"Réalisme, Réalismes : actualité d`un débat esthétique" > pdf
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Cycle de cinq conférences du 22 mai au 19 juin 2006 Informations 01 40 20 55 55 www.louvre.fr Réservation 01 40 20 55 00 Programmation Marcella Lista assistée de Véronique Quérolle et Clélia Zernik Poser la question du réalisme c’est avant tout revenir sur l’un des débats les plus épineux de la littérature artistique. La célèbre critique attribuée à Poussin par Bellori, selon laquelle Caravage serait venu au monde pour «détruire la peinture», évoque une sorte de trauma, une réflexion sur les limites du champ artistique. Lorsque Baudelaire, quelque deux siècles plus tard, dénonce chez les «réalistes» de son temps l’utopie de vouloir restituer «l’univers sans l’homme», c’est la légitimité de l’auteur qui est soulevée : la place de l’artiste comme sujet percevant, pensant et agissant dans l’œuvre. Par les atteintes qu’il paraît porter aux fondements mêmes de l’esthétique occidentale, le réalisme a ouvert au cours de l’histoire autant de brèches dans son contexte de réception, et autant de hauts commentaires critiques. A plus forte raison, sans doute, les réalismes se sont renvoyés l’un à l’autre au cours des siècles, comme le montre la fortune des Frères Le Nain à l’époque de Courbet, puis à nouveau dans les années 1930. Dans un essai récent, intitulé Le retour du réel : l’avant-garde à la fin du siècle (Cambridge, 1996, traduction française : La Lettre Volée, 2006) l’historien américain Hal Foster fait cependant remarquer combien cet engouement cyclique pour le réel dans l’art, dont nous sommes témoin aujourd’hui même, a connu toutes sortes de transformations et de dérives depuis la modernité, aboutissant à un brouillage des notions de «réalisme» / «réalité» / «réel» dans la critique artistique contemporaine. Le développement des images mécaniques censées «reproduire» ou «simuler» à la perfection le réel visible jusqu’à remplacer l’action humaine (photographie, film, vidéo, médias numériques) d’une part, l’essor des sciences humaines, venues doter le discours de multiples outils d’analyse pour étudier les «langages» de l’art en rapport à la réalité perçue, d’autre part, ont progressivement déplacé les jeux d’opposition que la théorie de l’imitation du XVIIe siècle avait mis au jour et durablement instaurés. Comment le discours sur l’art, son extension dans les visual studies et sa sensibilité croissante aux questions anthropologiques, peuvent-ils aujourd’hui approcher et renouveler ce débat ? Une série de conférences, de discussions et de projections réunit des recherches récentes, croisant la lecture des œuvres historiques avec ces préoccupations contemporaines dans l’art et la critique. Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), La Grande Odalisque, musée du Louvre © RMN / H. Lewandowski. Réalisme, réalismes : actualités d’un débat esthétique Michelangelo Merisi, dit Le Caravage, L'Incrédulité de Saint Thomas ,1601-1602, huile sur toile, Schloss Sans Soucis, Potsdam © Stiftung Preußische Schlösser und Gärten Berlin-Brandenburg. Lundi 22 mai 2006 à 18h30 Caravage : l’invention de l’absorption par Michael Fried, The Johns Hopkins University, Baltimore Dans cette conférence, Michael Fried montre comment la tendance à l’« absorption » du spectateur a tout d’abord émergé, en tant que problématique centrale pour la peinture occidentale, dans les années autour de 1600. A cette époque, le phénomène ne s’observe nulle part ailleurs de manière plus significative que dans l’art de Caravage. Le lien entre absorption et réalisme qui peut être mis en évidence dans sa peinture restera fondamental tout au long des siècles suivants. 2 Michael Fried est professeur d’histoire de l’art à l’Université John Hopkins de Baltimore. Il s’est fait connaître en 1967 avec un essai consacré à la place du spectateur dans des œuvres d’art minimal : « Art and Objecthood » (repris dans le volume Art and Objecthood : Essays and Reviews, University of Chicago Press, 1998). Cette question a donné lieu à une relecture de la peinture moderne et du rapport qu’elle instaure avec le réel et avec le spectateur, avec une série de publications : Absorption and Theatricality : Painting and Beholder at the Age of Diderot (University of Chicago Press, 1988), traduit en français sous le titre : Esthétique et Origine de la peinture moderne, tome I : La place du spectateur (Gallimard, NRF Essais, 1990), suivi d’un deuxième tome consacré à Courbet ( Le réalisme de Courbet, Paris, Gallimard, 1993), puis d’un troisième dévolu à Manet (Le modernisme de Manet, Paris, Gallimard, 2000). Michael Fried a produit de nombreux essais sur la peinture du XIXe siècle : Menzel’s Realism : Art and Embodiement in Nineteenth-Century Berlin (Yale University Press, 2002), Realism, Writing, Disfiguration : On Thomas Eakins and Stephen Crane (University of Chicago Press, 1988). Il est également auteur de poésie (son dernier recueil paru est The Next Bend in the Road, University of Chicago Press, 2004), et prépare actuellement deux ouvrages : l’un sur la photographie depuis Bernd et Hilla Becher, le second sur Caravage. Lundi 29 mai 2006 à 18h30 La Réforme et l’exécution de la mimesis par Keith Moxey, Columbia University, New York La mimesis a été l’une des causes de la Réforme en Allemagne. Qu’est-ce qui a conduit certains peintres, tel Lucas Cranach, à la rejeter, tandis que Hans Holbein entreprit au contraire de l’investir d’une nouvelle signification ? La conférence éclaire comment l’attaque iconoclaste contre les traditions naturalistes de la peinture médiévale a conduit les artistes à élaborer une nouvelle légitimité pour l’impulsion mimétique. Hans Holbein le Jeune, Erasme écrivant , 1467-1536, Huile sur bois, 42 x 32 cm, musée du Louvre © RMN/ H. Lewandowski Keith Moxey est Ann Whitney Olin Professor à l’Université Columbia de New York. Il est l’auteur aussi bien d’ouvrages d’historiographie et de philosophie de l’art, que de textes sur les peintres du XVIe siècle en Europe du Nord. Parmi ses principales publications figurent notamment : Pieter Aerster, Joachim Beuckelaer, and the Rise of Secular Painting in the Context of the Reformation (New York, Garland Publishers, 1977), Peasants, Warriors, and Wives: Popular imagery in the Reformation (University of Chicago Press, 1985 et 2005), The Practice of Theory : Poststructuralism, Cultural Politics ans Art History (Cornell University Press, 1994), The Practice of Persuasion: Politics and Paradox in Art History (Cornell University Press, 2000). Il a également dirigé plusieurs anthologies, notamment : (avec Norman Bryson et Michael Ann Holly), Visual Culture : Images and Interpretations, Wesleyan University Press, 1994 ; (avec Michael Ann Holly), Art History, Aesthetics, Visual Studies, Clark Art Institute, 2002. 3 Lundi 5 juin 2006 à 18h30 La place des choses. Le lieu de la nature morte de la Renaissance à nos jours par Etienne Jollet, université Paris-X notion de lieu. Il peut s’agir de celui que les motifs occupent, ou de celui de leur provenance, ou encore celui de leur destination ; il peut s’agir également du lieu fictif défini par l’œuvre, mais aussi de l’espace dans lequel celle-ci va s’insérer – l’espace « réel », celui du spectateur. Pour rendre compte de ces jeux complexes non pas tant de lieux que de circulation entre des lieux, on s’attachera à montrer comment le rapport à la réalité peut être suscité par l’intégration de la nature morte dans un espace bâti, sous l’espèce du trompe-l’œil (ainsi pour les xenia antiques et dans les premières natures mortes de la Renaissance) ; comment il est défini dans la nouvelle configuration qu’offre le tableau déplaçable depuis l’époque moderne, notamment par son intégration dans des lieux spécialisés (cabinets de curiosité ou musées) où se joue la «motivation» ou la «neutralisation» du lien à l’environnement ; enfin comment la question du rapport au lieu fait retour, à l’époque contemporaine, en dehors du cadre du tableau, avec les réflexions sur les limites topographiques et conceptuelles de l’œuvre d’art (ainsi dans la pratique de l’installation). Etienne Jollet est professeur d’histoire de l’art moderne à l’Université de Paris X-Nanterre. Parmi ses principaux ouvrages figurent notamment : Watteau. Les fêtes galantes (Paris, Herscher, 1994), Chardin. La vie silencieuse (Paris, Herscher, 1995, rééd. 1998), Jean et François Clouet (Paris, Lagune, 1997), Figures de la pesanteur : Newton, Fragonard et « les hasards heureux de l’escarpolette » (Nîmes, Jacqueline Chambon, 1998). Il a également publié les écrits du premier critique d’art français, La Font de Saint-Yenne (La Font de SaintYenne : Œuvre critique, Paris, ENSBA, 2001). Il termine la rédaction d’un ouvrage à paraître à l’automne 2006 aux éditions Hazan, intitulé : La place des choses. Les lieux de la nature morte de l’Antiquité à nos jours. Pieter Boel, Allégorie des vanités du monde, 1663, huile sur toile, 207 x 260 cm, Lille, musée des Beaux-Arts,© RMN /Philippe Bernard. La nature morte constitue l’un des genres privilégiés sitôt qu’il s’agit de rendre compte de l’intérêt dont témoigne l’art occidental pour la réalité. La représentation d’objets ou d’êtres inanimés correspond de manière particulièrement claire aux injonctions fondamentales de ressemblance, de vraisemblance et de convenance, en d’autres termes le respect d’une triple norme relevant des registres perceptif, cognitif et moral. Or la mise en cause, dans l’art contemporain, de ces trois normes rend plus sensible au rôle que joue, dans le rapport à la réalité défini par l’œuvre, le lieu dans lequel les motifs prennent place. Encore faut-il s’entendre sur cette problématique 4 Lundi 12 juin 2006 à 18h30 L’hallucination artistique : un ailleurs du réalisme par Jean-François Chevrier, Ensba, Paris Étudiée par la psychiatrie comme le phénomène déterminant de la discipline, l’hallucination est l’expérience des ambiguïtés d’une perception altérée par la vision. La notion d’hallucination artistique, définie par Flaubert en 1866, permet de reconsidérer les relations entre l’exigence d’actualité du réalisme (Courbet) et l’intériorisation du fantastique, qui caractérise l’art d’imagination depuis le néo-romantisme (Redon) jusqu’au surréalisme (Miró). Jean-François Chevrier est historien et critique d’art. Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, il enseigne à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris depuis 1988. Depuis 1994, il y anime en outre le séminaire «Des territoires». Ses principaux centres d’intérêt sont les échanges entre littérature et arts visuels au XIXe et au XXe siècles, l’art moderne et contemporain, l’histoire de la photographie et l’architecture. Fondateur et rédacteur en chef de la revue Photographies (1982-1985) ; conseiller général de la «Documenta X» (1997) ; commissaire de nombreuses expositions internationales, accompagnées de livres-catalogues, parmi lesquelles : «Une autre objectivité/Another Objectivity» (Londres, Paris, Prato, 1988-89), «Foto-Kunst» (Stuttgart, Nantes, 1989-90), «Walker Evans et Dan Graham» (Rotterdam, Marseille, Münster, New York, 1992-94), «Des territoires» (Paris, 2001), «Öyvind Fahlström» (Barcelone, Lucca [Italie], North Adams [USA], Newcastle, Villeurbanne, 2000-2002), «L’Action Restreinte» (Barcelone, Nantes, 20042005) … Odilon Redon, Le chêne , carton, musée d'Orsay © RMN / Thierry Le Mage 5 Lundi 19 juin 2006 à 18h30 Peindre la vie quotidienne : Bruegel et Bosch par Joseph Leo Koerner, Courtauld Institute, Londres Joseph Leo Koerner examine la naissance d’une peinture de la vie quotidienne dans l’Europe du Nord. Son propos se concentre sur la figure de l’homme ordinaire dans les œuvres de Hieronimus Bosch et de Pieter Bruegel l’Ancien. Tandis que ces deux artistes partagent une fascination pour l’existence ordinaire, perçue comme décevante et attachée au temps, Bosch et Bruegel diffèrent quant à leur traitement de la mobilité, là où la mobilité indique la «vie» en général et les nouvelles conditions morales et sociales de la «vie moderne» en particulier. Le Dénicheur (1568) de Bruegel ou Le Chariot de foin (1500-1502) de Bosch font l’objet d’une lecture parallèle ; dans ces deux œuvres l’homme ordinaire enjambe la frontière mobile entre le passé et le présent. Joseph Leo Koerner a enseigné aux universités de Harvard et de Francfort, puis à University College à Londres, avant d’être nommé professeur d’histoire de l’art à l’Institut Courtauld. Ses recherches sont consacrées d’une part au romantisme allemand (il a notamment publié sur ce sujet : Caspard David Friedrich and the Subject of Landscape, Yale University Press, 1990), et d’autre part à l’apparition de la peinture de genre et à l’intérêt pour la vie quotidienne dans l’art de la Renaissance du Nord. Dans ce dernier domaine, il a publié, entre autres, The moment of Self-Portraiture in German Renaissance Art (University of Chicago Press, 1993), The reformation of the Image (University of Chicago Press, 2004), « Bosch’s Equipement » in Things That Talk : Object Lessons from Art and Science (ed. L. Daston, New York, 2004), et « Unmasking the World : Bruegel’s Ethnography » in Common Knowledge 10/2 (2004). L’approche anthropologique est également une preoccupation importante dans ses travaux : il est l’auteur de l’introduction à la traduction 6 française du texte de Aby Warburg, Le rituel du serpent: récit d’un voyage en pays pueblo (Paris : Macula, 2003) et a participé à l’exposition Iconoclash : Beyond the Image Wars au ZKM (Zentrum für Kunst und Medientechnologie), Karlsruhe, en 2002. Pieter Bruegel l'Ancien, Le Paysan et le voleur de nid ( Le Dénicheur ), 1568, huile sur bois, 59,3 x 68,3 cm, Kunsterisches Museum, Vienne © Kunsthistorisches Museum. 7 Deux Soirées d’art contemporain « Faces à faces » Entrée libre Vendredi 2 juin 2006 à 20h Vendredi 9 juin 2006 à 20h Harun Farocki : Œil/machine et images opératoires Jeremy Deller : l’esthétique et le populaire Débat avec Harun Farocki, artiste, Berlin, Christa Blümlinger, univeristé Paris-III, et Jean-Pierre Rehm, FID, Marseille. Projection : The Battle of Orgreave, GB, 2003, 62 min, vidéo coul., real. Jeremy Deller et Mike Figgis Suivi des projections : Auge/Maschine I (Œil/Machine I), 2001, vidéo coul. 25 min Auge/Maschine II (Œil/Machine II), 2002, vidéo coul. 15 min Auge/Maschine III (Œil/Machine III), 2003, vidéo coul. 25 min Certaines images de nos jours ne sont pas produites sous contrôle direct de l’œil humain mais réalisées de manière autonome par des machines. Dans le contexte de l’imagerie militaire sont notamment utilisées des machines «intelligentes» qui non seulement enregistrent seules les données du réel mais sont en mesure d’analyser celles-ci et d’initier des actions mécaniques en dehors de toute intervention humaine. Ce phénomène se développe conjointement à celui d’une différentiation toujours plus incertaine entre les images de synthèse et les images photographiques. « L’œil n’a plus son rôle comme témoin historique », commente Harun Farocki. Sous le titre de Œil/Machine, il met en évidence, à travers un montage d’images récupérées, cette évolution des formes de la vision et de leur rôle à l’échelle politique. Cinéaste indépendant établi à Berlin depuis les années 1970, Harun Farocki poursuit aujourd’hui sa recherche filmique dans la forme de l’installation vidéo. Il commentera son travail dans le cadre d’un débat où les questions du documentaire et des relations entre image et démocratie seront abordées. Suivie d’une discussion avec Jeremy Deller, artiste, Thierry Davila, capcMusée d’art contemporain de Bordeaux, Laurent Jeanpierre, université Paris-XII, et Christophe Kihm, critique, Paris. En 1984, l’Union nationale des Mineurs d’Angleterre a mené, durant une année entière, l’une des grèves les plus importantes dans l’histoire des mouvements ouvriers. L’œuvre de Jeremy Deller, La Bataille d’Orgreave, reconstitue un épisode particulièrement violent de cette histoire, qui s’est tenu à Orgreave, le 18 juin 1984. La population locale s’est faite à nouveau acteur de l’événement, dans un film qui confronte les scènes de la reconstitution avec des entretiens et des photographies de presse. Le documentaire a partie liée avec la reconstruction d’un événement passé, l’artiste invite ici à une réflexion sur la mémoire collective et les parts oubliées de l’histoire. Avec des projets à longue échéance, tel que le Folk Archive, commencé en 2000 : une collection d’objets et de captations de rituels festifs, témoins de l’expression populaire à travers le Royaume Uni ; ou Acid Brass (1997), une composition de musique techno qu’il donne à interpréter à des fanfares traditionnelles locales à travers le monde, l’œuvre de Jeremy Deller porte une dimension active de catalyseur, à la croisée de préoccupations esthétiques, sociologiques et ethnographiques. A la suite de la projection, une discussion abordera ces différents aspects.