Olivier Galibert Le communautarisme médiaté pris dans le modèle

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Olivier Galibert Le communautarisme médiaté pris dans le modèle
Olivier Galibert
Doctorant en Sciences de l'Information et de la Communication à l'université
Grenoble 3
Gresec, Int/CRITIC
FRANCE
Le communautarisme médiaté pris dans le modèle des
relations publiques généralisées ?
NOTA BENE
_________________________________________________________
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LE COMMUNAUTARISME MEDIATE PRIS DANS LE MODELE DES
RELATIONS PUBLIQUES GENERALISEES ?
Par Olivier GALIBERT,
Doctorant en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université
Grenoble 3, GRESEC, INT/CRITIC.
INTRODUCTION
L’émergence de dispositifs socio-techniques de communications partagées via des réseaux
télématiques nous semble corrélative, voir constitutive, de la structuration des flux
informationnels de ces mêmes réseaux. En France, comme l’atteste les travaux de Josiane
JOUET, le Minitel se développe entres autres par le biais du succès des messageries de
rencontres, véritables “ communautés électroniques ”. Selon ce chercheur, la messagerie Axe,
qui préfigure bien entendu les forums IRC du Net, est “ certes un groupe informel, mais le
partage d’une éthique, les règles d’inclusion et d’exclusion, le prosélytisme auprès des
novices, les rites de communication permettent de l’appréhender comme une communauté1 ”.
D’un point de vue sociologique, la dialectique entre la communauté et la société, construite
sur une vision historique de marche irréversible vers le progrès moderne, du passage de la
communauté archaïque au macro-sujet “ Etat ”, semble se renverser en faveur d’organisations
assurant une socialité primaire. Cependant, loin de nous arracher de la vision postmoderne, la
séparation entre communauté et société nous ramène également à une vision anthropologique
et sociétale qu’il serait bien présomptueux d’affirmer ou d’infirmer aujourd’hui. Comme le
remarquait déjà TONNIES et surtout WEBER, au-delà de l’écrasement de la catégorie de
Gemenschaft par la catégorie moderne de Gesellschaft, la grande majorité des relations
sociales ont en partie le caractère d’une communicalisation, en partie le caractère d’une
sociation2 ”. Ceci rend donc caduque et non-heuristique en ce qui nous concerne la dialectique
“ communauté ” vs “ société ”. Il devient difficile, dès lors, d’appréhender scientifiquement
la communauté en tant qu’entité. En fait, nous ne disposons pas d’un appareillage théorique
validé et adapté à l’identification puis à la compréhension d’une forme sociale communautaire
prise dans nos sociétés occidentales. Encore moins quand le lien communautaire est supporté
par des Techniques de l’Information et de la Communication comme Internet. Dans quel
cadre, alors, développer aujourd’hui une approche empirique du phénomène communautaire
sur le Net ?
Les Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), depuis plus d’une vingtaine
d’années en France, tentent de saisir la complexité de la diffusion et des enjeux sociaux liés à
l’usage des TIC ; ceci qu’elles soient “ nouvelles ” (les supports numériques, multimédia et
interactifs) ou plus “ anciennes ” (le téléphone, la radio, la télévision) dans une perspective
critique, interdisciplinaire et non-déterministe. A l’heure actuelle, il n’existe que trop peu de
travaux appliquant les acquis des SIC au profit d’une circonscription du communautarisme
1
JOUET Josiane, Habilitation à diriger des recherches en Sciences de l’Information et de la Communication,
GRESEC
2
WEBER Max, Economie et Société 1 / Les catégories de la sociologie, Pockett, 1995, p 78
2
médiaté. Aucun, à notre connaissance, ne considère la marchandisation de l’Internet comme
un environnement prégnant susceptible d’influer sur les normes et les formes
communautaires. Il nous semble cependant que le phénomène des communautés virtuelles ne
peut rester étranger aux enjeux financiers dont sont l’objet l’ensemble des contenus et des
services informationnels présent sur le Web. Dès lors, nous tenterons d’expliciter les
stratégies
visant à contrôler, normaliser et orienter, par le biais de services de
télécommunications communautaires, une parcelle de l’espace public numérique que
représente dans l’absolu toute communauté de parole. C’est ainsi que nous questionnerons
pour finir le modèle des relations publiques généralisées identifié par Yves de LA HAYE et
Bernard MIEGE comme cadre explicatif communicationnel de l’évolution du
communautarisme médiaté. Tout en exposant les grandes lignes de notre construction d’objet,
nous tenterons d’évaluer l’heuristique de la généralisation des relations publiques quant à la
prise en compte du communautarisme médiaté marchand, en cours de marchandisation et nonmarchand.
3
1) LE PROCESSUS DE MARCHANDISATION A L’OEUVRE DANS LES COMMUNAUTES
VIRTUELLES
Avec l’avènement des médias interactifs, et de l’Internet en particulier, se voit dessiner
l’espoir d’une recomposition de l’Espace public par l’intermédiaire notamment des
communautés virtuelles. Sans aller, comme Jean-Marc FERRY, jusqu’à entrevoir “ [...] la
disparition de la représentation qui révolutionnerait une démocratie devenue plus
“ acclamative ” que participative 3”(FERRY, 1989, p26), nous sommes plus enclins à
accepter l’idée de la naissance d’un espace public social qui se constitue sur le modèle d’un
espace public scientifique via les réseaux informatiques, “[...] mais cette fois dans le domaine
très intime- sinon “privé ”- des relations de rencontre entre des personnes à la recherche de
partenaires ” (FERRY, op. cit.).
Néanmoins, sans forcément participer d’une logique sociale de marchandisation de la relation
ou de colonisation de l’expérience vécue, force est de constater que les dispositifs sociotechniques de discussions modérées et partagées qui forment le communautarisme médiaté sur
le Net font l’objet de la plus grande attention de la part des acteurs de la “ nouvelle
économie ”4. Le processus de marchandisation sanctionnerait le passage du non-marchand au
marchand. Evoquer la marchandisation de l’espace public semble aller de soi. En effet, nulle
difficulté pour constater que la sphère médiatique, en tant que médium constitutif du débat
démocratique garant de notre système politique, est pour partie privatisée donc régie par la loi
de l’offre et de la demande, et que la publicité nous accompagne jusque sous les abrits-bus.
Le processus de marchandisation du monde vécu, pour reprendre l’expression
d’HABERMAS, semble désormais de l’ordre du sens commun. A côté des constats déjà
évoqués, plusieurs éléments tendent à confirmer le potentiel marchand du communautarisme
médiaté. D’une part nous avons vu poindre une généralisation de discours, le plus souvent
anglo-saxons, sur l’intérêt économique que pouvaient représenter les groupes d’usagers du
Net fédérés autours de thématiques de discussions variées. D’autre part, nous avons pu
observer l’apparition progressive d’espaces publicitaires dans la majorité des portails
communautaires, la présence du “ spamming ” dans les forums de discussions et les “ mailing
list ”, et, enfin, l’émergence de sites d’achats groupés ou d’enchères se proclamant
“ communautés d’acheteurs ”. Ces dernières témoignent de la reproduction des normes
organisationnelles d’un idéal type de forme communautaire sur le Net dans une perspective
lucrative.
Dès lors, nous pouvons tenter d’avancer une description de ce qui peut-être considéré comme une
marchandisation des communautés virtuelles. Ceci servira de pierre de touche à la mise en place d’une
cartographie du phénomène communautaire sur Internet que nous développerons dans le paragraphe suivant.
Tout d’abord, nous observons un processus d’instrumentalisation marketing du
communautarisme médiaté. Pour se faire, nous avons remarqué un mouvement auprès des
spécialistes du "e-business" visant à considérer la reliance électronique d’un point de vue
3
FERRY (J.M.), Les transformations de la publicité politique, in Hermès n°4, CNRS éditions, 1989.
Comme le rappelle Robert KOZINETS dans un article au titre évocateur : Les communautés virtuelles, une
mine d’opportunités , “ on estime que plus de 11 millions de personnes dans le monde – pour la plus part aux
Etats-Unis- ont participé à une “ communauté virtuelle ” [...] Etant donné que 51% des internautes naviguent
tous les jours sur le Web et que les taux de croissance pour les nouveaux venus sont exponentielles partout dans
le monde, il est évident que le nombre, les intérêts et l’influence de ces communautés augmenteront
prodigieusement ”. (http://www/lesechos.fr/formations/marketing/articles/article_11_13.htm)
4
4
fonctionnaliste : la reliance électronique, ou lien communautaire médiaté, produit des effets
que nous pouvons identifier puis utiliser dans un but précis. L’instrumentalisation marketing
des communautés virtuelles peut être considérée comme la première forme,
chronologiquement parlant, du processus de marchandisation du communautarisme
électronique. En 1997, Il s’avérait déjà que les différentes formes de ce phénomène, à savoir
les forums de discussions, les “ mailing list ”, les “ Internet Relay Chat ” et autres “ ICQ ”,
constituaient l’instrument d’une segmentation de la population Internaute. Les communautés
virtuelles, présentées alors comme origine et vecteur d’un Internet libertaire fonctionnant sous
une économie du don, devenait un outil potentiel de la marchandisation amorcée des contenus
et des services en ligne sur ce médium5.
Récemment, nous avons pu observer l’apparition de communautés bâties de toute pièce dans le but de générer du
trafic en fournissant aux usagers des solutions techniques de constitution de forums de discussions ou se
proposant d’héberger gratuitement des pages personnelles ou des communautés déjà constituées. Nous avons pu
observer également la mise en place de communautés d’achats groupées ou aux enchères désireuses de
transformer le territoire virtuel défini par l’échange en véritable place de marché. Par ailleurs, certaines
entreprises ont décidé de constituer des forums de discussions destinés à leurs clients autours de leur marque ou
de leurs produits6. Les communautés médiatées construites autour de l’acte commercial sont désormais une
réalité. Même si nous pouvons mettre en cause l’efficience d’une reliance artefact - marchande, nous assistons là
à un processus de commercialisation qui forme la deuxième grande caractéristique du processus global de
marchandisation du communautarisme médiaté.
Même si les deux faces de ce processus général se sont suivies dans le temps, ils cohabitent aujourd’hui. La
commercialisation ne doit pas être considérée comme l’aboutissement d’une logique sociale mais comme la
facette la plus radicale et ambitieuse de la colonisation marchande des usages dits communautaires du Net.
UNE CARTOGRAPHIE MARCHANDE DU PHENOMENE COMMUNAUTAIRE SUR LE NET
Tout d’abord, nous identifions deux types de communautés marchandes “ artefact ”7. Dans un premier temps, les
communautés commerciales. Ce sont des sites Web qui ambitionnent de former des communautés d’acheteurs.
Ils sont conçus sur la base d’une approche communautaire de l’usager/client (ex : CLUST8), ou bien proposent
un service de “ messaging ” communautaire dans le but d’agréger et de fidéliser les utilisateurs d’un site d’achat
en ligne (ex : IBAZAR9). L’étude de ces communautés nous permet de faire un premier constat sur l’approche
communautaire de l’usager à des fins commerciales et marketing. Ces communautés sont facilement
identifiables par l’intermédiaire des moteurs de recherche grand public. Elles représentent l’aboutissement le
plus visible et le plus avancé de ce que peut être une stratégie communautaire et sont issues du processus de
commercialisation.
Dans un deuxième temps, nous pouvons observer des services “ messaging ”
communautaires de marques. Ce sont des vitrines de sociétés capitalistiques qui considèrent
le Web comme un support possible lors de la construction du “ médiaplanning ”. L’aspect
5
GALIBERT (O.), Emergence et enjeux du communautarisme sur le Web, Mémoire de DEA en Sciences de
l’Information et de la Communication, Université Grenoble 3, 1997, 75 p.
6
PHARMQUEST, un éditeur logiciel spécialisé dans le secteur paramédical, est une des rares entreprises à avoir
pris le risque de constituer les conditions de transversalité et d’interaction nécessaires à la constitution d’une
communauté virtuelle de clients. (Cf. NEUBORNE (E.), L’outil marketing des communautés du Web, Le Monde
du 6 juin 2001).
7
La communauté, en particulier la relation sociale de “ communalisation ”, implique une “ spontanéité ”
immanente. Il peut paraître ambigu, voir paradoxal, de parler de communauté “ artefact ”. Nous buttons sur un
rapport dialectique entre l’organisation artefact et l’institution qu’il nous faudra éclaircir quant à notre objet de
recherche. Cet obstacle à franchir passe par l’éclaircissement théorique de l’idée même de “ spontanéité ”.
8
9
http://www.clust.com
http://www.ibazar.com
5
communautaire est une partie de l’offre informationnelle du site. Le service communautaire
aura pour fonction de fidéliser le client en l’informant sur les produits de l’entreprise et en lui
donnant l’image d’une société qui applique une certaine transparence. Nous nous trouvons ici
dans un processus de commercialisation puisqu’il s’agit de créer un lien communautaire
artificiellement dans un but marchand. La tâche est donc, pour l’entreprise, de fournir un
espace de discussions qui, en théorie, doit permettre de mieux cerner le client ou le prospect
par le biais d’une étude des échanges communicationnelles entre les membres. Le service
“ messaging ” communautaire de marque se présente comme un élément de l’offre globale de
contenus du site. Ce type de services est assez rare puisqu’il impose à l’entreprise de prendre
le risque de ne plus maîtriser totalement sa communication externe. Nous avons pu observer
la mise en place de “ mailing list ” sur de nombreux sites d’entreprises. L’objectif est alors
pour la firme d’informer régulièrement le client (voire le prospect) des nouveautés “ produit ”
ou d’opérations promotionnelles. En l’occurence, ce type de service, si il tient tout à fait du
“ spamming ”, ne peut en aucun être constitutif d’une communauté virtuelle puisqu’il n’y a
pas d’interaction possible entre les abonnés. Le processus de commercialisation est, de fait,
incomplet. Pour les spécialistes des stratégies marchandes Internet, nous sommes alors dans
un marketing one to one, mais pas encore dans un marketing tribal ou communautaire.
Dans un troisième temps, nous identifions des communautés instrumentalisées. Ce sont des
communautés virtuelles possédant au moins une bannière publicitaire ou accusant un accord
d’affiliation avec un site ayant une finalité de profit. Les stratégies publicitaires qui se
développent autours des communautés virtuelles, constitutives des communautés
instrumentalisées, se forment à partir de la force d’attraction, et donc de structuration, que ces
organisations exercent sur les usagers du Net. Comme le notent Christine BITOUZET et
Serge SOUDOPLATOFF, “ la communauté constitue une base de données clients très bien
renseignée dans laquelle le bouche à oreille fonctionne d’autant mieux que les relations
transversales entre clients sont intenses ”10. D’un point de vue historique, l’apparition des
communautés instrumentalisées sanctionne la première étape de la marchandisation du
communautarisme médiaté sur le Net. Notons que l’instrumentalisation marchande peut se
faire avec l’avis des membres de la communauté11. Il n’y a pas forcément de prises de
décisions unilatérales par les gestionnaires de cette dernière.
Dans un quatrième temps, nous avons cru bon de rassembler les communautés non encore
instrumentalisées sous le vocable de communautés instrumentalisables. C’est ainsi que toutes
les communautés virtuelles, aussi bien “ artefact ” que spontanées, nous paraissent
susceptibles de devenir la cible marketing des entrepreneurs du Net. Cette initiative peut
sembler grossière car elle fige dans le temps un processus qui vient tout juste de s ‘amorcer.
De plus, elle implique que l’ensemble du phénomène communautaire ne peut échapper à la
colonisation marchande dont nous tentons de cerner les premières étapes, ainsi que les
prémisses des suivantes. Tout en reconnaissant la valeur hypothétique de cette proposition, il
est à noter que des communautés virtuelles non marchandes peuvent être considérées comme
une segmentation disponible de la population internaute ; ceci rapprochant les communautés
instrumentalisées des communautés instrumentalisables. Egalement, nous remarquons que ces
communautés virtuelles non-marchandes, constituées et animées par des structures
associatives ou par des particuliers, utilisent les procédés marketing tel que l’affiliation ou les
bannières et même les méthodes du marketing relationnel. Outre que les communautés
10
BITOUZET (C.) et SOUDOPLATOFF (S.), Les communautés d’intérêt à l’heure d’internet, ou les barbares
contre les rentiers, Revue Française de Marketing, N°177/178, p 119-137, 2000/2-3.
11
Canal Plus a sollicité l’avis des membres du Deuxième monde pour placer des espaces publicitaires dans cette
communauté (afin notamment de financer la gratuité du site)
6
virtuelles constituent des outils de segmentation de la demande, ainsi que des services ou des
supports publicitaires potentiellement rentables, l’instrumentalisation considérée comme
l’utilisation raisonnée d’un dispositif de communication partagée dans un intérêt
préalablement défini, apparaît comme une évolution possible du communautarisme médiaté,
aussi bien du point de vue marchand que non-marchand. C’est ainsi que le “ modèle des
relations publiques généralisées ” nous semble éclairant. Est-il cependant pertinent pour nous
aider à comprendre toutes les facettes “ communicationnelles ” des communautés virtuelles,
qu’elles soient spontanées ou artefact, marchandisées ou en cours de marchandisation ?
LE MODELE DES RELATIONS PUBLIQUES GENERALISEES : CADRE EXPLICATIF DE
L’EVOLUTION DES COMMUNAUTES VIRTUELLES ?
Selon les perspectives ouvertes par Bernard MIEGE dans le deuxième tome de La société
conquise par la communication, les relations publiques généralisées se présentent comme le
futur modèle dominant dans la constitution de l'espace public. L'espace public se dilue,
s'atomise en une multitude d'émetteurs organisationnels qui participent à une grande
symphonie (brouhaha ?) communicationnelle. Loin d’envisager ici la célèbre formule de
Gregory BATESON : "communiquer, c'est entrer dans l'orchestre", Bernard MIEGE
s'éloigne de la vision cybernétique de BATESON en montrant, entre autre, les enjeux socioéconomiques du nouveau modèle qui "implique la mise en œuvre par les Etats, les entreprises
et les institutions sociales, de techniques de gestion du social dans le cadre de stratégies
élaborées avec plus ou moins de précision, et visant des cibles internes et / ou externes[...]12".
De notre côté, nous observons la constitution de communautés “ artefact ” non-marchandes
(ex : l’économie solidaire et l’associationnisme). Il nous semble que ces dispositifs traduisent
une normalisation marchande dans les moyens (mise en place de stratégies marketing de
communication) comme dans la finalité (générer du trafic). Nous pouvons dès lors émettre
l’hypothèse que la “ communauté virtuelle marchandisée ”, cristallisant le processus de
commercialisation, d’instrumentalisation, ou bien les deux, constitue le modèle universel de
toute communauté virtuelle artefact. Ainsi, la marchandisation du communautarisme médiaté
peut tout à fait prendre part au modèle des relations publiques généralisées. Il nous semble
que la création de communautés virtuelles commerciales et/ou d’intérêts, ainsi que
l’instrumentalisation probable des communautés virtuelles “ sans but lucratif ” impliquent des
politiques et des stratégies marketing.
Cependant, la généralisation des relations publiques ne nous semble pas devoir fournir un cadre explicatif
exhaustif au phénomène communautaire. Ce modèle est limité par les résistances aux processus même de
marchandisation du communautarisme médiaté. En réduisant l’ensemble des communautés virtuelles à des
communautés d’intérêts le plus souvent artefactuelles, nous ne pouvons qu’arriver à la conclusion que ces
dispositifs de mises en relations ne donner lieu qu’à peu de socialisation primaire. Nous sommes alors en
présence d’une tautologie puisque, par définition, le groupe d’intérêt se constitue en dehors de toute socialité
primaire13. Sa fin demeure la mise en commun de compétence dans le but de faire masse et d’atteindre des
objectifs inaccessibles pour l’initiative individuelle. Ainsi, les communautés virtuelles d’intérêts en sont réduites
à des opérations de lobbying. Dès lors, la boucle est bouclée puisque le lobbying est une des composantes
12
MIEGE (B.), La société conquise par la communication tome 2, PUG, Coll. Communication, Médias et
Sociétés, 1997, p122
13
Nous suivons Max WEBER lorsqu’il affirme que la communicalisation et la sociation sont présent en même
temps, mais pas avec la même pregnance, dans la plupart des groupements humains : “ N’importe quelle relation
sociale, si rationnelle en finalité soit-elle et si froidement eût-elle était instituée et déterminée quant à son but
(une lientèle par exemple), peut faire naître des valeurs sentimentales qui dépassent la fin établie par libre
volonté ” (in Max WEBER, Economie et Société tome 1 : les catégories de la sociologies, p79)
7
essentielles des relations publiques considérées comme ensemble des politiques de communication mises en
œuvre par une organisation dans le but de maximiser son image diffusée (communication institutionnelle) ou de
faciliter une opération ponctuelle (communication promotionnelle). Or nombres de dispositifs de
communications communautaires sur Internet ne peuvent être ramenés à des communautés d’intérêts.
Il ne faudrait pas croire que la généralisation des relations publiques, comme mode d’action
rationnel et utilitariste des organisations, remplace les autres modes de communication. Sans
nier la propagation des normes managériales auprès de bon nombre d’organisations nonmarchandes, qu’elles soient de l’ordre du marketing pour la communication externe ou de la
gestion des ressources humaines pour la communication interne, le modèle des relations
publiques généralisées ne nous semble pas devoir épuiser les possibilités d’échanges gratuits
ou affectifs faits en dehors de tout calcul14. La généralisation des relations publiques sousentend une normalisation “ managériale ” de l’ensemble des communications diffusées par, et
dans la communauté virtuelle. En identifiant et en analysant l’instrumentalisation marketing et
la commercialisation à l’œuvre au sein des échanges intra-communautaires et extracommunautaires, nous traitons l’aspect le plus rationalisant de ce que nous pourrions appeler
la “ normalisation électronique communautaire ”. Force est de constater que le
communautarisme électronique, considéré à la fois comme idéologie et comme fait social, est
déjà un vecteur de socialisation normalisant en soi. La communauté électronique structure
l’usage de l’Internet avant même d’être instrumentalisée ou “ commercialisée ”.
Le modèle des relations publiques généralisées tend à réduire à une stratégie l’ensemble des
communications émises par une forme sociale spontanée ou artefact. Ce dernier sous-entend
une maîtrise raisonnée de l’information diffusée par membres ou des leaders de
l’organisation. Ceci implique, d’abord, la rationalisation des processus de communications
dans leur ensemble puis, une vision utilitariste de l’ensemble du dispositif communicationnel
par les membres de ces organisations. Même si cette volonté rationalisatrice existe, les
communautés virtuelles constituent, selon nous, des espaces publics de fait. L’éthique de la
discussion, explicitée par la netiquette et les chartes communautaires, ainsi que la logique du
don, matérialisée par l’échange d’informations ou de produits numérisés, de manière
désintéressée ou dans le cadre du système de don maussien15, nous semblent constituer des
outils théoriques valables quant à la circonscription du phénomène communautaire sur le Net.
A l’intérieur même de services communautaires ou de communautés commerciales, nous
avons pu remarquer la construction de relations affectives qui n’étaient pas commandées par
la recherche du profit mais bien par la volonté “ gratuite ” de créer du lien, d’échanger.
Egalement, nous avons pu constater, au sein de communautés instrumentalisables telles que
les forums USENET, le contrôle du processus de marchandisation par l’intermédiaire d’une
canalisation des messages de type “ spamming ” effectuée de manière drastique mais
spontanée par les usagers eux-mêmes.
Tout ceci nous pousse à formuler l’hypothèse, non pas d’une dissolution de l’espace public
dans la sphère marchande, mais d’une création d’espaces publics marchands, prospérant au
sein de services communautaires ou de communautés commerciales, et échappant pour partie
aux prévisions et autres stratégies managériales mises en exergues par le constat d’une
généralisation des relations publiques.
14
Il n’est ainsi pas rare de voir les membres d’une même corporation , par exemple les ingénieurs télécoms,
demander et recevoir des conseils auprès de “ collègues ” travaillant pour la concurrence au sein de forums de
discussions dédiés.
15
Le système de don décrit par Marcel MAUSS dans son Essai sur le don est une généralisation du don
agonistique compris dans un mouvement en trois temps : donner-recevoir-rendre.
8
CONCLUSION
Nous sommes convaincus que l’hypothèse d’un “ espace public marchand ”, se développant
spontanément à partir d’une visée utilitariste, mais soumis d’une part à une éthique de la
discussion, et d’autre part à une logique du don, nous permettra d’enrichir le point de vue
critique qui a guidé l’ensemble de notre vocation de chercheur en Sciences de l’Information et
de la Communication. Au travers de cette démarche, nous espérons nous dégager des discours
par trop systématiques et normatifs voyant uniquement dans les Techniques de l’Information
et de la Communication des dispositifs de contrôle social plus ou moins efficaces. A défaut
d’un point de vue épistémologique sûr, que nous ne sommes pas en mesure de revendiquer à
ce stade de notre démarche scientifique, nous espérons exclurent notre production de celles
“[...] qui considèrent le plus souvent les gens comme des réceptacles passifs de la
manipulation idéologiques et excluent ainsi du champ de l’histoire les mouvements et les
changements sociaux, à moins qu’ils ne prennent la forme d’évènements exceptionnels et
isolés apparus en dehors du système social16 ”.
Tout en considérant le poids des acteurs de l’offre de produits et de services informationnels,
qu’ils soient industriels du contenu, des contenants ou appareils étatiques ainsi que
l’augmentation des sites à vocation marchande sur le Net (ce qui est un peu différent que
d’affirmer une marchandisation généralisée de l’ensemble des contenus sur Internet), tout en
observant la diffusion des techniques “ marketing ” de gestion du symbolique à l’extérieur ou
à l’intérieur d’organisations marchandes ou non-marchandes, tout en constatant les discours
d’accompagnement en provenance de la sphère marchande mais également de la sphère
étatique, nous ne pouvons saisir la diversité des faits issus de l’insertion sociale des TIC dans
leur globalité. En effet, quels sont alors nos appareillages théoriques, nos grilles de lecture,
nos paradigmes dès lors que nous désirons comprendre des phénomènes ou des formes
sociales émergentes qui se nourrissent également d’échanges non-marchands d’informations
ou de biens, de services alternatifs de “ Pear to Pear ” permettant la diffusion de produits
culturels numérisés de manière gratuite17, de chartes communautaires inspirées d’une
netiquette profondément libertaire et admises par les usagers, de socialisation basée sur
l’amitié ou l’amour ? Doit-on radicaliser avec Jeremy RIFKIN le constat péremptoire d’une
colonisation marchande de la relation via les “ Technologies R ” définies comme les
“ Technologies relationnelles ”, débouchant sur “ l’organisation scientifique du
consommateur ” puis, de manière inexorable, sur le “ contrôle du consommateur ” ? Doit-on
consacrer nos recherches à dénoncer de manière quasi-manichéennes les manipulations
communicationnelles des stratèges du Marketing ? Doit-on ensuite envisager, dans une sorte
de bouclage critique radical, ce qui ne rentre pas dans le champ du processus de
marchandisation comme des tactiques de résistance anecdotiques, des braconnages réactifs
face à des stratégies visionnaires aliénantes soi-disant omnipotentes ? Doit-on également
traiter les échanges non-marchands ou gratuits comme des offres promotionnelles visant à
“ trouver la meilleure façon d’établir, de maintenir et de renforcer les relations avec leurs
clients ”, ramenant le non-marchand à un système de don utilitariste et aliénant proche du
Potlatch ?
16
CASTELLS (M.), La société en réseaux : l’ère de l’information, Fayard, 1998, p380
Nous avons conscience que le prix des télécommunications locales en France ne permet pas une
démocratisation de ce type de services. Néanmoins, la situation de concurrence amorcée dans les pays européens
depuis la déréglementation va progressivement se traduire par une baisse des tarifs et par conséquent par un
accès facilité au Net.
17
9
Malgré le développement des communications organisationnelles basées sur les préceptes du
marketing (préceptes qui ne semblent pas, à première vue, unifiés, voire acceptés par
l’ensemble des théoriciens de ce champ18), le modèle des relations publiques généralisées
propose une vision utilitariste critique de la communication organisationnelle (à considérer
au sens large du terme comme l’ensemble des messages émis de manière volontaire ou nonvolontaire par l’ensemble des acteurs d’une forme sociale spontanée ou artefact pour
reprendre la formulation de HAYEK, aussi bien en direction de l’environnement externe de
cette organisation que vers les membres ou les actants de cette dernière). Nous ne pouvons
nier l’heuristique de ce modèle quant à la compréhension des phénomènes des communautés
virtuelles sur Internet puisqu’il nous semble encadrer avec à propos le processus de
marchandisation dont nous avons dégagé les grandes lignes. Cependant, nous ne devons pas
perdre de vue que notre hypothèse de départ n’en est pas évacuée pour autant. Le fondement
de notre démarche est de débusquer la socialisation non pas à côté ou au-delà mais dans la
marchandisation des relations au travers de l’instrumentalisation marketing et de la
commercialisation des communautés virtuelles. Nous avons cristallisé notre “ critique d’une
approche critique radicale ” du phénomène des communautés virtuelles autours de la logique
du don et de l’éthique de la discussion. Sur le plan empirique, il nous faudra donc comprendre
le processus de marchandisation à l’œuvre au travers d’une analyse des représentations des
acteurs de l’offre de contenus à vocation “ communautaire ”. Puis, nous devrons mesurer
l’efficience d’une éthique de la discussion par le biais d’une analyse des normes formelles
(ex : chartes communautaires, netiquettes) et informelles (ex : identification des processus de
modération via une analyse des conversations ou des prérogatives du modérateur) ; nous
pourrons mieux cerner l’hypothèse d’un espace public marchand. Enfin, nous tenterons de
remettre en cause la notion même de marchandisation de la relation, comme cadre explicatif
global de l’évolution du communautarisme électronique. C’est ici que nous mettrons à
l’épreuve le don et l’éthique de la discussion comme paradigmes alternatifs valables de la
compréhension de l’ensemble du phénomène communautaire sur Internet dans une
perspective “ habermaussienne ”, pour reprendre l’expression heureuse d’Alain CAILLE.
18
Rappelons à ce sujet que les travaux de Bernard COVA ou Olivier BADOT, spécialistes du Marketing
relationnel, sont loin de faire l’unanimité au sein des Sciences de Gestion, tout du moins en France.
10
BIBLIOGRAPHIE
BITOUZET (C.) et SOUDOPLATOFF (S.), La communautés d’intérêt à l’heure d’internet,
ou les barbares contre les rentiers, Revue Française de Marketing, N°177/178, p 119-137,
2000/2-3.
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