la chance
Etats-Unis.
Paris arrive en
que de très grandes
Plusieurs
tête dans le
pointures de la médecine bémols,
classement
se déplacent pour nous toutefois. « On
des offres de
n’a pas
cours. « C’est
faire un cours »
beaucoup de
vrai que l’on peut
dire qu’à Paris, et autour en Ile-de- temps à nous, en raison de l’afflux
très important de malades dans
France, nous avons tout à notre
les hôpitaux parisiens. On est
disposition en matière d’offres de
souvent à flux tendus », regrette
soins, et donc de stages
Julien Lenglet. Par ailleurs, les
hospitaliers », explique Julien
internes critiquent une sousLenglet, 31 ans, interne en
utilisation d’Internet dans la
hématologie, spécialisé dans le
formation. Paris n’arrive que
traitement du cancer du sein. Il
13e sur 28 pour le classement par
est actuellement en stage à
supports pédagogiques, preuve
l’hôpital d’Argenteuil (Val-d’Oise),
qu’il y a encore des marges de
après avoir effectué plusieurs
progression sur ce point…
stages à l’hôpital Saint-Louis, à
M.P.
Paris (Xe). « Là, c’était tout à fait