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Lutte contre la violence et l’insécurité
Proposition de loi n° 1641 (Estrosi)
renforçant la lutte contre les violences de groupes
et la protection des personnes chargées d’une mission de service public
Note du groupe SRC à l’Assemblée Nationale
1. Le développement des phénomènes de bandes violentes
La multiplication des affrontements violents, la mainmise de bandes délinquantes sur certains territoires, ne
sont pas surprenant pour de nombreux élus locaux et professionnels de terrain qui dénoncent depuis des
années la montée des violences. La situation est d'autant plus alarmante que de nouveaux paliers semblent
avoir été franchis dans la gravité des actes commis : tir avec arme à feu sur des policiers, guet-apens, rixes
hyper violentes, passage d'une délinquance de rue au banditisme...
Les phénomènes de bandes délinquantes en tant que tels sont mal connus, faute d'un travail continu et
approfondi de renseignement sur les violences urbaines, que la monographie récente de la SDIG (ex-RG) sur les
« 222 » bandes composées d'au moins trois individus ne saurait combler.
D'emblée, tous les acteurs de terrain affirment que « le phénomène est très protéiforme ». Il faut en fait
distinguer une délinquance mafieuse, relativement structurée autour de l'économie souterraine qui
s'approprie un territoire, et des phénomènes de groupe beaucoup plus spontanés et aléatoires voire fortuits,
sans aucune structuration, mais très violents, passant à l'acte en fonction des circonstances, d'une
« embrouille » ou de logiques « d'agrégat contre la police ».
En tout état de cause ces phénomènes traduisent un durcissement de l'insécurité concentrée
géographiquement, avec à la racine de graves carences dans la sociabilité adolescente, l'installation de formes
de contre-sociétés liées à la ghettoïsation et à l'influence culturelle des valeurs consuméristes véhiculées par
l'économie souterraine. Ces phénomènes de socialisation parallèles extrêmement inquiétants se nourrissent à
l’évidence de l'échec scolaire, du racisme, de la pauvreté, et procurent un sentiment d'appartenance à un
groupe social de substitution.
Si tous les professionnels et spécialistes auditionnés soulignent que la situation française n'est à ce stade en
rien comparable avec les phénomènes de gangs tels que peuvent les connaître des pays comme les Etats-Unis
ou le Canada (avec une organisation très hiérarchisée, des signes d'appartenance visible, des rites de passage,
une pérennité de l'organisation délinquante sur plusieurs générations), tous soulignent les évolutions qui
peuvent être constatées, avec, particulièrement en Ile-de-France, le développement de bandes structurées et
identifiées, dotées de noms ou de signes liés à leur territoire d'origine. Les spécialistes de ces questions
estiment que le pire reste à venir. Certains évoquent « une bombe à retardement ».
2. L'impuissance du gouvernement
Comment en est-on arrivé là ?
La montée des violences urbaines et de ces phénomènes de bandes ne date pas d'hier. Différentes étapes ont
été franchies depuis le début des années 1980.
En 2002, le nouveau Ministre de l'intérieur Nicolas Sarkozy avait placé son action sous le signe de la reconquête
des zones de non droit. Si le volontarisme affiché a pu faire illusion dans un premier temps, la politique menée
s'avère un échec dramatique.
La politique du chiffre et de la statistique est devenue la seule boussole de la politique de sécurité. Pendant
que l'attention était focalisée sur le quantitatif, la délinquance la plus enracinée n'a pas été combattue et le
terrain lui a été abandonné.
L'action répressive de la police a oublié les banlieues, où la présence quotidienne de la police a été remplacée
par des forces d'intervention épisodiques, destinées à contenir les désordres ou intervenir en flagrance, avec
des formes d'intervention militarisées parfois contreproductives, au point que les rapports entre l'ensemble de
la jeunesse et la police doivent désormais être considérés comme un sujet de préoccupation majeur.
La seule réponse apportée à l'impunité des délinquants a été une inflation législative sans précédent et un
affichage de durcissement des peines qui s'avère ni dissuasif, ni applicable, ni efficace puisque la prison joue un
rôle criminogène majeur, notamment dans le passage de la « petite » délinquance au banditisme. De récentes
études scientifiques ont aussi montré que le durcissement des peines favorise la récidive. La politique menée
s'avère ainsi non seulement inefficace mais contreproductive.
Parallèlement toute ambition préventive, éducative, et plus largement porteuse d'un espoir pour la jeunesse
des quartiers populaires a disparu. Les promesses faites aux acteurs de terrain dont tout le monde semblait
avoir re-découvert le rôle au lendemain des émeutes de novembre 2005 n'ont pas été tenues.
Les dispositifs de correctifs (notamment les UTEQ) déployés à dose homéopathique par la Ministre de
l'intérieur ne sont pas à la hauteur de cette situation et de la priorité absolue qui devrait être désormais
donnée aux territoires où l'insécurité est très dure.
Le gouvernement n'a pas la volonté de régler les problèmes. Il apporte, après chaque drame, les mêmes
réponses depuis 7 ans : mise en scène médiatique d'un combat qu'il ne mène pas, nouvelles lois, mêmes
annonces...
Bref, la droite n'a pas la volonté de combattre l'insécurité, mais bien celle de l'exploiter.
3. Une doctrine claire : fermeté et précocité
Le moment est venu de dire la vérité, non seulement sur l'échec de la droite, mais sur ce qu'il faut faire : aucun
texte de loi, aucune baguette magique, ne viendra à bout de l'insécurité sans une action en profondeur,
déterminée, continue.
Pour combattre les phénomènes de bandes, il faut donner à la politique de sécurité une orientation
radicalement nouvelle organisée autour de quatre objectifs prioritaires :
> Contre les zones de non droit : la police de quartier
> Contre l'impunité : la sanction précoce
> Contre les violences juvéniles : la prévention précoce
> Contre la loi du silence : de nouvelles protections pour les victimes
Pour illustrer cette démarche, une première série d'amendements est déposée en commission concernant :

la création d'une véritable police de quartier, organisant à l'échelle territoriale l'indispensable travail de
renseignement, de sécurité publique, mais aussi et surtout concernant les phénomènes de bandes les
investigations judiciaires de proximité contre l'économie souterraine ;

la création d'un guide de l'action publique relatif à la lutte contre les bandes organisées et les
attroupements violents récapitulant de façon simple et claire toutes les dispositions de droit pénal à la
disposition des policiers et gendarmes ; et l'inscription dans le code pénal de la jurisprudence afin de
rappeler l'utilisation de la notion de co-auteur ;

la précocité des sanctions prononcées par la justice avec des délais butoirs concernant les
primodélinquants mineurs ou jeunes majeurs ;

la mise en place d'un tuteur référent chargé du suivi de l'exécution de la sanction éducative de bout en
bout ;

la création d'un groupe opérationnel au sein des CLSPD communaux et intercommunaux organisant la
coordination des différents acteurs de terrain avec la réactivité nécessaire ;

la création d'un centre national pour la prévention précoce des violences juvéniles sur le modèle du
« centre national de prévention du crime » canadien ;

la lutte contre la déscolarisation des moins de 16 ans ;

la création d'un nouveau corps de surveillants des établissements scolaires chargé de la sécurité et de la
prévention ; la consultation obligatoire des représentants de la communauté scolaire en préalable à
l'adoption de dispositions relatives à la lutte contre les violences en milieu scolaire ;

le droit à un avocat dès le dépôt de plainte pour chaque victime de violence physique (avec ITT).
4. La proposition de loi Estrosi sera inefficace
La proposition de loi Estrosi est donc à côté des vrais problèmes. C'est la 15ème loi relative à la sécurité en 7
ans.
Les commissaires socialistes aux Lois ont procédé à une étude approfondie du texte, à 27 séances
d'auditions, outre la participation aux 16 organisées par le rapporteur.
Mis à part les dispositions symboliques sur la protection des enseignants victimes de violences scolaires, ce
texte ne répond à aucun des problèmes posés en matière de lutte contre les phénomènes de bandes.
Selon une logique comparable à celle de la loi créant le délit d'entrave à la circulation dans les halls
d'immeuble, il se borne dans des termes ambigus à aggraver un dispositif pénal existant qui couvre d’ores et
déjà tous les cas de figure : bande organisée (article 132-71) ; guet-apens (article132-71-1) ; embuscade (article
222-15-1) ; attroupement (articles 431-1 et suivants) ; rébellion (articles 433-6 à 433-10) ; association de
malfaiteurs (article 450-1) ; les conditions aggravantes des violences aux personnes, vols, destructions et
dégradations commis en réunion.
La pierre angulaire du texte est un nouveau délit (article 1er – voir fiche page suivante) inapplicable aux dires
de l'immense majorité des policiers et de la totalité des magistrats auditionnés : « il ne faut pas se voiler la face,
on aura des difficultés à qualifier » selon un Procureur, « faire une nouvelle loi ne nous paraît pas indispensable,
on ne voit pas la nécessité » selon un policier, « la rédaction du texte, qui rappelle celui de 1970, peut susciter
de légitimes interrogations sur les difficultés judiciaires quant à son application » selon Alain Bauer,
« l'infraction nouvelle, je ne suis pas persuadé qu'elle apporte quelque chose » affirme le procureur de la
république de Bobigny, « les textes ne sont pas toujours appliqués avec diligence » souligne lui-même le Préfet
de Police, « on a déjà l'expérience de textes dont on a soutenu l'adoption et qui n'ont pas été appliqués » dit un
autre policier...
La proposition de loi Estrosi est une supercherie qui ne répond en aucun cas aux problématiques de la violence
juvénile commise en bande. Elle risque d'affaiblir l'autorité de la loi et de la République en apportant une fois
de plus la démonstration de son impuissance.
Comme l'ont souligné beaucoup d'interlocuteurs, prenant l'exemple de la loi sur les hall d'immeubles, quand
on fait croire aux gens qu'un problème va être réglé et qu'il ne l'est pas « après, c'est pire ».
On peut craindre, en revanche, qu'avec ce texte la droite tente de renouer avec les vieux démons de la loi anticasseur de 1970, dont la rédaction du texte semble s'inspirer. Comme l'a souligné un policier auditionné « le
seul endroit où cette loi paraît applicable, c'est pour les manifs ».